C’est dans nos cordes - Laure Lacoume - E-Book

C’est dans nos cordes E-Book

Laure Lacoume

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Beschreibung

Un violon rancunier qui fait échouer son propriétaire, le dernier compagnon d’un jeune esclave qui rêve de liberté, les témoins des dernières heures du Titanic… Dix nouvelles qui mettent en scène des violons. Seuls ou en orchestres, ces instruments sont les témoins d’aventures qui se déroulent en différents lieux et à différentes époques. Regards narquois, regards complices, moments de partage inoubliables dans lesquels la musique tient une place primordiale…


À PROPOS DE L'AUTRICE

Professeure des Écoles, Laure Lacoume a toujours été entourée et attirée par les livres. Son quotidien est rythmé par la lecture, la narration et l’invention des histoires. C’est donc tout naturellement qu’elle couche sur le papier les mots qui s’imposent à elle.

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Laure Lacoume

C’est dans nos cordes

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Laure Lacoume

ISBN : 979-10-422-0896-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

C’est dans nos cordes

C’est Gugusse, avec son violon, qui fait danser les filles,

Qui fait danser les filles,

C’est Gugusse, avec son violon,

Qui fait danser les filles et les garçons.

Histoire 1

Une autre fois peut-être

146, Avenue Jean Jaurès, Paris. Lundi 19 juin… Un bel immeuble du XIXe siècle, propre, en pierres. Cinq étages, 10 appartements spacieux, des escaliers magnifiques, un ascenseur façon vieille France. On entre dans le hall, des glaces vous renvoient votre image, quelques marches pour accéder à l’escalier. Atmosphère ouatée. Premier étage, occupé par le Conservatoire régional de musique…

Je me régale ! Il est 10 h du matin et j’ai déjà réussi ma journée. Le jury est là, en face de nous et c’est encore mieux que ce que j’avais imaginé. On voit qu’ils ne comprennent pas ce qui leur arrive ! Les pauvres ! S’ils avaient su… Tiens, la dame âgée, à droite. Je l’imagine au réveil, le visage chiffonné, les membres endoloris, se levant péniblement pour aller dans la salle de bains. Elle se regarde dans le miroir et ce qu’elle voit ne lui remonte pas le moral. Enfin, elle a dû se consoler en pensant à ce qu’elle allait vivre en cette matinée. Mais maintenant, je lis dans ses yeux qu’elle n’a qu’une envie : fuir, fuir le plus vite possible. Trop tard, tu y es, tu y restes.

Et cet homme, à côté d’elle, qui roule des yeux affolés, ce qu’il m’amuse. Pourtant, j’aurais pu le craindre, il est de la race de ceux qui aiment détruire, peiner, blesser. Cela dépasse toutes tes espérances, mon vieux, hein ? Tu en perds ton latin ?

Ah, au fait, je me présente. Klaus Heffler, violon soprano depuis toujours, pour vous servir. Que dire  ? Je suis un instrument de qualité, je pourrais même rivaliser avec Stradi, mon cousin, qui est très imbu de lui-même. « Nous les Stradivarius, on est les meilleurs, tout le monde voudrait nous avoir, et patati, et patata… » C’est bon, redescends un peu, cousin. Pour en revenir à moi, je suis né chez un luthier allemand, je suis en ébène, j’ai déjà pas mal voyagé et j’ai atterri il y a 2 ans chez Romain. Ah, celui-là, j’vous jure, un vrai poème. C’est à cause de lui que je suis devenu tel que vous me découvrez aujourd’hui, méchant, sournois, prêt à sacrifier Vivaldi, Mozart et les autres. Mais, attendez, il faut que je me concentre. On arrive au passage difficile. Il ne faut pas que je le réussisse. Allez, les doubles croches… Lalalalalala et paf, raté. Joli. On recommence : qu’est-ce que je pourrais faire ? Le doigt à côté, déjà fait, la corde qui ne résonne pas, déjà fait, l’accord improbable, déjà fait, ah oui, tiens, le crissement… allez, hop, crissemennnnt !

Oh, mes amis, ces têtes, incroyables ! Ça valait le coup. Il y en a même un qui a poussé un cri. Allez, Romain, laisse tomber, tu les as assez fait souffrir. Ah, tu veux aller jusqu’au bout ? OK, je me désaccorde. Et voilà : les 10 dernières mesures à attraper des suées tellement c’est horrible. Voilà. Mission accomplie. Je pense que tu ne toucheras plus un violon avant longtemps, mon petit bonhomme. Je te rappelle, c’est toi qui as commencé… Regarde-les, ces pauvres musiciens, ils ne savent pas quoi dire… Je ne donne pas cher de ton avenir ! Au revoir, le Conservatoire, je ne sais même pas si tu pourras te représenter un jour…

Bon, pour que vous compreniez ce qui nous arrive, je vais revenir un peu en arrière, disons 16 mois, vous devriez comprendre.

Moi, je n’avais rien demandé à personne, j’étais tranquille dans une petite boutique parisienne avec des copains, les gens passaient nous regarder, ils discutaient un peu entre eux ou avec le vendeur et ils repartaient. Il faut dire que notre prix en arrêtait plus d’un. Et puis, un matin, je les ai vus entrer et j’ai tout de suite senti que les ennuis allaient commencer. Un couple avec un gamin. Les parents avaient l’air sympathiques, mais leur fils faisait une de ces têtes ! Je l’ai tout de suite détesté. Ils venaient acheter un violon « d’excellente qualité » pour leur rejeton qui préparait l’entrée au Conservatoire. Je me suis fait le plus discret possible, je me suis même tourné un peu vers le mur et caché derrière un plus grand que moi, un alto, et j’ai attendu. Et ce qui devait arriver arriva : la dame est passée près de moi et elle a dit : « Celui-là ! Il est magnifique ! » Et le vendeur, qui n’en loupe pas une, a enchaîné. « Ah, très joli choix. Vous verrez, c’est un instrument qui ne vous apportera que du bonheur. Il est doux, très agréable à jouer, avec une très bonne résonance… » Bon, je vous passe le reste… Évidemment que tous ces compliments m’ont fait plaisir, mais en même temps, je voyais le gamin soupirer et me regarder de travers. Je ne le sentais pas. Mais comme ses parents étaient décidés, j’ai été obligé de les suivre. On m’a mis des cordes neuves, qui me grattent un peu, mais je vais m’y faire et hop, tchao les copains, je pars.

Mes premiers jours à la maison… J’en frissonne encore de plaisir. Ah, j’étais un héros. La maman me sortait avec délicatesse, me posait sur un petit trépied, me montrait à tous ses amis et ne tarissait pas d’éloges. « Regardez-le ! C’est la crème des instruments, il a un son merveilleux, chaud, mélodieux, il est tellement beau, sa couleur et ses reflets… Romain ne pourra que réussir avec un instrument de cette qualité ! » Il faut dire qu’on avait fait une petite démonstration au magasin avec le vendeur et on s’était super bien débrouillés. J’aurais dû être moins bon, mais que voulez-vous, mon ego m’a toujours joué des tours. Et en plus, ils avaient trouvé un bon petit archet, doux, équilibré, qui frottait mes cordes avec tendresse, le rêve ! Mais tout s’est gâté quand le gamin a commencé à m’utiliser. Brutal, sans envie, sans aucune sensibilité ni sens artistique, il m’a fait souffrir dès le début. S’il n’arrivait pas jouer, figurez-vous que c’était de ma faute ! Un jour, j’étais trop lourd, le lendemain, trop léger, je sonnais faux, on ne pouvait pas m’accorder correctement, les chevilles étaient trop dures, elles grinçaient, l’archet trop mou, trop long, trop petit… Ah, mes amis, on en a tous pris pour notre grade ! Mais Romain, tu ne t’es pas dit un jour que ça venait de toi ? On a pourtant essayé de te le faire comprendre ! L’archet, les cordes, moi, nous nous sommes tous acharnés à mal faire pour que tu arrêtes ! Mais, non, pas un seul instant, il ne s’est remis en question ! Alors, on a élaboré le plan de l’examen. Pendant des mois, on a fait semblant de bien jouer pour que tu prépares tes morceaux comme si de rien n’était. Et aujourd’hui, c’est le grand jour.

Je crois d’ailleurs que tu viens de comprendre ! La musique s’est arrêtée, un silence a suivi et maintenant, les membres du jury se regardent. Merveilleux moment !

Même pas la peine d’écouter jusqu’au bout, on a déjà compris… Je sens ta main qui me serre de façon anormale, mon petit Romain… Respire, je te parie que dans une semaine, j’aurai retrouvé mes amis et toi, tu auras décidé de pratiquer le football…

Histoire 2

Le train

10 juin 1943

Tout s’est passé si rapidement. J’étais dans ma boîte comme chaque matin. Tout à coup, des coups terribles ont résonné à la porte. Samuel est allé ouvrir et là, des soldats sont entrés en hurlant :

« Prenez quelques affaires et sortez. Vous avez 5 minutes. »

Au début, personne n’a compris ce qui se passait, mais rapidement, les bruits dans l’escalier, les cris, les pleurs ont fait comprendre à Samuel et ses parents que c’était sérieux. Les parents ont rassemblé quelques vêtements dans un sac. Samuel, lui, s’est précipité vers moi.

— Non, pas le violon, il va nous encombrer.
— Je ne le laisse pas ici.
— Mais tu n’auras pas de place dans le sac.
— Si, regarde, je l’emballe dans ma culotte longue, on ne le voit même pas.

Moi, j’étais un peu étourdi. Samuel m’avait sorti de ma boîte et emballé dans un vêtement sombre. C’était plutôt agréable et confortable, mais je ne sais pas pourquoi on n’avait pas pris ma boîte comme d’habitude. Au fait, je m’appelle Fidl, le violon de la musique Klezmer.