Othello, le Maure de Venise - William Shakespeare - E-Book

Othello, le Maure de Venise E-Book

William Shakespeare

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"Othello, le Maure de Venise, est une tragédie captivante écrite par le célèbre dramaturge anglais William Shakespeare. Publiée pour la première fois en 1622, cette pièce explore les thèmes universels de la jalousie, de la manipulation et de la trahison.
L'histoire se déroule à Venise, une ville réputée pour sa richesse et sa diversité culturelle. Othello, un général maure respecté et aimé, se marie secrètement avec Desdémone, une jeune et belle Vénitienne. Cependant, leur bonheur est rapidement menacé par Iago, un subalterne jaloux et machiavélique.
Iago, animé par sa propre amertume et sa soif de vengeance, ourdit un plan diabolique pour détruire Othello et sa relation avec Desdémone. Il manipule les autres personnages, semant le doute et la méfiance dans l'esprit d'Othello. Pris au piège de ses propres pensées obsédantes, Othello succombe à la jalousie et se laisse entraîner dans une spirale destructrice.
Le drame se déroule avec une intensité croissante, mettant en lumière les conséquences dévastatrices de la manipulation et de la méfiance aveugle. Shakespeare explore également des thèmes tels que le racisme, la confiance et la fragilité de l'amour.
Othello, le Maure de Venise, est une pièce qui continue de fasciner les lecteurs et les spectateurs du monde entier. Les personnages complexes, les dialogues poétiques et les rebondissements dramatiques en font une œuvre incontournable de la littérature shakespearienne. Plongez dans cette tragédie captivante et découvrez les sombres méandres de l'âme humaine.


Extrait : ""DESDEMONA : Mon noble père, je vois ici un double devoir pour moi. A vous je dois la vie et l'éducation, et ma vie et mon éducation m'apprennent également à vous respecter. Vous êtes mon seigneur selon le devoir… Jusque-là je suis votre fille. (Montrant Othello.) Mais voici mon mari ! Et autant ma mère montra de dévouement pour vous, en vous préférant à son père même, autant je prétends en témoigner légitimement au Maure, mon seigneur."""

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Seitenzahl: 161

Veröffentlichungsjahr: 2015

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Personnages

OTHELLO : le Maure de Venise

BRABANTIO : père de Desdémona.

CASSIO : lieutenant honorable.

IAGO : un scélérat

RODERIGO : gentilhomme dupe.

LE DOGE DE VENISE.

SÉNATEURS.

MONTANO : gouverneur de Chypre.

GENTILSHOMMES DE CHYPRE.

LODOVICO ET GRATIANO : nobles vénitiens.

MATELOTS.

LE CLOWN.

 

DESDÉMONA : femme d’Othello.

ÉMILIA : femme d’Iago.

BIANCA : courtisane

 

La scène est d’abord à Venise, puis dans l’île de Chypre.

Scène I

Venise. Une place sur laquelle est située la maison de Brabantio. Il fait nuit.

Arrivent Roderigo et Iago.

RODERIGO

Fi ! ne m’en parle pas. Je suis fort contrarié que toi, Iago, qui as usé de ma bourse, comme si les cordons t’appartenaient, tu aies eu connaissance de cela.

IAGO

Tudieu ! mais vous ne voulez pas m’entendre. Si jamais j’ai songé à pareille chose, exécrez-moi.

RODERIGO

Tu m’as dit que tu le haïssais.

IAGO

Méprisez-moi, si ce n’est pas vrai. Trois grands de la Cité vont en personne, pour qu’il me fasse son lieutenant, le solliciter, chapeau bas, et, foi d’homme, je sais mon prix, je ne mérite pas un grade moindre. Mais lui, entiché de son orgueil et de ses idées, répond évasivement, et, dans un jargon ridicule, bourré de termes de guerre, il éconduit mes protecteurs. En vérité, dit-il, j’ai déjà choisi mon officier. Et quel est cet officier ? Morbleu, c’est un grand calculateur, un Michel Cassio, un Florentin, un garçon presque condamné à la vie d’une jolie femme, qui n’a jamais rangé en bataille un escadron, et qui ne connaît pas mieux la manœuvre qu’une donzelle, ne possédant que la théorie des bouquins, sur laquelle les robins bavards peuvent disserter aussi magistralement que lui. N’importe ! à lui la préférence ! Un babil sans pratique est tout ce qu’il a de militaire. Et moi, qui, sous les yeux de l’autre, ai fait mes preuves à Rhodes, à Chypre et dans maints pays chrétiens et païens, il faut que je reste en panne et que je sois dépassé par un teneur de livres, un faiseur d’additions ! C’est lui, au moment venu, qu’on doit faire lieutenant, et moi, je reste l’enseigne (titre que Dieu bénisse !) de sa seigneurie maure.

RODERIGO

Par le ciel, j’eusse préféré être son bourreau.

IAGO

Pas de remède à cela, c’est la plaie du service. L’avancement se fait par apostille et par faveur, et non d’après la vieille gradation qui fait du second l’héritier du premier. Maintenant, monsieur, jugez vous-même si je suis engagé par de justes raisons à aimer le Maure.

RODERIGO

Moi, je ne resterais pas sous ses ordres.

IAGO

Oh ! rassurez-vous, monsieur. Je n’y reste que pour servir mes projets sur lui. Nous ne pouvons pas tous être les maîtres, et les maîtres ne peuvent pas tous être fidèlement servis. Vous remarquerez beaucoup de ces marauds, humbles et agenouillés qui, raffolant de leur obséquieux servage s’échinent, leur vie durant, comme l’âne de leur maître, rien que pour avoir la pitance. Se font-ils vieux ? on les chasse : fouettez-moi ces honnêtes drôles !… Il en est d’autres qui, tout en affectant les formes et les visages du dévouement, gardent dans leur cœur la préoccupation d’eux-mêmes, et qui, ne jetant à leur seigneur que des semblants de dévouement, prospèrent à ses dépens, puis, une fois leurs habits bien garnis, se font hommage à eux-mêmes. Ces gaillards-là ont quelque cœur, et je suis de leur nombre, je le confesse. En effet, seigneur, aussi vrai que vous êtes Roderigo, si j’étais le Maure, je ne voudrais pas être Iago. En le servant, je ne sers que moi-même. Ce n’est, le ciel m’est témoin, ni l’amour ni le devoir qui me font agir, mais, sous leurs dehors, mon intérêt personnel. Si jamais mon action visible révèle l’acte et l’idée intimes de mon âme par une démonstration extérieure, le jour ne sera pas loin où je porterai mon cœur sur ma manche, pour le faire becqueter aux corneilles… Je ne suis pas ce que je suis.

RODERIGO

Quel bonheur a l’homme aux grosses lèvres pour réussir ainsi !

IAGO

Appelez le père, réveillez-le, et mettez-vous aux trousses de l’autre. Empoisonnez sa joie. Criez son nom dans les rues. Mettez en feu les parents, et, quoiqu’il habite sous un climat favorisé, criblez-le de moustiques. Si son bonheur est encore du bonheur, altérez-le du moins par tant de tourments qu’il perde son éclat.

RODERIGO

Voici la maison du père ; je vais l’appeler tout haut.

IAGO

Oui, avec un accent d’effroi, avec un hurlement terrible, comme quand, par une nuit de négligence, l’incendie est signalé dans une cité populeuse.

RODERIGO, sous les fenêtres de la maison de Brabantio.

Holà ! Brabantio ! Signor Brabantio ! Holà !

IAGO

Éveillez-vous ! Holà ! Brabantio ! Au voleur ! au voleur ! au voleur ! Ayez l’œil sur votre maison, sur votre fille et sur vos sacs ! Au voleur ! au voleur !

BRABANTIO, paraissant à une fenêtre.

Quelle est la raison de cette terrible alerte ? De quoi s’agit-il ?

RODERIGO

Signor, toute votre famille est-elle chez vous ?

IAGO

Vos portes sont-elles fermées ?

BRABANTIO

Pourquoi ? dans quel but me demandez-vous cela ?

IAGO

Sangdieu ! monsieur, vous êtes volé. Par pudeur, passez votre robe ! Votre cœur est déchiré : vous avez perdu la moitié de votre âme ! Juste en ce moment, en ce moment, en ce moment même, un vieux bélier noir est monté sur votre blanche brebis. Levez-vous, levez-vous ! Éveillez à son de cloche les citoyens en train de ronfler, ou autrement le diable va faire de vous un grand-papa. Levez-vous, vous dis-je.

BRABANTIO

Quoi donc ? avez-vous perdu l’esprit ?

RODERIGO

Très révérend signor, est-ce que vous ne reconnaissez pas ma voix ?

BRABANTIO

Non. Qui êtes-vous ?

RODERIGO

Mon nom est Roderigo.

BRABANTIO

Tu n’en es que plus mal venu. Je t’ai défendu de rôder autour de ma porte ; tu m’as entendu dire en toute franchise que ma fille n’est pas pour toi ; et voici qu’en pleine folie, rempli du souper et des boissons qui te dérangent, tu viens, par une méchante bravade, alarmer mon repos.

RODERIGO

Monsieur ! Monsieur ! Monsieur ! Monsieur !

BRABANTIO

Mais tu peux être sûr que ma colère et mon pouvoir sont assez forts pour te faire repentir de ceci.

RODERIGO

Patience, mon bon monsieur.

BRABANTIO

Que me parlais-tu de vol ? Nous sommes ici à Venise : ma maison n’est point une grange abandonnée.

RODERIGO

Très grave Brabantio, je viens à vous, dans toute la simplicité d’une âme pure.

IAGO

Pardieu, monsieur, vous êtes de ces gens qui refuseraient de servir Dieu, si le diable le leur disait. Parce que nous venons vous rendre un service, vous nous prenez pour des chenapans, et vous laissez couvrir votre fille par un cheval de Barbarie ! Vous voulez avoir des étalons pour cousins et des genets pour alliés !

BRABANTIO

Quel misérable païen es-tu donc, toi ?

IAGO

Je suis, monsieur, quelqu’un qui vient vous dire que votre fille et le Maure sont en train de faire la bête à deux dos.

BRABANTIO

Tu es un manant.

IAGO

Vous êtes… un sénateur.

BRABANTIO, à Roderigo.

Tu me répondras de ceci ! Je te connais, toi, Roderigo !

RODERIGO

Monsieur, je vous répondrai de tout. Mais, de grâce, une question. Est-ce d’après votre désir et votre consentement réfléchi, comme je commence à le croire, que votre charmante fille, à cette heure indue, par une nuit si épaisse, est allée, sous la garde pure et simple d’un maraud de louage, d’un gondolier, se livrer aux étreintes grossières d’un Maure lascif ? Si cela est connu et permis par vous, alors nous avons eu envers vous le tort d’une impudente indiscrétion. Mais, si cela se passe à votre insu, mon savoir-vivre me dit que nous recevons à tort vos reproches. Ne croyez pas que, m’écartant de toute civilité, j’aie voulu jouer et plaisanter avec votre honneur ! Votre fille, si vous ne l’avez pas autorisée, je le répète, a fait une grosse révolte, en attachant ses devoirs, sa beauté, son esprit, sa fortune, à un vagabond, à un étranger qui a roulé ici et partout. Édifiez-vous par vous-même tout de suite. Si elle est dans sa chambre et dans votre maison, faites tomber sur moi la justice de l’État pour vous avoir ainsi abusé.

BRABANTIO, à l’intérieur.

Battez le briquet ! holà ! Donnez-moi un flambeau ! Appelez tous mes gens !… Cette aventure n’est pas en désaccord avec mon rêve ; la croyance à sa réalité m’oppresse déjà. De la lumière, dis-je ! de la lumière !

Il se retire de la fenêtre.

IAGO, à Roderigo.

Adieu. Il faut que je vous quitte. Il ne me paraît ni opportun, ni sain, dans mon emploi, d’être assigné, comme je le serais en restant, pour déposer contre le Maure ; car, je le sais bien, quoique ceci puisse lui attirer quelque cuisante mercuriale, l’État ne peut pas se défaire de lui sans danger. Il est engagé, par des raisons si impérieuses, dans la guerre de Chypre qui se poursuit maintenant, que, s’agît-il du salut de leurs âmes, nos hommes d’État n’en trouveraient pas un autre à sa taille pour mener leurs affaires. En conséquence, bien que je le haïsse à l’égal des peines de l’enfer je dois, pour les nécessités du moment, arborer les couleurs, l’enseigne de l’affection, pure enseigne, en effet !… Afin de le découvrir sûrement, dirigez les recherches vers le Sagittaire. Je serai là avec lui. Adieu donc !

Il s’en va.

Brabantio arrive suivi de gens portant des torches.

BRABANTIO

Le mal n’est que trop vrai : elle est partie ! Et ce qui me reste d’une vie méprisable n’est plus qu’amertume… Maintenant, Roderigo, où l’as-tu vue ?… Oh ! malheureuse fille ! Avec le Maure, dis-tu ?… Qui voudrait être père, à présent ? Comment l’as-tu reconnue ?… Oh ! elle m’a trompée incroyablement !… Que t’a-t-elle dit, à toi ?… D’autres flambeaux ! Qu’on réveille tous mes parents !… Sont-ils mariés, crois-tu ?

RODERIGO

Oui, sans doute, je le crois.

BRABANTIO

Ciel ! comment a-t-elle échappé ? Ô trahison du sang ! Pères, à l’avenir, ne vous rassurez pas sur l’esprit de vos filles, d’après ce que vous leur verrez faire… N’y a-t-il pas de sortilèges au moyen desquels les facultés de la jeunesse et de la virginité peuvent être déçues ? N’as-tu pas lu, Roderigo, quelque chose comme cela ?

RODERIGO

Oui, monsieur, certainement.

BRABANTIO

Éveillez mon frère !… Que ne te l’ai-je donnée ! Que ceux-ci prennent une route, ceux-là, une autre !

À Roderigo.

Savez-vous où nous pourrions les surprendre, elle et le Maure ?

RODERIGO

Je crois que je puis le découvrir, si vous voulez prendre une bonne escorte et venir avec moi.

BRABANTIO

De grâce, conduisez-nous. Je vais frapper à toutes les maisons ; je puis faire sommation, au besoin.

À ses gens.

Armez-vous, holà ! et appelez des officiers de nuit spéciaux ! En avant, mon bon Roderigo, je vous dédommagerai de vos peines.

Tous s’en vont.

Scène II

Venise. La place de l’Arsenal. Il fait toujours nuit.

Entrent Iago, Othello et plusieurs domestiques.

IAGO

Bien que j’aie tué des hommes au métier de la guerre, je regarde comme l’étoffe même de la conscience de ne pas commettre de meurtre prémédité ; je ne sais pas être inique parfois pour me rendre service : neuf ou dix fois, j’ai été tenté de le trouer ici, sous les côtes.

OTHELLO

Les choses sont mieux ainsi.

IAGO

Non, mais il bavardait tant ! il parlait en termes si ignobles et si provocants contre Votre Honneur, qu’avec le peu de sainteté que vous me connaissez, j’ai eu grand-peine à le ménager. Mais, de grâce monsieur, êtes-vous solidement marié ? Soyez sûr que ce Magnifique est très aimé : il a, par l’influence, une voix aussi puissante que celle du doge. Il vous fera divorcer. Il vous opposera toutes les entraves, toutes les rigueurs pour lesquelles la loi, tendue de tout son pouvoir, lui donnera de la corde.

OTHELLO

Laissons-le faire selon son dépit. Les services que j’ai rendus à Sa Seigneurie parleront plus fort que ses plaintes. On ne sait pas tout encore : quand je verrai qu’il y a honneur à s’en vanter, je révélerai que je tiens la vie et l’être d’hommes assis sur un trône ; et mes mérites pourront répondre la tête haute à la fière fortune que j’ai conquise. Sache-le bien, Iago, si je n’aimais pas la gentille Desdémona, je ne voudrais pas restreindre mon existence, libre sous le ciel, au cercle d’un intérieur, non, pour tous les trésors de la mer. Mais vois donc ! quelles sont ces lumières là-bas ?

Cassio et plusieurs officiers portant des torches apparaissent à distance.

IAGO

C’est le père et ses amis qu’on a mis sur pied. Vous feriez bien de rentrer.

OTHELLO

Non pas : il faut que l’on me trouve. Mon caractère, mon titre, ma conscience intègre me montreront tel que je suis. Sont-ce bien eux ?

IAGO

Par Janus, je crois que non.

OTHELLO, s’approchant des nouveaux venus.

Les gens du doge et mon lieutenant ! Que la nuit vous soit bonne, mes amis ! Quoi de nouveau ?

CASSIO

Le doge vous salue, général, et réclame votre comparution immédiate.

OTHELLO

De quoi s’agit-il, à votre idée ?

CASSIO

Quelque nouvelle de Chypre, je suppose : c’est une affaire qui presse. Les galères ont expédié une douzaine de messagers qui ont couru toute la nuit, les uns après les autres. Déjà beaucoup de nos conseils se sont levés et réunis chez le doge. On vous a réclamé ardemment ; et, comme on ne vous a pas trouvé à votre logis, le sénat a envoyé trois escouades différentes à votre recherche.

OTHELLO

Il est heureux que j’aie été trouvé par vous. Je n’ai qu’un mot à dire ici, dans la maison.

Il montre le Sagittaire.

Et je pars avec vous.

Il s’éloigne et disparaît.

CASSIO

Enseigne, que fait-il donc là ?

IAGO

Sur ma foi, il a pris à l’abordage un galion de terre ferme. Si la prise est déclarée légale, sa fortune est faite à jamais.

CASSIO

Je ne comprends pas.

IAGO

Il est marié.

CASSIO

À qui donc ?

IAGO

Marié à…

Othello revient.

IAGO

Allons, général, voulez-vous venir ?

OTHELLO

Je suis à vous.

CASSIO

Voici une autre troupe qui vient vous chercher.

Entrent Brabantio, Roderigo et des officiers de nuit, armés et partant des torches.

IAGO

C’est Brabantio : général, prenez garde. Il vient avec de mauvaises intentions.

OTHELLO

Holà ! arrêtez.

RODERIGO, à Brabantio.

Seigneur, voici le Maure.

BRABANTIO, désignant Othello.

Sus au voleur !

Ils dégainent des deux côtés.

IAGO

C’est vous. Roderigo ? Allons, monsieur, à nous deux !

OTHELLO

Rentrez ces épées qui brillent : la rosée pourrait les rouiller.

À Brabantio.

Bon signor, vous aurez plus de pouvoir avec vos années qu’avec vos armes.

BRABANTIO

Ô toi ! hideux voleur, où as-tu recélé ma fille ? Damné que tu es, tu l’as enchantée !… En effet, je m’en rapporte à tout être de sens : si elle n’était pas tenue à la chaîne de la magie, est-ce qu’une fille si tendre, si belle, si heureuse, si opposée au mariage qu’elle repoussait les galants les plus somptueux et les mieux frisés du pays, aurait jamais, au risque de la risée générale, couru de la tutelle de son père au sein noir de suie d’un être comme toi, fait pour effrayer et non pour plaire ? Je prends tout le monde pour juge. Ne tombe-t-il pas sous le sens que tu as pratiqué sur elle tes charmes hideux et abusé sa tendre jeunesse avec des drogues ou des minéraux qui éveillent le désir ? Je ferai examiner ça. La chose est probable et palpable à la réflexion. En conséquence, je t’appréhende et je t’empoigne comme un suborneur du monde, comme un adepte des arts prohibés et hors la loi.

À ses gardes.

Emparez-vous de lui ; s’il résiste, maîtrisez-le à ses risques et périls.

OTHELLO

Retenez vos bras, vous, mes partisans, et vous, les autres ! Si ma réplique devait être à coups d’épée, je me la serais rappelée sans souffleur.

À Brabantio.

Où voulez-vous que j’aille pour répondre à votre accusation ?

BRABANTIO

En prison ! jusqu’à l’heure rigoureuse où la loi, dans le cours de sa session régulière, t’appellera à répondre.

OTHELLO

Et, si je vous obéis, comment pourrai-je satisfaire le doge, dont les messagers, ici rangés à mes côtés, doivent, pour quelque affaire d’État pressante, me conduire jusqu’à lui ?

UN OFFICIER, à Brabantio.

C’est vrai, très digne signor, le doge est en conseil, et votre excellence elle-même a été convoquée, j’en suis sûr.

BRABANTIO

Comment ! le doge en conseil ! à cette heure de nuit !… Emmenez-le. Ma cause n’est point frivole : le doge lui-même et tous mes frères du sénat ne peuvent prendre ceci que comme un affront personnel. Car, si de telles actions peuvent avoir un libre cours, des serfs et des païens seront bientôt nos gouvernants !

Ils s’en vont.

Scène III

Venise. La salle du conseil.

Le doge et les sénateurs sont assis autour d’une table. Au fond se tiennent les officiers de service.

LE DOGE

Il n’y a pas dans ces nouvelles assez d’harmonie pour y croire.

PREMIER SÉNATEUR

En effet, elles sont en contradiction. Mes lettres disent cent sept galères.

LE DOGE

Et les miennes, cent quarante.

DEUXIÈME SÉNATEUR

Et les miennes, deux cents. Bien qu’elles ne s’accordent pas sur le chiffre exact (vous savez que les rapports fondés sur des conjectures ont souvent des variantes), elles confirment toutes le fait d’une flotte turque se portant sur Chypre.

LE DOGE

Oui, cela suffit pour former notre jugement. Je ne me laisse pas rassurer par les contradictions, et je vois le fait principal prouvé d’une terrible manière.

UN MATELOT, au-dehors.

Holà ! holà ! holà !

Entre un OFFICIER suivi d’un matelot.

L’OFFICIER

Un messager des galères !

LE DOGE

Eh bien ! qu’y a-t-il ?

LE MATELOT

L’expédition turque appareille pour Rhodes ; c’est ce que je suis chargé d’annoncer au gouvernement par le seigneur Angelo.

LE DOGE, aux sénateurs.

Que dites-vous de ce changement ?

PREMIER SÉNATEUR

Il n’a pas de motif raisonnable. C’est une feinte pour détourner notre attention. Considérons la valeur de Chypre pour le Turc ; comprenons seulement que cette île est pour le Turc plus importante que Rhodes, et qu’elle lui est en même temps plus facile à emporter, puisqu’elle n’a ni l’enceinte militaire ni aucun moyen de défense dont Rhodes est investie : songeons à cela et nous ne pourrons pas croire que le Turc fasse la faute de renoncer à la conquête qui l’intéresse le plus et de négliger une attaque d’un succès facile pour provoquer et risquer un danger sans profit.

LE DOGE

Non, à coup sûr, ce n’est pas à Rhodes qu’il en veut.

UN OFFICIER

Voici d’autres nouvelles.

Entre un Messager.

LE MESSAGER

Révérends et gracieux seigneurs, les Ottomans, après avoir gouverné tout droit sur l’île de Rhodes, ont été ralliés là par une flotte de réserve.

PREMIER SÉNATEUR

C’est ce que je pensais… Combien de bâtiments, à votre calcul ?

LE MESSAGER