Backrooms - Seiji Colin - E-Book

Backrooms E-Book

Seiji Colin

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Beschreibung

Faire un tour dans l’énigmatique univers des "Backrooms", c’est explorer un labyrinthe s’étendant sur près de 990 millions de kilomètres carrés de salles vides où le danger rôde à chaque tournant. Lorsque Ugo se retrouve pris au piège de cet endroit, il doit lutter pour sa survie tout en cherchant désespérément des réponses à ses questions. Tout au long de son parcours, il devra être sur ses gardes, car dans les Backrooms, le danger peut surgir de n’importe où.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Seiji Colin distille dans ses écrits un cocktail savamment dosé de suspense et de mystère. Il vous emporte dans les abysses de la folie humaine, car dans "Backrooms" il n’a laissé aucune place à la tendresse ou à la douceur.

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Seiji Colin

Backrooms

Roman

© Lys Bleu Éditions – Seiji Colin

ISBN : 979-10-422-2814-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Avertissement

Veuillez noter que ce livre comporte des scènes sensibles (violences physiques, verbales et sexuelles) susceptibles de heurter la sensibilité d’un jeune public.

Chapitre I

Comme chaque mercredi soir, quand Ugo quitta le skatepark, il était déjà minuit. Le jeune homme adorait y rester des heures avec ses amis. Il avait aussi pour habitude de quitter le skatepark en dernier, après avoir effectué ses traditionnels exercices d’étirement, que ses amis moins sportifs ne voulaient pas faire avec lui. Cet instant lui permettait de se retrouver face à ses pensées, et de faire le bilan de sa journée. C’était le seul moment où il pouvait le faire, car il passait ses journées au lycée, avec beaucoup trop de monde autour de lui. La solitude lui faisait du bien. Même chez lui, il ne se sentait pas à l’aise, son père étant trop présent à son goût.

Malgré l’heure tardive, les rues étaient encore un peu éclairées, et les murs jaunes donnaient une atmosphère bizarre. Ugo détestait cet endroit. Mais ses parents et lui n’avaient pas eu le choix à cette époque. La faute à des décisions gouvernementales datées d’il y a quarante ans. Face à l’augmentation de la population mondiale, les gouvernements du monde entier s’étaient mis d’accord pour laisser la planète aux riches. À eux les merveilles du monde, à eux les richesses du monde entier, et sans les pauvres pour leur gâcher la vue. Parallèlement, une entreprise à l’époque inconnue, du nom d’A-Sync a créé ce qu’on appelle maintenant les Backrooms. Après cinquante ans de tests plus ou moins fructueux, ils ont réussi à créer cette dimension parallèle. L’entreprise s’est enrichie comme ça, vendant à prix d’or quelque chose qui ne coûte quasiment rien à produire, mais dont seul A-Sync connaît les secrets de « fabrication », à base de calculs scientifiques tous plus complexes les uns que les autres. Les États avaient investi dans « The Threshold » ou « Le Seuil ». Le Seuil était une porte un peu complexe qui, une fois activée, donnait sur les Backrooms d’A-Sync, qui étaient ensuite aménagés, puis habités. L’aménagement des Backrooms n’avait duré que trois ans, dans le plus grand des secrets, puis d’un coup, les habitants ne correspondant pas à certains critères de richesse ont été forcés de déménager dans ces nouveaux endroits, certes bien aménagés, mais où on ne pouvait apercevoir la lumière du jour. Les différents Seuils ont été installés dans des endroits sécurisés, pour que les riches n’entrent pas dans les Backrooms, et que les pauvres n’en sortent pas. En effet, pendant le transfert des populations, quelques rébellions ont éclaté, et les populations des Backrooms d’A-Sync vivaient dans une semi-dictature. Il était ainsi théoriquement possible d’en sortir, juste quelques heures, mais il fallait avoir récolté un certain nombre de « bons points », et personne ne savait combien il en fallait réellement. D’après Ugo, tout ceci était un argument afin que la population se tienne à carreau, car l’espoir de pouvoir apercevoir la lumière du jour juste quelques heures était très fort.

Ugo et son père vivaient dans une résidence d’appartement sociaux, en plein centre de la mégalopole de Parisis, qui comme son nom l’indiquait, regroupait les populations « pauvres » de Paris et de ses environs. Il y avait environ quatre millions d’habitants dans cette mégalopole, mais, il fallait le reconnaître, l’aménagement de la zone était pensé pour que les habitants n’aient pas le sentiment d’étouffer. Il y avait évidemment des hôpitaux, des écoles, et bien sûr des postes de police, car tout était fait pour qu’il n’y ait aucune rébellion au sein des Backrooms.

Il y avait donc trois civilisations différentes. La première, les riches, qui avaient accès à tout le luxe de la planète Terre, ou en tout cas tout ce qui n’avait pas été détruit, et qui contribuait à la détruire encore plus, profitant que les pauvres ne soient plus là pour les ralentir. La deuxième, les pauvres, reclus dans ces Backrooms, qui ne connaissaient que ça, ne pouvaient pas voyager, et qui essayaient de vivre leur vie, tant bien que mal. Et enfin, les « agents » composés d’hommes politiques, mais aussi de scientifiques, qui gérait l’algorithme des Backrooms, car cet espace restait une création humaine, et personne ne savait ce qu’il se passerait en cas de problème dans l’algorithme informatique qui fonctionnait depuis quarante ans pour maintenir en vie les Backrooms d’A-Sync. Cette civilisation-là était la seule ayant accès aux deux mondes, et servait en quelque sorte d’intermédiaire entre les riches et les pauvres. Ils géraient tout ce qu’il se passait dans les Backrooms, des caméras étant positionnées partout, afin de surveiller les moindres faits et gestes de ses habitants. Il n’y en avait en revanche pas dans les habitations, ou en tout cas, pas de caméras visibles. Qui savait ce qu’il se cachait dans les murs ?

Bien sûr, l’avantage des Backrooms d’A-Sync était aussi et surtout économique. Une place infinie pour un moindre coût de production. Et même s’ils étaient infinis, et que chaque grande ville de chaque pays possédait son Seuil pour ses pauvres, il n’était pas possible de passer d’une ville à l’autre par les Backrooms. Il fallait réussir à trouver le moyen de sortir par le Seuil de sa ville, et de rentrer par le Seuil d’une autre ville. Cela réduisait considérablement les déplacements possibles, et le taux de dépressions et de suicides dus à l’isolement et à la monotonie était ainsi très fort. « Un moyen comme un autre de se débarrasser des pauvres à long terme », pensa Ugo. Il ne fallait pas le nier, les ingénieurs d’A-Sync ayant travaillé sur les Backrooms avaient fait du bon boulot, car il n’y avait que très peu d’humidité, et pas de différence de température entre l’intérieur des habitations, et l’extérieur. Les maladies étaient donc très rares, et le système de santé très correct. En revanche, en l’absence de lumière du jour, l’horloge biologique humaine était détruite. La notion de temps, très floue, n’était indiquée que par les horloges numériques placées un peu partout dans la ville qui « par chance » ne tombaient jamais en panne. Les lumières ne s’éteignaient pas pendant « la nuit », et restaient à la même intensité qu’il soit 14 h 37 ou 2 h 28. Cependant, ces lumières étaient nécessaires à toute vie au sein des Backrooms d’A-Sync, puisqu’elle permettait aux fruits et légumes de pousser dans d’immenses serres qui s’étendaient parfois sur plusieurs centaines d’hectares, et nourrissait toute la ville. Seule la nourriture d’origine animale était importée de la surface, les animaux ne pouvant survivre sans la lumière du jour.

Ugo rentra chez lui, et étonnamment, son père dormait déjà. Il échapperait, au moins le temps de dormir et sans doute le matin au petit-déjeuner, aux questions de son père, qui lui demanderait sûrement s’il était bien avec les mêmes amis que d’habitude, s’il n’avait pas fait de mauvaise rencontre, ou s’il n’avait pas fait la connaissance d’une jeune fille, auquel cas il fallait se protéger, et ainsi de suite. Le genre de questions bien pénibles auquel il avait le droit à chaque fois. Au moins, cette fois, il bénéficierait d’une bonne nuit de sommeil avant l’interrogatoire. Cependant, il comprenait ce genre de questions. Sa mère avait été assassinée en pleine rue un an plus tôt, et le coupable n’avait jamais été retrouvé. Son père n’avait jamais cherché à se venger, mais Ugo oui, puisqu’il avait tabassé un gars en pleine rue quelques jours plus tard, l’accusant de savoir quelque chose. Cela lui avait valu quelques semaines de centre pour mineurs, et la perte de certains « bons points ».

Comme à son habitude, sans que le réveil sonne, Ugo ouvrit les yeux tranquillement. C’était une de ses facultés, il dormait toujours sept heures pile, pas une minute de plus ni de moins. Il pouvait ainsi faire ses devoirs jusqu’à minuit, et se réveiller à sept heures du matin, sans ressentir la moindre fatigue.

Ce rythme de vie lui convenait, et il avait établi sa petite routine en fonction de son sommeil. Debout à sept heures, puis préparation du petit déjeuner pour son père, plus gros dormeur que lui. Il ne pouvait l’attendre pour manger, sous peine d’arriver en retard au lycée, alors il mangeait tout seul dans son coin, et cela lui faisait le plus grand bien, car il pouvait déjà se préparer psychologiquement à la journée de cours qui arrivait. La journée de cours se finissait habituellement dans les environs de dix-sept heures, où il traînait un peu avec ses amis, avant de rentrer chez lui pour manger avec son père, qui lui posait tout plein de questions sur comment s’était passé sa journée. Ensuite, après le repas du soir, il faisait ses devoirs, et s’il les avait finis, s’adonnait à tout plein de projets personnels, tels que l’écriture, le dessin, la peinture, ou parfois les jeux vidéo. Une vie normale, qui ferait presque oublier qu’il ne vivait pas tout à fait dans le monde réel.

Bien sûr, Ugo avait déjà entendu parler du monde de la surface, de ses sept merveilles, qu’elles soient antiques ou modernes, mais il savait qu’il n’aurait probablement aucune chance de les voir, sauf s’il réussissait à sortir de cet endroit, même s’il ne savait pas par quel moyen.

Mais cette fois-ci, la routine était quelque peu différente, puisque son père était déjà levé.

— Oh, papa, tu es déjà levé ? Tu n’arrivais pas à dormir ? s’enquit Ugo.
— Non, c’est difficile en ce moment, concéda son père. On arrive aux dates anniversaires, ça va faire bientôt un an maintenant que ta mère a été assassinée, comme tu le sais.

Il marqua une pause puis reprit :

— Au fait, c’était bien ta sortie d’hier soir, tu étais avec tes amis habituels ?

Ugo soupira, car il n’échapperait pas à l’interrogatoire.

— Oui, c’était bien. Eh oui, c’était mes amis habituels. Je suis parti après eux comme d’habitude, mais ne t’en fais pas, il ne s’est rien passé ensuite, je suis rentré directement, et me voici.

Étonnamment, son père ne lui posa pas plus de questions, et Ugo put se concentrer sur son petit-déjeuner. Aujourd’hui, et comme chaque jour, c’était pancakes, confiture, et un bon bol de lait avec du chocolat. Parfois, il rajoutait des bouts de bananes à l’intérieur pour avoir des forces, et aujourd’hui il en avait particulièrement besoin après son sport d’hier soir.

Après avoir englouti son petit déjeuner, il empoigna son sac, déjà préparé la veille, mis ses chaussures, pris les clés sur le porte-clés mural, et sortit, tout en n’oubliant pas de faire un câlin à son père. Il verrouilla prudemment, et commença à se diriger vers son lycée. Le trajet n’était pas très long, il fallait juste marcher quelques minutes vers le Tramwaytro, un mélange de tramway et de métro, le prendre et descendre trois stations plus loin. De temps en temps, il lui arrivait de faire le chemin à pied, notamment quand il avait passé une mauvaise journée et qu’il avait besoin de décompresser, sans quoi il maudirait tous les passagers de la rame alors qu’ils n’auraient rien fait. Une fois sur le quai, il n’eut besoin que d’attendre que quelques minutes avant que le Tramwaytro arrive. Il chercha sa place habituelle, juste à côté des portes, mais pour une fois, elle était occupée. Cela énerva Ugo, qui aimait cette place justement parce qu’elle était proche de la porte, et qu’il pouvait ainsi vite quitter la rame quand il y avait un peu trop de monde. Il détestait la foule, et cette place était la seule où il se sentait bien, car il avait cette sensation de pouvoir échapper un peu à la foule. Il se reprit et se résout à rester debout près des portes, et il était donc obligé de se tenir à la barre, là où il devait y avoir à peu près un milliard de bactéries par centimètre carré. Il en profita pour « étudier » la personne qui était assise à SA place. C’était une jolie jeune fille, de petite taille, aux cheveux plutôt châtains, mais avec des mèches orange. Elle regardait dans le vague et semblait dans ses pensées, tout en tripotant ses mains, sans doute à cause du stress généré par le trajet en Tramwaytro. Ugo fut perturbé, car c’était à peu près les mêmes personnes qui prenaient chaque jour le Tramwaytro de 8 h 6 sur la ligne quatre, et cette fois, il ne reconnaissait aucun visage. Il scanna rapidement les visages, et manqua de louper sa station. Une jeune fille qu’il n’avait également jamais vue descendit à la même station que lui. Elle avait les cheveux bruns et ondulés, portait des lunettes, un crop-top rouge, et un jean noir. Il pensa d’abord que cette fille allait au lycée, et qu’elle était sûrement nouvelle, avant de la voir prendre une autre direction. Ugo reprit sa marche vers le lycée, qu’il devait atteindre d’ici cinq minutes. Il regarda sa montre, qui indiquait 8 h 21. Il serait pile à l’heure, c’était parfait.

Chapitre II

Le cours de philosophie était de loin le cours qui l’ennuyait le plus. Il ne voyait pas l’intérêt de cette matière. Lui, qui n’était généralement jamais fatigué en cours, sentait un profond sommeil le gagner. Il essaya de lutter, et se força à écrire sur son cahier pour rester éveillé. Mais la digression du professeur sur la théorie des cordes fut de trop pour Ugo, qui sombra d’un coup. Il laissa son esprit vagabonder dans un dédale de pièces jaunes, très ressemblant aux Backrooms d’A-Sync, mais en plus vide et plus angoissant. Il fut réveillé par une voix lointaine, mais lorsqu’il émergea, il était assis par terre, et sa table avait disparu. Ses camarades de classe avaient disparu aussi, tout comme le professeur. Tout avait disparu, sauf son sac, désormais sur ses épaules, mais sans son cahier et sa trousse. Ce qui n’avait pas disparu, en revanche, c’était encore et toujours ces pièces jaunes et vides, à perte de vue. Le plafond était d’ailleurs un peu plus bas que dans les Backrooms qu’il connaissait, atteignant à peine un homme et demi. Ugo n’était pas d’un naturel très calme, alors il commença à paniquer. Devenait-il fou ? S’était-il vraiment réveillé ce matin et dans ce cas-là il s’agissait d’un mauvais rêve ? Ce qui expliquait sans doute pourquoi il n’avait reconnu personne dans le Tramwaytro. Il se pinça, et la douleur lui fit pousser un cri. S’il avait eu un doute quant au fait de rêver, ce doute était désormais envolé. Ayant lu et vu beaucoup de livres et séries parlant d’univers parallèles, il comprit vite qu’à son tour, il avait « glissé » vers un endroit inconnu, ressemblant étrangement à ce qu’il connaissait, et pourtant si différent. Le Tramwaytro, où il n’avait pas vu les mêmes personnes qu’habituellement, avait peut-être été une transition entre deux mondes. Comprendre comment il était arrivé là pouvait peut-être l’aider à en sortir. Ou alors, était-ce ça la mort ? Juste le vide, et rien d’autre ?

Ugo se posa quelques instants, et réfléchit aux solutions qui s’offraient à lui. Il pouvait s’asseoir dans un coin et attendre que quelqu’un le trouve là, prostré, mais y avait-il seulement quelqu’un ici ? Et puis s’il était mort, à quoi bon ? Il pouvait aussi choisir de se débrouiller seul et de marcher tout droit pendant longtemps jusqu’à trouver une issue, mais le même problème se posait. Il restait une troisième option, celle d’errer sans trop savoir vers où, tel un fantôme, mais la chance de trouver une sortie était ainsi beaucoup plus faible. Avant ça, il fallait s’assurer d’une chose : qu’il était bel et bien seul. Il mit ses mains en porte-voix et cria :

— Eh oh, il y a quelqu’un ?

Il n’obtint pour seule réponse qu’un silence assourdissant de vide. Le silence n’était en réalité pas total. Les néons, répartis de manière aléatoire au plafond, émettaient un bourdonnement très peu agréable, et qui risquait vite de devenir insupportable. Ugo retenta sa chance :

— Il y a quelqu’un ? Allô ?

Toujours aucune réponse. Parmi les trois options qui lui étaient venues en tête plus tôt, il choisit la deuxième, celle de marcher en ligne droite aussi longtemps que possible. Avant de partir, il posa son sac par terre, et regarda ce qu’il avait comme ressources. Une bouteille d’eau d’un litre et demi, trois barres de céréales et deux compotes en tube. S’il répartissait bien l’absorption de ces produits, il pouvait tenir plusieurs jours. Le temps d’un instant, il espérait être mort pour ne pas avoir à se soucier de se nourrir. Mais cela ressemblait plus à l’enfer qu’au paradis, et sa santé mentale allait être mise à rude épreuve.

Ugo commença à marcher, mais il sentait que le footing hebdomadaire de la veille lui était resté dans les jambes, car il était courbaturé au niveau des cuisses. Il marcha, encore et encore, mais rien ne changeait, le décor était à chaque fois le même. L’éclairage était tel que certaines zones étaient dans la pénombre, y compris sur son chemin, mais Ugo s’efforça de continuer en ligne droite quoi qu’il en coûte. Il ne pouvait dire si cela était le fruit de son imagination ou pas, mais Ugo était convaincu que le bourdonnement était par endroit de plus en plus fort, avant de disparaître brusquement, puis de repartir quelques secondes plus tard avec l’intensité du début. Il penchait plutôt pour la deuxième option, puisque cet endroit semblait défier les limites de la science. De par la ressemblance entre toutes ces pièces, Ugo avait une très grande impression de déjà-vu, et pensait être coincé dans une boucle temporelle. Cette idée le fit paniquer légèrement, mais comme à son habitude dans cette situation, il préférait se pincer pour revenir à la réalité, aussi bizarre fût-elle. Il sortit son téléphone de sa poche, qui n’affichait aucune barre de réseau. Il tenta l’appel d’urgence, mais une voix robotique lui indiqua que ce numéro n’était pas attribué. Il soupira presque de soulagement. Qu’aurait-il dit de toute façon ? Qu’il était bloqué dans un endroit aux murs jaunes et qu’il était tout seul ? Tous les Backrooms étaient jaunes, ça n’aurait pas aidé les services de secours et il serait passé pour un fou. Finalement, c’était mieux que personne n’ait répondu.

Ugo remarqua seulement à ce moment-là que sa montre ne fonctionnait plus, et était restée bloquée. « Sans doute l’heure à laquelle j’ai basculé dans ce drôle d’endroit », pensa-t-il. Il ne pouvait dire combien de temps il avait marché, ni sur quelle distance, mais d’après ses estimations, cela faisait bien cinq heures. Il fit une pause pour boire enfin, chose qu’il n’avait pas faite depuis le début de son excursion. Il hésita à prendre une barre de céréales, puis se ravisa, n’ayant pas trop faim encore. Ugo préférait attendre que la faim le guette avant de commencer à manger, car il valait mieux économiser. Au moment de repartir, il fut interrompu par une voix. Il se figea, et tendit l’oreille. Avait-il rêvé ? La voix, qui semblait très lointaine, avait l’air de dire quelque chose, mais Ugo ne distinguait pas le moindre mot.

— Bonjour, il y a quelqu’un ?

Il marqua un silence.

— Je m’appelle Ugo, je ne vous veux aucun mal. Il y a quelqu’un ?

Sans surprise, aucune réponse ne lui parvient. Ugo voulut se rapprocher de la voix, mais cette dernière semblait venir de partout, et de nulle part à la fois. Il hésita, mais reprit finalement sa marche. Au fur et à mesure que les heures passaient, il devenait de plus en plus dur pour Ugo d’évoluer dans cet endroit. Il avait l’impression que des insectes rampaient sur les murs, mais dès qu’il regardait les murs en question, ces derniers apparaissaient très nets. Son champ de vision périphérique était pollué par ses visions qui le faisaient s’inquiéter sur l’état de sa santé mentale. Il trouvait également que l’air était de plus en plus vicié, et la respiration se faisait de plus en plus difficile. Ugo était de plus en plus inquiet quant à sa capacité à survivre dans ce milieu pas nécessairement hostile, mais qui aurait rendu fou n’importe qui.

Sa santé mentale n’était déjà pas terrible depuis la mort de sa mère, et il savait qu’il ne sortirait pas indemne de cet endroit. De longs mois, voire de longues années de cauchemars l’attendraient très certainement à la sortie. Mais il fallait qu’il se batte, car il ne pouvait pas mourir, pas maintenant. Son père ne supporterait pas de perdre son fils après avoir perdu sa femme. Il continua à marcher, encore et encore, mais rien ne permettait de s’enfuir de cet endroit. Régulièrement, il appelait à l’aide, ou demandait si quelqu’un était là, mais sans aucun succès. Il entendait régulièrement cette voix, mais il était désormais certain qu’elle n’était que le fruit de son imagination. Il ignorait depuis combien de temps il était là, mais les hallucinations auditives et visuelles étaient de plus en plus fréquentes. Ugo se surprit à rire quand il sursauta après que son ventre eut gargouillé, résonnant dans l’espace vide. Il s’assit en plein milieu du couloir, but un peu, et ouvrit une barre de céréales. Il s’en délecta, et prit son temps pour la manger. Il finit son repas par une compote, puis reprit sa marche.

Il devait sans doute avoir marché toute la journée, car il se sentit fatigué d’un coup. Il décida de se poser dans un coin d’une salle vide, pris son sac en guise d’oreiller, sa veste en guise de drap, puis s’allongea. Ugo essaya de réfléchir un peu à cet endroit, mais ce dernier était tellement indescriptible, qu’il était difficile de vraiment le décrire. Le papier peint était du même jaune qu’à Parisis, mais un détail changeait, le sol. En effet, il s’agissait ici de moquette humide, et non pas du parquet qu’on trouvait dans les maisons, ou du bitume jaune foncé des rues. Sur ces analyses de l’environnement dans lequel il se trouvait, Ugo s’endormit, emporté par une grosse fatigue, émotionnelle et physique.

Il fut réveillé par le même chuchotement qu’il entendait régulièrement depuis qu’il était ici. Alors il ouvrit les yeux doucement, puis se redressa lentement, le temps de reprendre ses esprits. N’étant pas sûr d’avoir suffisamment à manger, il se résigna à ne pas manger ce matin. Enfin, ce matin, ou cet après-midi, difficile de savoir en l’absence de repères spatio-temporels. Il tenta une nouvelle fois de hausser la voix, mais là encore, personne ne lui répondit, alors il recommença à marcher. Mais au bout de quelques minutes, il aperçut au loin une porte en fer. Il espéra que ça n’était pas une nouvelle hallucination, mais au fur et à mesure qu’il s’en rapprochait, la porte grossissait, faisant du mirage une hypothèse peu fiable. Il toucha la porte, mais enleva sa main rapidement. Le fer était glacé. Il étudia la porte, mais il n’y avait pas grand-chose à dire dessus, si ce n’est qu’elle n’avait pas de serrure. Doucement, Ugo posa sa main sur la poignée, et la baissa doucement. Un clic indiqua qu’elle allait pouvoir s’ouvrir. Il poussa la porte, qui s’ouvrit dans un grincement terrible. De l’autre côté, rien d’autre que la pénombre, et aucune trace des murs jaunes. Il hésita, mais franchit finalement la porte.

Chapitre III

Une fois de l’autre côté, Ugo ne put s’empêcher d’être émerveillé. Lui qui n’avait connu que les murs jaunes, voilà que cela changeait radicalement. Le décor ressemblait à un entrepôt avec des murs et un sol en béton, ainsi que des barres d’armatures pour tenir la structure, et un brouillard bas dont l’origine restait inconnue pour le moment. C’était sans doute la condensation de ce brouillard qui était à l’origine des flaques d’eau sur le sol qu’Ugo voyait un peu partout. Il reprit son exploration dans ce nouvel endroit, qui paraissait nettement plus hospitalier, bien que plus sombre. Pourtant, çà et là, des graffitis sur les murs apparaissaient et disparaissaient. Il s’agissait tantôt de dessins sataniques, de citations bibliques ou juste de phrases plus bateau. Il n’y avait pas forcément de significations apparentes, mais Ugo était impressionné. C’est la première fois qu’il en voyait, car il n’y en avait pas à Parisis. Mais il en avait bien sûr entendu parler dans les manuels d’histoire, lors du chapitre sur la « dernière civilisation ancienne » juste avant que les Backrooms n’existent. La civilisation où ses parents étaient nés.

Il continua sa marche, et la même sensation de vide et d’espace le prenait aux tripes, comme dans l’immense pièce précédente. Cet endroit était tout de même moins monotone, car on y apercevait des escaliers, des ascenseurs, des pièces isolées et des couloirs. Il se disait que prendre un ascenseur pouvait le ramener vers la réalité, mais il décida quand même de réfléchir quelques instants, afin de peser le pour et le contre. Cet endroit concurrençait toute logique, et trouver une sortie n’était sûrement pas aussi simple que de juste prendre un ascenseur. Cependant, il n’avait a priori rien à perdre, alors il se dirigea vers l’ascenseur. Mais d’un coup, la lumière se coupa. Très vite, Ugo sortit son téléphone et alluma la lampe-torche. Il avait de la chance d’avoir une lampe-torche puissante sur son téléphone, mais il fallait que la lumière se rallume vite, car il voulait économiser la batterie au maximum. Il appuya sur le bouton de l’ascenseur, qui se cercla de rouge, indiquant qu’il fonctionnait encore. Quelques secondes plus tard, un bruit mécanique lui signifia que l’ascenseur était bien arrivé. La porte s’ouvrit dans un grand fracas, laissant apercevoir l’intérieur de la cabine. Elle n’était pas très accueillante, très sale, avec des graffitis partout. Ces graffitis n’inspiraient pas confiance non plus, car on y voyait des têtes de démons, des étoiles de Satan, des croix catholiques, et tout le toutim. Le miroir, bien que sale, laissait apercevoir Ugo, téléphone dans la main. Mais dans le reflet du miroir, il jurait avoir vu quelque chose bouger. Quelque chose d’immense s’était installé à côté de lui. Ugo mit du temps à réaliser qu’il ne rêvait pas, et qu’il y avait bien quelqu’un à côté de lui. Il braqua sa lampe-torche vers cette personne, et il la détailla du regard. De grande taille donc, avec un veston gris, une cravate bleue avec un motif de poisson dessus, un pantalon gris, des chaussettes bleu foncé, et de belles chaussures en cuir. « Drôle de tenue pour un endroit si dégradé », pensa Ugo. Il remonta vers le visage, et poussa un cri d’horreur. La personne se tenant à ses côtés n’avait pas de visage. Pas d’yeux, pas de bouche, pas de nez, juste une peau lisse à la place du visage. Il resta paralysé quelques secondes, avant de se pincer, et de s’enfuir en courant en poussant de grands cris. Il ne savait pas où aller, mais il courait sans s’arrêter, en essayant de se repérer tant bien que mal malgré l’absence de lumière. Certes, il avait la lampe-torche, mais cela l’empêchait d’avoir une vision périphérique, et peut-être ratait-il quelques issues.

Finalement, les lumières se rallumèrent, et Ugo se calma. Il s’arrêta de courir, regarda autour de lui, et ne vit personne. Mais ça n’était pas vide pour autant. Au loin, une caisse grise était positionnée contre un mur, et recouverte d’une grande bâche verte. Ugo était curieux de savoir ce qu’il pouvait y trouver, alors il se dirigea vers cette caisse. Il souleva la bâche et la baissa aussitôt en poussant un cri d’effroi, car la première chose qu’il vit fut une souris dans un état catatonique. Dans un tel état, elle ne risquait pas de lui faire du mal, alors il souleva à nouveau la bâche et explora le contenu de la malle. Il y trouva de nombreuses barres de céréales, qu’il mit dans son sac. Par chance, elles n’étaient pas en chocolat et ne risquaient pas de fondre, et il pouvait ainsi les garder longtemps. Il trouva également de drôles de bouteilles, qui d’après les inscriptions, contenaient un liquide nommé « eau d’amande ». Ugo supposa que ce liquide était comestible, mais il n’en avait aucune idée.

Au moins, il lui restait toujours sa bouteille d’eau, encore remplie de moitié. En fouillant dans la malle, il trouva aussi des piles, des seringues, dont certaines usagées, ainsi que des vêtements et des couvertures. Ugo choisit de prendre le maximum de choses, même s’il ne voyait pas à quoi allaient lui servir les piles dans un premier temps. En fouillant encore un peu, il trouva deux poignards, dont un avec des traces de sang dessus. Il rangea dans son sac celui qui était neuf, puis mit dans sa poche le poignard usagé. Il avait de quoi se défendre maintenant, bien que la créature vue précédemment n’était pas nécessairement agressive.

Avant de repartir, il regarda son téléphone, qui n’indiquait plus que vingt et un pour cent. Étant donné que sa lampe-torche ne s’allumait plus dès qu’il descendait en dessous des vingt pour cent, il ne fallait pas que les lumières s’éteignent une nouvelle fois. Il reprit son exploration en hâtant le pas, mais son regard s’attardait sur les graffitis, toujours aussi nombreux sur les murs. Si certains étaient banals, d’autres lui faisaient froid dans le dos. « Brûlez mon putain de corps », « regardez l’horloge, la prophétie finale approche », « l’oiseau bleu vous fait signe et vous apaise » et autres messages du même acabit n’auguraient rien de bon. Et pourtant, il représentait son seul espoir, car cela voulait dire qu’il n’était pas le seul être humain ici. Mais n’était-ce pas pire finalement ? Car au vu des graffitis, certains sombraient dans la folie, et s’étaient réfugiés dans la religion. La citation sur l’horloge lui rappela ce poème de Baudelaire qu’il avait appris à l’école. « Trois mille six cents fois par heure, la seconde chuchote “souviens-toi” avec sa voix d’insecte ». Cette simple pensée le fit frissonner, car c’était exactement son ressenti depuis qu’il était dans cet endroit. Chaque seconde, chaque minute passée ici le rapprochait un peu plus d’une mort qu’il pensait certaine, et le faisait aussi repenser aux moindres détails de sa vie, les bons comme les mauvais.

Horloge ! Dieu sinistre, effrayant, impassible,

Dont le doigt nous menace et nous dit : Souviens-toi !

Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi

Se planteront bientôt comme dans une cible…

Réciter ce poème le détendait, sans qu’il ne sache comment. Il le trouvait incroyablement beau, et tellement réel. Depuis un an et l’assassinat de sa mère, il l’avait associé à sa perte de mémoire due aussi à l’agression dont il avait été l’auteur.

Plusieurs kilomètres défilèrent sans que quelque chose se passe. Les lumières étaient toujours allumées, mais Ugo n’avait encore croisé personne, et n’avait d’ailleurs pas vu d’autres caisses de provisions. Mais d’un coup, les lumières commencèrent à clignoter.

— Non, non, non, tenez bon, s’il vous plaît ! s’exclama Ugo.

L’endroit était tellement étrange que les lumières étaient peut-être douées d’intelligence, mais cela ne semblait pas être le cas, puisque le clignotement se fit de plus en plus fort, jusqu’au noir complet.

Dans un geste désespéré, Ugo tenta d’agiter les bras, se disant qu’il y avait un détecteur de mouvements. Mais rien n’y faisait, les lumières ne se rallumaient pas. Après avoir pris son téléphone, il constata que la barre des vingt pour cent était dépassée, il n’aurait donc aucune source de lumière pendant une durée indéterminée. Le noir était inhabituel pour lui. Dans les Backrooms, en tout cas, ceux d’A-Sync, le noir n’existait pas, car il y avait continuellement une source de lumière, même au sein des appartements. Et cela avait eu raison de la vision nocturne de cette civilisation, car ses yeux n’étaient pas capables de s’acclimater au noir, et il ne voyait vraiment rien, pas même les formes ni l’ombre des murs. « C’est donc ça être aveugle », pensa Ugo. Il avançait lentement, avec les bras tendus devant lui, en guise de canne. Tout d’un coup, il crut apercevoir une source de lumière au loin. Il avança prudemment, mais s’autorisa à hâter le pas un petit peu. Malheureusement, cette source de lumière disparut aussi vite qu’elle était apparue. L’avait-il rêvé ? Ou alors avait-elle juste disparu ? Ugo réfléchit et se dit que ça devait être une lampe-torche, et que la personne qui la tenait avait juste marché derrière un mur, faisait disparaître la lumière. Il tenta de haranguer la personne qui tenait cette lumière :

— Eh oh, il y a quelqu’un ?

Sans surprise, pas de réponse. Il réessaya :

— Il y a quelqu’un ? J’ai vu une lumière il y a quelques secondes. Je ne vous veux aucun mal, je veux juste survivre. Peut-on s’entraider ?

Un rayon de lumière réapparut, mais qui n’était pas dirigé vers Ugo. Ce dernier se décida à suivre ce mince trait d’espoir, le temps que les lumières principales se rallument. Suivre ce rayon de lumière était compliqué, car il disparaissait parfois derrière un pilier, ou un mur, avant de réapparaître plus loin. Ugo en était convaincu, cette lumière ne se déplaçait pas toute seule, et quelqu’un la tenait. Mais pourquoi diable cette personne ne répondait pas ? Il se souvint avec effroi de la créature rencontrée précédemment, qui n’avait pas de bouche et ne pouvait donc pas parler, mais se rassura aussitôt en se souvenant que cette dernière ne l’avait pas agressée. Il fut tiré de ses pensées par l’apparition d’une deuxième lumière, puis d’une voix humaine. Il pressa tellement le pas qu’il manqua de se prendre un mur, mais la lumière des lampes-torches se rapprochait, éclaircissant au passage son champ de vision. Il sursauta quand deux personnes se tenaient face à lui, braquant leurs lampes-torches directement sur lui.

— Ah, un autre survivant, sourit l’homme en face de lui. C’est la première fois que j’en recueille deux d’un coup. Venez, suivez-moi.

Avec l’homme se tenait une personne de petite taille, même si Ugo ne l’avait pas encore clairement distingué. Les lumières revinrent au moment où l’homme s’arrêta devant ce qui ressemblait à un restaurant. Il ouvrit la porte, alluma, et invita les deux survivants à rentrer. Ugo put enfin distinguer l’autre survivante, et sursauta. C’était la fille du tramwaytro, celle qui était assise à sa place habituelle. Cette dernière ne semblait pas l’avoir reconnu, et avait l’air toujours dans ses pensées. L’homme regarda Ugo, puis lui dit avec un grand sourire :

— Tu feras attention, ton sac est ouvert.

Ugo était persuadé qu’il l’avait fermé après s’être servi dans la malle, et surtout il manquait certains objets. La couverture n’y était plus, tout comme le poignard, et la grande majorité des barres de céréales. Il le referma en faisant la moue, déçu d’avoir perdu des objets sur une erreur d’inattention.

— Bon, vous n’êtes pas très bavards tous les deux, et je comprends. Asseyez-vous, j’imagine que vous avez plein de questions à poser, auquel cas je pense avoir les réponses. Au fait, moi c’est Tom, et vous ?

Ugo hésita, mais balbutia :

— Heu, moi c’est Ugo.

La jeune fille sortit tout doucement de son état un peu absent, et dit finalement :

— Enora.

Enora ne semblait pas être vraiment là, et avait l’air d’être dans son monde. Cet endroit l’avait sans doute bien traumatisée, ce qui pouvait expliquer son état.

— Bien, bien, enchanté de faire votre connaissance. Pour tout vous dire, cela fait deux jours que je n’ai croisé personne dans mon restaurant, alors je suis ravi de vous connaître ! s’exclama Tom.
— Idem pour moi, je n’ai croisé personne depuis que je suis là, même si je sais pas vraiment où je suis, affirma Ugo. Et toi Enora ?
— Non, j’ai croisé personne. D’ailleurs, je suis désolée, je t’ai entendu crier tout à l’heure, mais j’ai pas répondu, j’avais peur, fit-elle.
— Ne t’en fais pas, je peux comprendre, répondit simplement Ugo.

Ugo étudia l’endroit. Ils se trouvaient dans un restaurant ressemblant à n’importe quel autre restaurant, avec des tables en bois, des chaises en fer. L’éclairage était fait classiquement à base de lampes suspendues au plafond, même si les fils étaient dénudés. Il y avait un comptoir, une caisse enregistreuse, et une porte battante menant sur la cuisine. D’après ses estimations, le restaurant pouvait contenir une cinquantaine de personnes. Des affiches rappelant les années soixante étaient sur les murs, donnant au lieu une ambiance vintage. Ugo était fasciné par cette période de l’histoire, qui était la dernière avant le commencement de la création des Backrooms. Il étudia ensuite leur hôte. Il était de grande taille, au moins plus d’un mètre quatre-vingt-dix, et avait les muscles saillants, signe d’une bonne condition physique. Même pour Ugo, il était intimidant.

— Je vois que tu regardes où tu es, Ugo, et bien, sachez que vous êtes ici dans mon restaurant, qui sert aussi de centre social pour vagabonds, ou voyageurs abandonnés, appelez ça comme vous voulez, commença à expliquer Tom.
— Et l’endroit où on est en dehors du restaurant, c’est toujours les Backrooms ? demanda Ugo.

Tom hésita quelques instants, ou son visage sembla se refermer, puis ce dernier s’éclaira de nouveau, puis Tom dit :

— Vous savez quoi ? J’ai beaucoup de choses à vous dire, et vous devez être affamés, alors je vais nous faire à manger, et on discutera en mangeant, qu’en pensez-vous ?
— C’est une bonne idée ! confirma Ugo.
— Oui, je suis d’accord, renchérit Enora.
— Profitez-en pour faire connaissance, tous les deux, je vais préparer à manger, je suis à vous dans dix minutes ! s’exclama Tom.

Il se dirigea vers la cuisine, avant de s’arrêter, et de se rediriger vers la table des deux jeunes gens.

— Au fait, je ne vous ai pas demandé, vous mangez de tout ?
— Heu, je suis végétarienne, je suis désolée, fit Enora, l’air tout gêné.
— Ce n’est pas un souci, jeune fille, je prends ça en compte, répondit Tom avec un clin d’œil, avant de repartir vers sa cuisine.

Il y eut un léger blanc entre Ugo et Enora, aucun n’ose vraiment prendre la parole. Ce fut finalement Ugo qui rompit le silence.

— Heu, du coup, tu as quel âge ?
— J’ai dix-sept ans, et bientôt dix-huit et toi ?
— J’en ai dix-huit depuis peu, indiqua Ugo.

Il hésita un peu, puis reprit :

— Je ne pense pas que tu me reconnaisses, mais, à titre personnel, je t’ai déjà vue.
— Ah oui ? demanda Enora. Tu en es sûr ? C’était quand ?
— Eh bien, pas plus tard qu’hier, dans le tramwaytro, tu étais d’ailleurs assise là où je m’assois habituellement, et sur l’instant, je t’avoue que je t’en ai un peu voulu, j’en suis désolé.
— Ah, répondit simplement Enora.
— En revanche, je ne pense pas que tu sois dans le même lycée que moi, je ne t’ai jamais vue là-bas, en tout cas.
— Je suis au lycée Henri IV de Parisis, confirma Enora.
— Ah oui, c’est pour ça que tu n’es pas descendue là où je descends pour aller au lycée de la Chênaie, tout s’explique, fit Ugo en riant. Et tu sais ce que tu veux faire plus tard ?
— Sortir d’ici, déjà, répondit Enora sèchement.