Traquenard à Penmarc'h - Bernard Larhant - E-Book

Traquenard à Penmarc'h E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Quand Erwann Gloanec a menacé de mort le couple de La Coudraie, il ne pensait pas que ces deux Parisiens seraient retrouvés morts peu après.

Erwann et sa sœur n’avaient pu acheter la maison de la mère Goascoz, car Rodrigue de La Coudraie voulait absolument l’offrir à son épouse Sterenn, originaire de Kérity.

Mélody Arnoult, jeune avocate et filleule de Paul Capitaine, doit assurer la défense d’Erwann, qui clame son innocence bien que les preuves s’accumulent contre lui. Elle fait appel à son parrain, policier en retraite depuis peu, pour l’aider dans cette affaire. Naturellement, Sarah sera de la partie, comme le détective Mario Capello et sa compagne Rose-Marie.

Paul comprend vite que le jeune Bigouden est tombé dans un parfait traquenard. Mais qui en est l’instigateur ?




À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard LARHANT est né à Quimper en 1955. Après un premier roman intimiste, il se lance dans l’écriture de polars avec les enquêtes bretonnes d’un policier au parcours atypique, Paul Capitaine, épaulé par sa fille Sarah.

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

PRINCIPAUX PERSONNAGES

PAUL CAPITAINE : 60 ans, commandant de police à la retraite depuis quelques mois, ancien agent des services secrets. Natif de Quimper, il connaît bien la région. Au sein de la P.J., il faisait équipe avec Sarah, sa fille. Après des années passées auprès de la magistrate Dominique Vasseur, il attend avec impatience le retour de celle-ci en Bretagne.

SARAH NOWAK : 37 ans, d’origine polonaise, capitaine de police. Elle a découvert en Paul Capitaine, le père qu’elle recherchait. Elle a perdu son compagnon Quentin, pompier professionnel, mort en service. Elle se retrouve donc seule pour élever Pauline, leur fille âgée de 4 ans, même si son collègue Blaise est bien présent près d’elle.

ROSE-MARIE CORTOT, RMC pour tout le monde : 36 ans, d’origine antillaise, ancienne enquêtrice de police, elle travaille à présent avec son compagnon. Elle est un génie de l’informatique. Meilleure amie de Sarah, mère de Théo, plus âgé que Pauline de quelques mois, RMC est la compagne de Mario Capello, un ex-policier devenu détective privé,

BLAISE JUILLARD : 35 ans, célibataire, lieutenant de police. Fils d’un ponte du quai des Orfèvres, il ne possède pas l’étoffe de son père. Surnommé Zébulon en raison de sa nonchalance, son regard sur les enquêtes est pourtant précieux. Parrain de la petite Pauline et amoureux transi de Sarah, dont il est cependant le plus fidèle ami.

DOMINIQUE VASSEUR : 53 ans, célibataire, procureure de la République, compagne de Paul Capitaine. Elle avait échoué à Quimper après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre, loyale, après un passage dans une commission juridique internationale aux USA, elle exerce une fonction dans une mystérieuse cellule gouvernementale, ce qui l’éloigne encore de Quimper et de Paul.

RADIA BELLOUMI : 41 ans, commissaire de police. Une surdouée d’origine maghrébine promue jeune à la tête du commissariat de Quimper. Piégée par son ex, Gérald Montaigne, pour le compte du club Magenta, un puissant groupe de notables, elle a disparu des radars à sa sortie de prison. Mais Paul sait qu’elle œuvre dans l’ombre, non loin de Dominique Vasseur.

LAURE BARBOTAN : 36 ans, célibataire, substitute de la procureure. Ambitieuse et besogneuse, libre et spontanée, elle a trouvé en Paul Capitaine un policier aguerri pour apprendre son métier de magistrate. Mais, par la faute d’une promotion, elle a dû quitter Quimper pour Bordeaux, la mort dans l’âme.

GAËLLE LE BRIS : 37 ans, célibataire et orpheline, accueillie par Paul, ami de jeunesse de sa mère. Journaliste, blogueuse, influenceuse, elle est intrépide, limite casse-cou. Les missions un peu folles ne lui font pas peur et sa candeur la sauve toujours.

JULIE VARAIGNE : 39 ans, compagne du policier Mehdi Langeais et secrétaire à l’agence du détective Mario Capello. Parisienne de naissance, à Quimper depuis une quinzaine d’années. Toujours le sourire et fin cordon-bleu.

PROLOGUE

Vendredi 13 octobre, 23 heures – Bar-restaurant “Le Doris” – Penmarc’h, port de Kérity

C’était l’une de ces soirées clémentes que l’arrière-saison savait réserver à la pointe de la Bretagne. Pour bien des travailleurs de la région, c’était l’entame d’un week-end réparateur, après une dure semaine de labeur. Et pour certains d’entre eux, rendez-vous était pris depuis huit jours au zinc d’un bar dont ils faisaient partie des habitués, en compagnie de leurs potes, pour siroter ensemble un ou deux bocks de bière locale, parfois un peu plus, en refaisant le monde pour une énième fois. Quand les membres de ce petit groupe de copains ne faisaient pas une virée complète de la pointe, avec étape à chacun des troquets du secteur. C’était leur choix, c’était leur vie, cela ne nous regardait pas…

Pour les gens arrivés d’autres régions, c’était aussi le démarrage d’un agréable week-end, parfois rallongé, à la faveur de RTT ou de journées en télétravail. Comment bouder le plaisir de bosser sur son ordinateur avec la mer pour fond d’écran naturel et le chant des vagues dans les oreilles, au lieu des bruits agressifs de la vie urbaine ? Ils étaient de plus en plus nombreux à avoir fait de leur résidence de vacances un bureau de secours, pour respirer un peu de bon air et de bonheur.

Et puis il y avait ceux qui désiraient délaisser le Sud, épuisés par les chaleurs estivales du bord de Méditerranée et l’ambiance pas toujours plus conviviale qu’à Paris ou une autre métropole, parmi bien d’autres nuisances devenues quasiment insupportables. Aussi cherchaient-ils un toit en Bretagne et, tant qu’à faire, à la pointe de la région, face à l’océan. Avec la revente de leur résidence secondaire en Provence ou Côte d’Azur, avec les salaires proposés à Paris, ils avaient largement de quoi s’offrir la maison de leurs rêves, avec vue sur les étocs et les rouleaux… Il suffisait de les voir regarder les devantures des agences immobilières avec gourmandise, scruter la bonne affaire, non en matière de prix, puisque pour eux les sommes annoncées paraissaient tellement abordables, mais en qualité de prestations fournies et de confort minimal.

Cela avait été le cas de la famille de La Coudraie, quelques mois plus tôt, juste avant le début de l’été. Une opportunité pour eux, dans la rue du Port-de-Bouc à Kérity. Une grande maison de famille à deux pas de la mer. Des travaux à prévoir dans le temps, certes, mais des volumes intéressants et un potentiel énorme. Voilà justement que la propriétaire devait partir en maison de retraite et n’avait pas d’enfant pour prendre la suite. Il y avait bien deux jeunes du coin, frère et sœur, qui étaient prêts à casser leur tirelire pour accéder à la propriété et rester ainsi au pays. Mais quand on vend un bien, même si on a promis à des clients de leur réserver l’exclusivité – le temps pour eux d’obtenir leur emprunt – comment résister à la tentation d’une plus grande plus-value, surtout avec les tarifs des séjours dans les EHPAD ?

Pour Rodrigue de La Coudraie, la cinquantaine, antiquaire place des Vosges à Paris, cet achat correspondait aussi à sa volonté de faire plaisir à son épouse Sterenn, un peu plus jeune que lui. Bretonne, comme son prénom l’indiquait, elle était originaire de Penmarc’h, commune qu’elle avait quittée à une vingtaine d’années pour “monter” à Paris et devenir crêpière dans un établissement du Quartier latin, puis s’installer à son compte. Avant de croiser la route de Rodrigue de La Coudraie, jeune homme de bonne famille ébloui par la pétillante jeune Bretonne, au point de demander sa main et de l’épouser. Puis de la former à la connaissance des objets d’art, styles et périodes, pour muer rapidement la crêpière en antiquaire reconnue. Mais toujours nostalgique de la pointe bretonne où elle avait laissé une partie de son cœur.

D’où la volonté de trouver un pied-à-terre en pays bigouden, une demeure suffisamment grande pour recevoir le couple et ses trois enfants. Gonzague, le fils, devenu avocat, au grand dam de son père qui l’aurait bien vu prendre la suite de la boutique familiale. Il s’était marié avec une brillante collègue, Hermine Montensier, de trois ans son aînée, qui avait commencé sa carrière en faisant tomber pour viols, au nom de jeunes stagiaires victimes du pervers sexuel, un visage connu de la télévision française. La famille de La Coudraie comptait aussi des jumelles, Bérangère et Sixtine, vingt-cinq ans toutes les deux ; la première brillante étudiante en commerce international, la seconde à l’aube d’une carrière de décoratrice d’intérieur.

Les enfants à présent sur les rails de leur vie professionnelle, les parents avaient investi dans une maison de Kérity qui avait représenté un véritable coup de cœur, partagé par Hermine et Gonzague, au point de faire le forcing pour l’obtenir. Là, ils venaient d’achever la rénovation d’une partie de la demeure, aussi fêtaient-ils cela au restaurant tous les six. Mais ils fêtaient surtout une étape importante dans la concrétisation d’un autre projet familial et rien de tel qu’un homard breton grillé et flambé pour ravir les papilles. Arrosé de champagne, cela allait de soi. Le tout dans la salle de l’étage du Doris, avec vue sur les bateaux du petit port et l’océan, un peu plus loin, après les digues et les étocs. Un bon moment de plaisir ponctué par un bagadou, dessert proche d’une tarte tatin, mais au goût de chouchen.

Sterenn s’était montrée un peu gênée quand elle avait compris que, par amour pour sa femme et pour leur mère ou belle-mère, son mari Rodrigue, son fils et sa belle-fille avaient usé de leur influence pour mener à bien un projet qui leur tenait à cœur, même s’ils allaient devoir, pour ce faire, concéder quelques sacrifices financiers. Mais ils étaient convaincus que la surprise, une fois définitivement confirmée, ravirait Sterenn, la fille du pays.

Il était un peu plus de 23 heures quand la famille redescendit vers la salle du bas et la terrasse désertée à cette heure tardive. Les jumelles quittèrent rapidement l’établissement pour prendre quelques bouffées d’air iodé, afin de dissiper les vapeurs d’alcool, peu habituées à boire du vin. Pour sa part, Gonzague s’arrêta à la caisse pour régler l’addition. Un peu plus loin, il vit ses parents apostrophés par un jeune homme éméché, alors qu’ils s’apprêtaient eux aussi à sortir prendre l’air.

— Voilà les connards qui ont foutu ma vie en l’air, annonça-t-il à qui voulait l’entendre. Vous n’aviez pas le droit de me piquer la bicoque de la mère Goascoz, elle me l’avait promise ! Espèce de salauds ! Avec votre fric, vous vous croyez tout permis, vous pensez que vous êtes les rois du monde. Mais le pays bigouden ne vous appartient pas, figurez-vous.

— Vous avez fait une proposition verbale soumise à l’acceptation de votre prêt, la nôtre était mieux-disante et signée, donc ferme, nous avions la somme sans nécessité d’emprunt, expliqua Rodrigue de La Coudraie sans s’énerver. Madame Goascoz a vu son intérêt, comment la blâmer ?

— En fait, pour vous, nous sommes toujours des gueux de l’arrière-pays, vous n’en avez rien à foutre de ce que nous pouvons devenir. Par ici, plus moyen de trouver une maison à acheter ou même à louer, qu’est-ce qu’on devient, nous ?

— Faites comme mon épouse, venez bosser à Paris, puisque vous nous jalousez, répliqua Rodrigue un peu plus agacé. L’argent ne tombe pas du ciel à chaque averse, il faut aller le gagner…

— Laisse, mon chéri, allons-y, murmura Sterenn, en tirant la manche de son mari pour l’inciter à se retirer de la discussion.

— Vous n’avez qu’à crever avec votre fric et votre arrogance, hurla Erwann Gloanec hors de lui, que ses potes ne parvenaient pas à apaiser. Mais même ta femme n’est plus une fille d’ici, elle a choisi son camp, c’est une Parisienne, à présent. Ne comptez pas sur moi pour venir déposer une gerbe sur votre tombe quand vous aurez passé l’arme à gauche, espèces de connards.

— Allez, Papa, viens, tu vois bien qu’il est totalement ivre, intervint Gonzague, une fois le portefeuille rangé dans la poche de son blouson et en empoignant son paternel par l’épaule. Il ne sait pas ce qu’il dit, oublie tout cela et ne gâche pas la soirée.

— Écoutez-la proférer des menaces en l’air, cette raclure de fin de terre ! s’amusa Hermine, la belle-fille avocate, sémillante blonde à la tenue provocante, en toisant Erwann avant que ce dernier ne l’attrape par la marinière en levant un poing. Que vas-tu faire, maintenant, tu vas me taper dessus ? La tchatche et la violence, c’est ça, ton fonds de commerce. Tu es pathétique.

— Hermine, cesse ce petit jeu de provocation, supplia Gonzague, en éloignant son épouse comme il l’avait fait plus tôt de son père. C’est bon, on y va, on quitte ce lieu. Tu as compris, ma chérie ? On s’en va.

— Tu ne me dictes pas ma conduite, Gonzague, je suis une grande fille, je sais me défendre ! hurla l’avocate, tout en reculant de quelques pas après s’être libérée des mains de son époux. Je ne vais pas non plus laisser un ivrogne dégénéré me traîner dans la boue sans réagir. Je suis une femme, j’ai le droit au respect. Et que je ne te vois pas tourner autour de notre maison, le frustré, sinon tu auras affaire à moi. Crois-moi sur parole !

Le petit groupe familial s’éloigna vers le bord de mer pour une petite marche digestive avant de rentrer se coucher. Digestive pour tous et apaisante pour certains. Les jumelles en tête de peloton, qui avaient suivi l’algarade de loin, un peu choquées par l’attitude d’Hermine, comme souvent.

— Tu as vu comment elle a parlé à Gonzague ? lança Bérangère à l’oreille de Sixtine. Et notre frère qui ne dit rien, il se laisse mener par le bout du nez, tout cela parce qu’elle est l’avocate phare du mouvement Me Too et qu’il n’ose plus élever la voix. Même Papa n’a rien trouvé à redire.

— Laisse tomber, Bérangère, on ne va pas se gâcher la soirée à cause d’elle.

— Ce n’est pas juste la soirée, Sixtine, c’est notre vie entière qu’on va devoir l’endurer. Selon elle, tout homme, à part notre frère, est un prédateur sexuel en puissance. Son discours devient pénible à la longue !

— Allons, un peu de patience, on finit nos études, on s’installe à notre compte, on s’éloigne d’elle et on évite les invitations des parents quand on sait qu’elle sera présente…

— Et tu penses toujours t’installer par ici, comme décoratrice d’intérieur ? questionna Bérangère, dubitative. Donc, tu aimes la Bretagne, toi.

— Oui, il faut croire que je suis la fille de ma mère et que du sang breton coule dans mes veines, rétorqua Sixtine comme une évidence, en haussant les épaules. Je me sens bien ici, je ne peux pas réellement expliquer les sensations que j’éprouve. J’y perçois des ondes positives, de la sérénité, une certaine forme de bien-être. Une petite voix au fond de moi me susurre que mon bonheur se situe ici, et nulle part ailleurs.

— Ou encore le parfum d’un beau gosse qui ne te laisse pas insensible… Tu ne m’as pas parlé d’un ténébreux garçon de par ici dont le regard t’avait arraché le cœur ? Allez ! Je sais tout de lui, sauf son prénom et son visage. Je te couvre quand tu vas le rejoindre, je suis ta jumelle, quand même !

— Et toi, tu m’as déjà présenté l’énarque que tu fréquentes en cachette de nos parents et de Gonzague ? On peut être jumelles et garder son petit jardin secret, ma belle !

Un peu plus loin, le couple de jeunes avocats, tous deux blottis l’un contre l’autre, enfin Gonzague agrippé à Hermine, parlementait lui aussi. Le fils de La Coudraie tentait d’apaiser son épouse, mais il avait épousé un volcan, il le savait. Il était l’eau, elle était le feu. Un feu d’artifice avec un rapide bouquet final. Pourtant la colère était retombée et Hermine s’excusa de s’être emportée de la sorte. Mais elle ne supportait pas de voir sa belle-famille agressée.

— Tu ne peux pas laisser ton père se faire insulter par un pochetron, tu dois réagir pour le faire respecter, sinon c’est la chienlit, se permit-elle de préciser en guise de conseil, ou plutôt de mise au point.

— Hermine, mon chou, ne monte pas sur tes grands chevaux pour si peu. C’était juste un petit incident…

— Je ne suis pas ton chou !

— Tu n’aurais pas dû t’en mêler, provoquer ce garçon qui ne méritait même pas que tu t’intéresses à lui. Nous aurions suivi notre chemin en l’ignorant, rien ne se serait passé. Il a fallu que tu t’en mêles. Il t’aurait frappée, tu aurais fait quoi ?

— Dépôt de plainte, enquête, tribunal, condamnation, asséna l’avocate avec virulence. Il y a des règles à observer dans ce pays. Un homme n’a pas le droit de frapper une femme. C’est puni par la loi selon l’article 222-13 du Code pénal.

— On ne peut passer sa vie au tribunal, non plus, murmura Gonzague de guerre lasse.

— On ne peut pas non plus passer sa vie à baisser sa culotte ! En tout cas, pas moi… Une femme qui accepte le diktat masculin sera une victime, un jour ou l’autre.

— Parfois tu me fais peur, Hermine ! Tous les hommes ne sont pas des individus violents, quand même !

— Ça, c’est toi qui le dis ! C’est juste parce que les femmes n’osent pas encore se plaindre des outrages qu’elles subissent. Mais tu prends la défense des mâles, c’est normal, tu es dans ton rôle.

Enfin les parents, en grande discussion eux aussi, Sterenn tentant sans aucun doute de calmer le jeu, de justifier l’attitude de ce jeune Breton dont les mots, l’alcool aidant, avaient dépassé la pensée. C’était juste l’appel au secours d’un être humain mal dans sa peau.

— Mon amour, tu dois te rendre à l’évidence, les gens d’ici t’en veulent toujours d’avoir quitté un jour le pays bigouden pour Paris, et surtout d’avoir réussi ta carrière, se lamenta Rodrigue, déconcerté. Comment savoir le fond de leurs pensées ? Ce sont des taiseux qui gardent pour eux ce qu’ils pensent.

— Comment savoir le fond de la pensée des gens ici comme à Paris ? répondit Sterenn, prompte à passer l’éponge. Tu penses que dans les autres régions, les gens sont francs du collier ? Il faut comprendre ce garçon, mets-toi deux minutes à sa place. Il a vu en quelques secondes s’envoler la maison de ses rêves. Tiens, mon chéri, pense à ta réaction quand le tableau inconnu d’Eugène Boudin t’a filé sous le nez, à la salle des ventes. Tu ne crois pas que tu avais la rage ?

— Tu ne peux pas comparer. Je me demande si on a bien fait de s’installer à Penmarc’h, même si tu adores cette commune. Et comme je te comprends, le paysage est tellement magnifique, il change chaque minute. Par malheur, le comportement des gens vis-à-vis de nous ne changera pas, ou alors en pire.

— Allons, mon chéri, c’est juste un malheureux éméché qui s’en est pris à toi et tu généralises. Les enfants y sont heureux, dans cette maison. Même les jumelles ne trouvent rien à y redire, au contraire. Chasse cette mauvaise impression de ta tête, ferme les yeux, écoute les vagues, au loin, et le clapotis, un peu plus près. Et regarde le ballet lumineux du phare d’Eckmühl guider les navires dans le lointain. Comme il est rassurant. Tu vois, quand je repense à ma jeunesse, je pensais à la présence apaisante de cette lumière, à travers les volets de la maison. Je me disais qu’il veillait sur mon père et mon frère.

— Et tu y crois encore, après ce qui leur est arrivé ? s’étonna le mari, bien défaitiste. Je te rappelle à toutes fins utiles que ton père et ton frère sont morts en mer, malgré le phare d’Eckmühl. Tu n’es pas rancunière, ma chérie !

— Tu mélanges tout, Rodrigue ! Une fois de plus, d’un cas particulier tu tires une généralité négative. Oui, tous deux sont disparus en mer, mais pense aux milliers de marins qui sillonnent les océans, sans encombre. Ce n’est pas parce qu’il pleuvait le jour où tu es venu en Bretagne qu’il y pleut tout le temps. Si nous faisions demi-tour pour rentrer au chaud ? Il ne faudrait pas attraper froid, quand même.

Devant le bar, Erwann Gloanec, peintre en bâtiment de profession, s’était rapproché de la baie vitrée de la terrasse pour les regarder déambuler tous les six. Il en avait gros sur la patate et ses potes le savaient. Il avait mal vécu l’échec de l’achat de la maison de ses rêves, et surtout de ceux de Bleuenn, sa frangine, au point de se mettre minable durant tout le week-end, chaque fin de semaine. Lui qui, jusqu’alors, était sérieux comme un pape. Il avait même été viré de sa maison de location à Plomeur, pour avoir réveillé les voisins à plusieurs reprises, en rentrant en pleine nuit. Alors, forcément, sa sœur lui avait proposé de squatter le canapé de son appartement de Pont-l’Abbé, quand il n’avait pas d’autre endroit où dormir.

— On a beau bosser comme des chiens, on a à peine de quoi payer nos charges d’artisan. En plus, le pays ne nous appartient plus. Ces gens arrivent de partout et ils nous dictent leur loi. On est devenu leurs larbins. Et on devrait se laisser faire ? Depuis quand les Bigoudens sont devenus les larbins des Parisiens ? Les anciens n’auraient jamais laissé faire ça. Tiens, mon père aurait toujours été là, tu l’aurais entendu hurler bien plus fort que moi, et il n’aurait pas été le seul. Cela fait longtemps qu’ils auraient mis de l’ordre dans la région, crois-moi. Elle est où, la fierté des Bigoudens ?

— On est toujours vivants, avec notre identité, que je sache, c’est le plus important, non ? répliqua le pote, sans animosité. Après, personnellement, si tu veux tout savoir, les Parisiens, je suis bien content qu’ils viennent par ici en vacances, pour leur vendre mes pâtisseries sur le marché. Et plus leurs séjours sont longs, plus je suis heureux. Et toi, n’as-tu pas effectué des chantiers de peinture pour des bicoques rachetées par des gens venus d’une autre région ?

— Moi, je te parle de ceux qui achètent des résidences secondaires qu’ils n’occupent même pas deux mois par an ou des maisons pour leur retraite future qu’ils mettent en location saisonnière en attendant, car ça rapporte plus ainsi que de louer à l’année à des locaux. Il est là, le problème. Si tu es un jeune du pays et que tu veux rester bosser par ici, à part loger chez tes parents, quand tu en as, tu ne trouves rien. Tu ne peux plus rien acheter, tu ne peux plus rien louer, à peine un mobile home dans un camping, et encore, tu dois le lâcher à la belle saison. C’est une vie, ça ?

— C’est sûr, nous vivons dans une société à deux vitesses, mais cela a toujours été ainsi, convint le pote, assez fataliste et résigné à la situation actuelle. Il faut savoir se contenter de ce qu’on a et faire au mieux avec.

— Non, cela n’a pas toujours été ainsi, je ne suis pas d’accord. Tu n’as pas toujours eu 40 % de résidences secondaires à Penmarc’h. Quand tu voulais bosser sur place à l’année, tu trouvais une chambre ou un appartement en location. Et après quelques années, tu pouvais faire construire et tu vivais ici, comme tes parents ou tes grands-parents. Et les Parisiens nous foutaient la paix.

— Je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi, Erwann, murmura le copain, jetant l’éponge. Mais si tu veux, si c’est ce que tu penses…

— S’il y a vraiment un dieu là-haut, ces gens-là doivent morfler, bouffer de la vache enragée, eux aussi, pour savoir ce que c’est la vie, la vraie vie ! Ou alors crever avec la bouche pleine de ces billets de banque dont ils sont si fiers…

— Allez, viens, Erwann, il est temps de rentrer se pieuter, lança un autre de ses copains, une main sur son épaule. Viens à la maison, tu n’es pas en état de conduire. On repassera prendre ta caisse demain matin sur le parking…

— Partez si vous voulez, moi je reste encore un peu dans le coin, répliqua Erwann en ouvrant la porte de la terrasse alors que la famille de La Coudraie passait à nouveau devant Le Doris, avant de tourner sur la gauche pour rejoindre la demeure familiale de la rue du Port-de-Bouc. Je vais prendre un peu d’air frais, ça va me faire du bien.

— Ne fais pas de connerie, mon vieux, insista le pote. La blondasse n’a pas l’air commode et elle t’a dans le collimateur. Elle peut te coller un procès au cul avant même que tu lui aies mis la main aux fesses. À ce qu’il paraît, elle est avocate à Paris et elle déteste les mecs.

— Si tu crois que je vais la prendre sur mon épaule pour la balancer à la flotte depuis la digue, je ne suis pas suicidaire, quand même, lança Erwann en s’éloignant lentement du troquet tout en fixant le groupe des yeux. Allez-y, les mecs, je trouverai bien quelqu’un pour me ramener à Pont-l’Abbé…

I

Mercredi 18 octobre, 9 heures – Combrit, Bois de Roscouré

— Allô ! Bonjour, Parrain, je ne te dérange pas ?

En relevant le nez de la mousse et des fougères au milieu desquels ils cherchaient des cèpes et des girolles, Christian, Ronan et Gilles comprirent que j’allais devoir les quitter bientôt. Et pour Gilles, l’ancien chauffeur de taxi, cela signifiait aussi qu’il allait conduire son ami en urgence, sans doute à Quimper, puisque ma filleule venait de s’y installer en qualité d’avocate. Dommage, la cueillette s’annonçait prometteuse. Le téléphone collé à l’oreille, à l’ancienne, tout en scrutant les bords de l’Odet, je savais aussi que la journée de détente entre amis allait prendre une autre tournure.

— Bonjour, Mélody, pardon, maître Arnoult, quelle bonne surprise de t’entendre ! Figure-toi que je me trouve avec mes amis au milieu d’un bois, mais aussi entouré de cèpes. Mais si tu as besoin de moi…

— Voilà, Parrain, je défends un suspect dans une affaire de double meurtre et je ne sais pas comment m’y prendre. Je n’aurais jamais dû accepter ce dossier, je me suis laissé influencer, mais bon… Mon client ne m’aide pas à le tirer de là non plus, il ne me facilite pas la tâche. Il ne dit quasiment pas un mot. Un vrai Bigouden buté. D’ailleurs, il a déjà été placé en détention provisoire, je ne suis pas parvenue à convaincre le juge qu’il ne représentait pas un danger et ne pouvait perdre des journées de travail sans mettre la clé sous la porte.

— Ne me dis pas que c’est l’affaire de ce jeune artisan de Plomeur suspecté d’avoir tué un couple de Parisiens à Kérity ? questionnai-je, en fermant les yeux de dépit, car je savais que je ne me trompais pas.

— Oui, c’est cela, Erwann Gloanec, peintre en bâtiment, c’est bien lui, c’est bien mon client ! s’enflamma Mélody, soulagée de comprendre qu’elle n’aurait pas à tout m’expliquer. C’était un ami du fils du juge Jouvain, ce jeune qui a été tué à La Torche, voilà une dizaine d’années. Et sa sœur Bleuenn est amie avec la journaliste Clotilde Jouvain qui a insisté pour que je prenne l’affaire. Elle sait être persuasive, tu la connais…

— Et donc ?

— C’est la gendarmerie qui a la charge du dossier. Les membres de l’équipe du Guilvinec ne me facilitent pas la tâche, ils me prennent même un peu de haut, tu vois. Tu penses, pour eux, une gamine de vingt-sept ans, qui se prétend avocate… En plus, Sarah et Blaise sont sur une autre affaire à Quimper, un accident mortel sur le pont de Poulguinan, ils n’ont pas une minute pour m’aider dans mes recherches… Voilà, j’ai eu accès au dossier de l’enquête et j’aimerais que tu…

— Que je te donne un coup de main pour lire le rapport des gendarmes, celui du médecin légiste, pour t’aider à trouver de quelle manière tu pourrais innocenter ce jeune homme, devançai-je en comprenant que j’allais accepter la patate bouillante.

— Oui, c’est un peu ça l’idée ! répondit la jeune avocate, soulagée, avant de se ressaisir. Je le sais bien, je te pourris la journée, je suis sincèrement navrée, mais…

— Pas de souci, ma grande, puisque ton enquêtrice préférée est déjà occupée, la vieille garde va remonter au front, pour voir si elle n’est pas trop rouillée. Et on s’organise comment ?

— J’ai rendez-vous à 11 heures sur le port de Kérity avec Bleuenn Gloanec, la sœur du suspect, et quelques-uns des amis du frère et de la sœur. Ils sont remontés comme des coucous, tu imagines… Si tu pouvais arriver un peu avant la rencontre, qu’on se mette au point…

— Ça tombe bien, mon ami Gilles se demandait ce qu’il allait faire de sa casquette de chauffeur de taxi, il va pouvoir la remettre, ça va nous le rajeunir… Et puis, son panier est déjà plein. Allez, à tout de suite, ma grande. Et ne te fais pas de souci, si ton client est innocent, on trouvera bien un moyen de convaincre les gendarmes et les magistrats qu’ils se trompent. Bon, à tout de suite.

Pendant ce temps, en parfait ancien journaliste, Ronan Feunteun m’avait sorti l’article du matin de Ouest-France sur l’écran de son smartphone. On y parlait d’une violente rixe entre le suspect et les victimes, avec menaces de mort proférées deux jours avant le drame, le tout devant témoins. Mais aussi des empreintes d’Erwann Gloanec retrouvées dans la maison des Parisiens, selon des sources proches de la gendarmerie du Guilvinec. Décidément, la grande muette n’était plus celle de jadis, songeai-je, un brin ironique. Enfin, comme un couperet, le suspect n’avait pas d’alibi. Pire, il ne se souvenait plus de ce qu’il avait fait cette nuit-là…

Je me trouvais devant une affaire bien mal embarquée, d’autant que les victimes, le couple de La Coudraie, étaient présentées comme d’éminents antiquaires de la place des Vosges à Paris. Même si l’épouse, Sterenn, était originaire du pays bigouden, terre natale qu’elle avait quittée à vingt-deux ans pour postuler à un emploi de crêpière dans la capitale. De plus, Gonzague, le fils de La Coudraie, était avocat au barreau de Paris, comme son épouse Hermine, issue de la célèbre famille Montensier, ce dont elle semblait se prévaloir avec fierté. Enfin, mais cela semblait secondaire, Gonzague possédait deux jeunes sœurs, des jumelles, elles aussi présentes au moment des faits, prompts à évoquer l’agressivité extrême de leur adversaire. Mélody, face à sa première affaire officielle, opposée à ces deux requins des prétoires, n’avait aucune chance de s’en sortir et de prouver l’innocence de son client.

Tandis que je phosphorais sur ces informations assez récentes, Gilles avait approché sa voiture pour me gagner du temps. Ronan me promit qu’il allait se renseigner, puisque la partie de champignons allait s’arrêter là, et Christian s’engagea à me confectionner une omelette aux cèpes, rien que pour moi, en fin de journée. Nous nous connaissions tous les quatre depuis plus de cinquante ans et il nous semblait pourtant que nous étions au lendemain de nos parties de foot à l’école Jules-Ferry à Quimper, là où les instituteurs, en plus des cours chargés de nous apporter un bagage de base, nous avaient inculqué des valeurs qui ne nous avaient jamais quittés. Le respect, l’intégrité, la loyauté, la camaraderie, et tant d’autres. Quant à l’école Jules-Ferry, elle était devenue une résidence haut de gamme dans laquelle on projetait d’acheter tous un appartement au même étage, dès que nous aurions gagné ensemble à l’EuroMillions. Enfin, gagné le gros pactole, quand même !

* * *

Mercredi 18 octobre, 10 h 30 – Bar-restaurant Le Doris – Penmarc’h, Kérity

Mélody se trouvait déjà à une table de la terrasse – à croire qu’elle m’avait téléphoné de là – et elle n’était pas seule, ce qui m’embarrassait un peu. J’avais en face de moi une délégation des amis du suspect emprisonné, mais plus encore de Bigoudens qui en avaient ras la casquette de ces Parisiens qui achetaient tout ce qui était à vendre dans le coin, et même ce qui ne l’était pas encore. Des plus beaux bâtiments aux ruines à rebâtir en passant par des terrains logiquement non constructibles. Comment leur expliquer que les combats partisans faisaient bien souvent mauvais ménage avec la justice ?

Quand ma filleule s’approcha de moi, elle était suivie par deux autres filles qu’elle me présenta, du moins pour celle que je ne connaissais pas : Bleuenn Gloanec, la sœur d’Erwann, car j’avais souvent croisé Clotilde Jouvain, dans de bonnes circonstances et d’autres moins agréables que j’avais décidé de gommer de mon esprit. Clotilde me montra son article paru dans les pages du Télégramme et le ton était bien différent de celui publié dans Ouest-France. Déjà le titre : « Erwann Gloanec accusé faute d’alibi. » Puis le contenu, totalement à décharge, le genre de pamphlet qui ne pouvait que ranimer des braises incandescentes. Clotilde réglait ses comptes avec une faune parisienne qui ne l’avait jamais acceptée. Pourtant, ce n’était pas le moment pour cela. D’autant qu’elle n’y allait pas avec le dos de la cuiller. Cela ne pouvait que desservir le client de Mélody. La fin d’article acheva de m’estourbir : « Très prochainement, l’ancien grand flic Paul Capitaine, sommité de la police française, mènera sa propre enquête, charge à lui de remettre l’église au milieu du village. »