Pha - Tome I - Florence Pinet - E-Book

Pha - Tome I E-Book

Florence Pinet

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Beschreibung

Taffukt et Tefuk sont les deux soleils de la planète Pasiphaë. L’un brûle, mais l’autre ne chauffe pas assez. Alors, les Phaënes sont obligés de se cacher et de s’enterrer au sein des roche-murs pour sauver leur peuple. Cependant, cette décision engendre de terribles conséquences et de lourds secrets. Lorsqu’ils découvrent la vérité, cinq tecks, amis depuis toujours, refusent de renoncer et partent à la recherche de nouveaux possibles, forts de cette amitié et peut-être d’un peu plus…


À PROPOS DE L'AUTEURE


C’est en plein cœur des Volcans d’Auvergne qu’a grandi Florence Pinet. Fille unique et quelque peu solitaire, elle a su faire de la lecture une compagne attachante. Historienne, cinéphile et liseuse avide, elle décide de coucher sur le papier cette idée longtemps refoulée : une histoire de copains et d’aventure. Bienvenue à Pha…

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Florence Pinet

Pha

Tome I

Les Archives

Roman

© Lys Bleu Éditions – Florence Pinet

ISBN :979-10-377-8616-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pour mes parents,

À Raphaël

La nuit était tombée depuis maintenant deux mesures sur la cité fille de Pha. Le silence régnait, intense, sombre, à la mesure des roche-murs. Les tecks ne sortaient plus à cette heure, même les plus grands, préférant se coucher tôt pour pouvoir profiter de la lumière, diffusée par les coupoles, venue des soleils.

Pourtant, une ombre se faufilait, rasant les roche-murs, s’arrêtant brusquement pour repartir aussi vite vers une autre anfractuosité. Sans un bruit, juste avec un frôlement, imperceptible, l’ombre progressait vers les salles basses.

Devant une porte, l’ombre s’arrêta, hésita une fraction de seconde et finalement, gratta le bois trois fois de suite. La porte s’ouvrit sans un bruit, sur une nuit encore plus sombre, et l’ombre s’y engouffra.

La jeune fille ouvrit les yeux, les sens en alerte, s’essayant à contrôler son souffle pour ne pas alerter les autres. Constatant que tout le monde était plongé dans un sommeil profond, elle se leva, repoussant les couvertures, puis pivota afin de pouvoir glisser ses pieds dans ses chaussons de peau. Elle se pencha sur le lit à côté d’elle et effleura doucement le bras endormi qui réagit instantanément à son contact. L’autre jeune fille se redressa, enfila également ses chaussons et, à tâtons, elles se coulèrent sans bruit dans le couloir. Leurs mains suivaient les roche-murs pour se repérer dans le noir et leur chemin les conduisit devant la porte en bois où elles grattèrent trois fois. Le noir les engloutit.

Le Conseil n’en finissait plus ce soir. L’ordre du jour ne différait pas vraiment des précédents, mais Nam voulait absolument réentendre le compte-rendu de l’expédition partie deux jours plus tôt et rentrée seulement le matin même.

— L’expédition, tu parles, pensa Akol. Juste une dizaine de mze imbus d’eux-mêmes sous prétexte qu’ils étaient passés par la Maison Haute et qu’ils avaient eu le courage de sortir !

Le Conseil n’en finissait plus ! Et il fallait que ça tombe sur ce soir. Discrètement, il consulta le sablier autour de son cou : deux mesures après le coucher du soleil ! Les autres devaient être déjà descendus.

— Pourvu qu’il ne leur soit rien arrivé ! s’inquiéta-t-il.

Le calme régnant dans la salle haute où se réunissait le Conseil le rassura. S’ils s’étaient fait prendre, le Conseil aurait été le premier averti.

Akol soupira de nouveau, s’attirant un regard peu amène de la part de son voisin de droite. Il ne voyait pas l’intérêt d’écouter le récit des « aventures » de ces hommes. C’était toujours la même chose :

Départ à la nuit tombée, marche dans le désert, sable, tente protectrice, jour, attente, tombée du jour, marche, sable, retour à Pha.

Pourtant, Tinak, celui qu’Akol considérait comme le plus intéressant des membres du Conseil, faisait partie de ces expéditions. Tinak lui avait expliqué, il y a quelques jours, la nécessité de sortir… Akol n’avait pas été convaincu. Il se souvenait de ses paroles :

— Nous sommes enfermés dans nos roches-murs, cloîtrés, sans possibilité aucune d’aller ailleurs ! s’était-il exclamé. Personnellement, si je ne veux pas devenir fou, je ne peux pas abandonner l’espoir qu’ailleurs, n’importe où sur Pasiphaë, il existe un endroit où vivre sans danger ! Et pour notre survie, c’est nécessaire de continuer à chercher, sinon quel sera l’avenir des tecks ?

Et il avait au fond des yeux un tel mélange de détermination et de tristesse qu’Akol n’avait pas eu le cœur à répliquer.

Sur le fond, il était tout à fait d’accord, mais sur la forme, c’était une autre histoire…

Nouveau soupir, nouveau regard.

Il fallait qu’il se contrôle, ne pas attirer l’attention. Il avait pu assister aux séances du Conseil uniquement parce qu’il était sous la protection de Nam… et que l’âge fatidique approchait. Les autres ne voyaient pas l’intérêt de perdre son temps, mais après tout, c’était le sien de temps et il en faisait ce qu’il voulait ! Malgré tout, à cet instant précis, il n’était pas loin de penser comme eux. Cela faisait sept Conseils auxquels il assistait, et rien. Que des palabres. Pas de prise de décision importante. Des discussions interminables sur ces expéditions, sur Taffukt, le soleil mourant, et Tefuk, le soleil jeune qui devrait résoudre tous leurs problèmes. Des palabres interminables qui n’aboutissaient qu’à une seule et unique résolution, toujours la même chose :

— On attend sans rien faire, tout va bien finir par s’arranger.

On aurait cru entendre un mantra. Mantra. Un léger sourire étira les lèvres du jeune teck : personne dans cette assemblée ne devait connaître ce mot, pas même Nam. Ils l’avaient trouvé dans les archives de la cité mère, Pha, avec des exemples précis. Ils avaient tous accroché, trouvant comme un hymne fédérateur à leur petit groupe. Du coup, à chaque réunion, ils se prenaient par la main et récitaient leur mantra, créé juste pour eux, par eux.

« Partir et marcher – Découvrir et voler – Vivre »

Ils le répétaient cinq fois, une fois pour chacun. Le groupe était composé de cinq tecks, trois garçons et deux filles, ayant un point commun : le désir de vivre autrement et ailleurs.

Leur planète était dévorée par les rayons de Taffukt, le soleil moribond. Il avait commencé sa dernière combustion bien avant la naissance de Nam, bien avant la naissance des anciens. Maintenant, il était orangé et la chaleur qui s’en dégageait était telle que les Phaënes, de la cité mère, avaient été obligés de se réfugier dans le sous-sol de la planète. La cité ancienne, à l’extérieur, n’était plus que ruines et désolations sous un soleil et une chaleur de plomb.

Un autre soleil, Tefuk, en pleine croissance, ne chauffait que très peu et devait, à terme, selon le Conseil, prendre le relais de Taffukt.

En attendant, le sol de Pasiphaé était désertique, brûlé. Rien ne poussait, rien ne vivait. Cela n’avait pas toujours été le cas. Dans les archives de la cité, ils avaient trouvé des dessins et même des échantillons des plantes et animaux qui peuplaient la surface. Ils avaient disparu depuis longtemps… La planète avait été riche, luxuriante même. Aujourd’hui, elle n’était que désolation. Les Phaënes résidaient dans des murs de roches, creusés par les rivières souterraines et agrandis par les mains humaines : les roche-murs. Des salles avaient été érigées pour que les Phaënes se réunissent. D’autres avaient conservé des ouvertures, couvertes de coupoles protectrices, pour permettre aux plantes alimentaires de pousser. Et dans les sous-sols, se tenaient les salles de sommeil…

Tout à coup, les membres du Conseil se levèrent, mettant fin aux pensées d’Akol. Il ne prit que quelques instants pour saluer ses aînés et prétextant la fatigue, se retira en direction de sa salle de sommeil. Contrairement aux autres membres du groupe, il ne se cachait pas, libre d’accéder à toutes les salles de Pha, même les plus souterraines, et ce à n’importe quel moment.

Pendant sa progression dans les roche-murs, ses pensées se remirent à vagabonder. La protection de Nam… De nombreux membres du Conseil avaient été surpris par l’annonce de cette ouverture du Conseil, surtout en direction d’un teck. Akol lui-même n’en revenait toujours pas : la plupart du temps, l’ouverture était réservée aux mze et non à des tecks, des jeunes trop petits pour comprendre. Alors, bien sûr, il faisait partie des candidats les mieux placés pour intégrer la Maison Haute, et ce malgré son âge, 17 ans. Il avait toujours fait partie des meilleurs dans toutes les disciplines… Et il avait une ressemblance frappante avec Nam : de grands yeux noisette, un nez anguleux, des pommettes rondes et hautes, des cheveux noirs et raides. Bref, Nam au masculin ! À croire qu’ils avaient des liens de… comment cela s’appelait-il… ah oui, de « parenté » ! Ce mot également, ils l’avaient découvert dans les archives, avec les mots père et mère, cousins, oncles, tantes, grands-parents… Certains leur étaient connus comme mère, fratrie… mais les autres ! D’après ce qu’ils avaient pu comprendre, du temps de la vie au-dehors, les mères et les pères vivaient ensemble et s’occupaient des tecks qu’on leur avait confiés. Étrange… Akol repensa à son enfance, dans les salles profondes, entouré de mze. Ces derniers s’occupant de tous les tecks sans distinction, leur enseignant leurs connaissances, leurs savoirs lors de discussions, de débats. Puis, à dix ans, la cérémonie des décimes leur permettait de monter dans les salles hautes pour voir la lumière pour la première fois de leur vie.

— Enfin du moins pour certains, pensa-t-il, avec un sourire malicieux au fond des yeux : il repensa que lui avait découvert les soleils à sept ans quand il était parti en expédition avec Tili et Kuneck, les jumeaux. Tili et Kuneck, toujours là, dans leur groupe de cinq : ils se faisaient appeler les intrépides ! Et c’était vrai, rien ne les arrêtait, eux !

Akol, tout en laissant ses pensées vagabonder, était arrivé devant la porte en bois. Il ne gratta pas la surface, se contentant de saisir la poignée, qui, sans grincer, lui permit d’ouvrir la porte, laissant la lumière pénétrer dans un long couloir de roche-murs.

La planète Pasiphaé tournait autour de ses deux soleils. Pendant longtemps, Taffukt avait illuminé la terre, les forêts et ses habitants. Apportant lumière et richesse, Taffukt avait quasiment été érigé en divinité : le premier jour du troisième moislui était consacré, avec des feux de joie, des danses et des chants.

Les récoltes étaient abondantes et diversifiées. La cité mère Pha rivalisait de beauté avec la nature environnante : les maisons étaient construites en balte, pierre bleue et luisante, absorbant la lumière du soleil et la restituant la nuit venue en une lueur bleutée et apaisante. Les bâtiments ne s’élevaient que sur un ou deux étages maximum, avec des toits-terrasses permettant à leurs habitants de profiter du soleil et de la vue imprenable sur la nature environnante. Le sol était plat et permettait de voir loin, vers l’horizon.

Certains, épris d’aventure, s’étaient essayés à l’exploration. De ceux qui étaient revenus, les récits faisaient part de vallées verdoyantes, de chants d’oiseaux enchanteurs, de rivières glougloutantes et riches en poissons et… de bruits étranges et effrayants qui dissuadaient les autres habitants de quitter leur chère cité mère ! D’ailleurs, la plupart ne se posaient pas de question par rapport à ce qui se passait au loin : ils étaient bien, en sécurité, avec abondance de tout, alors pourquoi aller voir ailleurs quand le bonheur était sur place !

Les maisons s’organisaient par quartiers : les quartiers bas, réservés aux mze, étaient situés près des champs ; les quartiers intermédiaires servaient de logements aux tecks tandis que les quartiers les plus au centre étaient occupés par le Conseil et ses membres. La cité était en forme d’escargot, avec des passages transversaux pour relier les quartiers entre eux. Il n’y avait pas besoin de lumière : pendant la journée, Taffukt éclairait et réchauffait la terre et la nuit, les rues étaient illuminées par le balte et suffisaient à la vie nocturne de Pha. Les Phaënes consommaient les légumes cultivés au pied de leur cité et appréciaient le poisson de la rivière qui coulait de manière continue juste au pied des premières maisons.

Ils vivaient en totale autarcie, leurs moyens de subsistance étant assurés et leur bonheur palpable. Ils pensaient qu’il n’y avait personne d’autre sur leur planète : leurs « explorateurs » n’avaient jamais rencontré d’autres personnes ou encore moins d’autres cités. Ils ne se souvenaient pas d’où ils venaient, leur mémoire ne se rappelait que des événements sur trois ou quatre générations, pas plus. C’était un peuple ancré dans le présent et sans inquiétude concernant leur avenir.

C’est pour cette raison que lorsque Taffukt montra ses premiers signes de faiblesse, personne ne réagit, pensant que leur mode de vie, leur vie tout simplement, était immuable et que rien ne pouvait changer.

Seulement, au bout de quelques révolutions, les habitants de la cité mère durent se rendre à l’évidence : leur soleil bienfaiteur les brûlaient : brûlait leur peau, brûlait leurs récoltes, brûlait la végétation, brûlait la rivière… Les plantes tentèrent de s’adapter en consommant moins d’eau, en supportant plus de chaleur. Les Phaënes tentèrent de s’adapter, en portant des vêtements les protégeant des rayons meurtriers, en décalant leurs horaires de vie : levés plus tôt, repos au plus chaud de la journée, couchés plus tard. Mais ce ne fut pas suffisant.

Il fallut penser à se mettre à l’abri. Tout d’abord les plus jeunes, l’avenir de la cité. On se servit des salles des archives, dans le sous-sol, sous les fondations des maisons du Conseil. Les salles, spacieuses, étaient éclairées par de larges ouvertures ovales, protégées par des coupoles, qui donnaient dans les jardins du Conseil. Les tecks s’en servirent de dortoirs et de refuge aux moments les plus chauds. Les coupoles étaient faites dans un matériau étrange, inconnu de ces générations : il protégeait des méfaits de Taffukt.

Les Phaënes commencèrent à réagir. Ils creusèrent plus profondément, sous les salles des archives, trouvèrent d’anciennes galeries creusées par des rivières oubliées, explorèrent de profondes cavités, s’extasièrent sur des salles cathédrales à la beauté sombre, si opposées aux couleurs de l’extérieur qu’ils ne pouvaient qu’être fascinés. Ils ne s’imaginaient pas qu’ils allaient être obligés d’y vivre définitivement.

Les galeries creusées par les rivières leur donnèrent des idées. L’eau en surface s’évaporait à vue d’œil et stocker de l’eau devenait presque une gageure. Ils détournèrent leur rivière, la firent s’engouffrer dans une cavité creusée pour l’occasion. Les travaux devenaient herculéens : il avait fallu la détourner à la source. La rivière jaillissait brusquement par une résurgence à trois mesures de la cité et il avait fallu creuser un tunnel à partir des salles déjà créées. Les Maîtres-calculs avaient parcouru de nombreuses fois le chemin pour pouvoir tracer une route exacte et sans erreur possible entre la cité et la source. Après plusieurs rotations d’efforts, des outils créés pour l’occasion, la rivière avait été à l’abri dans les roche-murs et fournissait à Pha une eau fraîche et abondante.

Restait le problème de la nourriture. Si les poissons, qui préféraient la fraîcheur du sous-sol à la chaleur du dehors, semblaient toujours en nombre aussi important, les légumes commençaient à manquer. Des Maîtres-organisateurs entreprirent de faire évacuer la cité de surface. Les plus jeunes descendirent dans les nouvelles salles, les plus profondes, les plus à l’abri du soleil. Les mze investirent les habitations du centre et le Conseil s’installa dans les salles hautes. Les espaces réservés anciennement aux archives seraient alors utilisés pour les cultures : la présence des coupoles et de la lumière atténuée par ces dernières leur permettaient de pousser… à peu près bien.

Lorsque tout fut installé, que tout le monde eut pris sa place, une cérémonie fut organisée, le premier jour du troisième mois, afin de dire adieu à la Pha de surface et adieu à leur soleil. Une porte, construite en balte, fut refermée à la fin de la cérémonie : refermée sur Taffukt, sur leur cité de lumière, sur leur vie d’insouciance. Une fois refermée, tous se retrouvèrent et contemplèrent leur nouvelle vie, faite de roche-murs et d’incertitude.

Tout cela s’était passé en moins de trois révolutions… et la cité mère Pha, exposée au soleil, ne fut que ruines et désolations en moins de cinq révolutions.

Shamasu n’aimait pas se trouver dans les salles profondes : l’humidité la faisait tousser, les mousses grisâtres et gluantes des murs l’écœuraient au plus haut point et pour couronner le tout, lorsqu’on avait le malheur de parler, les roche-murs absorbaient le bruit pour le restituer en un murmure presque inaudible.

— Brrr ! pensa-t-elle. Quelle horreur !

Et tout ça parce que Tili, sa meilleure amie, l’avait forcée à la suivre ! Elle qui aimait par-dessus tout l’animation des salles hautes, où tout le monde se réunissait, sous la protection des coupoles, pour discuter, faire du jardinage, comparer la nouvelle coiffure de Nam à celle des autres… Bref, la vie normale quoi ! Au lieu de quoi, elle se retrouvait coincée ici, à comploter je ne sais quelle évasion, allez savoir où, accompagnée de quatre illuminés !

Son soupir d’exaspération lui valut un regard sarcastique de la part de Tili. Cette dernière la connaissait si bien qu’elle devait savoir ce qu’elle pensait, à la minute même où elle le pensait ! Et cela ne rata pas !

— Arrête de souffler ! lui lança Tili. De toute façon, si tu n’étais pas avec nous, tu râlerais encore plus !

Shamasu leva les yeux au ciel, mais se garda de tout commentaire : Tili avait raison… Elle adorait se trouver là où des choses se passaient, n’importe quelle chose, d’ailleurs, peu importait, du moment qu’elle était présente. C’est pour cette raison qu’elle était destinée à assister les Maîtres-monde et pourquoi pas en devenir une. Elle avait assisté à toutes les naissances de la cité depuis l’âge de cinq ans… et malgré le contrôle, cela en faisait un bon nombre depuis dix ans ! Bref, elle était là où elle voulait être : aux cœurs des événements. Et qu’ils soient tenus secrets rajoutait une petite note d’excitation pas désagréable.

— Pas désagréable du tout même ! pensa-t-elle en pénétrant dans la dernière pièce.

Cette dernière était entièrement vide, seules deux portes rompaient la monotonie des roche-murs : celle par laquelle elles étaient entrées, toute simple, avec un cadenas à la serrure. Shamasu se souvenait de la première fois où ils étaient descendus ici, cherchant un lieu où se réunir, seuls. La salle ne leur avait pas plu, elle était basse de plafond et étouffante, mais la présence du cadenas les avaient intrigués : aucune porte dans la cité n’était fermée à clef, tout le monde pouvait aller où bon lui semble, exceptée la nuit pour les tecks et cela parce qu’on pouvait se perdre ou se blesser. Mais ce n’était pas cette porte qui les avait arrêtés : la seconde était beaucoup plus intéressante et mystérieuse ! Elle était magnifiquement ouvragée : des lianes en faisaient le tour et s’épanouissaient en feuilles et fleurs délicates. Au centre, des animaux féeriques semblaient vouloir en jaillir. À chaque fois qu’ils s’approchaient de cette porte en balte, ils se souvenaient de ce qu’ils avaient ressenti la première fois qu’ils s’étaient retrouvés devant. Un sentiment de crainte mêlé de respect et de fierté : c’étaient les anciens qui avaient construit ça ! Mais que cachait-elle ? Ils avaient mis plusieurs jours à comprendre le système d’ouverture : c’était Tili qui avait trouvé. Au centre de la porte, un creux quasiment imperceptible avait été creusé. Il fallait passer la main dessus pour le sentir. À la lueur du balte, Tili avait remarqué un dessin, formé de deux soleils. Elle était restée interloquée pendant un instant, puis avait filé en trombe hors de la pièce sous les yeux ébahis de ses camarades. Elle était revenue une demi-mesure plus tard, les yeux brillants, tenant un pendentif entre ses doigts. Ils le connaissaient tous bien sûr, c’était une pierre de balte représentant deux soleils, et qui était habituellement suspendue au fronton de la porte donnant sur l’extérieur : c’était le symbole de la cité, les deux soleils, les garants de leur existence… du moins, jusqu’à ce que Taffukt fasse des siennes ! Mais le symbole était resté.

Tili avait inséré la pierre dans l’espace réservé sur la porte, qui s’était ouverte sans bruit, comme si elle l’avait été la veille. Et ils avaient pu pénétrer dans ce lieu magique : les Archives de Pha.

La salle était toute en longueur, à la hauteur vertigineuse et ouverte sur l’extérieur. La lumière du soleil éclairait vivement la salle, comme dans les salles hautes, mais ne brûlait pas. Ils n’avaient pas pu déterminer si c’était du fait de la hauteur ou de la présence d’une coupole. La salle était remplie d’étagères et ces dernières croulaient sous le poids de livres, de papier, de boîtes… Ils en étaient restés figés sur place pendant plusieurs minutes. Le papier était un matériau quasiment disparu de Pha : le bois de la surface n’existait plus, il avait été remplacé par des plaques d’argile où ils pouvaient écrire avec un stylet. Les plaques étaient réutilisées aussi souvent que nécessaire. Alors, découvrir une salle entièrement remplie de papier était comme la découverte d’un trésor ! Et c’en était un !

Akol, le premier, s’était avancé vers un rayonnage, avait pris un livre. L’ouvrant précautionneusement, il avait commencé à le lire sous le regard interrogateur et légèrement inquiet de ses camarades. Plusieurs minutes s’écoulèrent sans que personne n’ose prononcer un mot ou faire un geste, lorsqu’Akol prononça un mot, un seul, qui résonna dans la salle comme une promesse d’aventures et de découvertes : « Archives ».

Archives ! Les quatre autres tecks se regardèrent, ébahis : ils avaient trouvé, sans le vouloir ni les chercher, les Archives. Tout à coup, ils s’égaillèrent parmi les rangées de souvenirs, prenant qui un livre, qui une feuille ou s’arrêtant net devant une affiche vantant les mérites de fruits inconnus ! Ils passèrent plusieurs mesures à fureter sans but, ne cherchant rien de précis, mais voulant tout savoir. Les jours suivants, ils réfléchirent à ce qu’ils allaient pouvoir et devoir faire. L’annonce de leur découverte au Conseil fut tout de suite écartée : une fois averti, ce dernier les aurait empêchés d’y retourner. Alors, ils décidèrent de garder cette découverte secrète et à partir de ce moment-là, ils s’organisèrent.

Les cinq amis étaient partis en expédition dans les roche-murs depuis maintenant trois mois, faits de recherches infructueuses, d’espoirs déçus, jusqu’à ce jour où ils étaient tombés sur les Archives. Leur but était multiple : ils voulaient en premier lieu trouver un endroit secret bien caché pour se réunir et discuter en toute tranquillité. Après, certains d’entre eux pensaient qu’il devait y avoir un passage leur permettant de partir de la cité et d’explorer d’autres contrées plus hospitalières… sans devoir affronter la chaleur extérieure. Akol et Khur en étaient persuadés. C’était une des raisons qui avait poussé Akol à suivre les Conseils, afin de voir si les expéditions donnaient des résultats… ce qui l’avait conforté dans son idée de passer par les souterrains !