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Roman de l'imaginaire enfantin. Histoire d'un enfant qui ne veut pas grandir et qui refuse le monde des adultes. Il participe à de folles aventures contre les indiens, les pirates...
À PROPOS DE L'AUTEUR
James Matthew Barrie, plus connu sous la signature de J. M. Barrie, 1er baronnet, né le 9 mai 1860 à Kirriemuir (Écosse) et mort le 19 juin 1937 à Marylebone (Londres, Angleterre) est un écrivain et dramaturge écossais, célèbre pour avoir créé le personnage de Peter Pan
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Seitenzahl: 262
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Peter Pan & Wendy
J.M. BARRIE
Tous les enfants grandissent, à l'exception d’un seul. Ils savent très vite qu’ils vont grandir, et voici comment Wendy l’a su. Un jour, alors qu’elle avait deux ans, en jouant dans le jardin, elle à cueilli une fleur et a couru en la portant, vers sa mère. Je suppose qu’elle devait avoir l’air adorable, car Mrs Darling à mis la main sur son cœur et s’est écriée : « Oh ! Pourquoi ne peux-tu rester comme ça pour toujours ? » C’est tout ce qui s’est passé entre elles à ce sujet, mais Wendy savait désormais qu’elle devait grandir. Quand vous atteignez deux ans, vous le savez toujours. Deux ans, c’est le début de la fin. Ils habitaient au n° 14, et jusqu’à l’arrivée de Wendy, c’est sa mère qui était le personnage principal de la famille. C’était une femme charmante, à l'esprit romantique et à la bouche douce et moqueuse. Son esprit romanesque ressemblait à ces petites boîtes gigognes, provenant des contrées mystérieuses de l’Est : quel que soit le nombre que l’on découvre, il y en a toujours une de plus ; et sa douce bouche moqueuse portait un baiser que Wendy n’avait jamais pu obtenir, bien qu’il soit là, parfaitement visible, dans le coin droit.
Voici comment Mr Darling a obtenu sa main : les nombreux messieurs qui avaient été de jeunes garçons à l’époque où elle était jeune fille ont découvert en même temps qu'ils l’aimaient. Tous ont couru chez elle pour la demander en mariage, sauf Mr Darling, qui a pris un fiacre et est arrivé le premier : c’est ainsi qu’il a pu l'épouser. Il a tout obtenu d’elle, sauf la petite boîte du milieu et le baiser. Il n’a jamais su pour la boîte, et avec le temps, il a abandonné l’idée du baiser. Wendy pensait que Napoléon aurait pu l'avoir, mais je l’imagine plutôt essayant en vain, puis s’en allant avec fougue, tout en claquant la porte.
Mr Darling avait l'habitude de se vanter auprès de Wendy en disant que sa mère, non seulement l’aimait, mais aussi le respectait. Il était l’un de ces individus profonds, qui savent tout au sujet des titres de Bourse et des actions. Bien sûr, personne n’y comprend réellement grand-chose, mais lui semblait s’y connaître, et il annonçait souvent que les actions étaient à la hausse ou à la baisse, d’une manière qui aurait amené n'importe quelle femme à le respecter.
Mrs Darling s’était mariée en blanc et, au début, elle tenait parfaitement les comptes de son ménage, presque gaiement, comme s’il s'agissait d’un jeu : pas un chou de Bruxelles ne manquait. Mais de plus en plus souvent, des choux-fleurs entiers disparurent, peu à peu remplacés par des dessins de bébés sans visage, que Mrs Darling griffonnait en marge de sa comptabilité : c'était sa façon à elle de matérialiser ses présages. De fait, Wendy est arrivée la première, puis John, puis Michael. Pendant une semaine ou deux après la naissance de Wendy, ils se demandèrent s’ils allaient pouvoir la garder, car c'était une bouche de plus à nourrir. Mr Darling était terriblement fier d’elle, mais il voulait faire les choses dans les formes : il s’asseyait sur le bord du lit de Mrs Darling, lui tenant la main et calculant les dépenses, tandis qu’elle le regardait d’un air implorant. Elle voulait prendre le risque, quoi qu'il arrive, mais ce n’était pas sa façon de faire ; sa façon de faire, c'était avec un crayon et un morceau de papier, et si elle l’embrouillait avec des suggestions, il devait recommencer depuis le début. « Ne m'interrompez pas ! la suppliait-il. — J'ai une livre dix-sept shillings ici, et deux shillings six pence au bureau ; je peux supprimer mon café là-bas, disons dix shillings, ce qui fait deux livres neuf shillings et six pence, avec vos dix-huit shillings et trois pence, cela fait trois livres neuf shillings et sept pence, avec cinq shillings sur mon compte bancaire, cela fait huit livres neuf shillings et sept pence. - Qui est-ce qui bouge ? - Huit livres neuf shillings et sept pence, je pose la virgule et je retiens sept, - ne parlez pas, ma chérie -, plus la livre que tu as prêtée à cet homme qui est venu à la porte, - reste tranquille, mon bébé ! - Je pose la virgule et je retiens bébé - Ca y est, tu as réussi ! Ai-je dit neuf livres neuf shillings et sept pence ? Oui, j'ai dit neuf livres neuf shillings et sept pence ; la question est de savoir si nous pouvons essayer de vivre pendant un an avec neuf livres neuf shillings et sept pence ? — Bien sûr que nous pouvons, George ! s’écria-t-elle. Mais elle avait des préjugés en faveur de Wendy, et il était celui des deux qui avait l'ascendant sur l’autre. — N'oubliez pas les oreillons ! la prévint-il, sur un ton presque menaçant ; et il reprit: — "Oreillons”, une livre, c’est ce que j’ai noté, mais j’ose dire que ce sera plutôt trente shillings. - Taisez-vous ! - "Rougeole", un shilling cinq pence, "rougeole allemande", une demi-guinée, ce qui fait deux livres quinze shillings et six pence. Arrêtez de faire "non" avec votre doigt ! - "Coqueluche”, disons quinze shillings. » Et ainsi de suite, les sommes s’additionnaient au fur et à mesure ; mais finalement Wendy s’en sortit, grâce à une réduction des oreillons à douze shillings et six pence, et aux deux sortes de rougeole traitées comme une seule. Il y eut la même excitation fébrile au sujet de John, et Michael passa l’examen de justesse ; mais les deux furent gardés, et bientôt, vous auriez pu les voir tous les trois se rendre en rang à l’école maternelle de Miss Fulsom, accompagnés de leur gouvernante. Car bien entendu, Mrs Darling aimant que tout soit bien comme il faut, et Mr Darling adorant être exactement comme ses voisins, ils avaient une gouvernante ! Comme ils étaient pauvres, en raison de l'énorme quantité de lait que les enfants buvaient, cette nounou était une chienne Terre-Neuve assez collet monté, appelée Nana, qui n'avait appartenu à personne en particulier jusqu’à ce que les Darling l'engagent. Elle avait cependant toujours beaucoup accordé d'intérêt aux enfants, et les Darling avaient fait sa connaissance dans les jardins de Kensington, où elle passait la plupart de son temps libre à inspecter l’intérieur des landaus. Elle était la bête noire des nourrices négligentes, les suivant jusque chez elles, afin de se plaindre d’elles à leurs maîtresses. Nana se révéla être un véritable trésor ! Elle était très pointilleuse en ce qui concerne l’heure du bain, et se levait à tout moment de la nuit si l’un de ses protégés poussait le moindre cri. Bien entendu, sa niche se trouvait dans la nurserie. Elle avait le génie pour savoir quand une toux est une chose qu’il faut traiter à la légère, et quand il est nécessaire de nouer une chaussette autour de la gorge du petit malade. Jusqu’à son dernier jour, elle a accordé une foi inébranlable aux remèdes d'antan, comme les feuilles de rhubarbe, et produisait de petits bruits de mépris à propos de tous ces discours modernes au sujet des germes, des microbes, et autres bêtises. C’était une véritable leçon de maintien de la voir escorter les enfants à l'école, marchant tranquillement à leurs côtés lorsqu'ils étaient bien sages, et les ramenant dans le droit chemin par de petites tapes dans les fesses s’ils s’égaraient. Les jours où John devait partir en promenade, elle n’oubliait jamais son pull, et emmenait généralement un parapluie, qu’elle portait dans sa bouche, en cas de pluie. Il y avait une pièce dans le sous-sol de l'école de Miss Fulsom, dans laquelle les gouvernantes attendaient les enfants. Celles-ci s’asseyaient sur des sièges, alors que Nana était allongée sur le sol, mais c'était là la seule différence. Elles avaient l’habitude de l’ignorer, comme si elle était d’un statut social inférieur au leur, et Nana, quant à elle, méprisait leurs bavardages. Elle n’appréciait pas les visites des amies de Mrs Darling à la nurserie, mais si celles-ci venaient malgré tout, elle enlevait d’un geste le vieux tablier de Michael, pour lui mettre celui avec des broderies bleues, lissait les vêtements de Wendy et remettait rapidement en place les mèches de cheveux de John. Aucune nurserie n'aurait pu être mieux tenue, et si Mr Darling en était parfaitement conscient, il se demandait parfois avec inquiétude s’il n’y avait pas quelques commérages dans le voisinage. Car, voyez-vous, il se devait de tenir son rang dans la ville.
Nana le troublait également d’une autre manière. Il avait parfois l’impression qu’elle ne l’admirait pas. « Je sais qu’elle vous admire énormément, George » lui assurait Mrs Darling, puis elle faisait signe aux enfants d’être particulièrement gentils avec leur père. Des danses charmantes s’ensuivaient, auxquelles la seule autre domestique, Lisa, était parfois autorisée à se joindre. Elle avait l’air d’une naine, dans sa longue jupe, portant sa coiffe de domestique, bien qu’elle ait juré, quand elle avait été engagée, qu’elle était adulte depuis belle lurette ! Comme ces ébats étaient gais ! Et la plus gaie de toutes était Mrs Darling, qui pirouettait si follement que tout ce que vous pouviez voir d’elle était le fameux baiser ; si vous vous étiez jeté sur elle à ce moment, vous auriez même pu l’attraper. Non, il n’y avait jamais eu de famille plus simple et plus heureuse avant l'arrivée de Peter Pan. Mrs Darling entendit parler de Peter pour la première fois, alors qu’elle mettait de l’ordre dans l'esprit de ses enfants. Toute bonne mère à pour habitude, le soir, après que ses enfants se sont endormis, de fouiller dans leur tête afin de mettre de l’ordre dans leurs idées pour le lendemain matin, remettant à leur place les nombreux objets qui y ont vagabondé pendant la journée. Si vous-même pouviez rester éveillé, - mais bien entendu, vous ne le pouvez pas -, vous verriez votre propre mère faire cela, et vous trouveriez ce spectacle très intéressant. C’est un peu comme ranger des tiroirs. Vous la verriez à genoux, j'imagine, s’attardant avec humour sur certaines de vos pensées, se demandant où diable vous avez bien pu ramasser cette chose, faisant des découvertes agréables et d’autres moins agréables, pressant ceci sur sa joue comme si c'était aussi doux qu’un chaton, et rangeant cela en toute hâte hors de vue. Lorsque vous vous réveillez le matin, la méchanceté et les mauvaises idées avec lesquelles vous vous êtes couché ont été soigneusement pliés et placées tout au fond de votre esprit alors que sur le dessus, bien en évidence, sont étalées vos plus jolies pensées, prêtes à être enfilées.
Je ne sais pas si vous avez déjà vu une carte de l'esprit d’une personne. Les médecins dessinent parfois des cartes d’autres parties de votre corps, et lire votre propre carte peut devenir sacrément intéressant, mais surprenez-les en train d'essayer de dessiner la carte de l’esprit d’un enfant, qui est non seulement confus, mais qui tourne sans cesse en rond ! Il y à des lignes en zigzag, tout comme des courbes de température : ce sont probablement les routes de l’île. Car le Pays de Nulle Part est toujours plus ou moins une île, avec d’étonnantes taches de couleur ici et là, des récifs coralliens, un bateau à l'allure bizarre croisant au large, des sauvages, des repaires solitaires, des gnomes, qui sont pour la plupart des tailleurs, des grottes traversées par une rivière, des princes ayant six frères aînés, une hutte quasiment en ruines, et une toute petite vieille dame avec un nez crochu. S’il n’y avait que cela, ce serait une carte facile. Mais il y a aussi le premier jour d'école, la religion, les parents, le grand bassin du parc, les travaux manuels, des meurtres, des pendaisons, des accords de participes passés, le gâteau au chocolat du mercredi, un médecin qui dit : « Ouvre la bouche », la pièce laissée par la petite souris des dents, et ainsi de suite... Bien sûr, les Pays de Nulle Part varient beaucoup selon les personnes. Celui de John, par exemple, comportait un lagon survolé par des flamants roses, sur lesquels John tirait à la carabine, tandis que Michael, qui était tout petit, avait dans le sien un flamant rose survolé par des lagons. John vivait dans un bateau retourné sur le sable, Michael dans un wigwam, et Wendy dans une maison de feuilles habilement cousues ensemble. John n’avait pas d’amis, Michael avait des amis de nuit, Wendy avait un loup de compagnie, abandonné par ses parents. Mais, dans l’ensemble, les habitants des Pays de Nulle Part ont un air de famille ; et s’ils restaient immobiles en rang, on pourrait dire d’eux qu’ils ont, par exemple, le même nez. Sur ces rivages magiques, les enfants s’amusent, et leurs petits bateaux en formes de panier y abordent sans cesse. Nous aussi l’avons visité : nous percevons toujours le bruit du ressac, même si nous ne débarquons plus...
De toutes les îles délicieuses, le Pays de Nulle Part est la plus douillette et la plus compacte, pas exagérément grande, avec des distances fastidieuses entre une aventure et l’autre, mais au contraire, bien resserrée. Quand on y joue le jour, avec les chaises et la nappe, ce n’est pas le moins du monde inquiétant, mais dans les deux minutes qui précèdent le coucher, cela devient très réel. C’est pourquoi il existe des veilleuses. De temps en temps, au cours de ses voyages dans l’esprit de ses enfants, Mrs Darling rencontrait des choses qu’elle ne pouvait pas comprendre, et parmi celles-ci, le mot « Peter » était de celles qui la laissaient le plus perplexe. Elle ne connaissait aucun Peter, et pourtant ce nom se retrouvait en plusieurs endroits dans l'esprit de John et de Michael, tandis qu’il commençait à être gribouillé un peu partout
dans celui de Wendy. Le nom se détachait en lettres plus épaisses que tous les autres mots et, en le regardant, Mrs Darling lui trouvait un air étrangement arrogant. « Oui, il est plutôt arrogant, admit Wendy avec regret, quand sa mère l'interrogea.
— Mais qui est-il, ma chérie ?
— C’est Peter Pan, vous savez bien, maman. »
Au début, Mrs Darling ne savait pas. Mais après avoir repensé à sa propre enfance, elle s’est souvenue d’un Peter Pan, dont on disait qu’il vivait avec les fées. On racontait de drôles d'histoires à son sujet. Par exemple, lorsque les enfants mouraient, il se disait qu’il faisait une partie du chemin avec eux pour qu’ils n'aient pas peur. Elle y avait cru à l’époque, mais maintenant qu’elle était mariée et pleine de bon sens, elle doutait de l’existence d’une telle personne. « De plus, dit-elle à Wendy, il doit être grand à cette heure-ci.
— Oh non, il n’a pas grandi, lui affirma Wendy avec assurance. Et il a exactement ma taille. » Elle voulait dire qu’il était de la même taille qu’elle, tant dans sa tête que dans son corps ; elle ne savait pas comment elle le savait, mais elle le savait. Mrs Darling consulta Mr Darling à ce sujet, mais il se contenta de sourire en faisant la sourde oreille. « Écoutez-moi bien, dit-il, ce sont des bêtises que Nana leur à mises dans la tête, exactement le genre d’idées qu’un chien peut avoir. Laissez-les tranquilles, et ça passera. » Mais cela ne se calma pas et bientôt, l’incommodant garçon donna un sacré choc à Mrs Darling. Les enfants vivent les aventures les plus étranges, sans en être troublés. Par exemple, ils peuvent raconter, une semaine après l'événement, que lorsqu'ils étaient dans le bois, ils ont rencontré leur père mort, et ont joué avec lui. C’est de cette manière désinvolte que Wendy fit un matin une révélation inquiétante. On avait trouvé des feuilles d’arbre sur le sol de la chambre d’enfant, qui n'étaient certainement pas là quand les enfants étaient allés se coucher. Mrs Darling était en train de s'interroger au sujet de ces feuilles quand Wendy lui dit avec un sourire rempli de tolérance : « Je crois bien que c’est encore ce Peter !
— Que veux-tu dire, Wendy ?
— C’est si vilain de sa part de ne pas s’essuyer les pieds » dit Wendy en soupirant. Elle était une enfant particulièrement soignée. Elle expliqua, d’une manière tout à fait naturelle, qu’elle pensait que Peter venait parfois dans la nurserie la nuit, s’asseyait au pied de son lit et jouait de la flûte pour elle. Malheureusement, elle ne se réveillait jamais. Elle ne savait pas comment elle le savait ; elle le savait tout simplement.
« Quelle absurdité, mon trésor ! Personne ne peut entrer dans la maison sans frapper.
— Je pense qu’il entre par la fenêtre, répondit-elle.
— Mon amour, votre chambre est au troisième étage !
— Les feuilles n’étaient-elles pas au pied de la fenêtre, maman ? »
C’était tout à fait vrai : les feuilles avaient été trouvées tout près de la fenêtre. Mrs Darling ne savait que penser, car tout cela semblait si naturel à Wendy, qu’on ne pouvait l’écarter en disant qu’elle avait rêvé.
« Mon enfant, s’écria la mère, pourquoi ne m'en as-tu pas parlé avant ?
— J'ai oublié » répondit Wendy avec légèreté. Elle était pressée de prendre son petit-déjeuner.
Oh, elle a dû rêver. Mais, d’un autre côté, il y avait les feuilles. Mrs Darling les examina très attentivement ; c’étaient des squelettes de feuilles, mais elle était sûre qu’elles ne provenaient d'aucun arbre poussant en Angleterre. Elle rampa sur le plancher, l'examinant à la bougie pour y trouver les traces d’un pied étranger, fouilla le conduit de la cheminée avec le tisonnier et tapota les murs. Elle laissa tomber un ruban de la fenêtre jusqu’au trottoir, et ce fut une chute abrupte de trente pieds, sans même un bec de gaz pour grimper. Wendy avait certainement rêvé. Mais Wendy n'avait pas rêvé, comme la nuit suivante le démontra, celle où l’on peut dire que les aventures extraordinaires de ces enfants ont commencé... Lors de cette fameuse nuit, tous les enfants étaient couchés. C'était le soir de congé de Nana, et Mrs Darling les avait baignés et bercés jusqu’à ce que, l’un après l’autre, ils lâchent sa main et glissent au pays du sommeil. Tout avait l’air si sûr et si paisible qu’elle sourit en repensant à ses craintes, et s’assit tranquillement près du feu pour coudre. C’était un ouvrage pour Michael, qui, pour son anniversaire, commencerait à porter des chemises. Le feu flambait doucement ; la chambre d’enfant était faiblement éclairée par trois veilleuses. Bientôt, l'ouvrage retomba sur les genoux de Mrs Darling. Puis sa tête pencha, oh, si gracieusement ! Elle s’endormit. Regardez-les tous les quatre : Wendy et Michael ici, John là-bas, et Mrs Darling près du feu. Il aurait dû y avoir une quatrième veilleuse. Pendant qu’elle dormait, elle fit un rêve. Elle rêva que le Pays de Nulle Part s'était trop approché, et qu’un étrange garçon s’en était échappé. Cela ne l’a pas particulièrement inquiétée, car elle pensait l'avoir déjà vu sur le visage de nombreuses femmes qui n'avaient pas eu d’enfants. Peut-être le trouve-t-on aussi sur le visage de certaines mères. Mais dans son rêve, il avait déchiré le voile qui masque le Pays de Nulle Part, et elle voyait Wendy, John et Michael regarder par la fente. Le rêve en lui-même aurait été sans importance ; mais il se trouve que durant ce rêve, la fenêtre de la chambre d’enfant s’est ouverte, et un garçon s’est laissé tomber sur le sol. Il était accompagné d’une étrange lumière, pas plus grosse que votre poing, qui se déplaçait dans la pièce comme une chose vivante, et je pense que c’est cette lumière qui a réveillé Mrs Darling. Elle se leva d’un bond en criant, aperçut le garçon, et comprit tout de suite qu’il s'agissait de Peter Pan. Si toi, moi, ou Wendy avions été là, nous aurions vu qu’il ressemblait beaucoup au baiser de Mrs Darling. C’était un garçon adorable, vêtu d’un habit de feuilles mortes collées ensemble par de la résine, comme celle qui suinte le long des troncs d’arbres. Mais ce qui était le plus frappant dans son apparence, c’est qu’il avait toutes ses dents de lait. Quand il vit que Mrs Darling était une adulte, il retroussa les lèvres, montrant toutes ses petites perles dans un grondement menaçant.
L'ombre de Mrs Darling cria et, comme si quelqu'un avait sonné, la porte s’ouvrit et Nana entra, de retour de sa promenade. Elle grogna et se jeta sur le garçon, qui bondit par la fenêtre. Mrs Darling cria de nouveau, cette fois-ci de peur, car elle pensait qu’il s'était tué. Elle courut à la fenêtre, pour chercher des yeux son petit corps, mais il était invisible ; elle leva la tête, et dans la nuit noire, elle ne put rien voir d'autre que ce qu’elle prit pour une étoile filante. Elle retourna dans la nurserie, pour trouver Nana avec quelque chose dans la bouche : c'était l'ombre du garçon. Lorsqu'il avait bondi par la fenêtre, Nana l’avait fermée rapidement, mais trop tard pour l’attraper. Par contre, son ombre n'avait pas eu le temps de sortir : la fenêtre en se refermant brutalement, l'avait séparée de son corps. Vous vous doutez que Mrs Darling à examiné cette ombre avec le plus grand soin, mais c'était une ombre tout à fait ordinaire. Nana savait exactement ce qu’il fallait en faire : elle l’'accrocha à la fenêtre, ce qui signifiait : « Il reviendra sûrement la chercher ; mettons-la là où il pourra l'attraper facilement, sans déranger les enfants. » Malheureusement, Mrs Darling ne pouvait pas la laisser accrochée là, car elle ressemblait à une chemise qu’on aurait étendue pour sécher, ce qui abaissait le standing de la maison... Elle pensa un instant la montrer à Mr Darling, mais il était en train d’entrer dans leur budget la dépense de deux manteaux d’hiver, pour John et Michael, avec une serviette humide autour de la tête pour garder les idées claires, et il paraissait impossible de le déranger. De plus, elle savait exactement ce qu’il dirait : « Tous ces ennuis viennent du fait que nous avons un chien comme gouvernante ! »
Elle décida de rouler l'ombre, et de la ranger soigneusement dans un tiroir, jusqu’à ce qu’une occasion propice se présente pour en parler à son mari. L'occasion se présenta une semaine plus tard, un vendredi que personne n’oubliera jamais. Bien sûr, il avait fallu que cela tombe ce jour-là !
« J’aurais dû me méfier, sachant qu’on était verdredi, dit-elle plus tard à son mari, alors que Nana était à côté d’elle, lui tenant la main.
— Non, non, répondait toujours Mr Darling, c’est moi le responsable de tout cela. Moi, George Darling ! Mea culpa, mea culpa. » - Il avait eu une éducation classique -. Ainsi, ils sont restés assis nuit après nuit, à se remémorer ce vendredi fatal, jusqu’à ce que chaque détail soit gravé dans leur cerveau et ressorte de l’autre côté comme les faces d’une mauvaise pièce de monnaie.
« Si seulement je n'avais pas accepté cette invitation à dîner au 27 » disait toujours Mrs Darling.
« Si seulement je n’avais pas versé mon médicament dans le bol de Nana » ajoutait Mr Darling.
« Si seulement j'avais fait semblant d’aimer les médicaments » disaient les yeux humides de Nana.
« Mon goût pour les fêtes, George. »
« Mon sens de l’humour douteux, ma chérie. »
« Ma susceptibilité pour des broutilles, chers maître et maîtresse. »
Puis l’un d’entre eux, ou plusieurs, s’effondraient complètement. Nana à la pensée :
« C’est vrai, bien vrai, ils n’auraient pas dû avoir un chien comme gouvernante ! »
Bien souvent, c’est Mr Darling qui tamponnait de son mouchoir les yeux de Nana. « Ce démon ! » Mr Darling pleurait, et l'aboiement de Nana en était l’écho, mais Mrs Darling ne disait jamais de mal de Peter ; il y avait quelque chose dans le coin droit de sa bouche, qui ne voulait pas qu’elle l'injurie.
Ils restaient assis là, dans la nurserie vide, se remémorant avec tendresse les moindres détails de cette terrible soirée. Celle-ci avait commencé de façon banale, comme des centaines d’autres, avec Nana qui mettait à chauffer de l’eau pour le bain de Michael, et le portait sur son dos. « Je n’irai pas au lit ! avait-il crié, comme quelqu'un qui croit encore pouvoir avoir le dernier mot à ce sujet. Je n’irai pas, je n’irai pas ! Nana, il n’est pas encore six heures. Non ! Je vais te détester, Nana ! Je te dis que je ne veux pas de bain, je ne veux pas, je ne veux pas ! »
Puis Mrs Darling était entrée, vêtue de sa robe de soirée blanche. Elle s’était habillée tôt, car Wendy aimait beaucoup la voir en tenue de soirée, portant le collier que George lui avait offert. Elle avait au poignet le bracelet de Wendy : celle-ci adorait prêter son bracelet à sa mère. Elle avait trouvé ses deux aînés en train de jouer à être elle-même et son mari, à l’occasion de la naissance de Wendy. John disait :
« Je suis heureux de vous informer, Mrs Darling, que vous êtes maintenant une mère », sur le même ton que Mr Darling lui-même aurait pu l'utiliser dans la réalité. Wendy avait dansé de joie, tout comme la véritable Mrs Darling avait dû le faire. Puis John était né, avec la pompe supplémentaire qui découlait dans son esprit, de la naissance d’un mâle, et Michael était sorti du bain pour demander à naître aussi, mais John avait dit brutalement qu’ils n’en voulaient pas d’autres. Michael avait presque pleuré :
« Personne ne veut de moi » ; et bien entendu, la dame en robe de soirée n'avait pas supporté cela.
« Moi si, avait-elle dit, je veux tellement un troisième enfant.
— Garçon ou fille ? avait demandé Michael, sans trop d’espoir.
— Un garçon. » Et il avait sauté dans ses bras.
C’est un souvenir qui semble insignifiant pour Mr Darling, Mrs Darling, et Nana, mais en réalité, c’est tout le contraire, car ce fut la dernière nuit que passa Michael dans la nurserie… Ils continuaient de se souvenir. « C’est alors que je me suis précipité comme une tornade, n'est-ce pas ? » disait Mr Darling, plein de mépris envers lui-même ; et en effet, il avait agi comme une tornade. Il y avait peut-être une excuse : lui aussi s'était habillé pour sortir, et tout s'était bien passé jusqu’à ce qu’il en vienne à sa cravate. C’est une chose stupéfiante à raconter, mais cet homme, bien qu’il connaisse tout des actions et des marchés, ne maîtrisait pas vraiment sa cravate. Parfois, la chose lui cédait sans contestation, mais il y avait des occasions où il aurait été préférable pour tout le monde, qu’il ravale sa fierté et utilise une cravate pré-nouée. Cette fois-ci, c'était le cas. Il se précipita dans la chambre d’enfant avec la petite chose toute froissée dans une main.
« Qu’y-a-t-il ? Quel est le problème, cher papa ?
— Problème ? a-t-il hurlé. Cette cravate, elle ne veut pas s’attacher. Puis il est devenu dangereusement sarcastique.
— S'attacher autour de mon cou ! Autour de la colonne du lit, ça oui ! Vingt fois je l’ai attachée autour de la colonne du lit, mais autour de mon cou, non ! Je vous prie de m’excuser ! Il pensa que Mrs Darling n’était pas suffisamment impressionnée, et il continua sévèrement :
— Je vous préviens, madame, que si cette cravate n’est pas autour de mon cou, nous ne sortirons pas diner, et si je ne sors pas dîner ce soir, je ne retournerai jamais au bureau, et si je ne retourne jamais au bureau, vous et moi mourrons de faim, et nos enfants seront jetés à la rue ! Même à ce moment-là, Mrs. Darling gardait tout son calme.
— Laissez-moi essayer, mon cher » répondit-elle. Et c’est en effet ce qu’il était venu lui demander de faire. De ses belles mains fraîches, elle noua la cravate pour lui, tandis que les enfants se tenaient autour pour voir comment les choses allaient tourner. Certains lui en auraient voulu de pouvoir le faire si facilement, mais Mr Darling était d’une nature bien trop fine pour cela ; il la remercia négligemment, oublia aussitôt sa colère et, en un instant, dansa dans la pièce avec Michael sur son dos.
« Comme nous avons follement gambadé ! disait Mrs Darling en se rappelant tout cela.
— Notre dernière cabriole ! gémissait Mr Darling.
— Oh George, tu te souviens que Michael m'a dit soudainement, « Comment as-tu appris à me connaître, maman ? »
— Oui, je m'en souviens !
— Ils étaient réellement adorables, tu ne trouves pas, George ?
— Et ils étaient à nous, à nous ! Et maintenant ils sont partis. » Les ébats avaient pris fin avec l’apparition de Nana, qui, par malchance, s’était heurtée à Mr Darling, couvrant son pantalon de poils. Ce n’était pas seulement un pantalon neuf, c'était le premier qu’il avait avec une broderie, et il avait dû se mordre la lèvre pour empêcher les larmes de venir. Bien sûr, Mrs Darling l’avait brossé, mais il avait recommencé à dire que c'était une erreur d’avoir un chien comme gouvernante.
« George, Nana est un trésor.
— Sans doute, mais j'ai parfois l'impression qu’elle considère les enfants comme des chiots. — Oh non, très cher ! Je suis sûr qu’elle sait qu’ils ont une âme.
— Je me le demande, dit Mr Darling pensivement, je me le demande. » C’était là l’occasion, selon son épouse, de lui parler du garçon. D'abord, il n’y crut pas, mais il devint pensif quand elle lui montra l'ombre.
« Ce n’est personne que je connais, dit-il en l’examinant attentivement. Mais il a l’air d’un vaurien.
— Nous étions encore en train d’en discuter, tu t’en souviens, dit Mr Darling, quand Nana est arrivée avec les médicaments de Michael. Tu ne porteras plus jamais le flacon dans ta bouche, Nana, et c’est de ma faute. »
Bien qu’il soit un homme fort, il ne fait aucun doute que Mr Darling s'était comporté de manière assez stupide dans toute cette histoire. S’il avait une faiblesse, c'était de penser que toute sa vie il avait pris les médicaments sans répugnance. Donc, quand Michael esquiva la cuillère présentée par Nana, il dit d’un ton réprobateur :
« Sois un homme, Michael.
— Je ne veux pas ; je ne veux pas ! Michael cria méchamment. Mrs. Darling quitta la pièce pour aller lui chercher un chocolat, et Mr. Darling pensa que cela démontrait un manque de fermeté.
— Chérie, ne le dorlotez pas, lui dit-il. Michael, reprit-il, quand j'avais ton âge, je prenais des médicaments sans rechigner. Bien au contraire, je disais : Merci, chers parents, de me donner du sirop afin de me soigner. » Il croyait vraiment ce qu'il disait, et Wendy, qui était à présent en chemise de nuit, le croyait aussi. Elle dit, pour encourager Michael :
« Ce médicament que vous prenez parfois, papa, est bien plus mauvais, n’est-ce-pas ?
— Bien plus mauvais ! acquiesça bravement Mr Darling. Et je le prendrais maintenant, pour te servir d'exemple, Michael, si je n’avais pas perdu la bouteille. » Il ne l’avait pas exactement perdue ; il avait grimpé en pleine nuit jusqu’au sommet de l’armoire et l’y avait cachée. Ce qu’il ne savait pas, c’est que la fidèle Lisa avait trouvée, et l’avait remise sur son lavabo. « Je sais où il est, papa ! s’écria Wendy, toujours heureuse de se rendre utile. Je vais vous l’apporter ! » Et elle quitta la pièce avant qu'il ne puisse l'arrêter. Immédiatement, le moral de Mr Darling s’effondra de la manière la plus étrange qui soit.
« John, dit-il en frissonnant, c’est un médicament vraiment horrible. C’est un de ceux qui sont tout dégoû