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Retour sur l’année politique et économique mondiale de 2022 avec ce Grand Article Universalis.
Deux comptes-rendus portant sur l'année économique mondiale et l'année politique française sont accompagnés d'une chronologie détaillée des événements politiques, des conflits, des faits économiques et sociaux survenus entre le 1er janvier et le 31 décembre 2022.
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Comme les deux années précédentes, l’économie mondiale en 2022 est marquée par l’intrusion brutale de facteurs exogènes : après la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine et les sanctions qui en découlent à l’égard de la Russie accentuent la tendance sous-jacente au recul de la mondialisation, tout en créant pénuries et flambées des prix dans les secteurs de l’énergie et des céréales.
L’inflation est donc de retour. Fait nouveau, elle affecte aussi les pays avancés, qui, depuis une quarantaine d’années, s’étaient accoutumés à une relative stabilité en la matière ; ils connaissent une hausse des prix de plus de 7 % en 2022 alors que, sur la période 2014-2020, elle n’était que de 1,2 %, et de 3,1 % en 2021. Cette stabilité installée à partir des années 1980, du fait de la mondialisation des échanges qui tire les prix vers le bas, a longtemps été considérée comme endémique et peu susceptible de s’interrompre, comme l’avait été l’inflation rampante des années 1970 dans un contexte de marchés oligopolistiques et de faible ouverture internationale.
Par rapport aux deux années précédentes, le prix moyen du pétrole brut augmente de 50 % (de 60 à 90 dollars le baril) en 2022, de même que le prix du blé tendre qui passe de 200 à 300 euros la tonne. Si ces deux facteurs ont déclenché cette nouvelle inflation, elle est aussi le résultat, d’une part, des perturbations dues à la pandémie de Covid-19 (fragmentation accrue des chaînes de production et politiques budgétaires de soutien aux revenus et à l’activité), et, d’autre part, des politiques monétaires laxistes qui avaient conduit à des taux d’intérêt nominaux proches de zéro et des taux d’intérêt réels faibles.
Prix à la consommation dans le monde (2020-2022). La zone euro, les États-Unis, la Chine et, notamment à cause de la guerre, la Russie voient en 2022 leur inflation le plus progresser proportionnellement à 2021 (source : FMI World Economic Outlook, oct. 2022).
Les effets sociaux de l’inflation sont lourds de conséquences puisqu’elle touche plus fortement les pays et les catégories sociales consacrant une part importante de leurs dépenses à l’alimentation et à l’énergie, et ceux qui ne disposent pas d’un pouvoir de négociation (bargaining power) favorable pour résister à l’érosion de leur pouvoir d’achat – les plus pauvres, donc. La désindexation des salaires sur les prix, indolore en période de stabilité, entraîne, lorsque les prix augmentent à nouveau, un appauvrissement générateur de revendications et de conflits sociaux.
Par ailleurs, le réchauffement climatique affecte en 2022 tous les continents : la Corne de l’Afrique, de façon particulièrement dramatique, l’Asie (sécheresse en Chine, inondations au Pakistan), l’Amérique du Nord (feux de forêt), l’Europe (canicule). Dans un moment de prise de conscience aiguë des enjeux environnementaux, la COP 27 – à Charm el-Cheikh, en novembre – n’a fait aucune avancée sur la réduction des émissions de gaz carbonique, mais a décidé la création d’un fonds dédié à la réparation des pertes et dommages déjà subis par les pays du Sud.
L’urgence de trouver rapidement des sources d’énergie de remplacement au gaz et au pétrole russes ainsi que les dépenses entraînées par le soutien aux revenus des ménages entrent en conflit avec la nécessité d’investir dans des énergies propres, pour l’instant moins rentables : certains pays réactivent leur production de charbon (Allemagne, Royaume-Uni) ou d’hydrocarbures (États-Unis) ; parallèlement, il est difficile de mettre en œuvre des mesures comme les taxes sur les émissions de CO2 dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat.
Part de la production mondiale et de la population mondiale par groupes de pays en 2022. La part des pays avancés dans la production mondiale est le triple de leur part dans la population mondiale, alors que celle des pays émergents et en développement représente à peine plus des deux tiers de leur part dans la population (source : FMI World Economic Outlook, « Countering the Cost-of-Living CrIsis », oct. 2022).
Croissance du PIB mondial (2020-2022). À l'exception du Japon, de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, tous les pays ou ensembles de pays voient leur taux de croissance se réduire, les baisses les plus fortes concernant les États-Unis, la Chine et la Russie (source : FMI World Economic Outlook, oct. 2022).
Solde de la balance des paiements au niveau mondial (2020-2022). Les variations des soldes des paiements sont surtout marquées par le renchérissement des prix des hydrocarbures (source : FMI World Economic Outlook, oct. 2022).
Les crispations politiques, parfois causes et parfois conséquences de ces crises économiques, sont multiples : la Chine de Xi Jinping, qui revient sur les modestes libéralisations de ses prédécesseurs, et la Russie de Vladimir Poutine, qui rêve d’un retour de l’Empire soviétique, réduisent leur ouverture à l’international, renforcent leur présence en Afrique et tentent de créer un front anti-occidental, au moment où de nombreuses démocraties sont secouées par des radicalisations et de profondes instabilités institutionnelles.
Un taux de chômage de 3,5 %, au plus bas depuis cinquante ans, un taux d’inflation de plus de 8 %, au plus haut depuis quarante ans : l’économie américaine enregistre une association de records qui a l’apparence d’une situation keynésienne de forte demande sur le marché des biens comme sur le marché du travail. Mais la hausse des prix s’explique moins par les tensions sur le marché du travail que par la hausse des prix des matières premières, l’abondance de monnaie et les goulets d’étranglement au niveau de l’offre.
L’année 2022 est marquée par un double tournant de politique économique, budgétaire et monétaire. Après avoir soutenu le revenu des ménages et l’activité des entreprises et des collectivités locales, l’administration Biden a mis en place une politique active mettant l’accent sur l’offre, en trois temps : à la fin de 2021, concernant les infrastructures (Infrastructure Investment and Jobs Act, 1 200 milliards de dollars sur dix ans) ; en août 2022, la compétitivité industrielle via la recherche et développement, tout particulièrement dans le secteur stratégique des semi-conducteurs (CHIPS and Science Act) ; et, toujours en août 2022, les énergies renouvelables (Inflation Reduction Act, IRA, doté de 370 milliards et qui pourrait paradoxalement stimuler l’inflation plutôt que la réduire…). Ce dernier plan comporte une dimension protectionniste qui a suscité de vives réactions de la part des pays européens : les subventions aux voitures électriques, par exemple, sont réservées aux véhicules produits sur le sol américain, ce qui affecte les exportations européennes et peut provoquer des délocalisations d’entreprises automobiles. L’IRA conditionne aussi certaines subventions supplémentaires à la provenance des composants ou des matières premières : pour en bénéficier, il faut s’approvisionner auprès d’entreprises américaines, ou bien, selon les cas, simplement éviter les fournisseurs chinois. Parallèlement, les conditions créées par cette politique stimulent très fortement les investissements étrangers aux États-Unis, au détriment de l’Union européenne et d’autres régions du globe.
Le virage de la politique menée par la Réserve fédérale (Fed) est encore plus radical, bien que curieusement qualifié de « normalisation » : considérant que la lutte contre l’inflation devient l’objectif prioritaire, sans crainte d’une récession à venir, la Fed a mis fin aux achats d’actifs (quantitative easing ou « assouplissement quantitatif ») en mars 2022 et augmenté le taux d’intérêt à plusieurs reprises. Les conséquences, internes et internationales, sont multiples et lourdes de menaces. Les ménages américains emprunteurs voient les taux hypothécaires doubler. La Bourse enregistre de fortes baisses. En novembre, le constat est sévère pour les entreprises de haute technologie : sur un an, le Nasdaq, deuxième plus grand marché boursier du pays, a perdu 33 % et la capitalisation boursière des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) a été amputée de 1 500 milliards de dollars, avec des baisses particulièrement impressionnantes des cours des actions d’Amazon (– 50 %) et de Microsoft (– 30 %). Le système financier est fragilisé, à la merci de la défaillance d’une banque. Le dollar connaît une hausse nouvelle, qui stimule l’inflation par les coûts dans les autres pays importateurs de matières premières libellées en dollar, et fragilise les pays endettés en dollar. La hausse des taux d’intérêt, qui se propage, affaiblit les ménages et les entreprises et met fin aux déficits publics sans douleur.
Le taux de croissance de la zone euro en 2022, de 3,1 %, présente une caractéristique exceptionnelle : il est pratiquement au niveau de la croissance mondiale (3,2 %), alors que, durant les années 2010, la croissance mondiale était en moyenne supérieure de 2,3 points à la croissance de la zone euro. Dans le même sens, c’est la première fois depuis 2010 que la zone euro a une croissance supérieure de 0,5 point à celle de l’ensemble des pays avancés. Pourtant, l’Europe, toujours marquée par les effets de la pandémie, a subi de plein fouet la guerre en Ukraine, en raison de sa proximité géographique et de sa dépendance aux énergies fossiles, ce qui pèse sur les budgets des ménages et le coût des entreprises industrielles. En fait, la première partie de l’année a été marquée par une hausse de la consommation née de l’allégement des mesures de confinement, alors que les effets de l’inflation ne se sont fait sentir que dans la deuxième partie de l’année sur le comportement des ménages. La hausse des prix est très forte, de 8,3 %, alors que la moyenne pour les autres années de la dernière décennie était de moins de 2 %. Ces records d’inflation s’accompagnent de records sur le marché du travail : le taux de chômage (bas) et le taux d’activité (haut) sont à des niveaux records. Mais les taux d’inflation diffèrent d’un pays à l’autre, surtout du fait des mesures de riposte à la hausse de l’énergie, certaines ayant un impact sur les prix, par exemple les « boucliers tarifaires », d’autres non, comme l’aide sur les revenus. Les divergences en matière d’inflation conjuguées aux différences de politique budgétaire entraînent des divergences en matière de taux d’intérêt des emprunts d’État.
La canicule, également exceptionnelle, a eu de multiples conséquences : surmortalité, feux de forêt, problèmes d’approvisionnement en eau, effets sur les cultures et les élevages…
Le plan européen « NextGenerationEU », d’un montant de 750 milliards d’euros (en monnaie constante), ratifié en mai 2021, a été distribué à hauteur de 135 milliards d’euros en 2022 : parmi les bénéficiaires se détachent l’Italie (67 milliards sur 191 prévus) et la France (12,5 sur 40 prévus), alors que l’affectation à la Hongrie d’une partie de sa part bute sur son incapacité à remplir les conditions politiques de respect de l’état de droit.
Le dynamisme de l’Allemagne, dépendant des importations de gaz russe et reposant pour une large part sur les exportations industrielles à destination de la Chine, ainsi que son modèle de développement économique lui-même sont soumis à rude épreuve. Le pays enregistre un faible taux de croissance et un taux d’inflation à plus de 8 %. L’activité industrielle, très gourmande en énergie, est ébranlée par la guerre en Ukraine. L’Allemagne – qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avait inscrit l’obligation de garantir la stabilité des prix dans l’article 88 de sa Loi fondamentale et qui, depuis le Système monétaire européen (SME), avait imposé pour elle-même et pour les autres une règle de modération des prix pour garantir stabilité économique et force de l’euro – se retrouve avec un niveau de hausse des prix digne des pays du Sud (parfois regroupés sous le nom de « Club Med » en Allemagne), qu’elle dénigrait pour cette raison par le passé.
De même, l’Allemagne, chantre du libéralisme et de la sobriété budgétaire, se trouve dans l’obligation d’enfreindre ses propres principes : pour faire face à la baisse des salaires réels, le chancelier Olaf Scholz a annoncé en septembre un soutien massif aux revenus des ménages d’un montant de 200 milliards d’euros, soit 1,8 % du PIB, appelé « frein au prix du gaz » ; le plafonnement du prix du gaz concerne aussi les entreprises allemandes qui vont bénéficier d’un énorme avantage concurrentiel par rapport aux entreprises des autres pays européens. L’image d’un pays pilier de la construction européenne est elle aussi écornée : cette politique, purement nationale, fausse la concurrence au sein du marché européen par son ampleur, ce qui suscite de grandes critiques de la part des pays européens, d’autant plus que l’Allemagne multiplie les ouvertures à l’égard de la Chine, en particulier par la vente partielle d’un terminal du port de Hambourg à Cosco, une société publique chinoise, afin de préserver, autant que faire se peut, les exportations vers l’Empire du Milieu.
La croissance, relativement forte en début d’année, ralentit ensuite en raison des difficultés de l’offre, de l’approvisionnement énergétique et de la demande, l’inflation réduisant le pouvoir d’achat des ménages. Comme face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19, l’État, tout en poursuivant le plan d’investissement « France 2030 », est très actif, mettant en œuvre une palette d’interventions pour alléger les factures énergétiques : une aide par les prix ou les revenus des ménages et un nouveau soutien pour les entreprises énergivores. Les aides à destination des secteurs affectés par la crise sanitaire ont quant à elles été poursuivies. Enfin, l’allocation de soutien familial (ASF) pour parent isolé, dont les revenus sont souvent modestes, est revalorisée de 50 % en novembre 2022.
Poussée par les mesures destinées à soutenir le revenu des ménages et les fonds européens, l’Italie a enregistré un taux de croissance très satisfaisant de 3,2 %. L’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni, une présidente du Conseil des ministres d’extrême droite, a inquiété les dirigeants européens. Mais, si sa politique en matière de migrants est nationaliste, répressive et brutale, elle a tenu à annoncer, en matière économique, une voie modérée pro-européenne. Cette « sagesse » s’explique aisément par la situation financière de l’Italie : d’une part, elle est, grâce à l’habileté de Mario Draghi, la première bénéficiaire du plan de relance européen « NextGenerationEU »(191 milliards d’euros), manne qu’il serait maladroit de perdre ; d’autre part, le taux d’intérêt sur la dette publique a fortement monté, creusant le spread (l’écart avec le même taux pour l’Allemagne), ce qui augmente le coût de l’emprunt de l’État et crée une méfiance des marchés de nature à fragiliser le système financier, bien que celui-ci se soit consolidé au cours des dernières années.
En 2022, le Royaume-Uni a donné le spectacle d’un pays uni autour de sa reine disparue mais aux prises avec une fâcheuse instabilité gouvernementale : Boris Johnson a dû démissionner en juillet après un long naufrage politique et moral. Sa remplaçante, Liz Truss, détient le record du mandat le plus court après que les milieux financiers ont infligé un sévère désaveu à son plan économique tourné vers les entreprises et les catégories les plus fortunées, et qui menaçait de ruiner les Britanniques.
L’économie britannique connaît des difficultés anciennes : un secteur financier fragilisé par la crise de 2008-2009, un retard de l’investissement au cours de la dernière décennie, de faibles gains de productivité – ce qui freine l’augmentation des salaires réels –, des inégalités de revenus profondes que les réductions des aides sociales des dernières années ont accentuées. Le Brexit, qui contracte les flux commerciaux et implique un moindre recours à une main-d’œuvre étrangère en situation de quasi-plein emploi, a aggravé une conjoncture qui, comme pour les autres pays, a subi le double choc de la pandémie et de la guerre en Ukraine.
Le plan de Liz Truss a été abandonné dès l’arrivée du nouveau Premier ministre, Rishi Sunak. Il prévoyait un électrochoc fiscal à destination des entreprises et des plus fortunés, combiné à un gel des factures d’énergie et accompagné de réformes structurelles de libéralisation tous azimuts sur les bonus des banquiers, la fracturation hydraulique, l’urbanisme... À l’automne, l’économie britannique, déjà affaiblie, a ainsi enregistré une série de records au goût amer : l’inflation a dépassé 10 %, son plus haut niveau depuis 1982 ; la livre sterling est tombée à 1,13 dollar, son plus bas niveau depuis 1985 ; le coût de l’emprunt de l’État à long terme a grimpé à 5 %, son plus haut niveau depuis vingt ans.
La politique budgétaire est prise en étau : la réduction du déficit budgétaire se heurte à la nécessité de préserver les budgets de la santé, de l’aide sociale et de l’éducation, déjà fortement entamés ces dernières années ; elle entre en conflit avec le resserrement de la politique monétaire destinée à lutter contre l’inflation.
Fortement intégré à l’économie internationale, le Japon souffre particulièrement des ruptures de chaînes d’approvisionnement et du ralentissement de l’économie de la Chine, première destinataire des exportations nippones. Sa croissance est plus faible que celle des autres pays avancés.
Il continue par ailleurs de poursuivre une voie atypique. Certes, le taux d’inflation s’élève nettement par rapport aux trois dernières décennies, mais reste à des niveaux modérés. Les augmentations de salaire restent modestes, échappant aux règles économiques habituelles, malgré trois facteurs qui devraient les pousser vers le haut : la hausse des prix de l’énergie et des biens alimentaires, un niveau exceptionnellement bas du chômage, et des marges de manœuvre importantes des entreprises. Les prix augmentent peu, faute de consommation, et les salaires restent presque insensibles à cette hausse. La Banque du Japon joue, elle aussi, une partition originale : à la différence des autres Banques centrales qui augmentent les taux d’intérêt, elle conserve des taux faibles, ce qui pousse le yen vers le bas, renchérit le coût des importations et nourrit l’inflation.
La Chine connaît, par rapport à sa trajectoire pré-Covid, un très sensible ralentissement de l’activité économique, malgré un soutien appuyé du gouvernement sous forme d’aides et de programmes ambitieux d’investissement dans les infrastructures.
La croissance est entravée par plusieurs facteurs. La consommation des ménages stagne, subissant les effets de l’inflation et du chômage. Les exportations, toujours dynamiques, pâtissent du ralentissement de la demande mondiale. La stratégie « zéro Covid » – motivée par la faible efficacité des vaccins chinois et le refus d’en importer de l’Occident – implique confinements et restrictions de mobilité et, de ce fait, paralyse une partie de l’activité économique. Le réchauffement climatique pèse aussi sur la croissance. De ce point de vue, l’année 2022 a été, comme ailleurs, particulièrement difficile : les records de chaleur sont battus au mois d’août et les précipitations sont anormalement basses ; celles alimentant le Yangzi, dont le bassin versant représente près de 20 % de la superficie du pays, ont baissé de 60 %. Il en résulte des rationnements de courant électrique qui pèsent sur les entreprises et les ménages. La sécheresse a également affecté l’agriculture, surtout les cultures de riz et de soja. Enfin, le secteur immobilier, qui représente environ 30 % de l’économie chinoise, est toujours en crise. La baisse des prix, des ventes et des mises en chantier, ainsi que le fort endettement des ménages et des promoteurs, se répercute sur l’ensemble de l’économie.
La Chine reste engagée dans une mutation structurelle décidée en 2017 et renforcée en octobre 2022 lors du XXe congrès du Parti communiste, qui consacre un troisième mandat quinquennal et un pouvoir sans partage pour Xi Jinping : développement du secteur des services, moindre dépendance par rapport au reste du monde, urbanisation et développement d’une classe moyenne de nature à soutenir la demande interne.
Elle doit par ailleurs toujours faire face à de lancinants problèmes : le vieillissement de sa population, le coût élevé de l’éducation des enfants et la transformation des comportements durant la longue période de « l’enfant unique » constituant un frein à la reprise de la natalité ; l’endettement des entreprises et des collectivités locales ; de graves problèmes environnementaux. Mais elle garde deux atouts majeurs : le dynamisme de ses exportations et sa capacité extraordinaire à investir dans la recherche, l’éducation et les nouvelles technologies.
Les contradictions entre le désir de s’intégrer dans la mondialisation et le poids du Parti communiste chinois dans les grandes entreprises sont apparues avec la loi américaine « Holding Foreign Companies Accountable Act » promulguée sous Donald Trump et mise en place en décembre 2021 sous Joe Biden. Celle-ci impose aux entreprises étrangères ayant accès aux marchés financiers de respecter les règles appliquées aux entreprises américaines et donc une transparence sur l’actionnariat : cinq grandes entreprises chinoises ont quitté Wall Street en invoquant, de façon très opportuniste, une « réaction patriotique » à une « loi antichinoise ».
Les sanctions occidentales mises en œuvre contre la Russie après l’annexion de la Crimée en 2014 se sont fortement renforcées après l’invasion de l’Ukraine à la fin février. En dehors des mesures individuelles et de celles qui touchent certains médias, en particulier Sputnik et RT (ex-Russia Today), les sanctions affectent de nombreux pans de l’économie russe : la finance (exclusion du système interbancaire international SWIFT et de certains financements sur les marchés), les importations de biens et de technologies dans le secteur militaire et les transports, et les exportations de matières premières et de produits énergétiques. Concernant ce dernier volet, tandis que les États-Unis, forts de leurs importantes ressources énergétiques, ont déclaré un embargo sur le gaz et le pétrole russes dès mars, un accord a été trouvé en décembre entre l’Union européenne, les pays du G7 et l’Australie pour imposer un prix plafond de 60 euros le baril de pétrole brut transporté par voie maritime, qui représente 90 % des exportations russes.
Pour alléger le poids de ces restrictions, la Russie a poursuivi et accentué des évolutions : « russification » des circuits, réorientation des flux commerciaux avec d’autres pays, « importations parallèles », c’est-à-dire contournement des sanctions, et allégement des réglementations.
La russification de l’économie a eu des résultats inégaux : positifs en matière agricole, mais faibles sur d’autres secteurs, notamment ceux à haute technologie (microprocesseurs, matériels de défense, par exemple). En ce qui concerne le secteur financier, elle s’est traduite en particulier par la création d’un système de communication financière, le SPFS, pour pallier l’éviction du pays de SWIFT, par une réduction de la dette publique pour être moins tributaire des créanciers étrangers, et la conversion des réserves pour atténuer le poids du dollar.
La réorientation des flux commerciaux se traduit notamment par le redéploiement des exportations pétrolières : entre février et octobre, elles augmentent de 10 %, mais la part de l’Europe dans les destinations régresse de 53 % à 21 %, en partie remplacée par l’Inde et les pays asiatiques autres que la Chine (de près de 0 % à 33 %) et par la Turquie, dont la part quadruple (de 3 % à 12 %). Cette nouvelle carte des échanges entraîne une plus forte dépendance commerciale de la Russie par rapport à la Chine.
Pour contourner les sanctions ainsi que les effets du départ d’entreprises occidentales et pour ne pas décevoir la classe moyenne russe, demandeuse de vêtements, d’automobiles et de produits technologiques, le gouvernement a mis en place des importations parallèles, qui transitent par des pays frontaliers membres de l’Union économique eurasiatique (Arménie, Biélorussie, Kazakhstan et Kirghizistan), sans l’accord des entreprises détentrices des marques.
Dernier expédient, la Russie a revu à la baisse certaines normes de sécurité, par exemple en autorisant la production de voitures sans ABS ou airbags, pour faire face aux pénuries de composants électroniques et de pièces détachées.
Alors que l’Inde éprouve, comme les autres pays, les effets des mesures de restriction consécutives à la pandémie de Covid-19, de l’affaiblissement du commerce mondial et de la hausse des prix des matières premières, son taux de croissance, bien qu’en baisse, reste soutenu et le plus élevé parmi les grands pays. Cette progression de l’activité, qui s’accompagne globalement d’une bonne santé des entreprises, est tirée par une consommation et un investissement public très dynamiques.
Cependant, les autres indicateurs conjoncturels révèlent de multiples difficultés : un taux d’inflation qui affecte le revenu des ménages, une dépréciation nette de la roupie, un solde extérieur nettement dégradé.
De plus, le pays, particulièrement touché par le changement climatique, subit la multiplication des événements extrêmes et un dérèglement de la mousson qui a eu des effets désastreux sur les cultures : trop d’eau à l’ouest, ce qui a affecté les récoltes de coton et de soja ; sécheresse au nord-est, qui a compromis les récoltes de céréales et de riz.
Enfin, l’Inde fait surtout face à de profonds problèmes structurels : un faible revenu moyen, un taux de pauvreté de 13,4 % (presque 200 millions de personnes), un secteur informel fragilisé par la pandémie et générateur de pauvreté, un taux de chômage des jeunes très élevé (40 % pour les moins de vingt-cinq ans), un taux d’activité des femmes qui baisse fortement pour arriver à 20 %.
En 2022, les principaux indicateurs macroéconomiques sont positifs au Brésil : une croissance qui s’accélère, tirée par la consommation et l’investissement, une baisse du chômage et un ralentissement de l’inflation. La dynamique de l’économie se nourrit des mesures vigoureuses de soutien des revenus, opportunément prises par le président Jair Bolsonaro, avant l’élection présidentielle qui se tient à l’automne et l’oppose à Lula da Silva : réduction des taxes et des prix des carburants, transferts sociaux. Mais les profonds problèmes structurels perdurent. Surtout, malgré sa défaite, le président poursuit en fin d’année la déforestation calamiteuse de l’Amazonie, qui a connu durant son mandat un rythme terrifiant : près de 40 000 km2 de forêt ont été rasés en quatre ans.
La plupart des pays en développement sont victimes d’un enchaînement de crises d’origines et de formes multiples : sanitaires, géopolitiques, climatiques, financières et sociétales.
Les effets économiques et sociaux de la pandémie de Covid-19 sont toujours présents, en raison notamment du faible taux de vaccination, et se conjuguent avec les multiples répercussions de la guerre en Ukraine. Les conséquences des ruptures des circuits d’approvisionnement sont désastreuses, qu’il s’agisse de l’énergie, des produits alimentaires ou des engrais. L’activité, industrielle et agricole, est entravée et les populations subissent de fortes pertes de pouvoir d’achat. Par ailleurs, la plupart des pays en voie de développement sont particulièrement touchés par le changement climatique. À ces trois facteurs qui affectent le monde entier, s’ajoutent deux autres fléaux : la dette, qui restreint les possibilités de soutien des États et qui accroît la dépendance par rapport aux bailleurs de fonds ; les conflits, générateurs de misère (Afghanistan, Éthiopie, Sahel…).
Les conséquences de ces crises multiples sont elles aussi plus dramatiques qu’ailleurs. La croissance est entravée et la pauvreté se répand. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, le monde fait face à la pire crise alimentaire et humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale : la population touchée par la famine est passée de 80 millions en 2017 à 276 millions en 2020 sous l’effet conjugué des chocs climatiques, géopolitiques et sanitaires, et atteint en 2022, avec la guerre en Ukraine, 345 millions. De surcroît, misère et changement climatique nourrissent les migrations.
Au sein de cet ensemble de pays, l’Afrique subsaharienne est particulièrement affectée. Du fait de son intégration dans l’économie mondiale, elle subit de plein fouet les turbulences commerciales et financières. Les exportations pâtissent du ralentissement des économies occidentales et des pays émergents, leurs principaux clients, et la volatilité des prix des matières premières perturbe l’économie des pays exportateurs. L’augmentation des taux d’intérêt et l’attractivité financière des États-Unis réduisent les possibilités de financement. De surcroît, ces pays subissent une inflation importée d’autant plus néfaste que, concernant les produits alimentaires et l’énergie, elle touche les populations les plus vulnérables, engendrant appauvrissement et risque de dislocation sociale. S’ajoutent à ces crises les effets du changement climatique : certaines régions connaissent une sécheresse extrême – plus de 20 millions de personnes sont menacées dans la Corne de l’Afrique (est de l’Éthiopie, nord du Kenya, Somalie) –, tandis que d’autres souffrent d’inondations, en Afrique australe en particulier.
En 2022, les restrictions commerciales se sont durcies, choisies dans le cas de la Chine, plutôt subies dans le cas de la Russie. Toutefois, les pays occidentaux ne jouent pas collectif pour autant : la hausse des taux d’intérêt et du dollar aux États-Unis contribue au désordre mondial et la politique allemande met à mal la cohésion européenne.
Pourtant, le commerce mondial résiste, avec une croissance de 3,5 %, proche de la croissance du PIB (3,2 %). Si l’on est loin des périodes où le commerce international progressait sensiblement plus vite que le PIB, nous ne sommes pas pour autant dans une période où les dynamiques nationales l’emporteraient sur la dynamique des échanges mondiaux.
Dans ce contexte, en juin, l’Organisation mondiale du commerce a marqué un heureux tournant (même si le fonctionnement de son organe de résolution des différends est toujours bloqué) : plutôt que de simplement plaider, comme par le passé, pour un progrès du libre-échange, l’organisation a innové en proposant des solutions à des problèmes mondiaux : les ravages de la pêche intensive sur la biodiversité, la crise alimentaire (en facilitant les achats du Programme alimentaire mondial), les difficultés sanitaires des pays en développement (possibilité leur est donnée de fabriquer les vaccins sans obtention des brevets). Une lueur dans un environnement sombre.
Jean-Pierre FAUGÈRE
L’année 2022 a été marquée par un événement qui occulte tous les autres : le déclenchement, en février, de la guerre menée par la Russie de Vladimir Poutine contre l’Ukraine. À trois heures d’avion de Paris, le premier conflit de forte intensité en Europe depuis les guerres d’ex-Yougoslavie est déjà, en fin d’année, le plus meurtrier qu’ait connu le Vieux Continent depuis la Seconde Guerre mondiale. En France, il est au centre de l’action du président de la République et du gouvernement, tout en constituant un important sujet de préoccupation pour la population française, qui soutient majoritairement les victimes de l’offensive russe – comme en témoignent les nombreuses manifestations de solidarité à l’égard des réfugiés ukrainiens –, tout en subissant certaines conséquences économiques de ce conflit, dont, en particulier, une forte hausse du coût de l’énergie. La guerre n’est pas sans répercussion sur l’image de certains politiques français qui, s’étant jusque-là montrés sensibles au discours de Moscou, voire complaisants avec un régime toujours en quête d’influence sur la politique intérieure des pays occidentaux, ont fait montre de quelques hésitations dans leur condamnation de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. En outre, la guerre russe contre l’Ukraine a marqué la présidence française du Conseil de l’Union européenne au cours du premier semestre de l’année.
Les élections présidentielle (avril) et législatives (juin) sont les événements centraux de l’année politique française. Elles confirment l’effacement de plus en plus inéluctable des partis qui avaient dominé la scène politique de la Ve République, tout en confirmant le nouvel agencement tripartite du paysage politique né en 2017 : un vaste centre libéral flanqué, sur sa gauche et sur sa droite, de deux partis d’opposition porteurs d’un discours très protestataire, souvent taxé d’extrémiste. Au premier tour de l’élection présidentielle, plus de 58 % des voix se portent sur des candidats (Le Pen, Mélenchon, Zemmour, Lassalle, Dupont-Aignan, Poutou, Arthaud) n’appartenant ni au camp présidentiel ni aux partis de gouvernement de la Ve République. Il est assez cohérent dans ces conditions que la coalition soutenant le président n’obtienne pas la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Le scrutin majoritaire à deux tours des législatives lui permet de constituer un gouvernement, mais laisse l’émiettement de la scène politique française sans traduction institutionnelle, situation porteuse de tensions et de potentiels conflits d’envergure.
En 2022, le phénomène économique le plus notable est l’accentuation d’une inflation qui avait fait sa réapparition à la fin de l’année 2021, et que la guerre et ses conséquences ont pour ainsi dire dopée. Dans ce climat d’inquiétudes multiples, le président de la République Emmanuel Macron et son gouvernement entendent malgré tout poursuivre leur politique de réformes, un temps différée par les crises de la mandature précédente (mouvements des « gilets jaunes », pandémie de Covid-19…).
Marquée par les premiers mois de la guerre russo-ukrainienne, la campagne présidentielle se déroule dans un climat relativement atone, de nombreux électeurs ayant le sentiment que le duel final sera identique à celui de 2017. Sans surprise, Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, les principaux acteurs de la précédente campagne, sont candidats. La désignation des autres prétendants à la magistrature suprême a été plus laborieuse. En septembre 2021, Yannick Jadot avait été, de justesse, désigné candidat d’Europe Écologie-Les Verts (EE-LV), face à l’écoféministe Sandrine Rousseau, qui a acquis à cette occasion une stature médiatique encombrante pour le candidat écologiste. En octobre, Anne Hidalgo était devenue la candidate du Parti socialiste (PS), en battant l’un des fidèles de François Hollande, Stéphane Le Foll, bien décidé à ne pas faire campagne pour la maire de Paris. En décembre 2021, enfin, Valérie Pécresse – qui avait dû se réinscrire au parti, qu’elle avait quitté en 2019 – avait remporté la primaire des Républicains (LR) face à Éric Ciotti, que ses bons résultats du premier tour mettaient cependant en position de force. En janvier 2022, une « primaire populaire » organisée par des « citoyens » indépendants tente d’imposer Christiane Taubira comme candidate putative d’une gauche unie. Ses appels à l’union de la gauche sont immédiatement rejetés par Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et Anne Hidalgo (qui s’était pourtant ralliée à l’opération avant de faire volte-face). Cette séquence renforce le sentiment de confusion à gauche. Christiane Taubira finira par renoncer faute d’un nombre suffisant de parrainages et, dès le début de l’année 2022, il est clair qu’il n’existe pas de candidature crédible à gauche en dehors de celle du leader de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon.
À l’extrême droite, Marine Le Pen est confrontée à la candidature du polémiste néomaurassien Éric Zemmour, qui agrège autour de son mouvement Reconquête ! un nombre non négligeable de partisans : d’anciens lieutenants de la présidente du Rassemblement national (RN) tels Nicolas Bay, Gilbert Collard, Stéphane Ravier (unique sénateur du RN) ; des personnalités de la droite traditionaliste comme Philippe de Villiers, Christine Boutin ou Jean-Frédéric Poisson ; des cadres de LR parmi lesquels on citera Sébastien Meurant, Guillaume Peltier (qui, venu de l’extrême droite, passé par l’UMP et LR, devient vice-président du parti d’Éric Zemmour)… Toujours à l’extrême droite, en dehors de Le Pen et Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan est le seul à réunir les 500 parrainages d’élus nécessaires à la candidature. Il reçoit le soutien de Florian Philippot. François Asselineau (moins de 1 % des voix en 2017) ne peut pas non plus se présenter. Quant à Jean Lassalle, candidat indépendant et inclassable « de la ruralité », il tente une synthèse à sa manière des préoccupations de la société française, tout en adoptant des thèmes issus du mouvement des gilets jaunes (référendum d’initiative citoyenne) ou des manifestations contre le passe sanitaire. Comme Zemmour et les candidats d’extrême gauche, il souhaite la sortie de l’OTAN. Sur ce dernier point, ainsi que sur la question russo-ukrainienne, le candidat du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), Philippe Poutou, se montre plus nuancé que la candidate de Lutte ouvrière, Nathalie Arthaud. Tout en dénonçant l’OTAN, il apporte un soutien sans réserve aux Ukrainiens.
Les taux d’abstention à la présidentielle sont parmi les plus élevés de l’histoire de la Ve République. Les 26,31 % d’abstention du premier tour n’ont été dépassés que le 21 avril 2002 (Jean-Marie Le Pen s’étant qualifié pour le second tour). Quant aux 28,01 % d’abstention du second tour, il faut remonter à l’élection de 1969 (il opposait deux candidats de droite) pour trouver un taux plus élevé. Par rapport à 2017, la participation recule de 2,6 points. Cependant, compte tenu de la diminution du nombre de suffrages blancs et nuls (8,6 % en 2017, 6,2 % en 2022), le pourcentage de suffrages exprimés reste quasiment identique.
France : abstentions et votes blancs et nuls aux élections présidentielles depuis 1965. Abstentions et votes blancs et nuls à l'élection présidentielle de 1965 à 2022 (en pourcentage des inscrits [source : ministère de l'Intérieur]).
L’effondrement des partis traditionnels est le principal constat qu’on puisse tirer du premier tour. Avec moins de 2 % des suffrages exprimés pour Anne Hidalgo (moins que Jean Lassalle et Nicolas Dupont-Aignan), le Parti socialiste connaît le plus mauvais résultat de son histoire. Quant à Valérie Pécresse, candidate de LR, elle n’atteint pas les 5 % des suffrages exprimés nécessaires au remboursement de ses frais de campagne, sort qu’elle partage avec Yannick Jadot (EE-LV) et Fabien Roussel (Parti communiste). Éric Zemmour arrive en quatrième position derrière Jean-Luc Mélenchon (21,95 %), mais dépasse à peine les 7 %, alors que sa candidature avait troublé la campagne quand les sondages lui promettaient des résultats exceptionnels. Les deux candidats qualifiés pour le second tour, Emmanuel Macron (27,85 %) et Marine Le Pen (23,15 %), améliorent quant à eux leurs scores respectifs de 2017, aussi bien en termes de pourcentage que de nombre de voix.
France : premier tour des élections présidentielles de 2017 et 2022. Résultats du premier tour des élections présidentielles de 2017 et 2022 (source : ministère de l'Intérieur).
Dès l’annonce de la qualification de la candidate d’extrême droite pour le second tour, Valérie Pécresse, Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Fabien Roussel appellent à voter pour le président sortant. Jean-Luc Mélenchon répète à plusieurs reprises la formule « Vous ne devez pas donner une voix à Mme Le Pen », mais n’appelle pas à voter pour Emmanuel Macron. La consigne de Philippe Poutou est quasi identique à celle du candidat de LFI. Celui-ci profite en outre de l’entre-deux-tours pour demander « aux Français de l’élire Premier ministre » à l’occasion des législatives, et propose à une partie de ses adversaires une recomposition de la gauche autour de son mouvement. Sans surprise, Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan appellent à voter Le Pen. Jean Lassalle et Nathalie Arthaud ne donnent pas de consigne de vote.
Le 24 avril, Emmanuel Macron remporte sans difficulté le second tour (58,55 %), mais son score baisse de 7,5 points par rapport à 2017, perdant près de 2 millions de voix. Marine Le Pen (41,45 %) en gagne plus de 2,5 millions : l’extrême droite est bel et bien devenue l’une des principales forces politiques du pays.
France : second tour des élections présidentielles de 2017 et 2022. Résultats du second tour des élections présidentielles de 2017 et 2022 (source : ministère de l'Intérieur).
En juin, les résultats des élections législatives, qui connaissent également de forts taux d’abstention, sont le reflet logique de ceux de la présidentielle. L’extrême droite confirme son implantation et obtient un nombre inédit d’élus à l’Assemblée nationale. Malgré leur implantation locale, les députés de la droite républicaine n’ont jamais été aussi peu nombreux. LFI domine une gauche dont les candidats ont pour l’essentiel été élus sous la bannière de l’alliance NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale), construite autour du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Enfin, le parti présidentiel et ses alliés, rassemblés dans l’alliance « Ensemble ! » (La République en marche [LRM], MoDem et le parti Horizons de l’ancien Premier ministre Édouard Philippe), perdent la majorité absolue à l’Assemblée. Quant aux candidats de Reconquête !, le parti d’Éric Zemmour, aucun d’entre eux ne se maintient au second tour.
France : premier tour des élections législatives de 2017 et 2022. Résultats du premier tour des élections législatives de 2017 et 2022 (source : ministère de l'Intérieur).
France : abstentions aux élections législatives depuis 1958. Abstentions aux élections législatives de 1958 à 2022 (en pourcentage des inscrits [source : ministère de l'Intérieur]).
Plusieurs figures emblématiques du parti présidentiel sont battues : le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, le président du groupe majoritaire, Christophe Castaner, ainsi que plusieurs ministres, telles Amélie de Montchalin et Brigitte Bourguignon. Le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer et l’ancien Premier ministre de François Hollande rallié à Emmanuel Macron, Manuel Valls, sont éliminés dès le premier tour.
À l’issue du second tour, il manque une trentaine d’élus à la majorité présidentielle pour atteindre la majorité absolue. Cependant, l’opposition est fragmentée. Les composantes de la NUPES choisissent de se répartir en plusieurs groupes, tandis que plusieurs personnalités de gauche comme Carole Delga (présidente de la région Occitanie) ou Stéphane Le Foll (ancien ministre de l’Agriculture de François Hollande, vaincu à la primaire socialiste par Hidalgo) dénoncent l’alliance du PS avec LFI. De son côté, le groupe LR est tiraillé entre un désir d’opposition sans concession et une approche plus pragmatique, dossier par dossier.
France : second tour des élections législatives de 2017 et 2022. Résultats du second tour des élections législatives de 2017 et 2022 (source : ministère de l'Intérieur).
Composition de l’Assemblée nationale en 2017 et 2022 à l’issue des élections législatives. Ce tableau ne tient pas compte des mouvements internes et des éventuelles vacances de siège au moment de la publication (dont invalidations par le Conseil constitutionnel, constitution et évolution des groupes parlementaires, etc. [source : ministère de l'Intérieur]).
Alors que les fondateurs de la Ve République avaient conçu l’Assemblée nationale comme une institution destinée à soutenir la politique du président de la République, les législatives de 2022 font entrer la France dans une forme de normalité démocratique. Le nouveau gouvernement ne peut s’appuyer sur une coalition parlementaire, comme c’est le cas dans la plupart des autres démocraties occidentales. Il ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, ce qui ne lui donne aucune assurance sur la façon de faire passer ses projets de loi.
Passée la période électorale, la plupart des partis politiques sont conduits à des changements internes.
À LR, affaibli par le score de sa candidate, par ses divisions internes et par le ralliement déjà ancien de plusieurs cadres à la majorité présidentielle, un renouvellement de la direction était inévitable. En juin, au lendemain du second tour des élections législatives, le président du parti, Christian Jacob, démissionne de ses fonctions – qu’il occupait depuis 2019. Laurent Wauquiez ne souhaitant pas diriger LR, le parti se retrouve sans « candidat naturel », ce qui amène le bureau politique à repousser la désignation de son nouveau président en décembre. Trois candidats prétendent à la succession de Christian Jacob. Aurélien Pradié est éliminé au premier tour, puis Éric Ciotti – par ailleurs député des Alpes-Maritimes depuis 2007 – remporte le second face à Bruno Retailleau, avec 53,7 % des suffrages exprimés (30,3 % des adhérents du parti se sont abstenus). Ce choix est révélateur du glissement d’une grande partie des militants républicains vers la droite dure – Ciotti avait en effet affirmé qu’en cas de second tour Macron-Zemmour, il voterait pour le candidat de Reconquête ! sans hésiter. De fait, LR est structurellement pris en étau entre l’extrême droite et la majorité présidentielle (qui attire les éléments les plus modérés du parti).
En septembre 2022, LRM change de nom et devient officiellement Renaissance. Il intègre les petits partis Agir et Territoires de progrès (aile gauche du parti), mais ne réalise pas le souhait initial d’Emmanuel Macron de fonder « un grand mouvement politique » incorporant les partisans d’Édouard Philippe et de François Bayrou. Le député européen Stéphane Séjourné, ancien collaborateur du président, est élu secrétaire général du nouveau parti. Celui-ci, intimement lié à la personne même d’Emmanuel Macron (il en est le président d’honneur), est porteur d’une difficulté quasi existentielle : qui sera son candidat à la prochaine élection présidentielle de 2027, puisque le président sortant ne peut se présenter une troisième fois ?
En novembre, Jordan Bardella, eurodéputé et président par intérim du RN, est élu président du parti lepéniste, avec 85 % des voix, face à son adversaire Louis Aliot. Marine Le Pen, en effet, a choisi de se consacrer à la présidence de son groupe parlementaire pour y poursuivre sa stratégie de « dédiabolisation », parfois mise à mal par les outrances verbales de certains de ses députés. Mais il semble clair, pour la fille de Jean-Marie Le Pen, que c’est désormais au Palais-Bourbon que se joue l’avenir de son parti.
En décembre, Marine Tondelier prend la tête d’EE-LV, à l’issue d’un scrutin remporté à 90,8 % des voix. Élue sur une motion de synthèse, elle espère surmonter les divisions internes nées de la campagne présidentielle, ainsi que le médiocre résultat de Yannick Jadot, tout en tournant la page de l’affaire qui a amené son prédécesseur Julien Bayou à démissionner – il a été accusé de violences psychologiques par son ex-compagne et plusieurs autres femmes.
À LFI, la question du leadership est posée de facto dès le lendemain des élections. LFI n’est pas un parti politique classique, mais un « mouvement », un « collectif » sans règlement détaillé et, tout comme le parti présidentiel, fortement tributaire de la figure de son fondateur. Or Jean-Luc Mélenchon n’est plus député et il a déclaré souhaiter « être remplacé » et ne pas être « candidat à la candidature permanente » à la présidentielle, ce qui place LFI dans une situation équivalente à celle du parti présidentiel. Qui sera la personnalité susceptible de l’incarner ? Les accusations qui, en juillet, frappent le président insoumis de la commission des finances de l’Assemblée nationale Éric Coquerel – il aurait eu des « gestes déplacés » envers une militante –, mais surtout la condamnation en décembre d’Adrien Quatennens à quatre mois de prison avec sursis pour violences sur son ex-compagne mettent le mouvement insoumis dans une position délicate, tout en privant Jean-Luc Mélenchon du successeur qu’il s’était choisi. Son soutien à Adrien Quatennens soulève en outre l’indignation de beaucoup de militantes et de militants d’un mouvement qui se veut porteur de la cause féministe.
La crise au PS se poursuit. Le ralliement à la NUPES opéré par le premier secrétaire Olivier Faure est contesté par de nombreuses figures historiques du parti, telles qu’Anne Hidalgo, Bernard Cazeneuve, Stéphane Le Foll, ainsi que par l’ancien président de la République François Hollande. L’année s’achève sur une incertitude : Olivier Faure sera-t-il reconduit à son poste par les militants au début de l’année 2023, ou le PS devra-t-il changer de stratégie ?
Après la croissance exceptionnelle de 2021 (6,8 %), due à la reprise de l’après-Covid-19, celle de l’année 2022 connaît un fort ralentissement (2,6 % selon l’estimation d’octobre de l’INSEE). Le taux de chômage, autour de 7,3 %, similaire à celui de 2021, est le plus bas qu’ait connu le pays depuis 2008. Le nombre de demandeurs d’emploi chez les jeunes et chez les plus de cinquante ans continue sa légère décrue.
Si le taux d’investissement des entreprises paraît relativement stabilisé, trois indicateurs suscitent plus d’inquiétude :
– L’inflation est en moyenne de 5,2 % en 2022, contre 1,6 % en 2021. Ce taux global dissimule toutefois des disparités importantes. Certains produits, souvent de première nécessité (pétrole, céréales, oléagineux, papier…), connaissent des augmentations beaucoup plus importantes, avec des taux à deux chiffres.
– Le commerce extérieur français, dont le solde est traditionnellement négatif, subit un déficit record en 2022. Les exportations se maintiennent à peu près, notamment dans les secteurs mécanique, agroalimentaire (blé principalement), informatique et aéronautique, en partie grâce à la reprise mondiale due à la fin de la crise de la Covid-19. Cependant, la valeur des biens importés augmente nettement, en raison notamment du renchérissement du prix de l’énergie (même si le prix du gaz retrouve ses niveaux de début d’année dès le mois de décembre) et de certaines matières premières, ce qui accroît le déficit. L’année 2022 est une sorte d’année blanche pour le commerce extérieur français.
– Troisième élément préoccupant, la dégradation des comptes publics. D’après l’INSEE, la dette publique s’établirait en fin d’année à plus de 2 960 milliards d’euros (près de 115 % du PIB, contre un peu moins de 60 % en 2000), soit une augmentation de 40 milliards par rapport à 2021, ce qui accroît encore le déficit budgétaire, la charge de la dette étant estimée à environ 50 milliards d’euros. Cet accroissement est largement attribuable au soutien à l’activité et aux ménages pendant la pandémie de Covid-19, mais aussi à des facteurs structurels. Cependant, selon les prévisions du gouvernement, le déficit public (État et collectivités territoriales) devrait s’établir à 5 % du PIB en 2022, ce qui représenterait une baisse notable, puisqu’il était d’environ 6,4 % en 2021. Outre le fait que la Cour des comptes estime cette prévision entachée de « nombreux aléas », le déficit du budget de l’État (sans les collectivités territoriales) atteindrait 171 milliards d’euros (soit à peu près le même qu’en 2021). Les mesures de soutien à l’activité, de compensation du prix de l’énergie, ainsi que l’augmentation des salaires dans la fonction publique (liée à l’inflation) et de la charge de la dette, ne permettent pas d’envisager une inversion de tendance à brève échéance.
Enfin, la grande pauvreté touche plus de 2 millions de personnes en France. Elle continue de frapper en particulier les chômeurs de longue durée, les familles monoparentales, les jeunes et les populations urbaines. Elle impacte de manière encore plus dramatique les territoires ultramarins.
En mai 2022, après l’élection présidentielle, Élisabeth Borne est nommée Première ministre. Issue de la gauche, cette ancienne ministre d’Édouard Philippe et de Jean Castex a su s’imposer comme une ministre clé du premier quinquennat Macron. Son gouvernement s’inscrit dans la continuité du précédent. Le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti conservent leurs portefeuilles. Cependant, Jean-Yves Le Drian, personnalité centrale des gouvernements de François Hollande (ministère de la Défense) et d’Emmanuel Macron (Quai d’Orsay), quitte le gouvernement et est remplacé par la diplomate Catherine Colonna. Sébastien Lecornu succède à Florence Parly au ministère des Armées. Le gouvernement est remanié en juillet, ce qui permet de remplacer plusieurs ministres battus aux élections législatives (Jean-Michel Blanquer, Brigitte Bourguignon, Amélie de Montchalin…), l’universitaire Pap Ndiaye devenant ministre de l’Éducation nationale. Force est de constater que ces deux gouvernements Borne ne comportent aucune nouvelle figure politique de poids.
Après un premier semestre dominé par les échéances électorales, et malgré l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale, le gouvernement entend mener à bien le programme de réformes du président de la République. Dans ce cadre, celui-ci crée en septembre un Conseil national de la refondation (CNR), organisme présidé par François Bayrou et chargé d’organiser un débat participatif national et local sur les principaux domaines dans lesquels des réformes sont envisagées. Flanqué d’un site Internet destiné à la consultation citoyenne, il est censé réunir des experts, des représentants de la société civile et l’ensemble des forces politiques et syndicales du pays. Cependant, les partis de l’opposition refusent d’y participer, ainsi que la plupart des syndicats de salariés, à l’exception de la CFDT, de la CFTC et de l’UNSA.
Au cours de l’automne, le gouvernement travaille sur plusieurs projets de réformes qui devraient être présentés au Parlement l’année suivante : une loi de programmation militaire, au regard de la situation ouverte par la guerre russo-ukrainienne ; une loi sur l’amélioration de la justice du quotidien, censée tenir compte du rapport remis en juillet au garde des Sceaux et dressant la synthèse des États généraux de la justice (octobre 2021-avril 2022)… Annoncée par le président en septembre, une Convention citoyenne sur la fin de vie ouvre ses travaux en décembre et doit rendre ses conclusions en mars 2023. En novembre, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et le ministre du Travail Olivier Dussopt annoncent un projet de loi sur l’immigration prévoyant notamment de créer un titre de séjour « métiers en tension » à l’intention de certains travailleurs sans papiers déjà présents sur le territoire français et d’appliquer plus efficacement les mesures d’éloignement (expulsions) du territoire français. Enfin, un projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur prévoit le recrutement de 8 500 policiers et gendarmes sur cinq ans et la départementalisation de la police nationale...
D’ores et déjà, le gouvernement sait que l’adoption de ces réformes ne se fera pas sans peine. En effet, entre le 10 octobre et le 15 décembre, Élisabeth Borne doit recourir dix fois au désormais fameux « 49-3 » (art. 49, al. 3 de la Constitution) pour faire adopter la loi de finances pour 2023. Cet article permet en effet au gouvernement de faire passer son texte sans vote du Parlement, à condition qu’aucune motion de censure ne soit adoptée par l’Assemblée nationale. Mais, en dehors des lois de finances et de financement de la Sécurité sociale, la Première ministre ne peut recourir à cette procédure que pour une seule loi par session parlementaire. Cela contraint par avance le gouvernement à négocier ses textes au cas par cas avec les oppositions. Tel pourrait être le cas pour la réforme des retraites. Ajournée au début de la crise de la Covid-19, annoncée comme la réforme phare du second quinquennat Macron pendant la campagne présidentielle, elle prévoit désormais un recul de l’âge de départ à la retraite à taux plein (fixé jusque-là à 62 ans, depuis 2011).
Le projet suscite déjà en fin d’année la contestation des organisations syndicales de salariés, mobilisées depuis plusieurs mois sur la question du pouvoir d’achat et déjà échaudées par la réforme de l’assurance-chômage (votée en décembre, elle prévoit notamment de moduler la durée d’indemnisation en fonction de l’état du marché de l’emploi, un décret devant diminuer la période indemnisée quand le taux de chômage est inférieur à 9 %, ce qui est le cas cette année). Les tensions sociales se sont en effet succédé au cours de l’automne – blocage des dépôts d’essence en octobre, grève de la RATP en novembre, des contrôleurs SNCF en décembre. La presse et les réseaux sociaux ont relayé les difficultés de commerçants confrontés à des augmentations vertigineuses de leurs factures d’électricité. La crise du système de santé s’est étendue au-delà de l’hôpital – grève des laboratoires d’analyses en novembre, des médecins généralistes en décembre. Le gouvernement, qui n’a pas oublié l’épisode des gilets jaunes, redoute sans doute une cristallisation des mécontentements en 2023.
La politique étrangère et européenne de la France est dominée par le conflit russo-ukrainien à partir de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. Pour tenter d’éviter l’escalade militaire, Emmanuel Macron avait rencontré Vladimir Poutine à Moscou le 7 février, puis le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Kiev le lendemain. Après ces vaines tentatives et le déclenchement du conflit par la Russie, Emmanuel Macron – qui avait plaidé en 2019 pour une « architecture de sécurité et de confiance entre l’Union européenne (UE) et la Russie » – est contraint de changer de cap. Avec les autres pays de l’UE, la France renforce ses sanctions contre la Russie et se range au côté de l’Ukraine, où le président se rend en visite officielle en compagnie de ses homologues roumain, italien et allemand, le 16 juin, afin d’assurer les Ukrainiens du soutien de l’Union.
Plusieurs déclarations du président français – « Le peuple ukrainien et le peuple russe sont des peuples frères », « Il ne faut pas humilier la Russie », « Qu’est-ce qu’on est prêt à faire pour donner des garanties pour sa propre sécurité à la Russie le jour où elle reviendra à la table des négociations ? » – ont indisposé l’Ukraine et ses alliés d’Europe centrale et orientale. Cependant, dans les faits, son soutien à l’Ukraine est indiscutable : livraisons d’armes et en particulier de canons Caesar, aides financières, organisation en décembre d’une Conférence bilatérale pour la résilience et la reconstruction de l’Ukraine… La France a également affirmé son soutien à l’intégrité territoriale de l’Ukraine – incluant la Crimée –, ainsi qu’à la création d’un tribunal spécial destiné à juger les crimes commis par la Russie en Ukraine. Enfin, le 20 septembre, le président a prononcé un discours devant l’Assemblée générale des Nations unies, dans lequel il a essayé de convaincre les pays tentés par le non-alignement de rejoindre le camp occidental.
La guerre a cependant révélé les limites de l’équipement militaire français, la disponibilité technique opérationnelle (DTO) de certaines catégories de matériel se montrant insuffisante dans un certain nombre de scénarios prospectifs. Ce problème avait déjà été signalé par de hauts responsables militaires dans le contexte des opérations de la France au Sahel. La future loi de programmation militaire devrait en tenir compte. Lors du Salon international de défense et de sécurité Eurosatory, le 13 juin, Emmanuel Macron a évoqué l’« entrée dans une économie de guerre ». Un texte législatif permettant « de réquisitionner, dans certaines circonstances, des matériaux ou des entreprises civiles à des fins militaires » serait d’ailleurs envisagé d’après le journal Le Monde (13 juin).
Au cours du premier semestre, la guerre a en partie occulté les résultats obtenus lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, notamment dans les domaines de la protection de l’environnement – avec l’adoption du « paquet climat » (mise en place d’une taxe carbone aux frontières, fin de la vente de véhicules thermiques neufs en 2035…) et la mise en place d’un instrument européen de lutte contre la « déforestation importée » –, ainsi que dans les domaines numérique ou sociaux (adoption d’une « directive sur les salaires minimaux adéquats »). En outre, en octobre et à l’initiative du président français, s’est tenu à Prague le premier sommet de la Communauté politique européenne, qui rassemblait 44 chefs d’État et de gouvernement, soit la totalité des pays européens, à l’exception de la Russie et de la Biélorussie.
Le président français reste présent sur d’autres fronts de la politique étrangère. En août, il effectue un déplacement en Algérie. En novembre, il se rend à Bali au sommet du G20, puis à Bangkok à la conférence de l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation), qui convie pour la première fois un pays européen, et enfin à Djerba au Sommet de la francophonie. Du 29 novembre au 2 décembre, il effectue une visite d’État à Washington, afin de réaffirmer la solidité de l’alliance franco-américaine dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne, mais aussi pour mettre fin à la crise diplomatique ouverte en 2021 par l’annulation du « contrat du siècle » (la vente de sous-marins français à l’Australie). Le président français fait également part de ses réserves sur l’Inflation Reduction Act (plan de soutien massif à la transition énergétique), qu’il accuse de fausser la concurrence internationale en favorisant les entreprises des États-Unis.
À l’issue de l’année 2022, l’exécutif reste confronté à de nombreux défis, tant nationaux qu’internationaux. L’avenir dira s’il sait ouvrir des perspectives à une société française confrontée à une crise économique difficile, tout en réaffirmant le rôle de la France sur la scène internationale.
Le gouvernement français et le président ont tardé à reconnaître le danger représenté par le régime de Poutine. L’invasion de l’Ukraine à partir du 24 février 2022 a été pour eux un rappel brutal au principe de réalité. Leur position ambiguë, qui s’est en partie maintenue au début du conflit, a divisé les partenaires européens de la France. En apportant un soutien de plus en plus ferme à l’Ukraine, Emmanuel Macron a commencé à rétablir la crédibilité de Paris sur la scène internationale. Encore lui reste-t-il à construire un véritable leadership français face à l’agression russe.
Divisée, frappée par les difficultés sociales, la France est gagnée par le désarroi. Alors que le rejet tous azimuts des « élites » devient le programme de nombre de politiques et qu’une partie croissante de la population se détourne des urnes, il semble chaque jour plus urgent de soigner les maux réels des Français. Le niveau de l’enseignement se dégrade – le ministre de l’Éducation nationale l’a officiellement constaté en décembre –, la crise du système de santé s’amplifie, la baisse du pouvoir d’achat s’accélère, la grande pauvreté et la crise du logement restent sans solution… L’impuissance des responsables politiques face à ces problèmes déjà anciens nourrit le radicalisme d’une partie des Français. Ceux-ci se plaignent de la dégradation des services publics, mais le gouvernement maintient ses ambitions de diminution de la dépense publique. Aussi, le risque d’une déconnexion entre le pays et son exécutif s’amplifie-t-il, d’autant que la réforme des retraites, programmée pour 2023, ajoutera son lot de contraintes supplémentaires pour beaucoup de nos concitoyens, nourrissant ainsi un sentiment croissant d’injustice sociale.
Enfin, la France a désormais pris conscience de certaines réalités économiques et écologiques douloureuses. La crise de la Covid-19 et la guerre russo-ukrainienne lui ont appris à quel point l’économie européenne était dépendante de pays désormais hostiles ou potentiellement inamicaux. Le président de la République dit vouloir diminuer la dépendance de la France aux importations énergétiques. C’est en tout cas l’une des ambitions du plan « France 2030 », qui prévoit le développement de la production d’énergie, renouvelable et nucléaire, sur le territoire national, ainsi qu’une réindustrialisation orientée vers la transition écologique. La modernisation de notre appareil de défense, si elle est mise en œuvre avec sérieux, pourrait aussi avoir des retombées civiles. Cependant, les crédits alloués à la recherche restent insuffisants et les contraintes bureaucratiques importantes et chronophages. Le renouvellement de l’industrie française en est à ses balbutiements.