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Traduit par François Pierre Guillaume Guizot (1787 - 1874), historien français et homme d'État. Publié en 1864. Selon Wikipedia: Roméo et Juliette est une tragédie écrite au début de la carrière du dramaturge William Shakespeare à propos de deux jeunes amants maudits dont les morts unissent finalement leurs familles en conflit. Il est parmi les histoires archétypales les plus populaires de Shakespeare de jeunes amants adolescents. Roméo et Juliette appartient à une tradition de romans tragiques qui remonte à l'antiquité. Son intrigue est basée sur un conte italien, traduit en vers comme l'histoire tragique de Romeus et Juliette par Arthur Brooke en 1562 et repris en prose dans le palais du plaisir par William Painter en 1582. Shakespeare emprunté lourdement des deux mais, pour élargir le complot , développé des personnages de soutien, notamment Mercutio et Paris. Crue écrite entre 1591 et 1595, la pièce fut d'abord publiée en version quarto en 1597. "
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Seitenzahl: 178
Veröffentlichungsjahr: 2018
Access Ebook Press, Orange, CT USA
established in 1974, offering over 14,000 books
Other Shakespeare tragedies in French translation (by M. Guizot):
Antoine et Cléopâtre
Coriolan
Hamlet
Jules César
Le Roi Lear
Macbeth
Othello ou le More de Venise
Timon d'Athènes
Titus Andronicus
Troïlus et Cressida
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Ce document est tiré de: OEUVRES COMPLÈTES DESHAKSPEARE
TRADUCTION DEM. GUIZOT
NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUEAVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEAREDES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES
Volume 3Timon d'AthènesLe Jour des Rois.--Les deux gentilshommes de Vérone.Roméo et Juliette.--Le Songe d'une nuit d'été.Tout est bien qui finit bien.
PARISA LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUEDIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS35, QUAI DES AUGUSTINS1864
NOTICE SUR ROMÉO ET JULIETTE
PROLOGUE
ACTE PREMIER
SCÈNE I, Une place publique.
SCÈNE II, Une rue.
SCÈNE III, Un appartement de la maison de Capulet.
SCÈNE IV, Une rue.
SCÈNE V, Une salle de la maison de Capulet, garnie de musiciens.
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I, Un lieu ouvert touchant le jardin de Capulet.
SCÈNE II, Le jardin de Capulet.
SCÈNE III, La cellule de frère Laurence.
SCÈNE IV, Une rue de Vérone.
SCÈNE V, Le jardin de Capulet.
SCÈNE VI, La cellule du frère Laurence.
ACTE TROISIÈME
SCÈNE II, Un appartement dans la maison de Capulet.
SCÈNE III, La cellule du frère Laurence.
SCÈNE IV, La maison de Capulet.
SCÈNE V, La chambre de Juliette.
ACTE QUATRIÈME
SCÈNE I, La cellule du frère Laurence.
SCÈNE II, Un appartement de la maison de Capulet.
SCÈNE III, La chambre de Juliette.
SCÈNE IV, Une salle dans la maison de Capulet.
SCÈNE V, La chambre de Juliette.--Juliette est sur son lit.
ACTE CINQUIÈME
SCÈNE I, Une rue de Mantoue.
SCÈNE II, La cellule du frère Laurence.
SCÈNE III, Un cimetière dans lequel se voit un monument appartenant à la famille des Capulet.
Deux grandes familles de Vérone, les Montecchi et les Capelletti(les Montaigu et les Capulet), vivaient depuis longtemps dans uneinimitié qui avait souvent donné lieu, dans les rues, à des combatssanglants. Alberto della Scala, second capitaine perpétuel de Vérone,avait inutilement travaillé à les réconcilier; mais du moins était-ilparvenu à les contenir de telle sorte que lorsqu'ils se rencontraient,dit l'historien de Vérone, Girolamo della Corte, «les plus jeunescédaient le pas aux plus âgés, ils se saluaient et se rendaient lesalut.»
En 1303, sous Bartolommeo della Scala, élu capitaine perpétuel aprèsla mort de son père Alberto, Antonio Cappelletto, chef de sa faction,donna, dans le carnaval, une grande fête, à laquelle il invita unepartie de la noblesse de Vérone. Roméo Montecchio, âgé de vingt à vingtet un ans, et l'un des plus beaux et des plus aimables jeunes gens dela ville; s'y rendit masqué avec quelques-uns de ses amis. Au bout dequelque temps, ayant ôté son masque, il s'assit dans un coin d'où ilpouvait voir et être vu. On s'étonna beaucoup de la hardiesse aveclaquelle il venait ainsi au milieu de ses ennemis. Cependant, comme ilétait jeune et de manières agréables, ceux-ci, dit l'historien, «n'yfirent pas autant d'attention qu'ils en auraient fait peut-être s'il eûtété plus âgé.» Ses yeux et ceux de Juliette Cappelletto se rencontrèrentbientôt, et, frappés également d'admiration, ils ne cessèrent plus de seregarder. La fête s'étant terminée par une danse appelée chez nous, ditGirolamo, «la danse du chapeau» (dal cappello), une dame vint prendreRoméo, qui, se trouvant ainsi introduit dans la danse, après avoir faitquelques tours avec sa danseuse, la quitta pour aller prendre Juliette,qui dansait avec un autre. Aussitôt qu'elle l'eût senti lui toucher lamain, elle lui dit: «Bénie soit votre venue!» Et lui, lui serrant lamain, répondit: «Quelles bénédictions en recevez-vous, madame?» Et ellereprit en souriant: «Ne vous étonnez pas, seigneur, si je bénis votrevenue; M. Mercutio était là depuis longtemps à me glacer, et par votrepolitesse vous êtes venu me réchauffer.» (Ce jeune homme, qui s'appelaitMercutio, dit le louche, et que l'agrément de son esprit faisait aimerde tout le monde, avait toujours eu les mains plus froides que laglace.) A ces mots, Roméo répondit: «Je suis grandement heureux de vousrendre service en quoi que ce soit.» Comme la danse finissait, Juliettene put dire que ces mots: «Hélas! je suis plus à vous qu'à moi-même.»
Roméo s'étant rendu plusieurs fois dans une petite rue, sur laquelledonnaient les fenêtres de Juliette, un soir elle le reconnut à «sonéternuement ou à quelque autre signe,» et elle ouvrit la fenêtre. Ilsse saluèrent «très-poliment (cortesissimamente),» et, après s'êtrelongtemps entretenus de leurs amours, ils convinrent qu'il fallaitqu'ils se mariassent, quoi qu'il en pût arriver; et que cela devait sefaire par l'entremise du frère Lonardo, franciscain, «théologien, grandphilosophe, distillateur admirable, savant dans l'art de la magie,» etconfesseur de presque toute la ville. Roméo l'alla trouver, et le frère,songeant au crédit qu'il acquerrait, non-seulement auprès du capitaineperpétuel, mais dans toute la ville, s'il parvenait à réconcilier lesdeux familles, se prêta aux désirs des deux jeunes gens. A l'époque dela Quadragésime, où la confession était d'obligation, Juliette se renditavec sa mère dans l'église de Saint-François, dans la citadelle, etétant entrée la première dans le confessionnal, de l'autre côté duquelse trouvait Roméo, également venu à l'église avec son père, ils reçurentla bénédiction nuptiale par la fenêtre du confessionnal, que le frèreavait eu soin d'ouvrir; puis, par les soins d'une très adroite vieillede la maison de Juliette, ils passèrent la nuit ensemble dans sonjardin.
Cependant, après les fêtes de Pâques, une troupe nombreuse de Capellettirencontra, à peu de distance des portes de Vérone, quelques Montecchi,et les attaqua, animée par Tébaldo, cousin germain de Juliette, qui,voyant que Roméo faisait tous ses efforts pour arrêter le combat,s'attacha à lui, et, le forçant à se défendre, en reçut un coup d'épéedans la gorge, dont il tomba mort sur-le-champ. Roméo fut banni, et,peu de temps après, Juliette, près de se voir contrainte d'en épouser unautre, eut recours au frère Lonardo, qui lui donna à avaler une poudreau moyen de laquelle elle devait passer pour morte, et être portée dansla sépulture de sa famille, qui se trouvait placée dans l'église ducouvent de Lonardo. Celui-ci devait venir l'en retirer et la fairepasser ensuite, déguisée, à Mantoue, où était Roméo, qu'il se chargeaitd'instruire de tout.
Les choses se passèrent comme l'avait annoncé Lonardo; mais Roméo ayantappris indirectement la mort de Juliette avant d'avoir reçu la lettre dureligieux, partit sur-le-champ pour Vérone avec un seul domestique, et,muni d'un poison violent, se rendit au tombeau, qu'il ouvrit, baignade larmes le corps de Juliette, avala le poison et mourut. Juliette,réveillée l'instant d'après, voyant Roméo mort et ayant appris dureligieux, qui venait d'arriver, ce qui s'était passé, fut saisie d'unedouleur si forte que, «sans pouvoir dire une parole, elle demeura mortesur le sein de son Roméo[1].»
[Note 1: Voyez Istorie di Verona del sig. Girolamo della Corte, etc.,t. Ier, p. 589 et suiv. Édit. de 1594.]
Cette histoire est racontée comme véritable par Girolamo della Corte; ilassure avoir vu plusieurs fois le tombeau de Juliette et de Roméo, qui,s'élevant un peu au-dessus de terre et placé près d'un puits, servaitalors de lavoir à la maison des orphelins de Saint-François, que l'onbâtissait en cet endroit. Il rapporte en même temps que le cavalierGerardo Boldiero, son oncle, qui l'avait mené à ce tombeau, lui avaitmontré dans un coin du mur, près du couvent des Capucins, l'endroit d'oùil avait entendu dire qu'un grand nombre d'années auparavant on avaitretiré les restes de Juliette et de Roméo, ainsi que de plusieursautres. Le capitaine Bréval, dans ses voyages, dit également avoir vuà Vérone, en 1762, un vieux bâtiment qui était alors une maisond'orphelins, et qui, selon son guide, avait renfermé le tombeau de Roméoet de Juliette; mais il n'existait plus.
Ce n'est probablement pas sur le récit de Girolamo della Corte queShakspeare a composé sa tragédie; elle fut d'abord représentée, à cequ'il paraît, en 1595, chez lord Hundsdon, lord chambellan de la reineÉlisabeth, et imprimée pour la première fois en 1597. Or, l'ouvragede Girolamo della Corte, qui devait avoir vingt-deux livres, se trouveinterrompu au milieu du vingtième livre et à l'année 1560 par la maladiede l'auteur. On voit de plus, dans la préface de l'éditeur, que cettemaladie fut longue et amena la mort de l'historien, que la nécessité derevoir le travail auquel Girolamo n'avait pu mettre lui-même la dernièremain prit un temps considérable, et enfin que les procès, tant «civilsque criminels,» dont fut tourmenté l'éditeur, ne lui permirent pas demener à fin son entreprise aussi promptement qu'il l'aurait désiré; ensorte que l'ouvrage de Girolamo ne put être publié que longtemps aprèssa mort: l'édition de 1594 est donc, selon toute apparence, la première,et ne pouvait guère, en 1595, être déjà venue à la connaissance deShakspeare.
Mais l'histoire de Roméo et de Juliette, sans doute très-populaire àVérone, avait déjà fait le sujet d'une nouvelle, composée par Luigi daPorto, et publiée à Venise en 1535, six ans après la mort de l'auteur,sous le titre de la Giulietta. Cette nouvelle, réimprimée, traduite,imitée dans plusieurs langues, fournit à Arthur Brooke le sujet d'unpoëme anglais, publié en 1562[2], et où Shakspeare a certainement puiséle sujet de sa tragédie. L'imitation est complète. Juliette, dans lepoëme de Brooke ainsi que dans la nouvelle de Luigi da Porto, se tueavec le poignard de Roméo, au lieu de mourir de douleur comme dansl'histoire de Girolamo della Corte; mais ce qu'il y a de singulier,c'est que le poëme d'Arthur Brooke, et Shakspeare qui l'a suivi, fassentmourir Roméo comme dans l'histoire, avant le réveil de Juliette, tandisque, dans la nouvelle de Luigi da Porto, il ne meurt qu'après l'avoirvue se réveiller et avoir eu avec elle une scène de douleur etd'adieux. On a reproché à Shakspeare de ne s'être pas conformé à cettecirconstance qui lui fournissait une situation très-pathétique, et onen a conclu qu'il ne connaissait pas la nouvelle italienne, bien quetraduite en anglais. Cependant quelques circonstances donnent lieu decroire que Shakspeare connaissait cette traduction. Quant à ses motifspour préférer le récit du poëte à celui du romancier, il peut en avoireu plusieurs: d'abord, pour s'être écarté en un point si important de lanouvelle de Luigi da Porto, qu'il a suivie scrupuleusement sur presquetous les autres, peut-être Arthur Brooke, l'auteur même du poëme,avait-il eu quelques renseignements sur l'histoire véritable, telle quel'avait racontée Girolamo della Corte, contemporain de Shakspeare;il aura pu les lui communiquer, et l'exactitude de Shakspeare à serapprocher, autant qu'il le pouvait, de l'histoire ou des récits reçuscomme tels, ne lui aura pas permis d'hésiter dans le choix. D'ailleurs,et c'est probablement ici la vraie raison du poëte, Shakspeare ne faitpresque jamais précéder une résolution forte par de longs discours:«Les discours, dit Macbeth, jettent un souffle trop froid sur l'action.»Quelques angoisses que la réflexion ajoute à la douleur, elle portel'esprit sur un trop grand nombre d'objets pour ne pas le distraire del'idée unique qui conduit aux actions désespérées. Après avoir reçu lesadieux de Roméo, après avoir pleuré sa mort avec lui, il eût pu arriverque Juliette la pleurât toute sa vie au lieu de se tuer à l'instant.Garrick a refait cette scène du tombeau d'après la supposition adoptéepar la nouvelle de Luigi da Porto; la scène est touchante, mais, commecela était peut-être inévitable dans une situation pareille, impossibleà rendre par des paroles; les sentiments en sont trop et trop peuagités, le désespoir trop et trop peu violent. Il y a dans le laconismede la Juliette et du Roméo de Shakspeare, à ces derniers moments, bienplus de passion et de vérité.
[Note 2: Sous le titre de: l'Histoire tragique de Roméo et Juliette,contenant un exemple rare de vraie fidélité, avec les subtilesinventions et pratiques d'un vieux moine, et leur fâcheuse issue.Ce poëme a été réimprimé à la suite de Roméo et Juliette, dans lesgrandes éditions de Shakspeare, entre autres dans celle de Malone.]
Ce laconisme est d'autant plus remarquable que, dans tout le cours dela pièce, Shakspeare s'est livré sans contrainte à cette abondance deréflexions et de paroles qui est l'un des caractères de son génie. Nullepart le contraste n'est plus frappant entre le fond des sentiments quepeint le poëte et la forme sous laquelle il les exprime. Shakspeareexcelle à voir les sentiments humains tels qu'ils se présentent, telsqu'ils sont réellement dans la nature, sans préméditation, sans travailde l'homme sur lui-même, naïfs et impétueux, mêlés de bien et de mal,d'instincts vulgaires et d'élans sublimes, comme l'est l'âme humainedans son état primitif et spontané. Quoi de plus vrai que l'amour deRoméo et de Juliette, cet amour si jeune, si vif, si irréfléchi, pleinà la fois de passion physique et de tendresse morale, abandonné sansmesure et pourtant sans grossièreté, parce que les délicatesses du coeurs'unissent partout à l'emportement des sens! Il n'y a rien là de subtil,ni de factice, ni de spirituellement arrangé par le poëte; ce n'est nil'amour pur des imaginations pieusement exaltées, ni l'amour licencieuxdes vies blasées et perverties; c'est l'amour lui-même, l'amour toutentier, involontaire, souverain, sans contrainte et sans corruption, telqu'il éclate à l'entrée de la jeunesse, dans le coeur de l'homme, àla fois simple et divers, comme Dieu l'a fait. Roméo et Juliette estvraiment la tragédie de l'amour, comme Othello celle de la jalousie,et Macbeth celle de l'ambition. Chacun des grands drames de Shakspeareest dédié à l'un des grands sentiments de l'humanité; et le sentimentqui remplit le drame est bien réellement celui qui remplit et possèdel'âme humaine quand elle s'y livre; Shakspeare n'y retranche, n'y ajouteet n'y change rien; il le représente simplement, hardiment, dans sonénergique et complète vérité.
Passez maintenant du fond à la forme et du sentiment même au langageque lui prête le poëte; quel contraste! Autant le sentiment est vraiet profondément connu et compris, autant l'expression en est souventfactice, chargée de développements et d'ornements où se complaîtl'esprit du poëte, mais qui ne se placent point naturellement dans labouche du personnage. Roméo et Juliette est peut-être même, entreles grandes pièces de Shakspeare, celle où ce défaut abonde le plus. Ondirait que Shakspeare a voulu imiter ce luxe de paroles, cette facilitéverbeuse qui, dans la littérature comme dans la vie, caractérisent engénéral les peuples du midi; il avait certainement lu, du moins dans lestraductions, quelques poëtes italiens; et les innombrables subtilitésdont le langage de tous les personnages de Roméo et Juliette est, pourainsi dire, tissu, les continuelles comparaisons avec le soleil, lesfleurs et les étoiles, quoique souvent brillantes et gracieuses, sontévidemment une imitation du style des sonnets et une dette payée à lacouleur locale. C'est peut-être parce que les sonnets italiens sontpresque toujours sur le ton plaintif que la recherche et l'exagérationde langage se font particulièrement sentir dans les plaintes des deuxamants; l'expression de leur court bonheur est, surtout dans la bouchede Juliette, d'une simplicité ravissante; et quand ils arrivent au termeextrême de leur destinée, quand le poëte entre dans la dernière scènede cette douloureuse tragédie, alors il renonce à toutes ses velléitésd'imitation, à toutes ses réflexions spirituellement savantes; sespersonnages, à qui, dit Johnson, «il a toujours laissé un concettidans leur misère,» n'en retrouvent plus dès que la misère a frappé sesgrands coups; l'imagination cesse de se jouer; la passion elle-mêmene se montre plus qu'en s'unissant à des sentiments solides, graves,presque sévères; et cette amante si avide des joies de l'amour,Juliette, menacée dans sa fidélité conjugale, ne songe plus qu'à remplirses devoirs et à conserver sans tache l'épouse de son cher Roméo.Admirable trait de sens moral et de bon sens dans le génie adonné àpeindre la passion!
Du reste, Shakspeare se trompait lorsqu'en prodiguant les réflexions,les images et les paroles, il croyait imiter l'Italie et ses poëtes. Iln'imitait pas du moins les maîtres de la poésie italienne, ses pareils,les seuls qui méritassent ses regards. Entre eux et lui, la différenceest immense et singulière: c'est par l'intelligence des sentimentsnaturels que Shakspeare excelle; il les peint aussi vrais et aussisimples, au fond, qu'il leur prête d'affectation et quelquefois debizarrerie dans le langage; c'est au contraire dans les sentimentsmêmes que les grands poëtes italiens du XIVe siècle, Pétrarque surtout,introduisent souvent autant de recherche et de subtilité que d'élévationet de grâce; ils altèrent et transforment, selon leurs croyances,religieuses et morales, ou même selon leurs goûts littéraires, cesinstincts et ces passions du coeur humain auxquels Shakspeare laisseleur physionomie et leur liberté natives. Quoi de moins semblable quel'amour de Pétrarque pour Laure et celui de Juliette pour Roméo? Enrevanche, l'expression, dans Pétrarque, est presque toujours aussinaturelle que le sentiment est raffiné; et tandis que Shakspeareprésente, sous une forme étrange et affectée, des émotions parfaitementsimples et vraies, Pétrarque prête à des émotions mystiques, ou du moinssingulières et très-contenues, tout le charme d'une forme simple etpure.
Je veux citer un seul exemple de cette différence entre les deux poëtes,mais un exemple bien frappant, car c'est sur la même situation, le mêmesentiment, presque sur la même image que, dans cette occasion, ils sesont exercés l'un et l'autre.
Laure est morte. Pétrarque veut peindre, à son entrée dans le sommeilde la mort, celle qu'il a peinte, si souvent et avec tant de passioncharmante, dans l'éclat de la vie et de la jeunesse:
Non come fiamma che per forza è spenta, Ma che per se medesma si consume, Sen' andò in pace l'anima contenta, A guisa d'un soave e chiaro lume, Cui nutrimento a poco a poco manca, Tenendo al fin il suo usato costume. Pallida nò, ma più che neve bianca Che senza vento in un bel colle fiocchi, Parea posar come persona stanca. Quasi un dolce dormir ne' suoi begli occhi, Sendo lo spirto già da lei diviso, Era quel che morir chiaman gli schiocchi. Morte bella parea nel suo bel viso[3].
[Note 3: Rime di Petrarca, Trionfo della morte, c. I.]
«Comme un flambeau qui n'est pas éteint violemment, mais qui se consumede lui-même, son âme sereine s'en alla en paix, semblable à une lumièreclaire et douce à qui l'aliment manque peu à peu, et qui garde jusqu'àla fin son apparence accoutumée. Elle n'était point pâle, mais, plusblanche que la neige qui tombe à flocons, sans un souffle de vent, surune gracieuse colline, elle semblait se reposer, comme une personnefatiguée. L'esprit s'étant déjà séparé d'elle, ses beaux yeux semblaientdormir doucement de ce sommeil que les insensés appellent la mort, et lamort paraissait belle sur son beau visage.»
Juliette aussi est morte. Roméo la contemple dans son tombeau, et luiaussi il la trouve toujours belle:
... O, my love, my wife! Death, that has suck'd the honey of thy breath, Has had no power yet upon thy beauty; Thou art not conquer'd; beauty's ensign yet Is crimson in thy lips and in thy cheeks; And death's pale flag is not advanced there!
«O mon amour, ma femme! la mort, qui a sucé le miel de ton haleine, n'apoint eu encore de pouvoir sur ta beauté; tu n'es pas sa conquête; lacouleur de la beauté, l'incarnat brille encore sur tes lèvres et sur tesjoues, et la mort n'a pas planté ici son pâle drapeau!»
Je n'ai garde d'insister sur la comparaison. Qui ne sent combien laforme est plus simple et plus belle dans Pétrarque? C'est la poésiesuave et brillante du Midi à côté de l'imagination forte, rude etheurtée du Nord.
L'amour de Roméo pour Rosalinde est une invention de Luigi da Porto,conservée dans le poëme d'Arthur Brooke. Cette invention jette si peud'intérêt sur les premiers actes de la pièce, que Shakspeare ne l'aprobablement adoptée que pour faire mieux ressortir ce caractère desoudaineté propre aux passions du climat. Le personnage de Mercutio luia été indiqué par ces vers du poëme anglais:
A courtier that eche where was highly had in price, For he was courteous of his speech, and pleasant of devise. Even as a lyon would among the lambs be bold, Such was among the bashful maydes Mercutio to behold.
«Un courtisan que, quelque part qu'il se trouvât, chacun tenait entrès-haute estime, car il était courtois dans ses discours et devisaitplaisamment; autant un lion serait hardi au milieu des agneaux, autantMercutio le paraissait au milieu des jeunes filles timides.»
Tel était sans doute le bel air du temps de Shakspeare, et c'est comme