Jacquot sans Oreilles - Dumas Alexandre - E-Book

Jacquot sans Oreilles E-Book

Dumas Alexandre

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Beschreibung

En voyage en Russie, Dumas fait escale à Makarief pour y visiter le château de Groubenski, l'un des derniers grands seigneurs russes. Intrigué par son histoire, il se fait envoyer le récit du drame conté par Jacquot sans oreilles, récit qu'il nous livre «tel quel» (en réalité, il semble bien qu'il s'agisse d'une fiction complète, et non pas de la transposition de légendes locales). Jacquot a été, à l'heure glorieuse des Groubenski, piqueur au service du prince Alexis-Ivanovitch, le «dernier des boyards», puis de son petit-fils le prince Danilo. Héritier du château en 1828, Danilo veut éclaircir le mystère de la disparition de sa propre mère, la princesse Varvara. Et c'est Jacquot qui va lui raconter toute l'histoire. Alexis a obtenu grâce à ses succès guerriers de se marier avec Marfa-Petrovna, contre le gré de celle-ci et de son père, et en a rapidement eu un fils, nommé Boris-Alexiovitch. Brutal avec son épouse, Alexis en est venu à entretenir des maîtresses sous son toit, et a mené une vie plutôt dissolue. La princesse malheureuse est morte en apprenant le mariage de son fils, parti depuis peu au service du tsar Paul 1er. Boris s'est en effet marié, sans prévenir ses parents, à une belle jeune fille nommée Varvara. Alexis en est furieux, mais dès qu'il la rencontre, il tombe amoureux de sa belle-fille, qui parvient par son influence à assagir temporairement son beau-père...

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Seitenzahl: 136

Veröffentlichungsjahr: 2019

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Jacquot sans Oreilles

Pages de titreIIIIIIIVVVIVIIVIIIIXPage de copyright

Alexandre Dumas

Jacquot sans Oreilles

Avant-propos

C’est l’histoire du piqueur d’un boyard, dernier représentant peut-être des vieilles mœurs moscovites du temps de Pierre le Grand et de Biren, que je vais vous raconter.

Il est vrai que, dans mon récit, il sera un peu plus question du maître et de la maîtresse que du valet, et que mon histoire pourrait aussi bien s’appeler la Princesse Varvara, ou le Prince Groubenski que Jacquot sans Oreilles ; mais, que voulez-vous ! dans une époque où l’on s’occupe d’abord de chercher le titre d’un roman ou d’un drame avant d’en chercher le sujet, et où la meilleure partie d’un succès est dans le titre, Jacquot sans Oreilles me paraît renfermer tout ce qu’il faut d’originalité pour éveiller la curiosité de mes lecteurs.

Je m’en tiendrai donc à Jacquot sans Oreilles.

J’avais bien souvent entendu parler, à Saint-Pétersbourg, à Moscou et surtout à Nijni-Novgorod, du prince Alexis-Ivanovitch Groubenski ; on citait de lui des excentricités les plus incroyables ; mais ces excentricités, qui eussent accusé l’humeur anglaise la mieux développée, étaient, même dans leur côté bouffon, obscurcies par je ne sais quel nuage sinistre planant sur cette existence étrange ; on sentait que, quoique à moitié effacée par le temps et par les efforts de ceux qui avaient intérêt à la faire disparaître tout à fait, il existait sur la vie du dernier des boyards, comme on l’appelait généralement dans le gouvernement de Nijni-Novgorod, une de ces taches d’un rouge sombre qui, pareilles à celles que l’on montre sur le parquet de la galerie aux Cerfs de Fontainebleau et du cabinet royal à Blois, dénoncent le sang versé.

Partout, on m’avait dit :

– Si, par hasard, vous vous arrêtez à Makarief, n’oubliez pas de visiter, en face du couvent, de l’autre côté de la Volga, les ruines du château de Groubenski. Surtout, ajoutait-on, n’oubliez pas de demander à voir la galerie des portraits.

Il n’y a que ceux qui ont voyagé avec moi qui peuvent apprécier ma ténacité dans ces sortes de circonstances ; quand je flaire quelque part une légende, une tradition, une chronique, aucune observation, aucune instance, aucune opposition ne peut faire qu’une fois la piste relevée, je ne la suive jusqu’au bout.

Aussi avais-je bien fait promettre au patron du bateau à vapeur que j’avais pris pour me conduire de Nijni à Kazan, de ne pas manquer de m’arrêter à Makarief, qu’il y passât de jour ou de nuit.

En effet, du plus loin que l’on aperçut, je ne dirai pas Makarief – on ne voit pas Makarief de dessus la Volga – mais les murs crénelés du vieux couvent qui s’avance jusqu’au bord du fleuve, le patron, fidèle à sa promesse, vint me dire :

– Monsieur Dumas, apprêtez-vous, si votre intention est toujours de descendre à Makarief ; dans dix minutes, nous y serons.

Dix minutes après, nous y étions effectivement, et, au signe que je lui faisais, un batelier se détachait de la rive gauche de la Volga, et venait me prendre à bord du bateau à vapeur.

Alors seulement, je remarquai qu’un jeune officier russe, avec lequel j’avais échangé quelques paroles pendant notre traversée fluviale, faisait les mêmes préparatifs que moi.

– Descendez-vous par hasard à Makarief, monsieur ? lui demandai-je.

– Hélas ! oui, monsieur ; j’y suis en garnison.

– Voilà un hélas ! peu flatteur pour Makarief.

– C’est un abominable trou, et je me demande comment, n’étant pas forcé d’y descendre, vous y descendez. Que diable avez-vous à faire à Makarief ?

– Deux choses très importantes : j’y viens acheter un coffre et visiter le château de Groubenski, et je vous avoue qu’en vous voyant visiter vos bagages, je me suis réjoui de ce qui vous désespère ; ayant pu apprécier toute votre courtoisie, je me suis dit : « Voilà un guide tout trouvé pour mon achat et pour ma visite. »

– Quant à cela, me dit le jeune officier, vous ne vous êtes pas trompé, et c’est moi qui vous serai reconnaissant de disposer de moi ; les distractions sont rares à Makarief ; vous m’offrez celle de votre compagnie, je l’accepte de grand cœur. C’est le miel que l’on met au bord du vase où l’on fait boire aux enfants une médecine. Maintenant, laissez-moi poser quelques conditions au marché.

– Posez, je les accepte d’avance.

– Vous comprenez que, depuis que la foire a été transportée à Nijni-Novgorod, personne ne s’arrête plus à Makarief.

– Excepté ceux qui viennent y acheter un coffre et visiter le château de Groubenski.

– Oui ; mais ceux-là sont rares. Il n’y a donc plus d’auberge à Makarief, ou, s’il y en a, c’est pis que s’il n’y en avait pas.

– Ah ! je vous vois venir : vous allez m’offrir la nourriture et le logement ; je suis habitué à ces façons-là en Russie.

– Justement.

– Un autre ferait des façons ; moi, j’accepte.

Je lui tendis la main.

– Ah ! ma foi, dit-il, j’étais loin de me douter d’une pareille chance. Descendez donc, je vous prie. Et, en effet, le bateau qui devait nous transporter à terre venait d’accoster le bâtiment.

Je fis mes adieux au patron du bateau et aux quelques personnes avec lesquelles je m’étais familiarisé pendant mes trois jours de navigation sur la Volga, et j’allai prendre ma place dans le canot.

Mon jeune capitaine m’y suivit.

– Ah ! c’est vous, monsieur le comte ? lui dit le batelier en le reconnaissant ; la voiture vous attend depuis hier au soir.

– Oui, dit le jeune homme, je croyais arriver hier ; mais ces misérables bateaux marchent comme des tortues... Et tout va bien à Makarief ?

– Grâce à Dieu, monsieur le comte, tout va bien.

– J’espérais qu’il allait me dire que le feu avait pris à la ville, qu’il n’en restait pas une maison, et que la garnison était rappelée à Saint-Pétersbourg ou, tout au moins, transportée à Kazan. Il n’en est rien ; soumettons-nous à la volonté de Dieu !

Et le comte poussa un soupir aussi sérieux que s’il avait réellement espéré que la ville fût brûlée.

Une voiture et un domestique en livrée française nous attendaient au bord du fleuve ; la voiture était, non pas un drovski, mais une élégante américaine.

Cette vue me donna un grand espoir : c’est que, dans la chambre qu’allait m’offrir mon hôte, je trouverais un lit et une cuvette, deux choses que je n’avais pas rencontrées réunies depuis mon départ de Moscou.

Je ne m’étais pas trompé : la maison du comte Varinkof – c’était le nom de mon jeune officier – était meublée à la française, et je retrouvai, ou à peu près, à une verste de la Volga, ma chambre à coucher parisienne.

Le thé nous attendait, véritable thé russe par bonheur, savoureux et parfumé, fait en outre avec toute la science dont un valet de chambre moscovite est capable à l’endroit du thé.

Tout en vidant nos verres – en Russie, le thé se prend dans des verres, les dames seules ont droit aux tasses –, tout en vidant nos verres, nous convînmes que, le lendemain après déjeuner, l’excursion serait faite au château de Groubenski.

Dès le même soir, des ordres furent donnés pour qu’un bateau se tînt à notre disposition entre dix et onze heures du matin.

En outre, avant le déjeuner, nous devions aller faire, le comte Varinkof et moi, une visite aux deux ou trois magasins de coffres les mieux assortis.

À neuf heures, le comte était levé et nous courions la ville ensemble, en voiture bien entendu ; car, en véritable gentilhomme russe qu’il était, notre jeune officier ne savait point, à moins d’y être forcé, faire cent pas à pied.

J’achetai deux coffres. Il va sans dire que mon hôte ne permit point que je les payasse. Que voulez-vous ! ce sont les façons du pays : il faut s’y faire.

Après un excellent déjeuner – le comte avait un cuisinier français –, nous remontâmes en voiture, puis en barque, et nous traversâmes la Volga.

De l’autre côté, deux chevaux nous attendaient, tenus en main par deux domestiques. Il y avait une montagne haute comme Montmartre à gravir, et c’était trop de fatigue pour un de ces hommes qui escaladent les cimes du Caucase par des chemins connus des chamois et des bouquetins seuls, lorsqu’il s’agit d’aller combattre Schamyl au milieu des nuages ou au fond des précipices.

Nous nous mîmes en selle, et, dix minutes après, nous étions en face des ruines du château de Groubenski.

C’était une splendide bâtisse élevée vers le milieu du dernier siècle sur les plans du fameux architecte Rastrelli, qui a bâti le palais d’Hiver à Saint-Pétersbourg et le palais de Tzaritzina près de Moscou ; abandonné depuis près de trente ou quarante ans peut-être, il a eu le destin de toute chose abandonnée, c’est-à-dire qu’à part quelques bâtiments de service, une galerie et un pavillon, il est tombé en ruine.

À ses pieds, justement, depuis que la vie s’est retirée de lui, a pris naissance une espèce de village maritime nommé Niskevo, et, du haut de la montagne, le château des anciens jours semble jeter un regard sombre sur la jeune activité de cet enfant né d’hier.

Il est vrai qu’en reportant ses yeux plus loin et en regardant du côté de la Volga, le spectre de granit rencontre le monastère de Makarief et que les deux vieillards, la nuit, quand tout dort autour d’eux, peuvent, avec l’aide du vent, causer mystérieusement entre eux de la fragilité des choses terrestres : le château déplorant le temps où ses salons, ses pavillons, ses galeries étincelaient de feux, regorgeaient d’hôtes et de convives, jetaient aux échos le bruit des chansons, du choc des verres et des instruments de fête ; le monastère regrettant l’époque des solennités sacerdotales où il parlait à soixante villages, ses vassaux, avec la voix de ses douze cloches et les chants de ses deux cents moines.

Aujourd’hui, douze moines seulement habitent le monastère. Quant au château, la race de ses illustres maîtres s’est éteinte, et il appartient maintenant au fermier d’octroi, maître Kirdiapine, dont le père était autrefois troisième garçon d’auberge de Razgoulai, la première auberge de Makarief, quand Makarief avait des auberges, ou plutôt quand Makarief avait une foire.

Nous étions venus de Makarief au fleuve, nous avions passé de la rive droite sur la rive gauche de la Volga, nous avions gravi la montagne qui conduit aux ruines ; mais nous n’avions accompli que la partie la plus facile de notre pèlerinage.

Il restait à nous procurer les clefs du château.

En effet, les deux ou trois serviteurs auxquels est confiée la garde de ces vénérables ruines, n’ayant pas l’idée qu’il prît à quelqu’un l’envie de les visiter, n’ayant pas la crainte que quelque bande noire ne les démolît, avaient jugé avec raison qu’ils pouvaient s’en éloigner pendant quelque temps pour aller offrir leurs services aux patrons de bâtiment comme débarqueurs et portefaix, cette industrie leur donnant la douce récréation de pouvoir, chaque jour, prendre en compagnie et à la même table, la jouissance d’un ou deux verres de thé et d’une paire de sucres, ce qui est le luxe le plus apprécié des hommes de la classe inférieure en Russie.

Ce jour-là, ils avaient commencé la journée comme ils eussent dû la finir, et, quoiqu’il fût midi à peine, mes trois drôles étaient déjà au cabaret.

L’un d’eux consentit à se déranger moyennant la promesse de vingt kopecks que se crut en droit de lui assurer de notre part le valet de chambre du comte, et il monta avec les clefs.

La recherche et la négociation avaient duré presque une heure. Au reste, nous n’avions pas perdu notre temps ; par une brèche, nous avions pénétré dans les jardins qui dépendaient autrefois, et probablement dépendent aujourd’hui encore, du château. Ils formaient un immense parc qui s’étendait sur une longueur de deux verstes en suivant la plate-forme de la montagne et qui, à son extrémité, en suivant la pente, descendait jusqu’à la Volga. Mais là, tout au contraire de l’œuvre dévastatrice opérée sur les bâtiments, l’œuvre du temps avait été bienfaisante et pittoresque : livrés à eux-mêmes, les arbres étaient arrivés à de gigantesques développements quand ils étaient isolés, et à de merveilleux entrelacements parmi ceux qui étaient réunis. Il y avait surtout des allées de tilleuls qui avaient dû être plantées sous la reine Élisabeth, et qui étaient tellement impénétrables aux rayons du soleil, qu’il semblait, du moment que l’on pénétrait dans ces allées, que l’on fût descendu dans l’intérieur des mines et que l’on suivît quelqu’une de ces avenues qui sillonnent les entrailles des monts Oural.

En quelques endroits, au sortir de ces allées ou au centre des pelouses envahies par les herbes et les ronces, on voyait des socles de pierre sur lesquels se dressaient autrefois des statues, chefs-d’œuvre ou, du moins, copies des chefs-d’œuvre de l’antiquité ; sur un de ces socles, nous retrouvâmes les lettres Jov... omnipot..., et sur une autre cette inscription : Vénus et Adonis.

En sortant de l’allée principale et en tournant à gauche, nous rencontrâmes le lit profond, actuellement à peu près desséché, d’une rivière artificielle ; au fond coulait encore un léger filet d’eau limpide provenant d’une source voisine que nous eûmes toutes les peines du monde à retrouver, perdue qu’elle était dans les hautes herbes. Cette rivière avait été autrefois, selon toute probabilité, l’ornement le plus gracieux du jardin qu’elle traversait, en serpentant, dans toute sa longueur ; quelques arcs jetés avec une hardiesse pleine d’entrain d’un bord à l’autre de la rivière formaient des ponts charmants, encore praticables aujourd’hui, quoiqu’ils soient devenus inutiles.

Dans l’endroit le plus retiré du parc, nous découvrîmes un pavillon. C’était l’œil-de-bœuf du prince Alexis ; mais, hélas ! depuis longtemps, les ouragans d’hiver, ses seuls hôtes, en avaient arraché et jeté au loin les portes et les fenêtres. Si ces murs, qui ont eu des oreilles et des yeux, avaient une langue, sans doute raconteraient-ils aujourd’hui des histoires à faire rougir les murs de Monceau et du grand Trianon ; mais ils sont muets, excepté lorsque la tempête leur prête une voix, et cette voix sombre et sévère dit chaque jour aux monuments ce que l’expérience dit chaque jour aux hommes : « Il n’y a rien de certain et rien d’éternel que la mort. »

Sur la muraille, existaient encore des fresques mythologiques assez bien conservées. Ces fresques avaient été faites, bien certainement, par un peintre français de l’école de Boucher ; elles représentaient Vénus et Mars pris aux filets de Vulcain ; l’enlèvement d’Europe par le fameux taureau blanc dont Jupiter avait emprunté la forme ; une Léda serrant amoureusement sur sa poitrine le cygne divin ; enfin une Diane au bain surprise par Actéon.

Le plafond était écroulé.

En face de ce pavillon, était un tas de pierres et de briques recouvertes en grande partie par des ronces et des lierres. Je demandai à mon jeune officier s’il savait ce que c’était que ce tas de pierres et de briques.

– Je crois, me répondit-il, avoir entendu dire, dans une première excursion faite par moi à ces ruines, que ces décombres formaient autrefois un pavillon pareil à celui-ci.

– S’est-il écroulé ? demandai-je.

– Non, il a été démoli à dessin, à ce que l’on assure.

– Et pourquoi cela ? le savez-vous ?

– Je ne sais que ce que l’on raconte à ce sujet.

– Et que raconte-t-on ? Je suis, je vous en préviens, le plus grand questionneur qu’il y ait au monde.

– On raconte que le dernier prince Danilo-Alexiovitch, étant venu ici, il y a vingt-cinq ou trente ans, a fait, dans ce pavillon, une si étrange trouvaille, que non seulement il a décidé de le démolir, mais que lui-même y a porté le premier coup de pioche.

– Et qu’y a-t-il donc trouvé, dans ce pavillon ?

– Ah ! voilà justement où est le mystère ! On parle d’une chambre murée, barricadée, condamnée, dans laquelle personne n’avait eu la pensée ou plutôt le courage de pénétrer. Le prince Danilo, dit-on toujours, y pénétra, lui, à l’insu de tout le monde, et, ma foi, il y vit une chose si terrible, qu’il en sortit pâle comme un mort, en donnant l’ordre de démolition que je vous ai dit.

En ce moment, nous vîmes venir à nous le domestique du nouveau propriétaire, maître Kirdiapine, que la promesse de vingt kopecks avait tiré du cabaret.

Je l’interrogeai à l’endroit du pavillon démoli ; mais il en savait encore moins que le capitaine Varinkof, qui, on le voit, ne savait pas grand-chose.

Le domestique avait les clefs du château et nous offrait de l’ouvrir.

J’acceptai, espérant trouver quelque chose qui établirait un lien entre le château et le pavillon.

Le serviteur marcha devant nous et nous introduisit par une porte de service donnant sur le vestibule.

À peine la porte fut-elle ouverte, qu’un air humide et saturé de vétusté nous prit à la gorge. Chaque pas que nous faisions sur les dalles soulevait une épaisse poussière, et le vent, qui était entré derrière nous par la porte restée ouverte, agitait sur les murs les lambeaux déchirés et pendants d’une tapisserie splendide qui avait dû venir en droite ligne des Gobelins par quelque cadeau princier ou royal.

– Ce qu’il y a de mieux conservé dans le château, nous dit notre cicerone, c’est la galerie des portraits.

Comme c’était aussi, selon toute probabilité, ce qu’il y avait de plus intéressant, nous nous y fîmes conduire, négligeant à son profit les restes du château.

Je ne sais si c’était une préoccupation ou une réalité, si c’était un effet du pinceau des artistes ou de la façon dont les tableaux étaient éclairés, mais il me sembla que tous ces portraits aux teintes assombries nous jetaient, à nous qui venions les troubler dans leur muette réunion et dans leur solitude séculaire, des regards de haine et de rancune ; on eût dit que, du haut de leurs cadres richement sculptés, mais tordus et faussés par le temps, ils étaient prêts à nous dire : « Qui êtes-vous, vivants indiscrets, visiteurs importuns ? qui vous a donné le droit de troubler le silence des morts ? Éloignez-vous ; nous ne vous connaissons pas et nous vous sommes inconnus. Vous aurez beau nous regarder, beau nous interroger, vous ne saurez rien de notre folle vie, de nos bruyants plaisirs, de nos festins homériques et de nos passions sans frein. »