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Extrait : "Un carrefour de Paris. À droite, l'hôtellerie de La Hurière, avec chambres praticables au rez-de-chaussée et au premier étage. À gauche, l'hôtel de l'amiral Coligny, avec un balcon praticable. Au fond, la demeure de de Mouy ; de chaque côté de cette habitation, une rue faisant face au public et se perdant au lointain."
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Seitenzahl: 209
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335050240
©Ligaran 2015
HENRI DE NAVARRE.
CHARLES IX.
LA MOLE.
COCONNAS.
LA HURIÈRE.
CABOCHE.
D’ALENÇON.
DE MOUY.
RENÉ.
MAUREVEL.
FRIQUET.
LE GEÔLIER.
LE GOUVERNEUR.
UN HUGUENOT.
UN JUGE.
CATHERINE DE MÉDICIS.
MARGUERITE.
MADAME DE NEVERS.
MADAME DE SAUVE.
LA NOURRICE.
JOLYETTE.
GILONNE.
MICA.
Un carrefour de Paris. À droite, l’hôtellerie de La Hurière, avec chambres praticables au rez-de-chaussée et au premier étage. À gauche, l’hôtel de l’amiral Coligny, avec un balcon praticable. Au fond, la demeure de Mouy ; de chaque côté de cette habitation, une rue faisant face au public et se perdant au lointain.
La Hurière, Maurevel.
Ah ! venez donc ici, seigneur de Maurevel ; venez donc !
Me voici !
Vous savez qui est là, en face ?
Chez l’amiral ?
Oui, chez l’amiral… Le roi Charles IX !
Eh bien ?
Que vient-il faire chez cet antéchrist ?
Pardieu ! lui donner le baiser de Judas… Il est important qu’il ne se doute de rien… C’est le dieu de ces damnés huguenots, et il dispose aujourd’hui de dix mille épées, peut-être.
Alors, rien n’est changé malgré cette visite ?
Rien.
C’est toujours pour ce soir ?
Sans faute !
À quelle heure ?
On ne sait pas encore ; mais un signal nous sera donne.
Quel sera ce signal ?
La cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois sonnant le tocsin.
Le signe de ralliement ?
La croix de Lorraine.
Et le mot de passe ?
Guise et Calais.
C’est bien ; on se tiendra prêt pour la fête.
Silence !… voici un voyageur qui nous arrive…
Passez par ici !…
Adieu.
(La Hurière lui fait traverser la maison ; on voit Maurevel sortir par une porte qui donne sur l’autre rue.)
La Hurière, Coconnas, à cheval ; puis La Môle, à cheval aussi.
Mordi ! voilà une auberge qui s’annonce bien, et l’hôte doit être, sur ma parole, un ingénieux compère… D’ailleurs, elle est située aux environs du Louvre, et cela me va.
Voilà sur mon âme, une belle enseigne ; puis l’hôtellerie est voisine du Louvre, et ce me sera une commodité.
Mordi ! monsieur, je crois que vous avez la même sympathie que moi pour cette auberge… Je m’en félicite, car c’est flatteur pour Ma Seigneurie… Êtes-vous décidé ?
Vous le voyez, monsieur… pas encore, je me consulte.
Pas encore ? La maison est flatteuse pourtant !
Oui, sans doute, voilà une friande peinture ; mais c’est justement ce qui me fait douter de la réalité. Paris est plein de pipeurs, m’a-t-on dit, et l’on pipe aussi bien avec une enseigne qu’avec autre chose.
Oh ! cela m’est bien indifférent, à moi, et je me moque de la piperie !… Si l’hôte me fournit une volaille moins bien rôtie que celle de son enseigne, je le mets à la broche lui-même… et je ne le quitte pas qu’il ne soit convenablement rissolé. Voilà donc qui doit vous rassurer, monsieur. (Il met pied à terre.) Entrons !
Vous achevez de me décider, monsieur… Monsieur, montrez-moi le chemin, je vous prie !
Ah ! sur mon âme, je n’en ferai rien ; car je suis votre humble serviteur, le comte Annibal de Coconnas.
Et moi, monsieur, votre tout dévoué, le comte Joseph de Lérac de la Môle… tout à votre service.
En ce cas, monsieur, prenons-nous par le bras, et entrons ensemble… Dites-donc, monsieur l’hôte de la Belle Étoile, monsieur le manant, monsieur le drôle !
Ah ! pardon, monsieur, je ne vous avais pas vu.
Il fallait nous voir, c’est votre état…
Eh bien, que désirez-vous, messieurs ?
C’est déjà mieux, n’est-ce pas ?… Eh bien, nous désirons, attirés que nous sommes par votre enseigne, trouver à souper et à coucher dans votre hôtellerie.
Messieurs, je suis au désespoir : il n’y a qu’une chambre dans l’hôtel… et je crains que cela ne vous convienne pas.
Ah ! ma foi, tant mieux ! nous irons ailleurs.
Non pas… Faites à votre guise, monsieur de la Môle ; mais je reste, moi… Mon cheval est harassé… et je prends la chambre, puisque vous n’en voulez pas… D’ailleurs, on m’a positivement indiqué cet hôtel.
Ah ! ceci est autre chose ; si vous n’êtes qu’un seul, je ne puis pas vous loger du tout.
Mordi ! voilà sur mon âme, un plaisant animal… Tout à l’heure, nous étions trop de deux ; maintenant, nous ne sommes pas assez d’un… Voyons, tu ne veux donc pas nous loger, drôle ?
Ma foi, puisque vous le prenez sur ce ton, je vous dirai franchement que j’aimerais mieux ne pas avoir cet honneur.
Et pourquoi ?
J’ai mes raisons.
Ne vous semble-t-il pas que nous allons massacrer ce gaillard-là ?
Mais c’est faisable !
On voit que ces messieurs arrivent de province.
Et pourquoi cela ?
Parce qu’à Paris la mode est passée de massacrer les aubergistes qui refusent de louer leurs chambres… Ce sont les grands seigneurs qu’on massacre, et non les bourgeois… témoin M. l’amiral, qui a reçu hier une si fameuse arquebusade… et, si vous criez trop fort, je vais appeler les voisins, et, vous serez roués de coups… traitement tout à fait indigne de deux gentilshommes.
Mais le drôle se moque de nous, ce me semble !
Grégoire, mon arquebuse…
Corbœuf ! mais échauffez-vous donc, monsieur de la Môle.
Non pas ; car, tandis que nous nous échaufferons, le souper refroidira… Mon ami, combien louez-vous ordinairement votre chambre ?
Un demi-écu par jour.
Voici huit écus pour huit jours ; avez-vous encore quelque chose à dire ?
Ma foi, non, et avec ces manières-là !… Entrez, messieurs, entrez ! (La Môle passe le premier, Coconnas le suit.)
N’importe ! j’ai bien de la peine à remettre mon épée au fourreau avant de m’assurer qu’elle pique aussi bien que les lardoires de ce drôle-là.
Patience, mon cher compagnon ! toutes les auberges sont pleines de gentilshommes attirés à Paris par les fêtes du mariage et par la prochaine guerre de Flandre… Nous ne trouverions peut-être pas même une chambre ailleurs…
Mordi ! comme vous avez le sang-froid, monsieur de la Môle ! Mais que le coquin prenne garde à lui !… si sa cuisine est mauvaise… si son lit est dur… si son vin n’a pas trois ans de bouteille… si son valet n’est pas souple comme un jonc… il aura affaire à moi !
La, la, mon gentilhomme, calmez-vous… Vous êtes en pays de Cocagne… (À part.) C’est quelque huguenot… Les traîtres sont si insolents depuis le mariage de leur Béarnais avec mademoiselle Margot… (Souriant.) Ce serait drôle qu’il me fût tombé aujourd’hui, jour de la Saint-Barthélemy, justement deux huguenots…
Ça, monsieur le comte, dites-moi, tandis qu’on nous prépare notre chambre, est-ce que vous trouvez Paris une ville gaie, vous ?
Ma foi, non… Il me semble n’y avoir vu que des visages effarouchés et rébarbatifs ; peut-être aussi les Parisiens ont-ils peur de l’orage… Voyez comme le ciel est noir, et comme l’air est lourd.
Vous cherchez le Louvre, n’est-ce pas, d’après ce que vous m’avez fait l’honneur de me dire ?
Oui.
Eh bien, si vous voulez, en attendant le souper, nous le chercherons ensemble.
Nous pourrions souper auparavant ?
Pas moi… Mes ordres sont précis : être à Paris le dimanche 24 août, et me rendre immédiatement au Louvre.
Allons, soit… Il est bon, dit Plutarque, d’exercer son âme à la douleur, et son estomac à la faim, ton dé gastera…
Vous savez le grec ?
Ma foi, oui ; mon précepteur me l’a appris.
Mordi ! comte, votre fortune est assurée… Vous ferez des vers avec le roi Charles IX, et vous parlerez grec avec la reine Marguerite.
Sans compter que je pourrai encore parler gascon avec le roi de Navarre… Venez-vous ?
Me voilà !… (À La Hurière). Arrive ici, maître… Comment t’appelles-tu ?
La Hurière !…
Eh bien, maître la Hurière, indique-nous le plus court chemin pour nous rendre au Louvre.
Oh ! mon Dieu, c’est bien facile : vous suivez la rue jusqu’à, l’église Saint-Germain-l’Auxerrois ; arrivés à l’église, vous prenez à droite, et vous êtes en face du Louvre.
Merci !
La Hurière, seul.
Hum !… voilà deux gentilshommes qui m’ont bien l’air de deux affreux parpaillots… Je les recommanderai à M. de Maurevel… où plutôt, puisqu’ils sont ici… eh bien, je ferai mon affaire moi-même.
La Hurière, M. de Nancey, le roi, l’amiral, le bras en écharpe ; puis De Mouy, suite, pages, gentilshommes de l’amiral, peuple, etc.
La porte de l’Amiral s’ouvre.
La litière du roi !
Ah ! le roi Charles IX… Il sort de chez l’amiral… Ô grand roi, va !… Dieu te donne la prudence du basilic et la force du lion !
Soyez tranquille, mon père… Que diable ! quand je donne ma sœur Margot à mon cousin Henri, je la donne à tous les huguenots du royaume… Les huguenots sont donc tous mes frères, maintenant.
Ah ! sire, je ne doute pas de vos intentions ; mais la reine Catherine…
Coligny, je ne dis cela qu’à toi, mais je te le dis, ma mère est une brouillonne… Avec elle, il n’y a pas de paix possible… Ces catholiques italiens n’entendent à rien qu’à exterminer… Moi, tout au contraire, non seulement je veux pacifier, mais encore je veux donner la puissance à ceux de la religion… Les autres sont trop dissolus, mon père… En vérité, ils me scandalisent par leurs amours et par leurs dérèglements… Tiens, veux-tu que je te parle avec franchise, je me défie de tout ce qui m’entoure, excepté de toi et de mon beau-frère de Navarre… de ce bon Henriot, ton élève… je ne dis pas ton fils… c’est moi qui suis ton fils ; et je ne veux pas que tu en aies d’un autre que moi.
(Entre la litière dans laquelle Catherine est cachée.)
Cependant, sire, vous avez autour de vous de braves capitaines, des conseillers prudents.
Non, Dieu me pardonne, vois-tu, il n’y a que toi, mon père, il n’y a que toi qui sois brave comme Julius César, et sage comme Plato… Aussi, au moment d’avoir la guerre dans les Flandres, je ne sais vraiment comment faire : te garder ici comme conseiller, ou t’envoyer là-bas comme général… Si tu me conseilles, qui commandera ?… Si tu commandes, qui me conseillera ?
Sire, il faut vaincre d’abord ; puis le conseil viendra après la victoire.
C’est ton avis, mon père ?… Eh bien, il sera fait selon ton avis… Demain, tu partiras pour les Flandres, et moi, je partirai Amboise.
Votre Majesté quitte Paris ?
Oui, je suis fatigué de tout ce bruit et de toutes ces fêtes… Je ne suis pas un homme d’action, moi… je suis un rêveur… Je n’étais pas né pour être roi, j’étais né pour être poète. Ce titre de poète est le seul que j’ambitionne… Aussi, j’ai déjà écrit à Ronsard de venir me rejoindre à Amboise, et, là, tous deux, loin du bruit, loin du monde, loin des méchants, sous nos grands bois, au bord de la rivière, au murmure des ruisseaux, nous parlerons des choses de Dieu, seule compensation qu’il y ait, dans ce monde, aux choses des hommes…
Sire, je ne puis qu’applaudir à une pareille résolution ; mais Votre Majesté veut-elle permettre que je la sollicite, avant son départ, d’accomplir un acte de justice et, en même temps, de politique ?
Dis, mon père, dis !…
Un acte qui donnera un nouveau gage à ceux de la religion réformée.
Parle… ou plutôt veux-tu mes pleins pouvoirs pour accomplir cet acte ?
Non, sire, l’exemple sera plus grand, venant de vous.
Alors, dis-moi ce qu’il y a à faire.
Permettez-moi, sire, de vous présenter M. de Mouy de Saint-Phale.
Sire, justice !
Ah ! vous êtes le fils du capitaine de Mouy ?
Oui, sire.
Lequel a été traîtreusement tué par François Louviers de Maurevel ?
Oui, sire.
Relevez-vous, monsieur de Mouy ; justice sera faite !
(Le Roi lui donne sa main à baiser.)
Oh ! sire !…
Vive le roi !
Les entendez-vous, sire !…
Merci, braves gens, merci… Mais ce n’est pas « Vive le roi ! » qu’il faut crier, c’est « Vive l’amiral ! »
Vive l’amiral !
Adieu, mon père ; à partir de ce moment, nous appartenons l’un à l’autre, corps et âme… (Il l’embrasse.) Adieu !
Sire, permettez…
Non pas…
Sire…
Je le veux !
(Le Roi monte dans la litière. Au moment où la litière tourne devant le public, on voit Catherine au fond, attentive.)
Êtes-vous contente de moi, ma mère, et ai-je bien joué mon petit rôle ?
Oui, mon fils !
(Les Pages, les Gardes, le Peuple sortent, avec de grandes acclamations.)
L’amiral, De Mouy, La Hurière, chez lui.
Eh bien, de Mouy, tu es satisfait, je l’espère ?
Oui ; il me semble de bonne foi.
Oh ! je te réponds de lui comme de moi-même.
En tout cas, mon père, maintenant que nous pouvons habiter Paris en toute tranquillité, s’il ne me fait pas justice de l’assassin, je me la ferai, moi… À présent, un seul mot sur une autre chose, qui, pour me toucher de moins près, n’en est pas moins importante.
Dis.
Vous persistez à nous présenter Henri pour le roi de Navarre ?
C’est à lui que ce trône appartient de droit.
Sans doute ; mais en est-il digne ?
Henri est digne de tous les trônes, de Mouy.
Je puis donc m’attacher à lui ?
Comme le lierre au chêne.
Mais, vous le savez, mon attachement, à moi, c’est le dévouement le plus absolu.
Dévoue-toi franchement et entièrement alors ; car, en te dévouant à Henri, tu te dévoues non seulement à un homme, mais à une cause ; et cette cause, c’est celle du Seigneur !
C’est donc, à votre avis, le chef qui peut faire les huguenots forts et libres, la religion réformée grande et forte.
C’est le roi qui peut faire, du royaume qu’il gouvernera, le premier royaume du monde.
C’est dit, mon père. À partir d’aujourd’hui, il disposera de moi comme vous en auriez disposé vous-même. Adieu !
Bon et excellent jeune homme !
(Il le suit des yeux et rentre.)
La Hurière, Coconnas, arrivant par la rue.
Comme ils complotent, ces huguenots ! car je suis sûr qu’ils complotent ; heureusement qu’on ne les laissera pas aller, car ils iraient loin ; mais il est temps de les arrêter. Vous avez raison, monsieur de Maurevel, il est temps !
Eh bien, l’ami, ce souper ?
Ah ! parbleu ! je vous avais oublié, mon gentilhomme !
Comment, tu m’avais oublié ? Et tu l’avoues, drôle !
Ma foi, quand vous saurez pour qui !…
Et pour qui ?…
C’est pour Sa Majesté Charles IX, qui vient de passer là !
Le roi ? Mordi ! je suis fâché de ne pas l’avoir vu. Le roi a passé là, dans la rue ?
Oui, sortant de chez l’amiral !
Quoi ! le roi a été visiter ce païen ?
Bon ! celui-ci est des nôtres… (Haut). Grégoire, servez vite monsieur… Servez !… servez !
Allons, il paraît qu’il s’humanise… Qu’est-ce que c’est que cela ?
Une omelette au lard… C’était pour ne pas faire attendre Votre Seigneurie.
Brave !
(Il se met à table.)
Comte, non seulement Plutarque dit, dans un endroit, qu’il faut endurcir son âme à la douleur et son estomac à la faim, mais il dit encore, dans un autre, qu’il faut que celui qui a partage avec celui qui n’a pas… Pour l’amour de Plutarque, voulez-vous partager votre omelette avec moi, comte ?
Vous n’avez donc pas soupé chez le roi de Navarre, comme vous y comptiez ?
(Il lui offre un siège.)
Ah ! il paraît que celui-là est un huguenot.
Non ; le roi de Navarre n’était pas au Louvre ; mais, cil échange…
Eh bien, en échange… ?
Oh ! comte, l’adorable vision que j’ai eue !
Une vision ?
Imaginez-vous que, par la protection d’un jeune capitaine de la religion réformée, j’avais été introduit jusque dans la grande galerie, où, à mon profond étonnement, il n’y avait personne… Là, mon introducteur m’avait laissé seul pour s’informer… quand tout à coup une porte s’ouvre, et je me trouve en face d’une femme si noble, si gracieuse, si resplendissante, que je crus d’abord que c’était l’ombre de la belle Liane de Poitiers, qui revient, dit-on, au Louvre.
Et c’était… ?
C’était tout simplement le corps de madame Marguerite, reine de Navarre.
Ma foi, vous n’êtes pas malheureux… J’aime mieux les corps que les ombres.
Vous avez raison !
Et qu’avez-vous dit à cette belle reine ?
Pas un mot. J’étais en extase… J’ai tiré la lettre dont j’étais porteur, je la lui ai remise, et, avec la plus jolie main du monde, avec les doigts les plus effilés que j’aie jamais vus, toute tiède encore de la chaleur de ma poitrine, elle l’a glissée dans son corset de satin.
Oh ! oh ! comme vous dites vivement les choses, compagnon !
Je les dis comme je les sens… Et vous, êtes-vous parvenu à vos fins ?
Mordi ! tout le monde n’est pas favorisé comme vous des dieux ou des déesses… J’ai tout bonnement rencontré un Allemand… fort aimable pour un Allemand, il n’y a rien à dire ! lequel, reconnaissant en moi un bon catholique, m’a conduit près de M. de Guise, à qui j’avais affaire, (À la Hurière, qui s’est avancé). Eh bien, que fais-tu là ?… tu nous écoutes ?
Oui, messieurs, je vous écoute… mais pour vous servir… À quoi puis-je vous être bon, mes gentilshommes ?
Ah ! ah ! ce nom de Guise est magique, à ce qu’il paraît ; car, d’insolent que tu étais, te voilà devenu obséquieux… Crois-tu que mon bras soit moins lourd que celui de M. de Guise, qui a le privilège de te rendre si poli ?
Non, monsieur le comte, mais il est moins long ; d’ailleurs, il faut vous dire que le grand Henri est notre idole, à nous autres Parisiens…
Quel Henri, s’il vous plaît ?
Je n’en connais qu’un.
Ah ! mais, moi, j’en connais plusieurs… Et il y en a un dont je vous invite particulièrement, mon ami, à ne pas dire de mal.
Lequel ?
Sa Majesté le roi Henri de Navarre !
Je ne le connais pas…
(Il fait un signe à Coconnas.)
Drôle !
(Il se lève.)
Eh bien, que faites-vous ?
Je quitte la table, n’ayant plus faim…
J’en suis vraiment fâché ; je comptais attendre dans votre honorable compagnie le moment de retourner au Louvre.
Vous retournez au Louvre ?
Oui, monsieur.
Et moi aussi.
À quelle heure ?
J’ai rendez-vous à minuit.
Et moi aussi…
Ah ça ! mais savez-vous qu’il y a une étrange liaison entre nos deux destinées ? Où vous venez, je viens ; où vous allez, je vais.
En ce cas, écoutez : on ne peut plus manger quand on n’a plus faim ; mais on peut encore boire quand on n’a plus soif… Buvons donc jusqu’à minuit ! et nous irons au Louvre ensemble.
Je vous demande pardon ; mais je craindrais, en cédant à votre invitation, de ne pas porter au Louvre des idées aussi nettes que celles que l’on attend de moi… Mais avec qui cause donc notre hôte ?
(On voit La Hurière fort échauffé à parler dans la rue avec Maurevel.)
Il cause ; mais, le diable m’emporte ! il cause avec le même individu…
Comment, le même individu ?
Oui, avec lequel il causait déjà quand nous sommes arrivés… l’homme au manteau amadou. Oh ! oh ! quel feu il met à la conversation !… Eh ! dites-donc, maître La Hurière, est-ce que vous faites de la politique, par hasard ?
Ah !… schelme !
Qu’avez-vous donc, mon ami ? seriez-vous possédé ?
Silence ! malheureux !… silence sur votre vie !
Oh ! oh !
Congédiez votre ami sans perdre un instant ; il faut que nous vous parlions, monsieur et moi.
Il le faut, entendez-vous.
Mordi ! il paraît que c’est sérieux ?
On ne peut plus sérieux.
Eh bien, que décidez-vous ?
Je pense que vous avez raison, et que mieux vaut que chacun de nous garde sa tête. (Il rentre.) Donc, un dernier verre de vin… À votre fortune !
À la vôtre, monsieur !
Vous vous retirez ?
Oui, je suis fatigué ; il est onze heures seulement, je n’ai rendez-vous au Louvre qu’à minuit, et je ne suis pas fâché de me jeter une heure sur mon lit… Maître La Hurière…
Monsieur le comte ?…
Conduisez-moi à ma chambre, je vous prie ; à minuit, vous me réveillerez… Je serai tout habillé, et, par conséquent, vite prêt.
Bien ! c’est comme moi, je vais faire tous mes préparatifs. Maître La Hurière, donnez-moi du papier blanc et des ciseaux, que je découpe mon signe de reconnaissance.
Mais, malheureux, vous avez donc juré… ? (Haut.) Grégoire, ce gentilhomme demande du papier blanc pour écrire, et des ciseaux pour tailler l’enveloppe ! Venez, monsieur de la Môle, venez.
(Il monte l’escalier, éclairant la Môle.)
Décidément, il se passe ici quelque chose d’extraordinaire.
Bonsoir, monsieur de Coconnas… et bonne chance au Louvre ?
Maurevel, à la porte du fond ; Coconnas.
Ah ça ! mais qu’ai-je donc fait ?
Ce que vous avez fait, monsieur ? Vous avez failli révéler tout à l’heure un secret duquel dépend le sort du royaume… Voilà ce que vous avez fait. Par bonheur, Dieu a voulu que votre bouche fût fermée à temps par notre digne hôte… Un mot de plus, et vous êtes mort… Maintenant, nous sommes seuls, écoutez-moi.
Un instant, monsieur. Qui êtes-vous, s’il vous plaît, pour me parler avec ce ton de-commandement ?
Avez-vous, par hasard, entendu nommer le sire Louviers de Maurevel ?…
Le meurtrier du capitaine de Mouy ?… Oui, sans doute.
Eh bien, c’est moi !
Oh ! oh !
Écoutez-moi donc !
Je le crois bien, mordi ! que je vous écoute.
Chut !… attendez !