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La pièce "Brutus" de Voltaire explore les thèmes du républicanisme, de la tyrannie et du patriotisme, en se concentrant sur la lutte morale de Lucius Junius Brutus face aux conséquences de son engagement envers Rome.
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Veröffentlichungsjahr: 2016
Le théâtre représente une partie de la maison des consuls sur le mont Tarpéien; le temple du Capitole se voit dans le fond. Les sénateurs sont assemblés entre le temple et la maison, devant l'autel de Mars. Brutus et Valérius Publicola, consifls, président à cette assemblée: les sénateurs sont rangés en demi-cercle. Des licteurs avec leurs faisceaux sont debout derrière les sénateurs.
BRUTUS, VALERIUS PUBLICOLA, LES SÉNATEURS.
BRUTUS.
Destructeurs des tyrans, vous qui n'avez pour rois Que les dieux de Numa, vos vertus et nos lois, Enfin notre ennemi commence à nous connaître. Ce superbe Toscan qui ne parlait qu'en maître, Porsenna, de Tarquin ce formidable appui, te tyran, protecteur d'un tyran comme lui, Qui couvre de son camp les rivages du Tibre, Respecte le sénat et craint un peuple libre. Aujourd'hui, devant vous abaissant sa hauteur, Il demande à traiter par un ambassadeur. Arons, qu'il nous députe, en ce moment s'avance Aux sénateurs de Rome il demande audience: Il attend dans ce temple, et c'est à vous de voir S'il le faut refuser, s'il le faut recevoir.
VALÉRIUS PUBLICOLA.
Quoi qu'il vienne annoncer, quoi qu'on puisse en attendre, Il le faut à son roi renvoyer sans l'entendre Tel est mon sentiment. Rome ne traite plus Avec ses ennemis que quand ils sont vaincus. Votre fils, il est vrai, vengeur de la patrie, A deux fois repoussé le tyran d'Étrurie; Je sais tout ce qu'on doit à ses vaillantes mains; Je sais qu'à votre exemple il sauva les Romains Mais ce n'est point assez; Rome, assiégée encore, Voit dans les champs voisins ces tyrans qu'elle abhorre. Que Tarquin satisfasse aux ordres du sénat; Exilé par nos lois, qu'il sorte de l'État; De son coupable aspect qu'il purge nos frontières, Et nous pourrons ensuite écouter ses prières. Ce nom d'ambassadeur a paru vous frapper; Tarquin n'a pu nous vaincre, il cherche à nous tromper. L'ambassadeur d'un roi m'est toujours redoutable; Ce n'est qu'un ennemi, sous un titre honorable, Qui vient, rempli d'orgueil ou de dextérité, Insulter ou trahir avec impunité. Rome, n'écoute point leur séduisant langage: Tout art t'est étranger; combattre est ton partage: Confonds tes ennemis de ta gloire irrités; Tombe, ou punis les rois: ce sont là tes traités.
BRUTUS.
Rome sait à quel point sa liberté m'est chère: Mais, plein du même esprit, mon sentiment diffère. Je vois cette ambassade, au nom des souverains, Comme un premier hommage aux citoyens romains. Accoutumons des rois la fierté despotique A traiter en égale avec la république; Attendant que, du ciel remplissant les décrets, Quelque jour avec elle ils traitent en sujets.
Arons vient voir ici Rome encor chancelante, Découvrir les ressorts de sa grandeur naissante, Épier son génie, observer son pouvoir: Romains, c'est pour cela qu'il le faut recevoir. L'ennemi du sénat connaîtra qui nous sommes, Et l'esclave d'un roi va voir enfin des hommes. Que dans Rome à loisir il porte ses regards Il la verra dans vous: vous êtes ses remparts. Qu'il révère en ces lieux le dieu qui nous rassemble; Qu'il paraisse au sénat, qu'il écoute, et qu'il tremble.
(Les sénateurs se lèvent, et s'approchent un moment pour donner leurs voix.)
VALÉRIUS PUBLICOLA.
Je vois tout le sénat passer à votre avis; Rome et vous l'ordonnez: à regret j'y souscris. Licteurs, qu'on l'introduise; et puisse sa présence N'apporter en ces lieux rien dont Rome s'offense! (A Brutus.) C'est sur vous seul ici que nos yeux sont ouverts; C'est vous qui le premier avez rompu nos fers: De notre liberté soutenez la querelle; Brutus en est le père et doit parler pour elle.
LE SÉNAT, ARONS, ALBIN, SUITE.
Arons entre par le côté du théâtre, précédé de deux licteurs et d'Albin, son confident; il passe devant les consuls et le sénat, qu'il salue; et il va s'asseoir sur un siège préparé pour lui sur le devant du théâtre.
ARONS.
Consuls, et vous, sénat, qu'il m'est doux d'être admis Dans ce conseil sacré de sages ennemis, De voir tous ces héros dont l'équité sévère N'eut jusques aujourd'hui qu'un reproche à se faire; Témoin de leurs exploits, d'admirer leurs vertus; D'écouter Rome enfin par la voix de Brutus! Loin des cris de ce peuple indocile et barbare, Que la fureur conduit, réunit et sépare, Aveugle dans sa haine, aveugle en son amour, Qui menace et qui craint, règne et sert en un jour; Dont l'audace…
BRUTUS.
Arrêtez; sachez qu'il faut qu'on nomme Avec plus de respect les citoyens de Rome. La gloire du sénat est de représenter Ce peuple vertueux que l'on ose insulter. Quittez l'art avec nous; quittez la flatterie; Ce poison qu'on prépare à la cour d'Étrurie N'est point encor connu dans le sénat romain. Poursuivez.
ARONS.
Moins piqué d'un discours si hautain Que touché des malheurs où cet État s'expose, Comme un de ses enfants j'embrasse ici sa cause. Vous voyez quel orage éclate autour de vous; C'est en vain que Titus en détourna les coups: Je vois avec regret sa valeur et son zèle N'assurer aux Romains qu'une chute plus belle. Sa victoire affaiblit vos remparts désolés; Du sang qui les inonde ils semblent ébranlés. Ah! ne refusez plus une paix nécessaire; Si du peuple romain le sénat est le père, Porsenna l'est des rois que vous persécutez. Mais vous, du nom romain vengeurs si redoutés, Vous, des droits des mortels éclairés interprètes, Vous, qui jugez les rois, regardez où vous êtes. Voici ce Capitole et ces mêmes autels Où jadis, attestant tous les dieux immortels, J'ai vu chacun de vous, brûlant d'un autre zèle, A Tarquin votre roi jurer d'être fidèle. Quels dieux ont donc changé les droits des souverains? Quel pouvoir a rompu des noeuds jadis si saints? Qui du front de Tarquin ravit le diadème? Qui peut de vos serments vous dégager?
BRUTUS.
Lui-même. N'alléguez point ces noeuds que le crime a rompus, Ces dieux qu'il outragea, ces droits qu'il a perdus. Nous avons fait, Arons, en lui rendant hommage, Serment d'obéissance et non point d'esclavage; Et puisqu'il vous souvient d'avoir vu dans ces lieux Le sénat à ses pieds faisant pour lui des voeux, Songez qu'en ce lieu même, à cet autel auguste, Devant ces mêmes dieux, il jura d'être juste. De son peuple et de lui tel était le lien: Il nous rend nos serments lorsqu'il trahit le sien; Et dès qu'aux lois de Rome il ose être infidèle, Rome n'est plus sujette, et lui seul est rebelle.
ARONS.
Ah! quand il serait vrai que l'absolu pouvoir Eût entraîné Tarquin par-delà son devoir, Qu'il en eût trop suivi l'amorce enchanteresse, Quel homme est sans erreur? et quel roi sans faiblesse? Est-ce à vous de prétendre au droit de le punir? Vous, nés tous ses sujets; vous, faits pour obéir! Un fils ne s'arme point contre un coupable père; Il détourne les yeux, le plaint, et le révère. Les droits des souverains sont-ils moins précieux? Nous sommes leurs enfants; leurs juges sont les dieux. Si le ciel quelquefois les donne en sa colère, N'allez pas mériter un présent plus sévère, Trahir toutes les lois en voulant les venger, Et renverser l'État au lieu de le changer. Instruit par le malheur, ce grand maître de l'homme, Tarquin sera plus juste et plus digne de Rome. Vous pouvez raffermir, par un accord heureux, Des peuples et des rois les légitimes noeuds, Et faire encor fleurir la liberté publique Sons l'ombrage sacré du pouvoir monarchique.
BRUTUS.
Arons, il n'est plus temps chaque État a ses lois, Qu'il tient de sa nature, ou qu'il change à son choix. Esclaves de leurs rois, et même de leurs prêtres, [...]