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Suspense, enquête, espionnage. Trois histoires sur un même thème : la pendaison. Suicides ou meurtres, à vous de le découvrir.
Un vacancier est retrouvé pendu dans un village touristique de Cuba. En vacances au même endroit, les enquêteurs Gustave et Jerry décident, pour se divertir, d’inculquer à leurs épouses les ficelles du métier en tentant de découvrir pourquoi le pauvre homme s’est suicidé. Ils regretteront amèrement cette décision.
Une jeune femme se réveille enfermée dans un lieu inconnu et est obligée de jouer au jeu du bonhomme pendu. Trouver un mot équivaut à sauver la vie d’une personne qu’elle aime, sauf que… ne pas le trouver entraîne la mort par pendaison de celle-ci. Sera-t-elle plus rusée que ses tortionnaires?
Une espionne est assassinée dans une chambre d’hôtel en Biélorussie. Au-delà de sa mort, l’agence pour laquelle elle travaillait doit absolument retrouver les puces électroniques qu’elle avait subtilisées aux grandes puissances mondiales. S’ensuit une course contre la montre pour remettre la main sur ces renseignements, course à laquelle Gus et Jerry se retrouvent mêlés. Sauront-ils faire face à un ennemi beaucoup
plus puissant qu’eux?
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
En dosant bien le drame, le suspense, et même à quelques reprises une petite pointe d’humour, Patrick Hamel nous donne le parfait cocktail d’une excellente lecture. Ce livre est à lire, c’est évident. Il vous donnera la chance et le plaisir de découvrir le talent de ce sympathique auteur ainsi que d’apprécier son imagination débordante et addictive. [...] Coup de cœur assuré! -
Lynda MASSICOTTE, Les mille et une pages de LM
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ayant fait les mille et un métiers,
Patrick Hamel est ce qu’on appelle un autodidacte. Aujourd’hui directeur d’usine, il adore le sport.
Même que pendant seize ans, il a agi à titre d’entraîneur en chef pour différentes équipes de football. Malgré tout, c’est dans la lecture et l’écriture qu’il retrouve son refuge personnel, même si cet amoureux des mots a cru pendant de nombreuses années que ces derniers ne l’aimaient pas... jusqu’au jour où il apprend qu’il est dyslexique. Lui qui a toujours fait preuve de beaucoup d’imagination décide de vaincre ses démons en se lançant la tête la première (la seule façon qu’il connaisse) dans la grande aventure qu’est l’écriture. Alors après avoir connu le succès avec ses deux premiers romans,
La ruelle et
Le murmure d’un cri, il récidive avec un recueil de trois nouvelles, dont deux d’entre elles mettent en vedette ses deux enquêteurs favoris : Gustave et Jerry.
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Patrick Hamel
L’écho des pendus
Les Éditions le Nœud Papillon
Données de catalogage avant publication disponibles à Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Hamel, Patrick 1963-
L’écho des pendus
Les Éditions le Nœud Papillon
Conception graphique de la page couverture : Johanne Plante
Mise en page : Stéphane Lauzon
Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada 2019
ISBN version imprimée : 978-2-9818507-0-6
ISBN version numérique (PDF) : 978-2-9818507-1-3
ISBN version imprimée (ePub) : 978-2-9818507-2-0
Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait de ce livre, par quelque procédé que ce soit est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur et de l’auteur. Toute reproduction ou exploitation d’un extrait du fichier EPUB ou PDF de ce livre autre qu’un téléchargement légal constitue une infraction au droit d’auteur et est passible de poursuites pénales ou civiles pouvant entraîner des pénalités ou le paiement de dommages et intérêts.
Imprimé au Québec, Canada
1re impression octobre 2019
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facebook.com Patrick Hamel - Auteur
À tous ceux qui croient que les obstacles
sont faits pour être surmontés, contournés
ou simplement réduits à néant,
je vous dédie ce moment de lecture.
LE PENDU DE LA CASA 2122
I
Cuba, Meliá Cayo Coco
Ginette, Jill, Jerry et Gustave étaient arrivés à Cayo Coco la veille au soir vers 22 h 30, et ils étaient enthousiastes de prendre leur premier déjeuner cubain au restaurant Las Caletas. Le restaurant était sur pilotis et offrait une vue imprenable sur un lagon qui était particulièrement calme ce matin. Le soleil inondait la place, réchauffant les épaules des hommes qui s’étaient assis dos aux fenêtres. Enfin du repos bien mérité après trois ans de souffrance au cours desquels le corps de l’enquêteur Jerry Simard fut tailladé de plusieurs coups de couteau et celui du commandant Gustave « Gus » Côté blessé par balle. En plus, ils avaient perdu des êtres chers : Bob et Vladimir. La ruelle de la grande métropole aura marqué leur corps et leur âme à jamais. Au moins, ils avaient réussi à nettoyer la métropole des pires criminels avec l’aide de leurs partenaires des affaires spéciales : Ian, Nicolas, Émilie et Jason.
Gustave avait décidé de partir sur un coup de tête lorsqu’il avait obtenu son congé de paternité. Il n’avait pas eu à argumenter longtemps avec Gigi, sa femme Ginette, pour qu’elle confie son gros poupon à leur bonne amie Paula. Ginette, qui avait toujours été comme une deuxième mère pour Jerry, n’avait pu s’empêcher de lui faire une place dans sa valise. Elle souhaitait secrètement qu’il demande Jill en mariage pendant leurs deux semaines d’évasion caribéenne. C’est donc dans une atmosphère de joie douce amère que nos deux couples levèrent leur coupe de jus d’orange (pas fraîchement pressé) pour faire un toast à leur séjour dans le Sud. Ils avaient bon espoir que leurs vacances seraient une vraie réussite.
Mais comme la ligne droite n’a pas été inventée par les humains, elle… n’existe pas. La vie a alors décidé de leur scénariser une petite surprise : le cri d’horreur d’une femme terrifiée percuta leurs tympans. Jerry et Gus, mués par leurs réflexes primaires, bondirent hors de leur chaise. L’enquêteur se précipita à la vitesse grande V, suivi du commandant qui faisait figure d’escargot avec son surpoids et sa jambe éclopée. Néanmoins, l’intention y était ! Jerry saisit la serveuse cubaine qui avait crié par les épaules et planta le reflet de son regard dans le sien. Son but : la ramener au moment présent et lui faire retrouver ses esprits. Il prit quelques secondes pour lire le prénom que la jeune femme arborait sur son uniforme. Puis, dans un mauvais anglais, il tenta de lui demander ce qui lui avait fait peur.
— Yuny, prenez le temps de respirer ! Quand vous serez prête, dites-moi pourquoi vous avez hurlé.
Fixant les yeux calmes de l’homme en face d’elle, elle lui répondit dans un bien meilleur anglais que le sien :
— Regardez la casa à votre gauche… il y a un homme pendu et je crois que c’est monsieur François.
Gustave venait d’arriver à leur hauteur et dans une synchronisation parfaite, comme deux danseurs de ballet ayant répété depuis des semaines, ils se dévissèrent les vertèbres cervicales dans la direction indiquée par la serveuse. Puis, au même moment, un murmure de consternation s’éleva de la salle, les autres touristes voyant le cadavre de l’homme se balancer au gré de la brise qui s’était levée. Cette fois, ils auraient un événement morbide à rapporter dans leurs souvenirs de vacances.
Jerry resta figé un peu plus longtemps que son partenaire devant l’image de l’homme suspendu, le fruit de son imagination réapparaissant après plusieurs mois d’absence. Capitaine America : un comparse chimérique inventé par son cerveau pour l’aider à traverser l’épreuve d’une séance de torture intolérable. Quelqu’un lui avait dit qu’il faisait office d’instinct et qu’il le prévenait du danger. En conclusion, Capitaine America était suspendu tête en bas après la rambarde de la casa, où était accroché le macchabée, et envoyait la main à Jerry en signe de bienvenue. Une horde de mauvais pressentiments vinrent se bousculer dans la tête de l’enquêteur.
II
Les responsables du site arrivèrent rapidement et mirent un drap sur la pendule humaine en attendant que les jardiniers viennent décrocher le corps. Ayant l’habitude de ce genre de drame, nos amis de la grande métropole étaient retournés à leur table pour déjeuner. Bien sûr, ils ne manquaient pas un geste du duo de jardiniers cubains qui arrivait en pédalo pour récupérer le corps du touriste suspendu.
— Merde ! s’exclama Jill. Ne me dites pas qu’ils vont décrocher le pauvre homme pour le faire tomber dans cette espèce d’embarcation ?
— Ça m’a tout l’air que oui, mon amour ! Et pour ton information, c’est un pédalo.
Jerry n’eut pas le temps de lancer une autre boutade qu’il reçut une gauche foudroyante sur l’épaule. Au même moment, il remarqua son ami imaginaire bien assis dans le pédalo, la main flattant légèrement l’eau du lagon.
— Aïe ! cria la jeune femme en se frottant la main. J’oublie toujours que je me fais mal quand je te frappe… La prochaine fois, je prends un bâton de baseball !
Gustave et Ginette se mirent à rire. Pour sa part, Jerry ne fit qu’un simple rictus pour ne pas se voir refuser tout câlin intime pendant ses vacances. Sans oublier qu’il devait essayer d’agir normalement pour ne pas sonner l’alarme générale dans le groupe en indiquant que ses visions étaient revenues.
— Tu le sais, Jill, que ton amoureux est plus dur que du roc ! Je crois qu’il passe plus de temps au gym à lever de la fonte ou à se battre dans l’octogone qu’à travailler sur ses enquêtes.
— Arrêtez de jacasser et regardez plutôt ce qui se passe dehors !
Tous scrutèrent avec attention les mouvements des Cubains qui en avaient plein les bras avec le vacancier récalcitrant qui, par son geste de désespoir, risquait de donner une mauvaise réputation à leur petit coin de paradis. Lentement, ils coupèrent la corde. Lorsqu’elle fut complètement sectionnée, les deux employés essayèrent de contrôler la descente du cadavre, mais la friction de la corde leur brûla les mains. Ils n’auraient pas dû omettre de porter des gants… La chute fut spectaculaire : les deux pieds touchèrent le pédalo, faisant dangereusement osciller l’embarcation. Puis, le corps inanimé tomba mollement dans l’eau verte du lagon comme de la crème glacée réchauffée par les chauds rayons de soleil.
— Wow ! Heureusement qu’il s’agit d’un suicide, car ils viennent de contaminer le corps à la puissance dix, fit remarquer Ginette.
— Moi, je me demande pourquoi partir en vacances pour venir s’ôter la vie. Les apparences sont parfois trompeuses, cachant une vérité plus abjecte, lança sans ambages le commandant Côté.
Jill regarda les deux hommes s’échanger un regard sans équivoque sur leurs intentions. Elle décida d’intervenir avant que leurs méninges forment un plan.
— N’y pensez même pas, les gars ! Nous sommes en vacances pour fuir la saleté, pas pour replonger dedans à la première occasion.
— Pour l’instant, c’est le pendu qui est plongé dedans jusqu’au cou… et un cou allongé par-dessus le marché ! répliqua Jerry en éclatant de rire.
— Bordel, tu es rendu insensible ou quoi ? lui demanda Jill.
— Tu sais bien que non, mais dans notre unité, l’humour est un moyen de défense qui nous aide à supporter l’horreur à laquelle on doit faire face, riposta Jerry avec une pointe de colère dans la voix.
Son amoureuse allait riposter quand Gigi intervint pour calmer la jeune femme qui était de plus en plus agressive depuis qu’elle avait perdu ses parents et son garde du corps, Vladimir Azarov.
— Calmez-vous, ordonna Ginette.
Elle regarda son époux et Jerry et leur lança d’une voix aussi calme qu’un professeur d’université :
— Je sais qu’il arrive qu’une question vous taraude et que vous vous sentiez obligés de trouver une réponse, ça doit être une déformation professionnelle, je suppose. Alors, j’ai une bonne idée qui pourrait pimenter nos vacances, dit-elle alors qu’un plan germait déjà dans son cerveau d’organisatrice non officielle des activités.
III
La plage était inondée de soleil. Tout le monde s’était appliqué de la crème solaire et était prêt à se détendre sous sa palapa. Jerry, conscient des nombreuses cicatrices qui ornaient la presque totalité de son corps, hésitait à enlever son t-shirt. Remarquant son malaise, les femmes baissèrent les yeux, ne sachant comment réagir. Gustave, qui admirait la mer, se retourna et comprit la situation du premier coup d’œil.
— Eh, buddy ! Tu vas enlever ce foutu chandail et montrer à tout le monde combien fort tu t’entraînes. Et crois-moi sur parole, c’est moi qui devrais avoir honte de montrer mon gros ventre flasque à côté d’un Apollon comme toi !
— M… mais… balbutia Jerry.
— Il n’y a pas de mais ! Si ces gens ne remarquent que tes cicatrices et ne voient pas la force de caractère qu’il a fallu pour t’en sortir vivant et avec toute ta tête — Gus s’arrêta de parler une seconde et lui fit un clin d’œil sachant très bien que dans sa tête, la guérison avait pris du temps et qu’elle n’était sans doute pas terminée —, eh bien tu n’auras qu’à leur sourire s’ils te dévisagent, car tu n’en as rien à foutre… Tu es en vacances avec les personnes qui t’aiment le plus au monde.
Jerry respira un bon coup et retira sa prison vestimentaire. Du coin de l’œil, il vit l’habitant de son cerveau arriver vêtu seulement d’un Speedo et de son célèbre masque de super-héros. Des voix basses se firent entendre partout sur la plage tandis que le vent, lui, murmurait ses regrets. L’enquêteur Simard nargua son copain pour faire croire à tous que les chuchotements des gens ne le dérangeaient pas, mais surtout pour détourner son regard de Capitaine America.
— Tu as raison de te comparer à moi, je suis un vrai sexe-symbole… pour un patchwork ! Je voudrais te remercier d’avoir invité ma mère.
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Tu viens de me dire que je suis en vacances avec les gens qui m’aiment le plus au monde. Alors je me dis que ma maman d’amour va surgir derrière ton gros popotin d’une minute à l’autre !
Gustave secoua la tête de découragement. Décidément, son partenaire cherchait toujours à cacher ses émotions. Il avait pourtant cru qu’avec la disparition de ses hallucinations, il aurait eu moins de mal à se laisser aller… à moins que celles-ci soient revenues ? Lui aussi avait un sens de déduction assez puissant. Espérons qu’avec Jill ça se passait autrement.
— OK, les gars ! Venez vous asseoir deux minutes pour qu’on fasse le point sur mon projet de vacances inattendu, les interpella Gigi.
Ils s’exécutèrent avec joie, car même s’ils voulaient tous se reposer, ils étaient malgré tout des gens d’action avec une grande soif d’adrénaline. Ils savaient que la vie ne se compte pas en respirations, mais par tous les moments qui vous ont coupé le souffle. Ginette, en lâchant l’idée que la mort du touriste pourrait être louche, ne voulait que s’amuser en essayant de comprendre le métier de son homme.
— Bon, mes deux policiers d’amour, comment pensez-vous que nous devrions aborder l’enquête ?
Gustave, comme le bon commandant qu’il était, prit la parole en énumérant en espagnol ses points.
— Uno : trouver le nom de l’homme pendu. Pour l’instant, nous ne savons même pas si François est son prénom ou son nom de famille. Dos : communiquer l’information à Jason pour qu’il nous sorte tout ce qu’il trouve sur le bonhomme. Très : le soir, tout en prenant un verre dans le lobby, parler avec les repeat customers pour savoir quelles étaient les habitudes du pauvre homme, et peut-être connaître son état d’esprit. Cuatro : si possible, aller faire un tour dans la casa 2122. Cette partie nous est réservée, à Jerry et moi, et ce n’est pas discutable. Cinco : faire le tour du site pour repérer les personnes qui auraient le profil de tueur. Seis : il est important de ne pas parler du pendu au personnel de l’hôtel à moins que ça ne vienne d’eux. Nous ne devons en aucun cas montrer que nous enquêtons. Siete : ne surtout pas oublier qu’à moins de preuve du contraire, l’homme s’est vraiment suicidé. Alors, ne nous laissons pas prendre au jeu pour que cela gâche nos vacances. Ocho : le jour, nous profiterons de la plage, puis le soir, nous jouerons à Sherlock Holmes.
— Bien, chef ! lui dirent en chœur ses trois comparses.
Jerry et Gustave s’échangèrent un regard furtif. Ils travaillaient ensemble depuis quelques années et beaucoup de choses ne passaient désormais plus par la parole. Ils savaient qu’il n’était pas possible d’envisager raisonnablement des actes déraisonnables. Et se suicider pendant ses vacances dans un resort était sans aucun doute un acte vraiment déraisonnable.
IV
Le soleil déclinait et striait le ciel de balafres vermillon répandant sur l’eau du lagon une lumière translucide. Jerry et Jill étaient dans leur chambre à regarder cette vision presque féerique, en attendant d’aller rejoindre leurs amis dans le lobby pour prendre un verre et se sustenter.
— Tu m’excuseras, mais je dois interrompre ce moment de quiétude quelques minutes pour aller me perdre dans la chair veloutée de ton corps.
— Sapristi, mon balafré d’amour ! Tu sais que je trouve ça bizarre quand tu parles comme ça !
— Moi qui croyais que tu aimais les phrases à cinq cennes. Je suis déçu.
Il vissa ses yeux marron dans ceux de la femme de sa vie, puis délicatement, avec ses mains puissantes, la tira vers lui pour l’embrasser légèrement au début et de plus en plus langoureusement. Ensuite, il la souleva et l’emmena sur le lit. La beauté du lagon avait perdu tout intérêt; elle s’installa dans le creux de ses bras et se laissa bercer. Jerry lui caressa un sein d’une main pendant que l’autre fouillait son jardin d’éden qui ne tarderait pas à se transformer en brasier ardent. La passion arriva tel un taureau fonçant sur la muleta agitée par le matador.
Après ce moment de détente improvisé et bienvenu, l’homme serra sa compagne et lui dit simplement :
— Il est revenu.
Jill releva la tête comme mue par une ficelle et le rassura simplement :
— Pas grave, on va faire avec.
* * *
Gus fixait les deux tourtereaux qui s’approchaient d’un pas léger. Il donna un coup de coude à Gigi.
— Je crois bien que Jerry et Jill se sont payé une petite session de câlins conjugaux.
— Oh My God ! Pas en dehors des liens sacrés du mariage ! lança Ginette en pouffant de rire.
Quand ils arrivèrent à leur hauteur, ils étouffèrent un fou rire.
— Pourquoi avez-vous ce sourire bizarre au visage ? s’informa Jill.
— Pour rien ! Je crois que nous avons trop bu en vous attendant. Quand c’est gratuit, moi j’en profite… Vous en avez mis du temps à vous préparer.
Gigi essaya de se retenir, mais fut à nouveau prise d’un rire d’aliénée.
— OK Ginette ! Tu es très subtile. Oui, Jill et moi avons fait l’amour et si ce fut si long, c’est parce que ma tête était enlacée par les jambes parfumées de ma femme. Comme ma tendre mère disait toujours : « Il faut savourer chaque repas comme si c’était ton dernier. »
Gigi se boucha les oreilles en faisant des bla-bla-bla avec sa bouche pour ne pas entendre les détails de leur petite sauterie. Un serveur vint les interrompre pour prendre leur commande de boisson. Quand ce fut fait, Jerry reprit la parole :
— Et plus sérieusement, j’ai une autre confession à vous faire… Capitaine America s’est invité dans nos vacances. Même qu’au moment où je vous parle, il est assis au piano en train de jouer et de chanter la chanson Che Guevara. Au moins, il ne m’a pas encore adressé la parole, donc mes hallucinations ne sont que visuelles. Mon seul vrai problème c’est qu’il se promène toujours en Speedo ! Je devrais sans doute lui expliquer que lorsqu’il quitte la plage, il peut revêtir son uniforme de super-héros.
— Est-ce qu’il chante bien ? lui demanda Gigi le plus sérieusement du monde sous le regard attendri des autres.
Jerry lui répondit par la négation, comprenant que ses amis agissaient exactement comme son amoureuse et qu’ils étaient eux aussi prêts à vivre avec son ami imaginaire. Gustave détourna leur attention du piano vide en leur montrant une femme dans le début de la cinquantaine qui parlait français et qui semblait être connue du personnel. Il voulait ainsi les réorienter vers leur petite enquête.
— Nous allons changer de table pour nous approcher d’elle et essayer de faire la conversation. Peut-être qu’elle connaît le nom de notre cadavre.
Une minute plus tard, tous attablés près de leur cible, Ginette aborda la femme pour casser la glace.
— Excusez-moi de vous déranger, madame, mais je vous ai entendue parler français et j’aimerais savoir où vous avez acheté votre robe, je la trouve très jolie.
Ne la laissant pas placer un mot, elle enchaîna.
— Oh que je suis impolie ! Je ne me suis même pas présentée. Je m’appelle Ginette, mais mes amis m’appellent Gigi.
Gustave lui mit la main sur la cuisse pour la calmer. Sa femme voulait bien faire, mais à force de jacasser sans laisser l’autre parler, elle risquait de la faire fuir au lieu d’être disposée à converser. De ses yeux bruns sans aucune méfiance, la femme fit un inventaire visuel des gens qui l’entouraient. Elle reconnut l’homme aux cheveux couleur corbeau puisqu’elle l’avait vu sous un palapa lorsqu’elle ramassait des coquillages. En vérité, c’était des cicatrices qui décoraient son corps dont elle se souvenait le plus. Pauvre homme, quelle souffrance il devait avoir connue. Du coup, elle décida qu’elle trouvait la femme prénommée Ginette bien sympathique quoiqu’elle semblait être une personne verbomotrice. Elle prit donc la décision de lui répondre.
— Bonsoir ! Moi, c’est Julie. Et merci pour ma robe, je me la suis procurée à la boutique Vanille à Rosemère.
— Rosemère, je connais. J’ai une connaissance qui habite là-bas. Nous, nous venons de la grande métropole. C’est notre première fois ici, et vous ?
— Non, moi et mon époux Alain venons une ou deux fois par année depuis 2010. Il est à la pêche en ce moment et devrait arriver dans quelques minutes.
Ginette se demandait s’il fallait tester la température du bout de l’orteil ou bien se jeter à l’eau. Elle cherchait du regard l’appui des autres. Jerry prit la relève ayant remarqué, lorsque le regard de Julie avait croisé le sien, l’empathie qu’elle ressentait pour lui. Il se passa la remarque qu’elle devait avoir vu son corps de Frankenstein.
— Désolé de vous interrompre, mais puisque vous venez souvent ici, j’aimerais vous demander s’il y a couramment des gens qui s’enlèvent la vie ? Je n’aimerais pas venir passer mes vacances dans un endroit où la mort s’invite régulièrement.
— Oh non ! C’est la première fois, à ma connaissance. De plus, je vous assure que je ne me serais jamais attendue à ce que François se suicide.
— Vous connaissiez cet homme ? Parlez-moi un peu de lui, s’il vous plaît. Aussi, comme je vois que je peux vous faire confiance, je vais vous faire une confidence. Gustave et moi — le gros homme lui fit un signe de tête — sommes des enquêteurs et nous aimerions comprendre ce qui pousse quelqu’un à se suicider en vacances. Déformation professionnelle.
Julie sourit, heureuse de pouvoir les aider.
— Oui… Comme la plupart des clients du Meliá, M. François Duvernay est un repeat customer. Il est écrivain et vient ici six semaines par année pour écrire au calme et sa f…
— Excusez-moi, je reviens ! dit Gus en la coupant.
Il se leva pour aller acheter des minutes Internet afin de pouvoir communiquer avec Jason, leur jeune hacker. Il devrait être en mesure de sortir d’ici demain matin le plus de renseignements possible sur cet auteur méconnu qu’était François Duvernay.
— Continuez, voulez-vous, je crois qu’il a une petite urgence, dit Jerry avec son plus beau sourire.
— Je disais donc que Marie-Claude Limoilou, sa femme, traductrice de métier, vient toujours le rejoindre pour les deux dernières semaines de son séjour. Pauvre elle. Elle sera anéantie.
— Est-ce qu’il se mêlait aux autres vacanciers ?
Cette fois, c’est Jill qui s’était jointe à ce qui commençait vraiment à ressembler à un interrogatoire.
Alain, l’époux de Julie, arriva juste à ce moment. Presque à bout de souffle, il l’embrassa sur le front sans remarquer l’homme et les deux femmes de la table voisine qui l’observaient.
— Excuse mon retard, je n’ai pas vu l’heure passer. J’étais avec Omar qui prend congé demain pour m’emmener en expédition de pêche. Viens, nous allons être en retard pour notre souper romantique.
Julie se leva, salua Ginette et sa gang, puis quitta les lieux en oubliant de présenter officiellement son mari. Ils laissèrent flâner leur regard dans la direction où le couple avait disparu. Capitaine America fit mine de lancer son bouclier sur l’époux pour les arrêter. L’enquêteur le rabroua du regard. Mais il comprenait son geste, car il avait un goût amer dans la gorge. Il connaissait ce goût; il survenait chaque fois qu’au cours d’un interrogatoire, un suspect décidait de demander un avocat et devenait muet comme une carpe.
V
Gustave venait de rejoindre son épouse et ses amis en leur expliquant qu’il avait parlé à Jason et que ce dernier leur enverrait un premier compte rendu sommaire d’ici une heure. Puisque leur réservation au restaurant Le Méditerranéen n’était qu’à vingt heures, ils attendirent dans le lobby la réponse du hacker. Chacun but son verre en savourant la paix des lieux tout en discutant de tout et de rien, mais surtout en observant quel autre vacancier parlant français pourrait les guider dans la poursuite de leur enquête improvisée. Jill remarqua un gros et grand bonhomme à lunettes qui discutait avec trois autres couples. Elle ne comprenait pas bien ce qu’il disait, cependant elle était certaine d’avoir entendu les mots « grosse construction à Mirabel ». Donc, cet homme et les gens à qui il parlait devaient sans aucun doute venir du Québec.
— Regardez au fond de la salle, l’homme au gros gabarit à côté de la femme aux cheveux blonds et courts qui porte une belle robe noir et blanc, indiqua Jill en essayant de ne pas regarder dans la direction des gens en question. Comme tout bon détective, du moins le croyait-elle.
— Celui avec les drôles de lunettes accompagné de … (Jerry prit la peine de les compter sans aucune retenue) … sept personnes ?
— Sapristi, chéri ! Pourquoi les pointes-tu du doigt ? Ils vont savoir que nous parlons d’eux, se formalisa la jeune femme.
— Je sais, mon amour, mais c’est bien mon intention. Ce personnage a l’air d’un homme qui aime fraterniser, alors pourquoi faire dans la discrétion ! Notre but est de leur parler, lui répondit son amoureux sur un ton un peu sentencieux.
Le commandant Côté remarqua la déception de Jill dans sa gestuelle lorsqu’elle prit une gorgée de sa boisson favorite pour noyer une réplique qui aurait pu déclencher une petite guerre de couple. Ah, la jeunesse ! Un rien les allume. Du coup, il tint à clarifier les choses.
— C’est toi qui as raison, ma belle. Même s’il faut leur parler, Jerry, nous ne voulons pas leur parler maintenant. Présentement, nous attendons un message de Jason et devons bientôt aller souper.
Le regard qu’il lança à son ami était celui qu’il lui réservait en tant que commandant de l’unité spéciale. L’enquêteur en prit conscience et ne rajouta rien pour ne pas gâcher la soirée, même si son orgueil venait d’en prendre un coup.
La vibration du cellulaire du Gustave fit éviter toute autre phrase qui aurait pu être mal perçue. Toute cette peine et cette colère qu’ils avaient vécues au cours des dernières années semblaient plus dures à digérer qu’ils voulaient le laisser paraître. Sentant le malaise, Ginette intervint.
— Attends, mon p’tit ours, avant de regarder les découvertes de Jason. J’aimerais soulever un point, demanda Gigi presque silencieusement.
— Vas-y, on t’écoute.
— Je sais que l’idée vient de moi et que j’étais enthousiaste de participer à une fausse enquête pour mettre un peu de piquant dans mes vacances, moi qui passe mon temps à servir du café dans mon restaurant. Je vois cependant que vous êtes stressés, alors on peut laisser tomber tout ça et simplement profiter de la plage et de la bonne bouffe tout en prenant un p’tit verre.
Les dos se redressèrent, les postérieurs s’arrimèrent au bord des chaises, des regards furent échangés. Elle avait raison : ils étaient au bord de la rupture, c’est pourquoi ces vacances étaient arrivées à point.
— Ça me chatouille les oreilles ce que tu nous dis. Tu as raison. Nous devrions être raisonnables et nous laisser aller à la farniente, répondit tristement Gus. Mais pour Jerry et moi, le mal est fait et tant que nous n’aurons pas les réponses que nous jugerons satisfaisantes, nous ne pourrons arrêter. D’autant plus que si Jerry voit son ami fictif, c’est que son instinct veut lui envoyer un message signifiant « DANGER » !
— Idem pour moi. Mon aiguille de curiosité est à son point le plus élevé, renchérit Jill. Je ne comprends pas que l’on puisse s’enlever la vie pendant ses vacances dans un tel paradis. Et je me suis fait la même réflexion : le retour de Capitaine America est un sérieux présage.
Jerry Simard resta bouche bée devant les déductions de ses amis. Le connaissaient-ils mieux qu’il ne se connaissait lui-même ? Ginette sourit intérieurement. Elle les avait ramenés dans le droit chemin, et ce, avec l’aide de l’ami imaginaire de Jerry. Maintenant, ils se tiendraient tranquilles afin de ne pas perdre aucun participant à leur jeu d’enquête : le pendu de la casa 2122.
VI
Gigi s’empara du cellulaire de son époux. Elle avait décidé de s’investir dans le jeu qu’elle avait elle-même suggéré et qui n’en était peut-être plus un. Fini la petite serveuse de café, du moins en territoire cubain. Elle fit une pause et regarda longuement ses amis. Puis, elle dit d’une voix sourde, sans appel :
— Bon, regardons ce que Jason nous a envoyé.
Elle lut en silence le message et les documents qui s’y rattachaient, sous le regard amusé de Gustave et Jerry qui approuvaient la transformation de « leur » Gigi. Elle verrait que s’investir dans une enquête n’est pas de tout repos. Quand elle eut terminé, le cellulaire retourna comme par magie dans les mains de son propriétaire.
— Tu peux nous dire ce que tu as lu ou tu préfères nous faire languir comme un malade qui attend aux urgences ? lui demanda Jill curieuse.
— Comme ma mère dirait : « Tout vient à point à qui sait attendre. » Tu devrais être plus patiente, ma belle. Laisse Ginette s’amuser, répondit Jerry en voyant Capitaine America s’installer près de leur table pour écouter ce qu’elle avait à dire. Heureusement pour ses yeux, il avait remis le costume qui avait fait sa renommée.
— Bonne idée ! La prochaine fois que tu voudras abuser de mon corps sublime, je retournerai ta phrase contre toi pour voir ce que ton zizi en pense.
La jeune femme avait une expression amusée sur le visage.
— Non ! cria Jerry. Tu sais que ton corps peut provoquer chez moi une arythmie cardiaque, alors il ne serait pas approprié que tu m’en prives; sinon je crois bien que ça pourrait être interprété comme une tentative de meurtre.
— Il a raison, renchérit Gustave. Maintenant, madame l’enquêtrice Ginette, si vous nous faisiez l’honneur de nous transmettre les détails trouvés par notre spécialiste en informatique.
— Pas de problème, mon commandant ! — Elle lui fit un salut militaire. — Tout le monde est bien installé ? Et j’espère que ton alter ego s’est joint à nous, Jerry, car je commence et nous avons besoin de ses lumières pour nous aider.
Simard lui fit une affirmation de la tête.
— Je me lance… Notre malheureux touriste est marié, cela on le savait déjà. Il est aussi père d’un garçon de trente ans, d’une fille de vingt-quatre ans et de deux petits enfants. Il a aussi un autre garçon d’une précédente union. Regardez, Jason nous a envoyé des photos de chaque membre de la famille.
Gigi leur tendit le téléphone de Gus afin qu’ils voient les gens qui avaient perdu un être cher, suspendu au bout d’une corde dans un paysage féerique.
Elle cessa de parler d’un coup. Pour s’empêcher de pleurer, elle prit une gorgée dans son verre, suivie d’une grande inspiration. La nouvelle mère qu’elle était venait de comprendre qu’ils s’amusaient avec un être humain qui avait eu une vie et une famille. Le jeu était devenu moins drôle. Le cœur de Jill plongea aussi dans ses chaussettes. Gus comprit leur malaise.
— Vous savez, les filles, chaque fois qu’on enquête sur un meurtre, il y a des êtres vivants qui ont déjà respiré le même air que nous et qui se sont vidés de leur avenir. Nous devons alors creuser leur passé et ne jamais abandonner pour comprendre pourquoi ils sont privés de leur présent. Vois-tu, quand tu nous as demandé d’enquêter pour le fun comme tu dis sur le pendu de la casa 2122, Jerry Simard ici présent, l’enquêteur avec le plus grand instinct que je connaisse, m’a confié quand nous étions sur la plage, qu’il était persuadé que c’était un meurtre. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons accepté ton offre à bras ouverts. Il semble bien que cet homme ne se soit pas suicidé. Nous devons donc trouver qui lui a enlevé la vie. Le problème par contre, c’est que je ne sais pas comment nous allons faire pour lui rendre justice si nous trouvons le tueur. Nous n’avons aucune autorité sur cette île et, pour l’instant, aucune façon de demander au responsable du site de nous aider. En plus de ça…
— Tu sais, Gus, lança Jerry en lui coupant la parole, Vladimir nous disait toujours qu’il y avait une différence entre la loi et la justice. Si, et je dis bien si, nous trouvons le coupable, peut-être devrons-nous appliquer sa devise.
L’air parut brusquement déserter le lobby.
VII
Ils avaient décidé d’un commun accord qu’ils ne parleraient pas pendant le repas des informations que Jason leur avait envoyées. Du même coup, ils avaient jugé préférable de trouver un endroit tranquille après le souper pour voir clair dans les propos tenus par Jerry. Une fois leurs succulentes langoustes terminées, ils allèrent s’asseoir sur des divans isolés à l’entrée du lobby, loin de l’action générée par le mini spectacle de danse offert pour satisfaire le goût d’exotisme des touristes québécois à moitié ivres. Encore troublée par la dernière déclaration de son amoureux, Jill fut la première à prendre la parole.
— Jerry… j’espère que nous avons mal interprété ton annonce plutôt surprenante.
L’enquêteur réfléchit à sa réponse un moment, puis resta silencieux. Il savourait le malaise qu’il venait de créer, sachant très bien que sa prochaine réplique allait encore plus les surprendre. Une parcelle de son esprit avait déjà compris, mais une autre refoulait la vérité qu’il s’apprêtait à découvrir en même temps que ses amis.
— Vous avez bien interprété ! Voyez-vous, quand Vladimir parlait de loi et de justice en spécifiant qu’il y avait une grosse différence entre les deux… et bien après sa mort, j’ai été obsédé par cette pensée. Je l’ai analysée sous toutes les coutures et j’en suis venu à la conclusion qu’il avait raison.
— Wô les moteurs, mon homme ! beugla Gus sans retenue, semblant avoir oublié qu’il était dans un endroit public. Vladimir était un criminel qui avait trop de cœur, mais il était un criminel tout de même !
— Vois ça comme tu veux ! Pourtant, ne viens pas nous dire que ça ne faisait pas notre affaire toutes les fois où il est intervenu pour sauver des innocents en laissant sur son passage un tas de cadavres de monstres que la loi aurait acquittés. Tu as toi aussi contourné la loi et laissé des macchabées derrière toi pour me sauver.
— Tu mélanges les affaires, là ! Tu parles de trouver un meurtrier hypothétique et de l’exécuter parce qu’ici nous ne pourrons le livrer à la justice.
— Oui ! J’ai la conviction que la terre se portait beaucoup mieux quand elle avait un ange noir comme notre ami le Russe pour faire le ménage dans la loi.
Jill décida d’intervenir, ne reconnaissant plus l’homme qu’elle aimait.
— Chéri, je connaissais Vlad depuis ma naissance et je l’aimais profondément. Pour cette raison, je vais parler en son nom. Il m’a déjà mentionné que tu ne devrais jamais traverser la ligne, car tu ne t’en remettrais pas. Tuer ou être tué est une chose, mais exécuter volontairement une vie humaine, qui que soit cet humain, est un acte qui te hantera toute ta vie.
Son ami imaginaire opina de la tête pour signifier qu’il était en parfait accord avec la jeune dame. Ginette et Gustave se mêlèrent à la conversation, essayant d’expliquer à Jerry qu’il n’était pas Dieu pour décider ainsi de la vie ou de la mort d’un homme. Leurs paroles continuèrent de pleuvoir comme des coups, sapant sa résistance.
— OK ! Arrêtez avec vos arguments de vendeur porte-à-porte. Je vais passer un accord avec vous : si on trouve ce type, je le tue sans vous en parler.
Gustave se leva d’un bond, prêt à en découdre avec son ami pour lui faire entendre raison, même s’il savait que dans une confrontation physique, il finirait deuxième. Capitaine America brandit son bouclier et vint se placer entre les deux hommes. Jerry leva les mains en signe de reddition.
— Voyons… je vous tirais la pipe ! On m’a toujours dit qu’un peu d’ironie c’est bon pour la circulation sanguine. Vous m’avez convaincu, et ce, depuis une bonne demi-heure. Même l’ami dans ma tête est de votre avis ! Par contre, j’aurais aimé que Vladimir soit toujours là pour régler nos cas de conscience.
— Vlad ne réglait rien, il ne faisait que les éliminer pour mieux revenir sous d’autres formes. Chacun doit vivre avec ses démons et je préfère les miens à ceux que devait avoir notre Russe. Depuis que Vladimir a passé l’arme à gauche, le diable en personne doit avoir peur qu’il vienne lui régler son cas.
Sur ces propos, Jill se leva, alla vers un serveur et lui glissa un mot à l’oreille. Elle fit un signe de tête aux autres de patienter. Quand le serveur revint avec cinq verres de vodka, ils comprirent et c’est d’un seul geste qu’ils levèrent bien haut leur verre pour porter un toast à l’ange noir Vladimir Azarov. Le cinquième verre resta intouché sur la table en souvenir de cet homme hors de l’ordinaire. Capitaine America essayait de le boire, mais un personnage issu de l’imagination d’un homme un peu cinglé ne peut interagir avec la réalité. Quand ils se quittèrent pour regagner leur chambre, Jerry les laissa prendre un peu d’avance et saisit le verre pour le boire cul sec, priant intérieurement pour que Vlad lui donne un peu de sa conscience amorale qui, devant les faits, devient morale.
VIII