L’affaire de Dunson College - Pierre Nuss - E-Book

L’affaire de Dunson College E-Book

Pierre Nuss

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Beschreibung

André Lanois est un enseignant de droit européen à Dunson College Strasbourg, un des programmes étrangers de l’université mère de Louisville, au Kentucky. Il se retrouve plongé dans une enquête ténébreuse lorsque des décès suspects touchent ses étudiants. Déterminé à percer le voile du mystère, il engage des investigations pleines de risques, déchiffrant des indices obscurs et affrontant des menaces mortelles. Chaque révélation le rapproche du danger et de la vérité enfouie dans cette étrange affaire…


À PROPOS DE L'AUTEUR

Pendant une quinzaine d’années, Pierre Nuss a enseigné le droit européen dans l’antenne strasbourgeoise d’une université américaine. En 2005, il a été fait Colonel du Kentucky par le gouverneur Ernie Fletcher. Son écriture est influencée par les œuvres d’Agatha Christie et de P.D. James. L’affaire de Dunson College est son cinquième roman policier.

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Pierre Nuss

L’affaire de Dunson College

Roman

© Lys Bleu Éditions – Pierre Nuss

ISBN : 979-10-422-3106-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Meurtre au Festirock, Éditions des Écrivains, 2002.

André Lanois, musicien amateur, accompagné de son garçon Gabriel, jeune guitariste prometteur, se rend au festival où il retrouve son ami François, responsable des tables de mixage. Au cours du concert auquel assistent André et son fils, le frère de François est assassiné. Sur fond de musique des grandes légendes du rock, et grâce à son jeune garçon, André Lanois va mener sa propre enquête et n’aura de cesse d’élucider l’incroyable mystère du Meurtre au Festirock.

Meurtre au notariat, Éditions Jérôme Do Bentzinger, 2004.

Maître Louis Vetter est retrouvé mort, noyé dans le puits qu’il a construit lui-même dans le jardin de sa propriété. L’enquête sur cette mort inexplicable et particulièrement horrible, menée par le commissaire Thierry Kœnig, s’annonce difficile. Qui a bien pu vouloir supprimer ce notable sans histoires ? Son épouse Isabelle, son frère ou sa belle-sœur, les employés de son étude, un client de celle-ci, un confrère ou encore des personnes liées aux précédentes ? L’énigme trouvera une réponse grâce à l’enquête parallèle qu’effectue le meilleur ami de la victime, André Lanois.

Un temps pour aimer et un temps pour haïr, Éditions Florian, 2004.

Placé malgré lui au cœur d’une intrigue policière, André Lanois se voit confier par des responsables de la paroisse protestante de Molsheim la délicate mission de faire la lumière sur la mort affreuse de la doyenne de la petite communauté paroissiale de la cité Bugatti. Une suite de meurtres odieux va frapper ce microcosme où André Lanois découvrira, au péril de sa vie, un monde insoupçonné fait à la fois de terribles secrets et de rancœurs profondes en même temps que de bonté et d’humanité. Amour et haine se conjuguent dans ce roman où André Lanois et le commissaire Thierry Kœnig parviendront à faire triompher la surprenante vérité.

L’énigme du rocher du faucon, Éditions Florian, 2005.

Une ravissante jeune fille de Grendelbruch sollicite André Lanois au sujet d’une lettre anonyme. Intuitif et méthodique comme à l’accoutumée, le détective de Molsheim évolue avec aisance parmi notables et villageois au cours de son enquête qui prend une dimension inattendue où ressurgissent de vieux secrets. Dans cette histoire, des personnages féminins irrésistibles ou émouvants croiseront la route de Lanois qui finira par comprendre comment le génie du mal a tracé un funeste labyrinthe. Avec son ami le commissaire Kœnig, ils ne seront pas trop de deux pour résoudre, au carrefour de destins brisés, L’énigme du rocher du faucon.

À mes héros de toujours : Ringo Kid, Sean Thornton,

Ethan Edwards, Tom Doniphon et tous les autres…

Cette histoire est une pure fiction. Toute similitude ou ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé serait fortuite et pure coïncidence.

Prologue

Racines

Le nouveau monde. L’Amérique. Les États-Unis. André Lanois en avait toujours rêvé. Aussi loin que remontait sa mémoire, le pays de l’Oncle Sam1 avait fait partie de ses rêves.

C’est avec l’État du Kentucky que Lanois fut amené à tisser un lien indéfectible avec les États-Unis d’Amérique. Quinzième État à entrer dans l’Union en mille sept cent quatre-vingt-douze, le Kentucky entra dans la vie d’André Lanois en deux mille quatre. Depuis lors, en effet, le limier français prodiguait un enseignement de droit international pour une université de cet État américain et ce à une vingtaine de kilomètres seulement de chez lui ! C’est que l’université américaine de Dunson College2 fondée en mille huit cent vingt et un développait aussi divers programmes à l’étranger dont un en France, à Strasbourg. André Lanois était professeur de droit de métier, mais son attrait pour les romans policiers lui avait fait sauter le pas, il y avait quelques années de cela, pour devenir aussi détective privé. Il ne considérait pas cette activité dans laquelle il était entré par hasard comme une profession, mais comme une sorte de divertissement de l’esprit. Son goût pour la justice ainsi que sa propension à la logique l’avaient porté à se consacrer de temps à autre à des affaires criminelles. Le volume réduit de ses heures de cours lui en laissait heureusement le temps. Dans sa bonne ville de Molsheim3, distante d’une vingtaine de kilomètres de Strasbourg, et un peu au-delà, ses amis et quelques connaissances étaient au courant de ce violon d’Ingres. Cette particularité suffisait à faire remonter vers lui quelques affaires qu’il se payait le luxe de sélectionner soigneusement. Et puis son ami, le commissaire de police Thierry Kœnig, avait toujours encouragé son intérêt pour les énigmes policières. Les deux hommes ne se privaient d’ailleurs pas de se consulter réciproquement pour s’entraider.

Dunson College était une petite université privée qui accueillait moins de deux mille étudiants dans son fief de Louisville, la plus grande ville du Kentucky située au nord de l’État le long de la rivière Ohio. On y enseignait les libéral arts4 et on le faisait à tel point bien que Dunson College était parvenu à se hisser dans le peloton de tête des meilleures universités de ce type aux États-Unis, classement remarquable eu égard au nombre et à la qualité des universités outre-Atlantique.

Les clefs de ce succès alliaient tradition et modernité.

D’abord le fait que l’institution soit bientôt doublement séculaire tendait déjà à prouver sa valeur par cette seule pérennité. Ensuite Dunson College était ouvert aux connaissances et au monde. L’on y enseignait aussi bien le droit que la musique, les langues que l’histoire, la littérature que la poterie d’art. Sur le logo de l’école, au-dessus des colonnes sudistes emblématiques des bâtiments du campus éclairées par les rayons du savoir, était gravée en lettres d’or la devise qui résumait en quatre mots l’ambition de l’endroit : Labor omnia vincit improbus5 pouvait-on y lire dans la langue des érudits. À Dunson College, on invitait des enseignants et des conférenciers du monde entier et durant leur cursus long de quatre années les étudiants avaient l’occasion de suivre des sessions d’enseignement hors des États-Unis dans les antennes extérieures de l’université situées dans divers endroits du globe dont Strasbourg en France.

Située à l’est de la France, à proximité immédiate du Rhin qui prend sa source en Suisse et qui dessine la frontière naturelle entre la France et l’Allemagne, Strasbourg possède une histoire bimillénaire. Dunson College s’y était fixé au début des années mille neuf cent quatre-vingt-dix grâce à l’idée novatrice de professeurs visionnaires épris de culture française en particulier et européenne en général. L’unité de la capitale de l’Alsace recevait depuis lors deux fois par an plus d’une vingtaine d’étudiants, de la mi-février à la mi-mai et de la mi-septembre à la mi-décembre. Ceux-ci se succédaient dans les salles du troisième étage de l’immeuble du centre-ville louées à cet effet et d’où l’on apercevait le haut de la splendide cathédrale gothique construite entre onze cent soixante-seize et quatorze cent trente-neuf6 qui, avec sa flèche culminant à cent quarante-deux mètres, fut pendant plus de deux siècles, la plus haute tour du monde7.

L’université du Kentucky y employait trois professeurs locaux ainsi qu’une coordinatrice chargée de toute la logistique du programme. Afin de faire bénéficier au maximum les étudiants américains de leur expatriation temporaire à Strasbourg, Dunson College y avait mis sur pied des cours en rapport avec cette ville française chargée d’histoire et siège de plusieurs institutions européennes8. Des cours de français bien sûr, dispensés par Astrid Himber, associée au programme depuis le début. Molly Lapomme, la dernière venue, donnait quant à elle un cours d’histoire de l’art. André Lanois avait rejoint Dunson College Strasbourg un peu avant elle et avant que Lindsay Johnson, la nouvelle coordinatrice, ne complète l’équipe. Lanois y délivrait un enseignement de droit international centré sur les institutions européennes ainsi que sur les droits de l’Homme. Une fois par an, parfois deux fois, un professeur de l’université mère américaine prenait la direction de l’équipe de Strasbourg où il enseignait également en fonction de sa spécialité. Directeur et étudiants logeaient à Strasbourg dans des appartements loués par l’université et dans quelques familles d’accueil.

La langue de travail était donc l’anglais, ce qui ne gênait pas Lanois, bien au contraire. Cela avait été un « challenge » de plus à relever et il aimait les défis. L’idée de faire cours dans la langue de Shakespeare l’avait d’ailleurs immédiatement séduit. L’anglais avait été sa première langue vivante, choisie dès la sixième. Cette préférence du jeune Lanois tenait au fait que, l’autre langue traditionnellement enseignée en Alsace étant l’allemand, il avait considéré que suivre des cours d’allemand à partir de la quatrième seulement était bien suffisant. En effet, sa langue maternelle était l’alsacien, dialecte d’origine germanique, et il regardait la télévision allemande depuis sa prime jeunesse. Il en résultait qu’il avait, sans avoir jamais pris de cours, un niveau d’allemand aussi bon que celui de jeunes uniquement francophones entrant au lycée et ayant fait de l’allemand depuis la fin du primaire ! Et puis Lanois avait toujours aimé l’anglais. C’était la langue des westerns de son enfance et du rock de son adolescence. Du rock, il en jouait depuis plus de trente ans sur ses claviers et surtout il aimait aussi le chanter que ce soit en français ou, précisément, en anglais. Lanois se souvenait que feu sa professeure d’anglais de lycée lui avait conseillé de choisir un métier en rapport avec les langues. Plus de vingt ans après, son élève suivit donc son conseil grâce à Dunson College. Il pratiquait désormais l’anglais presque au quotidien, affermissant toujours davantage la maîtrise de cette langue qu’il ne considérait plus comme étrangère.

Si André Lanois avait rejoint Dunson College avec enthousiasme après avoir enseigné à l’université française, c’était pour plusieurs raisons. D’abord parce que grâce aux moyens dont disposent les universités américaines on pouvait y travailler correctement c’est-à-dire avec des effectifs réduits impliquant un enseignement quasi personnalisé que l’on pouvait illustrer de toutes les manières utiles. Mais ensuite et surtout parce que le facteur humain était ici au centre des préoccupations : l’étudiant n’était pas un numéro ingurgitant l’enseignement d’un autre numéro. André Lanois sut immédiatement que Dunson College serait un endroit où il allait être à l’aise : d’une part parce que ce qui comptait ici ce n’était pas seulement ce que l’on savait, mais aussi ce que l’on était, et d’autre part parce que l’important n’était pas seulement de transmettre le savoir, mais surtout de savoir le transmettre. Lanois était convaincu que partager un savoir ne pouvait se faire qu’avec enthousiasme. Il fallait le faire en étant animé de l’amour des autres avec qui l’on désire partager des connaissances. Il fallait le faire en sortant du pré carré de sa spécialité, mais en faisant feu de tout bois. Il fallait le faire pour ouvrir les esprits et aiguiser le sens critique. Tout cela était fondamental aux yeux de Lanois et c’était ce que Dunson College recherchait.

Et puis André Lanois se sentait proche des États-Unis. Il l’avait toujours été et le revendiquait.

Pourtant, il n’y avait pas plus alsacien que le professeur de droit et détective privé à ses heures, amoureux de son terroir coincé entre la Forêt-Noire allemande et la ligne bleue des Vosges française. Dieu sait s’il y était attaché, à la province qui l’avait vu naître par une froide nuit de février. Il se flattait d’être de ceux qui savaient encore parler la langue de ses ancêtres héritée de ces lointaines peuplades, les Alamans et les Francs, venues coloniser cette plaine verdoyante entre les quatrième et cinquième siècles de notre ère.

Comme tant d’autres, sa famille avait forgé l’histoire tragique de l’Alsace, déchirée entre réalité allemande et choix français. Nombre de ses enfants étaient tombés en particulier lors des deux dernières guerres mondiales, parfois pour l’Allemagne, parfois pour la France. Un peu comme dans ce lointain Kentucky, officiellement neutre durant la guerre de Sécession, mais où dans une même famille certains fils combattirent pour le Nord, d’autres pour le Sud.

Car ces soldats alsaciens, en fonction de la génération à laquelle ils appartenaient, perdirent la vie sous un uniforme qu’ils n’avaient pas nécessairement choisi.

Ainsi l’arrière-grand-père maternel de Lanois mourut pour l’Allemagne, quelque part en Pologne, dans les premiers mois de la guerre de mille neuf cent quatorze. Pourtant ses parents, nés tout comme lui en Alsace, étaient venus au monde en France, car l’Alsace était devenue française sous Louis XIV, en seize cent quarante-huit. Mais elle redevint allemande après la défaite française de mille huit cent soixante et onze contre la Prusse. Jacques Kaercher qui naquit après cette annexion était donc logiquement devenu soldat allemand. Lanois entendait encore les récits émus de sa grand-mère qui avait pleuré son père alors qu’elle avait à peine huit ans, avant que de perdre à la fin du conflit sa mère, cette veuve de guerre qui mourut à la Libération en mille neuf cent dix-huit des privations répétées auxquelles elle avait consenti pour élever seule ses six enfants.

D’autres, en revanche, comme l’oncle paternel de Lanois, n’avaient rejoint l’armée allemande que contraints et forcés. Son oncle René était né Français après le rattachement de l’Alsace à la France en mille neuf cent dix-huit, mais il fut enrôlé de force dans la Wehrmacht9 à dix-huit ans pour être envoyé sur le front russe. Son crime, ainsi que celui de sa famille, fut d’avoir aidé un prisonnier français échappé. Par maladresse – ou suite à une délation ? – il fut arrêté et passé à tabac par la sinistre Gestapo10. Lanois se souviendrait toujours de sa grand-mère paternelle lui racontant qu’elle était allée chercher son fils dans le camp11 où il avait été interné et avait revu son enfant battu et apeuré. Devant les policiers du Reich12 ricanant, elle avait vivement réprimandé celui qu’elle aimait tant, lui faisant jurer qu’il n’était pour rien dans cette histoire et elle alla, pour le sauver, jusqu’à le gifler devant ses tortionnaires. Si les nazis le libérèrent, cela fut sous condition expresse qu’il rejoignît l’armée allemande, sur le front Est, là où étaient toujours envoyés les Alsaciens que les Allemands ne voulaient pas voir déserter à l’Ouest… Le grand-père de Lanois pressa son fils aîné de s’enfuir, mais le jeune homme connaissait le prix d’une telle fuite : le passage par les armes si l’occupant le retrouvait et surtout la déportation en camp de concentration de sa famille. Il partit donc pour ne plus jamais revenir. L’État français de collaboration dit « l’État de Vichy » accepta ainsi l’enrôlement de force de cent trente mille jeunes garçons d’Alsace-Moselle13 dont quarante mille ne revirent jamais leurs foyers, en contradiction du traité d’Armistice signé en mille neuf cent quarante, des conventions internationales de La Haye et de toute logique nationale de la part d’un État qui prétendait incarner les valeurs patriotiques. René Lanois mourut en Ukraine ou en Biélorussie probablement dans un camp soviétique sous un uniforme qui n’était pas le sien et dans un pays auquel il ne voulait aucun mal. Victime de la peste et du choléra qu’étaient alors le nazisme et le communisme. Ses parents gardèrent toujours l’espoir, sinon de le revoir un jour, du moins d’avoir des nouvelles fiables de ce qui lui était arrivé, mais la guerre froide empêcha ce rêve fou de se réaliser. D’ailleurs dans la France d’après-guerre qui se souciait de ces « traîtres » qui avaient combattu pour l’Allemagne honnie ? Certainement pas une bonne partie de la classe politique française qui voyait en l’Union soviétique un paradis dirigé par un philanthrope du nom de Staline auquel nombre de poètes et autres « intellectuels » chantaient des louanges avec des trémolos dans la voix.

Oui, les Alsaciens connaissaient le prix de la guerre entre l’Allemagne et la France. Les vicissitudes de l’histoire avaient élevé dans cette province française des monuments aux morts uniques en France, mentionnant non pas le fameux « Morts pour la France » national, mais le « À nos morts » local14. Comme le professeur de droit européen Lanois l’expliquait à ses étudiants, c’était du fait de cette histoire singulière de l’Alsace, ballottée entre France et Allemagne au cours de trois guerres successives entre mille huit cent soixante-dix et mille neuf cent quarante-cinq, que Strasbourg abritait des institutions européennes de premier plan. Sans réconciliation franco-allemande la construction de l’Europe eût été impossible.

Mais l’Alsace d’André Lanois, ce n’était pas qu’une terre de drames. C’était aussi une savoureuse gastronomie, des vins dorés, des eaux-de-vie transparentes et parfumées, un théâtre aussi truculent que sa langue et les fameuses maisons à colombages encore parfois surmontées d’un énorme nid accueillant les cigognes, symboles de ce territoire où elles élisaient volontiers domicile. Celle qui fut longtemps la plus petite des vingt-deux régions françaises15 – presque treize fois plus petite que le Kentucky, mais pour presque moitié moins d’habitants seulement – pouvait aussi s’enorgueillir d’avoir donné naissance à quatre prix Nobel16 et à un pape17.

Oui, alsacien, Lanois l’était, et fier de l’être, il le serait toujours. Ses racines étaient là et bien là.

En France

Car il n’y avait pas plus français que le détective privé alsacien. Ah, l’art de vivre à la française, le raffinement, Versailles, l’Empereur… Français, André Lanois l’était jusqu’au bout des ongles. Il était de cette rayonnante culture qui de Voltaire à Zola savait dire non à l’obscurantisme. Il brûlait de la flamboyance des grognards de Napoléon, préférant mourir plutôt que de se rendre à la perfide Albion18. Il respirait de la liberté arrachée dans le sang de l’Histoire comme pour en rappeler à jamais le prix. Lanois était un verseau : un passionné, un idéaliste épris de justice et de liberté pour lui, mais aussi pour les autres. Au cours de sa longue et passionnante histoire, la France avait été en guerre avec quasiment tous les pays à de très rares exceptions près, dont les États-Unis d’Amérique. Au contraire. Louis XVI aida la future nation américaine à gagner sa liberté et l’Amérique ne l’avait pas oublié. Ce n’est pas par hasard que Louisville porte le nom du roi de France19. Les officiers américains ne l’avaient pas davantage effacé de leur mémoire si l’on en croit le fameux « Lafayette, nous voilà ! » lancé sur la tombe du général français le quatre juillet mille neuf cent dix-sept20.

La France non seulement est riche d’un passé glorieux, mais elle semble bénie des dieux. Elle bénéficie d’un climat tempéré, de façades maritimes diversifiées, des plus hautes montagnes d’Europe, d’une agriculture abondante. Depuis longtemps la cuisine y a été érigée en art et lorsqu’un Français se met à table ce n’est pas tant pour manger que pour y célébrer une communion des sens. La galanterie21 et la politesse y survivent encore çà et là. On y cultive encore le plaisir de parler la langue de Molière et les Immortels de l’Académie française22 y travaillent depuis Louis XIII au rayonnement du français. Et puis le Français est un éternel insatisfait, un râleur, un incontrôlable. À ses nouveaux étudiants, le professeur Lanois expliquait ainsi invariablement que si les Américains avaient gardé la même Constitution depuis mille sept cent quatre-vingt-sept, la France en avait changé quinze fois depuis cette époque, faisant l’expérience de tous les types de régimes que ce soit au sens politique ou juridique, sans compter trois révolutions… Et puis dans ce pays aux traditions multiples encore vivaces où les vestiges architecturaux témoignent d’une abondante richesse historique, on construit les plus grands paquebots du monde, on circule dans les trains les plus rapides de la planète et on pouvait encore récemment y voler au-dessus de l’Atlantique à la vitesse d’une balle de fusil, tranquillement installé à déguster les mets les plus raffinés accompagnés du meilleur champagne dans ce qui restera comme le plus bel avion commercial de tous les temps.

Oui, français, Lanois l’était, et fier de l’être, il le serait toujours. Ses racines étaient là et bien là.

Mais il y avait aussi les États-Unis.

L’Amérique faisait corps avec Lanois. Le drapeau américain flottait sur ses souvenirs d’enfant. Dans la fumée des feux de camp indiens qui s’élevait dans les cieux au rythme des chants exaltant la Nature source de vie. Dans la poussière des charges héroïques des tuniques bleues fonçant dans les décors grandioses de l’Arizona. Dans l’enfer des plages normandes où tant de « Ricains » moururent un matin où tant de Français n’avaient pas été23. Dans le site glacé de la Mer de la tranquillité où les astronautes Armstrong et Aldrin avaient fait leurs célèbres petits pas pour l’humanité. Tous ces héros-là furent aussi ceux de Lanois. Le jeune garçon qu’il avait été avait grandi à l’ombre de la force tranquille de John Wayne, de la virtuosité d’épéiste de Guy Williams24, de l’explosive puissance de Sylvester Stallone. Oui, Lanois avait toujours aimé les États-Unis, ce pays où cette Liberté qui était née dans son Alsace natale illuminait de sa torche les espoirs de ceux qui voulaient renaître à sa bienfaisante lumière25. Grand fan de Michel Sardou, le musicien et chanteur Lanois aimait aussi les sons qui s’échappaient de ce grand pays. Du blues au bluegrass, du rock and roll au hard rock, du boogie-woogie au dixieland. Gershwin, Jerry Lee Lewis et Ray Charles parlaient au pianiste qu’était Lanois. Elvis Presley, Dean Martin, ZZ top et Michael Jackson aussi. Le cinéma américain n’était pas étranger au goût de Lanois pour l’Amérique. Cet amateur de comique gardait au fond de son cœur une tendresse particulière pour l’Anglais Stan Laurel et l’Américain Oliver Hardy. Et puis, comme tant d’autres, l’admirateur du beau sexe qu’il était ne parvenait pas à oublier les belles de Hollywood. Liz Taylor en reine d’Égypte n’avait pas ensorcelé que César et Marc-Antoine, l’adolescent André Lanois aussi avait succombé pour toujours à cette beauté inaccessible. Enfin il y avait la blonde la plus célèbre du vingtième siècle, celle avec qui tant d’hommes auraient rêvé de prendre la place de Tony Curtis sur le canapé de Certains l’aiment chaud lorsque l’incandescente Marilyn tente de ressusciter la flamme du désir de ce dandy prétendument insensible aux charmes féminins…

Oui, indéniablement ce pays faisait partie de Lanois. Cet Alsacien, ce Français pure souche, avait encore assez de place en lui pour accueillir cette culture-là. Ce typique produit de la vieille Europe aimait la simplicité dont savaient faire preuve les Américains. Ces gens-là aimaient leur drapeau comme lui aimait encore le sien. Ces citoyens-là étaient chatouilleux quant à leurs libertés publiques comme cet enseignant des droits de l’Homme l’était aussi. Et puis, cette nation-là réagissait encore lorsqu’on l’attaquait. L’Empire du Soleil levant l’avait appris à ses dépens. Au soir de la fulgurante attaque sur Pearl Harbor, au milieu de la liesse générale qui subjuguait alors le Japon, l’amiral Yamamoto avait laissé échapper ses craintes quant à la réaction de cet « éléphant » que l’armée impériale « avait réveillé ». Cette nation qui s’était bâtie sur la volonté de prier comme elle le voulait parlait au luthérien alsacien qu’était Lanois. Elle savait prier, certes, mais il ne fallait pas compter sur sa faiblesse pour autant. Lorsqu’au cours d’une funeste journée de septembre des milliers de vies furent pulvérisées dans la fumée noire de deux tours jumelles qui s’écroulaient, le pays réagit. Avec ses erreurs, avec ses excès, certainement, mais il réagit. Car la liberté a un prix. De l’autre côté de l’Atlantique, on l’avait un peu oublié. Les deux guerres mondiales avaient rendu l’Europe naturellement allergique à la guerre. Mais le professeur Lanois répétait souvent à ses étudiants que toutes les leçons de l’Histoire n’avaient pas été tirées et que face à un nouveau Hitler qui se lèverait les nations européennes pas plus demain qu’autrefois n’oseraient à temps barrer le chemin à la barbarie qui s’annoncerait. Or, parfois, il fallait faire des choses déplaisantes. André Lanois était un homme calme et pacifique, mais il ne fallait pas non plus « réveiller l’éléphant » Lanois, le John Wayne qui sommeillait en lui. C’était son côté américain, comme il s’amusait à le répéter.

Or quelqu’un s’était attaqué à André Lanois, sans le savoir. Quelqu’un lui avait pris une vie qui lui était chère. Lanois, bientôt, allait l’apprendre.

Alors ce quelqu’un, Lanois le lui ferait payer.

Chapitre 1

Tyler

Depuis qu’il travaillait pour Dunson College, André Lanois avait eu l’occasion de rencontrer moult citoyens des États-Unis, ses étudiants et ses collègues bien sûr, mais encore des amis de ceux-ci et des personnes croisées au hasard. Nombre d’entre eux devinrent ses amis. Ces rencontres avaient eu lieu essentiellement en France, mais aussi aux États-Unis. Durant le mois de janvier, en effet, l’unité strasbourgeoise de Dunson College faisait relâche entre le départ des étudiants de décembre et l’arrivée de ceux de février. Par deux fois déjà, le chef des programmes internationaux, John Brooks, avait invité Lanois à venir enseigner à Louisville. Il lui avait fait découvrir le campus et avait non seulement organisé tout ce qui avait trait à l’aspect professionnel de la venue de son professeur de Strasbourg, mais avec son épouse Pamela il avait également veillé à son bien-être.

Lanois était impatient de voir le campus, ce décor habituel des étudiants qui venaient le rejoindre à Strasbourg. Situé en périphérie de Louisville sur un site verdoyant et boisé, Dunson College était un bel endroit. Les bâtiments principaux se détachaient majestueusement avec leurs hautes colonnes blanches caractéristiques des États du Sud tout comme leurs grandes portes et fenêtres blanches sur fond de petites briques rougeâtres. De larges pelouses y menaient, plantées d’arbres imposants. Des écureuils à peine effarouchés, de couleur grise contrairement à leurs congénères français roux, y avaient élu domicile en nombre.

Durant ses deux séjours à Louisville, Lanois logeait tout près de Dunson College. Il rejoignait l’université à pied, devenant presque à chaque fois l’unique piéton à emprunter les trottoirs déserts. C’est vrai que les Américains ne marchent pas beaucoup comparés aux Français alors pourtant que les médecins français se plaignent du manque d’exercice d’une majorité de la population. Comme quoi tout est relatif ! Sans voiture ici on se retrouvait vite bloqué d’autant que les transports en commun n’étaient pas légion. On était encore en pleine civilisation automobile. D’un autre côté avec un coût de l’essence deux fois moindre qu’en France il ne fallait pas s’étonner que les gens prissent leur voiture plus volontiers. Et puis les distances à parcourir étaient ici bien supérieures26. À la surprise de Lanois, les maisons individuelles n’étaient pas très hautes. Elles n’avaient souvent qu’un seul étage quand elles n’étaient pas carrément de plain-pied seulement. Les caves en revanche étaient très souvent aménagées au point de comporter un véritable niveau habitable supplémentaire. Le fait que ce pays offrait de vastes espaces rendait possible la construction de résidences privées sans requérir nécessairement l’édification d’immeubles d’habitation collectifs. Les façades de la grande majorité des maisons arboraient les fameuses colonnes blanches dans cet État qui se définissait déjà comme un État du Sud. Et puis il y avait le stars and stripes27 omniprésent ici. Il ornait non seulement les bâtiments publics, mais aussi nombre de maisons individuelles voire de véhicules. Naturellement. Le patriotisme était ici chose normale par rapport à la France où afficher la fierté de son pays vous rendait suspect aux yeux de l’intelligentsia. Cela amusait toujours le professeur de droit public Lanois de penser qu’aux États-Unis le drapeau était sacré, mais qu’au nom de la sacro-sainte liberté d’expression qui y était constitutionnellement garantie on ne pouvait être condamné même si on le brûlait alors qu’en France où sortir le drapeau était plus exceptionnel on pouvait être condamné si on ne le respectait pas…

André Lanois avait accepté avec enthousiasme de se rendre à l’université mère de Dunson College, heureux de pouvoir enseigner au pays des grandes universités et honoré de la confiance qu’on lui témoignait ainsi. Car s’il aimait les États-Unis, les hasards de la vie avaient fait qu’il n’y allât qu’une fois la quarantaine bien entamée. Cela accentua d’autant plus son plaisir et lorsque, après des heures passées au-dessus de l’Atlantique, Lanois aperçut les premières terres du continent nord-américain qui se dessinaient à quelque dix mille mètres sous ses pieds, il ne put s’empêcher de ressentir une certaine émotion.