Pha - Tome 2 - Florence Pinet - E-Book

Pha - Tome 2 E-Book

Florence Pinet

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Beschreibung

Akol et ses compagnons se lancent dans une quête audacieuse à bord de leurs Maisons d’eau, afin de conquérir leur liberté. Pendant ce temps, Tinak et les mze embarquent dans leur Maison Soleil pour entreprendre un périple épique. Deux récits, deux voyages, deux espoirs qui promettent de transformer leurs vies au-delà de toute imagination. L’aventure continue…

À PROPOS DE L'AUTRICE

C’est en plein cœur des volcans d’Auvergne qu’a grandi Florence Pinet. Fille unique et quelque peu solitaire, elle a su faire de la lecture une compagne attachante. Historienne et cinéphile, liseuse avide, elle décide de coucher sur le papier cette idée longtemps refoulée : une histoire de copains et d’aventure. Bienvenue à Pha.

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Florence Pinet

Pha

Tome II

Voyages

Roman

© Lys Bleu Éditions – Florence Pinet

ISBN : 979-10-422-3186-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pour mes parents

À Raphaël

Toujours

Première partie

La cité fille Pha dormait profondément. Il est vrai que ces derniers temps, les activités avaient été nombreuses, les nouveautés d’importance, sans compter les inquiétudes !

Pourtant, un bruit sourd résonnait dans les salles hautes, normalement désertées et silencieuses à cette heure tardive. Comme un semblant de battement régulier et, si on tendait bien l’oreille, on pouvait aussi discerner une voix laissant échapper un « han » à la suite de chaque battement.

Si on s’approchait, les sons se faisaient plus puissants et presque hypnotiques.

Nam, encore une fois réveillée en sursaut par un rêve plus vrai que nature (ces dernières nuits, elle n’arrivait pas à dormir plus de trois mesures à la suite…) avait entendu le remue-ménage, et se doutant de la cause, se dirigeait, la tête encore embrumée de son petit sommeil, vers les coups donnés.

Dans la salle haute, habituellement réservée au repas des habitants de Pha, trônait une machine improbable, faite de structures ovoïdes, transparentes, juchées sur des roues en bois, au nombre de huit, autour desquelles un jeune mze s’acharnait en donnant de grands coups de masse.

Pendant un instant, Nam contempla la machine, toujours émerveillée et, il fallait bien qu’elle se l’avoue, un peu craintive, avant de porter son regard sur le mze qui semblait martyriser la machine.

Il était plutôt grand, avec des cheveux châtains, un peu longs sur le dessus de la tête et pour l’instant, il était torse nu, ruisselant de sueur, et maniait une masse en bois qu’il écrasait sur une roue.

Nam dut crier pour se faire entendre :

— Tinak ! Arrête un peu, tu vas réveiller toute la cité, si tu continues comme ça !

Tinak, surpris, s’arrêta en plein mouvement et la masse, emportée par son poids, atterrit violemment sur le sol, laissant échapper une plainte sourde de la part de Tinak, qui n’ayant pas anticipé la course, se retrouvait presque emporté par le poids de son outil. Une grimace de douleur vint déformer ses traits, puis, lâchant la masse, il entreprit de se masser l’épaule droite.

Les sourcils froncés, il se tourna vers l’intrus et répliqua :

— Qu’est-ce qui se passe, Nam ? Pourquoi m’arrêtes-tu en plein élan ?
— Tu vas réveiller toute la cité et, en plus, tu vas finir par te faire mal !
— Pfffff, mais non, penses-tu, il n’y a pas de risque !

Nam ne sut pas à quel risque il faisait allusion, mais, se gardant de faire le moindre commentaire, elle lui demanda d’un air inquiet ce qu’il était en train de faire.

— Je remets la roue en place : on l’a voilé et si on veut vite repartir, il ne faut pas perdre de temps et réparer.
— Tu aurais peut-être pu attendre demain : il fera jour et tes amis pourraient t’aider…
— Non, non, c’était beaucoup trop long ! la coupa-t-il, et puis, de toute façon, je ne dormais pas, alors, autant rentabiliser son temps ! D’ailleurs, que fais-tu là, à cette mesure ?
— La même chose que toi : je rentabilise mon temps ! sourit-elle.

Ils échangèrent un regard de connivence : ce n’était pas la première fois qu’ils se retrouvaient en plein milieu de la nuit et c’était souvent pour discuter de la machine de Tinak.

Ce dernier prit un bout de peau posée par terre et s’essuya le front, avant de s’écrouler, le dos calé contre la roue réparée. Nam s’éclipsa quelques instants dans la salle voisine, pour revenir chargée d’un pouf qu’elle posa en face du garçon et d’un verre d’eau fraîche qu’elle lui proposa. Tinak la remercia du regard et vida d’un trait la boisson !

— Aaaaah ! Ça fait du bien, merci, Nam !

Nam esquissa un sourire et commença à lui poser quelques questions sur son sujet favori : sa machine.

La Maison Soleil, c’était son nom, était composée de quatre coupoles transparentes, juchées sur huit roues en bois. On pouvait voir à l’intérieur le poste de pilotage ainsi que les deux sièges pour les pilotes et des couchettes recouvertes de peau dans le fond.

Tinak sembla reprendre des forces rien qu’en parlant de son projet :

— Tu sais, elle a bien fonctionné, la dernière fois ! S’il n’y avait pas eu l’énorme caillou à moitié caché par le sable qui a abîmé la roue, on aurait pu aller beaucoup plus loin !
— Il vous aurait manqué des vivres, peut-être, rétorqua Nam.
— Certes… Du coup, pour la prochaine fois, on va en emmener beaucoup plus : je pense qu’on peut espérer partir sur huit à dix jours ! Et avec la découverte des tecks, on va pouvoir stocker de bonnes quantités de nourritures, légères et nourrissantes !
— Tu as trouvé un moyen pour stocker l’eau ?
— Hum… non, pas encore, se renfrogna Tinak. Les jeunes n’ont pas ce souci, c’est sûr, de l’eau, ils en ont en quantité suffisante !

Nam ne répondit rien, préoccupée par le sort des cinq tecks partis maintenant depuis quatre mois. Elle n’attendait pas de nouvelles, bien sûr, mais elle avait peur pour eux.

Tinak suivait la réflexion de Nam : lui aussi s’inquiétait pour les tecks, parmi lesquels se trouvait un de ses amis, Akol.

— Je suis persuadé qu’ils vont bien : ils ont de la ressource, tu sais ! Ils ont construit leur propre machine allant sur l’eau, grâce à laquelle ma Maison Soleil peut fonctionner aussi bien, d’ailleurs… Et ils ont trouvé les Archives, la nourriture pour les expéditions, une autre utilisation pour les coupoles…
— Je sais, je sais tout ça, le coupa Nam avec un sourire, mais n’empêche, ils sont bien jeunes et inexpérimentés ! Imagine qu’ils rencontrent des dangers sur leur route : des animaux féroces ou… s’arrêta-t-elle à court d’idées. Sans compter la rivière… est-ce qu’ils vont pouvoir passer partout ? Et pour atterrir où, finalement ?
— Vers ailleurs ! s’écria Tinak. C’est ce qu’ils voulaient, non, comme moi ? Et ils vont peut-être rencontrer d’autres personnes, vivant différemment… peut-être même à l’air libre… Moi, en tout cas, c’est ce que je cherche, une autre façon de vivre et si possible dehors : j’en ai assez des roche-murs, moi !

Nam sourit : elle ne partageait pas cet enthousiasme pour la découverte de Tinak. Si elle avait été partante pour ces expéditions, c’était pour la sauvegarde de sa cité, en danger ces derniers temps. Elle espérait trouver un moyen de restaurer l’équilibre précaire d’avant, mis à mal par la difficulté d’avoir de nouveaux tecks pour remplacer les mze partis pour les Soleils.

Elle se leva sous le regard interrogateur de Tinak. Celui-ci savait que ces moments partagés avec la cheffe de sa cité étaient un privilège rare et qui ne durait pas longtemps, Nam ayant toujours d’autres sujets à traiter, d’affaires à régler.

Cette dernière, poussant un soupir, lui souhaita bon courage pour la réparation, sans oublier de lui demander de se reposer un peu et se dirigea d’un pas lourd vers la pièce des Maîtres Monde.

Requinqué par la pause, Tinak prit une autre masse, plus légère, afin de fignoler les dernières réparations, plus précises, sur la roue endommagée.

Nam se dirigeait en effet vers les salles des Maîtres Monde, afin de voir comment évoluaient les futurs habitants de la cité.

En chemin, elle repensait à ces mois d’inquiétude, qui étaient loin d’être finis, elle le savait, concernant les tecks disparus sur la rivière. Après avoir découvert les Archives et le mot laissé par Shamasu, avec Tinak, ils en avaient déduit qu’à part les suivre sur l’eau, ils ne pouvaient pas faire grand-chose pour eux. Il allait falloir qu’ils se débrouillent tous seuls, chose qu’ils avaient apparemment prévue de longue date. Cela l’avait d’ailleurs tracassée qu’ils n’aient pas souhaité se confier à elle, bien qu’elle les comprenne : à la seconde où elle aurait été au courant, l’accès leur aurait été interdit ! Malgré tout, elle aurait bien aimé être tenue au courant… un petit sentiment de frustration était né tout au fond d’elle, qu’elle s’était empressée de réprimer ! Mais malgré tout, il était là…

Après, la difficulté avait été de faire comprendre à l’ensemble de la cité que ce n’était plus la peine de chercher les tecks… sans leur dire la vérité : Nam n’avait pas envie que d’autres initiatives de ce genre se multiplient même si elle se doutait que les candidats à l’aventure ne seraient pas si nombreux, au vu des volontaires pour partir dans la Maison Soleil…

En tout cas, elle avait dû inventer une histoire d’expérience que voulaient mener les tecks, en s’isolant des autres membres de la cité, afin de voir si cela était possible de vivre seul, sans l’appui des autres habitants. Et bien sûr, cela ne pouvait être que des tecks pour tenter cette expérience, puisque les mze étaient tous nécessaires à la survie de la cité ! Une histoire totalement extravagante et sans queue ni tête, mais que tout le monde avait acceptée sans poser de questions, à sa totale stupéfaction ! Du coup, chacun était retourné à ses occupations, rassuré sur le sort des tecks, puisque, bien sûr, Nam savait où ils étaient et pouvait les ramener dans la cité et à la raison quand elle voudrait. Nam avait été ravie de ce succès, mais également abasourdie par la facilité avec laquelle elle avait pu leur faire avaler ça…

Mais au final, il n’y avait que quelques phaënes qui s’inquiétaient de leur sort et cela lui facilitait la tâche.

Tout à ses réflexions, Nam était arrivée devant une porte de balt qu’elle poussa et pénétra dans une pièce sombre, seulement éclairée par l’ensemble des murs en balt, qui s’étaient rechargés en lumière les jours précédents. Cinq machines étaient allumées, avec leurs petites lumières rouges clignotantes, tous leurs tuyaux sortants, rentrants et à l’intérieur, dans un liquide transparent, une petite chose flottait. Si on ne lui avait pas expliqué le déroulement, elle n’aurait jamais imaginé que cette chose allait devenir un petit teck !

Tout à coup, étouffant un cri, elle heurta un objet mou, posé sur le sol. Un grognement lui répondit, la perturbant un peu plus !

C’était le Responsable Vie, qui était allongé par terre !

— Mais qu’est-ce que tu fais là ?
— Humpffff, fut la seule réponse intelligible qu’elle reçut !
— Tu ne dors quand même pas toutes les nuits ici, quand même !
— Ben si, enfin, dormir est un bien grand mot, je dois dire, ronchonna le Responsable Vie. Entre le bruit des machines, l’inquiétude et les gens qui me marchent dessus !
— Si tu ne te mettais pas en travers du chemin, aussi ! Bref ! Tu ne peux pas rester là toutes les nuits, tu vas t’épuiser ! s’exclama Nam, en pensant à Tinak en train de travailler de nuit, à elle, en pleine insomnie et à son Responsable Vie en surveillance ! Bientôt, dans sa cité, aussi bien les tecks que les mze feront tous n’importe quoi !
— Je tiens à être présent au cas où quelque chose se passait mal… Et puis, d’abord, tu peux parler toi, qu’est-ce que tu fais ici en plein milieu de la nuit ! râla-t-il, toujours de mauvaise humeur.

Nam se fit la réflexion que, premièrement, les mze dérangés en pleine nuit, qu’ils soient réveillés ou assoupis, étaient de mauvaise humeur et qu’en plus, ils se permettaient un comportement plus que laxiste envers elle : ça commençait à lui chauffer les oreilles ! Prenant une longue inspiration, elle décida de laisser couler…

— Je ne dormais pas… et j’ai entendu des bruits venant de la salle haute…
— Tinak, je suppose, la coupa en levant les yeux au ciel, le Responsable Vie.
— En effet : j’ai discuté un moment avec lui, ça lui a permis de se reposer un peu. Et puis, je suis venu ici, voir si tout se passait bien…
— Et me réveiller par la même occasion ! la coupa à nouveau le Responsable Vie.

Un peu agacée de se faire rabrouer constamment, Nam rétorqua, acerbe :

— Une surveillance en dormant, c’est efficace ? Tu devrais me remercier, au contraire !

Le mze la regarda d’un air meurtri et Nam regretta son emportement, elle soupira :

— Bon, maintenant qu’on est là tous les deux, et qu’on est bien réveillés (elle esquissa un petit sourire en coin), dis-moi si tout va bien…

Le Responsable Vie se releva péniblement avec une grimace et en grommelant que ce n’était plus de son âge de dormir par terre. Il fit deux – trois pas et se pencha sur la première machine allumée. Un moment passa, sans bruit, seule la respiration heurtée de Nam, inquiète, et celle calme du responsable Vie venait troubler le silence.

— Alors… ne put s’empêcher de demander Nam, au supplice.
— Celle-ci, ça a l’air d’aller, le petit pousse bien.

Il passa aux autres machines pour finalement revenir sur ses pas, vers un petit teck qui semblait plus transparent que les autres à Nam. Elle ne se trompait pas.

— Hummm… celui-là, il ne grandit pas correctement, je ne comprends pas. C’est comme les autres d’avant : sans raison apparente, ils grandissent bien et puis, d’un coup, ça ne fonctionne plus… Je pense que lui… va rejoindre les Soleils rapidement. Il en restera quatre, si tout se passe bien pour les autres…

Nam s’avança et posa sa main sur l’épaule de son ami, ne pouvant rien dire ni rien faire d’autre pour le réconforter.

Il se retourna et tout en lui souriant, posa sa main sur la sienne. Elle était chaude et un peu rugueuse, mais ce contact la réconforta et elle aussi lui sourit.

— Bon, je vais faire quelques analyses pour tenter de comprendre ce qui se passe et trouver une solution. Retourne te reposer, tu en as bien besoin : je trouve que tu as une petite mine, lui dit-il, taquin.
— Toi aussi, toi aussi !

Elle retira sa main avec regret et se retournant, sortit pour rejoindre son lit.

Sobek n’arrivait pas à dormir non plus : chaque nuit, il s’endormait comme une masse, épuisé par sa journée de travail au Conseil, les sorties dans la Maison Soleil, les recherches pour l’améliorer… et chaque nuit, il se réveillait en sursaut deux-trois mesures avant l’heure du lever et n’arrivait pas à se rendormir. Pourtant, il fallait qu’il reprenne des forces s’il voulait être à la hauteur ! C’est vrai, depuis la Cérémonie qui l’avait fait passer dans les rangs des Mze et accueilli comme Membre du Conseil, il n’avait pas arrêté !

Les réunions du Conseil l’avaient quelque peu surpris : il s’était retrouvé au milieu d’anciens, qu’il connaissait bien sûr, mais qu’il n’avait jamais vu sous cet angle…

Il les trouvait imbus d’eux même, n’écoutant personne sauf eux et faisant fi des nouveaux membres intégrés récemment sous prétexte qu’ils étaient trop jeunes, pas préparés… bref, à ignorer ! Au début, cela l’avait profondément choqué, mais n’avait pas osé faire la moindre remarque. Il avait toujours été discret, ne prenant jamais la parole lors des leçons des Maîtres Connaissances, n’osant pas protester même lorsque quelque chose lui paraissait injuste : il admirait les jumeaux pour cela, d’ailleurs, eux, ils osaient, peut-être un peu trop des fois, mais cela avait le mérite de faire avancer les choses ! Mais lui devenait tout rouge lorsqu’il devait prendre la parole ! Du coup, lorsqu’il avait fait part de son choix d’intégrer le Conseil, beaucoup avaient été surpris, pensant qu’il choisirait plutôt un domaine où la discrétion, la retenue et le silence étaient de mise, comme chez les Maîtres Vie.

Mais, il ne regrettait pas son choix, ne serait-ce que pour les sorties…

En ce qui concerne le Conseil, il avait pu se rendre compte également que Nam n’appréciait pas le comportement de certains membres, mais qu’elle devait composer avec eux si elle voulait faire avancer les choses ! Malgré tout, Nam avait dans le regard un éclat dur qui lui faisait penser que la suite n’allait pas être de tout repos : elle préparait quelque chose… mais quoi, ça, c’était une autre histoire !

En revanche, les sorties avec la Maison Soleil… ça, c’était quelque chose… La première fois qu’il avait franchi la porte de la cité, il avait retenu sa respiration tellement longtemps qu’il avait failli tourner de l’œil ! Il n’avait connu durant toute sa vie que l’univers des roche-murs, leur couleur grise ou noire, leurs aspérités. Et là, soudainement, il avait eu devant les yeux la cité Mère Pha, parcouru ses allées recouvertes de sable, ses habitations effondrées, éventrées par le vent, le soleil, la sécheresse et l’abandon. Son cœur s’était serré au point de lui faire mal et des larmes avaient perlé au bord de ses yeux. Akol avait posé une main amicale sur son épaule et il avait repris conscience de son entourage, de ses camarades serrés dans la Maison Soleil et contemplant eux aussi la désolation de la cité. Aucun mot n’avait été échangé tout le long de la traversée de la cité, chacun plongé dans ses pensées.

Après, ce n’était que sable, légère montée puis légère descente, que la Maison Soleil parcourait bravement, sous une chaleur de plomb. Du moins, ils l’imaginaient : les coupoles faisaient merveilleusement leur office, en les protégeant de la chaleur, mais également du rayonnement et de la luminosité. L’horizon oscillait sous l’effet de la température caniculaire : on avait l’impression que le sol ondulait et rendait l’observation faussée.

La première fois qu’il avait eu à faire à ce phénomène, il n’avait pas compris que les distances étaient complètement changeantes : selon les températures et la force du vent, on avait l’impression qu’on était proche de ce qui ressemblait à un rocher alors qu’il était encore loin ! Et inversement ! Ils avaient abîmé une de leurs roues à cause de ce phénomène, pensant que l’obstacle était plus éloigné alors qu’il était… tout proche ! Il avait d’ailleurs laissé Tinak seul face aux réparations : il n’en pouvait plus, il fallait qu’il dorme, sous peine de s’écrouler !

Les trois nuits passées dehors avaient été féeriques : il n’avait trouvé que du sable chaud sous ses pieds, mais c’était surtout le ciel… Les deux soleils avaient disparu derrière Pasiphaë et il ne restait plus qu’une immensité noire, tachetée de points lumineux, étincelants. Il avait tendu la main pour essayer d’en attraper un, mais il n’avait saisi que de l’air. En écoutant le rire de Tinak, Sobek, un peu vexé et honteux, avait cru qu’il se moquait de lui. Tinak l’avait tout de suite rassuré en lui avouant que tous ceux qui étaient sortis et avaient vu le ciel avaient eu la même réaction. Sobek avait aussitôt replongé ses yeux dans l’infini, tellement différent de sa vision habituelle et restrictive des roche-murs. Cette nuit-là, il avait eu beaucoup de mal à faire son travail de collecte de sable, roches et autres à ramener aux Maîtres, connaissances, calculs… Mais personne n’avait fait de remarque, le laissant plongé dans ses pensées et dans sa découverte de ce nouvel univers tellement différent du leur. La seconde nuit, par contre, bien qu’il n’ait qu’une envie (de s’allonger par terre et de se perdre dans la contemplation de ce ciel), il avait tenu à travailler deux fois plus pour se rattraper. D’où sa fatigue et son besoin de sommeil !

Mais bon, il ne dormait toujours pas… une idée lui trottait dans la tête depuis la dernière sortie.

Il adorait les explorations, même si pour l’instant, elles étaient courtes du fait du manque d’eau, mais il ne doutait pas que Tinak et ses amis allaient trouver une solution.

Il aurait voulu partir à la découverte de la cité extérieure : Pha Mère…

Il fallait qu’il en parle à Tinak, il n’oserait jamais aborder ce sujet à Nam, beaucoup trop impressionnante pour lui ! Même à son ami, cela serait difficile, mais il était convaincu que cette idée apporterait des réponses à leurs questions… et aux siennes.

Sa résolution était prise, demain, il aborderait le sujet. Il pensa aux jumeaux, partis depuis quatre mois maintenant, pour se donner le courage. Puis, il se retourna pour la énième fois sur sa couche pour tenter de s’endormir enfin.

Le bruit sourd avait fini de le tirer du sommeil. En grommelant que ce n’était pas possible d’être têtu à ce point, il voulut regarder son sablier afin de connaître la mesure, mais le balt avait été coupé pour la nuit et il grommela à nouveau que c’était bien la peine d’être un Mze si c’était pour ne rien avoir comme avantage en retour !

— Arrête de râler, tu m’empêches de dormir ! protesta en soupirant son voisin de droite.
— Je n’arrive pas à savoir la mesure : pourquoi le balt est coupé toutes les nuits, bon sang !
— Ben y en avait qui n’arrivait pas à dormir avec la lumière…
— Y avaient qu’à se coller la tête dans leur coussin !
— Pffffff… Non, mais, vous avez pas fini, tous les deux ! protesta leur voisine de gauche. Pour le coup, ça va pas être le balt qui va nous empêcher de dormir, mais les discussions nocturnes !
— Bon, ben, puisqu’on est tous réveillés… on y va ?
— Ouuuuuuuuuuu çaaaaaaaaaaaaaa ? demanda dans un long bâillement la voix féminine.
— N’importe où, mais ailleurs ! cria une voix dans le noir, non identifiée, mais furieuse.

En pouffant, les trois voix sortirent de leur lit et se dirigèrent vers la porte donnant sur les roche-murs.

Dans le noir, une silhouette les entendit partir avec une envie et une pointe de jalousie, mais sans oser les suivre.

Tinak regardait son ouvrage d’un œil critique : la roue était dans l’axe, mais elle avait gardé des traces aussi bien de la roche heurtée lors de la sortie que de ses coups de masse. Il fallait bien admettre qu’il n’y avait pas été de main morte ! Inversement, cet obstacle l’avait rendu furieux et taper dessus lui avait fait du bien… à lui, mais pas à la roue !

Brusquement, trois mze apparurent, les cheveux en bataille, l’air endormi surtout pour la jeune mze.

— Déjà réveillés ? leur demanda-t-il.
— Non, mais tu plaisantes ! avec le boucan que tu fais, comment veux-tu qu’on arrive à dormir, s’exclama un grand mze.
— Oh ça va, Langa ! Je ne fais pas tant de bruit que ça, quand même !
— Ben, en fait, entre toi qui tapes ta roue et dont les coups résonnent dans toutes les roche-murs et Langa qui râle parce qu’il veut voir la mesure, je t’assure que dormir ces derniers temps, ça relève de l’exploit ! expliqua Kosu, tout en tentant d’attacher ses cheveux mi-longs en catogan.
— Tu veux un coup de main ? demanda, sarcastique, son amie Païke, dont les longs cheveux noirs retombaient gracieusement le long de son dos.
— Nan, ça devrait aller, répliqua Kosu tout en se contorsionnant pour défaire les nœuds de sa tignasse.

Tinak sourit, heureux de retrouver ses amis, toujours en train de râler, de se chamailler, mais toujours là pour se soutenir !

Ils se connaissaient depuis toujours, bien sûr, puisqu’ils avaient grandi ensemble dans les salles de sommeil des tecks, avant de passer la Cérémonie : Kosu d’abord, puis Païke et lui et enfin Langa. Ce dernier avait très mal vécu la période où il s’était retrouvé tout seul, avec les autres mze, sans ses amis. Il avait tenté à de multiples reprises de faire flancher Nam pour qu’elle lui donne l’autorisation de passer la Cérémonie plus tôt, pour rester avec ses amis, mais elle avait été intraitable. Depuis, Langa lui en voulait toujours…

Mais maintenant, ils étaient ensemble et c’était tout ce qui comptait !

— Venez voir ce que j’ai fait ! leur proposa-t-il pour couper court aux échanges.

Tous se penchèrent sur la Maison Soleil et sur un objet en particulier : la roue.

Langa fit la moue lorsqu’il vit l’état de cette dernière :

— Mais tu as fait quoi, exactement ?
— Euuuuuuuh… je l’ai attaquée à la masse, pourquoi ? avoua Tinak.
— À la masse ! Non, mais, ça va pas, ou quoi ! T’es pas bien ! À la masse ! Il aurait fallu la démonter et regarder s’il n’y avait pas un rayon à changer et…
— Non, non, le coupa Tinak, j’ai bien regardé avant, quand même, je ne suis pas idiot !

Langa fit une moue qui laissait entendre qu’il n’était pas convaincu.

— Je te dis que j’ai étudié le problème avant ! Et il y avait trois rayons déboîtés et le cerclage arraché. Du coup, j’ai utilisé la masse pour les rayons et… euh… ça pour le reste, expliqua-t-il en montrant les outils utilisés.
— Pfffffff, tu aurais dû m’attendre !
— Moi aussi, compléta Païke, en regardant d’un œil critique les rayons rentrés en force, j’aurais pu t’aider en calculant les angles afin que tu puisses placer ta masse aux bons endroits et que ça rentre plus facilement.
— Oui, bon, je sais, mais l’essentiel, c’est que ce soit fait et que ça fonctionne, non ?
— Hum, oui, certes… mais tu l’as testé ? demanda Kosu, pratique.
— Euh, non, j’ai besoin de monde pour la sortir, vous savez bien ! Et puis, là, il fait jour donc on n’a plus le temps, il faudra attendre ce soir.
— Eh bien, on a qu’à aller prendre le petit déjeuner puisqu’on ne peut plus rien faire de plus, proposa Langa, dont l’estomac venait de protester bruyamment.
— Ah non, non, non, on a encore beaucoup de choses à régler avant de pouvoir manger ! De toute façon, tu ne penses qu’à ça, Langa, c’est pas possible ! Il nous reste à achever les finitions des réparations, de charger la Maison Soleil pour la prochaine sortie, de réfléchir à un moyen de stocker de l’eau, de…

Il ne put finir sa phrase, ses amis, après un regard complice, s’étaient emparés de lui, Langa et Kosu passant leurs bras sous les siens et l’embarquant de force vers la salle haute où ils pourraient manger, Païke, hilare, les devançant.

Nam, installée sur l’estrade dominant la salle du Conseil, était pensive. Elle aimait bien cet endroit : à l’exception des moments de rassemblement, il était désert et propice aux réflexions, voire aux décisions.

Ces derniers temps, elle réfléchissait à ses fonctions au sein de la cité : diriger, elle aimait ça… beaucoup même ! Prendre des décisions, même difficiles, ne lui faisait pas peur. Elle savait trancher dans le vif aussi et se mettre en opposition aux membres du Conseil si c’était pour le bien de la cité.

Mais depuis quelques mois, elle se rendait compte que sa position vacillait : les remarques désobligeantes, que personne ne se serait permises avant, s’entendaient, les oppositions étaient plus fréquentes et beaucoup plus virulentes. Et surtout, elle avait l’impression que les membres de sa cité devenaient égoïstes, impatients, désobligeants envers certains. Le sentiment qu’il fallait appartenir à quelques groupes bien identifiés, comme les Maîtres Monde, le Conseil pour être reconnus comme dignes d’importance se faisait de plus en plus sentir. Jusqu’à présent, peu importait votre choix lors de la Cérémonie, vous étiez essentiel. Point. À un moment de la vie de Pha, on allait forcément avoir besoin de vous, de vos compétences, ce qui mettait tout le monde sur un pied d’égalité.

— Alors que maintenant… certains se croient plus indispensables que les autres et donc pensent qu’on leur doit plus de respect et de considération… il va falloir remédier à tout ça, pensa tout haut Nam.

Surprise par sa voix résonnant dans le silence de la salle circulaire, elle secoua la tête en fronçant les sourcils et se pencha pour prendre des tablettes d’argiles disposées à ses pieds.

— Bien, pensa-t-elle avec un sourire carnassier, faisons la liste de l’ensemble des Maîtres et tentons de bousculer un peu tout ça !

Alors… les Maîtres bouche, les Maîtres calculs, les Maîtres connaissances…

La salle du Conseil résonna du bruit léger du stylet sur l’argile ainsi que des tablettes déposées sur la desserte à côté d’elle jusqu’à ce que Nam se lève, un sourire satisfait sur les lèvres et sorte, chargée de son travail.

Tinak et ses amis, rejoints pendant leur déjeuner par Sobek, allaient retourner vers leurs réparations lorsque Nam surgit devant eux et les entraîna d’autorité dans sa salle de travail… disons, officielle.

Surpris, les mze la suivirent tout en échangeant des regards interrogatifs.

La pièce où ils pénétrèrent était meublée simplement : une grande table, avec quelques tablettes d’argile posées dessus, bien ordonnées en pile distincte, une chaise pour travailler, en bois, souvenir de la cité en surface et des niches creusées dans les roche-murs, remplies de tablettes. Le balt couvrait les parois de sorte que la pièce était lumineuse malgré l’absence de coupole donnant sur l’extérieur.

Des coussins complétaient l’ensemble, sur lesquels ils furent invités à prendre place.

Les mze, un peu impressionnés, s’assirent en silence et attendirent que Nam s’installe à son tour, non sans grimacer légèrement pour s’asseoir.

— Vous devez vous demander pourquoi je vous ai fait venir ici ? demanda-t-elle. Sans attendre de réponse, elle poursuivit.
— Ta Maison Soleil fonctionne bien Tinak, je suis contente pour toi, mais aussi pour Pha.

Le jeune mze se tortilla sur ses coussins, gêné par le compliment, mais également ravi : un grand sourire étira ses lèvres.

— Mais je vais te demander, ainsi qu’à tes amis, de ralentir le nombre des explorations, continua Nam. Pour le moment, s’empressa-telle d’ajouter devant la réaction de Tinak, qui avait commencé à ouvrir la bouche pour protester bruyamment.
— Avant de pouvoir vous exprimer, je vous demanderai de bien vouloir me laisser parler, après et seulement après, je vous donnerai la parole.
— Il va y avoir de grands changements dans la cité : je vais convoquer d’ici peu l’ensemble des responsables Maîtres de Pha afin de leur exposer mon projet et son mode d’exécution. Mais avant ça, j’aurais besoin de vous.

Sobek, je sais que tu fais partie du Conseil et que tu as participé à toutes les sorties de la Maison Soleil (Sobek s’était raidi dès que Nam avait posé ses yeux sur lui) et que tu es ami avec Tinak, ainsi qu’avec tous ceux qui sont ici.

Sobek hocha la tête en signe d’assentiment : il avait appris à connaître et à apprécier les trois autres mze, qui l’avaient accueilli dans leur groupe.

— Bien… reprit Nam, mais il faut que tu saches qu’ils ne t’ont pas tout dit, à ma demande. Tu as dû te rendre compte qu’ils disparaissaient quelques fois, pendant de longues mesures, n’est-ce pas ?

Sobek hocha à nouveau la tête pendant que les autres mze se regardaient, se doutant où Nam voulait en venir.

— Lorsque nous recherchions les cinq tecks disparus, Tinak a fait une découverte fondamentale.

Nam laissa passer quelques secondes, histoire de ménager le suspense.

— Il a trouvé les archives de la cité Pha Mère…

Sobek, à l’écoute de cette nouvelle, ne réagit pas tout de suite, comme s’il voulait laisser cette information faire son chemin dans ses pensées, ravivant ses souvenirs des légendes écoutées lorsqu’il était encore sous la responsabilité des Maîtres Histoires. Puis, il regarda Tinak, éberlué.

— C’est vrai, Sobek, lui confirma Tinak. Les jumeaux, Shamasu, Khur et Akol les avaient découverts avant moi et s’en étaient servis pour partir.
— Comment ça, je ne comprends pas… s’étonna Sobek, ils ne sont pas toujours dans la cité, pour leur expérience ?
— Non, lui confirma Nam, ils sont partis par la rivière souterraine. Cela ne t’a jamais semblé étrange, comme explication ?
— Si… mais comme c’était vous qui l’aviez annoncé…
— Tu ne l’avais pas remis en doute ?
— Non…

Le silence s’installa quelques instants pour être coupé par Païke qui commençait à s’impatienter.

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