Jamal Radi
Jeff,
la détermination d’un meurtrier
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jamal Radi
ISBN : 979-10-422-3362-4
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Au pays de l’espoir, le soleil sourit toujours…
Et c’est par la douceur des mots sur le papier blanc que l’on arrive à bercer l’âme.
La parole séduit et égaie le cœur, mais elle est souvent trompeuse.
Jamal Radi
I
La grosse voiture roulait à une allure modérée sur le boulevard périphérique du Vigenal à Limoges, ville du sud-ouest de la France. Le regard vague et le visage volontaire, deux hommes assis à l’avant, le chauffeur et son passager, fixaient la route sans dire un mot. Le paysage défilait à un rythme régulier. Des immeubles longeaient la grande avenue sur les deux côtés avec quelques lumières visibles çà et là, dans les appartements. La ville était plongée dans une lueur blafarde causée par un alignement de lampadaires situés sur les deux artères de la route. Le passager détourna légèrement la tête pour regarder le chauffeur qui acquiesça tacitement en se rabattant sur la droite pour se garer. Les deux hommes descendirent du véhicule et arpentèrent une petite allée verdoyante. Un parfum de chèvrefeuille que formait une belle voûte florissante embaumait l’atmosphère. Un chemin bitumé traversait un magnifique jardin. Quelques sièges en bois étaient disposés tout le long de celui-ci. Ils faisaient penser à la chanson de Georges Brassens. Les amoureux, qui se bécotent sur les bancs publics. L’endroit se révélait propre et le gazon ressemblait à un tapis moelleux qui étouffait les bruits de pas des visiteurs. Les deux hommes avancèrent tout droit vers l’entrée de l’immeuble. Le plus costaud lorgna d’un regard rapide les boîtes aux lettres qui se trouvaient à gauche du grand porche et s’attarda sur le nom de : Jean Vincent. Puis, ils attendirent sagement devant une porte vitrée qui servait les appartements du rez-de-chaussée. Un instant plus tard, un homme assez âgé surgit dans le hall en claudiquant. Il fit glisser sa clé électronique sur l’appareil pour accéder à l’ascenseur. Les deux individus emboîtèrent le pas au vieux résidant qui se dirigea directement vers le monte-charge. Les visiteurs attendirent un moment dans le vestibule avant que l’un des deux hommes ne s’engouffre à son tour dans la cabine qui s’éleva vers le dixième étage. Un instant plus tard, deux détonations sourdes rompaient le silence. Un meurtre s’était perpétré de sang-froid dans un endroit d’habitude très calme et personne ne s’y attendait. La mort rôdait alentour de la résidence et ce n’était que le début d’une longue histoire. Deux ombres se faufilèrent discrètement dans l’allée du bâtiment en direction de leur voiture qui s’ébranla lentement dans la nuit obscure…
Les deux inspecteurs de police judiciaire James Rod et Ryan Dean arrivèrent sur les lieux, juste au moment où l’on posait le cordon de sécurité. Un attroupement accru s’était agglutiné devant l’immeuble. Des agents de l’ordre tentaient de faire circuler une foule bigarrée de curieux. Dans l’appartement, des hommes en tenue blanche s’affairaient à chercher des éléments pertinents pour démarrer l’enquête. Le corps du malheureux était allongé sur le dos. Un trou béant dans le front et une mare de sang toute fraîche avait coulé sur le sol en linoléum. Une autre blessure au niveau du cœur renforçait l’hypothèse du meurtre avec préméditation. On ne lui avait laissé aucune chance. L’inspecteur James Rod regarda son collègue Ryan Dean d’un air pensif et lança d’un ton très calme :
— Pour le moment, nous nageons dans des eaux troubles. Néanmoins, on a la conviction que le tueur connaissait bien la victime… et avant que Ryan ne finisse sa phrase, l’inspecteur James Rod renchérit.
— Exactement ! Le malheureux a reçu le projectile dans le dos à l’instant où il repartait vers la pièce, avant d’être abattu à bout portant d’une balle dans le front. Il a ouvert la porte de son plein gré à son meurtrier.
— Parfaitement, au vu de l’impact du tir, il se serait dirigé vers le séjour pour installer son ou ses hôtes, clama d’un air triste Ryan.
— Bien vu, inspecteur. Je te félicite pour ton sens de l’observation. Je constate agréablement que tout ce beau monde devait se réunir dans le salon à cause de la tasse de café que la victime s’apprêtait à boire. Ryan leva sa main furtivement pour se gratter la tête et répliqua d’un ton serein.
— Je pense effectivement que le malheureux attendait nerveusement son ou ses visiteurs. Il les connaissait.
— Tout à fait d’accord et je valide tes propos, inspecteur. J’ai jeté un coup d’œil dans la poubelle qui se trouve dans la cuisine et je n’ai rien remarqué d’important mis à part quelques boissons gazeuses… mais nullement du marc de café. Vois-tu où je veux en venir ?
— Non ! Je ne comprends pas…
— La victime avait rendez-vous avec son meurtrier. Tout en se dirigeant vers la fenêtre.
L’inspecteur James Rod balaya du regard la pièce à la recherche d’autres indices. Il fixa des yeux son collègue et continua calmement.
— L’homme s’inquiétait. Il avait une peur bleue de la personne avec laquelle il avait rendez-vous. Ce n’était pas lui qui menait la danse. Il ne faisait que s’exécuter et devait trembler de cette rencontre qu’il redoutait nerveusement. Les taches marron sur la table du salon et le sol en témoignent. Il ressentait de la frayeur et c’est la raison pour laquelle il s’était servi exceptionnellement une boisson chaude. De la caféine dont il n’était pas un adepte. James Rod fixa le ciel à travers la fenêtre. La voûte céleste, dégagée de cumulus nimbus, scintillait de mille feux et les étoiles réfléchissaient leur clarté chatoyante. La pièce baignait dans une atmosphère lugubre. La lueur blanchâtre de la pleine lune sur le corps inerte se révélait morbide et déprimante. L’inspecteur Ryan, tout en fixant la dépouille rigide pour la énième fois, s’avança à son tour vers la porte-fenêtre du salon, et tout en regardant sa montre, il s’exclama :
— Levons les voiles, nous reprendrons l’enquête plus tard ! Demain, c’est un autre jour. Le sourire aux lèvres, il posa la main sur l’épaule de l’inspecteur JR et lui annonça.
— James, sans trop me vanter, je pourrais dire que l’on a bien travaillé ce soir. On n’a pas encore découvert le mobile du meurtre, mais franchement je demeure optimiste quant à la résolution de ce drame.
— Je t’envie, mon cher Ryan, et j’aime bien ta façon de voir les choses. Néanmoins, en ce qui me concerne, je reste sceptique pour le moment, vu le manque d’indices qui nous pénalise.
Sur ce, les deux inspecteurs quittèrent l’appartement et se dirigèrent vers la porte palière. Rien ne devait être laissé au hasard. L’enquête allait se poursuivre dans les règles de l’art. Les yeux balayant les moindres recoins, les deux hommes descendirent lentement les marches des dix étages. Tout paraissait calme. Les sols des parties communes luisaient. La réverbération des lampes accentuait la brillance du carrelage.
Dehors, un véhicule de police était resté en faction devant la résidence. Tout le monde allait partir pour libérer la place. On allait pouvoir enlever le corps dans l’attente de l’autopsie et sceller la porte de l’appartement. Les deux inspecteurs débouchèrent dans le vestibule en s’y arrêtant brièvement pour admirer le décor. Une grande baie vitrée offrait une vue panoramique d’où l’on pouvait contempler l’extérieur. Une vision qui portait au loin, au-delà de l’emplacement numéroté des voitures situé à plus de 100 mètres. Une petite allée entourée de gazon venait s’échouer sur l’asphalte du parking et servait d’accès à l’immeuble. L’inspecteur Ryan regarda son collègue et s’empressa de lancer avec étonnement.
— As-tu remarqué quelque chose, inspecteur James ?
— Oui ! Bien entendu ! Le décor est bien dégagé et toute personne qui voudrait se rendre dans le bâtiment se trouverait à découvert. Elle ne passerait pas inaperçue. Si c’est le cas, quelqu’un a dû voir le ou les assassins.
— C’est exactement ce que je désirais entendre, mon cher ami. On se retrouve dans l’obligation de questionner tous les locataires de l’immeuble pour les besoins de l’enquête…
Les deux policiers se dirigèrent en direction de leur voiture. Ils jetèrent au passage un regard furtif sur une table disposée dans le jardin avec des chaises. Le gazon d’un vert éclatant était bien tondu. L’endroit semblait agréable à vivre, malgré ce fait divers ignoble qui allait bouleverser toute la région du Limousin. L’inspecteur Ryan saisit le volant et la voiture s’ébranla lentement dans le clair de lune en s’éloignant de cette scène morbide et angoissante. La tragédie était arrivée à son comble et plusieurs choses demeuraient en suspens. Pourquoi avait-on éliminé ce malheureux ? Pour quelles raisons ? À qui profitait le crime ? De nombreuses questions tardaient à être élucidées pour avancer dans l’enquête…
Le lendemain, les journaux avaient fait état du drame et les commentaires allaient bon train. Chacun allait de ses suppositions les plus extravagantes pour se donner de l’importance. Les deux inspecteurs revinrent dans la matinée pour auditionner les habitants de l’immeuble. Les quelques personnes présentes chez elles ne savaient rien. Il restait plusieurs locataires à interroger. Les uns travaillaient et les autres étaient sortis. On devait s’en aller et reprendre l’enquête plus tard. En débouchant dans le hall d’entrée comme la veille, l’inspecteur James Rod se dirigea vers les boîtes aux lettres pour voir si tous les appartements étaient occupés. Il s’attarda sur l’une d’elles et en tapotant dessus avec son index droit, il s’écria en regardant son collègue Ryan d’un air surpris.
— Bon sang de bonsoir ! Un concierge habite l’immeuble. Comment n’y avons-nous pas pensé dès le début ?
— Un gardien du bâtiment ! Voilà une bonne nouvelle, mon ami. Dis-moi, James, à quel étage, réside-t-il ?
— Suivant la disposition des boîtes aux lettres, il loge certainement au premier, répondit James.
— Soit ! Interrogeons-le au plus vite. Peut-être aura-t-il vu quelque chose d’inhabituel ou d’insolite. Tout en contemplant l’extérieur de l’immeuble, l’inspecteur Ryan se gratta la tête et continua ses constatations.
— J’ai remarqué justement que les fenêtres des cuisines de certains appartements donnaient sur l’entrée du bâtiment et…
— La rue et le parking font partie du lot, également. Cependant, avec un peu de chance, nous en saurons un peu plus dès que l’on aura parlé au concierge, répliqua avec optimisme l’inspecteur James.
— Espérons-le, mon ami, et croisons les doigts. L’air dubitatif, l’inspecteur Ryan se dirigea vers la sortie et appuya sur le bouton pour déclencher l’ouverture de la porte électrique. Il leva la tête pour contempler la voûte céleste. Le ciel était bien dégagé et teinté d’un bleu azur qui lui rappelait ses précédentes vacances d’été à Algésiras en Espagne. Une mine réjouie et un regard frétillant se dessinèrent sur son visage avant de se diriger d’un pas volontaire vers la voiture. L’inspecteur James le suivit en esquissant un sourire complice. Il connaissait parfaitement Ryan. Il était l’ami de tous les instants. Ils observèrent brièvement des enfants qui se querellaient en jouant à la marelle avant de démarrer rapidement, le clignotant allumé, pour s’engouffrer dans le couloir d’une circulation effrénée…
II
Le concierge KZ âgé d’une soixantaine d’années était un homme chaleureux et serviable ; toujours disponible pour aider les gens. Des yeux pétillants, une barbe fournie et poivrée lui donnaient un air honnête et travailleur. Le nez en bec d’aigle exprimait quelques duretés tranchantes et autoritaires. Prévenant et aimable, il n’admettait pas la contestation. Les cheveux blancs et la stature élevée lui procuraient une certaine virilité malgré son handicap. Il avait contracté la poliomyélite durant son enfance d’où sa paralysie des membres (main et pied du côté droit). Nonobstant cela, il montait les étages à pied sans aucune difficulté. Bref, le concierge KZ était un homme exceptionnel. Nous étions le lundi quand les deux enquêteurs James et Ryan se garèrent sur le parking de l’immeuble de la victime. Ils étaient revenus expressément pour interroger le gardien. Tout paraissait calme, comme si de rien n’était. Arrivé devant l’entrée, Ryan sortit une sorte de clé ronde en plastique qu’il laissa glisser sur un boîtier électronique à gauche de la porte pour accéder au hall. Les deux inspecteurs ne voulaient pas sonner pour ne pas alerter le responsable de l’immeuble. Ils prirent les escaliers une fois de plus pour déboucher dans la partie commune du premier étage. Un beau fauteuil ornait le corridor dans un angle et un grand vase avec une plante magnifique se trouvait à l’opposé. Le ficus dont quelques feuilles étaient éparpillées sur le sol carrelé semblait manquer d’arrosage ou d’un besoin de rempotage. James regarda le nom sur la porte en espérant que ce ne soit pas celui du concierge. Il poussa un grand soupir. L’appartement ne donnait pas sur le parking. Une excellente chose, pensa James. Les enquêteurs revinrent dans l’immeuble pour interroger les locataires absents lors de leur premier passage. L’inspecteur Ryan se dirigea d’emblée vers ce qu’il recherchait. Il sonna et attendit un instant avant de frapper légèrement à deux reprises. Un faible bruit se fit entendre à l’intérieur et la porte s’ouvrit doucement retenue par la chaîne de sécurité. L’homme, fixant Ryan d’un œil méfiant et anxieux, lança d’une voix autoritaire :
— Qu’est-ce que vous voulez ?
— N’ayez crainte, Monsieur, rétorqua d’un ton calme et chaleureux l’inspecteur James avant de se présenter.
— C’est la police judiciaire. Nous désirons vous poser quelques questions concernant la mort du locataire du dixième étage. Peut-on entrer un instant ? Nous ne vous dérangerons pas longtemps. L’homme hésita un laps de temps avant de décrocher la chaîne.
— Oui ! Allez-y, Messieurs, je vous en prie, et excusez ma suspicion. Ici, depuis le meurtre de monsieur Jean Vincent, tout le monde a peur. Vous voyez ce que je veux dire, hein !
— Nous comprenons votre désarroi et je ferai de même en de pareilles circonstances, Monsieur Kazed. Je suppose que c’est votre patronyme. Je suis l’inspecteur Ryan Dean et mon collègue est James Rod. Le concierge dirigea son regard d’un visage à l’autre comme pour bien fixer dans sa mémoire chacun des deux enquêteurs et répondit :
— Mon patronyme ? Le gardien ne semblait pas comprendre la signification du mot. Il était un peu gêné.
— Oui ! Ou si vous préférez, votre nom de famille, expliqua l’inspecteur James.
— Je me nomme Ka Zed et mon prénom c’est Ka. Ne me demandez pas pourquoi il ne comporte que deux lettres ni sa signification. Je ne le sais pas. Cependant, vous pouvez m’appeler KZ comme tous mes amis.
— D’accord, KZ, revenons-en à nos moutons. Est-ce que vous connaissiez bien la victime Jean Vincent ?
— Oui ! Comme certains résidents de l’immeuble. Je buvais de temps en temps un verre avec lui lorsque je le croisais à l’étage. Il m’invitait à rentrer chez lui pour m’offrir un café. Monsieur Vincent était une personne très gentille.
— Recevait-il des amis ou des gens de sa famille ? Comment était-il ces derniers jours ? Ne vous racontait-il pas sa vie ou ses difficultés ? Le défunt s’entendait-il avec le voisinage ? Efforcez-vous de vous souvenir des détails même s’ils vous semblent sans intérêt.
— Les moindres choses ont souvent plus d’importance qu’on ne le croit. Mon collègue a bien raison d’essayer de raviver votre mémoire, expliqua l’inspecteur Ryan à notre concierge.
— Non ! On parlait surtout de la pluie et du beau temps. Maintenant que j’y pense, j’ai revu ce malheureux mercredi quand il est descendu prendre son courrier. Je lui ai dit bonjour, mais il ne m’a pas répondu. Je voulais croire qu’il ne m’avait pas entendu. Sur le moment, je n’ai pas fait attention, mais le soir même, je me suis aperçu de son anxiété. Il redoutait quelque chose. Il n’était plus le même. J’ai pensé à un problème de santé.
Les deux inspecteurs regardèrent gentiment le valeureux bonhomme en appréciant son courage et sa joie de vivre. Un brave homme qui rejetait la pitié. Il adorait son travail conformément à son engagement pour soutenir dans la difficulté son prochain. Il ne se comportait nullement comme un infirme. Il aimait l’hygiène et son appartement sentait le propre. Il gagnait sa vie à la sueur de son front sans se plaindre et sans aide de la société. Le concierge KZ était un être attentif à l’égard des autres, malgré le grand handicap qu’il portait à bras-le-corps. Il était un homme indépendant, libre, contrairement à de nombreuses personnes qui avaient toutes leurs capacités corporelles et cognitives. « J’ai songé à un problème de santé », avait expliqué le concierge. Une bonne leçon de savoir-vivre d’un être supposé amoindri, avaient pensé communément les deux enquêteurs.
— Excusez-moi, messieurs ! J’ai failli aux règles de l’hospitalité. J’ai complètement oublié de vous proposer un café ou une boisson fraîche. Je suis vraiment désolé. Je vais de ce pas y remédier… Avant que le gentil concierge ne finisse sa phrase, l’inspecteur Ryan s’empressa de dire :
— Vous êtes bien aimable Monsieur KZ ! Ne vous dérangez surtout pas. Le temps est venu pour nous de vous laisser tranquille. Nous ne vous ennuierons plus avec nos questions pour le moment. Nous nous reverrons plus tard et nous pourrons boire le verre de l’amitié. Je vous le promets. Sur ce, les deux enquêteurs s’avancèrent vers la porte en saluant cordialement le brave homme…
Les inspecteurs James Rod et Ryan Dean se retrouvèrent en bas de l’immeuble avec une certaine satisfaction. Ils n’avaient pas perdu leur temps. Le train avait repris les bons rails et il évoluait doucement, mais sûrement. On avait vu juste. La victime, dans la semaine qui avait précédé sa mort, semblait craindre quelque chose. Son comportement avait changé du jour au lendemain. De qui ou de quoi Jean Vincent avait-il peur ? Il restait deux locataires à interroger. On ne devait négliger aucune piste. On se devait d’aller au bout des choses pour procéder par élimination. Plusieurs questions demeuraient toujours sans réponse. Les deux enquêteurs reprirent leur voiture qui s’ébranla lentement sous un soleil radieux en direction du centre-ville.
III
Au fur et à mesure que le temps passait, les médias (presse écrite, radio et télévision) s’impatientaient et exigeaient des autorités des précisions sur l’évolution des recherches. Les investigations devaient s’accélérer pour rassembler des indices et élucider le crime. Un numéro vert était créé pour la communication des renseignements. Des policiers recueillaient les informations obtenues du public pour les remettre aux enquêteurs en vue de diligenter leurs travaux. C’est dans une atmosphère un peu tendue que les deux inspecteurs James et Ryan reprirent le chemin du quartier des drames au Roussillon.
L’immeuble se dressait comme une grande tour médiévale avec ses secrets et cette angoisse de l’inconnu qui enveloppait les alentours. Les gens vivaient dans la psychose. On pensait à un malade, un fou. Tout le monde avait peur. Le bâtiment baignait dans un calme de cathédrale, absent du va-et-vient quotidien. Le hasard aime bien les commodités. Les deux résidents que les policiers voulaient entendre occupaient le même palier, au troisième étage. Les deux enquêteurs avaient pris l’itinéraire du meurtrier pour accéder à l’immeuble. Ryan baissa la tête pour fixer le sol du hall d’entrée. Il pensa qu’il était en train de fouler les pas de l’assassin. Dire que le tueur était passé au même endroit était quelque chose d’abominable et d’horrifiant. Ils prirent l’ascenseur et débouchèrent sur le palier recherché. Ils se dirigèrent directement vers l’appartement numéro 24. Ils utilisèrent le bouton de la sonnette pour s’annoncer. Un bruit de pas se fit entendre et ils sentirent un œil les lorgner à travers la loupe de la porte. Une voix rauque retentit :
— Qui est-ce ? Que voulez-vous ? Des phrases brèves avec une intonation brusque avaient surpris les enquêteurs.
— Ouvrez s’il vous plaît et n’ayez crainte. Je suis l’inspecteur James Rod accompagné de mon collègue Ryan Dean.
— Vous allez enfin déguerpir ! Le bonhomme avait peur. Il ne désirait recevoir personne chez lui. On n’allait pas trop insister. L’homme avait besoin de temps pour reprendre confiance. Calmement, et d’une voix douce, l’inspecteur James Rod répliqua :
— Écoutez-moi, Monsieur Roland David. Nous allons vous laisser tranquille et nous reviendrons plus tard, lorsque vous aurez repris vos esprits. Sachez bien que nous sommes obligés d’interroger tous les résidents pour les besoins de l’enquête. Et ce n’est nullement une partie de plaisir. Comprenez bien que ce n’est qu’à ce prix-là que nous pourrons dénouer cette affaire de meurtre…
James tourna les talons pour aller rejoindre son collègue Ryan qui se trouvait devant l’appartement 26. Ce dernier utilisa également la sonnette pour s’annoncer. Après un court instant, la porte s’ouvrit sur un homme athlétique qui les scruta du regard. Le quadragénaire en survêtement avec une serviette sur l’épaule, tout en sueur, les invita à entrer. Mehdi Dyra, un grand sportif avec des dents bien blanches, sourit gentiment aux deux congénères. L’inspecteur Ryan pensa un bref instant en jaugeant Mehdi. Un garçon aussi attrayant et robuste doit acquérir énormément de succès auprès des femmes. Mehdi, un bel homme séduisant avec des sourcils bien soulignés, possédait un visage bien dessiné. Il avait des yeux en amandes et un regard de braise qui ferait fondre sans nul doute toutes les égéries de la planète. L’inspecteur Ryan l’avait toisé de pleines coutumes avant de s’adresser à l’athlète d’un air envieux :
— Bonjour ! Êtes-vous bien le dénommé Mehdi Dyra ?
— Tout à fait… Monsieur… ?
— Excusez-moi, j’ai oublié de me présenter et pourtant ce n’est point dans mes habitudes… et tout en continuant avec une explication brève en étant vraiment désolé de ce manque de tact.
— Je suis l’inspecteur Ryan Dean et voici mon collègue James Rod. Nous enquêtons sur le meurtre de Jean Vincent. Le saviez-vous ?
— Oui ! La pauvre victime du dixième étage. Le malheureux, il n’a pas eu de chance. On l’a abattu chez lui comme un gougnafier, un rustre, un moins que rien, alors qu’il était quelqu’un de bien…
— Vous avez l’air de l’apprécier et de bien le connaître, rétorqua l’inspecteur James. Pourriez-vous nous en parler ?
— Vous exagérez un peu. Disons que je le croisais régulièrement au bureau de tabac du coin. Le Tilia. Il venait boire un café pratiquement tous les matins pour gratter quelques jeux ou pour cocher un loto. Il me payait souvent mon jus d’orange, au moment de quitter l’établissement. Monsieur Jean Vincent n’était pas un galapiat ni un vaurien comme j’essaie de vous le faire comprendre. Il incarnait la bonté. Les deux enquêteurs judiciaires se regardèrent d’un air déçu. Jean Vincent, le défunt n’avait pas d’ennemi connu. D’une galanterie sans borne, les gens l’appréciaient beaucoup. La victime rendait service à tout le monde sans attendre rien en retour. Ils remercièrent Mehdi Dyra et sortirent comme ils étaient entrés, sans trop tarder. Les allers-retours n’étaient pas terminés. Roland David, l’homme au caractère bien trempé et teigneux devrait obtempérer bon gré mal gré pour répondre aux questions des enquêteurs. Dehors, la température avait augmenté et le temps faisait déjà penser à l’été. James Rod, le regard pétillant interpella son collègue Ryan Dean avec un sourire malicieux :
— Tu paies le restaurant, le gros ?
— Bien volontiers. Allez, monte dans la voiture.
— Merci ! Je te revaudrai ça, une fois l’enquête terminée et les primes encaissées ! Des cris joyeux s’élevèrent dans l’habitacle, étouffés par le bruit tonitruant du véhicule qui démarra allègrement sous une chaleur ardente d’un ciel lumineux.
L’inspecteur James Rod était un jeune homme intelligent qui aimait profondément son métier. Il était issu d’une famille de policiers. Il avait appris de son père les rudiments de la profession en réfutant l’abandon et l’échec. Son corps d’athlète incombait le respect et le sérieux dans le travail. Rigoureux et d’une grande persévérance, il allait toujours au bout des choses. Il avait trente-huit ans. Les femmes l’appréciaient et aimaient sa compagnie. Il les faisait beaucoup rire.
La canicule comme tous les ans approchait à grands pas et le printemps commençait à se faner par le soleil brûlant de la nouvelle saison estivale. De nombreuses fleurs dépérissaient. Les gens se préparaient pour partir en vacances. On le remarquait à leurs visages souriant et joyeux. Les terrasses des cafés grouillaient de monde bien en avance sur l’horaire à cause du beau temps. Les deux compères, après un repas pris rapidement, sortirent du restaurant et se dirigèrent droit vers leur voiture de fonction. Les adeptes du soleil présentaient un teint agréablement hâlé. On ne pouvait ignorer la bonne humeur qui se dégageait des discussions des gens attablés sur les terrasses en savourant des boissons fraîches. Ryan lorgna d’un air envieux un couple qui flirtait en compagnie de deux autres belles femmes et pensa un instant : Le soleil a de tout temps ravivé les passions, tout en suscitant les désirs et l’amour pour ceux qui ont de la chance… Il expira très fort et monta dans la voiture avec un soupir empli d’émotions et un fort besoin de vivre pleinement…
L’inspecteur Ryan était un homme intègre âgé de trente-huit ans comme son ami James. Il mesurait 1m85 et de nombreux collègues lui enviaient sa morphologie d’athlète. Adorant depuis toujours le septième art, ce qui suscitait sa passion pour la boxe. Il avait les yeux marron avec un petit nez et des cheveux noirs et raides. Le visage en lame de couteau reflétait sa bonne forme quotidienne.
Un remue-ménage effroyable causait une agitation incessante dans les locaux de la police ce matin. Il était 8 h 30. Quelques enquêteurs se dépêchaient de résoudre des affaires de vols orchestrées dans des maisons privées. Tous les étés, les mêmes problèmes revenaient en première page. Des effractions dans des résidences au moment où les propriétaires profitaient de leurs vacances. Des dossiers d’agressions, d’alcoolémie et de drogue s’entassaient en grand nombre. Les délits prenaient de l’ampleur et les agents de l’ordre ne savaient plus où donner de la tête. Les juges quant à eux régulaient les documents suivant la gravité de la faute ou de l’infraction. On y trouvait plusieurs récidivistes. La geôle ne faisait plus peur d’où l’émergence de certains heurts entre la police et les magistrats. Les uns les attrapaient, les autres les relâchaient l’éternel problème de justice qu’essaient de résoudre les agents pour que l’administration ne relaxe pas aussi facilement les délinquants. Tout le monde, il a raison et tout le monde, il a tort. Le juge d’instruction est chargé de trancher les litiges en appliquant la loi, mais comment faire lorsque les dossiers s’entassent et que les prisons abondent en délinquants ? Une perpétuelle bousculade s’opère devant les portillons des administrations pénitentiaires assujetties d’un énorme problème à méditer et à résoudre…
Il était environ 17 h lorsque les deux enquêteurs James Rod et Ryan Dean se présentèrent devant le seuil de l’appartement de Roland David le grand teigneux. Les deux hommes allaient l’interroger pour avoir son avis au sujet du meurtre de Jean Vincent. L’immeuble respirait le calme et un parfum agréable embaumait le palier du premier étage. L’inspecteur James tout en humant l’air fixa des yeux son collègue Ryan en lançant d’un ton intéressé :
— Sens-tu quelque chose, Ryan ?
— Oui ! le propre. Une odeur de détergent se dégage des sols.
— Je croyais que l’entretien d’un immeuble s’exerçait le matin par la femme de ménage, annonça le lieutenant James.
— Pas spécialement, les entreprises de nettoyage interviennent dans différentes périodes de la journée. Les horaires fixes sont déterminés sur un planning pour se libérer d’une prestation, répondit Ryan.
— Je ne comprends pas. Que veux-tu dire par là, interrogea du regard James Rod ?
— Pour exécuter le travail, si tu préfères ! Je le dis en connaissance de cause, je suis un autochtone. Je connais tous les us et coutumes des prestataires de services depuis ma plus tendre enfance. Tout en joignant le geste à la parole, il avança son doigt vers la sonnerie pour s’annoncer. Derrière la porte, le bruit familier d’une chaise que l’on déplace leur parvient à l’oreille et immédiatement, une voix tonna à l’intérieur de l’appartement…
— Veuillez vous présenter. Qu’est-ce que vous cherchez ?
— Ouvrez-nous. Remuez-vous, en vitesse. Je suis l’inspecteur James Rod et je n’ai pas de temps à perdre. James n’avait pas permis à son vis-à-vis de réfléchir par l’autorité qui se dégageait de l’intonation de sa voix. Ryan regarda son ami étonné par la métamorphose de son comportement envers Roland David. Il secoua la tête en signe d’approbation, tout en pensant : On a changé de musique pour amadouer la bête, le teigneux au caractère rébarbatif, peu avenant. Soudain, la porte s’ouvrit en grand et un homme chétif d’un certain âge observa un instant les enquêteurs avant de les prier en bégayant d’entrer :
— Excusez-moi ! Depuis la mort de monsieur Jean Vincent, je n’ai plus confiance en personne.
— Vous avez bien raison ! Nous voudrions justement vous entendre au sujet de cet homme si vous le désirez bien, Monsieur Roland. Je suis l’inspecteur Ryan Dean et voilà mon collègue James Rod.
— Enchanté messieurs, je suis tout ouïe. Le regard de Roland allait de l’un à l’autre des deux enquêteurs comme s’il s’attendait déjà aux questions qu’on allait lui poser.
— Parlez-nous de votre pauvre voisin, Jean Vincent.
— Que voulez-vous que je vous dise ? Un homme serviable et très gentil. Il souriait à tout le monde bien qu’on sente malgré tout une grosse tristesse qui l’habitait. De temps en temps, il paraissait bizarre et inquiet comme s’il craignait quelque chose ou quelqu’un. On pouvait déceler de la mélancolie sur son visage. Je le regrette énormément. Les yeux dans le vague, comme pour restituer l’image du disparu dans sa mémoire, il secoua la tête, prit un verre d’eau et le but d’un trait. Il regarda docilement les deux hommes et continua d’une mine pathétique :
— On ne sait jamais ce que la vie nous réserve. Il se gratta la joue en fixant les deux enquêteurs d’un air interrogateur. L’inspecteur Ryan le contempla un instant. Il était étonné de la manière dont il parlait de la victime. Jean Vincent entretenait de bonnes relations avec tout le voisinage. Mais alors, pourquoi l’avait-on abattu ? Ce ne pouvait être que quelqu’un de l’extérieur à l’immeuble. L’assassin avait rendu visite la nuit à sa proie. Il connaissait bien les lieux puisqu’il ne s’était pas renseigné. On pouvait en déduire que c’était un habitué. Tous les gens du quartier estimaient le pauvre homme et tous vantaient sa gentillesse et sa bonté.
— N’avez-vous rien constaté de suspect ces derniers jours ?
— Si ! Vendredi soir quand je suis rentré chez moi vers 21 heures. Deux personnes attendaient sagement dans le silence de la nuit. L’inspecteur Ryan leva les yeux pour regarder le vieil homme d’un air surpris.
— Les connaissez-vous ?
— Non ! pas du tout. Je n’avais jamais aperçu ces personnes auparavant. Ils ont profité de l’occasion pour s’engouffrer dans le vestibule de l’immeuble dès que la porte s’est ouverte. À croire qu’ils m’attendaient.
— Avez-vous vu leurs visages ? L’inspecteur James avait apprécié la nouvelle tournure des événements. Il pensa : Enfin du concret. L’un des deux hommes ne peut être que le meurtrier. Il reprit d’emblée le fil de la discussion.
— Les deux individus ont-ils utilisé l’ascenseur ?
— Justement, j’étais le seul à l’occuper. Les deux gaillards dont l’un portait une casquette me tournaient tous les deux le dos en regardant vers l’extérieur comme s’ils avaient rendez-vous avec quelqu’un en bas de l’immeuble…
— Ou peut-être qu’ils ne désiraient pas que vous les reconnaissiez plus tard, s’empressa d’expliquer à nouveau l’inspecteur Ryan. Nous n’allons pas trop vous ennuyer, Monsieur Roland. Je voudrais juste vous poser une dernière question.
— Peut-on vous héberger le temps d’y voir plus clair dans cette affaire ?
— Oui ! Ma fille habite la région lyonnaise. Elle pourra m’accueillir pour quelques jours.
— Parfait. Je ne vous cache pas que les meurtriers peuvent vous nuire. Vous êtes un éventuel témoin qui pourrait les reconnaître et dans le doute ils n’hésiteraient pas à vous éliminer…
— Absolument ! J’y pense encore et j’ai peur. J’espère que vous allez bientôt les arrêter pour que le calme revienne dans les chaumières. Les gens sont effrayés et ils continueront à vivre dans l’angoisse et la suspicion tant que les assassins circuleront librement.
Les deux enquêteurs saluèrent le brave homme et se retrouvèrent à l’extérieur de l’immeuble comme de coutume. La population avait beaucoup diminué alentour du quartier. Elle se terrait chez elle à l’approche du crépuscule. Le soleil commençait à décliner à l’horizon en dégageant des lueurs rougeâtres en signe de retrait. L’inspecteur dirigea son regard vers le ciel en pensant : L’astre de feu réapparaîtra demain pour le nouveau jour. James contempla le paysage avec un mouvement circulaire de la tête et s’attarda sur un véhicule utilitaire qui portait l’enseigne de la société : Randy Dadou-Artisan. Réparation en tout genre. Il fixa son collègue des yeux et lui lança sur un ton débonnaire :
— De braves gens qui travaillent tard. As-tu remarqué, Ryan ?
— Bien entendu ! Tu fais allusion à la camionnette de monsieur Randy Dadou en montrant le véhicule garé sur le parking de la résidence. Ce dernier portait un écriteau où on pouvait lire : Randy Dadou-Artisan. Installation d’antennes paraboliques. Réparation de télévisions et réglage de démodulateurs. L’inspecteur James approuva du regard et se dirigea vers leur voiture. Il saisit un trousseau de clés dans sa poche pour le tendre à Ryan.
— Tu veux conduire s’il te plaît. Il sortit un calepin de son blouson et nota les informations concernant l’artisan Randy Dadou.
— Oui ! Assurément. Le véhicule démarra promptement pour se glisser dans une circulation agréablement fluide. Les gens rejoignaient plus tôt leurs foyers pour éviter les encombrements de l’heure de pointe du soir.
La nuit se présentait bien courte pour les deux inspecteurs. Les journées s’annonçaient longues au mois de juin et on avait tendance à se coucher tard. Les quotidiens continuaient à mettre la pression sur les officiers de police judiciaire. Ils exigeaient des informations sur l’enquête. On devait absolument avancer dans les investigations pour élucider cette affaire de meurtre dans les plus brefs délais. Il y allait de la stabilité morale des policiers et du bon déroulement de leurs recherches. On avait appelé Randy Dadou pour lui fixer un rendez-vous afin de l’interroger. On devait passer au crible les maigres indices qui pourraient apporter des éclaircissements. Notre artisan Randy Dadou âgé d’une quarantaine d’années habitait à Condat-sur-Vienne, une petite commune française située dans le département de la Haute-Vienne, distante d’une dizaine de kilomètres de Limoges. La rencontre devait avoir lieu le soir pour éviter de le déranger dans sa tâche journalière…
Condat-sur-Vienne est une banlieue résidentielle de Limoges qui a su garder un charme bucolique. Un endroit magnifique. Randy habitait une maison modeste avec un jardin bien entretenu. Il aimait beaucoup les volatiles. Il avait reçu les deux inspecteurs dans le salon où un beau perroquet du nom d’Yoshi répétait en boucle les mots de son large répertoire. C’était drôle. Un aquarium où un poisson rouge évoluait magistralement se trouvait dans le séjour. À l’étage, un canari égayait le logis de son chant nuptial. L’atmosphère dégageait une certaine joie de vivre à l’instar de quelques autres habitations que les officiers judiciaires avaient visitées pour les besoins de l’enquête. Randy en maître de maison prit la parole le premier.
— Puis-je vous offrir à boire, Messieurs ? L’inspecteur James le regarda d’un air bienveillant en pensant : Voilà quelqu’un d’hospitalier. Les bonnes manières n’ont pas complètement disparu. Puis, répondit d’un ton aimable :
— Merci pour votre gentillesse. Nous voudrions vous interroger sur quelques faits en rapport avec le meurtre qui s’est produit dans l’immeuble.
— Aucun problème, inspecteur. Vous pouvez me poser toutes les questions que vous désirez…
— Merci pour votre compréhension, Monsieur Randy. Dites-moi ! Est-ce que vous avez travaillé tantôt dans le quartier du Roussillon ?
— Absolument ! D’ailleurs, je n’ai pas fini la besogne. J’en ai encore pour un bout de temps…
— Savez-vous que Jean Vincent est mort ? L’inspecteur James Rod était allé droit au but pour sonder la réaction de l’artisan. Celui-ci ne pouvait l’ignorer puisque son véhicule de société était garé récemment devant le bâtiment où s’était déroulé le drame…
— Oui ! Bien sûr, puisque je travaille en ce moment dans l’immeuble. Vendredi dernier, le jour de sa mort, j’ai passé pratiquement tout l’après-midi à installer une antenne parabolique sur le toit. J’ai œuvré pour le compte du voisin du dessus, Monsieur Yves Nazareth. L’inspecteur Ryan sursauta en entendant ces paroles. Il fixa notre artisan dans les yeux et reprit le cours des questions très intéressé.
— Yves Nazareth ! Je le connais. Je l’ai auditionné à ce sujet il y a peu de temps. Il m’a semblé sérieux et honnête. Un type bien, souriant et très aimable.
— Je suis d’accord avec vous inspecteur. C’est un brave homme. Il m’a payé ce qu’il me devait en rajoutant un petit billet, un bon pourboire bien que je travaille à mon compte. Il m’avait dit une fois la facture réglée : Tenez ! Je vous donne un supplément. Toute peine mérite salaire. Je respecte énormément ce bonhomme.
— Heureusement, il reste dans ce monde de belles âmes qui n’exploitent pas leurs semblables. On doit continuer à avoir confiance en l’homme, malgré son côté obscur. Sur ce, l’inspecteur James Rod se leva en repoussant soigneusement la chaise sous la table. Il se dirigea vers la porte, accompagné de son fidèle compagnon Ryan Dean.
Des enfants se querellaient à l’étage. Ils saluèrent et sortirent de la maison. Des chats domestiques certainement abandonnés s’apprêtaient à manger leurs rations quotidiennes de croquettes sous un marronnier. Une association leur distribuait de la nourriture régulièrement…
Les inspecteurs James Rod et Ryan Dean reprirent le chemin en sens inverse pour réintégrer leurs bureaux. On roulait en rase campagne où des terres agricoles s’étendaient à perte de vue. Les paysages défilaient agréablement. Un vaste champ de maïs longeait la route. Il faisait très chaud. La fenêtre de la voiture était ouverte. Les cheveux ballottés par le vent, l’inspecteur James lorgna d’un air malicieux son collègue Ryan.
— As-tu remarqué quelque chose dans nos dialogues avec le sieur Randy ?
— Bien entendu, mon cher ami ! Je suis un enquêteur et je ne suis pas né de la dernière pluie. Yves Nazareth, le grand sage, a omis de nous parler de Randy Dadou. Il ne l’a pas cité une seule fois dans son discours alors que celui-ci travaillait chez lui. Le rapport mentionne que Monsieur Nazareth n’a rien vu et rien remarqué de louche pendant cette journée où un homme a perdu la vie. Je ne peux pas me prononcer pour le moment, mais je trouve la chose assez bizarre. Ne penses-tu pas ?
— En plein dans le mille. Quel plaisir de travailler avec une personne intelligente ! Je suis vraiment ravi que nous ayons la même opinion sur le sujet. On doit rendre visite à ce gentil Monsieur Yves Nazareth. L’inspecteur James Rod regarda du coin de l’œil son collègue Ryan et sourit en portant sa vue au loin, là où la route se perdait à l’horizon…
IV
Le commissaire Jules Roc, un homme costaud et à la force tranquille, arriva très tôt le matin à son bureau. Une pression perpétuelle pesait sur ses épaules. Il s’approchait à grands pas de la retraite malgré son allure athlétique de jeune premier. Les médias le harcelaient continuellement de questions. L’enquête piétinait et on ne pouvait rien leur offrir pour les calmer. Lorsque les deux inspecteurs se présentèrent à leur tour au bercail, le commissaire désira les entendre sur la progression de leurs recherches.
— J’ai absolument besoin d’un rapport bien détaillé sur vos investigations. Je le veux demain matin à la première heure sur mon bureau. Je n’ai que trop attendu. Le patron était en colère de constater que les choses ne bougeaient pas. On devait amadouer les médias et redonner confiance à l’opinion publique. Les deux hommes se jaugèrent du regard et James prit la parole.
— Les problèmes quotidiens que vous endurez en ce moment, commissaire, ne nous laissent pas indifférents. Nous continuons sans relâche à interroger les différents protagonistes. En raison de l’absence d’indices, nous devons entreprendre un travail concluant et perspicace pour dégager une idée franche sur la cause du meurtre de Jean Vincent. L’inspecteur Ryan s’offusquait du comportement des médias. Ils s’obstinaient par la pression à récupérer rapidement et par tous les moyens, des informations sur l’affaire en cours. Il déclara fâcheusement :
— Nous continuons toujours à rechercher les indices et ce n’est pas facile lorsque personne n’a rien remarqué et rien entendu. Le crime demeure sans aucun doute l’œuvre de vrais professionnels. Nous savons qu’ils étaient deux et la seule personne qui aurait pu voir leurs visages n’a pas eu l’occasion favorable qu’on escomptait. Un des meurtriers portait une casquette et les deux hommes avaient réussi à cacher leurs faciès en offrant continuellement leurs dos au vieux résident. Le commissaire déconcerté par ce constat respira un bon coup et souffla bruyamment comme un ballon qui se dégonflait. Il regarda les deux inspecteurs et lança un peu dépité :
— D’accord ! Utilisons les moyens de bord, mais de grâce, avançons rapidement. Il y va de votre carrière. Pour le prestige de notre ville, le meurtre doit être élucidé avant les prochaines législatives qui se dérouleront juste après la présidentielle. Il ne reste pas beaucoup de temps. Alors, au travail ! Les deux compères sortirent du bureau de leur patron un peu déçu de cette rencontre. En cas d’échec, ils devraient payer les pots cassés. Toute l’affaire reposait sur leurs épaules. D’une façon ou d’une autre, ils allaient en pâtir par la pression des médias. Le soleil apparaissait d’une luminosité remarquable, brûlant pour cette première journée de l’été. Les gens avaient ressorti le short. L’inspecteur Ryan glissa sa main dans la pochette de sa chemise courte et extirpa ses lunettes de soleil. Il regarda James et lui demanda gentiment :
— Tu paies le café avant de nous lancer dans la bataille ? Je n’ai pas pris mon porte-monnaie. Je te revaudrai ça plus tard.
James secoua la tête avec un sourire enjoué et s’exclama :
— Le patron du bistrot est un ami. Il te fera crédit mon louveteau. J’ai oublié également le mien sur le piano. Tu parles d’une aubaine. Ryan surpris par les propos de son collègue, répondit d’un air furibond.
— Depuis quand es-tu en possession d’un instrument de musique mon lascar ? Tu te moques de moi, mais tu ne perds rien pour attendre. Ils s’arrêtèrent un moment en cours de chemin pour s’observer. Les yeux étincelants de malice, ils éclatèrent tous les deux d’un rire tonitruant qui s’évapora dans la cohue bruyante de la ville…
Yves Nazareth était un homme de taille moyenne. Il portait une belle cicatrice sur la joue droite à la suite d’un accident de la circulation. Âgé d’une cinquantaine d’années, il avait les cheveux blonds et les yeux d’un bleu azur qui reflétaient le bien-être des gens du Nord. Il n’était pas surpris de voir les deux enquêteurs. Il ouvrit la porte avec un grand sourire tout en invitant les deux hommes à entrer…
— Bonjour Messieurs ! Faites comme chez vous. Que me vaut l’honneur de cette visite ? Bien que je devine un peu la raison de votre passage.
— Je ne doute pas de votre intelligence, Monsieur Nazareth. Nous sommes les deux officiers de police désignés dans l’affaire Jean Vincent, l’homme qu’on a assassiné vendredi dernier. Vous le connaissiez comme le dénommé Randy. Tout en parlant, James Rod continuait à fixer les yeux de Yves Nazareth pour essayer de déceler quelques expressions spontanées sur son visage, un changement de comportement. Celui-ci ne semblait en rien dérangé par la question de l’inspecteur et répondit :
— Vous faites allusion à mon voisin du dessous, le malheureux qu’on a assassiné et qui portait le nom de Jean Vincent. Quant à l’autre, il s’appelle Randy Dadou, un homme honnête et très consciencieux. D’ailleurs, je l’ai fait venir tout récemment pour m’installer une antenne parabolique et me régler le démodulateur…
— Randy aurait pu remarquer quelque chose de louche le jour où Monsieur Jean Vincent était abattu. Il a travaillé pour vous tout l’après-midi, mais vous avez oublié de nous en parler lorsque nous vous avons interrogé.
— Je ne l’ai pas omis volontairement, inspecteur James Rod, mais je n’avais pas songé du tout à mon prestataire de service monsieur Randy Dadou. J’avais essayé de penser le soir du meurtre à quelqu’un d’étranger que personne ne connaissait. D’ailleurs, je ne suis pas le seul client du bâtiment à faire appel à ce bon technicien.
Depuis le début de l’inspection, Ryan ne disait mot. Il écoutait. Les réponses de Yves Nazareth ne contredisaient pas ses paroles pour mettre en cause son honnêteté. Une limpidité découlait dans sa manière d’analyser les choses. Il ne restait plus qu’à prendre congé de leur hôte. Ryan se passa la paume de sa main sur la tête comme à son habitude lorsqu’il se trouvait dans l’expectative en songeant. – C’est le retour à la case départ en attendant de nouvelles configurations. La chance finira bien par nous sourire. La volonté et la perspicacité suscitaient son optimisme pour ne pas sombrer dans les pensées négatives. Ils saluèrent l’homme et sortirent de l’appartement. Dehors, le ciel s’était assombri annonçant de gros orages. La pluie ne fera pas de mal et contribuera à rafraîchir le temps, songea l’inspecteur James Rod en levant la tête pour scruter la voûte céleste…
Le commissaire Jules Roc rongeait son frein. L’enquête piétinait et l’on ne pouvait aboutir à quelque chose de concret concernant la cause réelle de l’assassinat de Jean Vincent. Tout stagnait par manque d’indices. La pression devenait de plus en plus forte et les politiques exigeaient de nouvelles informations sur l’affaire en question. Les médias commençaient déjà à parler de la lenteur des investigations. Les enquêteurs vivaient dans une inquiétude constante. Leur patron les malmenait en sollicitant des résultats rapides. Le commissaire avait les yeux cernés et semblait fatigué par les événements qui tardaient à s’éclaircir. Il toisa d’un regard profond les inspecteurs James et Ryan avant de lancer d’une voix sèche et autoritaire.
— Je suis contraint d’acquérir du nouveau pour calmer la meute de journalistes. Nous n’avons plus le temps de tergiverser. On se doit de progresser sur-le-champ comme l’exige la DGPN (la direction générale de la police nationale) qui se retrouve elle-même sous pression sous l’égide du ministère de l’Intérieur qui s’impatiente. Les élections approchent à tire-d’aile et nous sommes condamnés à la résolution hâtive du drame. Le meurtre doit être élucidé vélocement. On a plus le choix ! Les deux inspecteurs James Rod et Ryan Dean fixèrent des yeux leur patron d’un air surpris, étonné. Ils n’avaient pas de solution. Le visage grave exprimant une profonde angoisse, le grand chef continua :
— On est dans l’obligation de déboucher sur un résultat positif de l’enquête avant les élections. James prit la parole le premier :
— Nous comprenons tout cela, commissaire. Depuis le début de l’enquête, nous nous démenons sans répit pour dénouer cette affaire de meurtre. Hélas ! Nous avançons à tâtons par manque de preuves et d’indices pour mettre fin à cette histoire. L’inspecteur Ryan acquiesça pour appuyer les propos de son collègue James et reprit nerveusement :
— Tout le monde sait que ce n’est pas une partie de plaisir, mais on continue à nous harceler comme si on pouvait dénouer ce drame d’un coup de baguette magique. Les médias doivent baisser d’un ton s’ils veulent que l’on aboutisse à quelque chose. Que l’on cesse de nous pointer du doigt comme des bons à rien pour que nous puissions rester concentrés sur notre travail. Il y va de l’intérêt de tout un chacun. Le commissaire Jules Roc avait écouté sagement les propos de l’inspecteur Ryan. Puis, d’un air très calme, il reprit la parole :
— Ce n’est pas dans mon intention de vous déstabiliser ni de critiquer le manque de réussite dans vos démarches d’investigations. Sachez que je reçois les directives d’en haut pour résoudre cette histoire de meurtre avant le vote des législatives. Des gens haut placés veulent des résultats probants pour accaparer tous les honneurs qui serviraient à pencher la balance des voix de leurs côtés. Je ne fais que répercuter les exigences de ces messieurs. Je n’ai pas le choix bien que souvent j’aie envie de tout abandonner pour retrouver un peu de sérénité. Les choses étaient dites. Parfois, on considère les gens comme des pions que l’on peut déplacer à sa guise.
Les deux inspecteurs James et Ryan saluèrent le commissaire aimablement et sortirent du bureau. Une complicité tacite et un respect mutuel s’étaient établis entre eux. Ryan tout en se dirigeant vers la porte qui donnait sur l’extérieur héla son collègue James :
— Le patron est un brave type et je regrette un peu d’avoir élevé la voix. Je n’aurais pas dû l’agacer de cette manière. Notre commissaire est un homme sage et bien gentil. On se trompe souvent sur les gens même si on les côtoie régulièrement. C’est une leçon de vie qui nous pousse à réfléchir au préalable pour éviter de nous emporter. On se doit de ne pas précipiter les choses négatives avant de connaître les pensées de l’autre. Finalement, je l’apprécie beaucoup et je n’ai pas honte de dire que je l’aime bien. L’inspecteur James avait écouté avec intérêt les propos de son collègue Ryan puis passa la pomme de sa main sur ses cheveux avant de lancer avec dérision sur un ton assez insolite :
— Mais il a des remords le Coco ! Un drôle de volatile. Continue ainsi et tu vas certainement me faire pleurer. Je ne te savais pas si docile Coco, tu m’impressionnes avec tes ramages aigres-doux. L’inspecteur Ryan n’apprécia pas la réaction ironique de son ami James. Il secoua la tête en signe de désapprobation et pensa comme à son habitude. Legrand Dadais se paie ma gueule, il me prend vraiment pour un comique. Il ne perd rien pour attendre, je lui rendrais bien volontiers la monnaie de sa pièce à ce pauvre clown ! James en mit une autre couche :
—