Le Scarabée d’or - Edgar Allan Poe - E-Book

Le Scarabée d’or E-Book

Edgar Allan Poe

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Beschreibung

"Le Scarabée d'or" ("The Gold Bug") est une nouvelle policière et d'aventures d'Edgar Allan Poe, parue en juin 1843 dans le journal de Philadelphie "Dollar Newspaper". Poe a gagné un concours organisé par le journal et reçu un prix de 100 dollars, ce qui représente le montant le plus élevé que l'écrivain ait touché pour une nouvelle publiée. C'est également le texte le plus largement lu du vivant de l'auteur. La nouvelle popularisa la cryptographie auprès du grand public tout en établissant la réputation de cryptographe hors pair de l'écrivain aux yeux de ses contemporains. Elle a été reprise dans de nombreux journaux et publications et fut traduite en français par Charles Baudelaire et publiée dans le recueil des "Histoires extraordinaires". Edgar Allan Poe résida à Fort Moultrie de 1827 à 1828 sur l'île Sullivan dans le comté de Charleston (Caroline du Sud) où se déroule l'intrigue. Plusieurs rues portent aujourd'hui le nom de ses nouvelles et poèmes (Raven drive, GoldBug drive...) et la bibliothèque a été nommée en son honneur. La trame romanesque sur laquelle se base la nouvelle continue également de motiver les chasseurs sur les traces d'un trésor enfoui dans la région.

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Seitenzahl: 68

Veröffentlichungsjahr: 2015

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Le Scarabée d’or

Oh ! oh ! qu’est-ce que cela ? Ce garçon a une folie dans les jambes ! Il a été mordu par la tarentule.

(Tout de travers.)

Il y a quelques années, je me liai intimement avec un M. William Legrand. Il était d’une ancienne famille protestante, et jadis il avait été riche ; mais une série de malheurs l’avait réduit à la misère. Pour éviter l’humiliation de ses désastres, il quitta La Nouvelle-Orléans, la ville de ses aïeux, et établit sa demeure dans l’île de Sullivan, près Charleston, dans la Caroline du Sud.

Cette île est des plus singulières. Elle n’est guère composée que de sable de mer et a environ trois milles de long. En largeur, elle n’a jamais plus d’un quart de mille. Elle est séparée du continent par une crique à peine visible, qui filtre à travers une masse de roseaux et de vase, rendez-vous habituel des poules d’eau. La végétation, comme on peut le supposer, est pauvre, ou, pour ainsi dire, naine. On n’y trouve pas d’arbres d’une certaine dimension. Vers l’extrémité occidentale, à l’endroit où s’élèvent le fort Moultrie et quelques misérables bâtisses de bois habitées pendant l’été par les gens qui fuient les poussières et les fièvres de Charleston, on rencontre, il est vrai, le palmier nain sétigère ; mais toute l’île, à l’exception de ce point occidental et d’un espace triste et blanchâtre qui borde la mer, est couverte d’épaisses broussailles de myrte odoriférant, si estimé par les horticulteurs anglais. L’arbuste y monte souvent à une hauteur de quinze ou vingt pieds ; il y forme un taillis presque impénétrable et charge l’atmosphère de ses parfums.

Au plus profond de ce taillis, non loin de l’extrémité orientale de l’île, c’est-à-dire de la plus éloignée, Legrand s’était bâti lui-même une petite hutte, qu’il occupait quand, pour la première fois et par hasard, je fis sa connaissance. Cette connaissance mûrit bien vite en amitié, — car il y avait, certes, dans le cher reclus, de quoi exciter l’intérêt et l’estime. Je vis qu’il avait reçu une forte éducation, heureusement servie par des facultés spirituelles peu communes, mais qu’il était infecté de misanthropie et sujet à de malheureuses alternatives d’enthousiasme et de mélancolie. Bien qu’il eût chez lui beaucoup de livres, il s’en servait rarement. Ses principaux amusements consistaient à chasser et à pêcher, ou à flâner sur la plage et à travers les myrtes, en quête de coquillages et d’échantillons entomologiques ; — sa collection aurait pu faire envie à un Swammerdam. Dans ces excursions, il était ordinairement accompagné par un vieux nègre nommé Jupiter, qui avait été affranchi avant les revers de la famille, mais qu’on n’avait pu décider, ni par menaces ni par promesses, à abandonner son jeune massa Will ; il considérait comme son droit de le suivre partout. Il n’est pas improbable que les parents de Legrand, jugeant que celui-ci avait la tête un peu dérangée, se soient appliqués à confirmer Jupiter dans son obstination, dans le but de mettre une espèce de gardien et de surveillant auprès du fugitif.

Sous la latitude de l’île de Sullivan, les hivers sont rarement rigoureux, et c’est un événement quand, au déclin de l’année, le feu devient indispensable. Cependant, vers le milieu d’octobre 18…, il y eut une journée d’un froid remarquable. Juste avant le coucher du soleil, je me frayais un chemin à travers les taillis vers la hutte de mon ami, que je n’avais pas vu depuis quelques semaines ; je demeurais alors à Charleston, à une distance de neuf milles de l’île, et les facilités pour aller et revenir étaient bien moins grandes qu’aujourd’hui.

En arrivant à la hutte, je frappai selon mon habitude, et, ne recevant pas de réponse, je cherchai la clef où je savais qu’elle était cachée, j’ouvris la porte et j’entrai. Un beau feu flambait dans le foyer. C’était une surprise, et, à coup sûr, une des plus agréables. Je me débarrassai de mon paletot, je traînai un fauteuil auprès des bûches pétillantes, et j’attendis patiemment l’arrivée de mes hôtes.

Peu après la tombée de la nuit, ils arrivèrent et me firent un accueil tout à fait cordial. Jupiter, tout en riant d’une oreille à l’autre, se donnait du mouvement et préparait quelques poules d’eau pour le souper. Legrand était dans une de ses crises d’enthousiasme ; — car de quel autre nom appeler cela ? Il avait trouvé un bivalve inconnu, formant un genre nouveau, et, mieux encore, il avait chassé et attrapé, avec l’assistance de Jupiter, un scarabée qu’il croyait tout à fait nouveau, et sur lequel il désirait avoir mon opinion le lendemain matin.

— Et pourquoi pas ce soir ? demandai-je en me frottant les mains devant la flamme, et envoyant mentalement au diable toute la race des scarabées.

— Ah ! si j’avais seulement su que vous étiez ici ! dit Legrand ; mais il y a si longtemps que je ne vous ai vu ! Et comment pouvais-je deviner que vous me rendriez visite justement cette nuit ? En revenant au logis, j’ai rencontré le lieutenant G…, du fort, et très-étourdiment je lui ai prêté le scarabée ; de sorte qu’il vous sera impossible de le voir avant demain matin. Restez ici cette nuit, et j’enverrai Jupiter le chercher au lever du soleil. C’est bien la plus ravissante chose de la création !

— Quoi ? le lever du soleil ?

— Eh non ! que diable ! — le scarabée. Il est d’une brillante couleur d’or, — gros à peu près comme une grosse noix, — avec deux taches d’un noir de jais à une extrémité du dos, et une troisième, un peu plus allongée, à l’autre. Les antennes sont…

— Il n’y a pas du tout d’étain sur lui[1], massa Will, je vous le parie, interrompit Jupiter ; le scarabée est un scarabée d’or, d’or massif, d’un bout à l’autre, dedans et partout, excepté les ailes ; — je n’ai jamais vu de ma vie un scarabée à moitié aussi lourd.

— C’est bien, mettons que vous ayez raison, Jup, répliqua Legrand un peu plus vivement, à ce qu’il me sembla, que ne le comportait la situation, est-ce une raison pour laisser brûler les poules ? La couleur de l’insecte, — et il se tourna vers moi, — suffirait en vérité à rendre plausible l’idée de Jupiter. Vous n’avez jamais vu un éclat métallique plus brillant que celui de ses élytres ; mais vous ne pourrez en juger que demain matin. En attendant, j’essayerai de vous donner une idée de sa forme.

Tout en parlant, il s’assit à une petite table sur laquelle il y avait une plume et de l’encre, mais pas de papier. Il chercha dans un tiroir, mais n’en trouva pas.

— N’importe, dit-il à la fin, cela suffira.

Et il tira de la poche de son gilet quelque chose qui me fit l’effet d’un morceau de vieux vélin fort sale, et il fit dessus une espèce de croquis à la plume. Pendant ce temps, j’avais gardé ma place auprès du feu, car j’avais toujours très-froid. Quand son dessin fut achevé, il me le passa, sans se lever. Comme je le recevais de sa main, un fort grognement se fit entendre, suivi d’un grattement à la porte. Jupiter ouvrit, et un énorme terre-neuve, appartenant à Legrand, se précipita dans la chambre, sauta sur mes épaules et m’accabla de caresses ; car je m’étais fort occupé de lui dans mes visites précédentes. Quand il eut fini ses gambades, je regardai le papier, et, pour dire la vérité, je me trouvai passablement intrigué par le dessin de mon ami.

— Oui ! dis-je après l’avoir contemplé quelques minutes, c’est là un étrange scarabée, je le confesse ; il est nouveau pour moi ; je n’ai jamais rien vu d’approchant, à moins que ce ne soit un crâne ou une tête de mort, à quoi il ressemble plus qu’aucune autre chose qu’il m’ait jamais été donné d’examiner.

— Une tête de mort ! répéta Legrand. Ah ! oui, il y a un peu de cela sur le papier, je comprends. Les deux taches noires supérieures font les yeux, et la plus longue qui est plus bas figure une bouche, n’est-ce pas ? D’ailleurs, la forme générale est ovale…

— C’est peut-être cela, dis-je ; mais je crains, Legrand, que vous ne soyez pas très-artiste. J’attendrai que j’aie vu la bête elle-même, pour me faire une idée quelconque de sa physionomie.

— Fort bien ! Je ne sais comment cela se fait, dit-il, un peu piqué, je dessine assez joliment, ou du moins je le devrais, — car j’ai eu de bons maîtres, et je me flatte de n’être pas tout à fait une brute.

— Mais alors, mon cher camarade, dis-je, vous plaisantez ; ceci est un crâne fort passable, je puis même dire que c’est un crâne parfait, d’après toutes les idées reçues relativement à cette partie de l’ostéologie, et votre scarabée serait le plus étrange de tous les scarabées du monde, s’il ressemblait à ceci. Nous pourrions établir là-dessus quelque petite superstition naissante. Je présume que vous nommerez votre insecte scarabæus caput hominis, ou quelque chose d’approchant ; il y a dans les livres d’histoire naturelle beaucoup d’appellations de ce genre. — Mais où sont les antennes dont vous parliez ?

— Les antennes ! dit Legrand, qui s’échauffait inexplicablement ; vous devez voir les antennes, j’en suis sûr. Je les ai faites aussi distinctes qu’elles le sont dans l’original, et je présume que cela est bien suffisant.