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Idiots très-illustres, et vous, tourneurs de tables très-précieux, onques ne vous avisâtes-vous de reconnaître en la personne sacrée du joyeux curé de Meudon, l'un de nos plus grands maîtres dans là science cachée des mages. C'est que sans doute vous n'avez ni lu convenablement, ni médité bien à point ses pantagruélines prognostications, voire même cette énigme en manière de prophétie qui commence le grimoire de Gargantua. Maître François n'en fut pas moins le plus illustre enchanteur de France, et sa vie est un véritable tissu de merveilles, d'autant qu'il fut lui-même à son époque l'unique merveille du monde. Protestant du bon sens et du bon esprit, en un siècle de folie furieuse et de discordes fanatiques; magicien de la gaie science en des jours de funèbre tristesse, bon curé et orthodoxe s'il en fut, il concilia et sut réunir en lui-même les qualités les plus contraires. Il prouva par sa science encyclopédique la vérité de l'art notoire, car il eût, mieux que Pic de la Mirandole, pu disputer de omni re scibili et quibusdam aliis. Moine et bel esprit, médecin du corps et de l'âme, protégé des grands et gardant toujours son indépendance d'honnête homme; Gaulois naïf, profond penseur, parleur charmant, écrivain incomparable, il mystifia les sots et les persécuteurs de son temps (c'étaient comme toujours les mêmes personnages), en leur faisant croire, non pas que vessies fussent lanternes, mais bien au contraire que lanternes fussent vessies, tant et si bien que le sceptre de la sagesse fut pris par eux pour une marotte, les fleurons de sa couronne d'or pour des grelots, son double rayon de lumière, semblable aux cornes de Moïse, pour les deux grandes oreilles du bonnet de Folie. C'était, en vérité, Apollon habillé de la peau de Marsyas, et tous les capripèdes de rire et de le laisser passer en le prenant pour un des leurs. Oh! le grand sorcier que celui-là qui désarmait les graves sorbonistes en les forçant à rire, qui défonçait l'esprit à pleins tonneaux, lavait les pleurs du monde avec du vin, tirait des oracles des flancs arrondis de la dive bouteille; sobre d'ailleurs lui-même et buveur d'eau, car celui-là seul trouve la vérité dans le vin qui la fait dire aux buveurs, et pour sa part ne s'enivre jamais.
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Éliphas Lévi
Le sorcier de Meudon
2017 Anna Ruggieri
CONTENTS
PRÉFACE
LE SORCIER DE MEUDON
PREMIÈRE PARTIE
I
II
III
IV
VI
VII
VIII
IX
DEUXIÈME PARTIE
II
III
IV
V
VI
VII
VII
IX
TROISIÈME PARTIE
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
FIN
Idiots très-illustres, et vous, tourneurs de tables très-précieux, onques ne vous avisâtes-vous de reconnaître en la personne sacrée du joyeux curé de Meudon, l'un de nos plus grands maîtres dans là science cachée des mages. C'est que sans doute vous n'avez ni lu convenablement, ni médité bien à point ses pantagruélines prognostications, voire même cette énigme en manière de prophétie qui commence le grimoire de Gargantua. Maître François n'en fut pas moins le plus illustre enchanteur de France, et sa vie est un véritable tissu de merveilles, d'autant qu'il fut lui-même à son époque l'unique merveille du monde. Protestant du bon sens et du bon esprit, en un siècle de folie furieuse et de discordes fanatiques; magicien de la gaie science en des jours de funèbre tristesse, bon curé et orthodoxe s'il en fut, il concilia et sut réunir en lui-même les qualités les plus contraires. Il prouva par sa science encyclopédique la vérité de l'art notoire, car il eût, mieux que Pic de la Mirandole, pu disputer de omni re scibili et quibusdam aliis. Moine et bel esprit, médecin du corps et de l'âme, protégé des grands et gardant toujours son indépendance d'honnête homme; Gaulois naïf, profond penseur, parleur charmant, écrivain incomparable, il mystifia les sots et les persécuteurs de son temps (c'étaient comme toujours les mêmes personnages), en leur faisant croire, non pas que vessies fussent lanternes, mais bien au contraire que lanternes fussent vessies, tant et si bien que le sceptre de la sagesse fut pris par eux pour une marotte, les fleurons de sa couronne d'or pour des grelots, son double rayon de lumière, semblable aux cornes de Moïse, pour les deux grandes oreilles du bonnet de Folie. C'était, en vérité, Apollon habillé de la peau de Marsyas, et tous les capripèdes de rire et de le laisser passer en le prenant pour un des leurs. Oh! le grand sorcier que celui-là qui désarmait les graves sorbonistes en les forçant à rire, qui défonçait l'esprit à pleins tonneaux, lavait les pleurs du monde avec du vin, tirait des oracles des flancs arrondis de la dive bouteille; sobre d'ailleurs lui-même et buveur d'eau, car celui-là seul trouve la vérité dans le vin qui la fait dire aux buveurs, et pour sa part ne s'enivre jamais.
Aussi, avait-il pour devise cette sentence profonde qui est un des grands arcanes de la magie et du magnétisme:
Noli ire, fac venire. Ne vas pas, fais qu'on vienne.
Oh! la belle et sage formule! N'est-ce pas en deux mots toute la philosophie de Socrate, qui ne sut pas bien toutefois en accomplir le mirifique programme, car il ne fit pas venir Anitus à la raison et fut lui-même forcé d'aller à la mort. Rien en ce monde ne se fait avec l'empressement et la précipitation, et le grand oeuvre des alchimistes n'est pas le secret d'aller chercher de l'or, mais bien d'en faire tout bellement et tout doucettement venir. Voyez le soleil, se tourmente-t-il et sort-il de son axe pour aller chercher, l'un après l'autre, nos deux hémisphères? Non, il les attire par sa chaleur aimantée, il les rend amoureux de sa lumière, et tour à tour ils viennent se faire caresser par lui. C'est ce que ne sauraient comprendre les esprits brouillons, fauteurs de désordres et propagateurs de nouveautés. Ils vont, ils vont, ils vont toujours et, rien ne vient. Ils ne produisent que guerres, réactions, destructions et ravages. Sommes-nous bien avancés en théologie depuis Luther? Non, mais le bon sens calme et profond de maître François a créé depuis lui le véritable esprit français, et, sous le nom de pantagruélisme, il a régénéré, vivifié, fécondé cet esprit universel de charité bien entendue, qui ne s'étonne de rien, ne se passionne pour rien de douteux et de transitoire, observe tranquillement la nature, aime, sourit, console et ne dit rien. Rien; j'entends rien de trop, comme il était recommandé par les sages hiérophantes aux initiés de la haute doctrine des mages. Savoir se taire, c'est la science des sciences, et c'est pour cela que maître François ne se donna, de son temps, ni pour un réformateur, ni surtout pour un magicien, lui qui savait si parfaitement entendre et si profondément sentir cette merveilleuse et silencieuse musique des harmonies secrètes de la nature. Si vous êtes aussi habile que vous voudriez le faire croire, disent volontiers les gobe-mouches et les badauds, surprenez-nous, amusez-nous, escamotez la muscade mieux que pas un, plantez des arbres dans le ciel, marchez la tête en bas, ferrez les cigales, faites leçon de grimoire aux oisons bridés, plantez ronces et récoltez roses, semez figues et cueillez raisins… Allons, qui vous retarde, qui vous arrête? On ne brûle plus maintenant les enchanteurs, on se contente de les baffouer, de les injurier, de les appeler charlatans, affronteurs, saltimbanques. Vous pouvez, sans rien craindre, déplacer les étoiles, faire danser la lune, moucher la bougie du soleil. Si ce que vous opérez est vraiment prodigieux, impossible, incroyable… eh bien! que risquez-vous? Même après l'avoir vu, même en le voyant encore, on ne le croira pas.
Pour qui nous prenez-vous? Sommes-nous cruches? sommes-nous bêtes? Ne lisons-nous pas les comptes rendus de l'Académie des sciences? Voilà comment on défie les initiés aux sciences occultes, et, certes, il faut convenir qu'il doit y avoir presse pour satisfaire ces beaux messieurs. Ils ont raison pourtant, ils sont trop paresseux pour venir à nous, ils veulent nous faire aller à eux, et nous trouvons si bonne cette manière de faire que nous voulons leur rendre en tout la pareille. Nous n'irons point, viendra qui voudra!
Dans le même siècle vécurent deux hommes de bien, deux grands savants deux encyclopédies parlantes, prêtres tous deux d'ailleurs et bons hommes au demeurant. L'un était notre Rabelais et l'autre se nommait Guillaume Postel. Ce dernier laissa entrevoir à ses contemporains qu'il était grand kabbaliste, sachant l'hébreu primitif, traduisant le sohar et retrouvant la clef des choses cachées depuis le commencement du monde.
Oh! bonhomme, si depuis si longtemps elles sont cachées, ne soupçonnez-vous pas qu'il doit y avoir quelque raison péremptoire pour qu'elles le soient? Et croyez-vous nous avancer beaucoup en nous offrant la clef d'une porte condamnée depuis six mille ans? Aussi Postel fut-il jugé maniaque, hypocondriaque, mélancolique, lunatique et presque hérétique, et voyagea-t-il à travers le monde, pauvre, honni, contrarié, calomnié, tandis que maître François, après avoir échappé aux moines ses confrères, après avoir fait rire le pape, doucement vient à Meudon, choyé des grands, aimé du peuple, guérissant les pauvres, instruisant les enfants, soignant sa cure et buvant frais, ce qu'il recommande particulièrement aux théologiens et aux philosophes comme un remède souverain contre les maladies du cerveau.
Est-ce à dire que Rabelais, l'homme le plus docte de son temps, ignorât la kabbale, l'astrologie, la chimie hermétique, la médecine occulte et toutes les autres parties de la haute science des anciens mages? Vous ne le croirez, certes, pas, si vous considérez surtout que le Gargantua et le Pantagruel sont livres de parfait occultisme, où sous des symboles aussi grotesques, mais moins tristes que les diableries du moyen âge, se cachent tous les secrets du bien penser et du bien vivre, ce qui constitue la vraie base de la haute magie comme en conviennent tous les grands maîtres.
Le docte abbé Trithème, qui fut le professeur de magie du pauvre Cornélius Agrippa, en savait cent fois plus que son élève; mais il savait se taire et remplissait en bon religieux tous les devoirs de son état, tandis qu'Agrippa faisait grand bruit de ses horoscopes, de ses talismans, de ses manches à balais très-peu diaboliques au fond, de ses recettes imaginaires, de ses transmutations fantastiques; aussi le disciple aventureux et vantard était-il mis à l'index par tous les bons chrétiens; les badauds le prenaient au sérieux et très-certainement l'eussent brûlé du plus grand coeur. S'il voyageait, c'était en compagnie de Béelzébuth; s'il payait dans les auberges, c'était avec des pièces d'argent qui se changeaient en feuilles de bouleau. Il avait deux chiens noirs, ce ne pouvaient être que deux grands diables déguisés; s'il fut riche quelquefois, c'est que Satan garnissait son escarcelle. Il mourut, enfin, pauvre dans un hôpital, juste châtiment de ses méfaits. On ne l'appelait que l'archisorcier, et les petits livres niais de fausse magie noire qu'on vend encore en cachette aux malins de la campagne, sont invariablement tirés des oeuvres du grand Agrippa.
Ami lecteur, à quoi tend ce préambule? c'est tout bonnement à vous dire que l'auteur de ce petit livre, après avoir étudié à fond les sciences de Trithème et de Postel, en a tiré ce fruit précieux et salutaire, de comprendre, d'estimer et d'aimer par-dessus tout le sens droit de la sagesse facile et de la bonne nature. Que les clavicules de Salomon lui ont servi à bien apprécier Rabelais, et qu'il vous présente aujourd'hui la légende du curé de Meudon comme l'archétype de la plus parfaite intelligence de la vie; à cette légende se mêle et s'entortille, comme le lierre autour de la vigne, l'histoire du brave Guilain, qui, au dire de notre Béranger, fut ménétrier de Meudon au temps même de maître François. Pourquoi et comment ces deux figures joyeuses sont ici réunies, quels mystères allégoriques sont cachés sous ce rapprochement du musicien et du curé, c'est ce que vous comprendrez facilement en lisant le livre. Or, ébaudissez-vous, mes amours, comme disait le joyeux maître, et croyez qu'il n'est grimoire de sorcier ni traité de philosophie qui puisse surpasser en profondeur, en science et en abondantes ressources, une page de Rabelais et une chanson de Béranger.
Or, vous saurez, si vous ne le savez déjà, que la Basmette était une bien tranquille et plantureuse jolie petite abbaye de franciscains, dans le fertile et dévotieux pays d'Anjou. Tranquille et insoucieuse, en tant que les bons frères mieux affectionnaient l'oraison dite de Saint-Pierre, qui si bien sommeillait au jardin des Olives à tout le tracas de l'étude et à la vanité des sciences; plantureuse en bourgeons, tant sur les vignes que sur le nez de ses moines, si bien que la vendange et les bons franciscains semblaient fleurir à qui mieux mieux, avec émulation de prospérité et de mérite; les frères étant riants, vermeils et lustrés comme des raisins mûrs; et les grappes du cloître et du clos environnant, rondelettes, rebondies, dorées au soleil et toutes mielleuses de sucrerie aigre-douce, comme les bons moines.
Comment et par qui fut premièrement fondée cette tant sainte et béate maison, les vieilles chartes du couvent le disent assez pour que je me dispense de le redire; mais d'où lui venait le nom de Basmette, ou baumette, comme qui dirait, petite baume? c'est de la légende de madame sainte Madeleine, qui, pendant longues années, expia, par de rigoureuses folies de saint amour, les trop douces folies d'amour profane dont un seul mot du bon Sauveur lui avait fait sentir le déboire et l'amertume, tant et si bien qu'elle mourut d'aimer Dieu, lorsqu'elle eut senti l'amour des hommes trop rare et trop vite épuisé pour alimenter la vie de son pauvre coeur. Et ce fut dans une merveilleuse grotte de la Provence, appelée depuis la Sainte-Baume, à cause du parfum de pieuse mélancolie et de mystérieux sacrifice que la sainte y avait laissé, lorsque Jésus, touché enfin des longs soupirs de sa triste amante, l'envoya quérir par les plus doux anges du ciel.
Or, la Sainte-Baume était devenue célèbre par toute la chrétienté, et le couvent des Franciscains d'Anjou, possédant une petite grotte où se trouvait une représentation de la Madeleine repentante, avait pris pour cela le nom de Baumette ou Basmette, comme on disait alors, d'autant que Basme, en vieux français, était la même chose que Baume.
Il y avait alors à la Basmette, et l'histoire qu'ici je raconte est du temps du roi de François Ier, il y avait, dis-je, en cette abbaye, ou plutôt dans ce prieuré, vingt-cinq ou trente religieux, tant profès que novices, y compris les simples frères lais. Le prieur était un petit homme chauve et camus, homme très-éminent en bedaine, et qui s'efforçait de marcher gravement pour assurer l'équilibre de ses besicles, car besicles il avait, par suite de l'indisposition larmoyante de ses petits yeux qui lui affaiblissait la vue. Était-ce pour avoir trop regretté ses péchés ou pour avoir trop savouré les larmes de la grappe? Était-ce componction spirituelle ou réaction spiritueuse? Les mauvaises langues le disaient peut-être bien: mais nous, en chroniqueur consciencieux et de bonne foi, nous nous bornerons à constater que le prieur avait les yeux malades et qu'il trouvait dans son nez camus de très-notables obstacles à porter décemment et solidement ses besicles.
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