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Suite à un coup de foudre estival, l'héritier d'un magnat
de l’industrie pharmaceutique se fiance à une jeune guide touristique, mais leur conte de fées pourrait virer au drame
…
Morgane n’est pas de son milieu, mais il la fait accepter par ses parents. Pour les fiançailles, chaque invité repartira avec une figurine en faïence de Quimper : un couple de danseurs bretons en costume capiste, « Les Fiancés d’Audierne ». Les tourtereaux vivent un véritable conte de fées. Mais Paul et Sarah n’ont jamais leur place dans les romances qui se terminent bien. Quand ils interviennent dans une belle histoire, c’est qu’un grain de sable est venu enrayer la parfaite mécanique de l’amour. Un grain, ou plusieurs…
Ce 15e tome vous emportera dans une enquête haletante qui va mener le capitaine Paul jusqu'à Audierne et bien d’autres sites de cette superbe région du Finistère !
EXTRAIT
Elle décrocha les yeux de l’objet de faïence posé sur le comptoir pour fixer le visage de Julien en se demandant si tout cela n’était pas qu’un rêve de jeune fille romantique. Tout s’était passé si vite, depuis un an, sa vie était devenue un tourbillon dont elle ne maîtrisait plus le cours. Son cœur avait largué les amarres et palpitait au gré de déferlantes d’amour. Elle le revoyait, équipé comme un vrai marin breton, à bord de l’Enez Sun, le bateau qui faisait la navette vers l’île de Sein. C’était durant le pont de l’Ascension, au mois de mai, un an plus tôt. Il accompagnait des copains depuis Audierne et s’était approché d’elle pour lui avouer qu’il était sous le charme de son adorable visage parsemé de taches de rousseur.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Éditions Bargain, le succès du polar breton. -
Ouest France
L'enquête est retorse. Les personnages ne sont pas ceux qu'ils prétendent être. Ce livre a pour toile de fond : Audierne, la réserve d'oiseau de Goulien, Pont-Croix et la Pointe du Raz. Reste à savoir si ce livre colle à l'actualité, il faudra le lire. -
Le Télégramme
Une enquête policière au sein de ma ville... J'ai trouvé assez drôle d'y reconnaître les lieux. L'intrigue du roman est bien menée. Les personnages sont hauts en couleur chacun à leur façon. Un bon petit roman pour un bon moment de lecture ! -
Nathaliecez, BabelioUne histoire très prenante. -
mawion
, Booknode
À PROPOS DE L'AUTEUR
Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l’écriture de polars avec les enquêtes bretonnes d’un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine, et de sa fille Sarah. À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
REMERCIEMENTS
À André Morin pour son regard d’expert de la procédure et sa patience.
À Lorraine, Brigitte et Domi, pour leur relecture amicale et attentive.
PAUL CAPITAINE : 55 ans, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la ville et la région. Il trouve au sein de la brigade judiciaire une seconde jeunesse grâce à Sarah, sa partenaire mais aussi sa fille. Il est le compagnon de Dominique Vasseur, magistrate au parquet de Quimper.
SARAH NOWAK : 31 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Engagée dans la police pour retrouver son père breton, elle va le découvrir en son partenaire, Paul Capitaine. Dotée d’un caractère fort et généreux, elle cultive des rêves d’absolu. Le plus souvent attachante, parfois irritante, toujours franche et sincère. Elle partage la vie de Quentin, un jeune pompier.
DOMINIQUE VASSEUR : 48 ans, célibataire, vice-procureure de la République, compagne de Paul Capitaine. Elle a échoué à Quimper après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre, loyale, elle vient d’accepter de siéger dans une importante commission juridique aux États-Unis, un poste qui l’éloigne de Quimper durant six mois chaque année.
RADIA BELLOUMI : 37 ans, commissaire de police. Une surdouée d’origine maghrébine, promue jeune à la tête du commissariat de Quimper. Elle a acquis le respect de ses effectifs par son sang-froid et sa baraka. Proche de Gérald, ambitieux secrétaire de préfecture, elle est pressentie pour une haute fonction à Paris.
ROSE-MARIE CORTOT : 30 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. RMC pour tout le monde. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur permanente, le plus de la brigade judiciaire par son génie de l’informatique. Meilleure amie de Sarah, elle partage la vie de Mario, détective privé et ancien policier.
CAROLE MORTIER : 44 ans, divorcée, une fille de 17 ans, Priscilla. Capitaine de police et chef de groupe. Un excellent flic, mais une femme au parcours tortueux, souvent empêtrée dans des soucis familiaux et les incidences de sa passion pour le jeu.
Blaise JUILLARD : 30 ans, célibataire, lieutenant de police, tout juste débarqué à Quimper. Son père est un ponte du Quai des Orfèvres, le fils ne possède pas son étoffe. Cependant, sous ses airs nonchalants qui lui ont valu le surnom de Zébulon, il n’est pas dénué de flair ni de vivacité d’analyse. Amoureux transi de Sarah.
RONAN FEUNTEUN : 55 ans, en couple avec Françoise, journaliste et patron de l’agence quimpéroise Ouest-France. Camarade de jeunesse de Paul Capitaine. Entre eux, un accord tacite : le journaliste transmet ses informations au policier ; en échange, celui-ci lui réserve la primeur du résultat des enquêtes.
— C’est merveilleux, c’est exactement ce que je désirais, ils sont parfaits ! Vous avez accompli un miracle, Monsieur, vous êtes un grand artiste ! Mon amour, tu es certain que c’est raisonnable ? Ce cadeau va te coûter une fortune, j’ai presque du scrupule à l’accepter, je dois passer pour une gamine capricieuse…
Il la regardait avec tant de tendresse et lisait dans ses yeux tant de bonheur que cela justifiait la somme folle qu’il s’apprêtait à dépenser. Enfin, folle pour une personne qui ne possédait pas ses moyens financiers. Parce que ce n’était finalement qu’une bouchée de pain à côté du bijou unique qu’il lui aurait acheté dans l’une des boutiques de la place Vendôme. D’ailleurs, il le lui avait acheté, ce bijou à la valeur indécente, une superbe bague, mais cela, c’était encore un secret.
— Lorsqu’il s’agit de ton bonheur, tu sais très bien que je ne suis pas raisonnable, ma chérie. Il me semble que je suis né pour que cette frimousse candide conserve éternellement ce rayonnement qui me fait si chaud au cœur. Et de toute manière, il est trop tard pour faire marche arrière, je ne crois pas que Monsieur apprécierait de se retrouver avec quatre-vingts figurines des “Fiancés d’Audierne” sur les bras. Tu ne crois pas, Morgane ?
Elle décrocha les yeux de l’objet de faïence posé sur le comptoir pour fixer le visage de Julien en se demandant si tout cela n’était pas qu’un rêve de jeune fille romantique. Tout s’était passé si vite, depuis un an, sa vie était devenue un tourbillon dont elle ne maîtrisait plus le cours. Son cœur avait largué les amarres et palpitait au gré de déferlantes d’amour. Elle le revoyait, équipé comme un vrai marin breton, à bord de l’Enez Sun, le bateau qui faisait la navette vers l’île de Sein. C’était durant le pont de l’Ascension, au mois de mai, un an plus tôt. Il accompagnait des copains depuis Audierne et s’était approché d’elle pour lui avouer qu’il était sous le charme de son adorable visage parsemé de taches de rousseur. Il n’avait rien dit de plus, surtout pas qu’il était parisien, encore moins que son père était milliardaire et qu’il était son héritier, proche de prendre les rênes du laboratoire familial. Elle s’était contentée de lui sourire, avait accepté le compliment parce que cela faisait toujours plaisir, puis s’était replongée dans ses préoccupations du moment. En bonne Bretonne, Morgane avait les pieds sur terre, même sur le pont d’un navire.
Elle avait très vite oublié le beau jeune homme et son compliment jusqu’à ce jour de juillet où elle faisait visiter la chapelle de Sainte-Évette, l’un des fleurons touristiques de la ville d’Audierne, à un groupe de touristes qui désiraient connaître la légende du lieu, les petites histoires qui s’y rattachaient. Et Dieu savait comme Morgane les racontait bien, les anecdotes cruelles ou émouvantes de la belle et pieuse jeune fille et de son frère Devet, de leur arrivée sur le sol du Cap jusqu’à son statut de protectrice des marins et des pêcheurs de la baie d’Audierne, bien plus tard. À croire qu’il s’agissait d’elle, dans une autre vie, que ces affres et cette gloire, elle les avait elle-même vécues pour les incarner avec tant de justesse.
Elle n’avait pas reconnu aussitôt le garçon du pont de l’Ascension, mais lorsqu’un jeune homme demanda si les représentations de la sainte femme ne l’incarnaient pas avec un visage de madone persillé de taches de rousseur, elle sut que c’était lui et son souvenir remonta instantanément à la surface de sa mémoire. Son cœur commença à battre la chamade. Elle eut bien des difficultés à boucler la visite, troublée de le savoir parmi les auditeurs attentifs. Parce que, mine de rien, elle ne l’avait pas vraiment oublié, ce garçon si discret.
Dès la fin de la journée, une fois la visite de la chapelle achevée, ils ne se quittèrent plus jusqu’au petit matin. Il l’invita dans le plus beau restaurant de la ville et lui offrit un homard thermidor puis un dernier verre dans le bar de son choix. Enfin, il la mena jusqu’à une chambre qu’il prétendait son lieu de villégiature, alors qu’il s’agissait de l’antre de l’un de ses potes, mais cela, elle ne le découvrit que bien plus tard. Elle n’était pas fille à se donner au premier venu, mais sa délicatesse, son raffinement, sa timidité presque maladive la troublèrent intensément. Son cœur avait chaviré dans les écumes de la passion, comme un marin, pris par le tournis, se retrouvait au milieu des vagues. Elle eut beau lui dire qu’elle devait travailler à neuf heures, il ne voulait rien entendre et la retint prisonnière sans avoir pour cela besoin d’utiliser la violence. Morgane se trouvait captive de ses sentiments et, pour rien au monde, elle ne s’y serait soustraite.
Le matin venu, Julien Daumier, car tel était son nom, téléphona à la patronne de Morgane, Gwen Caradec, l’adjointe aux affaires culturelles. Après avoir décliné son identité, il lui demanda un chèque de quel montant il devait parafer, s’il désirait bénéficier de la présence de Morgane Lazennec pour la journée à ses côtés, parce qu’il ne connaissait pas guide plus érudit sur la commune. L’élue municipale accepta d’accorder sa journée à l’employée si tel était son bon désir. Ainsi le rêve se prolongea vingt-quatre heures de plus, à se balader de pointe en pointe : Raz, Van, Brézellec, Penharn avant de finir par la réserve d’oiseaux du Cap Sizun sur laquelle Morgane semblait intarissable, tutoyant le crave à bec rouge et le faucon pèlerin comme s’ils étaient de sa famille.
Julien s’émerveillait de l’écouter, de la contempler, de s’enivrer de sa gouaille inénarrable, de ses éclats de rire spontanés, de sa joie de vivre si communicative. Lui, si sérieux, tout en retenue et en réflexion, au point de se demander parfois qui il serait vraiment s’il n’était l’héritier de l’empire Daumier, se noyait dans ce torrent de vie qu’était sa fée Morgane. Elle n’était pas de son milieu, elle choquerait sans doute lors de certains repas d’affaires ou dans les cocktails mondains de la capitale, mais il s’en moquait éperdument. Elle lui apportait le véritable oxygène dont il avait un besoin vital pour respirer à son aise, le bon sens qui permettait de côtoyer les sommets et de garder les pieds sur terre. Elle rêvait d’une vie de princesse, il allait s’employer à la lui offrir, telle était désormais sa priorité dans l’existence, même s’il n’occultait pas les responsabilités qu’il allait devoir assumer à la tête d’une entreprise comptant une dizaine de milliers de salariés.
Les jours suivants, en fonction des disponibilités de la jeune Bretonne qui devait remplir son contrat, ils s’arrangèrent pour trouver une heure ou deux et se ménagèrent une rencontre intime dont l’attente semblait souvent interminable à Morgane. Elle n’avait qu’une hâte : retrouver son prince charmant si mystérieux, si pudique, tellement délicat et prévenant. Bien sûr, elle n’en avait parlé à personne, pas plus à Tristane, sa meilleure amie, qu’à ses parents. Elle savait qu’il était difficile de conserver un secret dans une petite ville comme Audierne, mais elle voulait profiter intensément de cette période qui filait beaucoup trop vite à son goût.
Fatalement, avant la fin de la quinzaine que s’était octroyée Julien le taciturne, elle apprit incidemment par ses potes du Connemara, un bar du centre-ville, que Julien était le fils d’un milliardaire, patron d’une société pharmaceutique internationale. Et que, depuis trois ans, lui-même était le directeur commercial de l’entreprise, chargé des relations avec les États-Unis et l’Extrême-Orient. Elle comprit alors pourquoi il n’avait rien dit de sa vie, de son travail. Elle n’avait donc représenté pour ce garçon qu’un jouet de vacances, rien de plus, une distraction temporaire, une petite provinciale naïve qui avait pimenté son quotidien. Vexée, blessée, elle n’alla pas au dernier rendez-vous, celui des adieux, se terrant dans une cachette pour ruminer une peine profonde, mâtinée de colère indicible.
Pourtant Julien remua, sinon ciel et terre, du moins Audierne, Plouhinec, Poulgoazec et Esquibien pour retrouver la trace de la jeune femme. De bar en bar, de porte à porte, de la chapelle de la pointe du Van à la réserve naturelle de Goulien où les craves refusèrent de trahir leur amie. Elle avait finalement trouvé refuge chez ses parents qui habitaient, sur la commune de Saint-Tugen. Ils habitaient l’une de ces maisons néobretonnes qui dominaient l’anse du Cabestan et sa superbe plage de sable fin. Bien sûr, elle confia sa désillusion à Claudette, sa mère, en la faisant jurer de ne jamais le dire à René, son père, dont elle connaissait le caractère entier, mais aussi l’affection sans borne, quasi possessive, qu’il éprouvait pour sa fille unique. Et avec sa carrure robuste d’ancien patron pêcheur…
Quand il frappa à la porte des Lazennec à Saint-Tugen, en ayant pris soin d’attendre le départ des parents vers leurs activités avant de se présenter, Julien ne s’était jamais senti aussi penaud. Morgane le comprit très vite, s’en voulut un peu de ne pas s’être manifestée pour justifier sa fuite, accepta de l’accueillir dans le salon et d’écouter ses explications. Le pauvre aurait certainement préféré se trouver à Shanghai devant un parterre d’investisseurs chinois, pourtant, il devait se lancer dans le vide pour sauver le contrat de sa vie. Il expliqua à Morgane qu’il l’aimait sincèrement et que, s’il lui avait dit tout de suite qu’il était le fils d’un milliardaire, elle serait partie en courant, affolée comme tant d’autres par la caricature habituelle des fils à papa. Il s’engagea à lui prouver qu’elle n’avait pas été pour lui une simple aventure d’été, comme elle l’avait confié à sa copine Tristane, sa grande consolatrice. Il la supplia de croire à l’honnêteté de son sentiment. Elle décida de lui offrir une seconde chance. Même s’il devait retourner à Paris, dans cette ruche permanente où des dizaines d’abeilles devaient lui tourner autour, là où nul ne perçoit le cri des craves et le chant des sirènes.
De fait, par la suite, il ne laissa jamais passer une journée sans lui envoyer un SMS ou un courriel, même depuis l’autre bout de la planète, quand il ne l’appelait pas en soirée pour passer avec elle souvent plus d’une heure au téléphone. Il s’amusait à lui raconter que son père tentait de découvrir l’identité de la belle qui avait trouvé le code du cadenas de son cœur. Il lui avait promis que, le moment venu, il la présenterait à la famille.
Quand il revint la voir pour une semaine, en fin d’année, au lieu d’accompagner sa famille à Gstaad comme d’ordinaire, il évoqua même devant elle son désir de fiançailles. Jamais elle n’avait passé de Noël plus magique que ce celui-là, dans un petit penty qu’il avait loué, vers la pointe de Lervily, pour servir de nid douillet à leur idylle naissante, avant de le faire inviter le lendemain à la table familiale où il s’était senti si bien. Non, jamais elle n’avait passé un Noël plus beau que celui-là. Pas seulement de par les cadeaux sublimes qu’il avait rapportés de Paris, même si elle ne s’en sentait pas digne, mais surtout de par la promesse d’une vie de princesse qu’il lui avait faite avec une profonde sincérité. Et quand il demanda officiellement la main de Morgane à son père René, celui-ci regarda sa fille et lui susurra seulement, en guise de consentement :
— Si tu es heureuse, c’est tout ce que je veux, ton bonheur ! Mais tu ne m’empêcheras pas de penser que ce n’est pas notre monde.
Julien lui avait promis un destin de fée moderne, elle avait choisi de le croire, car il ne l’avait jamais déçue, même s’il lui faisait comprendre à demi-mot que son choix créait pas mal de remous, ses parents ayant vite découvert que l’élue n’était pas une fille du sérail. Mais il s’en moquait éperdument, il savait qu’il ne se trompait pas. Arriva fatalement le jour où Morgane dut découvrir sa future belle-famille. Ce ne fut pas le plus génial de son existence, pourtant, l’impressionnant Philippe Daumier choisit de faire confiance à son fils et de se rallier à son choix. Et avec lui, son épouse Juana, une superbe Brésilienne à la douce voix chaleureuse. Le seul qui railla la provinciale fut le frère aîné de Julien, Sylvain. Julien avait mis sa fiancée en garde, ce n’était pas un garçon intéressant, il fallait même se méfier de lui. Il avait bien fait de la prévenir.
Elle se retrouvait à présent, un an après la première rencontre, à préparer leurs fiançailles dans la boutique d’un faïencier de Quimper, place du Styvel, non loin de l’Odet et de la fameuse passerelle menant au quartier du Cap Horn. Là, à Locmaria, autour de la faïencerie Henriot, dernière des grandes manufactures locales, les anciennes fabriques et échoppes avaient laissé place à des artisans, voire des artistes comme Pascal Jaouen, le fameux créateur de broderies d’art, ou encore Stéphane Larhant, un bijoutier.
Benjamin Cosquer, jeune créateur passionné par la faïencerie, faisait revivre quant à lui cet art implanté à Locmaria depuis 1708. Il s’était mis depuis quelques années à son propre compte et tentait de survivre dans une période difficile pour le commerce. La proposition de Morgane et Julien représentait donc pour lui une gageure mais surtout une aubaine financière. Son défi ? Dessiner et confectionner une figurine selon une vieille photo que la jeune fille avait retrouvée dans les affaires familiales ; ses grands-parents posant en costumes du cap Sizun – le fameux costume Kapenn avec pour les femmes la coiffe basse de filet brodé – à l’époque de leur mariage.
— Allô, allô, princesse Morgane, si vous pouviez revenir au XXIe siècle, cela nous arrangerait, parce que nous n’avons pas fini nos préparatifs pour votre couronnement… Le gentilhomme Julien, ici présent, a encore beaucoup de détails à régler pour que la fête soit à la mesure de la beauté de sa promise.
— Pardonne-moi, se justifia la jeune femme, une larme à la joue, je me disais juste qu’un an plus tôt, je n’étais qu’une petite étudiante bretonne du bout du monde, qui hésitait entre la poursuite de ses études sur la culture celtique ou la proposition d’un poste en CDI au syndicat d’initiative. Tout est allé si vite…
— Et aujourd’hui, cette superbe figurine, la jeune fille en costume de fête et coiffe du Cap, avec le visage parsemé de taches de rousseur, c’est bien toi ! Mais le plus heureux, c’est le jeune Parisien un peu pataud dans son costume breton, car désormais, quoi qu’il arrive, il se trouve uni à toi, à tes origines, à ton pays, pour l’éternité. Ces figurines sont bien garanties à vie, Monsieur ?
— À vie, peut-être pas, mais pour quelques décennies certainement, si les propriétaires en prennent soin… répondit Benjamin Cosquer, le patron de la faïencerie, un poil embarrassé. Sinon, nous conservons les moules de tous nos modèles et, pour celui-ci, dont vous avez acheté l’exclusivité, il vous suffit de revenir nous voir pour que nous vous en réalisions un nouveau. Du moins, si nous sommes toujours en vie…
Julien ne répondit pas, il se contenta de rédiger un chèque de 15000 euros, correspondant aux trois quarts du montant total, des arrhes ayant été préalablement versées, à la commande des quatre-vingts figurines. Il s’apprêtait à sortir une pièce d’identité. Son interlocuteur le stoppa dans son geste : ce n’était pas nécessaire, son patronyme valait tous les justificatifs du monde. Il commanda à Cyril, son manutentionnaire, la petite trentaine, plutôt beau gosse, de porter délicatement les colis qui se trouvaient entreposés à l’entrée de la boutique jusqu’à leur voiture rangée un peu plus loin, à l’ombre des premiers arbres des allées de Locmaria, là où les manèges de la fête foraine viennent s’installer au mois d’août. Julien accompagna le manutentionnaire avec les clés de son Pajero, laissant Morgane seule avec ses romances et ses légendes, les yeux rivés sur cette Bretonne de faïence qui lui ressemblait tant. Au bout d’un moment, le patron s’approcha d’elle.
— Celui-ci est en plus, un cadeau de la maison ! Les quatre-vingts autres se trouvent dans les quatre cartons.
— Mais il ne fallait pas, c’est terriblement gênant ! balbutia la belle rousse en piquant un fard, quand on pense au temps qu’il faut pour réaliser une telle merveille, je souhaite seulement que tous nos invités l’apprécient à sa juste valeur… Les miens, j’en suis certaine, des Bretons, Sud-Finistériens même, savent apprécier « le Quimper », même si peu d’entre eux en ont déjà un spécimen chez eux. Peut-être en héritage familial et un peu ébréché par les chocs et les déménagements… Par contre, la famille et les relations de Julien, j’ai des doutes : hormis la porcelaine de Sèvres ou de Gien, peu de créations doivent trouver grâce à leurs yeux, surtout provinciales. Enfin, ils possèdent d’autres valeurs, je vais devoir m’appliquer à les découvrir, au fil des années…
— Cela ne se fait peut-être pas, de souhaiter le meilleur à de jeunes fiancés, par crainte de leur porter malheur, se hasarda à ajouter Benjamin Cosquer, mais j’espère votre avenir inondé de bonheur et surtout, conservez votre rayonnement si bienfaisant, tous les deux, c’est si rare à notre époque !
— Je crois que je suis née sous une bonne étoile, murmura Morgane à l’oreille du patron. J’ai rêvé au prince charmant durant toute ma jeunesse et le bon Dieu m’a exaucée. À force de prier sainte Évette, elle a fini par m’entendre…
— Voilà, le commis charge le dernier colis, nous allons pouvoir y aller, ma princesse, annonça Julien un sourire affectueux au coin des lèvres. À moins que tu désires que j’avance le carrosse jusqu’à la porte pour t’éviter ces quelques dizaines de mètres de marche…
Morgane éclata de rire, secoua la tête en fermant les yeux de confusion, puis elle les ouvrit à nouveau pour contempler longuement la figurine qu’elle tenait dans le creux de sa main, peu habituée à recevoir un cadeau de cette valeur, surtout après celui, bien plus conséquent encore, que venait de lui offrir son fiancé. Elle remarqua la jeune vendeuse qui les avait accueillis lors de leur toute première venue, avant que le patron ne prenne les choses en main, et qui l’avait reçue à chacun de ses passages pour finaliser le projet.
Un visage d’adolescente mais déjà un corps de femme. Timide, discrète, effacée. Ses grandes billes bleu nuit bavaient d’envie devant le destin fabuleux de cette cliente qui vivait un véritable conte de fées. Celle-ci n’hésita pas un instant :
— Tu as un petit ami, Léa ? Tu t’appelles Léa, si je me souviens bien ?
— Oui, je fréquente un garçon, répondit timidement la vendeuse, petite blondinette qui se transforma instantanément en pivoine.
— Tiens, je t’offre cet exemplaire en cadeau ! Pour te rappeler qu’il ne faut jamais mettre de limite à ses rêves ni baisser les bras si l’on n’y accède pas tout de suite. Parce que, si l’on y croit vraiment, même l’impossible est à portée de main.
— Non, Madame, je ne peux accepter, c’est trop ! bredouilla la jeune femme en tremblant pour tendre sa main, ses yeux déjà humides passant à plusieurs reprises de l’œuvre d’art au visage de son patron, ne sachant si elle pouvait accepter un tel don.
— Ne m’appelle pas Madame, par pitié, j’ai l’impression d’avoir vieilli de dix ans ; tu as quel âge ?
— 25 ans, bientôt 26…
— 26 ans, comme moi ! Nous aurions pu nous retrouver dans une même classe, toutes les deux. Accepte ce cadeau comme une marque d’amitié de ma part et aussi un tremplin pour croire en ton destin. Le bonheur n’existe vraiment que dans le partage, voilà mon principe de vie et j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. Et celui qui m’en fera changer n’est pas encore né, crois-moi !
— En attendant sa naissance, nous pourrions peut-être avancer dans nos préparatifs, si quelques nécessités domestiques ne viennent pas altérer ta félicité intérieure ! intervint Julien, appuyé à la porte, un sourire complice au coin des lèvres.
Tous deux s’éclipsèrent alors que le patron, ahuri, regardait la somme inscrite sur le chèque et Léa, chavirée, la statuette des Fiancés d’Audierne qu’elle avait déjà si longuement contemplée, quand elle trônait auprès de ses semblables dans une vitrine de la boutique, en l’attente des commanditaires.
Les amoureux passèrent, bras dessus bras dessous, devant le petit square de la place du Styvel, dont les marronniers majestueux apportaient de l’ombre à la boutique du faïencier, puis le Restau à vins où ils avaient fait halte pour le déjeuner, lors de leur dernier passage. Leur voiture se trouvait garée un peu plus loin, sur le bord de l’Odet. Le commis la surveillait, il remit les clés de contact au chauffeur en lui souhaitant une bonne journée. Celui-ci ouvrit la portière côté passager pour permettre à sa princesse de s’installer, avant de faire le tour par l’arrière pour prendre place au volant. Elle ne le laissa pas partir sans le gratifier d’un long baiser. En lui susurrant à l’oreille qu’il était merveilleux. Il lui répondit que ce n’était pas un scoop et tous deux éclatèrent de rire parce que la vie était décidément merveilleuse à travers le filtre de l’amour.
Il tourna la clé, fit marche arrière et remonta vers la route de Bénodet en passant près de la petite fontaine, quand une explosion souffla le véhicule avec ses occupants, les voitures garées à côté et les vitres des immeubles alentour, déchiquetant aussi les feuilles des arbres les plus proches. Le serveur de la taverne voisine vint le premier aux nouvelles pour découvrir une carcasse en feu et un énorme nuage de poussière. Puis, après quelques secondes, il nota un corps entre deux fourgons endommagés. Il courut vers lui ; l’inconnu était inconscient, mais on sentait encore son pouls. Il sortit son portable et appela les pompiers. Quelques mois plus tôt et les soldats du feu se trouvaient juste en face ; mais depuis un an, la caserne avait changé de place pour s’installer dans le quartier de Kéradennec.
Moins d’une minute plus tard, le patron de la faïencerie et Léa arrivèrent à leur tour et découvrirent le garçon de café penché sur un corps. Tous deux savaient qu’il s’agissait de Cyril, le commis qui avait porté les colis. Léa s’agenouilla en criant et prit sa tête dans ses bras. Le pauvre était resté regarder partir les deux tourtereaux, sans doute lui aussi fasciné par la belle histoire de la jolie rousse. S’il était retourné aussitôt à son travail, il ne se trouverait pas entre la vie et la mort. Après un moment de choc, Léa se releva, courut dans tous les sens en hurlant sa douleur. Deux badauds parvinrent à la calmer. Les pompiers arrivèrent un peu plus tard, prirent en charge Cyril, mais aussi la jeune vendeuse, en pleine crise de nerfs. Leur chef appela la police et interdit l’accès du périmètre à tous les curieux. Tout juste toléra-t-il la présence de quelques riverains qui venaient de perdre leur véhicule dans l’explosion.
Dans la carcasse encore en feu du Pajero, il ne restait que des lambeaux de ferraille. Pas la moindre trace des deux corps, pas davantage des quatre-vingts figurines en faïence de Quimper que le couple venait d’acheter. Juste un tapis de poussière qui jonchait le bitume et recouvrait les feuilles des arbres. Un an plus tôt, Morgane Lazennec coulait une vie paisible et sans autres histoires que celles qu’elle aimait s’inventer pour nourrir des rêves romantiques. Cinq minutes plus tôt, elle nageait dans le doux bonheur d’un destin de princesse qui s’entrouvrait et Julien lui promettait une éternité de bonheur.
À présent, tout s’était envolé, disparu à jamais : la jolie rousse au visage mutin et son prince charmant au cœur aussi riche que le compte en banque de sa famille s’étaient envolés vers un autre monde après un dernier baiser d’amoureux et un ultime éclat de rire. Une seconde pour effacer deux vies et briser un destin.
— De toute manière, avec toi, c’est toujours le même refrain ! Mademoiselle a toujours raison, Mademoiselle est parfaite et moi, je ne suis qu’un crétin qui devrait déjà se montrer reconnaissant que Mademoiselle daigne s’intéresser à lui !
— Pense cela si ça t’arrange, Zeb, il n’empêche que je t’avais demandé de passer par la station pour faire le plein de gasoil et tu as zappé la commission, une fois de plus ! répliqua Sarah, moitié avec les mots, moitié avec les mains. Tu n’es pas fiable, que veux-tu que je te dise, je ne peux pas te faire confiance. Imagine que l’on soit appelé pour une affaire dans la demi-heure, on tombe en rade dans moins de cinq kilomètres et on fait du stop ? Ou alors on répond aux gens que nous devons faire un détour pour mettre du carburant dans notre véhicule ? As-tu déjà vu Chérif ou Candice Renoir faire le plein au milieu d’une enquête ? Non, c’est bien la preuve que j’ai raison ; eux, ce sont des pros.
— N’empêche, Candice Renoir, quand elle est appelée par son équipe sur une scène de crime, il ne lui faut pas trois plombes pour se friser la tignasse.
— C’est la meilleure, celle-là, c’est du cinoche, Zeb, elle sort de son plumard, elle est déjà coiffée et maquillée…
— Oui, c’est la meilleure, et pourtant, c’est toi que j’ai choisie pour partenaire, et pas que pour le boulot, mais depuis que tu as remis le couvert avec ton pompier, je suis à nouveau juste bon pour les engueulades.
— Ah, ça, c’est bien toi et ton art de détourner la conversation ! s’offusqua Sarah, bras au ciel. Tu ne mêles pas Quentin à notre discussion, tu es en tort mais tu es trop orgueilleux pour le reconnaître, point barre !
— Ce n’est pas un peu fini, tous les deux, intervint Carole en sortant de son bureau, on vous entend depuis la place Saint-Corentin ! Paul, tu avais raison, le bruit tout à l’heure, c’était bien une explosion. Je viens d’avoir les pompiers, une voiture est partie en fumée et ses occupants sont en charpie !
— Pétard, si on commence à faire sauter des bagnoles à Quimper, on n’a pas fini ! soupirai-je en enfilant mon blouson, comprenant que l’affaire allait me tomber sur le râble. Ce n’est pas un acte terroriste, j’espère ?
— Je ne pense pas, ce n’est pas le mode opératoire habituel, même si cela ne veut rien dire. Ce qui m’inquiète, c’est que l’une des victimes est Julien Daumier, le fils de Philippe Daumier, le patron des laboratoires Daumier, le fameux groupe pharmaceutique.
— Je ne vois pas qui c’est, bredouillai-je avec la moue de circonstance. J’ai bien connu une Sophie Daumier qui…
— Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi ! On y va ensemble, il ne faut pas se planter avec des gens de ce niveau, si on ne veut pas voir des cow-boys descendre de Paris pour reprendre l’enquête, après nous avoir suggéré d’aller nous amuser dans notre bac à sable ! De plus, par acquit de conscience, nous devons écarter définitivement la thèse terroriste parce que sinon, je ne te dis pas. BFM, ITélé, LCI et tout le tintouin…
— Comment, le binôme habituel de mon père, c’est moi ! s’insurgea Sarah en enfilant sa veste de jean.
— Les jeunes, vous avez de la paperasse en retard, répliqua Carole, autoritaire, et ainsi vous ne ferez pas baisser le niveau du réservoir de votre bagnole, déjà au plus bas, comme celui de votre efficacité au boulot…
C’était l’un de ces vendredis de mai avant un grand pont, comme je les détestais. Déjà parce que les effectifs étaient forcément réduits mais aussi parce que les petites affaires s’accumulaient. C’est fou ce qui pouvait arriver comme dossiers administratifs sur le bureau d’un officier de police judiciaire ! Entre les plaintes, les dénonciations, les perquisitions et saisies dans le cadre de procédures, sans oublier l’accompagnement des huissiers lors d’expulsions requérant l’intervention de la force publique, les constatations de décès à un domicile, il restait peu de place pour les crimes et gros délits qui, par chance, n’étaient pas très nombreux à Quimper.
D’ailleurs, Carole devait prendre quelques jours dès ce soir, ce qui allait lui faire du bien, parce que je la trouvais particulièrement à cran, cela lui permettrait de se détendre en compagnie de sa fille Priscilla et de son ex-mari, même s’il me semblait qu’entre eux, il y avait à nouveau de l’eau dans le gaz. J’avais cru comprendre que Carole avait surpris Guéric Boissard, le père de Priscilla et collègue nantais, en compagnie de sa partenaire, à son domicile. Mais, comme diraient les Inconnus, cela ne me regardait pas.
Dominique et moi aurions dû partir un peu plus tard pour une semaine aux Baléares, mais tout avait capoté à cause de la nécessité pour ma compagne de retourner en urgence aux États-Unis, parce que l’avenir de la commission de juristes à laquelle elle participait avait du plomb dans l’aile avec le changement de président américain. La coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme ne semblait plus une urgence absolue, seule importait désormais, pour l’administration de Washington, la sécurité de son territoire. Et pour un tel objectif, les agences américaines n’avaient pas besoin des aides de l’Europe.
Il ne nous fallut pas beaucoup de temps pour arriver sur le lieu du drame, accompagnés par une équipe de bleus pour le gel des lieux, dans l’attente de l’arrivée des collègues de la Scientifique. En cours de route, notre chef de groupe eut à nouveau l’occasion de s’emporter face à ce dossier qui allait encore lui pourrir la vie, comme si elle allait se le coltiner en solo. Lorsque je lui demandai ce qui clochait, suggérant un souci avec son ex, elle m’ordonna de me mêler de mes affaires et de la laisser régler les siennes. Bonjour l’ambiance ! N’empêche, j’avais certainement visé juste. Carole coupa le moteur, la conversation s’arrêtait donc là, à mon grand regret. Cet échange avait juste eu le don de m’irriter passablement. Une fois nantis de nos brassards, nous nous dirigeâmes vers le chef des pompiers qui nous fit un point sur la situation.
— L’explosion a été importante et a tout pulvérisé dans le périmètre, hormis la ferraille de la carcasse de la bagnole qui a résisté ! On se croirait à Beyrouth.
— Parce que vous connaissez Beyrouth ? interrogeai-je machinalement, sur un ton mordant.
— Non, bien sûr, mais par rapport à ce que l’on peut voir à la télé, répondit le pompier, embarrassé face à l’intonation acerbe de ma réplique. J’aurais pu dire Alep ou Damas…
— À Beyrouth, Alep ou Damas, il y aurait un cratère sous nos pieds et les immeubles alentour seraient en lambeaux, coupai-je sur un ton sec. Il doit s’agir d’un engin de relativement faible puissance. Avec un peu de chance, on en trouvera des débris. Si c’est le fait de terroristes, tous les médias du pays vont rappliquer à Quimper, la ville fera la une de l’actualité. Mais on va aussi voir débarquer les experts parisiens, forcément plus qualifiés que nous, puisqu’ils bossent dans la capitale.
— D’autres victimes que les deux occupants ? poursuivit Carole, calepin en main. Des témoins de la scène ?
— Pour la première question, juste un gars blessé, un employé de la faïencerie qui se trouvait à proximité du véhicule dans lequel il venait de charger quatre cartons de figurines. Le couple allait se fiancer, les malheureux… Le gars est dans les vapes, mais je ne pense pas ses jours en danger, même s’il a certainement fait un sacré vol plané. Une autre fille choquée, la vendeuse de la boutique qui venait de s’occuper du couple. Nous l’avons fait admettre à l’hôpital car elle se trouvait en pleine crise de nerfs. Quant aux témoins, le serveur, appuyé sur sa véranda, a été le premier sur place, c’est lui qui a donné l’alerte. Mais il n’a pas vu le véhicule exploser. Il y a aussi le patron de la faïencerie, arrivé un peu plus tard avec sa vendeuse. Tous les deux, ce sont les derniers témoins à avoir vu les victimes en vie. Bien sûr, les gens d’en face ont pu constater un détail supplémentaire, la scène s’est déroulée face à eux, encore faut-il qu’ils aient regardé à cet instant le Pajero qui démarrait…
— Merci, c’est du bon boulot, conclus-je avant de suivre Carole qui se dirigeait vers le serveur, et toutes mes excuses pour ma réaction, j’ai passé presque un an au Liban, aussi les attentats de Beyrouth, je connais, j’ai déjà donné.
— Pas de problème !
Le garçon du troquet était un bon Breton d’une petite trentaine d’années avec une courte chevelure rouquine et une allure athlétique de potentiel rugbyman.
Lui aussi était encore choqué par l’explosion et surtout cette vision d’apocalypse. D’ailleurs, sa chemise noire était persillée de fines particules de poussière émanant certainement des figurines de faïence dont il ne restait plus rien.
— On ne voyait rien, juste des ombres dans un nuage jaune clair et des flammes, ânonna le gars sur un ton monocorde. Et il y avait aussi cette odeur acide et cette poussière qui brûlait les yeux. Peu à peu, j’ai commencé à voir les carcasses disloquées des voitures autour, puis le corps d’un homme qui avait certainement été propulsé un peu plus loin par la déflagration. J’ai pris son pouls, il vivait encore même s’il était dans les vapes, j’ai appelé les pompiers, voilà ce que je peux dire.
— Et personne d’autre aux alentours ? questionna Carole en se grattant derrière l’oreille avec son stylo.
— Non, par chance ! À une heure de déjeuner ou de dîner, cela aurait pu finir en carnage, parce que la terrasse est pleine, sans parler des clients du restaurant d’à côté… Vous pensez que c’est le geste de cinglés, comme à Paris ou Nice ?
— Il est trop tôt pour émettre des certitudes, mais je ne le pense pas, répondis-je, évasif, en scrutant les alentours. Le couple était visé, aucune volonté de causer un massacre. Cet engin a bien été déclenché à distance, pourtant, pas la moindre trace d’un boîtier, c’est bizarre. Les gars, en priorité, vous me retrouvez le coffret qui aura permis au coupable de tout faire sauter.
Un peu plus loin, un homme en costume, chemise blanche ouverte, nous attendait au pas de la porte de son magasin. Il se présenta aussitôt : Benjamin Cosquer, le jeune patron – à peine la quarantaine – de la Faïencerie de l’Odet, située en face. Lui aussi semblait abasourdi par le drame qui venait de se dérouler devant chez lui. Il mit un certain temps avant de pouvoir prononcer ses premiers mots :
— C’était un jour merveilleux, je venais de recevoir mon plus gros chèque depuis que j’ai créé mon entreprise ; deux jeunes si sympathiques allaient se fiancer, entamer une longue vie de bonheur. Et là, pfft, plus rien. Juste de la poussière et de la fumée. Deux vies en l’air d’un claquement de doigts. Pourquoi eux ? Elle pétillait de joie de vivre, cette môme si craquante et lui, il était fou amoureux d’elle, malgré la fortune de son père. Pourtant, les prétendantes ne devaient pas manquer autour de lui, mais il avait choisi une petite Bretonne au minois parsemé de taches de rousseur. Pensez, le fils Daumier, quel parti pour les coureuses de fils à papa…
— Vous pensez qu’on aurait pu lui en vouloir personnellement, du seul fait qu’il était le fils d’un milliardaire, même s’il s’agit d’un motif suffisant ? questionna Carole, carnet et crayon en main.
— Cela, je l’ignore complètement ! Je sais seulement que ces deux mômes sont morts dans la fleur de l’âge alors qu’ils ne voulaient de mal à personne. Au contraire, si elle l’avait pu, cette fille aurait partagé son bonheur avec le monde entier, elle en était si touchante. C’est trop injuste !
— Il va nous falloir appeler les parents Daumier et aussi ceux de la jeune femme, pour les prévenir, intervins-je en me tournant vers mon chef de groupe.
— Les deux familles doivent être réunies à Audierne pour les préparatifs des fiançailles, précisa le patron. Je sais que le couple attendait quatre-vingts invités, puisqu’il s’agit du nombre de Fiancés d’Audierne que les amoureux m’avaient commandé. Ces figurines aussi ont été réduites en poussière, ce qui n’est pas bien important. La famille Daumier possède une résidence à Pont-Croix. Ils m’ont aussi expliqué que les festivités devaient débuter demain matin et se poursuivre dimanche et même lundi pour certains, les plus jeunes sans doute, sous un chapiteau planté près de la chapelle de Sainte-Évette, à Esquibien. C’est là que tous deux s’étaient connus, voilà pourquoi ils avaient tenu à célébrer leur union en ce lieu précis. Voilà tous les détails qu’ils nous ont confiés, je crois que je n’en sais pas plus. Si, un dernier point, la jeune fille craignait les réactions des amis de son fiancé parce qu’ils appartenaient à un milieu très exigeant.
— Merci pour toutes ces précisions, conclus-je en tendant une carte de visite au patron de la faïencerie. N’hésitez pas à nous appeler si un détail supplémentaire vous revenait. Il ne nous reste plus qu’à nous rendre à Audierne.
Je vis Carole regarder sa montre, on approchait des 17 heures, je me rappelai qu’elle avait un programme pour le week-end qu’elle voyait capoter au grand dam de sa fille Priscilla, une fois de plus. Je lui proposai de prendre l’enquête en charge avec Sarah et de prévenir Dominique au plus vite, puisqu’elle se trouvait de permanence. Même si elle n’accepta pas d’emblée, je vis bien que ma proposition la soulageait. Je la libérai donc, aussitôt Dominique prévenue, qui se proposa de m’accompagner à Audierne. Avec des personnalités comme Philippe Daumier, il convenait en effet de prendre des gants. Et comme, à ses yeux, j’étais nanti de la subtilité d’une boule de bois dans un jeu de quilles…
J’appelai Radia pour la prévenir du cadeau qui nous revenait. Elle était déjà informée, depuis trente secondes, par son petit ami Gérald Montaigne, le secrétaire général de la préfecture, qui voulait savoir au plus vite s’il s’agissait d’un attentat terroriste. Question que me répercuta notre commissaire.
— À mon sens, non. Un engin assez puissant, mais de fabrication artisanale, la cible me semble évidente puisque l’une des deux victimes se nomme Julien Daumier, fils du patron des laboratoires du même nom. Personne d’autre sur la place à cette heure, une chance. Alors, crime, certainement, attentat terroriste, non, je ne pense pas.
— Merde, il fallait que cela tombe sur nous ! Je n’ai pas besoin de cela en ce moment. Je suppose que la Scientifique a été prévenue ?
— Oui, une première équipe est déjà à pied d’œuvre et les renforts ne devraient pas tarder à arriver de Brest. Je pensais aller avec Dominique prévenir la famille Daumier à Audierne. Carole avait des obligations familiales et…
— Je suis avec Mehdi, il va te rejoindre et prendre le relais avec les bleus, pour l’enquête de voisinage. J’imagine qu’il n’y a pas de caméras dans le secteur ?
— Tu ne crois pas qu’il vaudrait mieux faire appel à Sarah et Blaise, Mehdi est encore novice pour…
— Oui, mais il est fiable et sérieux. Et puis il est attentif à des détails qui nous échappent, de par son passé de garde du corps. J’ai toute confiance en lui.
— C’est toi la patronne. Bonne soirée, Radia.
Je me demandais pourquoi Radia s’était tant attachée au nouveau venu qu’elle couvait comme s’il s’agissait de son propre fils. En l’occurrence, ce serait difficile car ils avaient à peu près le même âge. Certes, tous deux possédaient les mêmes origines maghrébines, mais le lien entre eux deux me semblait plus fort, sans que je puisse exactement en préciser la nature. Il est vrai que Mehdi Langeais était un garçon sérieux dont j’ignorais bien des pages du parcours, ce qui n’était sans doute pas le cas de Radia. Je savais juste qu’après cinq années dans l’armée, il avait été chargé de la protection rapprochée d’une personnalité mais que sa mission avait mal tourné. Pourtant, dans la foulée, il avait postulé à un poste dans la police et était brillamment sorti de l’école de Cannes-Écluses. Et lorsqu’il m’arrivait de tenter d’en savoir davantage sur son passé, lors d’un tête-à-tête entre hommes, Mehdi trouvait toujours un stratagème pour éviter la confession, ce qui avait le don de m’agacer.