Seine à la dérive - Catherine Bon - E-Book

Seine à la dérive E-Book

Catherine Bon

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Beschreibung

Quand un simple reportage prend une dimension inattendue...

Il y a Jeannot, Pierre, Alain, Karine, Polo… et tellement d’autres. Des ombres mouvantes qui se déplacent dans la capitale, quelques affaires empilées dans un sac. Une spirale infernale les a jetés à la rue et depuis ils luttent chaque jour pour leur survie. C’est ce que choisit de raconter Betty dans un article. La jeune journaliste quitte son appartement parisien pour suivre une bande de SDF, mais ce reportage pourrait la conduire plus loin qu’elle ne l’aurait imaginé.
Et si cette aventure humaine se transformait en épopée politique ?

Découvrez ce roman touchant et interpelant, à la rencontre des sans abris, au travers du regard d'une journaliste qui n'est pas au bout de ses suprises !

EXTRAIT

Il n’y a que Karine qui dort encore, mais les autres ne sont pas là. En quittant le quai, elle aperçoit Alain et Polo en train de discuter…
Elle croise Jeannot qui revient de sa journée de travail. Les épaules tombantes, il vient au-devant d’elle.
–Salut Betty, je vais essayer de trouver un endroit au calme pour dormir quelques heures.
–Bien, pour l’obscurité, tu étais mieux dans le tunnel.
–Oui, mais non, j’ai été agressé à plusieurs reprises ; non, je suis bien là où il y du monde, lui lance Jeannot qui s’éloigne tout en bâillant.
–À tout à l’heure, lui dit Betty tout en continuant son chemin…
Betty traîne sur le boulevard vers Saint-Michel, elle s’offre quand même le luxe d’un café à emporter et s’assied sur un banc. Non loin d’elle un SDF fait la manche et là, elle a soudain si froid qu’elle se frotte les bras, puis se lève et marche.
Et voilà, une première journée, dans la rue, sans savoir vraiment quoi faire, comment celle-ci va se dérouler… Que faire, bon mon Dieu, quel drame, que faire ? Comment peut-on imaginer sa vie, quand on en est là…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Un peu aventurière, un peu sédentaire, Catherine Bon aime la vie et avoir plein de projets. Après le succès de ses deux premiers ouvrages Belle en soi et Tue-le, elle publie aujourd'hui son troisième livre.

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Catherine BON

Seine à la dérive

Roman

Il fait si chaud sur Paris, en cette nuit de septembre, et plus particulièrement très sombre dans ce tunnel qui longe la petite couronne.

Et au plus profond du tunnel, un campement de sans domicile fixe est installé. Ils sont à peu près une vingtaine, hommes et femmes sans distinction d’âge, sans distinction de couleur, et pour la plupart, vêtus de manière négligée, ou tout simplement de vêtements fatigués.

Ils sont éparpillés çà et là, sur la voie ferrée désaffectée.

Les uns discutent en petits groupes autour d’un feu, ou dans un coin, ou d’autres encore sont solitaires.

Jeannot la trentaine, des traces de crasse séchées et de grands yeux cernés, regarde les autres. Jeannot est seul dans son coin. Des écouteurs sur les oreilles, un lecteur de CD, près de lui, musique de Silmarils, Cours vite… Ces mots résonnent dans sa tête si bien que celle-ci se balance, sans fixer son regard précisément, ou bien si, sur une forme qui s’agite sous un sac de couchage. Jeannot sourit amèrement.

Une poignée de terre suit le conduit formé par sa main, petit monticule balayé, Jeannot se frotte les mains puis regarde amusé cette assemblée de campeurs. Un élastique entre ses doigts, un caillou glissé entre deux doigts et le voilà qui cherche sa cible.

Pierre, la soixantaine, s’agite sous un son sac de couchage. Il cherche une position confortable pour s’endormir. Avec son regard d’enfant abandonné, il sort la tête de son capuchon et regarde n’importe qui, comme pour s’assurer qu’il n’est pas tout seul ce soir. Un regard sur celui couché à côté de lui, Pierre lui décoche un regard jaloux, car cela fait bien longtemps que Pierre n’a pas eu une vraie nuit de sommeil, depuis qu’il est à la rue, depuis des années. Enfin, il se lève et rejoint le groupe assis autour d’un feu, un grand réconfort pour Pierre ; près d’eux, peut-être un peu rassuré, il tente de fermer les paupières.

Et voilà Jeannot qui lance sa pierre, si fort, qu’elle rebondit d’un coup sec sur la capuche de Pierre :

–Aïe ! Quel est le con qui… lança Pierre.

Jeannot est debout, des bras victorieux levés, content de son coup tel un coquin qui a frappé en plein dans le mille.

Pierre est déjà hors de son sac, il fonce sur Jeannot, et Jeannot qui vient au-devant de lui, sûr de lui, fonce aussi et ils se jettent l’un sur l’autre. Ils se battent, enragés, ils le sont.

Les autres ne comprennent pas, pourtant certains s’approchent déjà.

D’autres n’ont pas daigné poser un regard sur cet éclat. Non ils se réchauffent autour du feu.

Une bûche jetée sur le foyer, le réanime de plus belle, une longue flamme s’élève, éclaire distinctement le campement, puis revient se mêler aux autres.

Il y a Alain, la quarantaine, un ventre rondement entretenu. Alain est triste, tout cela le laisse pensif.

Et puis, Karine, et ses vingt-cinq ans, si fragile, des joues rondes comme deux reinettes, Karine est assise derrière Alain, et collée contre lui.

Karine regarde la bataille et tente aussi de s’endormir, mais quelque chose s’agite sous ses paupières. Un truc nerveux, de gauche à droite, qui s’épaissit. Karine secoue la tête, s’efforce d’apaiser ses yeux, comme s’ils voulaient voir, comme si elle luttait pour ne pas voir.

Pierre assène à Jeannot des coups de poing fermes, Jeannot sur la défensive tel un boxeur, sautille agilement, sur ses deux pieds : gauche, droite, droite, gauche, il n’a pas vu le coup arriver. Pierre se jette sur lui… Et le serre de tout son corps

–Ça suffit petit, tu m’entends ça suffit… Tu vas te calmer bordel de merde, tu te fatigues pour rien, lui chuchote Pierre à l’oreille.

Mais Jeannot n’entend plus, il frappe n’importe où, pourvu qu’il fasse mal, pourvu qu’il se soulage et Pierre lui envoie son poing gauche de plein fouet sur le visage, et Jeannot ne bronche pas. Pierre se retire sans exprimer la moindre victoire, non. Pierre n’est pas fier.

Jeannot n’ose pas le regarder, ses yeux se remplissent soudain de larmes, qu’il ravale d’une salive amère. Il rampe dans un coin.

Pierre est tout con, assis par terre. Il a des larmes aussi. Il n’ose pas regarder les autres. Et eux acquiescent tous d’un mouvement de tête solennel. Puis soudain Pierre va attraper Jeannot et l’étreint si fort.

–J’ai mal Pierre, j’ai mal. Tu ne peux pas savoir, dit Jeannot.

–Ça va maintenant, tout va bien, on est là. Hein petit, on est là.

Le feu, est si calme, que tous dorment maintenant. Alain et Karine collés l’un contre l’autre. Contre un mur, Jeannot joue toujours avec un monticule de terre, et Pierre tente en vain de fermer les yeux. Jeannot se met à parler.

–Ça ne te fait pas chier, Pierre, de voir ce putain d’hiver approcher, et de savoir que tu vas encore le passer dehors, dans le froid, ça te rappelle à toi, que c’est un hiver de plus… Ça te fait pas chier de savoir qu’il y a un bus qui rôde dans la nuit… Tiens il y en a un là, les portes sont ouvertes. Ouah ! Des mains te font signe d’approcher, pour t’emmener où hein ? dans un refuge. Et quand t’arrives là-bas, on te dit Monsieur, il y a un lit pour vous, pour la nuit, pour cette nuit uniquement, demain on verra, ça ne te fait pas chier, toi, Pierre, qui es à la rue depuis bien quoi allez dix-douze ans, balance Jeannot épuisé.

–Les choses sont pas si simples, Jeannot, tu le sais, non, ce n’est pas si simple.

Au loin, pourtant, au loin à l’une des extrémités du tunnel, à la sortie ou à l’entrée, peu importe, il y a quelqu’un d’accroupi, telle une sentinelle camouflée. C’est Polo, une trentaine entretenue par le sport, il est là à faire des pompes, puis s’assied, étend ses longues jambes de gazelles. Polo allume une cigarette, pensif, son regard défile partout, sur le ciel étoilé, pour voir s’il fera froid ce soir, ou bien sur les lumières des immeubles qui encerclent le tunnel. Polo est fatigué comme les autres.

On entend Jeannot, qui continue de parler.

–C’est con ce que tu dis Pierre, ce n’est pas comme ça les choses de la vie, toi tu crois plus en rien, mais moi j’ai encore la foi. Et j’ai envie de me battre.

Pierre s’en fout, il s’endort comme les autres, seul Jeannot est éveillé. Son regard se dresse droit devant lui, des yeux brillants, ses yeux pleins de rêves dans la tête.

–Moi je crois que les choses sont beaucoup plus simples qu’on ne le pense, tu vois partout dans la ville, il y a plein d’immeubles vides, abandonnés, qui appartiennent à qui ? À l’État, souviens-toi, on passe devant tous les jours, eh bien cela ne ferait pas de mal à personne s’ils étaient habités, si des gens prenaient possession des lieux, dit Jeannot avant de commencer à cligner des yeux pour s’endormir lentement…

…Mais non, la peur de dormir le reprend aussi, peut-être.

Et soudain, à l’autre bout du tunnel, Polo fixe quelque chose au loin, il tente de distinguer, en scrutant loin, loin devant lui. Il en est sûr maintenant. Il est là debout, paniqué, sa main essaye en vain d’assainir sa conscience en se frottant le front…

Il jette son mégot et l’écrase, insistant bien du pied, et s’élance dans le tunnel. Il court, ses jambes s’élancent à grandes enjambées. Il évite les rails, trébuche ; Polo est terrorisé, il est essoufflé, il regarde derrière lui, devant lui, là où il va et partout où il pourrait être.

Il se met à siffler, il le fait plusieurs fois à en perdre le souffle.

De son côté, Jeannot, continue de parler, seul.

–Non, moi je sais que la terre, elle a un plus beau visage, belle, calme, ses rues sont éclairées comme de grandes allées sécurisantes, et puis tu regardes les fenêtres allumées, toutes les unes clignotent ; les autres, là, en plein sur ta gueule, et pas une seule crois-moi n’est éteinte : c’est le visage de la femme que j’aime, cette terre qui est chaude, avec laquelle je m’endors le soir tu vois.

Jeannot n’a plus de force, les paroles sortent comme ça, il dort maintenant. Et le feu aussi semble s’éteindre, soudain, un appel d’air fait régner l’ordre et le fouette sans merci, et le feu redevient à nouveau sage.

Soudain, Jeannot entend siffler, il se redresse, et commence à donner des coups de pied par-ci par-là. Son regard est maintenant livide, il ravale sa salive amère. Encore cette galère qui lui tape sur la vie, il s’énerve et donne un coup de poing sur le mur, mais il a compris. Les autres aussi. Ils rassemblent tous leurs affaires.

Jeannot va bousculer Pierre, Karine, Alain et les aide à rassembler leurs affaires, leurs baluchons sur l’épaule.

Polo siffle de plus belle et arrive si essoufflé vers eux, qu’il trébuche sur un corps placé là en travers sa route. Il arrive dans le camp.

–Barrez-vous, les voilà, ils arrivent, hé vous m’entendez, pas de temps à perdre, allez on se magne le cul.

Dans le tunnel, beaucoup plus en amont, il y a bien des faisceaux rouges, bleus, qui se baladent, balaient les parois du tunnel, des phares qui se croisent et des voitures qui roulent sur la voie désaffectée.

Des voitures de police se collent au cul, freinent, accélèrent, les policiers à l’intérieur ont ce regard du devoir à accomplir. Mais bof, c’est le feu qui est dangereux, pas les sans-domiciles, mais ils doivent le faire.

Dans le campement, tous sont réveillés, hagards, leurs dernières affaires ramassées, mais quelques-unes oubliées, les voilà qui tracent à l’opposé des voitures, en courant, comme ils peuvent.

Jeannot et Polo échangent un regard fatigué, mais volontaire. Étonnant ce regard long, mêlé d’angoisse, d’incertitude, mais on peut y voir une lueur d’espoir.

–Ce n’est pas le moment de rêver, faut se tirer, dit Polo.

Suffisant pour que Jeannot accélère ses gestes, sac à dos sur les épaules, feu écrasé ; par un pied déterminé, il s’assure que rien n’a été oublié dans le campement.

Et voilà Jeannot qui s’engage, là où les autres se sont dispersés dans le noir, dans ce tunnel profond, obscur.

Quand les voitures de police arrivent, elles roulent sur les traces du feu, sur des livres qui oubliés.

Il y a ce camion vert pomme de la ville qui arrive en dernier, et deux hommes, un jet d’eau raccordé à la citerne du camion, et les voilà qui balaient le feu, avec un jet d’eau à pleine puissance.