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Entré dans la langue française aux environs de 1690 sous la forme, aujourd'hui caduque, de « névrologie », le terme de neurologie, utilisé à partir de 1732 pour désigner la branche de la médecine qui étudie l'anatomie, la physiologie et la pathologie du système nerveux et principalement du cerveau , reçut sa consécration officielle de...
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ISBN : 9782341001762
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Entré dans la langue française aux environs de 1690 sous la forme, aujourd’hui caduque, de « névrologie », le terme de neurologie, utilisé à partir de 1732 pour désigner la branche de la médecine qui étudie l’anatomie, la physiologie et la pathologie du système nerveux – et principalement du cerveau –, reçut sa consécration officielle de Jean Martin Charcot lorsqu’il fonda en 1880 les Archives de neurologie. Si les connaissances et conceptions générales concernant le système nerveux se sont principalement organisées et développées en un peu plus d’un siècle et demi, entre la venue à Paris en 1807 de Franz Josef Gall et les études sur les neurotransmetteurs dans les années 1960, leur histoire antérieure depuis Hippocrate, bien qu’incommensurable avec celle de ladite période, présente un intérêt réel, qui est d’emblée épistémologique. On y voit se déployer progressivement l’hypothèse de la res extensa, notamment avec ce principe que tout processus neurologique (jusqu’à psychique) serait localisable. Et, certes, les derniers triomphes de la théorie du tout neuronal peuvent encore être discutés bien que l’on ait affaire qu’à l’histoire de disciplines – les neurosciences – qui observent, expérimentent et interviennent, de manière aujourd’hui spectaculaire, sans prétendre, en tant que telles, développer une quelconque idéologie philosophique.
Le versant médical du présent article, celui qui traite des maladies du système nerveux, telles qu’elles ont été inventoriées et classées par une pléiade d’éminents cliniciens, fait la part belle à la localisation anatomique précise des symptômes et des lésions qui affectent le système nerveux. Il s’agit là du plus bel exemple du succès de la méthode dite anatomoclinique qui a fondé la médecine moderne. Toutefois, tout n’est pas inscrit dans le marbre et la révolution neurobiologique a modifié la façon de comprendre et traiter certaines neuropathies. De nouveaux instruments ont donné aux neurologues des possibilités d’investigation accrues et l’innovation thérapeutique n’a pas dit son dernier mot. À juste titre, ce champ de la connaissance est l’un des plus prometteurs pour le XXIe siècle.
E.U.
Au XVIIe siècle avant J.-C., le papyrus d’Edwin Smith révèle l’existence, chez les Égyptiens, de connaissances neurologiques précises. Par exemple, l’hémiplégie spasmodique est décrite avec concision : « L’œil de ce côté louche [...] ; les ongles sont au milieu de la paume [...] ; il marche en traînant la plante du pied » (M. Laignel-Lavastine, « Histoire de la neurologie », in Histoire générale de la médecine). Les troubles de la parole sont déjà notés dans ce contexte, de même que les conséquences des atteintes des vertèbres cervicales : paralysie sensitive et motrice des membres, des vertèbres du « milieu du cou », incontinence d’urine, priapisme et spermatorrhée. Les Égyptiens connaissaient aussi la cécité et les paralysies provoquées par les troubles circulatoires du cerveau. Ils avaient des spécialistes pour le traitement des céphalées. Si leurs connaissances anatomiques sont restées rudimentaires, elles dépassent, à l’époque, celles des autres peuples de l’Orient ancien, Sumériens, Assyriens, Hébreux, pour lesquels le cerveau ne jouait qu’un rôle bien effacé, le cœur et le foie étant les seuls centres de l’intelligence et du sentiment.
Dans l’Antiquité classique, les Grecs situent l’encéphale dans le crâne et la moelle épinière dans les vertèbres, mais ils font siéger la sensibilité dans les viscères, le cœur, le foie, le diaphragme. Plus tard, Alcméon de Crotone, au VIe siècle avant J.-C., établit par la dissection et la vivisection des animaux les relations des organes des sens avec le cerveau et fonde la théorie de la sensation.
Avec Hippocrate (460-377 av. J.-C.), c’est la naissance de la clinique neurologique. La Collection hippocratique, en effet, nous livre des documents de tout premier ordre. Le cerveau et la moelle forment un seul organe : le myélencéphale, qui, pour Platon, commande toute l’économie de l’homme. Mais surtout le cerveau devient le siège de l’intelligence, de la motricité, de la sensibilité. L’entrecroisement des troubles moteurs (paralysies et convulsions) et des troubles sensitifs (sensations anormales, dysesthésies, douleur) est établi et prend, comme le dit Souques, le caractère d’une loi. Au VIIe livre des épidémies, l’auteur signale des paralysies à gauche lorsque l’atteinte traumatique est à droite et à droite lorsque celle-ci est à gauche. Hippocrate donne une bonne description des signes méningés, de l’apoplexie et de ses prodromes, et il signale la gravité pronostique de la dyspnée, des sueurs profuses, de la « rotation continuelle des yeux ». Il étudie avec perspicacité les luxations des vertèbres avec leurs conséquences aux divers étages de la colonne vertébrale. Il décrit aussi des cas de migraine ophtalmique avec vision unilatérale d’un éclair et douleur violente dans la tempe.
Aristote (384-322 av. J.-C.) accumule sur le système nerveux des conceptions étranges. Pour lui, le cerveau, organe froid et insensible, ne sert qu’à refroidir le sang chaud venu du cœur, qui est le siège des sensations, des passions et de l’intelligence – étrange recul par rapport à Hippocrate, qui avait placé l’intelligence dans le cerveau. Mais, à la même époque, Hérophile et Érasistrate pratiquent la dissection des cadavres humains et même des expérimentations sur des condamnés vivants ; le premier, en anatomiste, reconnaît les nerfs qui relient les centres aux organes et les individualise en nerfs de mouvements et nerfs de sentiments, malgré quelques confusions entre nerfs, tendons et ligaments ; le second précise les fonctions intellectuelles des circonvolutions cérébrales et prophétise les fonctions de coordination du cervelet. Mais il place l’âme dans le ventricule de celui-ci.
Avec Galien de Pergame (env. 131-201), la neurologie antique atteint son apogée. Galien, ajoutant ses découvertes aux travaux de ses devanciers, élabore une brillante synthèse anatomo-physio-clinique, qui, pendant plus d’un millénaire, restera la bible de tous les neurologues. Il établit que le cerveau est bien le centre du mouvement volontaire et de la sensibilité, qu’il est le premier principe de tous les nerfs, la moelle n’étant qu’un intermédiaire auquel l’encéphale transmet les propriétés qu’elle manifeste. Sur le plan clinique, il formule des diagnostics topographiques. Il repère les atteintes radiculaires, médullaires et cérébrales. Dans le même mouvement, la loi de l’entrecroisement des symptômes et des lésions est confirmée. Au IVe siècle, l’évêque Némésios sépare définitivement les nerfs moteurs des tissus fibreux et, au VIIe siècle, Théophile attribue aux nerfs olfactifs le rang de première paire crânienne.
Le Moyen Âge est caractérisé par une léthargie presque totale en neurologie. Citons quelques noms surtout parmi les Arabes : le chirurgien Abū al-Qāsim (Abulcasis), dans la seconde moitié du Xe siècle, dissuade d’inciser et de trépaner les hydrocéphales ; Avicenne (Ībn Sīnā), médecin et philosophe musulman d’origine iranienne (980-1037), collige et interprète Némésios et Poséidonios, qui avaient localisé les fonctions intellectuelles dans les ventricules du cerveau. Constantin l’Africain (1015-1087), polyglotte et encyclopédiste originaire de Carthage, résume les doctrines de Galien sur le système nerveux d’après les versions arabes en un texte qui fera autorité jusqu’au XVIe siècle.
Médecin ordinaire du roi, Laurent Joubert (1529-1582), qui entreprend d’en finir avec le mythe d’une langue originelle, a fort bien saisi le rapport étroit entre audition et phonation et comprend que la transmission d’une langue se fait par imitation et par éducation du mimétisme oral. C’est le fruit d’une acquisition, « art ou discipline ». Rien là qui appartienne à une nature d’ordre métaphysique. Cette idée s’appuie, chez Joubert, sur un certain nombre d’observations cliniques, en particulier sur l’observation des moyens d’expression chez les sourds. Évoquant l’exemple des enfants d’un apothicaire de Toulouse dont les fils sont devenus sourds vers l’âge de quatre ans et, par voie de conséquence, muets, cependant que les filles gardaient intactes leurs facultés auditives et élocutives, Joubert reconnaît le rôle de l’apprentissage et se penche sur le problème des relations entre l’amnésie et l’aphasie (C. G. Dubois, Mythes et langage au XVIe siècle), l’existence de celle-ci plaidant, à ses yeux, en faveur de l’acquisition de la langue, car on ne peut perdre que ce qui est acquis, non ce qui est inné.
Au XVIe siècle, Nicolas Massa, dans un cas de fracture du crâne due à un coup de hallebarde, rend la parole au blessé par l’extraction du fragment osseux qui avait pénétré dans le cerveau. La chirurgie que les médecins abandonnent aux barbiers est cependant illustrée à l’époque par Ambroise Paré (1510 env.-1590). Avec des chirurgiens tels que lui, c’est déjà la pleine Renaissance et le début de l’époque moderne, bien que l’admiration de l’Antiquité s’exprime alors, par exemple, dans le fait que, devant la faculté de Montpellier, en 1546, Rabelais, pour sa thèse, argumente en grec sur les textes d’Hippocrate. L’anatomiste parisien Charles Estienne (1504-1564) s’en prend à l’esprit de l’enseignement médical et préconise la pratique de la dissection des cadavres et de ce qui constituera par la suite l’enseignement clinique. De leur côté, Vésale, Varole, Jean Fernel, André Du Laurens et Riolan, qui font de grands progrès dans la dissection du corps humain et l’anatomie descriptive, s’intéressent particulièrement à la prospection du système nerveux.
Au XVIIe siècle, Descartes enrichit la connaissance neurologique par l’observation et l’expérience. Sa découverte fondamentale est celle du réflexe (qui ne sera nommé ainsi qu’en 1743 par Jean Astruc), cet acte élémentaire du fonctionnement du système nerveux. Dans le traité de L’Homme, en 1640, il reconnaît qu’à la sensation est liée la réponse motrice : automatiquement, la main se retire de la flamme qui la brûle « ainsi que, tirant l’un des bouts d’une corde, on fait sonner en mesme temps la cloche qui pend à l’autre bout ». Selon un raisonnement du même type, Nicolas Malebranche établit la théorie de l’innervation vasomotrice (1674).
Mais c’est Thomas Willis, anatomiste et physiologiste anglais (1622-1675), qui domine toute cette période. « Neurologiste complet, clinicien et théoricien [...], il distingue dans le cerveau et le cervelet la substance grise, corticale, et la substance blanche, médullaire, assignant un rôle à chacune, indiquant chemin faisant l’importance de la configuration et celle de la substance ou « texture ». Il décrit le polygone artériel de la base du cerveau, qui porte encore son nom [...]. Puis, en pathologie, il rapporte la léthargie à l’écorce cérébrale, siège de la mémoire, du sommeil ; à la substance blanche et au corps calleux il rattache l’épilepsie ; aux corps striés, grand centre sensitivo-moteur, à la moelle allongée et aux nerfs, les divers types de paralysies ; au cervelet il rattache notre syndrome bulbaire » (M. Laignel-Lavastine, loc. cit.). Il aborde avec une parfaite lucidité bien d’autres points concernant le mal de mer, les céphalées paroxystiques, l’œdème cérébral, les abcès, les tumeurs cérébrales, les adhérences cranio-méningées, les méningites, les hémorragies cérébrales et les inondations ventriculaires. Le médecin anglais Thomas Sydenham, inventeur du laudanum (1624-1689), isole la danse de Saint-Guy, à laquelle on a donné le nom de chorée de Sydenham. Avec Marcello Malpighi, médecin et anatomiste italien (1628-1694), qui peut être considéré comme le premier à utiliser l’anatomie microscopique, s’ouvre l’ère nouvelle des examens microscopiques : l’écorce cérébrale apparaît comme formée d’un amas de petites « glandes » d’où partent les racines et les nerfs.
Au XVIIIe siècle, caractérisé par l’épanouissement des théories physiologiques, les connaissances en anatomie continuent de s’accumuler. Raymond Vieussens (1641-1715), durcissant le cerveau par la cuisson dans l’huile, décrit le centre ovale et la capsule interne. Plus tard, Félix Vicq d’Azyr (1748-1794) distingue les régions frontale, pariétale, occipitale, tandis que Jacques-Bénigne Winslow individualise des éléments nerveux et que Leeuwenhoek puis Fontana fondent l’histologie nerveuse. On continue, durant cette période, à essayer de localiser l’âme, que Descartes avait liée, sous les espèces des « esprits animaux », à la glande pinéale. Le centre ovale, l’écorce cérébrale, le corps calleux, la moelle allongée, les ventricules sont tous pressentis comme étant le siège de cette instance invisible. Kant lui-même interviendra dans ces discussions pour empêcher de localiser dans l’espace une chose qui ne peut être déterminée que dans le temps. « L’œuvre propre du XVIIIe siècle, écrit Maxime Laignel-Lavastine, réside dans les théories dynamistes de l’activité nerveuse issues de l’irritabilité de Glisson (1672). Le Bernois Albert de Haller et le Morave Georges Prochaska créent la physiologie nerveuse moderne [...]. Les tissus nerveux jouissent de deux propriétés : la sensibilité et l’irritabilité. Prochaska établit la théorie générale des réflexes et [...] démontre que la moelle, elle aussi, exerce des fonctions de centre nerveux [...]. L’influence de Haller fut profonde. De lui dérivent [...] William Cullen, le créateur des névroses, John Brown, le père des sténies et des asthénies, le grand psychiatre vitaliste, Stahl, et, à plus longue distance, François Broussais, dont la pathologie fonctionnelle, basée sur l’inflammation des organes, fera le pont avec les pathogénies infectieuses encore lointaines. »
Si Thalès (env. 640-env. 550) connaissait déjà la propriété de l’ambre jaune ou succin (en grec élektron) d’attirer les corps légers, c’est seulement au XVIIIe siècle que l’électricité va connaître ses premières applications humaines avec Stephen Gray (1666-1736), qui montre que l’on peut transporter « la vertu électrique » par des fils de soie à travers le corps humain. Kruger de Helmstadt (1744), Jallabert de Genève (1706-1767), Boissier de Sauvages, Mauduyt, Kratzenstein appliquent l’électricité statique aux paralysies, tandis que Marat, le futur « Ami du peuple », pose les indications de l’électrothérapie pour les diverses maladies nerveuses. En 1791, Luigi Galvani (qui a donné son nom au galvanomètre) observe les contractions des membres d’une grenouille en interposant un arc de métal entre deux parties du tronc de l’animal ; il conclut que les nerfs et les muscles sont chargés d’électricités contraires.
Dans le même temps, les chirurgiens opèrent les abcès du cerveau et certains traitent des épilepsies traumatiques par la trépanation. Mais l’histoire de la neurologie, elle non plus, n’est pas linéaire ; elle comporte des révisions parfois surprenantes. Au moment où les médecins admettent la suprématie du cerveau et son rôle de phare dans le comportement humain, Buffon écrit tranquillement dans son Histoire naturelle