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Orpheline alors qu’elle avait environ cinq ans, Cléo est placée sous la garde de la DDASS. Devenue adolescente, elle revient dans sa ville natale avec l’intention de retrouver ceux qui furent responsables de l’assassinat de son père, puis de son grand-père. Cependant, les événements prennent une tournure inattendue : une force mystérieuse semble la protéger, orchestrant des situations favorables qu’elle ne peut expliquer. Profondément perturbée par ce dilemme moral, elle cherche à comprendre le sens de ces événements providentiels.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Du roman policier à ceux dits psychologiques,
Georges Deffaugt a rédigé divers ouvrages reposant sur des expériences vécues. Il revient avec Le retour.
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Georges Deffaugt
Le retour
Roman
© Lys Bleu Éditions – Georges Deffaugt
ISBN : 979-10-422-3902-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
L’horloge au centre de la grande place centrale venait de marquer dix-huit heures. Le garçonnet attacha son vélo à la grille protectrice d’un petit arbre. Il alla s’asseoir sur un banc près du kiosque à journaux, juste en face de la grande brasserie, laquelle était surmontée sur toute sa longueur de l’imposante enseigne lumineuse « CHEZ LUIDGI ». Des promeneurs déambulaient sur la place. Il y avait de nombreux passants sur les trottoirs. Pour beaucoup, c’était l’heure de sortie des bureaux.
Le gamin resta là une dizaine de minutes sans bouger, le regard fixé vers le bar, observant la clientèle qui entrait et sortait de l’établissement. De temps à autre, il tournait la tête vers l’artère principale qui débouchait à droite de la place. Il paraissait attendre quelqu’un.
Brusquement il se leva et alla rapidement se positionner derrière le kiosque dans le but évident de ne pas être vu. Une vieille camionnette verte était apparue dans la circulation. Il la suivit des yeux en prenant garde de ne pas se faire repérer. Le véhicule fit presque le tour de la place et pénétra dans le sous-sol de l’hypermarché pour s’y garer.
Il attendit sans bouger jusqu’au moment où il vit un vieillard ressortir du parking en boitillant, courbé et s’appuyant sur une canne. Le garçonnet se déplaça alors lentement, toujours avec le souci de ne pas être repéré.
Le vieil homme traversa lentement la place et pénétra dans la grande brasserie. Le jeune garçon paraissait hésiter à prendre une décision, mais au bout d’une quinzaine de secondes lui aussi traversa la place et se dirigea à son tour vers l’établissement. Ce n’était pas la première fois qu’il venait ainsi guetter la venue du vieil homme, mais il n’avait encore jamais osé entrer. En ce jour, il s’était armé de courage et avait décidé d’aller voir ce que faisait le vieux, presque tous les jours à la même heure. Il lui fallait savoir, c’était important. Il était possible que le vieux vienne aussi à d’autres moments de la journée, mais ça, il lui était impossible de le savoir. Cela faisait maintenant trois semaines qu’il surveillait l’homme, soit en l’attendant sur les lieux où il pensait le voir arriver, soit en pédalant sur son vélo loin derrière la camionnette en essayant de ne pas la perdre de vue.
Il y avait beaucoup de monde dans la brasserie. Plusieurs groupes de trois ou quatre personnes s’agglutinaient près du comptoir, serrés faute de place. Toutes les tables étaient prises par des consommateurs, et pourtant la salle était grande. Le garçonnet s’infiltra lentement entre les groupes en ondoyant. Il cherchait à repérer le vieil homme et avançait avec prudence. Il le vit de loin dans la petite salle du fond, assis sur une banquette dans le coin le plus éloigné. Il lisait un journal.
Un serveur qui circulait avec adresse entre les clients vit le gamin et lui demanda :
— Que fais-tu ici, tu cherches quelqu’un ?
Le jeune garçon eut le réflexe de répondre :
— Oui, mon père, mais je ne le vois pas, et j’ai soif.
— Que veux-tu ? questionna le serveur.
— Seulement de l’eau, je n’ai pas d’argent, répondit le gamin.
Le serveur le poussa vers l’extrémité du comptoir. Il revint la minute suivante avec un verre d’eau dans lequel il avait ajouté un filet de grenadine.
— Comment t’appelles-tu ? questionna-t-il presque en criant pour être bien compris au milieu du vacarme ambiant.
— Christophe, répondit le gamin en se reculant derrière un groupe d’hommes qui discutaient avec force.
Il ne quittait pas des yeux le vieil homme. Il remarqua vite que celui-ci ne lisait pas réellement son journal. Il regardait principalement quatre individus à l’aspect louche qui devaient faire une belote. Ceux-ci, bloqués près d’une petite porte, devaient être des habitués. Une femme d’une trentaine d’années apparut un instant en ouvrant ladite petite porte derrière eux. Elle parla aux joueurs puis sortit par l’arrière. Le vieil homme ne l’avait pas quittée des yeux. Le gamin sirotait très lentement son verre, manifestement pas pressé de le terminer.
En passant à nouveau près de lui, le serveur lui demanda :
— Quel âge as-tu, Christophe ?
— Dix ans, répondit le gamin, visiblement gêné par la crainte de se faire remarquer.
Il se passa ainsi une quinzaine de minutes. Le vieil homme replia son journal et se leva. Il prit la direction de la sortie. Quand il arriva près de Christophe, celui-ci tourna autour du groupe de clients qui le camouflait et se baissa comme s’il laçait ses chaussures. Il attendit un moment que le vieux soit parti puis sortit à son tour. Il n’avait nul besoin de se presser, le vieil homme était certainement retourné dans le parking pour récupérer son véhicule. Christophe savait que miraculeusement, une fois de retour dans le parking, l’homme ne boiterait plus et se redresserait. Après être monté dans sa camionnette, il ôterait son déguisement et rajeunirait d’une trentaine d’années. Il n’était pas si vieux que ça, le vieux, peut-être une soixantaine d’années et sans doute moins. Ce n’était pas un homme ordinaire ; il était malin, fort, souple et adroit. Christophe avait déjà pu s’en rendre compte. Il se disait dans son quartier que ce personnage avait été célèbre autrefois, une sorte de héros légendaire. Il avait été un important chef de réseau dans la résistance pendant la guerre. Aujourd’hui, c’était la sienne de guerre qu’il menait à titre personnel. C’était sûr, un jour ou l’autre le vieux allait tous les tuer. Il allait venger son fils assassiné. Quand il y pensait, Christophe ne pouvait s’empêcher de trembler.
Que cherchait donc cet homme dans la brasserie Ferreti, et aussi en d’autres lieux apparemment sans importance ? Voilà ce que Christophe aurait bien voulu savoir et comprendre. Il savait que maintenant ce faux vieillard allait se rendre dans la maison où avait vécu son fils. Cette « maison maudite » devant laquelle lui n’osait plus passer et encore moins la regarder. Cela parce qu’elle paraissait lui crier :
— Christophe, tu es un lâche, c’est en partie de ta faute ce qui est arrivé. Tu n’es qu’un ignoble froussard qui a peur aujourd’hui pour ta vie.
Le jeune garçon retraversa la rue jusqu’au centre de la place et commença à détacher son vélo. À ce moment, une main se posa sur son épaule. Il se retourna et demeura paralysé par l’effroi. L’homme le fixait avec un regard sévère. Trois secondes d’un affreux silence avant qu’il lui dise sur un ton de reproche :
— Toi, je te vois un peu trop souvent dans mon ombre. Tu cherches décidément les ennuis, tu vas les trouver si je te revois sur ma route. Disparais et vite.
Christophe ne se le fit pas répéter.
Il enfourcha son vélo et pédala comme s’il avait le diable aux trousses.
Quand le train s’arrêta en gare, il était presque quatre heures. La nuit allait s’achever dans une brume épaisse. La première quinzaine de juillet s’était souvent déroulée sous la pluie. Une averse venait tout juste de cesser ; il faisait très frais à cette heure matinale.
Le haut-parleur annonça dix minutes d’arrêt. Il y eut une douzaine de voyageurs qui descendirent des wagons. Ils se dirigèrent vers la sortie après avoir traversé la salle d’attente. Parmi eux se trouvait une jeune fille qui n’avait qu’un sac dorsal pour tout bagage. Une fois dans le hall central, elle jeta un coup d’œil vers le buffet désert puis revint sur ses pas. Elle ne paraissait pas pressée de sortir. Elle chercha un endroit qui puisse lui convenir et alla vers l’un des bancs près du mur sur lequel elle se recroquevilla. Posant la tête sur ses genoux et l’entourant de ses bras, elle prolongea le sommeil qui avait été interrompu par l’arrivée en gare.
Ce ne fut qu’environ trois heures plus tard qu’elle parut se réveiller. S’étirant lentement, elle posa les pieds sur le sol, se leva en regardant autour d’elle, se dirigea vers les tables du buffet, ramassa un bout de croissant abandonné et quitta le lieu.
Un épais brouillard pesait sur la ville et empêchait de voir à plus d’une cinquantaine de mètres. L’atmosphère humide intensifiait l’impression de froid. Cependant la circulation commençait à envahir les rues. Il y avait un début d’animation avec les gens qui avançaient sur les trottoirs. Plusieurs personnes prenaient un café au bar du coin. De même il y avait une suite de clients qui entraient et sortaient de la boulangerie située à côté.
La jeune fille s’arrêta un court instant devant la porte en humant l’odorant parfum qui s’en dégageait. Elle n’avait visiblement pas les moyens de s’acheter les pâtisseries tentatrices étalées dans la vitrine. D’un pas nonchalant, elle remonta la rue jusqu’à l’avenue principale en regardant chaque immeuble comme si elle cherchait à se repérer.
Le brouillard s’estompait lentement en approchant du centre-ville. Une fois parvenue sur la place principale, la jeune fille traversa la route pour atteindre le terre-plein central. De forme ovale, il ressemblait à un large terrain de sport. Il y avait un emplacement pour le marché deux fois par semaine, un endroit réservé aux joueurs de boules, des bancs çà et là pour les promeneurs, un manège pour les enfants, de grands arbres sur la périphérie ainsi qu’un bassin dans lequel il y avait de nombreux poissons rouges.
Elle fit deux fois le tour de la place, observant chaque bâtiment et la suite de commerces les uns à côté des autres. Il y avait là une bonne vingtaine de boutiques les plus diverses, le cinéma surmonté de larges panneaux sur lesquels étaient présentés les films du moment, une patinoire, une discothèque, et aussi, bien placé en plein milieu de cet ensemble se détachait l’imposante brasserie centrale au-dessus de laquelle clignotait le nom de l’établissement : « CHEZ LUIDGI ».
Elle resta plantée devant plusieurs minutes en observant chaque détail du bâtiment. Il lui revint en mémoire ce que disait son grand-père : « Ce truand a rajouté un D à son prénom pour qu’il soit bien prononcé comme en son Italie natale. Il aurait mieux fait de se faire oublier. Un jour ou l’autre il paiera ses crimes. »
Puis elle alla s’asseoir sur le banc situé en face. Cet établissement était le lieu où de nombreux employés et ouvriers venaient avant de se rendre à leur travail pour y prendre un café. Elle resta plantée là encore une bonne heure à regarder cette animation avant de se lever et reprendre sa route.
Elle se dirigea dans la direction où un panneau indiquait le stade et divers bâtiments administratifs. Un kilomètre plus loin, elle demeura hésitante en arrivant au carrefour. Au centre du rond-point, il y avait une petite place plantée d’arbustes avec une sculpture moderne. Il en partait six routes. Elle prit celle qui indiquait le cimetière à deux cents mètres. Elle franchit la large grille de l’entrée et se dirigea directement vers l’une des allées de gauche. Elle parcourut une cinquantaine de mètres avant de s’arrêter sur une pauvre tombe en pierre. Il y avait trois noms gravés sur le socle. Elle s’assit sur le bord et resta là, pensive un long moment sans bouger. Plus précisément, un bon observateur aurait pu la voir murmurer, sans doute en s’adressant à ceux qui reposaient là. Son visage exprimait une vive émotion.
Elle reprit ensuite la route jusqu’au rond-point. Un panneau indiquait le stade et le lycée. Ce n’était pas difficile de voir où se trouvait l’établissement scolaire. En passant devant, la jeune fille remarqua que le bandeau en pierre au-dessus du portail indiquait qu’il s’agissait à la fois d’un collège et d’un lycée. Elle se souvint que ce n’était pas le cas autrefois.
Si, depuis son départ de la gare jusqu’à cet endroit, quelqu’un avait pu observer toutes les expressions du visage de cette jeune fille, il aurait constaté qu’elle était décontenancée par tout ce qu’elle voyait. La raison en était simple : elle ne reconnaissait plus ce qu’elle avait connu jadis ; tout avait été modifié. Ce qui lui revenait en mémoire lui paraissait beaucoup plus petit.
Elle avança encore de quelques centaines de mètres avant de s’arrêter devant une jolie maison qui ressemblait à un petit château. Elle s’assit sur le muret et resta là, immobile, comme si elle attendait un événement. Il se produisit lorsque la porte de l’habitation s’ouvrit. Il en sortit une jeune femme avec deux fillettes qui se dirigèrent vers la rue.
Quand la dame ouvrit la porte du jardin, elle fut surprise de voir cette adolescente accrochée à la grille et qui paraissait subjuguée en regardant la maison, mais elle se contenta de lui sourire. C’est alors que la jeune fille lui dit :
— Bonjour, madame, j’admirais votre maison, vous avez une bien jolie maison. J’imagine qu’il fait bon y vivre.
La jeune femme, sans doute un peu étonnée, sourit de nouveau et répondit simplement au « bonjour » qui lui était adressé, mais elle n’avait visiblement pas l’intention d’en dire davantage. Elle paraissait pressée, sans doute parce qu’elle n’était pas en avance. Tenant ses enfants par la main, elle avança avec hâte vers le haut de la rue, lieu où se trouvaient les écoles primaires. En cette période de vacances scolaires, les fillettes devaient être confiées à une garderie. La jeune femme réapparut dix minutes plus tard et fut étonnée de revoir au même endroit la jeune fille qui lui avait adressé la parole. Quand elles ne furent qu’à quelques mètres l’une de l’autre, l’adolescente lui dit :
— Entretenir une telle maison, avec en plus la charge de deux enfants, doit être beaucoup de travail. N’auriez-vous pas besoin d’une aide ?
Proposition inattendue qui fit de nouveau sourire la jeune femme. Elle répondit par la négative en remerciant. Elle n’avait besoin de personne. Même si cela avait été le cas, il est peu probable qu’elle aurait accordé sa confiance à une jeune fille inconnue ayant l’allure de celle-ci. Il était évident que ce devait être une mendigote sans domicile qui vivait certainement en faisant la manche au hasard de son chemin.
La jeune fille reprit sa marche jusqu’à la rue suivante sur la gauche. Le panneau bleu indiquait : « Rue Pasteur ». Elle la prit et avança d’environ deux cents mètres jusqu’à une maison sur laquelle il y avait un écriteau « À vendre ». De toute évidence, cette habitation était délaissée depuis longtemps. Pourtant c’était une belle maison. Sur le devant, ce qui avait dû être un joli jardin n’était plus qu’un ensemble de taillis et de ronces qui s’entremêlaient avec les orties. Le portail commençait sérieusement à se rouiller.
L’adolescente observa quelques minutes cette demeure mais ne s’y attarda pas. Elle paraissait davantage intéressée par la maison d’en face. Elle traversa la rue et s’approcha de la plaque qui indiquait le nom des propriétaires : « M. et Mme Demérieux ». C’était un grand et très beau pavillon de construction assez récente.
Elle alla ensuite un peu plus loin, regarda les différentes habitations puis revint et retourna une autre fois jusqu’au bout de la rue avant de revenir et de revenir encore. Au bout d’une heure, elle aurait pu décrire les particularités de chaque maison de cette rue. De temps en temps il y avait des résidents qui sortaient de chez eux et qui circulaient, mais personne ne faisait attention à une inconnue.
La chance finit par lui sourire quand elle vit la porte du garage se lever. Une femme élégante vint ouvrir le large portail. Sans aucun doute ce devait être la maîtresse de maison. Il ne servait à rien de se précipiter ; il était préférable de passer inaperçue et d’attendre son retour.
La voiture sortit du garage et la dame ne se donna même pas la peine de refermer le portail, signe qu’elle n’allait pas s’absenter bien longtemps. Ce fut en effet le cas. La petite voiture bleue réapparut au bout de la rue une vingtaine de minutes plus tard.
La jeune fille s’avança comme si elle venait d’arriver et s’arrêta devant la maison d’en face, celle qui était à vendre. Elle attendit que la voiture fût remise au garage. En toute logique la dame allait ressortir pour fermer le portail, il suffisait d’attendre l’instant propice. Cela ne tarda pas. Quand la femme réapparut, la jeune fille s’adressa à elle en disant :
— Excusez-moi, madame, mais pourriez-vous me dire ce que sont devenues les personnes qui habitaient en face de chez vous ? Apparemment, cette maison est inhabitée depuis pas mal de temps.
La dame regarda la jeune fille avec un air où se mélangeaient une vague surprise et une expression indéfinissable. Elle ne répondit qu’après avoir détaillé de la tête aux pieds cette curieuse adolescente qui avait l’apparence d’une vagabonde et qui n’avait pas dû se peigner depuis plusieurs jours. Vêtue d’un jean qui avait souffert, d’un veston fripé et de souliers usagés, elle n’inspirait pas une grande confiance. Intriguée, la dame demanda :
— Est-ce que ce sont les anciens propriétaires qui vous intéressent ou bien la maison ? Sans vouloir vous vexer, je doute que vous soyez en mesure de l’acheter. Certains jeunes gens ont essayé de la squatter l’année dernière, mais ils ont vite été chassés.
La jeune fille s’approcha en ayant un petit sourire plutôt rassurant avant de dire :
— Oh ! Ne vous inquiétez pas, madame. Il n’est pas dans mes intentions de squatter cette maison et encore moins de l’acheter. Comme vous le dites, ce n’est pas dans mes moyens. Je suis seulement étonnée de trouver cette habitation à vendre. Il fut un temps où il m’a été dit que les personnes habitant ce pavillon pourraient me procurer du travail. Aussi, comprenez que je suis déçue. Peut-être pouvez-vous me dire où je peux trouver ces gens.
La dame fronça les sourcils avec une expression de doute. Elle hésita un court instant avant de répondre, mais tout en observant avec plus d’attention la jeune fille :
— Il y a belle lurette que les habitants de cette propriété ne sont plus là, aussi je ne vois pas qui aurait pu vous donner une telle information. De toute façon, je serais très étonnée que ces gens aient été en mesure de vous proposer du travail. Cette famille n’était pas très honorable, mis à part le père qui est décédé il y a bien longtemps.
L’adolescente parut réfléchir, puis exactement comme elle l’avait fait avec la femme qui menait ses enfants à la garderie, elle dit :
— Mais peut-être que vous, avec une grande belle maison comme la vôtre vous auriez besoin d’aide. Je ne suis pas exigeante et je peux rendre de nombreux services. Le travail ne me fait pas peur, je suis courageuse et débrouillarde.
La dame eut un léger rire aimablement compréhensif pour répondre :
— Je suis désolée mais je suis bien organisée pour effectuer mes tâches ménagères qui ne sont pas si nombreuses que vous vous l’imaginez. Je ne doute pas de votre bonne volonté ni de vos mérites, mais vous seriez plus avisée de vous adresser au service social de la mairie.
La jeune fille remercia et fit mine de partir. Mais à peine eut-elle fait trois pas qu’elle se retourna en quémandant avec une expression embarrassée :
— Excusez-moi de mon sans-gêne, mais auriez-vous la bonté de me donner un morceau de pain, si ce n’est pas trop vous demander ?
La dame ne s’attendait pas exactement à cela. Plus précisément, elle avait un instant imaginé que cette jeune vagabonde allait inventer une quelconque histoire pour lui soutirer quelques sous. Ce n’était pas nouveau. Il y avait fréquemment de jeunes gens qui sonnaient à toutes les portes pour vendre des bricoles sans valeur ou des peintures soi-disant d’eux, ou encore plus simplement pour mendier en invoquant un malheur passager. Cette jeune fille à l’allure dépenaillée n’avait pas un visage antipathique. C’est en la fixant avec un air interrogatif qu’elle lui demanda :
— Serait-ce que vous n’avez pas mangé ce matin ? Où habitez-vous, en supposant que vous habitiez quelque part ?
— En effet, je n’ai pas mangé ce matin et guère davantage hier soir, répondit l’adolescente. Pour ce qui est de mon logis, vous avez probablement deviné que je n’en ai pas vraiment. Je viens de loin et j’ai passé la nuit dans le train.
Madame Demérieux, c’était son nom, s’était toujours fait un devoir d’être charitable avec les déshérités. Elle avait la renommée d’être généreuse et serviable. Elle participait régulièrement aux œuvres de bienfaisance organisées par la mairie et certains organismes. Elle hocha la tête en répondant :
— Du pain, oui bien sûr. Je vais vous apporter quelques gâteaux et du chocolat, cela vous conviendra-t-il ? Désirez-vous autre chose avec ?
— Rien d’autre, madame, cela me suffira. C’est plus que je n’en demandais.
Madame Demérieux avança de quelques pas, puis s’arrêta. Elle se retourna et regarda la jeune fille avec une brève hésitation avant de lui dire :
— Je suppose qu’un vrai déjeuner vous serait agréable. J’ai comme dans l’idée que le dernier que vous ayez eu date de plusieurs jours. Venez avec moi.
L’adolescente ne se le fit pas répéter. Elle emboîta le pas à la maîtresse de maison. Madame Demérieux la fit entrer dans sa cuisine, la fit asseoir, et au bout de quelques minutes elle lui apportait un bol de cacao, du pain avec du beurre et de la confiture. Pendant que la jeune fille engloutissait ce petit déjeuner, la dame l’observait avec une certaine curiosité. Cette adolescente devait avoir dans les dix-sept ans. Voyager ainsi seule était bien imprudent.
La dame attendit un moment puis commença à poser plusieurs questions :
— Vous me semblez bien jeune pour aller seule à la recherche d’un hypothétique emploi. Je ne voudrais pas être indiscrète, mais quel âge avez-vous ? Vos parents doivent se faire du souci à vous savoir partie à l’aventure. Vous me dites avoir voyagé cette nuit, d’où venez-vous ? À vous regarder, il me semble que votre départ ne date pas d’hier. Quel genre de travail cherchez-vous et plus précisément quelles sont vos compétences ? Il y a des personnes à la mairie qui pourraient vous conseiller et vous trouver une occupation susceptible de vous convenir. J’y ai moi-même quelques relations. Quel est votre nom, c’est la première chose que j’aurais pu vous demander ?
L’adolescente termina d’avaler les dernières gouttes de son bol avant de répondre :
— Je me nomme Cléo. Tranquillisez-vous, je ne donne de souci à personne, mes parents ne sont plus de ce monde. C’est la raison pour laquelle j’ai été confiée à une famille d’accueil pendant de longues années. Ils étaient très gentils avec moi comme si j’avais été leur fille. J’ai attendu la fin de l’année scolaire pour les quitter. J’ai estimé qu’il était temps que je mène ma vie sans dépendre des autres. Il y a trois semaines de cela. Entre-temps, je suis allée revoir la maison où je vivais avec ma grand-mère autrefois, avant qu’elle aussi quitte cette terre. J’y ai laissé une foule de souvenirs mais je ne pouvais pas m’attarder plus longtemps dans cette maisonnette en ruine. Vous voyez, c’est très simple. Il m’est plusieurs fois arrivé d’entrer dans une boulangerie pour quémander un croûton de pain, mais à part cela je ne demande pas l’aumône. Je suis partie avec quelques économies mais elles ont fondu comme neige au soleil.
Madame Demérieux allait certainement poser d’autres questions, mais un bruit de moteur la fit aller vers la fenêtre. Elle dit alors :
— Voilà mon fils. Il a dû oublier quelque chose en partant ce matin, un document indispensable sans doute, car il ne revient jamais avant midi avec mon mari. Il va bien sûr être étonné par votre présence ici.
Elle n’eut pas le temps d’en dire davantage. Le jeune homme traversa les quelques mètres le séparant de la maison en quelques pas rapides, ce qui permettait de supposer qu’il passait en coup de vent. Il ouvrit et poussa la porte d’entrée, pénétra dans le hall et grimpa deux par deux les marches de l’escalier vers son bureau situé à l’étage. Quand il redescendit une trentaine de secondes plus tard, tout aussi rapidement avec un dossier sous le bras, madame Demérieux l’attendait devant la porte de la cuisine. Elle lui demanda :
— Qu’avais-tu oublié ?
— Rien, répondit-il. Mais nous avons eu un client qui est arrivé à l’improviste. Il n’aurait dû ne venir que dans une semaine. Je n’avais donc aucune raison d’emporter ce matin les documents le concernant. Puisque je suis là, je vais en profiter pour en prendre quelques…
Il avait prononcé ce début de phrase en se dirigeant vers la cuisine. Il ne la termina pas en voyant la jeune fille. Son visage prit une expression d’étonnement qui fit légèrement rire madame Demérieux. Trouver chez elle, et dans sa cuisine, une adolescente qui était visiblement une vagabonde avait de quoi surprendre le jeune homme. La maman expliqua en souriant :
— J’ai fait ma BA du jour. Le hasard m’a mis en présence de cette jeune personne qui avait bien besoin de se restaurer. Elle pensait que nos voisins d’en face étaient encore là et pourraient lui procurer un emploi. Je te raconterai plus tard. Je vais lui donner un petit mot pour qu’elle aille voir notre ami, monsieur Louvier, à la mairie. Il lui trouvera certainement une occupation et un lieu pour se loger, bien que ce ne soit pas très facile.
Le jeune homme, habitué à la générosité de sa mère, se limita à dire :
— Oui, bien sûr. Monsieur Louvier sera certainement en mesure d’aider cette demoiselle.
Manifestement pressé et n’ayant aucune raison de s’attarder, il quitta très vite la pièce, sortit du pavillon en allant vers sa voiture en quelques enjambées. À le voir ainsi presque courir, il était clair qu’il avait hâte de rejoindre son lieu de travail. Il roula une vingtaine de mètres, mais contre toute attente il s’arrêta brusquement et demeura une minute pensif, puis recula jusqu’au-devant de la maison. Sa mère, qui d’une fenêtre l’avait regardé partir, crut qu’il avait encore oublié quelque chose. Il entra de nouveau dans le pavillon puis s’adressant à sa mère lui dit :
— J’aurais besoin de la photo que l’oncle Paul a prise à Noël avec toute la famille. Je crois que c’est toi qui l’as rangée, probablement dans un album. Tu sauras mieux la trouver que moi. Voudrais-tu aller me la chercher ?
Madame Demérieux, d’abord étonnée par cette demande, réalisa assez vite qu’il s’agissait sans aucun doute d’un prétexte pour être revenu. Et pourquoi ? Probablement parce que son fils avait été intrigué par la présence d’une vagabonde chez eux et voulait s’assurer que cette dernière n’était pas là avec des intentions douteuses. Il y avait eu un précédent deux ans auparavant avec de faux employés d’EDF qui avaient abusé de la crédulité de la maîtresse de maison et lui avaient volé des bijoux.
La dame, comprenant que son fils agissait ainsi par simple prudence, joua le jeu et quitta la pièce pour aller chercher la photo demandée.
Le jeune homme resté ainsi seul avec la dénommée Cléo s’adressa à elle sur un ton interrogatif :
— Ainsi vous étiez venue dans le quartier en espérant trouver un emploi dans la famille Barcoti. Il y a longtemps que ces gens ne sont plus là. Il suffit de voir l’état de la propriété pour comprendre qu’elle n’est plus habitée. Aussi je ne comprends pas pourquoi vous pensiez trouver un emploi à cette adresse. Auriez-vous vu une annonce dans ce sens sur un quelconque journal et quand ?
— Pas exactement. C’est quelqu’un qui m’avait donné cette adresse. Il m’avait été dit que ces gens étaient importants et cherchaient une aide pour entretenir leur maison. Bien sûr, depuis le temps, ils avaient largement eu l’occasion de trouver une personne qui leur convienne, mais je suis venue à tout hasard.
Cette réponse était peu convaincante, même plus que douteuse. Aussi le jeune homme eut un rictus qui exprimait assez bien ce qu’il en pensait.
— Et c’est aussi par hasard que vous avez rencontré ma mère. Quel âge avez-vous ?
Elle eut une brève hésitation avant de répondre :
— J’aurais bientôt dix-huit ans… dans quelques jours.
— Quelques jours, ce n’est pas très précis, dit-il avec un timbre de voix qui laissait supposer que cette réponse l’amusait.
— Quelle importance ? répondit-elle avec une mimique qui s’apparentait à un « mon âge ne vous regarde pas ». Cependant, elle jugea préférable de ne pas donner une impression désagréable et ajouta :
— Que ce soit dans trois jours ou trois semaines, cela n’intéresse personne.
— Hum ! Dix-huit ans… fit le jeune homme avec une intonation qui pouvait être interprétée par un gros doute. Donc bientôt dix-huit ans, répéta-t-il lentement en hochant légèrement la tête avec une expression qui indiquait clairement qu’il n’y croyait guère.
Madame Demérieux revint dans la pièce en tendant une photo à son fils. Elle vit que la jeune Cléo semblait embarrassée pour répondre au jeune homme et que celui-ci avait une attitude bizarre qui indiquait une sorte de suspicion. Pour rendre l’atmosphère moins tendue, elle dit sur un ton qui se voulait rassurant :
— Cléo paraît être une jeune fille pleine de bonne volonté et qui a du courage puisqu’elle veut se prendre elle-même en main pour chercher du travail. Certes, ce n’est pas très prudent de partir ainsi à l’aventure.
— En effet, appuya le jeune homme. Si je comprends bien, vous venez de terminer une année scolaire. Est-ce la fin de vos études ? Vous nous dites avoir dix-huit ans. C’est souvent l’âge où la plupart des étudiants passent le baccalauréat, est-ce votre cas ?
— Oui… confirma la jeune fille avec un brin d’hésitation qui permettait de ne pas la croire. Mais je suis partie de chez les personnes qui me logeaient avant de connaître les résultats. Cependant j’ai la quasi-certitude d’avoir obtenu une note correcte. J’étais une bonne élève.
— Parfait, reprit Christophe avec de nouveau un mince sourire. Vous voilà bientôt majeure et diplômée. Vive la liberté ! Et vous partez au hasard sur les routes en pensant que le monde vous appartient.
Madame Demérieux fit un geste qui indiquait qu’elle était contrariée par le comportement ironique de son fils. Mais il n’y prit pas garde et poursuivit :
— Mademoiselle Cléo, permettez-moi de m’étonner quand vous nous dîtes être venue de très loin pour un hypothétique emploi de femme de ménage. Donc vous vous nommez Cléo, bien très bien, Cléo comment ?
Elle eut de nouveau une légère moue, signe d’un visible embarras. Elle ne répondit pas à la question mais enchaîna par :