Kalimat - Mélanie Gordon - E-Book

Kalimat E-Book

Mélanie Gordon

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Beschreibung

Partez à la rencontre de seize protagnistes pour seize nouvelles diférentes, nées de rencontres, de sensations et d'anecdotes du quotidien, mais surtout du besoin grandissant de s'exprimer avant de pouvoir passer à autre chose.

Seize nouvelles. Seize arrêts sur image le temps de donner la kalimat, la parole, à seize protagonistes différents par leurs âges, leurs origines, leurs vécus, leurs histoires, et leurs phases de vie.
Seize. Ils sont seize. Chacun d’eux a besoin de s’exprimer, de dire ce qu’il a à dire avant que la vie ne reprenne son cours.
Seize textes inspirés par des gens croisés au hasard, par une odeur, une sensation, ou une anecdote racontée le temps d’un thé partagé.
Seize, c’est le numéro atomique du soufre. Certains de ces protagonistes prennent la parole pour crier leur douleur et moins souffrir, d’autres pour reprendre leur souffle avant de repartir.
Seize, c’est également quatre puissance quatre. Un carré parfait. Parfaites, ces nouvelles ne le sont pas, car les protagonistes ne le sont pas. Ils sont bourrés de défauts, remplis d’émotions, de blessures, de fêlures. Ils sont tout simplement humains.
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite, quoique... Les émotions qu’ils ressentent et expriment, existent indéniablement en chacun d’entre nous.

Un recueil de seize nouvelles inspirées, ayant chacune pour sujet un personnage terriblement imparfait, avec ses défauts, ses émotions, ses blessures et ses fêlures.

EXTRAIT

Je n’ai quasi pas mangé en fait. J’ai dû servir mon cousin, lui amener à boire, le resservir, nettoyer ce qu’il avait renversé, aller donner à manger aux poules à sa place… Mes oncles et mes tantes, mes grands-parents, ils n’ont rien dit. Pire, ça les a fait rire, ce grand cousin qui taquine le petit, ils trouvent ça mignon. Mignon ? Sérieux ?
À la fin du repas, mon cousin m’a attrapé par le bras et il a serré si fort que j’en ai eu les larmes aux yeux, surtout ne pas pleurer, il aurait été trop content. Il s’est approché tout près de mon oreille et m’a sifflé ses ordres en chuchotant. Et j’avais intérêt à faire ce qu’il me disait, sinon… Sinon ? Je ne sais même pas en fait, il n’a pas eu besoin de finir sa phrase.
Alors j’ai fait comme il a dit. Je suis monté sur la terrasse pour la balayer. Les terrasses chez nous au bled, elles sont sur le toit et c’est tout plat, c’est fait exprès. Quand les nuits sont très chaudes, on dort sur la terrasse, sous les étoiles. Cette nuit, il allait faire encore très chaud, et comme la terrasse n’est pas très grande et qu’on ne peut pas tous y dormir, mon cousin m’a ordonné d’aller lui préparer le meilleur coin et d’y installer son matelas et son drap. Comme ça, lui au moins, il était certain de dormir au frais.
J’ai fait comme il a dit. J’ai nettoyé les feuilles et la poussière, j’ai monté son matelas et son drap, j’ai tout installé exactement comme il voulait. Et puis, je me suis dit qu’il était temps. Que je devais remettre les choses à leur place. Que je devais lui montrer de quoi j’étais capable. Que je devais lui faire comprendre que je n’étais pas un rat, un moustique, une mouche, mais que je pouvais lui en donner s’il voulait… juste pour qu’il comprenne la différence…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Mélanie Gordon est ingénieure en communication et conteuse professionnelle. Elle aime la richesse de la nature humaine. Passionnée de mots et d’histoires, les textes qu’elle propose sont des instantanés, de brefs moments décrits comme ils viennent, avec brutalité parfois, poésie, tempête ou tendresse.

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Mélanie Gordon

Kalimat

nouvelles d’ici et d’ailleurs

À mes boys

« Faudra que je lave mes rideaux, y’m salissent tout le soleil. »

–Sagesse d’ivrognesse

« Va aux champignons comme si tu étais un champignon. »

–Parole d’ivrogne

Merci…

Merci à Catherine pour la relecture, les corrections et les échanges.

Merci à Leha pour Ishar, l’illustration de la page de couverture (Cocobilly© tous droits réservés).

Merci à Sonia, Chantal & Céline, elles savent pourquoi.

Merci à une petite fille assise dans un grand fauteuil bleu et qui gratouille le flanc d’une licorne.

Merci +++ à un caméléon paresseux (ou à un paresseux caméléon, c’est selon).

Merci à HH car tout est parti de là.

Vacances au bled

Tous les étés c’est pareil ! Mes trois sœurs et moi on part seuls, rejoindre la famille restée au bled. Nous, on habite à Paris, enfin, en banlieue hein, évidemment. Mes parents sont les seuls à avoir quitté le bled pour la France et ils travaillent à l’usine. Et comme ils n’ont pas de vacances en été, ils nous envoient au bled.

J’adore le bled ! C’est la liberté ! Courir pieds nus, marcher dans les champs, tondre les moutons, les voisins, la famille, tout le monde se connaît.

Rien à voir avec Paris. Dans la banlieue en plus, il ne faut vraiment pas faire les malins, il y a toujours des grands qui cherchent la bagarre, qui nous rackettent, nous poussent, nous jettent par terre. Mes sœurs se font souvent houspiller et moi je les défends au mieux. Notre banlieue, elle craint, surtout la nuit.

Au bled c’est vraiment différent, c’est chez nous en fait, ça parle fort, ça rit, les poules courent partout, ça sent les épices, les herbes, il y a des tas de couleurs. Même le thé à la menthe il a un autre goût ici. J’adore passer mes vacances au bled et je pourrais y passer ma vie. Le bled, j’adore ! Mais mon cousin, je le déteste.

Mon cousin c’est le plus grand de nous tous. Il a 17 ans. Moi, je n’ai que huit ans. Pour lui, je ne suis rien d’autre qu’un rat, un moustique, une mouche, un truc qui l’enquiquine, qui lui tourne autour et qu’il aimerait bien écraser. Je sais, il me le dit sans arrêt. Il passe son temps à me donner des claques dans la nuque, mais sèches et sonnantes hein, les claques. Et il me pousse fort, quand on marche, juste pour le plaisir. Il me donne des coups de coude puissants qui m’envoient contre le mur. Ça le fait marrer. Moi pas. Il se moque aussi de moi pour tout. Parce que je ne suis pas très grand et plutôt maigre, que j’ai toujours une voix de fillette et que j’ai souvent un livre à la main. Tout ce que je dis, tout ce que je fais, rien ne va. Il est toujours sur mon dos. Je le déteste.

En plus, aujourd’hui il m’a vraiment pris pour son esclave ou quoi ? J’ai dû nettoyer ses chaussures, plein de crottin de cheval, j’ai dû aller chercher le ballon qu’il a fait exprès d’envoyer dans les ronces, j’ai dû porter ses affaires… Bref, la journée a été terrible, elle a duré une éternité, le soir a mis un de ces temps à arriver !

Le soir, on mange toujours tous ensemble. Mes tantes et ma grand-mère préparent le repas dans la cuisine, en riant, en se racontant « des trucs de bonnes femmes » comme dit mon grand-père en me faisant un clin d’œil. Mes sœurs, les autres et moi on joue, on se chamaille, on lit à la lueur du feu, pendant que mes oncles et mon grand-père discutent « des affaires des hommes » comme dit toujours ma grand-mère en passant sa main toute ridée, mais si douce, dans mes cheveux. Et quand c’est prêt, alors ma grand-mère lance un « hana wakt el acha !», qui signifie « à table ! » dans la langue du bled et on peut tous manger. Enfin !

Je n’ai quasi pas mangé en fait. J’ai dû servir mon cousin, lui amener à boire, le resservir, nettoyer ce qu’il avait renversé, aller donner à manger aux poules à sa place… Mes oncles et mes tantes, mes grands-parents, ils n’ont rien dit. Pire, ça les a fait rire, ce grand cousin qui taquine le petit, ils trouvent ça mignon. Mignon ? Sérieux ?

À la fin du repas, mon cousin m’a attrapé par le bras et il a serré si fort que j’en ai eu les larmes aux yeux, surtout ne pas pleurer, il aurait été trop content. Il s’est approché tout près de mon oreille et m’a sifflé ses ordres en chuchotant. Et j’avais intérêt à faire ce qu’il me disait, sinon… Sinon ? Je ne sais même pas en fait, il n’a pas eu besoin de finir sa phrase.

Alors j’ai fait comme il a dit. Je suis monté sur la terrasse pour la balayer. Les terrasses chez nous au bled, elles sont sur le toit et c’est tout plat, c’est fait exprès. Quand les nuits sont très chaudes, on dort sur la terrasse, sous les étoiles. Cette nuit, il allait faire encore très chaud, et comme la terrasse n’est pas très grande et qu’on ne peut pas tous y dormir, mon cousin m’a ordonné d’aller lui préparer le meilleur coin et d’y installer son matelas et son drap. Comme ça, lui au moins, il était certain de dormir au frais.

J’ai fait comme il a dit. J’ai nettoyé les feuilles et la poussière, j’ai monté son matelas et son drap, j’ai tout installé exactement comme il voulait. Et puis, je me suis dit qu’il était temps. Que je devais remettre les choses à leur place. Que je devais lui montrer de quoi j’étais capable. Que je devais lui faire comprendre que je n’étais pas un rat, un moustique, une mouche, mais que je pouvais lui en donner s’il voulait… juste pour qu’il comprenne la différence…

Je suis descendu dans la ruelle juste derrière la maison, j’ai pris un bâton et j’ai fouillé un peu dans un tas de détritus, il me semblait en avoir vu un gros dans ce coin l’autre jour, pas encore tout à fait mort. Peut-être qu’il l’était maintenant. J’ai dû soulever plusieurs cartons moisis, et il était là, juste dessous. Énorme. Les yeux vides, les pattes raides, sa longue queue toute pendante. Il était gris sale, presque noir. Parfait, il était parfait ! J’ai planté le bâton en travers de son corps sans vie, puis, le tenant comme un poisson que je venais de pêcher, je suis passé discrètement par la cuisine emprunter un couteau et je suis remonté silencieusement sur la terrasse.

Je me suis agenouillé vers le matelas de mon cousin et j’ai plié son drap tout comme il faut, comme un petit paquet que j’ai mis au milieu du matelas. Sur le drap plié, j’ai déposé la bête. Avec le couteau, j’ai tranché le ventre, de haut en bas, comme un chirurgien, d’un seul coup, aussi net et précis qu’un scalpel. Et avec le bâton j’ai sorti tout le contenu, estomac, intestin, rate, foie… J’ai tout étalé sur le matelas. Y’avait une de ces odeurs, c’était immonde.

Je me suis relevé et j’ai reculé de quelques pas.

Posé sur la terrasse impeccablement nettoyée, le matelas de mon cousin était tartiné d’une sorte de mélange de sang et d’organes. Et les mouches et les moucherons s’en régalaient et s’en délectaient.

Et au centre du matelas, sur le drap plié, gisait, tel un roi renversé, détrôné, la bête : un rat éventré.

Après ça, mon cousin ne m’a plus jamais embêté. Je crois qu’il a été pas mal impressionné. Moi aussi j’avoue. Et croyez-moi ou pas, mais j’ai grandi d’un coup cet été-là !

Et je n’ai qu’une dernière chose à dire : le bled j’adore !

Guerrière Royale

Aujourd’hui c’est décidé, je serai une Guerrière Royale ! Déjà, je me suis réveillée dix minutes avant la sonnerie du réveil. Dix minutes ! J’ai dix minutes pour traînasser dans mes draps chauds et me poser les questions existentielles du jour : qu’est-ce que je vais mettre ? Jeans ou jupe ? T-shirt ou pull ? Est-ce que je me lave les cheveux ? Je les attache ou les laisse en bas ? Maquillage léger ou naturel ? Je ne me maquille quasi jamais, alors que vont dire mes amies si elles me voient avec du mascara et un peu de gloss ? Vont-elles se douter qu’aujourd’hui je suis une guerrière et que je n’ai peur de rien ? Ai-je besoin de le montrer sur mon visage ? Vraiment ? Bon ok, jean, mon t-shirt de Guerrière Royale qui déchire, cheveux lavés, détachés, pas de maquillage. Le réveil sonne. Parfait. Hop debout.

Me doucher, m’habiller, prendre mon petit déjeuner, nourrir les poissons, fermer mon sac, faire un bec à maman, ne pas claquer la porte en sortant mais la refermer doucement. Aujourd’hui tout s’enchaîne. Aujourd’hui je suis une Guerrière Royale.