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À la suite de la disparition de l’humanité, des arbres conscients, doués d’ubiquité et d’une intelligence prodigieuse, sont les maîtres du monde, le monde floroïde. Ces êtres végétaux éradiquent la moindre trace d’animalité afin d’empêcher le retour d’une chaîne alimentaire dont l’absence de maîtrise par les humains a provoqué le cataclysme. Or, des êtres hybrides mi-humains, mi-végétaux, "les Sylvimaines," créés selon les principes du monde floroïde, apparaissent. Cependant, le peu d’humain présent dans leur organisme est rédhibitoire pour les végétaux conscients. Ils devront donc, dans un premier temps, imposer par la force leur existence, puis partir au loin, pour explorer des espaces encore vierges de la présence des arbres conscients. Trouveront-ils un monde à leur mesure ou un monde encore plus hostile ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après des années de service dans l’aéronavale et l’administration territoriale,
Jean-Noël Bertora a enfin trouvé le temps d’écrire. Son premier ouvrage, "Fraternité, Égalité, Liberté", explore la politique à travers une utopie centrée sur la fraternité. Son deuxième, "Un Eden pour conclure", est un roman de fiction dans lequel quelques survivants sont confrontés à un monde nouveau, celui des arbres conscients : le monde floroïde. Son dernier roman, "Les Sylvimaines", dépeint une nouvelle humanité issue d’une hybridation végétale et humaine, en quête de sa place dans le monde floroïde.
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Jean-Noël Bertora
Les Sylvimaines
Une nouvelle humanité
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Noël Bertora
ISBN : 979-10-422-3264-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Les Sylvimaines – Une nouvelle humanité constitue la suite de Un Eden pour conclure
Les ultimes vestiges de l’humanité avaient disparu depuis plusieurs siècles. Les derniers humains enfermés dans un ghetto, cernés par des végétaux conscients, s’étaient éteints. Nulle trace de leur occupation de ce territoire n’était visible à la surface d’un continent, à présent entièrement occupé, peuplé, par un océan d’arbres, de végétation, d’une flore, celle du monde floroïde.
Trois champs-clans, celui de Gran Mère Sève, de Gran Sœur Sève et de Gran Frère Sève, chacun constitué de six entités conscientes de Grande Fille Sève à Petit Fils Sève, régnaient en maître absolu avec, pour chacune des entités, des centaines de millions d’arbres conscients. Mère Grande Fille Sève, par exemple, était présente à la fois, en même temps, dans les millions d’arbres ayant son identité, un fabuleux don d’ubiquité permis par un réseau racinien génétiquement modifié. (voir le tome précédent : Un Eden pour conclure)
Au nom du sacro-saint respect de l’harmonie de la biosphère, du rejet fondamental de la chaîne alimentaire, les végétaux conscients avaient éradiqué la moindre infime existence de vie animale. Le monde floroïde, peuplé uniquement d’arbres dotés d’une grande intelligence, dénué de toute violence et de toute velléité expansionniste, respectueux à l’extrême de l’équilibre environnemental, avait engendré un temps infini de paix sereine, végétale.
Mais, apprendre qu’ils furent créés par une humaine, Apolline, constitua un profond trouble qui menaça un temps leur sérénité. Tout comme, d’ailleurs, l’accueil des deux derniers survivants de l’espèce humaine, Octavia et Julius. (Voir le roman Un Eden pour conclure)
Le monde floroïde réussit à surmonter ces difficultés, les végétaux conscients trouvèrent le modus vivendi pour accepter leur origine et s’adapter à la présence des deux derniers humains.
Échappés du ghetto, Octavia et Julius, recueillis par Gran Mère Sève, réussirent à se faire admettre en tant qu’humains. Mais seulement après avoir eu leur nature considérablement modifiée afin de leur permettre : de communiquer par phéromone et surtout avec le langage racinien, de leur donner une frugalité compatible avec l’harmonie de la biosphère, des possibilités quasiment infinies de commander aux espèces végétales sans conscience.
Après maintes péripéties, une portion autonome de territoire leur fut accordée par les végétaux conscients, pour y vivre en paix dans ce nouvel Eden jusqu’à la fin de leur courte vie.
C’est ce qu’ils firent les dix premières années jusqu’à ce qu’Octavia, à l’instar d’Apolline, la Créatrice du monde floroïde, créa l’embryon d’une nouvelle humanité.
Allongé dans l’abri végétal d’un jour, Julius se réveillait doucement. À ses côtés, Octavia déjà debout lui sourit et, dans le même temps, une phéromone chargée de douceurs sucrées sortit de son nez épaté.
Ils utilisaient ce même mode de communication qui était devenu, au fil du temps passé dans leur paradis, le moyen d’échanges qu’ils privilégiaient dans les moments de proche intimité. Les sens du propos se sublimaient d’une perception olfactive.
Octavia s’agenouilla, lui prit le visage dans ses mains aux longs doigts cornés et retrouvant le langage oral, chuchota à son oreille allongée, adaptée à la perception du plus infime mouvement d’air :
Cela faisait maintenant moult décades qu’ils avaient découvert, un matin, un embryon d’être accroché à une racine effleurant le sol. Une forme oblongue où se discernait confusément l’apparition de protubérances annonciatrices de membres.
À présent, se dressait devant Julius, une silhouette filiforme de moitié moins grande que lui. Des jambes noueuses, encore fixées à la racine maternelle, supportaient un corps mince recouvert d’une peau aux larges écailles semblables aux écorces des grands arbres. Deux bras très longs se terminaient par des mains dotées de huit doigts. Mais, c’est son visage qui fascinait le plus Julius, surtout comme en ce moment où il était tourné vers lui. Ses deux gros yeux globuleux, son grand nez aux narines évasées semblables aux siennes, étaient déjà pour Julius des sujets d’intenses émotions, mais c’était le bas du visage, dépourvu de mâchoire, d’un seul bloc, seulement percé d’une fine, très fine ouverture qui donnait la vraie personnalité à l’être qu’ils avaient engendré. Des cheveux épais en grand nombre surmontaient un crâne large et long d’une touffe toujours en mouvement comme les branches des jeunes arbres. Sous la chevelure se discernaient des oreilles, elles aussi pareilles aux siennes, modifiées. Pour l’instant, les capacités cognitives du jeune être n’étaient pas suffisamment développées pour lui permettre de communiquer précisément.
Mais Julius pouvait déjà, notamment en lui prenant la main, ressentir sa présence. Une douce chaleur parcourait alors son épiderme, pénétrait son système nerveux jusqu’à éclairer son cerveau d’une tendre affection. Et Julius, ému aux larmes, laissait jaillir une phéromone débordante de bonheur incrédule.
La période précédente, comparable à une gestation, fut dédiée à élaborer et finaliser la constitution de l’être hybride. Julius et Octavia passèrent de longues journées, connectés au réseau racinien pour, d’abord analyser et comprendre ce qu’ils avaient créé, puis apporter les dernières touches qui avaient donné le résultat final dressé à leurs côtés et qui imposait sa présence dans cette partie du monde floroïde octroyée par les végétaux conscients, maîtres actuels de la Planète.
Octavia avait sécurisé au maximum l’environnement proche. Le réseau racinien, dix pas autour de la position de l’être naissant, était hermétiquement fermé, une bulle olfactive et un plafond de feuilles en assuraient l’invisibilité aérienne. Tant que l’être était encore attaché à la racine maternelle, ce dispositif était suffisant, mais il faudrait ensuite envisager d’autres solutions quand, bientôt, il s’en détacherait. Les champs-clans ne devaient en aucun cas découvrir cette présence. C’était, pour Julius, une autre et principale source d’inquiétude.
Mais, les préoccupations d’Octavia étaient présentement bien loin de cela. Elle devait, avec Julius, créer de toutes pièces les éléments de langage, c’est-à-dire, en fait, ce qui allait caractériser, définir, la nouvelle espèce hybride dressée devant elle.
Que ce soit son aspect visuel ou sa morphologie interne, leur création avait plus de caractéristiques végétales qu’animales. Octavia l’avait voulu ainsi pour lui donner un espoir de vivre dans le monde floroïde. Des humains, l’être aura la faculté de se déplacer, des membres préhensibles et surtout un cerveau couplé à une masse cérébreuse végétale. Mais toutes ses fonctions, alimentaires, digestives, respiratoires, reproductives étaient végétales. Ce qui s’apparentait à des cheveux permettait son alimentation en oxygène, sa peau absorbait l’eau, les pollens, quatre doigts et orteils assuraient l’ingestion des nutriments contenus dans les sols et les plantes sans conscience, les champignons. Les quatre autres étaient dédiés au langage racinien pour ceux des pieds, aux échanges personnels pour ceux des mains. Les phéromones sortiraient de ce qui ressemblait à une bouche. Avec les narines comme réceptacles. Les déchets issus de la digestion étaient évacués par les larges écailles de la peau en se détachant. Ces écailles une fois tombées au sol seraient recyclées à l’instar des feuilles mortes. Ainsi l’équilibre de la biosphère serait maintenu avec l’apparition de la nouvelle espèce. De même, pas de sexe différencié, l’être nouveau était hermaphrodite avec deux organes, mâle et femelle.
Se remémorant tout cela, Octavia recherchait dans la mémoire superficielle de la biosphère ainsi que dans quelques buissons mémoires des éléments pour donner un nom à leur création. Elle perçut alors Julius qui venait de se connecter.
Encore connectée à leur réseau racinien, Octavia ressentait, « était », tous ses arbres dans la même perception. Cela lui donnait une faculté décuplée de réflexion, d’intensité de pensée. Elle n’était certes pas au même niveau que les entités végétales conscientes et leurs plusieurs centaines de millions d’arbres, mais le dynamisme propre aux humains lui conférait un plus d’imagination, de création. L’évidence lui apparut en parcourant la lexicologie enfouie dans plusieurs buissons mémoires. L’origine latine de leurs noms lui donna la direction à prendre.
Sylva le nom latin pour la forêt serait la première partie du nom de la nouvelle espèce avec les dernières syllabes du mot humanité.
SYLVIMANITÉ
Oui, la Sylvimanité et l’être naissant sera le-la premier-ère Sylvimaine.
Octavia se connectait pour la toute dernière fois à son réseau racinien. Son corps, à présent usé par un nombre de lunaisons qu’elle n’arrivait pas à se remémorer, se pliait difficilement pour atteindre la masse cérébreuse de l’arbre, ses mains aux doigts raidis et douloureux perçaient laborieusement son écorce. C’était dur, mais elle voulait absolument sentir encore une fois le corps de Julius qui reposait à présent sous des racines. Les trois Sylvimaines, de la première génération, l’entouraient affectueusement, elles-mêmes présentes dans le réseau racinien.
Une onde d’émotion parcourut les milliers d’arbres du territoire des Sylvimaines.
Reprirent d’un même élan Une-Racine et Une-Feuille puis elles s’immergèrent avec Une-Sève et Octavia, leur Créatrice, au plus profond du souvenir de Julius.
…
L’instant où l’être créé émit sa première phéromone fut pour Julius un moment d’intenses émotions. Il prenait réellement vie en communiquant avec eux. Jusqu’alors, la période de gestation fut plus technique, en quelque sorte. Il s’agissait seulement de suivre son évolution, mais quand il perçut son odeur, la sienne qui allait le caractériser comme une entité consciente alors, ce fut un grand bonheur partagé avec Octavia.
Aussitôt, la perception manuelle les enveloppa d’une onde fusionnelle. Des nouvelles extrémités de l’être créé jaillissaient des flux que Julius ne parvenait pas à décoder, mais qui envahissaient son système nerveux en un prisme brillant, irisé.
L’être créé resta un moment comme interloqué, puis :
Ce fut Octavia qui lui répondit :
Elle avait immédiatement posé la question qui tournait sans arrêt, confusément, dans sa tête et Julius comprit, alors, réellement la portée de ce qu’ils avaient engendré avec leur obligation de poursuivre la création de l’espèce, sans qu’il puisse, à ce moment, en percevoir toutes les conséquences.
Après une période de découverte mutuelle, très rapidement, les modalités de création des prochaines Sylvimaines furent abordées avec l’être créé. Ce dernier démontrait tous les jours des capacités stupéfiantes d’adaptation et de compréhension du monde floroïde que lui apportaient le langage racinien, les perceptions olfactives et tactiles de ses organes. Son cerveau humain connecté à sa masse cérébreuse végétale lui conférait une capacité immédiate, immense, pratiquement sans limite, pour comprendre, analyser, maîtriser, mémoriser la moindre parcelle de son monde. C’est lui qui, guidé par Octavia, sous le regard émerveillé de Julius, apporta les éléments pour définir les modalités de sa propre reproduction. Il comprit immédiatement que le risque de se reproduire à l’identique était réel pour un hermaphrodite solitaire. Il convenait donc, rapidement, de créer d’autres Sylvimaines et d’appréhender une procédure afin de garantir la diversité génétique et donc la pérennisation de la nouvelle espèce.
Octavia, aussitôt, entreprit de créer deux autres fruits (le nombre de trois fut considéré comme suffisant pur une première génération ex nihilo) en choisissant diverses essences végétales couplées avec ses propres éléments d’ADN. Julius dut varier son alimentation et ingérer des oligoéléments qu’Octavia avait repérés, susceptibles d’altérer à la marge la composition de sa semence. Ainsi les trois êtres de la première génération seraient à la fois différents et semblables. Leur différence permettra de garantir la diversité biologique de la deuxième génération, leur point commun assurera la nature sylvimaine.
L’être créé, détaché de la racine maternelle, contemplait les deux fruits en gestation. Ses pieds connectés au réseau racinien lui donnaient une vision précise de l’évolution de leur anatomie. Il s’adressa à Julius, présent lui aussi dans le réseau.
« Sève, racine, tige, feuille, graine, fleur, suc, liane, bois, feuille, fruit, fibre, écorce, branche, arbre, herbe, nuage, eau, terre, vent ».
…
Ce n’était pas seulement l’angoisse de la séparation qui avait rendu Julius en apparence songeur, c’était au-delà de cela. Octavia se rappela son attitude après avoir fécondé de sa semence les deux fruits matrices. Il s’était allongé, les yeux fermés, le souffle court.
Cette dernière question de Julius l’avait, sur l’instant, considérablement troublée. Elle se souvint être restée sans voix un long moment, son regard figé sur celui de Julius. Elle s’était assise à ses côtés, lui avait pris la main et avait commencé à parler, au début pour ne rien dire de précis puis, au fur et à mesure, elle sut retrouver au plus profond de ses pensées, les raisons existentielles qui l’avaient amenée à créer le fruit originel.
Non Julius, je n’ai pas aujourd’hui toutes les réponses sur ce que deviendra le monde peuplé des Sylvimaines, je ne sais pas non plus comment les champs-clans réagiront lorsqu’ils apprendront leur existence, car, Julius, ils les découvriront fatalement. Mais, vois-tu, tout cela dépendra des Sylvimaines elles-mêmes, de leurs capacités d’empathie envers les autres, quels qu’ils soient, de leur respect de l’harmonie de la biosphère. Mais de cela, Julius, cependant, j’en suis sûre. Comme Apolline, la Créatrice des végétaux conscients, j’ai intégré tous ces éléments dans leur métabolisme le plus intime.
Certes, les Sylvimaines évolueront, mais je suis persuadée que le respect de leur environnement et l’empathie commanderont toujours leurs actes. Alors, mon Julius, nous allons guider la croissance des trois Sylvimaines de la première génération afin de préciser les bases de leurs vies futures. Mais je te rassure, nous aurons encore le temps, beaucoup de temps pour nous, pour vivre nos vies humaines dans notre paradis. Je t’aime, mon Julius !
Ils s’enlacèrent, enveloppés d’un nuage de phéromones sucrées, parfumées de senteurs florales qui émanaient simultanément de leurs narines évasées.
…
Revenue de ses souvenirs, ses senseurs toujours enfouis au plus profond des émanations sous-terraines de Julius, Octavia ne parvenait pas à avoir une idée claire de la réponse qu’elle devait aux trois Sylvimaines. Perdue dans ses tergiversations, elle eut alors le souvenir de ce qu’elle avait réalisé, avec Julius, pour conserver le souvenir de Fausta, la médicina du ghetto, quand ils avaient intégré des fragments de son ADN dans les gènes d’une plante mémorielle. Elle commença aussitôt à prélever des cellules du corps de Julius pour les incorporer à la périphérie de la masse cérébreuse de l’arbre.
Occultant toute autre information du réseau racinien, concentrant uniquement son esprit dans cette masse cérébreuse à présent nimbée de la présence de Julius, elle sut, sans aucun doute, ce qu’elle allait faire.
Elle appela les Sylvimaines d’une phéromone fraîche et légère.
Et Octavia souffla le message porté par une vapeur glacée :
Un soleil naissant colorait la canopée d’une diaprée chatoyante, oscillant doucement sous le souffle d’une légère brise. Le territoire des Sylvimaines s’étendait à présent sur une longue bande de terrain jouxtant l’immensité océanique hostile et désertique pour ces êtres semi-végétaux. L’autre limite, à l’opposé, était celle des champs-clans. Une zone tampon assurait l’étanchéité du territoire à ces deux extrémités, pour ne pas subir les incommodités des senteurs océanes, mais surtout pour assurer leur invisibilité. Cela était devenu très prégnant, car, se dissimuler des végétaux conscients, pour les vingt et une Sylvimaines présentes à l’issue de la troisième génération, était chaque jour plus ardu.
Pourtant, à l’aune de l’atmosphère de ce matin paisible, rien en apparence ne dévoilait leur activité. Pas de mouvements au sein de la forêt d’arbres, baignée dans un profond silence, bercée par le bruissement des branches et feuilles animées par la brise : l’expression de la quiétude onirique du monde floroïde, celui des Sylvimaines.
Trois Fibre, sortant de sa léthargie réparatrice, encore couchée sous le feuillage nocturne qui se défaisait lentement, prit contact, d’un mouvement précis de ses pieds, avec le réseau racinien.
Aussitôt, la connexion simultanée de l’ensemble de ses plus de cent mille arbres nommés lui parvint. En un instant, elle prit connaissance de la totalité de sa partie de territoire. Elle entreprit aussitôt de régler les quelques petits dysfonctionnements qu’elle appréhendait de manière synchrone grâce au don d’ubiquité du réseau racinien et des capacités de son double cerveau. Un de ses arbres de la limite littorale, très éloigné de sa présence physique, souffrait d’un dépôt de sel sur ses feuilles les plus hautes. Trois Fibre mobilisa les ressources idoines pour s’en débarrasser et, simultanément, augmenta l’alimentation en nutriment pour pallier une faiblesse naissante d’un autre arbre. Elle n’avait pas encore, à l’instar de la première et de la deuxième génération, automatisé une partie de ses fonctions de régulation et d’entretien. C’était encore un peu compliqué pour elle comme pour toutes les Sylvimaines de la troisième génération. Mais elles s’y employaient et cela devrait aboutir bientôt.
Elle sortit du réseau racinien, respectant ainsi les conseils d’Une Feuille de ne pas rester trop longtemps connectée par précaution vis-à-vis des champs-clans. Pour sa génération, à présent pleinement mature, la question de la procréation de la quatrième génération commençait à poindre. C’était à leur tour de féconder pour donner naissance à douze Sylvimaines. Ce ne sera qu’à partir de la cinquième génération que le nombre maximum de 20 naissances pourra être atteint sans mettre en péril la diversité de l’espèce. Ainsi en avait décidé la Créatrice de la Sylvimanité dans l’harmonie de la biosphère.
Trois Fibre se mit en marche, enveloppée de sa phéromone de discrétion, pour rejoindre physiquement Deux Fleur avec qui elle devait se coordonner pour développer une partie commune de leur territoire. Elles avaient décidé de l’emploi du langage proche, non pas qu’il soit plus efficace que le langage racinien, au contraire d’ailleurs, mais parce que la proximité physique, le contact de leurs doigts les faisaient communier au plus profond des sentiments communs d’une même Sylvimanité. Trois Fibre éprouvait une affinité particulière pour Deux Fleur.
Elle marchait à grandes enjambées, sa longue chevelure flottant derrière elle, prélevait dans l’air, l’humidité, l’azote, l’oxygène nécessaires à son métabolisme. Tout en marchant, ses doigts nutritifs puisaient les sucs de fruits à proximité et dans le même temps, de larges écailles se détachaient de sa peau pour enrichir la terre de ses déchets corporels. Elle pouvait ainsi marcher toute une journée sans ressentir de fatigue, tous ses besoins, ou presque, étaient assouvis durant son parcours. Les temps de récupération n’intervenaient que toutes les décades, comme Trois Fibre venait de le faire durant la nuit précédente. Ses muscles avaient les caractéristiques des lianes, à la fois durs et souples, ce qui lui conférait une endurance à toute épreuve.
La marche, les déplacements n’étaient pas en soi nécessaires, car les facultés de connexion à leurs réseaux raciniens suffisaient complètement pour percevoir l’intégralité du territoire des Sylvimaines et même au-delà, mais, ce qu’elles avaient d’humain en elles devait se réaliser aussi dans l’exercice physique. Surtout après une pleine nuit de récupération, Trois Fibre éprouvait une réelle satisfaction à dérouler ses longues foulées qui l’emmenaient vers le territoire de Deux Fleur, son aînée de la deuxième génération.
Une partie de l’air que captait sa chevelure était stockée dans une cavité au plus près de ses larges narines afin de servir de support au langage par phéromones, actuellement principalement dédié aux émanations de camouflage. Trois Fibre avait choisi, ce jour, un arôme de chèvrefeuille, essence que l’on trouvait en abondance dans cette partie de territoire. Ainsi sa présence se confondait-elle avec son plus proche environnement et la dissimulait des perceptions olfactives des champs-clans. Mais pour elle, comme pour ses sœurs de la troisième génération, les végétaux conscients ne représentaient qu’une présence lointaine et diffuse. Les avertissements, les alarmes de leur Créatrice semblaient dater d’une époque révolue. Lors de leurs discussions, ce thème revenait parfois les interroger : pourquoi une telle méfiance vis-à-vis d’êtres très proches d’elles-mêmes ? Pourquoi des êtres végétaux voudraient l’éradication des Sylvimaines, êtres à plus de 90 % végétaux, scrupuleusement respectueux de l’harmonie de la biosphère ?
Trois Fibre partageait pleinement ces interrogations et, dans le même temps, son esprit se tendait vers cet inconnu, vers ces champs-clans, vers Gran Mère Sève. Elle ressentait de plus en plus fortement un désir d’approcher les êtres végétaux conscients qui avaient protégé et transformé Otavia et Julius et qui, pour Trois Fibre, étaient aussi à l’origine de la création des Sylvimaines. Alors pourquoi toutes ces précautions, cet isolement drastique ?
Certes, la première génération, qui fut en contact physique avec la Créatrice, rapportait comment, elle et leur Géniteur furent menacés d’extinction par Gran Mère Sève, mais également et plus violemment par une autre entité végétale. Cependant, finalement, ils furent bien sauvés tout en étant isolés des champs-clans. Cela parce que leur nature animale dominait encore pleinement leur métabolisme et rendait leur présence incompatible avec le rejet de toute animalité par les végétaux conscients. Ce qui n’était plus le cas des Sylvimaines. Alors pourquoi ?
C’était aussi la raison de son déplacement physique vers Deux Fleur, car son territoire jouxtait celui du champ-clan le plus proche. La conversation qu’elle voulait avoir avec elle à ce sujet ne pouvait se faire que discrètement et donc avec le langage de proximité.
En fin de journée, alors que le soleil disparaissait derrière la canopée, elle aperçut Deux Fleurs se tenant immobile, en partie masquée par les ombres naissantes d’un bosquet d’arbres dont les branches les plus hautes, reliées entre elles, formaient une voûte isolante. Sans se retourner, Deux Fleurs l’accueillit d’une phéromone sucrée.
Les deux Sylvimaines se firent face, leurs longs bras se tendirent devant elles, les quatre mains dotées de huit doigts s’effleurèrent et les seuls quatre doigts communicants de chaque main s’entrelacèrent. Aussitôt, le flux de Deux Fleurs pénétra celui de Trois Fibre.
Dans l’obscurité du sous-bois se tenaient deux formes longilignes, noueuses, semblables, mais différentes par quelques détails, comme une chevelure plus épaisse pour l’une, une peau plus pâle pour l’autre. Leurs pieds, solidement ancrés au sol, puisaient des nutriments, tandis qu’une légère brise nocturne faisait faseiller leurs lourds cheveux, seuls mouvements perceptibles de cette scène emplie d’immobilisme et de silence alors que, à l’intérieur des deux Sylvimaines, les paroles échangées fusaient en flots continus.
Sensations diffuses. Fourmillements. Chaleurs. Tiraillements… Et puis, une lueur, faible d’abord puis de plus en plus forte, conscience de percevoir, conscience de ressentir, conscience d’être. Trois Fibre, au contact de sa racine maternelle, percevait à nouveau ses premières impressions de Sylvimaine naissante. Ce n’était pas encore une conscience intelligente, mais une conscience purement végétale, celle d’une plante se gorgeant de soleil, d’eau et de nutriment. Une béatitude, une plénitude des sens, sans question, le bien être parfait. Peu à peu, des contours flous apparaissaient, un trouble venait percer le paisible écran végétal, apportait confusion et peur. Trois Fibre revivait l’angoisse de la prise de conscience humaine à la fin des trois saisons de gestation végétale, celle de se sentir soudain unique et seule et non plus enfouie, anonyme, bercée dans la quiétude murmurante de la biosphère. Puis, très vite, la présence de la communauté sylvimaine, toute proche avait fait disparaître son mal-être, et, pour la première fois, elle fut Trois Fibre, Sylvimaine de la troisième génération, sous la voûte protectrice de toute la communauté nimbant le réseau racinien.
Au cours de la période d’apprentissage, toujours fixée à la racine maternelle, elle avait découvert toutes les capacités et fonctions de son organisme hybride, pris connaissance de la Sylvimanité, de sa Créatrice et de son Géniteur, de toutes ses sœurs de la deuxième, première génération. Elle ressentait plus fortement encore ses sœurs de la troisième génération, reliées aux réseaux des racines maternelles, dont les identités prenaient tour à tour consistance. À la fin de cette phase d’apprentissage, la plus ancienne des Sylvimaines, Une-Sève, commanda la sortie des racines maternelles. Au même instant, d’un seul mouvement, les douze nouvelles Sylvimaines s’arrachèrent du sol et firent leurs premiers pas dans le monde, le leur, celui d’Octavia, leur Créatrice.
Deux Fleur sentit Trois Fibre sortir de sa racine maternelle apparemment empoignée d’une forte émotion.
C’est une croissance intérieure qui te transporte encore plus dans l’harmonie de la biosphère, enfin de notre harmonie.
La journée avançait, le soleil était presque au zénith. Une légère brise s’infiltrait parmi les arbres et venait rafraîchir quelque peu la chaleur méridienne dans laquelle baignait le territoire des Sylvimaines. À son extrémité septentrionale, bordant le champ-clan de Gran Sœur Sève, deux Sylvimaines, immobiles dans l’ombre d’un bosquet d’une dizaine de grands arbres, se tenaient face à face, leurs deux bras tendus devant elles, les mains accolées, leurs huit longs doigts communicants joints, dialoguaient depuis plus de quinze heures dans un total silence extérieur. Seuls mouvements à peine perceptibles : ceux de leurs doigts parcourus de légers tremblements, et plus marqués, ceux de leurs chevelures qui ondoyaient, portées par la brise diurne. Durant tout ce temps, leurs deux pieds solidement ancrés au sol puisaient lentement, à l’aide de leurs huit orteils nutritifs, les nutriments nécessaires à leur alimentation. Déconnectées du réseau racinien, elles étaient, pour un moment, seules au monde.
Deux Fleur resta silencieuse, embarrassée par les questions pertinentes de Trois Fibre. Elle réfléchit et se dit qu’elle allait peut-être devoir lui révéler ce qu’elle s’était promis de taire. Aussi, elle décida de réorienter les échanges.
De quoi ce monde a-t-il le plus besoin, comment l’harmonie de la biosphère pourrait encore être améliorée ?
Notre Créatrice nous a conçues pour prolonger l’humanité en nous donnant un corps susceptible de survivre dans le monde floroïde, mais sans nous donner les codes pour orienter notre existence. C’est à nous, à présent de les trouver, j’en suis parfaitement consciente. Mais comment le faire en s’isolant du monde ? Et je reviens donc à ma question initiale, comment ignorer les champs-clans ?
Deux Fleur resta une nouvelle fois dans l’expectative. Trois Fibre était trop pertinente et sagace pour qu’elle élude encore plus longtemps les réponses à ses questions. Mais avant elle devait en parler avec Une Sève et les Sylvimaines de la première génération.
La perception du temps qui passe était, pour les Sylvimaines, assez comparable à celle des grands arbres et des entités des champs-clans. Le découpage des jours en fragment de temps n’avait absolument aucune utilité ni aucun sens d’ailleurs. Le don d’ubiquité donnait à leur longévité végétale, une quasi-éternité d’instantanéités. Pour Trois Fibre, l’impatience lui était, comme pour toutes ses sœurs, complètement inconnue. Aussi elle n’attendit pas le retour de Deux Fleur, elle s’occupa simplement à autre chose. Elle se connecta à son réseau.
Aussitôt, la perception des milliers d’arbres de son territoire envahit son esprit et l’immensité fut sienne. Son cerveau humain s’immergea complètement dans l’ensemble des masses cérébreuses de toutes ses espèces végétales. C’était lors de ces moments de pleine connexion avec ses arbres, alors qu’elle se percevait complètement végétale, que Trois Fibre se sentait le mieux. Elle n’était que racine et terre, que sève et humus. Sa part humaine dissoute dans la biosphère laissait une paisible éternité l’envahir.
Alors qu’elle était dans toutes les essences de son territoire, elle perçut comme un vague murmure à sa périphérie. En y portant une attention précise, elle parvint à distinguer Deux Fleur dialoguant avec une sœur qu’elle crut identifier comme Une Sève. C’était donc cela, Deux Fleur voulait se concerter avec Une Sève avant de reprendre leur conversation. Elle devait avoir quelque chose de très important à lui confier pour prendre l’attache d’une sœur de la première génération, celle qui fut en contact rapproché avec notre Créatrice et notre Géniteur. Trois Fibre s’immergea à nouveau complètement dans son biome pour retrouver sa pleine sérénité végétale.
Trois Fibre cheminait lentement pour rejoindre son territoire. Quitter Deux Fleur lui laissait un gout amer dans ses narines. Non seulement ce qu’elle lui avait appris l’interrogeait fortement, mais ce qui la perturbait c’était d’avoir ressenti comme une absence quand Deux Fleur avait mis fin à leur dialogue. Sa présence à ses côtés, leurs doigts entrelacés, la fusion de leurs flux, et elles furent, non plus deux Sylvimaines, mais une seule, à deux. C’était la toute première fois que Trois Fibre vivait un tel moment, et Deux Fleur lui manquait déjà.
Au fur et à mesure qu’elle retrouvait ses arbres, ce sentiment s’estompa et elle revint sur ce qu’elle venait d’apprendre : les contacts avec les champs-clans. Dès son retour, Deux Fleurs lui avait abordé ce sujet très directement, mais sans grande précision. Seulement, que les sœurs de la première génération et elle-même, la plus proche d’un champ-clan, s’étaient avancées le plus discrètement possible des bords du territoire de Gran Sœur Sève, l’une des trois entités fondatrices des champs-clans, celles qui furent inséminées par l’Arbre Premier lui-même formaté par Apolline, la Créatrice des végétaux conscients. L’analogie entre leurs créations ne pouvait qu’être évidente pour toutes. Alors Trois Fibre restait encore dans son expectative sur cette prudence exacerbée. Deux Fleur fut relativement précise sur les informations tirées de leurs observations, mais sans rien dévoiler, ou presque des méthodes et des moyens utilisés pour y parvenir.
Chaque champs clan était composé de six entités conscientes qui se nommaient : Grande Fille Sève, Grande Fils Sève, Fille Sève, Fil Sève, Petite Fille Sève et enfin Petit Fils Sève. Les noms genrés n’avaient aucun sens réel, tous les végétaux étant, comme elle, hermaphrodites. Leur nom était précédé de Mère, Frère ou Sœur selon l’appartenance à un des trois champs clan. Mère Grande Fille et Mère Petite Fille Sève furent les plus proches de la Créatrice et du Géniteur. Au-delà des principes de vie qui étaient en tous points semblables aux leurs, une caractéristique des végétaux conscients les distinguait intrinsèquement. Les Sylvimaines n’étaient pas reliées en permanence à leurs arbres, alors que les végétaux conscients, eux l’étaient à l’évidence. Aussi, une entité était composée de tous ses arbres et elle ne faisait qu’une avec eux. Lorsqu’une entité s’exprimait, c’étaient ses millions d’arbres qui le faisaient. Mère Petite Sève, par exemple, n’était pas une, elle était quinze millions d’arbres. Trois Fibre le ressentait lorsqu’elle se connectait au réseau, mais seulement dans cette configuration, dès qu’elle s’en détachait, elle se retrouvait unique. En pensant à cela, elle s’aperçut qu’elle avait envie de dire : seule !
Et l’attirance vers les végétaux conscients se fit encore plus forte.
Trois Fibre dut faire preuve d’une redoutable insistance pour, qu’enfin, Deux Fleur accepta de lui révéler quelques éléments sur les moyens qu’elles avaient employés pour approcher les entités végétales des champs-clans.