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Seitenzahl: 161
Veröffentlichungsjahr: 2018
Access Ebook Press, Orange, CT USA
established in 1974, offering over 14,000 books
Other Shakespeare tragedies in French translation (by M. Guizot):
Antoine et Cléopâtre
Coriolan
Hamlet
Jules César
Le Roi Lear
Macbeth
Othello ou le More de Venise
Roméo et Juliette
Timon d'Athènes
Titus Andronicus
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Ce document est tiré de: OEUVRES COMPLÈTES DE SHAKSPEARE
NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES
PARIS A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS 35, QUAI DES AUGUSTINS 1863
NOTICE SUR TROÏLUS ET CRESSIDA
PERSONNAGES
PROLOGUE.
ACTE PREMIER
SCÈNE I, La scène est devant le palais de Priam.
SCÈNE II, Une rue de Troie.
SCÈNE III, Le camp grec devant la tente d'Agamemnon. Les trompettes sonnent.
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I, Camp des Grecs.
SCÈNE II, Troie.--Appartement du palais de Priam.
SCÈNE III, Le camp des Grecs.--L'entrée de la tente d'Achille.
ACTE TROISIÈME
SCÈNE I, Troie.--Appartement du palais de Priam.
SCÈNE II, Troie.--Les jardins de Pandare.
SCÈNE III, Le camp des Grecs.
ACTE QUATRIÈME
SCÈNE I, Rue de Troie.
SCÈNE II, Une cour devant la maison de Pandare.
SCÈNE III, La scène se passe devant la maison de Pandare.
SCÈNE IV, On voit un appartement de la maison de Pandare.
SCÈNE V, Le camp des Grecs, une lice a été préparée.
ACTE CINQUIÈME
SCÈNE I, Le camp des Grecs.--La scène se passe devant la tente d'Achille.
SCÈNE II, Devant la tente de Calchas.
SCÈNE III, Troie.--Devant le palais de Priam.
SCÈNE IV, Plaine entre Troie et le camp des Grecs.
SCÈNE V, Une autre partie du champ de bataille.
SCÈNE VI, Une autre partie du champ de bataille.
SCÈNE VII, La scène est dans une autre partie de la plaine.
SCÈNE VIII, Un autre côté de la plaine.
SCÈNE IX, Le théâtre représente une autre partie de la plaine.
SCÈNE X, Toujours entre la ville et le camp des Grecs.
SCÈNE XI, Une autre partie du champ de bataille.
Si, dans Troïlus et Cressida, le poëte traite un peu lestement les héros de l'Iliade, si ces grands noms lui ont si peu imposé qu'il est douteux que cette composition dramatique ne soit pas une parodie, ne croyons pas que Shakspeare ait blasphémé contre la divinité d'Homère; rappelons-nous que nos anciens romanciers avaient fait des demi-dieux et des héros de l'antiquité de véritables chevaliers errants, et qu'Hercule, Thésée, Jason, Achille, conservaient, pendant dix gros volumes, les mêmes moeurs que les Lancelot, les Roland, les Olivier, et d'autres paladins chrétiens.
C'est à Chaucer que Shakspeare nous semble en grande partie redevable de l'idée de Troïlus et Cressida; mais les grands traits avec lesquels il dessine les caractères de ses autres héros, Hector, Achille, Ajax, Diomède, Agamemnon, Nestor, le lâche et satirique Thersite, l'amitié d'Achille et de Patrocle, l'éloquence d'Ulysse, que la Minerve d'Homère n'eût pas si bien inspiré; enfin, quelques traits historiques qu'on ne trouve ni dans Chaucer, ni dans Caxton, ni dans aucun des romanciers du moyen âge, font conjecturer que Shakspeare aurait bien pu connaître par la traduction quelques livres de l'Iliade.
Quoi qu'il en soit, jamais Shakspeare ne s'est moins occupé de l'effet théâtral que dans cette pièce. Nous passons en revue avec lui tous ces héros, que nos souvenirs classiques nous rendent sacrés, sans pouvoir résister à la tentation de les trouver parfois ridicules, et cependant naturels.
Hector, qui paraît d'abord digne de concentrer sur lui tout l'intérêt, parce qu'il est représenté comme le plus aimable, nous surprend tout à coup en refusant de se battre avec Ajax, parce qu'il est son cousin. On ne pardonnerait point à Shakspeare cette excuse, s'il ne faisait en quelque sorte réparation d'honneur à ce héros en le faisant périr d'une mort sublime.
Ajax est un des caractères les plus originaux de la pièce, et s'accorde assez bien avec celui de l'Iliade. Il forme avec Achille un contraste habilement ménagé. On trouverait encore de nos jours à faire l'application de son portrait tel que l'esquisse Alexandre.
Achille est bien aussi l'Achille de l'Iliade; mais il se déshonore en excitant les bouffonneries de Patrocle et la méchanceté de Thersite; et il y a quelque chose de révoltant dans la froide férocité avec laquelle il égorge Hector.
Le vieux roi de Pylos ne paraît que pour nous montrer sa barbe blanche et recevoir les compliments d'Ulysse. Celui-ci possède à lui seul l'éloquence et la raison de la pièce; mais il faut bien que ses discours soient sublimes, car il ne fait que des discours. Les autres héros de Troie et du camp des Grecs jouent un rôle encore moins important, et pour la prise de Troie, et pour l'intrigue des deux amants.
Troïlus lui-même a pour caractère de n'en point avoir. Sa patience nous fait sourire; on a peine à croire à ses emportements qui, du reste, comme l'observe Schlegel, ne font mal à personne. Mais les caractères de Cressida et de Pandarus sont frappants de vérité et d'originalité; le nom de celui-ci est devenu dans la langue anglaise un mot honnête pour exprimer un métier qui ne l'est guère, et qui n'a point d'équivalent dans la nôtre; car le Bonneau de la Pucelle de Voltaire n'est pas encore proverbial parmi nous.
Cressida nous amuse par son étourderie; elle devient amoureuse de Troïlus par désoeuvrement, et le quitte par pure légèreté. Sa passion pour Diomède n'est pas plus sérieuse que la première; un troisième galant n'aurait qu'à s'offrir pour le supplanter aussi facilement que l'a été Troïlus.
On peut lui appliquer le vers de lord Byron:
Thou art not false, but thou art fickle. Tu n'es point perfide, tu n'es que légère.
Si cette pièce n'est pas une des plus morales et des plus fortement conçues de Shakspeare, elle n'est pas une des moins amusantes et des moins instructives. Naturellement, Shakspeare ne se passionne pour aucun de ses personnages; nulle part, peut-être, il n'est entièrement sérieux ou entièrement comique; mais c'est ici surtout qu'il s'est fait un jeu du caprice de ses idées, et qu'il semble avoir voulu donner un double sens à sa composition.
Johnson observe que le style de Shakspeare, dans Troïlus et Cressida, est plus correct que dans la plupart de ses pièces; on doit y remarquer aussi une foule d'observations politiques et morales, cachet d'un génie supérieur.
Dryden a refait cette tragédie avec des changements. Il a donné au fond une nouvelle forme; il a omis quelques personnages, et ajouté Andromaque: en général, il y a plus d'ordre et de liaison dans ses scènes, et quelques-unes sont neuves et du plus bel effet.
Selon Malone, Shakspeare aurait composé Troïlus et Cressida en 1602[1].
[Note 1: Troïlus and Cressida, or Truth found too late (ou la Vérité connue trop tard). London, 1679.]
PRIAM, roi de Troie.
HECTOR, )
TROÏLUS,)
PARIS,)ses fils.
DÉIPHOBE, )
HÉLÉNUS,)
ÉNÉE, )
ANTÉNOR,)chefs troyens.
PANDARE, oncle de Cressida.
CALCHAS, prêtre troyen du parti des Grecs.
MARGARÉLON, fils naturel de Priam.
AGAMEMNON, général des Grecs.
MÉNÉLAS, son frère.
ACHILLE,)
AJAX, )
ULYSSE, ) chefs des Grecs.
NESTOR, )
DIOMÈDE,)
PATROCLE, )
THERSITE, Grec difforme et lâche.
ALEXANDRE, serviteur de Cressida.
UN SERVITEUR DE TROÏLUS.
UN SERVITEUR DE PARIS.
UN SERVITEUR DE DIOMÈDE.
HÉLÈNE, femme de Ménélas.
ANDROMAQUE, femme d'Hector.
CASSANDRE, fille de Priam, proph.
CRESSIDA, fille de Calchas.--SOLDATS GRECS ET TROYENS, etc.
La scène est tantôt dans Troie, et tantôt dans le camp des Grecs.
Troie est le lieu de la scène. Des îles de la Grèce, une foule de princes enflammés d'orgueil et de courroux ont envoyé au port d'Athènes leurs vaisseaux chargés de combattants et des apprêts d'une guerre cruelle. Soixante-neuf chefs, rois couronnés d'autant de petits empires, sont sortis de la baie athénienne et ont vogué vers la Phrygie, tous liés par le voeu solennel de saccager Troie. Dans ses fortes murailles, Hélène, l'épouse du roi Ménélas, dort en paix dans les bras de son ravisseur Pàris; et voilà la cause de cette grande querelle. Les Grecs abordent à Ténédos, et là leurs vaisseaux vomissent de leurs larges flancs sur le rivage tout l'appareil de la guerre. Déjà les Grecs, pleins d'ardeur et fiers de leurs forces encore entières, plantent leurs tentes guerrières sur les plaines de Dardanie. Les six portes de la cité de Priam, la porte Dardanienne, la Thymbrienne, l'Ilias, la Chétas, la Troyenne et l'Anténoride, avec leurs lourds verroux et leurs barres de fer, enferment et défendent les enfants de Troie.--Maintenant l'attente agite les esprits inquiets dans l'un et l'autre parti; Grecs et Troyens sont disposés à livrer tout aux hasards de la fortune:--Et moi je viens ici comme un Prologue armé;--mais non pas pour vous faire un défi dans la confiance que m'inspire la plume de l'auteur, ou le jeu des acteurs, mais simplement pour offrir le costume assorti au sujet, et pour vous dire, spectateurs bénévoles, que notre pièce, franchissant tout l'espace antérieur et les premiers germes de cette querelle, court se placer au milieu même des événements, pour se replier ensuite sur tout ce qui peut entrer et s'arranger dans un plan. Approuvez ou blâmez, faites à votre gré; maintenant, bonne ou mauvaise fortune, c'est la chance de la guerre.
Entrent TROÏLUS armé et PANDARE.
TROÏLUS.--Appelez mon varlet[2]; je veux me désarmer. Eh! pourquoi ferais-je la guerre hors des murs de Troie, lorsque j'ai à soutenir de si cruels combats ici dans mon sein? Que le Troyen qui est maître de son coeur aille au champ de bataille: le coeur de Troïlus, hélas! n'est plus à lui.
[Note 2: Ci-gît Hakin et son varlet Tout déarmé et tout défaict Avec son espée et sa loche.]
PANDARE.--N'y a-t-il point de remède à toutes ces plaintes?
TROÏLUS.--Les Grecs sont forts, habiles autant que forts, fiers autant qu'habiles, et vaillants autant que fiers. Mais moi, je suis plus faible que les pleurs d'une femme, plus paisible que le sommeil, plus crédule que l'ignorance. Je suis moins brave qu'une jeune fille pendant la nuit, et plus novice que l'enfance sans expérience.
PANDARE.--Allons! je vous en ai assez dit là-dessus: quant à moi, je ne m'en mêlerai plus. Celui qui veut faire un gâteau du froment doit attendre la mouture.
TROÏLUS.--Ne l'ai-je pas attendu?
PANDARE.--Oui, la mouture; mais il faut attendre le blutage.
TROÏLUS.--N'ai-je pas attendu?
PANDARE.--Oui, le blutage: mais il vous faut attendre la levure.
TROÏLUS.--Je l'ai attendue aussi.
PANDARE.--Oui, la levure: mais ce n'est pas tout, il faut encore pétrir, faire le gâteau, chauffer le four, cuire; et il faut bien attendre encore que le gâteau se refroidisse, ou vous risquez de vous brûler les lèvres.
TROÏLUS.--La patience elle-même, toute déesse qu'elle est, supporte la souffrance moins paisiblement que moi. Je m'assieds à la table royale de Priam, et lorsque la belle Cressida vient s'offrir à ma pensée,--que dis-je, traître, quand elle vient?--Quand en est-elle jamais absente?
PANDARE.--Eh bien! elle était plus belle hier au soir que je ne l'ai jamais vue, ni elle ni aucune autre femme.
TROÏLUS.--J'en étais à vous dire...--Quand mon coeur, comme ouvert par un violent soupir, était prêt à se fendre en deux; dans la crainte qu'Hector, ou mon père, ne me surprissent, j'ai enseveli ce soupir dans le pli d'un sourire, comme le soleil lorsqu'il éclaire un orage: mais le chagrin, que voile une gaieté apparente, est comme une joie que le destin change en une tristesse soudaine.
PANDARE.--Si ses cheveux n'étaient pas d'une nuance plus foncée que ceux d'Hélène, allons, il n'y aurait pas plus de comparaison à faire entre ces deux femmes... mais, quant à moi, elle est ma parente: je ne voudrais pas, comme on dit, trop la vanter.--Mais je voudrais que quelqu'un l'eût entendue parler hier, comme je l'ai entendue, moi... Je ne veux pas déprécier l'esprit de votre soeur Cassandre.--Mais...
TROÏLUS.--O Pandare, je vous le déclare... Pandare, quand je vous dis que là sont ensevelies toutes mes espérances, ne me répliquez pas, pour me dire à combien de brasses de profondeur elles sont plongées. Je vous dis que je suis fou d'amour pour Cressida; vous me répondez qu'elle est belle, vous versez dans la plaie ouverte de mon coeur tout le charme de ses yeux, de sa chevelure, de ses joues, de son port, de sa voix. Vous parlez de sa main! auprès de laquelle toutes les blancheurs sont de l'encre qui trahit elle-même sa noirceur; auprès de la douceur de son toucher, le duvet du cygne même est rude, et la sensation la plus exquise est grossière comme la main du laboureur.--Voilà ce que vous me dites. Et tout ce que vous me dites est la vérité, comme lorsque je dis que je l'aime.--Mais en me parlant ainsi, au lieu de baume et d'huile, vous plongez dans chaque blessure que m'a faite l'amour le couteau qui les a ouvertes.
PANDARE.--Je ne dis que la vérité.
TROÏLUS.--Vous n'en dites pas encore assez.
PANDARE.--Ma foi, je ne veux plus m'en mêler: qu'elle soit ce qu'elle voudra; si elle est belle, tant mieux pour elle; si elle ne l'est pas, elle a le remède dans ses propres mains.
TROÏLUS.--Bon Pandare! eh bien! Pandare?
PANDARE.--J'en suis pour mes peines: je suis mal vu d'elle et mal vu de vous: je me suis mêlé de négocier entre vous deux, mais on me sait fort peu gré de mes soins.
TROÏLUS.--Quoi! seriez-vous fâché, Pandare? Le seriez-vous contre moi?
PANDARE.--Parce qu'elle est ma parente, elle n'est pas aussi belle qu'Hélène. Si elle n'était pas ma parente, elle serait aussi belle le vendredi qu'Hélène le dimanche. Mais qu'est-ce que cela me fait à moi? Fût-elle noire comme un nègre, peu importe: cela m'est bien égal.
TROÏLUS.--Est-ce que je dis qu'elle n'est pas belle?
PANDARE.--Peu importe que vous le disiez ou que vous ne le disiez pas; c'est une sotte de rester ici sans son père, qu'elle aille trouver les Grecs; et je le lui dirai, la première fois que je la verrai; pour ce qui est de moi, c'est fini, je ne m'en mêlerai plus.
TROÏLUS.--Pandare...
PANDARE.--Non, jamais.
TROÏLUS.--Mon cher Pandare...
PANDARE.--Je vous en prie, ne m'en parlez plus, je veux tout laisser là, comme je l'ai trouvé; et tout est fini.
(Pandare sort.)
(Bruit de guerre.)
TROÏLUS.--Silence, odieuses clameurs! silence, rudes sons! insensés des deux partis! Il faut bien qu'Hélène soit belle, puisque vous la fardez tous les jours de votre sang. Moi, je ne puis combattre pour un pareil sujet: il est trop chétif pour mon épée. Mais Pandare... O dieux, comme vous me tourmentez! Je ne puis arriver à Cressida que par Pandare; et il est aussi difficile de l'engager à lui faire la cour pour moi, qu'elle est obstinée dans sa vertu contre toute sollicitation. Au nom de ton amour pour ta Daphné, dis-moi, Apollon, ce qu'est Cressida, ce qu'est Pandare, et ce que je suis. Le lit de cette belle est l'Inde: elle est la perle qui y repose; je vois l'errant et vaste Océan, dans l'espace qui est entre Ilion et le lieu de sa demeure: moi, je suis le marchand, et ce Pandare, qui vogue de l'un à l'autre bord, est ma douteuse espérance; mon remorqueur et mon vaisseau.
(Bruit de guerre. Entre Énée.)
ÉNÉE.--Quoi donc, prince Troïlus! pourquoi n'êtes-vous pas sur le champ de bataille?
TROÏLUS.--Parce que je n'y suis pas; cette réponse de femme est à propos, car c'est pour une femme que l'on sort de ces murs. Quelles nouvelles, aujourd'hui, Énée, du champ de bataille?
ÉNÉE.--Que Pâris est rentré blessé dans la ville.
TROÏLUS.--Par qui, Énée?
ÉNÉE.--Par Ménélas, Troïlus.
TROÏLUS.--Que le sang de Pâris coule: c'est une blessure à dédaigner. Pâris a été percé par la corne de Ménélas.
ÉNÉE.--Écoutez, quelle belle chasse on donne aujourd'hui hors de la ville!
TROÏLUS.--Il y en aurait une plus belle dans la ville si vouloir était pouvoir.--Mais allons à la chasse de la plaine!--Vous y rendez-vous?
ÉNÉE.--En toute hâte.
TROÏLUS.--Venez, allons-y ensemble.
(Ils sortent.)
Entrent CRESSIDA et ALEXANDRE[3].
[Note 3: Alexandre est ici un valet, ce n'est pas Alexandre Pâris, il est vrai que Pandare va tout à l'heure lui dire bonjour, mais les gens comme Pandare sont les plus affables du monde.]
CRESSIDA.--Qui étaient celles qui viennent de passer près de nous?
ALEXANDRE.--La reine Hécube et Hélène.
CRESSIDA.--Et où vont-elles?
ALEXANDRE.--Elles vont voir la bataille, de la tour de l'Orient, dont la hauteur commande en souveraine toute la vallée; Hector, dont la patience est inébranlable, comme la vertu même, était ému aujourd'hui. Il a grondé Andromaque et frappé son écuyer; et comme s'il était question d'économie de ménage dans la guerre, il s'est levé avant le soleil pour s'armer à la légère et se rendre sur le champ de bataille dont chaque fleur pleurait, comme si elle pressentait prophétiquement les effets du courroux d'Hector.
CRESSIDA.--Et quel était le sujet de sa colère?
ALEXANDRE.--Voici le bruit qui s'est répandu. Il y a, dit-on, parmi les Grecs, un héros du sang troyen, neveu d'Hector: on le nomme Ajax.
CRESSIDA.--Fort bien; et que dit-on de lui?
ALEXANDRE.--On dit que c'est un homme perse, et qui se tient tout seul[4].
[Note 4: Stands alone, stat solus, proéminent; to stand veut dire aussi se tenir debout, de là l'équivoque.]
CRESSIDA.--On en peut dire autant de tous les hommes, à moins qu'ils ne soient ivres, malades, ou sans jambes.
ALEXANDRE.--Cet homme, madame, a volé à plusieurs animaux leurs qualités distinctives. Il est aussi vaillant que le lion, aussi grossier que l'ours, aussi lent que l'éléphant: c'est un homme en qui la nature a tellement accumulé les humeurs diverses, qu'en lui la valeur se mêle à la folie, et que la folie est assaisonnée de prudence: il n'y a pas un homme qui ait une vertu dont il n'ait une étincelle, un défaut dont il n'ait quelque teinte. Il est mélancolique sans sujet et gai à rebrousse-poil. Il a des jointures pour tous ses membres; mais tout en lui est si démanché, que c'est un Briarée goutteux avec cent bras dont il ne peut faire usage, un Argus aveugle avec cent yeux dont il ne voit pas clair.
CRESSIDA.--Mais comment cet homme, qui me fait sourire, peut-il exciter le courroux d'Hector?
ALEXANDRE.--On dit qu'il a lutté hier avec Hector dans le combat et qu'il l'a terrassé. Furieux et honteux depuis cet affront, Hector n'en a ni mangé ni dormi.
(Entre Pandare.)
CRESSIDA.--Qui vient à nous?
ALEXANDRE.--Madame, c'est votre oncle Pandare.
CRESSIDA.--Hector est un brave guerrier.
ALEXANDRE.--Autant qu'homme au monde, madame.
PANDARE.--Que dites-vous là? que dites-vous là?
CRESSIDA.--Bonjour, mon oncle Pandare.
PANDARE.--Bonjour, ma nièce Cressida. De quoi parlez-vous?--Ah! bonjour, Alexandre.--Eh bien! ma nièce, comment vous portez-vous? Depuis quand êtes-vous à Ilion[5]?
[Note 5: Ilion était le palais de Troie.]
CRESSIDA.--Depuis ce matin, mon oncle.
PANDARE.--De quoi parliez-vous quand je suis arrivé?--Hector était-il armé et sorti avant que vous vinssiez à Ilion? Hélène n'était pas levée? n'est-ce pas?
CRESSIDA.--Hector était parti; mais Hélène n'était pas encore levée.
PANDARE.--Oui, Hector a été bien matinal.