Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et Convention européenne des droits de l'homme -  - E-Book

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Beschreibung

En leur temps, l’élaboration jurisprudentielle d’un droit communautaire des droits fondamentaux et la proclamation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union n’ont pas manqué de poser la question d’une complémentarité et/ou d’une concurrence avec le système de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais les termes du débat semblent désormais renouvelés depuis que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne a fait sortir la Charte de la catégorie des textes déclaratoires et engagé l’Union à adhérer à la Convention. La place et le poids de ces deux instruments s’en voyant modifiés, la période invite à repenser les relations entre les deux systèmes de garantie des droits de l’homme dans l’espace européen. Aussi l’ouvrage veut-il davantage s’intéresser à la théorie de l’équivalence des protections, à la fois comme élément de cohérence matérielle (dans le contenu des garanties offertes par la Charte et la Convention) et comme instrument d’articulation fonctionnelle (entre les contrôles respectivement assurés par la Cour de justice de l’Union européenne et par la Cour européenne des droits de l’homme), en intégrant une réflexion sur ce que pourrait ou devrait impliquer à cet égard l’adhésion en termes d’ajustement de leurs compétences. En prise sur les développements les plus récents, l’ouvrage se propose ainsi de jeter un nouveau regard sur l’avenir de la protection juridictionnelle des droits fondamentaux en Europe. Il intéressera les praticiens, confrontés aux problèmes de la coexistence et de l’articulation entre droit de l’Union et droit de la Convention, les professeurs, les chercheurs et les étudiants du troisième cycle.

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© Groupe De Boeck s.a., 2012

EAN : 978-2-8027-3894-7

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

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Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

Table des matières
Couverture
Titre
Copyright
Table des matières
Avant-propos
Partie I - La cohérence des contenus
LA COHÉRENCE ASSURÉE PAR L’ARTICLE 52§3 DE LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION
LE PRINCIPE D’ALIGNEMENT SUR LE STANDARD CONVENTIONNEL POUR LES DROITS CORRESPONDANTS
I. – Les vertus du mécanisme des droits correspondants
II. – Les insuffisances du mécanisme des droits correspondants
L’HYPOTHÈSE DU DÉPASSEMENT DU STANDARD CONVENTIONNEL
I. – Un horizon a priori indépassable
II. – Un horizon ponctuellement « dépassable »
LA COHÉRENCE ISSUE DE LA JURISPRUDENCE EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
I. – L’équivalence multiple ou l’ajustement de l’interprétation conventionnelle sur un standard composite
II. – L’équivalence élémentaire ou l’ajustement de l’interprétation conventionnelle sur le standard communautaire
Partie II - L’articulation des contrôles
LE BILAN DES « AJUSTEMENTS SPONTANÉS »
LE MODE D’AJUSTEMENT DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME AU DROIT COMMUNAUTAIRE
I. – L’équivalence, un mode limité de contrôle sur l’Union
II. – L’équivalence, un facteur relatif de quasi-immunité pour les États
LA MÉTHODE D’AJUSTEMENT DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE : QUAND INDÉPENDANCE RIME AVEC ÉQUIVALENCE
I. – L’équivalence de la jurisprudence
II. – L’indépendance du juge
LES DIFFICULTÉS DES « AJUSTEMENTS ORDONNÉS »
L’EXIGENCE DE PRESERVATION DE L’AUTONOMIE DE L’ORDRE JURIDIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE DANS L’ADHÉSION À LA CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L’HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES
I. – La préservation de l’autonomie de l’Union dans le temps court : fondement d’adaptations techniques
II. – La préservation de l’autonomie de l’Union dans le temps long : creuset d’interrogations systémiques
LA NÉCESSITÉ D’UNE REDÉFINITION DE LA CONDITION D’ÉPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES ?
I. – La règle de l’épuisement des voies de recours internes à l’épreuve de l’adhésion
II. – La nécessité non pas d’une redéfinition de la condition de l’épuisement des voies de recours internes mais d’une autre approche de la règle
CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX ET CEDH

Avant-propos

par Caroline Picheral et Laurent Coutron Professeurs à l’Université Montpellier I, IDEDH (EA 3976)

L’élaboration de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, puis son incorporation dans le traité établissant une Constitution pour l’Europe ont déjà donné lieu à de nombreux réflexions et commentaires1. Son utilité et sa légitimité ont pu être discutées, au regard notamment de la Convention européenne des droits de l’homme comme instrument constitutionnel de l’ordre public européen des droits de l’homme – la dualité des instruments juridiques laissant aussi bien envisager une concurrence qu’une complémentarité2. Par contraste avec ces débats fournis, la place faite à la Charte dans la jurisprudence communautaire est cependant restée longtemps modeste : si les Avocats généraux ou le Tribunal de première instance s’y sont abondamment référés, pratiquement dès sa proclamation3, la Cour de justice en revanche n’y a guère cherché d’appui avant 2006. De ce point de vue, l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui confère à la Charte valeur de droit primaire et la fait sortir de la catégorie des textes déclaratoires, marque indubitablement un tournant4. Certains arrêts récents, tels l’arrêt DEB du 22 décembre 2010 ou l’arrêt Scarlet Extended du 24 novembre 2011, laissent penser qu’elle a vocation à devenir la pierre angulaire de la protection des droits fondamentaux dans l’Union, le juge n’hésitant pas à reformuler les questions préjudicielles qui lui sont soumises pour statuer sur son fondement. Mais parallèlement, le traité de Lisbonne a fourni la base juridique nécessaire à l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme, qui, de source dite matérielle des principes généraux du droit communautaire, pourrait donc devenir une source formelle, au respect de laquelle les institutions seront tenues de la façon la plus officielle qui soit. Dans ces conditions, la question de la complémentarité ou de la concurrence entre les deux instruments se pose avec une acuité renouvelée5.

Au-delà de la confrontation des textes, la dialectique invite plus fondamentalement à s’interroger sur les rapports de systèmes, en vue de juger de leur cohérence globale dans un espace largement commun. C’est précisément autour de cette problématique « systémique » que l’Institut de droit européen des droits de l’homme a organisé, le 21 octobre 2011, une Journée d’étude sur les relations entre la Charte et la Convention au sein de la Faculté de droit de Montpellier. L’enjeu consistant en une appréciation des garanties de cohérence respectivement fournies par le droit de l’Union et le droit de la Convention, les réflexions se sont cristallisées autour de la figure de l’équivalence des protections, à la fois comme élément de convergence matérielle (dans le contenu des droits consacrés par la Charte et la Convention) et comme instrument d’articulation fonctionnelle (entre les contrôles respectivement assurés par la Cour de justice de l’Union européenne et par la Cour européenne des droits de l’homme), en cette période charnière qui permet un premier bilan mais doit intégrer la perspective de l’adhésion.

Sur le terrain substantiel des droits consacrés, les règles établies par la Charte, concernant sa propre interprétation, suggèrent en effet une volonté d’équivalence, comme moyen d’assurer une coexistence harmonieuse avec la CEDH. On songe naturellement au premier chef au mécanisme des « droits correspondants », qui détermine une similarité de sens et de portée, sans cependant empêcher une protection plus étendue. Mais se pose alors doublement la question de l’autonomie du juge de l’Union : d’une part, parce qu’au regard des développements constructifs de la jurisprudence européenne des droits de l’homme, l’identification même des droits correspondants peut s’avérer malaisée ; d’autre part, parce que la réalité ou la probabilité d’un dépassement du standard conventionnel doit être interrogée tant l’autonomie interprétative du juge de l’Union pourrait bien ne pas se trouver là où on l’attend…

À renverser les perspectives (comme le voulait la logique des travaux), une seconde question était au demeurant de savoir si l’équivalence est autant recherchée du point de vue de la Convention, qui par définition ne comporte elle-même aucune règle d’articulation avec la Charte. Aussi convenait-il de déterminer si, dans le phénomène de « globalisation des sources »6 de la Cour européenne des droits de l’homme, la Charte et la jurisprudence de la Cour de justice se voient conférer une place particulière.

Cependant, en l’état actuel, c’est plutôt sur le terrain fonctionnel des mécanismes de contrôle et à l’adresse du système de l’Union, qu’une exigence d’équivalence a été formulée. Deux nouvelles séries d’interrogations s’imposent alors : tandis que les premières portent à la fois sur les effets de la jurisprudence Bosphorus dans le système européen des droits de l’homme et sur l’attitude conséquente ou parallèle de la Cour de justice – en tant que modes d’« ajustement spontané » entre le juge de l’Union et le juge de la Convention –, les secondes se fondent sur les aléas du processus d’adhésion – en tant que voie d’« ajustement ordonné ». En empruntant ainsi aux expressions et à la grille d’analyse du président Bruno GENEVOIS7, il s’agit en somme de confronter les mérites d’une cohérence fonctionnelle empirique aux difficultés d’une cohérence fonctionnelle négociée ; d’apprécier le passage d’une situation de prise en compte mutuelle des contrôles européens à une situation de prise en compte obligée de la compétence de la Cour de justice dans l’organisation de celle de la Cour européenne des droits de l’homme à l’égard de l’Union (au nom de l’autonomie de son ordre juridique, et au regard notamment de la condition d’épuisement des voies de recours interne avant saisine du juge européen).

1- Voy. notamment F. BENOÎT-ROHMER (dir.), La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, RUDH, 2000, vol. 12, n° 1-2 ; J.-Y. CARLIER et O. DE SCHUTTER (dir.), La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2002 ; G. BRAIBANT, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Paris, Seuil, coll. « Points », 2001 ; J. DUTHEIL DE LA ROCHÈRE, « La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : quel apport à la protection des droits ? », in Mélanges Jeanneau, Paris, Dalloz, 2002, p. 91 ; M.-Ch. PONTHOREAU, « Le principe de l’indivisibilité des droits. L’apport de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la théorie générale des droits fondamentaux », RFDA, 2003, p. 928 ; L. BURGORGUE-LARSEN, A. LEVADE et F. PICOD, Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Partie II, La Charte des droits fondamentaux de l’Union. Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2005, tome II ; G. COHEN-JONATHAN et J. DUTHEIL DE LA ROCHÈRE (dir.), Constitution européenne, démocratie et droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant-Némésis, coll. « Droit et justice », n° 47, 2003 ; J.-F. FLAUSS, « Les droits fondamentaux dans la Constitution européenne : la constitutionnalisation de la Charte des droits fondamentaux », RAE, 2001-2002/6, p. 703 ; F. TURPIN, « L’intégration de la Charte des droits fondamentaux dans la constitution européenne », RTDE, 2003, p. 616 ; L. BURGORGUE-LARSEN, « Ombres et lumières de la constitutionnalisation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », CDE, 2004, p. 663 ; J.-P. JACQUÉ, « La Constitution pour l’Europe et les droits fondamentaux », L’Europe des libertés, 2004-14, p. 9.

2- O. LE BOT, « Charte de l’Union européenne et Convention européenne des droits de l’homme : la coexistence de deux catalogues de droits fondamentaux », RTDH, 2003/55, p. 781 ; G. BRAIBANT, « De la Convention européenne des droits de l’homme à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », in Libertés, Justice, Tolérance. Mélanges en hommage au Doyen Gérard Cohen-Jonathan, Bruxelles, Bruylant, 2004, t. 1, p. 332.

3- L. BURGORGUE-LARSEN, « La force de l’évocation ou le fabuleux destin de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », in L’esprit des institutions, l’équilibre des pouvoirs. Mélanges en l’honneur de Pierre Pactet, Paris, Dalloz, 2003, p. 78.

4- Sur l’apport du traité de Lisbonne, B. FAVREAU (dir.), La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne après le traité de Lisbonne, Bruxelles, Bruylant, 2010.

5- B. GENEVOIS, « La Convention européenne des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : complémentarité ou concurrence ? », RFDA, 2010-3, p. 437.

6- F. SUDRE, « La motivation et le style des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme », in L. COUTRON (dir.), Pédagogie judiciaire et application des droits communautaire et européen, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 135.

7- B. GENEVOIS, « La Convention européenne des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : complémentarité ou concurrence ? », préc.

Partie I

La cohérence des contenus

LA COHÉRENCE ASSURÉE PAR L’ARTICLE 52§3 DE LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION

LE PRINCIPE D’ALIGNEMENT SUR LE STANDARD CONVENTIONNEL POUR LES DROITS CORRESPONDANTS

par Romain Tinière Professeur de droit public à l’Université de Grenoble IDEDH (EA 3976)

Lorsque l’Union s’est, enfin, décidée à se doter d’un catalogue de droits fondamentaux qui lui soit propre, lors de la réunion du Conseil européen des 3 et 4 juin 1999, la question de son articulation avec la Convention européenne des droits de l’homme s’est doublement posée.

D’une part, il semblait difficile de tourner le dos à la principale source d’inspiration des principes généraux du droit, fondements de la garantie des droits fondamentaux dans l’Union depuis le début des années 701. Ce d’autant plus que la Convention et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sont passées entre temps du statut de simple source d’inspiration à celui de source matérielle directe des droits fondamentaux protégés dans l’Union, le passage par les principes généraux du droit s’avérant souvent n’être que formel2. Il arrive ainsi fréquemment que la Cour de justice s’appuie directement sur le droit de la Convention – le texte de la Convention tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme – comme elle l’a fait, par exemple, dans les arrêts K.B. à propos du droit au mariage des transsexuels3 ou Parlement/Conseil du 27 juin 2006 à propos du droit au respect de la vie familiale4. L’adoption d’un catalogue propre à l’Union semblait, logiquement, devoir s’inscrire dans la continuité de cette prise en compte du droit de la Convention.

D’autre part, pour que l’adoption de ce texte, visant à rendre les droits plus visibles pour les citoyens de l’Union ne se traduise pas par une plus grande insécurité juridique du fait de la coexistence en Europe et au sein des ordres juridiques nationaux de deux corpus de protection potentiellement contradictoires, il fallait assurer l’harmonie des droits garantis par la Charte et la Convention. En effet, la principale motivation juridique de la rédaction de la Charte était de rendre les droits garantis au sein de l’Union plus lisibles, afin que les particuliers puissent plus facilement les faire valoir devant les juridictions nationales et la Cour de justice de l’Union européenne5. Les motivations politiques ayant conduit à la rédaction de la Charte sont d’ailleurs sensiblement identiques6. Si ce texte se veut être un outil censé rapprocher l’Union des citoyens et s’inscrire dans un processus de constitutionnalisation de l’Union, il ne doit pas être perçu comme un élément de complexification de la protection des droits.

Or, la situation était déjà passablement complexe avant l’adoption de la Charte. En effet, les actes des autorités nationales sont alors, de façon générale, susceptibles de faire l’objet d’un double contrôle du point de vue de la protection des droits fondamentaux. Un contrôle national d’abord, à l’aide des instruments de protection nationaux et de la Convention européenne des droits de l’homme. Un contrôle européen ensuite au travers de la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme dont la décision s’impose aux autorités nationales. Il existe donc deux référentiels de protection dont l’articulation est fondée sur la subsidiarité de l’instrument européen et sa primauté.

Lorsqu’est en cause une mesure nationale entrant dans le champ d’application du droit de l’Union, le juge national est confronté à une situation potentiellement délicate. Il doit se comporter en juge communautaire de droit commun, en posant éventuellement une question préjudicielle à la Cour de justice sur l’interprétation ou la validité de la norme communautaire en cause afin de lui permettre de répondre à l’allégation d’atteinte aux droits fondamentaux. Mais il n’est pas pour autant exonéré de ses responsabilités vis-à-vis de la Convention européenne des droits de l’homme. « Véritable plaque tournante de la protection des droits fondamentaux en Europe », selon les termes de Johan CALLEWAERT7, le juge national peut être confronté à des obligations, sinon frontalement contradictoires, du moins divergentes8. Il est important de souligner qu’il ne s’agit là que d’une possibilité qui ne s’est que rarement réalisée, notamment parce que la jurisprudence de la Cour de justice en matière de protection des droits fondamentaux s’appuie largement sur celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Mais, le fait que cette possibilité ne soit qu’hypothétique n’enlève rien à l’enchevêtrement des protections et à l’image brouillée qui en découle.

C’est dans cet ensemble que la Charte devait s’insérer en s’efforçant de ne pas le complexifier davantage. L’idéal, du point de vue de la lisibilité du système, et à partir du moment où la simple adhésion de l’Union à la CEDH avait été écartée, aurait été une entrée en vigueur de la Charte accompagnée d’une dénonciation de la CEDH, ce qui aurait permis de conserver une protection nationale associée à une protection communautaire. Il n’est pas certain que le niveau de protection des droits en soit sorti grandi mais la situation aurait été plus lisible pour le citoyen.

Le pire, toujours du point de vue de la lisibilité du système, aurait été de ne rien prévoir et de laisser les juridictions nationales et européennes se débrouiller avec deux textes de protection au niveau européen, prenant le risque de voir la Cour de justice développer une interprétation autonome de son catalogue de droits qui s’écarte progressivement de celle de son homologue strasbourgeois

Ce n’est cependant ni l’une ni l’autre de ces deux options qui a été choisie, mais une voie médiane permettant une coexistence harmonieuse entre les deux catalogues européens. Cette voie médiane s’exprime d’abord par plusieurs références appuyées à la Convention dans le texte de la Charte. Ainsi, le préambule rappelle que le contenu de la Charte s’inspire en partie de la Convention et de la jurisprudence de la Cour européenne. D’ailleurs, la formulation de certains droits constitue la reprise directe ou quasi directe d’articles de la Convention : c’est le cas de l’article 4 de la Charte sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitement inhumains ou dégradants ou encore de son article 11 consacré à la liberté d’expression. Mais cet arrimage est aussi et surtout concrétisé par deux mécanismes inscrits à l’article 52, paragraphe 3, et 53 de la Charte.

L’article 52, paragraphe 3, prévoit que « [d]ans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue ».

Quant à l’article 53, il vise à établir un niveau de protection minimum commun à l’espace européen en disposant que l’interprétation ou la limitation des droits inscrits dans la Charte ne peut porter atteinte « aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté ou tous les États membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des États membres ».

De ces différents procédés employés pour permettre la coexistence harmonieuse entre Charte et Convention, le mécanisme institué par l’article 52, paragraphe 3, mécanisme dit des droits correspondants, est incontestablement le plus important. En effet, s’il n’est pas inutile de rappeler que la Charte n’est pas le résultat d’une génération spontanée mais plutôt d’une lente maturation de l’Union au contact du droit de la Convention, encore fallait-il prévoir un mécanisme opérationnel permettant l’articulation effective de ces deux catalogues de droits pour maintenir la convergence initiale, malgré les interprétations souvent constructives auxquelles peuvent se livrer les Cours européennes. C’est la fonction dévolue à ce mécanisme.

Élaboré par les rédacteurs initiaux de la Charte il y a plus de dix ans, ce mécanisme n’a pu commencer à produire ses effets qu’à partir de l’accès de la Charte à la force juridique contraignante, c’est-à-dire lors de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009. Cela ne fait donc que deux ans que ce mécanisme est appliqué par la Cour de justice de l’Union européenne. C’est avec ce recul à la fois conséquent – dix ans d’existence – et modeste – deux ans d’application et quatre arrêts de la Cour de justice le mentionnant expressément – qu’il est possible de présenter un bilan de ce mécanisme des droits correspondants. Permet-il réellement d’assurer une cohérence des contenus entre la Charte des droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l’homme ?

La réponse doit être nuancée, ce qui conduira à dire quelques mots des vertus (I) de ce mécanisme et de ses vices (II).

I. – Les vertus du mécanisme des droits correspondants

La principale vertu du mécanisme mis en place par l’article 52, paragraphe 3, de la Charte est de permettre à l’Union de disposer de son propre catalogue de droits fondamentaux, tout en préservant l’harmonie des droits fondamentaux protégés en Europe. Déclinaison du principe de protection équivalente, ce mécanisme des droits correspondants fonctionne en deux temps. Le premier est celui de l’identification des droits dits « correspondants », c’est-à-dire du droit garanti par un article de la Charte et par son homologue dans la Convention européenne des droits de l’homme. Une fois les deux droits déterminés, il faut attribuer au droit garanti par la Charte le même sens et la même portée que ceux que leur confère la Convention.

A. – L’identification des droits correspondants

L’article 52, paragraphe 3, de la Charte est relativement discret sur cette identification. Il est alors nécessaire de se référer aux explications accompagnant la Charte. L’importance de ces explications est soulignée par l’article 6, paragraphe 1, TUE, qui indique que « [l]es droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte sont interprétés conformément aux dispositions générales du titre VII de la Charte régissant l’interprétation et l’application de celle-ci et en prenant dûment en considération les explications visées dans la Charte, qui indiquent les sources de ces dispositions ». Si ces explications, ainsi que la place qui leur est accordée par le traité, ont été souvent critiquées9, elles apportent ici deux précisions importantes. D’une part, la définition d’un droit correspondant doit se faire en se référant au texte de la Convention et à la jurisprudence de son interprète, la Cour européenne des droits de l’homme. D’autre part, une liste indicative des droits correspondants permet de mettre ces principes en pratique, étant précisé que cette liste ne vaut qu’au moment de sa rédaction et ne présume pas de « l’évolution du droit, de la législation et des traités ». Sont ainsi distingués « les articles de la Charte dont le sens et la portée sont les mêmes que les articles correspondant de la CEDH » et ceux dont « le sens est le même que les articles correspondant de la CEDH mais dont la portée est plus étendue »10. L’éventuelle correspondance d’un droit garanti par la Charte est par ailleurs mise en avant par les explications relatives à l’article en cause.

Ce mécanisme a été mis en application plusieurs fois par les juges ou les avocats généraux de la Cour de justice de l’Union européenne depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne d’une façon globalement satisfaisante même si la démarche suivie n’est pas toujours la même.

Le juge peut d’abord s’appuyer simplement sur l’article 52, paragraphe 3, pour mettre en avant la correspondance. C’est le cas lorsque la reconnaissance d’une telle correspondance s’impose du fait de la simple comparaison des deux énoncés. C’est ce que fait la Cour de justice dans l’affaire McB., à propos d’une affaire d’enlèvement international d’enfants. La Cour de justice s’appuie simplement sur l’article 52, paragraphe 3, compare l’article 7 de la Charte et l’article 8, paragraphe 1, de la Convention, garantissant tous deux le droit au respect de la vie privée et familiale, pour conclure que « cet article 7 contient des droits correspondant à ceux garantis par l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH »11. Elle fait de même dans son arrêt Dereci, se référant d’ailleurs à l’affaire McB.12. En outre, qu’il s’agisse de l’affaire Scattolon13, concernant la correspondance entre l’article 47 de la Charte et l’article 6 de la Convention, ou de l’affaire Toshiba, à propos du principe non bis in idem consacré par les articles 50 de la Charte et 4 du protocole n° 7 de la Convention14, les avocats généraux ont également adopté cette démarche dans certaines de leurs conclusions.

Même si la différence d’approche peut être ténue, le juge peut ensuite s’appuyer sur les explications relatives à l’article de la Charte, lorsque celles-ci soulignent l’existence d’un droit correspondant en droit de la Convention. C’est la démarche suivie par la Cour de justice dans son arrêt DEB. Requalifiant la question préjudicielle qui lui était posée sur le terrain du principe de protection juridictionnelle effective en s’appuyant sur l’article 47 de la Charte qui consacre ce droit, la Cour indique qu’il lui faut tenir compte des explications afférentes à la Charte pour l’interpréter et en vient à reconnaître, au vu des explications, que l’article 47, alinéa 3, correspond à l’article 6, paragraphe 1, de la Convention15. L’Avocat général CRUZ VILLALÓN dans ses conclusions sur l’affaire Scarlet extended SA16 fait de même concernant le droit à la protection de la vie privée et la protection des données personnelles17, la liberté d’expression18 et, plus surprenant, la clause de limitation des droits prévue par l’article 51, paragraphe 1, de la Charte et le second paragraphe des articles 8 et 10 de la Convention.

Enfin, le juge peut s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme afin de déterminer si, en substance, un droit consacré par la Charte est bien correspondant à un droit garanti par le droit de la Convention, alors même que cette correspondance ne ressort pas clairement du texte de la Charte ou de ses explications. Ainsi, dans son arrêt Volker, la grande chambre de la Cour de justice fait jouer le mécanisme d’identification d’un droit correspondant en procédant en trois temps. D’abord, elle souligne que le droit fondamental à la protection des données personnelles, garanti par l’article 8 de la Charte « est étroitement lié au droit au respect de la vie privée consacré à l’article 7 de cette même charte ». Ensuite, elle relève que ce droit n’est pas absolu et peut admettre des limitations en vertu des articles 8, paragraphe 2, et 52, paragraphe 1, de la Charte. Enfin, après avoir mentionné le principe posé par l’article 53, paragraphe 2, et s’appuyant sur la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme19, la Cour met en évidence la correspondance entre les articles 7 et 8 de la Charte, d’une part, et l’article 8 de la Convention tel qu’interprété par la Cour européenne, d’autre part, s’agissant du droit lui-même mais aussi des conditions dans lesquelles son exercice peut être limité20. Ce  raisonnement en trois étapes s’explique principalement par le fait que l’article 8 de la Charte n’est identifié comme correspondant à l’article 8 de la Convention, ni dans le texte de la Charte, ni dans ses explications21. Cette preuve de bonne volonté dans l’application du mécanisme des droits correspondants se retrouve également dans les conclusions de l’Avocat général CRUZ VILLALÓN sur l’affaire Air Transport22. En effet, ce dernier constate que « la protection de l’environnement est un objectif que la CEDH a intégré dans son interprétation de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, en lui fournissant un point d’accès à travers le droit fondamental au respect de la vie privée, familiale et du domicile »23 pour en déduire que les articles 7 et 37 doivent être considérés comme correspondants à l’article de 8 de la Convention24.

Une fois les droits correspondants identifiés, il faut que le juge de l’Union adopte une interprétation de la disposition de la Charte qui soit conforme au droit correspondant du droit de la Convention.

B. – L’adoption d’une interprétation conforme au droit de la Convention

L’article 52, paragraphe 3, de la Charte est assez clair sur ce point : une fois le droit correspondant au droit garanti par la Convention européenne des droits de l’homme identifié, son sens et sa portée doivent être les mêmes que ceux conférés par la Convention. Il ne s’agit donc pas stricto sensu d’une protection équivalente25. La protection offerte par le droit de l’Union ne doit pas être simplement équivalente à celle offerte par le droit de la Convention, elle est censée être identique. Les explications relatives à ce passage indiquent d’ailleurs que « [d]ans la mesure où les droits de la présente Charte correspondent également à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée, y compris les limitations admises, sont les mêmes que ceux que prévoit la CEDH ». La seule façon pour le droit de l’Union de se distinguer du droit de la Convention semble donc d’offrir une protection supérieure26. La situation est alors ici sensiblement différente de celle mise en place dans les arrêts dits So Lange de la Cour constitutionnelle allemande ou Bosphorus de la Cour européenne des droits de l’homme27.

La démarche suivie par la Cour de justice illustre parfaitement cette idée. S’appuyant abondamment sur la jurisprudence de la Cour européenne, le juge de l’Union tend, dans plusieurs affaires, à suivre pas à pas le droit de la Convention, qu’il s’agisse de la détermination de la portée des droits correspondant ou des limitations qui peuvent être apportées à leur exercice.

Ainsi, dans l’affaire Volker, la Cour de justice se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne pour adopter une conception large de la vie privée incluant les activités professionnelles puisque les données personnelles en cause – les noms des bénéficiaires des fonds FEAGA et FEADER ainsi que les montants perçus – avaient effectivement trait à l’activité professionnelle28, mais aussi afin d’apprécier la justification de l’atteinte aux droits29, allant même jusqu’à se référer à la notion de « société démocratique »30 qui joue un rôle central dans l’appréciation de la proportionnalité de la restriction à l’exercice des droits garantis par la Convention31. C’est le cas également dans l’arrêt McB. dans lequel la Cour se réfère expressément à plusieurs hypothèses analogues d’enlèvements internationaux d’enfants que la Cour européenne des droits de l’homme a abordé sous l’angle de l’article 8 de la Convention32 ou de l’arrêt DEB dans lequel la Cour de justice se livre, selon ses propres termes, « à un examen de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme » s’agissant de la définition comme des limitations du droit d’accès à un tribunal et, plus précisément, du droit d’obtenir une aide juridictionnelle33, examen dont elle tire une conclusion qu’elle applique par la suite aux faits de l’affaire au principal34.

Le constat est globalement le même en se référant aux conclusions des avocats généraux. Ainsi dans ses conclusions sur l’affaire Scarlet Extended SA, l’Avocat général CRUZ VILLALÓN s’appuie à plusieurs reprises sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, par exemple pour apprécier la lutte contre le piratage informatique au regard du secret des communications téléphoniques35, se référant par analogie à la jurisprudence de la Cour européenne relative aux écoutes téléphoniques36, ou encore pour dégager les contours de la notion de loi dans le cadre de l’appréciation des limitations portées à l’exercice des droits fondamentaux ce qui le conduit à réaliser une étude assez complète de la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme3738.

Il peut sembler pour le moins paradoxal que l’application de la Charte des droits fondamentaux conduise en fait la Cour de justice à multiplier les références à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est pourtant ce qui semble se dessiner au vu des premières affaires dans lesquelles le juge s’appuie sur le mécanisme des droits correspondants. Si la tendance venait à se confirmer, ce mécanisme permettrait donc bien d’assurer une réelle homogénéité entre les deux textes européens de protection des droits de l’homme. Le tableau n’est cependant pas aussi idyllique qu’il y paraît à première vue et certaines imperfections du mécanisme des droits correspondants pourraient à terme gripper le mécanisme en restreignant voire en empêchant son application.

II. – Les insuffisances du mécanisme des droits correspondants

Les insuffisances qui affectent le mécanisme des droits correspondants surgissent lorsque certaines dispositions de la Charte et, surtout, des explications qui lui sont associées font l’objet d’une analyse plus précise. Apparaissent alors un certain nombre d’erreurs et d’approximations facteurs de rigidité (A) qui ne pourront être aplanies que grâce à l’intervention du juge. Or, si la Cour de justice semble montrer sa bonne volonté en la matière, il est regrettable que ce mécanisme censé articuler les deux protections des droits fondamentaux en Europe ne repose, au final, que sur la bonne volonté du juge (B).

A. – Les erreurs et approximations de la liste des droits correspondants

Ces erreurs et approximations influent essentiellement sur la première étape de l’application du mécanisme des droits correspondants en étant susceptibles de laisser penser qu’un droit garanti par la Charte n’a pas de droit correspondant en droit de la Convention. Plus précisément, les explications omettent de signaler certains droits qui trouvent déjà leur correspondance en droit de la Convention et, conséquence inévitable de la forme écrite, tendent à figer le droit de la Convention qui se caractérise pourtant par sa grande évolutivité.

D’un point de vue statique, la liste des droits correspondants comporte ainsi plusieurs erreurs qui ont été déjà soulignées par la doctrine39. Sans qu’il soit nécessaire ici de les relever de façon exhaustive, il est possible de mentionner la question de la protection des données personnelles40 et du droit à un procès équitable.

Si l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux consacrant le droit à la protection de la vie privée et familiale est identifié comme correspondant à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 8 de la Charte, consacrant le droit de toute personne à la protection des données personnelles la concernant, n’est pas identifié comme correspondant à l’article 8 de la Convention. Or, la Cour européenne des droits de l’homme a développé la protection des données personnelles sur le fondement de l’article 8 de la Convention41. Dès lors, une application stricte des dispositions de la Charte au vu des explications pertinentes pourrait conduire le juge de l’Union à développer une interprétation autonome de la protection des données à caractère personnel.

Concernant le droit à un procès équitable42, il est possible de formuler deux observations. D’abord, l’explication relative à l’article 47, paragraphe 1, consacrant le droit à un recours effectif devant un tribunal précise que cette disposition se fonde sur l’article 13 de la Convention tout en ayant une portée plus étendue, puisque l’article 13 évoque simplement le recours à « une instance nationale » et non à un juge. Or, cette disposition ne figure pas dans la liste des droits correspondants, même au titre des articles consacrant des droits « dont la portée est plus étendue ». Ensuite, ni les explications relatives au droit à une bonne administration, qui implique plusieurs droits directement repris du droit à un procès équitable au sens du droit de la Convention (comme celui de « voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable »), ni celles portant sur l’article 52, paragraphe 3, ne qualifient le droit à une bonne administration de droit correspondant à ceux garantis au titre de l’article 6 de la Convention. Ici aussi, une application stricte du dispositif de la Charte pourrait conduire au développement d’un standard autonome en droit de l’Union alors qu’il existe des droits correspondants dans le droit de la Convention.

En outre, non content de comporter quelques approximations, le mécanisme des droits correspondant tel que prévu par la Charte et ses explications présente une apparente rigidité qui pourrait être préjudiciable à l’homogénéité de la protection des droits de l’homme en Europe. En effet, malgré les précautions des rédacteurs des explications, le fait de préciser pour de nombreux droits garantis par la Charte l’existence d’un droit correspondant dans la Convention européenne des droits de l’homme laisse entendre que ceux pour lesquels rien n’est dit, n’ont pas de droit correspondant. D’ailleurs, avant la liste des droits pouvant être considérés comme correspondant, il est indiqué que « ne sont pas reproduits les droits qui s’ajoutent à ceux de la CEDH ». Il existe donc un système de vases communicants entre les droits correspondants et la valeur ajoutée de la Charte.

Une telle affirmation pourrait conduire à développer une vision quelque peu figée du droit de la Convention. Or, s’il y a bien une constante dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, c’est bien son manque de stabilité, son évolution permanente. Ainsi, depuis la rédaction de la Charte et de ses explications, plusieurs évolutions des droits protégés par la Convention auraient vocation à participer au mécanisme des droits correspondants. C’est le cas de la rétroactivité in mitius reconnue par la Cour européenne dans l’arrêt Scoppola43, les explications associées à l’article 49 de la Charte consacrant précisant qu’il n’est pas garanti en droit de la Convention et ne peut être un droit correspondant. L’interdiction de la peine de mort même en temps de guerre a également été récemment reconnue par la Cour dans l’arrêt Al-Saadoon et Mufdhi44 alors que l’explication de l’article 2 de la Charte réserve une telle possibilité. Enfin, le droit de négociation collective est protégé au titre de l’article 11 de la Convention depuis l’arrêt Demir et Baykara45, alors que les explication relatives à l’article 12 de la Charte consacrant la liberté de réunion et d’association n’y font pas références, pas plus que celles relatives à l’article 28 sur le droit de négociation et d’actions collectives qui se contentent de mentionner le droit d’action collective reconnu par le droit de la Convention au titre de l’article 11 de la CEDH.

Certains arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme s’appuient d’ailleurs explicitement sur le droit de l’Union pour faire évoluer le droit de la Convention, comme les affaires Christine Goodwin à propos du droit au mariage des transsexuels46 ou Sergueï Zolotoukhine47, concernant le non bis in idem et la notion d’idem. S’agissant de cette dernière affaire un phénomène de circulation assez intéressant doit être relevé. C’est notamment l’interprétation faite par la Cour de justice dans l’arrêt Van Esbroeck48 de l’idem du principe de non bis in idem inscrit à l’article 54 de la Convention d’application des accords Schengen qui a provoqué le revirement de jurisprudence de la Cour européenne. La Cour européenne considère désormais que l’idem renvoie à l’identité des faits et non à l’identité des qualifications juridiques ou des intérêts juridiques protégés. Or, l’article 50 de la Charte qui consacre ce principe est rédigé de la façon suivante : « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi » (nous soulignons) et, bien entendu, ses explications n’envisagent pas cette question. Ce droit étant considéré comme correspondant à celui de l’article 4 du protocole n° 7, l’article 50 de la Charte devra nécessairement suivre la même évolution avec les conséquences que cela pourrait avoir en droit de la concurrence, comme l’a pressenti l’Avocat général KOKOTT dans ses conclusions sur l’affaire Toshiba49.

Finalement, les quelques imperfections relevées paraissent inhérentes au support textuel. Il était probablement, sinon impossible, du moins particulièrement difficile d’anticiper les évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de livrer une liste des droits correspondants – dont il est précisé qu’elle ne présume pas de « l’évolution du droit, de la législation et des traités »50 – exempte de toute erreur. Il est par contre indéniable que la volonté des rédacteurs des explications de produire un texte aussi précis que possible pour tenter d’encadrer au mieux l’interprétation de la Charte par la Cour a contribué à ces insuffisances. Dans ce contexte, il faut probablement se féliciter que le juge ait choisi d’adopter une démarche visiblement favorable à l’homogénéité des protections en Europe. Pourtant, cela ne saurait être porté au crédit du mécanisme des droits correspondants.

B. – Un mécanisme reposant en grande partie sur la bonne volonté du juge

Si la Cour de justice de l’Union européenne n’a pas encore été amenée à se prononcer sur l’ensemble des erreurs présentes dans les explications accompagnant la Charte, les quelques arrêts rendus jusqu’à présent révèlent sa volonté d’adopter une démarche constructive favorisant la convergence de la protection des droits fondamentaux en Europe. En effet, comme cela a été souligné précédemment, la Cour a déjà été confrontée à la correspondance de l’article 8 de la Charte consacrant le droit à la protection des données personnelles avec l’article 8 de la Convention dans l’arrêt Volker et a adopté une démarche résolument constructive. Par ailleurs, les avocats généraux ont également été confrontés à de telles situations à plusieurs reprises et ont démontré, eux aussi, qu’ils entendaient favoriser une lecture harmonieuse de la Charte et de ses explications51.

Pourtant, force est de constater que, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les juridictions de l’Union ont rendu plusieurs arrêts dans lesquels il est fait appel à la Charte sans qu’il ne soit fait pour autant mention du mécanisme des droits correspondants. Dans certains cas, ce silence sur le mécanisme des droits correspondants est évident dans la mesure où le droit invoqué garanti par la Charte ne trouve pas son équivalent dans le droit de la Convention. Il en est ainsi, par exemple, de l’arrêt Williams dans lequel la Cour fait application de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte consacrant le droit à une période annuelle de congés payés52 ou de l’arrêt Hennigs et Mai à propos de l’interdiction des discriminations en raison de l’âge en matière salariale53. Toutefois, dans certaines affaires, le laconisme voire le silence du juge peut sembler contestable et appeler quelques explications complémentaires. Outre le Tribunal qui semble ne pas avoir encore changé de paradigme54, la Cour s’abstient de se référer explicitement au mécanisme des droits correspondants alors qu’elle est en présence d’un droit relevant a priori de ce mécanisme dans deux hypothèses.

La première hypothèse correspond visiblement à la situation dans laquelle le juge n’éprouve pas le besoin de s’appuyer sur le droit de la Convention parce qu’il considère qu’il ne lui est pas nécessaire de préciser les modalités d’application ou de limitation du droit fondamental en cause. Ainsi, dans l’arrêt Beneo-Orafti, la Cour de justice se prononce sur l’application du principe de non bis in idem à la situation du requérant au principal en se référant à l’article 50 de la Charte pour rapidement écarter son application en l’espèce puisque les mesures envisagées par le droit de l’Union ne constituent pas des sanctions. Dès lors, il peut paraître logique que la Cour n’ait pas jugé nécessaire de rappeler la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme55. Quoique… Le fait que l’Avocat général BOT, concluant dans cette affaire, estime que le cumul de la sanction encourue en cas de production au-delà du quota avec le prélèvement sur l’excédent de production prévu par la réglementation du droit de l’Union constitue bien un cumul de sanctions aurait pu conduire la Cour de justice à mieux étayer sa position56. La référence faite à l’article 10 de la Convention à la suite d’une mention de l’article 11 de la Charte garantissant le droit à la liberté d’expression dans l’arrêt Patriciello est, par contre, beaucoup moins critiquable. En effet, dans cette affaire relative à l’immunité dont jouissent les députés européens lorsqu’ils expriment une opinion dans l’exercice de leur fonction, la Cour se contente de s’appuyer sur ce droit fondamental pour retenir une interprétation large de la notion d’« opinion »57. Aucun problème d’applicabilité ou de limitation de l’exercice du droit n’entrant en ligne de compte, elle peut visiblement se contenter d’une simple référence à la Charte et à la Convention.

La seconde hypothèse consiste en un renvoi par le juge à sa jurisprudence antérieure, laquelle comprend d’amples références au droit de la Convention. Ainsi, dans l’arrêt Garenfeld58, la Cour de justice se réfère au principe de légalité pénale consacré en droit de l’Union par l’article 49, paragraphe 1, de la Charte et renvoie à plusieurs de ses arrêts, lesquels, comme l’arrêt Advocaten voor de Wereld, se réfèrent eux-mêmes à la jurisprudence de Strasbourg59. De la même façon, dans l’arrêt ASNEF, la Cour de justice renvoie à l’arrêt Volker concernant le droit à la protection des données personnelles et s’abstient de toute référence explicite au droit de la Convention60. Les exemples sont, en la matière, assez nombreux61.

Non exempte de critique dans certaines affaires, la démarche de la Cour de justice peut cependant s’expliquer par un souci de concision dans la rédaction de ses arrêts et d’économie de moyens pour mener à bien son raisonnement. L’on ne saurait exiger de la Cour qu’elle cite systématiquement, tel un mantra, la jurisprudence de la Cour européenne. Pourtant, compte tenu des faiblesses du mécanisme des droits correspondants, cette sélectivité de la Cour dans les affaires dans lesquelles elle s’appuie explicitement sur le droit de la Convention est susceptible de poser problème. En effet, si la Charte des droits fondamentaux veut s’insérer harmonieusement dans le système de protection des droits de l’homme en Europe en n’affectant pas sa lisibilité, il serait opportun que le juge de l’Union adopte une démarche plus systématique s’agissant du mécanisme des droits correspondants. En ce sens, il pourrait s’efforcer de se référer systématiquement à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme chaque fois que cela est possible, au moins le temps que les bases de l’harmonie entre les deux systèmes de protection des droits fondamentaux soient fermement établies.

Certes, le juge n’est pas un « faiseur de système » mais il ne s’agit ici, après tout que de faire fonctionner efficacement le système dont il est le principal auteur et acteur !