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Figure de proue du symbolisme belge, Maurice Maeterlinck reste aujourd'hui célèbre pour son mélodrame Pelléas et Mélisande (1892), sommet du théâtre symboliste mis en musique par Debussy en 1902, pour sa pièce pour enfants L'Oiseau bleu (1908), et pour son essai inspiré par la biologie La Vie des abeilles (1901), oeuvre au centre du cycle d'essais La Vie de la nature, composé également de L'Intelligence des fleurs (1910), La Vie des termites (1926), La Vie de l'espace (1928) et La Vie des fourmis (1930). Moins connu que La Vie des abeilles (1901), la publication de L'Intelligence des fleurs (1910) jouera pour Maeterlinck un rôle prépondérant dans l'obtention du Prix Nobel de littérature l'année suivante, en 1911. Extrait : "Voici deux pauvres plantes rampantes que vous avez mille fois rencontrées dans vos promenades, car on les trouve en tous lieux et jusque dans les coins les plus ingrats où s'est égarée une pincée d'humus. Ce sont deux variétés de Luzernes (Medicago ) sauvages, deux mauvaises herbes au sens le plus modeste de ce mot. L'une porte une fleur rougeâtre, l'autre une houppette jaune de la grosseur d'un pois. À les voir se glisser et se dissimuler dans le gazon, parmi les orgueilleuses graminées, on ne se douterait jamais qu'elles ont, bien avant l'illustre géomètre et physicien de Syracuse, découvert et tenté d'appliquer, non pas à l'élévation des liquides, mais à l'aviation, les étonnantes propriétés de la vis d'Archimède. Elles logent donc leurs graines en de légères spirales..."
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Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
Chapitre XIII
Chapitre XIV
Chapitre XV
Chapitre XVI
Chapitre XVII
Chapitre XVIII
Chapitre XIX
Chapitre XX
Chapitre XXI
Chapitre XXII
Chapitre XXIII
Chapitre XXIV
Chapitre XXV
Chapitre XXVI
Chapitre XXVII
Chapitre XXVIII
Chapitre XXIX
Chapitre XXX
Je veux simplement rappeler ici quelques faits connus de tous les botanistes. Je n’ai fait aucune découverte, et mon modeste apport se réduit à quelques observations élémentaires. Je n’ai pas, cela va sans dire, l’intention de passer en revue toutes les preuves d’intelligence que nous donnent les plantes. Ces preuves sont innombrables, continuelles, surtout parmi les fleurs, où se concentre l’effort de la vie végétale vers la lumière et vers l’esprit.
S’il se rencontre des plantes et des fleurs maladroites ou malchanceuses, il n’en est point qui soient entièrement dénuées de sagesse et d’ingéniosité. Toutes s’évertuent à l’accomplissement de leur œuvre ; toutes ont la magnifique ambition d’envahir et de conquérir la surface du globe en y multipliant à l’infini la forme d’existence qu’elles représentent. Pour atteindre ce but, elles ont, à raison de la loi qui les enchaîne au sol, à vaincre des difficultés bien plus grandes que celles qui s’opposent à la multiplication des animaux. Aussi, la plupart ont-elles recours à des ruses, à des combinaisons, à une machinerie, à des pièges, qui, sous le rapport de la mécanique, de la balistique, de l’aviation, de l’observation des insectes, par exemple, précédèrent souvent les inventions et les connaissances de l’homme.
Il serait superflu de retracer le tableau des grands systèmes de la fécondation florale : le jeu des étamines et du pistil, la séduction des parfums, l’appel des couleurs harmonieuses et éclatantes, l’élaboration du nectar, absolument inutile à la fleur, et qu’elle ne fabrique que pour attirer et retenir le libérateur étranger, le messager d’amour, abeille, bourdon, mouche, papillon, phalène, qui doit lui apporter le baiser de l’amant lointain, invisible, immobile…
Ce monde végétal qui nous paraît si paisible, si résigné, où tout semble acceptation, silence, obéissance, recueillement, est au contraire celui où la révolte contre la destinée est la plus véhémente et la plus obstinée. L’organe essentiel, l’organe nourricier de la plante, sa racine, l’attache indissolublement au sol. S’il est difficile de découvrir, parmi les grandes lois qui nous accablent, celle qui pèse le plus lourdement à nos épaules, pour la plante, il n’y a pas de doute : c’est la loi qui la condamne à l’immobilité depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Aussi sait-elle mieux que nous, qui dispersons nos efforts, contre quoi d’abord s’insurger. Et l’énergie de son idée fixe qui monte des ténèbres de ses racines pour s’organiser et s’épanouir dans la lumière de sa fleur, est un spectacle incomparable. Elle se tend tout entière dans un même dessein : échapper par le haut à la fatalité du bas ; éluder, transgresser la lourde et sombre loi, se délivrer, briser l’étroite sphère, inventer ou invoquer des ailes, s’évader le plus loin possible, vaincre l’espace où le destin l’enferme, se rapprocher d’un autre règne, pénétrer dans un monde mouvant et animé… Qu’elle y parvienne, n’est-ce pas aussi surprenant que si nous réussissions à vivre hors du temps qu’un autre destin nous assigne, ou à nous introduire dans un univers libéré des lois les plus pesantes de la matière ? Nous verrons que la fleur donne à l’homme un prodigieux exemple d’insoumission, de courage, de persévérance et d’ingéniosité. Si nous avions mis à soulever diverses nécessités qui nous écrasent, celles, par exemple, de la douleur, de la vieillesse et de la mort, la moitié de l’énergie qu’a déployée telle petite fleur de nos jardins, il est permis de croire que notre sort serait très différent de ce qu’il est.
Ce besoin de mouvement, cet appétit d’espace, chez la plupart des plantes, se manifeste à la fois dans la fleur et dans le fruit. Il s’explique aisément dans le fruit ; ou, en tout cas, n’y décèle qu’une expérience, une prévoyance moins complexe. Au rebours de ce qui a lieu dans le règne animal, et à cause de la terrible loi d’immobilité absolue, le premier et le pire ennemi de la graine, c’est la souche paternelle. Nous sommes dans un monde bizarre, où les parents, incapables de se déplacer, savent qu’ils sont condamnés à affamer ou étouffer leurs rejetons. Toute semence qui tombe au pied de l’arbre ou de la plante est perdue ou germera dans la misère. De là l’immense effort pour secouer le joug et conquérir l’espace. De là les merveilleux systèmes de dissémination, de propulsion, d’aviation, que nous trouvons de toutes parts dans la forêt et dans la plaine ; entre autres, pour ne citer en passant que quelques-uns des plus curieux : l’hélice aérienne ou samare de l’Érable, la bractée du Tilleul, la machine à planer du Chardon, du Pissenlit, du Salsifis ; les ressorts détonants de l’Euphorbe, l’extraordinaire poire à gicler de la Momordique, les crochets à laine des Ériophylles ; et mille autres mécanismes inattendus et stupéfiants, car il n’est, pour ainsi dire, aucune semence qui n’ait inventé de toutes pièces quelque procédé bien à elle pour s’évader de l’ombre maternelle.
On ne saurait croire, en effet, si l’on n’a quelque peu pratiqué la Botanique, ce qu’il se dépense d’imagination et de génie dans toute cette verdure qui réjouit nos yeux. Regardez, par exemple, la jolie marmite à graines du Mouron rouge, les cinq valves de la Balsamine, les cinq capsules à détente du Géranium, etc. N’oubliez pas d’examiner, à l’occasion, la vulgaire tête de Pavot qu’on trouve chez tous les herboristes. Il y a, dans cette bonne grosse tête, une prudence, une prévoyance dignes des plus grands éloges. On sait qu’elle renferme des milliers de petites graines noires extrêmement menues. Il s’agit de disséminer cette semence le plus adroitement et le plus loin possible. Si la capsule qui la contient se fendait, tombait ou s’ouvrait par le bas, la précieuse poudre noire ne formerait qu’un tas inutile au pied de la tige. Mais elle ne peut sortir que par des ouvertures percées tout en haut de l’enveloppe. Celle-ci, une fois mûre, se penche sur son pédoncule, « encense » au moindre souffle et sème, littéralement, avec le geste même du semeur, les graines dans l’espace.
Parlerai-je des graines qui prévoient leur dissémination par les oiseaux et qui, pour les tenter, se blottissent, comme le Gui, le Genévrier, le Sorbier, etc., au fond d’une enveloppe sucrée ? Il y a là un tel raisonnement, une telle entente des causes finales, qu’on n’ose guère insister de peur de renouveler les naïves erreurs de Bernardin de Saint-Pierre. Pourtant les faits ne s’expliquent pas autrement. L’enveloppe sucrée est aussi inutile à la graine que le nectar, qui attire les abeilles, l’est à la fleur. L’oiseau mange le fruit parce qu’il est sucré et avale en même temps la graine qui est indigestible. L’oiseau s’envole et rend peu à près, telle qu’il l’a reçue, la semence débarrassée de sa gaine et prête à germer loin des dangers du lieu natal.
Mais revenons à des combinaisons plus simples. Cueillez au bord de la route, dans la première touffe venue, un brin d’herbe quelconque ; et vous surprendrez à l’œuvre une petite intelligence indépendante, inlassable, imprévue. Voici deux pauvres plantes rampantes que vous avez mille fois rencontrées dans vos promenades, car on les trouve en tous lieux et jusque dans les coins les plus ingrats où s’est égarée une pincée d’humus. Ce sont deux variétés de Luzernes (Medicago) sauvages, deux mauvaises herbes au sens le plus modeste de ce mot. L’une porte une fleur rougeâtre, l’autre une houppette jaune de la grosseur d’un pois. À les voir se glisser et se dissimuler dans le gazon, parmi les orgueilleuses graminées, on ne se douterait jamais qu’elles ont, bien avant l’illustre géomètre et physicien de Syracuse, découvert et tenté d’appliquer, non pas à l’élévation des liquides, mais à l’aviation, les étonnantes propriétés de la vis d’Archimède. Elles logent donc leurs graines en de légères spirales, à trois ou quatre révolutions, admirablement construites, comptant bien ainsi ralentir leur chute et, par conséquent, avec l’aide du vent, prolonger leur voyage aérien. L’une d’elles, la jaune, a même perfectionné l’appareil de la rouge en garnissant les bords de la spirale d’un double rang de pointes, dans l’intention évidente de l’accrocher au passage, soit aux vêtements des promeneurs, soit à la laine des animaux. Il est clair qu’elle espère joindre les avantages de l’ériophilie, c’est-à-dire de la dissémination des graines par les moutons, les chèvres, les lapins, etc., à ceux de l’anémophilie ou dissémination par le vent.
Le plus touchant, dans tout ce grand effort, c’est qu’il est inutile. Les pauvres Luzernes rouges et jaunes se sont trompées. Leurs remarquables vis ne leur servent de rien. Elles ne pourraient fonctionner que si elles tombaient d’une certaine hauteur, du faîte d’un grand arbre ou d’une altière graminée ; mais, construites au ras de l’herbe, à peine ont-elles fait un quart de tour, qu’elles touchent déjà terre. Nous avons là un curieux exemple des erreurs, des tâtonnements, des expériences et des petits mécomptes, assez fréquents, de la nature : car il faut ne l’avoir guère étudiée pour affirmer que la nature ne se trompe jamais.
Remarquons, en passant, que d’autres variétés de Luzernes, sans parler du Trèfle, autre légumineuse papilionacée qui se confond presque avec celle dont nous nous occupons ici, n’ont pas adopté ces appareils d’aviation, et s’en tiennent à la méthode primitive de la gousse. Chez l’une d’elles, la