Ce matin, j’ai tué une guêpe - Laure Lacoume - E-Book

Ce matin, j’ai tué une guêpe E-Book

Laure Lacoume

0,0

Beschreibung

Mira, une enfant de six ans vivant en Alabama en 1924, adore chanter malgré les défis de la ségrégation raciale. Elle sera confrontée au racisme et à la violence du Ku Klux Klan mais trouvera la force dans la musique. Devenue adulte, sa mission est claire : lutter pour l’égalité raciale et la paix, même si cela implique de rencontrer le Président des États-Unis pour changer les lois.

 À PROPOS DE L'AUTEUR 

Lire des histoires, les raconter, voire les inventer fait partie du quotidien de Laure Lacoume. La transition vers l’écriture s’est faite de manière naturelle.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 125

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Laure Lacoume

Ce matin, j’ai tué une guêpe

Roman

© Lys Bleu Éditions – Laure Lacoume

ISBN : 979-10-422-2304-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Introduction

Ce matin, j’ai tué une guêpe. Écrasée, pour être précise. Ce n’était pas prémédité. Cela s’est fait comme ça, sans réfléchir. Je prenais mon petit-déjeuner dehors, la température était idéale, les oiseaux osaient leurs premiers gazouillis, un léger vent faisait se balancer doucement les feuilles. Et puis, elle est arrivée, comme ça, sans prévenir. Elle a commencé à tourner autour de moi, à passer de ma tartine de confiture à ma tasse de thé, à partir, à revenir, bref à prendre des risques. Puis, elle s’est posée. Et là, j’ai saisi mon verre de jus d’orange et je l’ai posé violemment sur l’insecte. J’ai entendu et senti un léger craquement. Alors j’ai appuyé avec une espèce de plaisir sadique jusqu’à ce qu’elle ne bouge plus. J’ai regardé son cadavre, admirant les lignes jaunes et noires de son abdomen, scrutant son petit dard qui ne ferait plus de mal à personne. J’ai ensuite regardé autour de moi. Est-ce que quelqu’un m’avait vue ? D’où me venait cette satisfaction morbide ? Qu’est-ce qui m’avait pris, moi, adepte de la non-violence ? Cette pauvre guêpe représentait-elle les nombreux bourreaux croisés tout au long de ma vie ? Vengeance ? Crime gratuit ? Mais alors, j’étais donc passée de l’autre côté, celui des assassins ? Tant de morts jalonnent mon histoire.

Chapitre 1

Alabama, 1922 : Je m’appelle Mira Jones, j’ai 6 ans. Je vis avec mes parents et ma Nanou à Tuscaloosa, une petite ville d’Alabama. Mon papa, Clarence Jones, est le plus gentil du monde : il est grand et beau, il a des lunettes et il est professeur à l’école primaire noire du quartier. Il ne me gronde presque jamais sauf si je fais une grosse bêtise mais cela n’arrive pas souvent. Maman est aussi la plus gentille du monde, elle s’appelle Barbara. Elle sourit tout le temps, elle reste à la maison pour travailler, elle fabrique de belles robes pour des dames blanches de la ville. Il paraît qu’elle est très douée. C’est pour ça que des dames très riches font appel à elle. Ça commence toujours de la même façon : une voiture vient la chercher, elle arrive dans une belle maison de blancs, la maîtresse de maison lui explique quel modèle elle veut, ensuite maman prend les mesures, la voiture l’emmène en ville acheter le tissu avec l’argent de la dame puis le chauffeur la reconduit chez nous. Elle fabrique la robe que quelqu’un viendra chercher quelques jours plus tard. Je sais tout ça car, une fois, maman m’a emmenée. Il n’y avait personne à la maison et maman ne voulait pas me laisser seule. Elle m’avait fait promettre de ne rien dire, de rester sagement assise en silence et d’être très gentille. Quand j’ai vu la belle maison, j’ai pensé aux illustrations des livres de l’école. On aurait dit un château. Il y avait sûrement un roi, une reine, un prince et une princesse à l’intérieur ! Un monsieur noir avec un costume bizarre nous a ouvert la porte et nous l’avons suivi dans une grande pièce. Il y avait la dame blanche. Elle a été très gentille avec moi. Je me suis assise et j’ai regardé maman et la dame sans rien dire. À la fin, la dame a agité une petite cloche et le monsieur qui avait ouvert la porte m’a apporté une part de gâteau. Comme j’étais contente ! En rentrant, maman m’a dit qu’elle était très fière de moi.

Et enfin, chez nous, il y a Nanou, ma grand-mère, la maman de mon papa. Elle est déjà un peu vieille, elle a un gros ventre, son visage est tout rond avec des rides, elle a des yeux si gentils, il lui manque deux dents devant et ça me fait bien rire quand elle sourit. Elle fait des gâteaux délicieux. Mais ce que je préfère chez elle, c’est qu’elle chante tout le temps. En cuisinant, en nettoyant la maison, en jardinant, en se balançant sur son fauteuil, même en dormant, je crois… Parfois, je m’assieds sur ses genoux et elle me chante des chansons douces avec sa belle voix grave en me berçant. C’est tellement bon. J’ai l’impression d’être encore un bébé, je me sens bien, j’oublie mes petits chagrins, comme l’autre jour, quand Roy avait écrasé exprès un escargot que je regardais et que j’avais pleuré si longtemps. Elle me dit tout le temps que c’est le chant qui l’a sauvée. Sauvée de quoi ? Je ne sais pas, elle n’en dit pas plus mais elle aime quand je chante avec elle et elle dit que j’ai déjà une très belle voix pour une petite fille.

Je vais à l’école tous les jours sauf le dimanche. Il y a deux écoles. Une pour les enfants blancs et une pour nous, les noirs. J’adore ça. J’aime écrire et dessiner, je commence à savoir lire… On joue tous ensemble dans la cour avec mes camarades. On se connaît tous car on vit dans le même quartier.

Mais hélas, on ne joue pas avec les enfants de l’autre école. Apparemment, ils ne nous aiment pas. L’autre jour, il y a même plusieurs garçons qui ont crié des choses méchantes quand je suis passée. Ils riaient et poussaient de drôles de cris d’animaux en me montrant. Papa m’a dit de ne pas m’en occuper.

Le dimanche, on va à l’église. Je mets ma belle robe et mes belles chaussures et on assiste à la messe. C’est tellement beau : tout le monde chante, tape des mains, le pasteur parle fort et dit de belles choses. Je ne comprends pas toujours tout mais je vois des sourires sur les visages et j’entends Nanou chanter. Elle a la plus belle voix de toute l’assemblée. Papa et maman chantent aussi mais je ne les entends pas très bien.

Bref, je crois que je suis heureuse. Je pense que j’ai de la chance d’avoir une aussi belle vie…

Chapitre 2

J’ai passé une nuit horrible. Je crois que je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. Pourtant, hier soir, tout était normal. Enfin, presque. On avait bien dîné, Nanou avait chantonné en lavant la vaisselle avec maman. Mais papa semblait inquiet. Je lui ai demandé :

« Qu’est-ce qu’il y a papa ? On dirait que tu es triste ?

— Rien, ma chérie, je suis juste fatigué.
— C’est pour ça que tu fais une drôle de tête ?
— Oui, mais, ne t’inquiète pas, je vais passer une bonne nuit et demain, ça ira mieux.
— J’ai déjà connu cette situation, mon fils, a dit Nanou. Je sais ce qu’il faut faire.
— Quelle situation, Nanou ?
— Ce sont des histoires de grands, Mira. Toi, tu vas aller dormir, ma chérie.
— D’accord, Nanou.

J’ai embrassé papa, maman et Nanou et je suis montée dans ma petite chambre. J’entendais des bruits de voix. Je suis une petite fille très curieuse. Alors, comme je n’arrivais pas à dormir, je suis descendue sur la pointe des pieds pour essayer de voir ce qui se passait. J’ai regardé tout doucement dans la cuisine en me penchant et là, j’ai vu papa qui tenait un fusil ! C’était la première fois que je voyais cette arme à la maison. Maman et Nanou le regardaient, elles semblaient avoir peur.

— Calme-toi, mon fils, il ne faut pas attirer leur attention ! a dit Nanou.
— Je ne resterai pas les bras ballants s’ils viennent ici.
— Ils ne viendront pas, ils veulent juste parader dans les rues pour nous faire peur.
— Un jour, ils feront plus que parader, crois-moi et je serai là pour les recevoir. Ce n’est pas à toi que je vais apprendre ce dont ils sont capables. Tu les as vu faire, n’est-ce pas ?
— Qu’avez-vous vu Nanou ? demanda maman.
— Je n’ai pas très envie d’en parler ce soir.
— Si maman, raconte-lui, il faut qu’elle sache.
— Eh bien, j’habitais à Tuskegee à l’époque, c’était en 1895, je me souviens de l’année comme si c’était hier. La vie était dure, je peux vous le dire et il y avait des bagarres entre les noirs et les blancs chaque jour. Un soir de juillet, il faisait très chaud et tous les habitants du quartier noir étaient sortis pour profiter de la fraîcheur de fin de journée. On a vu arriver au bout de la rue principale des gens avec des costumes bizarres. Ils portaient une longue tunique et une cagoule pointue. On ne voyait pas leurs visages, il y avait juste des fentes pour les yeux. Ils étaient à cheval et tenaient des torches enflammées à la main. Ils se sont mis à galoper en poussant des cris. Ça a été la panique. Toutes les personnes qui prenaient le frais devant leur maison se sont mises à courir dans tous les sens en hurlant. Les cavaliers en ont renversé plusieurs. Puis ils ont jeté les torches sur l’église et sur l’école. Tout s’est mis à brûler. Alors des hommes de chez nous se sont précipités pour éteindre les flammes et un jeune gars a fait tomber un cavalier. Je ne pense pas qu’il l’ait fait exprès, tout le monde courait dans tous les sens. Les autres ont opéré un demi-tour et l’ont poursuivi. Je le revois encore, ce gamin de 20 ans, courir de toutes ses forces pour leur échapper. Il a fini par s’arrêter et les autres l’ont entouré. Il y a eu un instant de silence.

Nanou s’arrêta de parler quelques secondes. Des larmes lui étaient montées aux yeux et sa respiration s’était accélérée.

— Que s’est-il passé alors ? demanda maman.
— Ils l’ont attrapé. Le jeune poussait des cris terribles. Des personnes ont essayé de l’aider mais le cercle des cavaliers était trop serré et les hommes à cagoule frappaient avec des fouets tous ceux qui s’approchaient. »

Nanou s’interrompit encore une fois.

— Après, j’ai entendu des bruits étranges. Les hommes masqués se sont mis à rire. Au bout de plusieurs longues minutes, ils sont partis. Et là, j’ai vu… j’ai vu… le corps du gamin se balancer à un arbre. Ils l’avaient pendu. Des hommes se sont précipités pour le décrocher mais c’était déjà trop tard.
— Oh mon Dieu, sanglota maman. C’est horrible ! Mais qui étaient ces brutes ?
— Ils se font appeler le Ku Klux Klan. Des groupes de blancs racistes qui veulent éliminer les noirs de l’État de l’Alabama et de l’Amérique.
— J’en ai entendu parler mais je ne les ai jamais vus.
— Ils s’étaient un peu calmés mais ils refont surface depuis quelques mois. C’est pour ça qu’il faut rester prudent.
— Mais la loi ne peut rien faire contre eux ? Ce sont des assassins !
— La loi ? La loi des blancs ? Qu’est-ce qu’une victime noire pour les blancs ?

Cachée derrière le mur, je ne pouvais plus bouger. J’avais tellement envie de pleurer. Et j’avais aussi très peur. Des gens méchants pourraient venir nous chercher et nous faire du mal ? Et soudain, je les ai entendus. Ils passaient devant chez nous en criant :

— Dormez bien, les nègres, on reviendra !

Je me suis précipitée dans la cuisine, dans les bras de maman.

— Mira, qu’est-ce que tu fais là ?
— J’ai tout entendu, maman, j’ai peur. Ils vont nous faire du mal comme au jeune homme de Nanou !
— Mais non, rassure-toi, c’est fini, maintenant, dit papa… Et puis j’ai mon fusil pour les recevoir s’il leur prenait la mauvaise idée de s’approcher un peu trop près.
— J’ai quand même peur. Je ne veux plus retourner dans mon lit, toute seule là-haut.
— Viens sur mes genoux, ma chérie, dit Nanou.

Je quittai les bras de maman pour m’installer sur les genoux de Nanou. Elle me serra contre elle et commença à se balancer doucement. Sa belle voix résonna quelques secondes plus tard, me chantant une berceuse. C’était tellement rassurant ! Au bout de quelques minutes, je sentis que mes yeux se fermaient et je m’endormis.

Chapitre 3

Tuscaloosa 1927 : « Comme je suis heureuse ! Le pasteur m’a dit que dimanche, je chanterai toute seule ! Je ne pouvais pas rêver mieux. Depuis trois ans, je fais partie de la chorale de l’Église et je connais tous les chants par cœur. Le pasteur dit que j’ai la plus belle voix qu’il ait jamais entendue. Et tout ça, c’est grâce à Nanou. Tous les jours, elle me fait travailler. Je chante sans arrêt, comme elle. Le chant, c’est ma vie ! Je me sens tellement bien quand je chante et je vois aussi que les gens autour de moi m’écoutent et sourient. Parfois, ils m’applaudissent mais Nanou dit que je ne dois pas en être trop fière et que si j’ai reçu ce talent, ce n’est pas pour moi mais pour les autres. D’accord ! Mais ça me fait quand même drôlement plaisir quand on me fait des compliments…

Quand je vais annoncer ça à la maison, tout le monde va être content. »

Mira sautillait de joie sur le trottoir. Soudain, en levant les yeux, elle aperçut 3 adolescents blancs qui venaient vers elle.

— Oh non, voilà les garçons de l’autre école, quelle barbe !

— Alors, la négresse, tu ne te serais pas trompée de trottoir par hasard ? C’est de l’autre côté que tu dois marcher.

— …

— Hé, tu es sourde ? T’as perdu ta langue ? Toi y’en a pas comprendre ?

Les copains de celui qui parlait se mirent à rire. J’avais décidé de ne pas céder et de continuer à marcher comme si de rien n’était. Je n’avais pas envie qu’on me dise où il fallait aller.

— Tu cherches les ennuis, non ? Vous êtes tous pareils, les nègres, vous ne comprenez rien à rien. Alors, tu vas gentiment dégager du passage ou on va t’aider à le faire.

Je commençais à avoir peur. Après tout, il suffisait que je change de côté et ils me laisseraient tranquille ! Et d’un seul coup, je ne sais pas pourquoi, des notes ont franchi mes lèvres et j’ai commencé à chanter. C’était un chant qui parlait de liberté. Les garçons ont semblé surpris, ils se sont tus quelques instants avant d’éclater de rire.