La Reine Margot - Alexandre Dumas - E-Book

La Reine Margot E-Book

Dumas Alexandre

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Beschreibung

Extrait : "Un carrefour de Paris. À droite, l'hôtellerie de La Hurière, avec chambres praticables au rez-de-chaussée et au premier étage. À gauche, l'hôtel de l'amiral Coligny, avec un balcon praticable. Au fond, la demeure de de Mouy ; de chaque côté de cette habitation, une rue faisant face au public et se perdant au lointain."

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Seitenzahl: 209

Veröffentlichungsjahr: 2015

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EAN : 9782335050240

©Ligaran 2015

Acte premier
Distribution

HENRI DE NAVARRE.

CHARLES IX.

LA MOLE.

COCONNAS.

LA HURIÈRE.

CABOCHE.

D’ALENÇON.

DE MOUY.

RENÉ.

MAUREVEL.

FRIQUET.

LE GEÔLIER.

LE GOUVERNEUR.

UN HUGUENOT.

UN JUGE.

CATHERINE DE MÉDICIS.

MARGUERITE.

MADAME DE NEVERS.

MADAME DE SAUVE.

LA NOURRICE.

JOLYETTE.

GILONNE.

MICA.

Premier tableau

Un carrefour de Paris. À droite, l’hôtellerie de La Hurière, avec chambres praticables au rez-de-chaussée et au premier étage. À gauche, l’hôtel de l’amiral Coligny, avec un balcon praticable. Au fond, la demeure de Mouy ; de chaque côté de cette habitation, une rue faisant face au public et se perdant au lointain.

Scène première

La Hurière, Maurevel.

LA HURIÈRE, sur sa porte, apercevant Maurevel, qui entre par le premier plan à gauche

Ah ! venez donc ici, seigneur de Maurevel ; venez donc !

MAUREVEL

Me voici !

LA HURIÈRE

Vous savez qui est là, en face ?

MAUREVEL

Chez l’amiral ?

LA HURIÈRE

Oui, chez l’amiral… Le roi Charles IX !

MAUREVEL

Eh bien ?

LA HURIÈRE

Que vient-il faire chez cet antéchrist ?

MAUREVEL

Pardieu ! lui donner le baiser de Judas… Il est important qu’il ne se doute de rien… C’est le dieu de ces damnés huguenots, et il dispose aujourd’hui de dix mille épées, peut-être.

LA HURIÈRE

Alors, rien n’est changé malgré cette visite ?

MAUREVEL

Rien.

LA HURIÈRE

C’est toujours pour ce soir ?

MAUREVEL

Sans faute !

LA HURIÈRE

À quelle heure ?

MAUREVEL

On ne sait pas encore ; mais un signal nous sera donne.

LA HURIÈRE

Quel sera ce signal ?

MAUREVEL

La cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois sonnant le tocsin.

LA HURIÈRE

Le signe de ralliement ?

MAUREVEL

La croix de Lorraine.

LA HURIÈRE

Et le mot de passe ?

MAUREVEL

Guise et Calais.

LA HURIÈRE

C’est bien ; on se tiendra prêt pour la fête.

MAUREVEL

Silence !… voici un voyageur qui nous arrive…

LA HURIÈRE

Passez par ici !…

MAUREVEL

Adieu.

(La Hurière lui fait traverser la maison ; on voit Maurevel sortir par une porte qui donne sur l’autre rue.)

Scène II

La Hurière, Coconnas, à cheval ; puis La Môle, à cheval aussi.

COCONNAS,les yeux fixés sur l’enseigne, qui représente une poularde rôtie, et qui porte pour légende : À la Belle Étoile

Mordi ! voilà une auberge qui s’annonce bien, et l’hôte doit être, sur ma parole, un ingénieux compère… D’ailleurs, elle est située aux environs du Louvre, et cela me va.

LA MÔLE,arrivant à cheval par une autre rue

Voilà sur mon âme, une belle enseigne ; puis l’hôtellerie est voisine du Louvre, et ce me sera une commodité.

COCONNAS,à la Môle

Mordi ! monsieur, je crois que vous avez la même sympathie que moi pour cette auberge… Je m’en félicite, car c’est flatteur pour Ma Seigneurie… Êtes-vous décidé ?

LA MÔLE

Vous le voyez, monsieur… pas encore, je me consulte.

COCONNAS

Pas encore ? La maison est flatteuse pourtant !

LA MÔLE

Oui, sans doute, voilà une friande peinture ; mais c’est justement ce qui me fait douter de la réalité. Paris est plein de pipeurs, m’a-t-on dit, et l’on pipe aussi bien avec une enseigne qu’avec autre chose.

COCONNAS

Oh ! cela m’est bien indifférent, à moi, et je me moque de la piperie !… Si l’hôte me fournit une volaille moins bien rôtie que celle de son enseigne, je le mets à la broche lui-même… et je ne le quitte pas qu’il ne soit convenablement rissolé. Voilà donc qui doit vous rassurer, monsieur. (Il met pied à terre.) Entrons !

LA MÔLE,mettant pied à terre à son tour

Vous achevez de me décider, monsieur… Monsieur, montrez-moi le chemin, je vous prie !

COCONNAS

Ah ! sur mon âme, je n’en ferai rien ; car je suis votre humble serviteur, le comte Annibal de Coconnas.

LA MÔLE

Et moi, monsieur, votre tout dévoué, le comte Joseph de Lérac de la Môle… tout à votre service.

COCONNAS

En ce cas, monsieur, prenons-nous par le bras, et entrons ensemble… Dites-donc, monsieur l’hôte de la Belle Étoile, monsieur le manant, monsieur le drôle !

LA HURIÈRE

Ah ! pardon, monsieur, je ne vous avais pas vu.

COCONNAS

Il fallait nous voir, c’est votre état…

LA HURIÈRE

Eh bien, que désirez-vous, messieurs ?

COCONNAS,à la Môle

C’est déjà mieux, n’est-ce pas ?… Eh bien, nous désirons, attirés que nous sommes par votre enseigne, trouver à souper et à coucher dans votre hôtellerie.

LA HURIÈRE

Messieurs, je suis au désespoir : il n’y a qu’une chambre dans l’hôtel… et je crains que cela ne vous convienne pas.

LA MÔLE

Ah ! ma foi, tant mieux ! nous irons ailleurs.

COCONNAS

Non pas… Faites à votre guise, monsieur de la Môle ; mais je reste, moi… Mon cheval est harassé… et je prends la chambre, puisque vous n’en voulez pas… D’ailleurs, on m’a positivement indiqué cet hôtel.

LA HURIÈRE

Ah ! ceci est autre chose ; si vous n’êtes qu’un seul, je ne puis pas vous loger du tout.

COCONNAS

Mordi ! voilà sur mon âme, un plaisant animal… Tout à l’heure, nous étions trop de deux ; maintenant, nous ne sommes pas assez d’un… Voyons, tu ne veux donc pas nous loger, drôle ?

LA HURIÈRE

Ma foi, puisque vous le prenez sur ce ton, je vous dirai franchement que j’aimerais mieux ne pas avoir cet honneur.

LA MÔLE

Et pourquoi ?

LA HURIÈRE

J’ai mes raisons.

COCONNAS

Ne vous semble-t-il pas que nous allons massacrer ce gaillard-là ?

LA MÔLE

Mais c’est faisable !

LA HURIÈRE,goguenardant

On voit que ces messieurs arrivent de province.

COCONNAS

Et pourquoi cela ?

LA HURIÈRE

Parce qu’à Paris la mode est passée de massacrer les aubergistes qui refusent de louer leurs chambres… Ce sont les grands seigneurs qu’on massacre, et non les bourgeois… témoin M. l’amiral, qui a reçu hier une si fameuse arquebusade… et, si vous criez trop fort, je vais appeler les voisins, et, vous serez roués de coups… traitement tout à fait indigne de deux gentilshommes.

COCONNAS

Mais le drôle se moque de nous, ce me semble !

LA HURIÈRE,tranquillement

Grégoire, mon arquebuse…

COCONNAS,tirant son épée

Corbœuf ! mais échauffez-vous donc, monsieur de la Môle.

LA MÔLE

Non pas ; car, tandis que nous nous échaufferons, le souper refroidira… Mon ami, combien louez-vous ordinairement votre chambre ?

LA HURIÈRE

Un demi-écu par jour.

LA MÔLE

Voici huit écus pour huit jours ; avez-vous encore quelque chose à dire ?

LA HURIÈRE

Ma foi, non, et avec ces manières-là !… Entrez, messieurs, entrez ! (La Môle passe le premier, Coconnas le suit.)

COCONNAS

N’importe ! j’ai bien de la peine à remettre mon épée au fourreau avant de m’assurer qu’elle pique aussi bien que les lardoires de ce drôle-là.

LA MÔLE

Patience, mon cher compagnon ! toutes les auberges sont pleines de gentilshommes attirés à Paris par les fêtes du mariage et par la prochaine guerre de Flandre… Nous ne trouverions peut-être pas même une chambre ailleurs…

COCONNAS

Mordi ! comme vous avez le sang-froid, monsieur de la Môle ! Mais que le coquin prenne garde à lui !… si sa cuisine est mauvaise… si son lit est dur… si son vin n’a pas trois ans de bouteille… si son valet n’est pas souple comme un jonc… il aura affaire à moi !

LA HURIÈRE,repassant un grand couteau

La, la, mon gentilhomme, calmez-vous… Vous êtes en pays de Cocagne… (À part.) C’est quelque huguenot… Les traîtres sont si insolents depuis le mariage de leur Béarnais avec mademoiselle Margot… (Souriant.) Ce serait drôle qu’il me fût tombé aujourd’hui, jour de la Saint-Barthélemy, justement deux huguenots…

COCONNAS

Ça, monsieur le comte, dites-moi, tandis qu’on nous prépare notre chambre, est-ce que vous trouvez Paris une ville gaie, vous ?

LA MÔLE

Ma foi, non… Il me semble n’y avoir vu que des visages effarouchés et rébarbatifs ; peut-être aussi les Parisiens ont-ils peur de l’orage… Voyez comme le ciel est noir, et comme l’air est lourd.

COCONNAS

Vous cherchez le Louvre, n’est-ce pas, d’après ce que vous m’avez fait l’honneur de me dire ?

LA MÔLE

Oui.

COCONNAS

Eh bien, si vous voulez, en attendant le souper, nous le chercherons ensemble.

LA MÔLE

Nous pourrions souper auparavant ?

COCONNAS

Pas moi… Mes ordres sont précis : être à Paris le dimanche 24 août, et me rendre immédiatement au Louvre.

LA MÔLE

Allons, soit… Il est bon, dit Plutarque, d’exercer son âme à la douleur, et son estomac à la faim, ton dé gastera…

COCONNAS

Vous savez le grec ?

LA MÔLE

Ma foi, oui ; mon précepteur me l’a appris.

COCONNAS

Mordi ! comte, votre fortune est assurée… Vous ferez des vers avec le roi Charles IX, et vous parlerez grec avec la reine Marguerite.

LA MÔLE

Sans compter que je pourrai encore parler gascon avec le roi de Navarre… Venez-vous ?

COCONNAS

Me voilà !… (À La Hurière). Arrive ici, maître… Comment t’appelles-tu ?

LA HURIÈRE

La Hurière !…

COCONNAS

Eh bien, maître la Hurière, indique-nous le plus court chemin pour nous rendre au Louvre.

LA HURIÈRE

Oh ! mon Dieu, c’est bien facile : vous suivez la rue jusqu’à, l’église Saint-Germain-l’Auxerrois ; arrivés à l’église, vous prenez à droite, et vous êtes en face du Louvre.

LA MÔLE

Merci !

Scène III

La Hurière, seul.

Hum !… voilà deux gentilshommes qui m’ont bien l’air de deux affreux parpaillots… Je les recommanderai à M. de Maurevel… où plutôt, puisqu’ils sont ici… eh bien, je ferai mon affaire moi-même.

Scène IV

La Hurière, M. de Nancey, le roi, l’amiral, le bras en écharpe ; puis De Mouy, suite, pages, gentilshommes de l’amiral, peuple, etc.

La porte de l’Amiral s’ouvre.

M. DE NANCEY

La litière du roi !

LA HURIÈRE

Ah ! le roi Charles IX… Il sort de chez l’amiral… Ô grand roi, va !… Dieu te donne la prudence du basilic et la force du lion !

LE ROI,appuyé à l’épaule de l’Amiral

Soyez tranquille, mon père… Que diable ! quand je donne ma sœur Margot à mon cousin Henri, je la donne à tous les huguenots du royaume… Les huguenots sont donc tous mes frères, maintenant.

L’AMIRAL

Ah ! sire, je ne doute pas de vos intentions ; mais la reine Catherine…

LE ROI

Coligny, je ne dis cela qu’à toi, mais je te le dis, ma mère est une brouillonne… Avec elle, il n’y a pas de paix possible… Ces catholiques italiens n’entendent à rien qu’à exterminer… Moi, tout au contraire, non seulement je veux pacifier, mais encore je veux donner la puissance à ceux de la religion… Les autres sont trop dissolus, mon père… En vérité, ils me scandalisent par leurs amours et par leurs dérèglements… Tiens, veux-tu que je te parle avec franchise, je me défie de tout ce qui m’entoure, excepté de toi et de mon beau-frère de Navarre… de ce bon Henriot, ton élève… je ne dis pas ton fils… c’est moi qui suis ton fils ; et je ne veux pas que tu en aies d’un autre que moi.

(Entre la litière dans laquelle Catherine est cachée.)

L’AMIRAL

Cependant, sire, vous avez autour de vous de braves capitaines, des conseillers prudents.

LE ROI

Non, Dieu me pardonne, vois-tu, il n’y a que toi, mon père, il n’y a que toi qui sois brave comme Julius César, et sage comme Plato… Aussi, au moment d’avoir la guerre dans les Flandres, je ne sais vraiment comment faire : te garder ici comme conseiller, ou t’envoyer là-bas comme général… Si tu me conseilles, qui commandera ?… Si tu commandes, qui me conseillera ?

L’AMIRAL

Sire, il faut vaincre d’abord ; puis le conseil viendra après la victoire.

LE ROI

C’est ton avis, mon père ?… Eh bien, il sera fait selon ton avis… Demain, tu partiras pour les Flandres, et moi, je partirai Amboise.

L’AMIRAL

Votre Majesté quitte Paris ?

LE ROI

Oui, je suis fatigué de tout ce bruit et de toutes ces fêtes… Je ne suis pas un homme d’action, moi… je suis un rêveur… Je n’étais pas né pour être roi, j’étais né pour être poète. Ce titre de poète est le seul que j’ambitionne… Aussi, j’ai déjà écrit à Ronsard de venir me rejoindre à Amboise, et, là, tous deux, loin du bruit, loin du monde, loin des méchants, sous nos grands bois, au bord de la rivière, au murmure des ruisseaux, nous parlerons des choses de Dieu, seule compensation qu’il y ait, dans ce monde, aux choses des hommes…

COLIGNY

Sire, je ne puis qu’applaudir à une pareille résolution ; mais Votre Majesté veut-elle permettre que je la sollicite, avant son départ, d’accomplir un acte de justice et, en même temps, de politique ?

LE ROI

Dis, mon père, dis !…

COLIGNY

Un acte qui donnera un nouveau gage à ceux de la religion réformée.

LE ROI

Parle… ou plutôt veux-tu mes pleins pouvoirs pour accomplir cet acte ?

COLIGNY

Non, sire, l’exemple sera plus grand, venant de vous.

LE ROI

Alors, dis-moi ce qu’il y a à faire.

COLIGNY,faisant signe à un jeune homme qui quitte la foule et qui s’avance

Permettez-moi, sire, de vous présenter M. de Mouy de Saint-Phale.

DE MOUY,un genou en terre

Sire, justice !

LE ROI

Ah ! vous êtes le fils du capitaine de Mouy ?

DE MOUY

Oui, sire.

LE ROI

Lequel a été traîtreusement tué par François Louviers de Maurevel ?

DE MOUY

Oui, sire.

LE ROI

Relevez-vous, monsieur de Mouy ; justice sera faite !

(Le Roi lui donne sa main à baiser.)

DE MOUY

Oh ! sire !…

LES ASSISTANTS

Vive le roi !

COLIGNY

Les entendez-vous, sire !…

LE ROI

Merci, braves gens, merci… Mais ce n’est pas « Vive le roi ! » qu’il faut crier, c’est « Vive l’amiral ! »

QUELQUES VOIX

Vive l’amiral !

LE ROI

Adieu, mon père ; à partir de ce moment, nous appartenons l’un à l’autre, corps et âme… (Il l’embrasse.) Adieu !

COLIGNY,voulant conduire le Roi à sa litière

Sire, permettez…

LE ROI

Non pas…

COLIGNY

Sire…

LE ROI

Je le veux !

(Le Roi monte dans la litière. Au moment où la litière tourne devant le public, on voit Catherine au fond, attentive.)

LE ROI,bas, à sa mère

Êtes-vous contente de moi, ma mère, et ai-je bien joué mon petit rôle ?

CATHERINE

Oui, mon fils !

(Les Pages, les Gardes, le Peuple sortent, avec de grandes acclamations.)

Scène V

L’amiral, De Mouy, La Hurière, chez lui.

COLIGNY,congédiant ses gentilshommes

Eh bien, de Mouy, tu es satisfait, je l’espère ?

DE MOUY

Oui ; il me semble de bonne foi.

COLIGNY

Oh ! je te réponds de lui comme de moi-même.

DE MOUY

En tout cas, mon père, maintenant que nous pouvons habiter Paris en toute tranquillité, s’il ne me fait pas justice de l’assassin, je me la ferai, moi… À présent, un seul mot sur une autre chose, qui, pour me toucher de moins près, n’en est pas moins importante.

COLIGNY

Dis.

DE MOUY

Vous persistez à nous présenter Henri pour le roi de Navarre ?

COLIGNY

C’est à lui que ce trône appartient de droit.

DE MOUY

Sans doute ; mais en est-il digne ?

COLIGNY

Henri est digne de tous les trônes, de Mouy.

DE MOUY

Je puis donc m’attacher à lui ?

COLIGNY

Comme le lierre au chêne.

DE MOUY

Mais, vous le savez, mon attachement, à moi, c’est le dévouement le plus absolu.

COLIGNY

Dévoue-toi franchement et entièrement alors ; car, en te dévouant à Henri, tu te dévoues non seulement à un homme, mais à une cause ; et cette cause, c’est celle du Seigneur !

DE MOUY

C’est donc, à votre avis, le chef qui peut faire les huguenots forts et libres, la religion réformée grande et forte.

COLIGNY

C’est le roi qui peut faire, du royaume qu’il gouvernera, le premier royaume du monde.

DE MOUY

C’est dit, mon père. À partir d’aujourd’hui, il disposera de moi comme vous en auriez disposé vous-même. Adieu !

COLIGNY

Bon et excellent jeune homme !

(Il le suit des yeux et rentre.)

Scène VI

La Hurière, Coconnas, arrivant par la rue.

LA HURIÈRE

Comme ils complotent, ces huguenots ! car je suis sûr qu’ils complotent ; heureusement qu’on ne les laissera pas aller, car ils iraient loin ; mais il est temps de les arrêter. Vous avez raison, monsieur de Maurevel, il est temps !

COCONNAS,lui frappant sur l’épaule

Eh bien, l’ami, ce souper ?

LA HURIÈRE,négligemment

Ah ! parbleu ! je vous avais oublié, mon gentilhomme !

COCONNAS

Comment, tu m’avais oublié ? Et tu l’avoues, drôle !

LA HURIÈRE

Ma foi, quand vous saurez pour qui !…

COCONNAS

Et pour qui ?…

LA HURIÈRE

C’est pour Sa Majesté Charles IX, qui vient de passer là !

COCONNAS

Le roi ? Mordi ! je suis fâché de ne pas l’avoir vu. Le roi a passé là, dans la rue ?

LA HURIÈRE

Oui, sortant de chez l’amiral !

COCONNAS,rentrant

Quoi ! le roi a été visiter ce païen ?

LA HURIÈRE,bas

Bon ! celui-ci est des nôtres… (Haut). Grégoire, servez vite monsieur… Servez !… servez !

COCONNAS

Allons, il paraît qu’il s’humanise… Qu’est-ce que c’est que cela ?

LA HURIÈRE

Une omelette au lard… C’était pour ne pas faire attendre Votre Seigneurie.

COCONNAS

Brave !

(Il se met à table.)

LA MÔLE,entrant par l’autre porte

Comte, non seulement Plutarque dit, dans un endroit, qu’il faut endurcir son âme à la douleur et son estomac à la faim, mais il dit encore, dans un autre, qu’il faut que celui qui a partage avec celui qui n’a pas… Pour l’amour de Plutarque, voulez-vous partager votre omelette avec moi, comte ?

COCONNAS

Vous n’avez donc pas soupé chez le roi de Navarre, comme vous y comptiez ?

(Il lui offre un siège.)

LA HURIÈRE

Ah ! il paraît que celui-là est un huguenot.

LA MÔLE,à table

Non ; le roi de Navarre n’était pas au Louvre ; mais, cil échange…

COCONNAS

Eh bien, en échange… ?

LA MÔLE

Oh ! comte, l’adorable vision que j’ai eue !

COCONNAS

Une vision ?

LA MÔLE

Imaginez-vous que, par la protection d’un jeune capitaine de la religion réformée, j’avais été introduit jusque dans la grande galerie, où, à mon profond étonnement, il n’y avait personne… Là, mon introducteur m’avait laissé seul pour s’informer… quand tout à coup une porte s’ouvre, et je me trouve en face d’une femme si noble, si gracieuse, si resplendissante, que je crus d’abord que c’était l’ombre de la belle Liane de Poitiers, qui revient, dit-on, au Louvre.

COCONNAS

Et c’était… ?

LA MÔLE

C’était tout simplement le corps de madame Marguerite, reine de Navarre.

COCONNAS

Ma foi, vous n’êtes pas malheureux… J’aime mieux les corps que les ombres.

LA MÔLE

Vous avez raison !

COCONNAS

Et qu’avez-vous dit à cette belle reine ?

LA MÔLE

Pas un mot. J’étais en extase… J’ai tiré la lettre dont j’étais porteur, je la lui ai remise, et, avec la plus jolie main du monde, avec les doigts les plus effilés que j’aie jamais vus, toute tiède encore de la chaleur de ma poitrine, elle l’a glissée dans son corset de satin.

COCONNAS

Oh ! oh ! comme vous dites vivement les choses, compagnon !

LA MÔLE

Je les dis comme je les sens… Et vous, êtes-vous parvenu à vos fins ?

COCONNAS

Mordi ! tout le monde n’est pas favorisé comme vous des dieux ou des déesses… J’ai tout bonnement rencontré un Allemand… fort aimable pour un Allemand, il n’y a rien à dire ! lequel, reconnaissant en moi un bon catholique, m’a conduit près de M. de Guise, à qui j’avais affaire, (À la Hurière, qui s’est avancé). Eh bien, que fais-tu là ?… tu nous écoutes ?

LA HURIÈRE,la main à son bonnet

Oui, messieurs, je vous écoute… mais pour vous servir… À quoi puis-je vous être bon, mes gentilshommes ?

COCONNAS

Ah ! ah ! ce nom de Guise est magique, à ce qu’il paraît ; car, d’insolent que tu étais, te voilà devenu obséquieux… Crois-tu que mon bras soit moins lourd que celui de M. de Guise, qui a le privilège de te rendre si poli ?

LA HURIÈRE

Non, monsieur le comte, mais il est moins long ; d’ailleurs, il faut vous dire que le grand Henri est notre idole, à nous autres Parisiens…

LA MÔLE

Quel Henri, s’il vous plaît ?

LA HURIÈRE

Je n’en connais qu’un.

LA MÔLE

Ah ! mais, moi, j’en connais plusieurs… Et il y en a un dont je vous invite particulièrement, mon ami, à ne pas dire de mal.

LA HURIÈRE

Lequel ?

LA MÔLE

Sa Majesté le roi Henri de Navarre !

LA HURIÈRE

Je ne le connais pas…

(Il fait un signe à Coconnas.)

LA MÔLE

Drôle !

(Il se lève.)

COCONNAS

Eh bien, que faites-vous ?

LA MÔLE

Je quitte la table, n’ayant plus faim…

COCONNAS

J’en suis vraiment fâché ; je comptais attendre dans votre honorable compagnie le moment de retourner au Louvre.

LA MÔLE

Vous retournez au Louvre ?

COCONNAS

Oui, monsieur.

LA MÔLE

Et moi aussi.

COCONNAS

À quelle heure ?

LA MÔLE

J’ai rendez-vous à minuit.

COCONNAS

Et moi aussi…

LA MÔLE

Ah ça ! mais savez-vous qu’il y a une étrange liaison entre nos deux destinées ? Où vous venez, je viens ; où vous allez, je vais.

COCONNAS

En ce cas, écoutez : on ne peut plus manger quand on n’a plus faim ; mais on peut encore boire quand on n’a plus soif… Buvons donc jusqu’à minuit ! et nous irons au Louvre ensemble.

LA MÔLE

Je vous demande pardon ; mais je craindrais, en cédant à votre invitation, de ne pas porter au Louvre des idées aussi nettes que celles que l’on attend de moi… Mais avec qui cause donc notre hôte ?

(On voit La Hurière fort échauffé à parler dans la rue avec Maurevel.)

COCONNAS

Il cause ; mais, le diable m’emporte ! il cause avec le même individu…

LA MÔLE

Comment, le même individu ?

COCONNAS

Oui, avec lequel il causait déjà quand nous sommes arrivés… l’homme au manteau amadou. Oh ! oh ! quel feu il met à la conversation !… Eh ! dites-donc, maître La Hurière, est-ce que vous faites de la politique, par hasard ?

LA HURIÈRE,avec un geste terrible

Ah !… schelme !

COCONNAS,se levant et allant à lui

Qu’avez-vous donc, mon ami ? seriez-vous possédé ?

LA HURIÈRE,saisissant la main de Coconnas

Silence ! malheureux !… silence sur votre vie !

COCONNAS

Oh ! oh !

LA HURIÈRE

Congédiez votre ami sans perdre un instant ; il faut que nous vous parlions, monsieur et moi.

MAUREVEL

Il le faut, entendez-vous.

COCONNAS

Mordi ! il paraît que c’est sérieux ?

MAUREVEL

On ne peut plus sérieux.

LA MÔLE,de la maison

Eh bien, que décidez-vous ?

COCONNAS

Je pense que vous avez raison, et que mieux vaut que chacun de nous garde sa tête. (Il rentre.) Donc, un dernier verre de vin… À votre fortune !

LA MÔLE

À la vôtre, monsieur !

COCONNAS

Vous vous retirez ?

LA MÔLE

Oui, je suis fatigué ; il est onze heures seulement, je n’ai rendez-vous au Louvre qu’à minuit, et je ne suis pas fâché de me jeter une heure sur mon lit… Maître La Hurière…

LA HURIÈRE

Monsieur le comte ?…

LA MÔLE

Conduisez-moi à ma chambre, je vous prie ; à minuit, vous me réveillerez… Je serai tout habillé, et, par conséquent, vite prêt.

COCONNAS

Bien ! c’est comme moi, je vais faire tous mes préparatifs. Maître La Hurière, donnez-moi du papier blanc et des ciseaux, que je découpe mon signe de reconnaissance.

LA HURIÈRE,bas

Mais, malheureux, vous avez donc juré… ? (Haut.) Grégoire, ce gentilhomme demande du papier blanc pour écrire, et des ciseaux pour tailler l’enveloppe ! Venez, monsieur de la Môle, venez.

(Il monte l’escalier, éclairant la Môle.)

COCONNAS,à part

Décidément, il se passe ici quelque chose d’extraordinaire.

LA MÔLE,montant

Bonsoir, monsieur de Coconnas… et bonne chance au Louvre ?

Scène VII

Maurevel, à la porte du fond ; Coconnas.

COCONNAS

Ah ça ! mais qu’ai-je donc fait ?

MAUREVEL

Ce que vous avez fait, monsieur ? Vous avez failli révéler tout à l’heure un secret duquel dépend le sort du royaume… Voilà ce que vous avez fait. Par bonheur, Dieu a voulu que votre bouche fût fermée à temps par notre digne hôte… Un mot de plus, et vous êtes mort… Maintenant, nous sommes seuls, écoutez-moi.

COCONNAS

Un instant, monsieur. Qui êtes-vous, s’il vous plaît, pour me parler avec ce ton de-commandement ?

MAUREVEL

Avez-vous, par hasard, entendu nommer le sire Louviers de Maurevel ?…

COCONNAS

Le meurtrier du capitaine de Mouy ?… Oui, sans doute.

MAUREVEL

Eh bien, c’est moi !

COCONNAS

Oh ! oh !

MAUREVEL

Écoutez-moi donc !

COCONNAS

Je le crois bien, mordi ! que je vous écoute.

MAUREVEL

Chut !… attendez !