Le combat de la rose - Dekka Wolf - E-Book

Le combat de la rose E-Book

Dekka Wolf

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Beschreibung

Le combat d'une héroïne courageuse pour changer son destin.

Alors qu’elle doit épouser un homme qu’elle n’a pas choisi, et se plier aux traditions de sa famille, Larla découvre qu’une lourde malédiction pèse sur elle et les femmes de sa lignée. Décidée à s’affranchir de son destin, elle luttera contre le malheur qui l’a toujours accablée, et se battra pour défendre son royaume, déchiré par la guerre, ainsi que la personne qui aura su lui ravir son cœur. Des champs de bataille de Callas, aux intrigues du palais de Zalonia, Larla devra faire preuve de bravoure, défiant tous ceux qui se mettront en travers de son chemin.

Mêlant amour impossible, batailles, et courage, Dekka Wolf nous plonge dans un roman à l’intrigue envoûtante et aux personnages attachants.

EXTRAIT

Larla Pedinn, Arthurin, 16h51, lundi 3 Carence (mois), année 473
Je m’appelle Larla, et je vis en Itrus, sur le continent Callas…plus précisément dans la région d’Arthurin. De plus, je ne suis pas n’importe qui ! Je suis la fille d’un Chad au cœur grand comme une puce (s’il existe vraiment). Qu’est-ce qu’un Chad ? C’est le terme utilisé pour désigner ceux qui dirigent les huit différentes régions de mon pays, Itrus. Ils sont eux-mêmes dirigés par le roi, qui possède son propre huitième du pays, en l’occurrence Zalonia la Grande, notre capitale.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Dekka Wolf est née le 5 mars 2000 à Genève, en Suisse. Jeune étudiante, elle écrit depuis qu'elle sait tenir un crayon et a toujours aimé inventer des histoires. Elle a créé Le combat de la rose pour la toute première fois en 2012, puis elle le réécrira quatre fois à la main avant d’être satisfaite du résultat et d’oser le soumettre à l'avis des lecteurs.

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DEKKA WOLF

Le combat de la rose

À Helen, Marta, Aline et Marilyn…

Mois sur Callas :

Tîr (36 jours)

Carence (36 jours)

Drax (36 jours)

Birdois (36 jours)

Synare (36 jours)

Julax (36 jours)

Xorion (40 jours)

Unoli (36 jours)

Khenx (36 jours)

Lin (36 jours)

Chapitre I

Larla Pedìnn, Arthurin, 16 h 51, lundi 3 Carence (mois), année 473

Je m’appelle Larla, et je vis en Itrus, sur le continent Callas… plus précisément dans la région d’Arthurin. De plus, je ne suis pas n’importe qui ! Je suis la fille d’un Chad au cœur grand comme une puce (s’il existe vraiment). Qu’est-ce qu’un Chad ? C’est le terme utilisé pour désigner ceux qui dirigent les huit différentes régions de mon pays, Itrus. Ils sont eux-mêmes dirigés par le roi, qui possède son propre huitième du pays, en l’occurrence Zalonia la Grande, notre capitale.

C’est mon grand frère, Dan, qui aurait dû lui succéder, mais pour une raison que je ne peux pas comprendre, il a refusé d’être le prochain Chad. Ah ! Là, c’est mon moment préféré : celui où les gens se disent : « Ah… donc c’est elle qui va devoir devenir Chad. Mais de quoi se plaint-elle ? » Alors je me vois obligée de leur rappeler que je ne suis qu’une femme, qui, à cause de sa soi-disant infériorité par rapport à l’homme, est parfaitement incapable de faire autre chose que de donner des descendants aux hommes et de s’occuper des tâches ménagères.

Je ne suis donc pas destinée à diriger, mais à être l’« heureuse » femme du prochain Chad. Je suis promise à un homme depuis ma naissance, aussi je ne cacherai pas ma haine pour lui – indirectement dirigée vers mon père – en mâchant mes mots. Il est laid, certainement sénile et salue les maisons à la place de parler aux gens. Bon, autant ne pas le cacher plus longtemps : j’ai 17 ans et il en a 85.

Mais je vais vous faire une description plus… parlante de lui que celle que j’ai faite avant – car elle était un tantinet trop polie et respectueuse envers lui. Pour parfaitement résumer son physique, il ressemble plus à un cadavre qu’à un être vivant – sans rire. Mais bon assez parlé de mon futur (je me marierai dans une année), retournons au présent…

Je fixais avec ennui les plaines et collines verdoyantes d’Arthurin, des paysages que je connaissais par cœur, car il s’agissait des décors qui avaient toujours peuplé ma vie. Puis je fermai les yeux pour ne sentir que les caresses joueuses du vent sur mon visage et dans mes cheveux, lorsque quelque part, un soldat annonça que quelque chose arrivait.

Je rouvris les yeux, et vis que, en effet, quelque chose – ou quelqu’un ? –arrivait, et plutôt vite. Il soulevait tant de poussière sur son passage qu’il était difficile d’en douter. J’attendis avec patience le grincement des portes principales qui s’ouvraient, mais il ne vint pas.

« Ils ne vont pas le laisser entrer », compris-je.

Je descendis le plus vite possible de ma muraille et courus vers les portes.

–Ouvrez ces portes immédiatement ! ordonnai-je d’une voix pressante aux deux gardes qui s’occupaient d’ouvrir et de fermer les portes.

Ils se regardèrent en silence puis me lancèrent un regard méprisant et empli de pitié. Comme à chaque fois. Mais comme il ne s’agissait pas de circonstances normales, j’empoignai l’un des soldats par le col.

–Tu vas, à l’instant, ouvrir ces portes, sinon j’irai rapporter que vous m’avez tous deux touchée de manière indécente ! (Il s’agissait là, bien évidemment, d’un mensonge).

Je le lâchai et ils me regardèrent avec une répulsion sans pitié, cette fois, mais ils ouvrirent quand même les portes. À peine étaient-elles entrouvertes que le cavalier déboula dans la cité. Il regarda un peu autour de lui, déboussolé par cette course folle, puis il descendit avec empressement de sa monture. Je le détaillai de la tête aux pieds. Il était fin et long, mais possédait de grands yeux bruns et des cheveux d’une couleur identique. De timides taches de rousseur s’étalaient sur ses joues et son nez. Il se tourna vers les deux gardes que j’avais brusqués.

–Pardon, messieurs, mais sauriez-vous où je pourrais trouver votre Chad ? demanda-t-il avec impatience et d’une voix tendue.

–Vous vous adressez aux mauvaises personnes, cher monsieur. Nous ignorons, mon camarade et moi où se trouve et ce que fait notre honoré Chad. Ni mon compagnon ni moi ne méritons de savoir tout de ses actions.

–Très bien, très bien (il agita ses mains près de son visage comme pour chasser une mouche particulièrement énervante et tenace). Auriez-vous alors l’obligeance de m’indiquer une personne qui serait au courant de tout cela pour que je puisse la retrouver dans les délais les plus brefs ?

Un sourire non dépourvu de malice s’étira sur les lèvres du soldat qui parlait.

–Mais bien sûr !

–Qui est en mesure de répondre à mes interrogations, alors ? s’agaça-t-il.

–La fille de notre Chad bien-aimé devrait être en mesure de répondre à vos questions monsieur. Il se trouve qu’elle est très « proche » de son père, pour ainsi dire. Avec son frère, il semble que ce soit le seul compagnon et ami qu’elle ait. Il faut bien avouer qu’elle est si antipathique et cruelle que personne n’ose l’approcher.

Aïe ! … Ses paroles me touchèrent en plein cœur. Était-ce vrai ?!

–Et où puis-je la trouver, cette harpie ?

–En fait monsieur, elle est juste derrière vous, fit le garde que j’avais empoigné par le col.

L’homme pâlit et se tourna vers moi. Il se gratta l’arrière de la tête, gêné que j’aie surpris leur conversation insultante.

–Bonjour. Que voulez-vous à mon père ? fis-je de ma voix la plus réfrigérante.

–Je… (Il fusilla les deux soldats du regard, car ils pouffaient) je voulais lui transmettre une lettre de la part de son roi, dit-il en sortant une lettre avec le nom de mon père inscrit au dos de sa sacoche.

–Il n’est pas disponible pour le moment, répliquai-je, parfaitement consciente de mon mensonge.

–Oh… (Il me jeta un regard oblique, et je crus lire une lueur de reproche dans son œil, comme s’il avait détecté mon mensonge) malheureusement, je n’ai pas le temps de m’attarder, je suis pressé. Pourriez-vous la lui transmettre à ma place ?

Il me la tendit.

–Bien sûr (il remonta sur son cheval) et vous avez le bonjour de la harpie.

Il me lança un regard honteux avant de disparaître derrière les portes. Je me mis à marcher un peu dans les ruelles d’Arthurin, puis, à l’ombre de l’une d’entre elles déserte, j’ouvris délicatement l’enveloppe pour en sortir une lettre. Voilà ce que j’y lus :

« Mon cher Sanctino,

Je voulais t’informer que Jeng nous a désormais déclaré la guerre. Voilà maintenant plusieurs jours qu’ils ont piétiné Vertilo avec leur puissante armée. Certains villages de Vertilo ont tenté de se défendre, mais ils étaient si peu ordonnés que leur défense avait autant d’effet que s’ils leur tiraient dessus avec un lance-pierre et des projectiles de papier.

Sans tes troupes, nous sommes en minorité par rapport à nos ennemis. Apporte-nous ton soutien militaire dès que possible et le plus élevé que tu puisses. Rends-moi visite au passage à Zalonia. Je t’en supplie, dépêche-toi ! L’heure est grave.

Ton roi et ami,

Titchus »

Jeng était le second pays sur Callas, et le fait que ses habitants aient attaqué une des huit parties d’Itrus n’avait rien d’étonnant étant donné que la tension n’avait fait que grandir entre les deux royaumes depuis quelques décennies.

Je repliai la lettre et la remis dans l’enveloppe. Je me dirigeai vers la maison. Ces nouvelles avaient ravivé la haine que j’éprouvais pour mon père. Pourquoi vous demandez-vous ? Je ne saurais l’expliquer. Il y a des fois où les sentiments remontent à la surface et détruisent tout. D’autres fois, ce sont les souvenirs…

Larla Pedìnn, Arthurin, 14 h 33, mercredi 14 Drax, année 460 (treize ans auparavant)

Je regardais avec fascination un papillon s’abreuver du nectar d’une rose sauvage qui avait poussé entre les pavés en imposant sa force et sa présence… et tout à coup, la bestiole s’était envolée, comme mue par une peur soudaine. Je fronçai les sourcils de frustration. Je cherchai, avec l’intention d’y remédier, la source de la terreur de l’insecte. Mon regard tomba sur Clémentin, un jeune garçon de mon âge aux cheveux roux et au regard bleu pétillant, dont j’étais tombée amoureuse il y a quelques jours déjà.

Clémentin sourit de façon adorable, se baissa vers la rose sauvage, et l’arracha en s’égratignant tous les doigts au passage. Il me tendit la fleur en rougissant, le rendant, si c’était possible, encore plus mignon. Je sentis à mon tour le rouge me monter aux joues. Je m’emparai de son touchant présent, et, avant de partir, lui déposai un baiser sur la joue le plus discrètement possible.

Tout heureuse de cette rencontre et le cœur léger comme une plume, je retournai chez moi en sautillant presque. Une fois arrivée, je remarquai que mon père était assis sur les marches du perron. Je pressentis une anomalie dans son comportement, mais je n’y fis pas plus attention que ça.

–Qui t’a offert cette rose ? me demanda-t-il, froidement (enfin, encore plus froidement que d’habitude quand il s’adressait à moi).

Mon bonheur fondit à l’instant où il finissait sa phrase, comme neige au soleil. La plume qui avait remplacé mon cœur quelques instants auparavant fut immédiatement métamorphosée en plomb.

–Père ? Qu’y a-t-il ?

–Qui t’a offert cette rose ? me hurla-t-il à la figure, cramoisi.

–C… c’est Clémentin qui me l’a donnée.

–Clémentin, tu dis ? Est-ce que ce ne serait pas le fils du meunier ?

–S-s-si, bafouillai-je.

Il me frappa au visage avec une expression hargneuse et méprisante. Estomaquée et la joue douloureuse, je le fixai bêtement sans comprendre sa colère.

–Et crois-tu que tu en aies le droit ? gronda-t-il.

–Mais le droit de QUOI ? sanglotai-je.

–Le droit d’aimer ! De l’aimer, lui, ce petit crétin de Clémentin !

–Pourquoi est-ce que je n’aurais pas le droit d’aimer Clémentin ?

–Tu n’en as pas le droit parce que je te l’interdis formellement. Tu n’as mon autorisation que pour aimer ton futur mari !…pas de jeunes, stupides et bouseux paysans !

–Ce n’est pas un paysan, c’est un meunier !

–Ne joue pas avec les mots, jeune fille !

Il m’infligea une seconde claque qui me fit trébucher par terre.

–Arrête, Sanctino ! fit une voix féminine à l’intérieur de la maison, c’est ta fille !

–Ta fille, oui, peut-être, mais pas la mienne ! J’en doute fortement… Aurais-tu été fricoter avec un autre homme que moi, par hasard ?

–Non, tu sais bien que je te suis fidèle, fit ma mère, aussi froide que lui.

–Tu as bien raison. Je suis certain que tu m’es fidèle. (Il se tourna vers moi.) Quant à toi, ne tombe plus amoureuse d’autres hommes que ton honorable promis !

–Oui, père. Comme vous le voudrez.

Je rentrai avec ma mère dans notre (grande) maison. Après un moment de silence, elle m’emmena dans la cuisine, et nous nous mîmes à peler des pommes de terre.

–Larla ? m’interpella ma mère.

–Oui, maman ?

–Est-ce que tu me permettrais de te raconter une histoire ?

–Bien sûr que oui !

Il faut savoir que ma mère ne me racontait que des histoires qui s’étaient réellement passées. Elle ébaucha un sourire.

–Cette histoire s’est déroulée à Arthurin il y a quelques années. Comme toi, c’est la fille du Chad qui est l’héroïne de cette bien triste histoire.

–Est-ce que moi aussi je suis une héroïne ? comme elle ?

–Oh, je ne te le souhaite pas. Et donc, cette femme se prénommait Élie, et elle avait une petite sœur qui l’aimait énormément. Elle était destinée à se marier à un homme qui répondait au nom de Jean-Emmanuel. Cette malheureuse femme était follement amoureuse d’un autre homme que son mari, un dénommé Richard. Bien vite – trop vite –, elle tomba enceinte de ce dernier, et son père ne dit mot, croyant que ce bébé était de l’honorable Jean-Emmanuel. Mais à la naissance du bébé, la ressemblance était trop évidente pour être ignorée : l’enfant était celui de Richard, et non pas celui de son futur mari. Le Chad, fou de rage, fit exécuter le nouveau-né et son père. La pauvre Élie, en découvrant les corps des deux personnes qu’elle chérissait le plus au monde, se tua, ivre de désespoir et de chagrin.

–Ooooh… c’est triste, maman. Mais, dis-moi, c’était une amie à toi ?

–Non, fit-elle d’une voix éteinte.

–De qui s’agissait-il alors, pour toi ?

Ma mère éclata en sanglots.

–C’était ma grande sœur.

–Je suis désolée, maman.

–Ce n’est pas de ta faute, ma chérie. Promets-moi juste de bien suivre le conseil de ton père à la lettre. Ne tombe jamais amoureuse d’un autre homme que ton futur mari.

–J’essaierai.

Larla Pedìnn, Arthurin, 17 h 26, lundi 3 Carence, année 473 (retour dans le présent)

Une vague de mélancolie (voire de chagrin) m’étreignit, me rappelant que ma mère et Clémentin n’étaient plus de ce monde. Suzanne (ma mère) avait succombé à une maladie mortelle, et Clémentin avait été tué par mon père. Je rentrai dans notre maison. Mon père était dans son lit, malade comme un chien, qu’il était, sans doute aucun. La mélancolie fut aussitôt remplacée par la haine.

–Père, un messager m’a demandé de vous remettre ceci, lui dis-je en lui tendant l’enveloppe.

–De qui est-elle ?

–Du roi.

Il l’ouvrit, et lut la lettre. J’en profitai pour mieux l’observer. Avec ses cheveux noirs comme le plumage d’un corbeau et ses yeux bruns perçants, il avait l’air d’un vautour. Seule la teinte de sa peau, cadavérique, laissait supposer qu’il n’était pas dans sa forme habituelle. Ses sourcils broussailleux se froncèrent.

–Mais c’est impossible ! Je ne peux pas me battre et diriger les troupes tant que je suis malade ! (« Parce que tu ne l’es pas en temps normal ? », me demandai-je.) Qui les dirigera à ma place ?… et mon successeur est bien trop âgé pour parvenir à le faire !

Prenant mon courage à deux mains, je pris la parole.

–J’irai à votre place, père.

L’un de ses sourcils se leva.

–Toi ?… mais tu es une femme, tu ne sais pas te battre ! Non, je pense que Dan serait plus prompt à prendre ma place.

Mon frère secoua négativement la tête.

–Je viendrai volontiers parmi tes hommes, mais il n’est pas question que je dirige ton armée. Ce sera Larla, ou personne.

Agacé par cette mini-rébellion, mon père hocha la tête.

–Mais apprendre à ta sœur à se battre prendra beaucoup trop de temps ! Or, nous n’en avons pas.

Mon frère sourit.

–Quel dommage ! Titchus sera désappointé en remarquant l’absence des guerriers arthurinois dans la défense itrusienne.

–Rah ! Bon, allez au diable ! Faites comme vous l’entendez. Mais si Titchus le reproche à quelqu’un, ce sera vous qu’il punira.

–Très bien, fit Dan, triomphant.

Puis, en se tournant vers moi :

–Allons-y, sœurette.

–Oui… marmonnai-je.

Nous sortîmes et nous nous dirigeâmes vers la forge d’un bon pas.

–Que va-t-on faire ? demandai-je.

–Te commander une arme, pardi ! Tu voulais te battre avec quoi d’autre ? Une spatule en bois ? Tu serais très drôle avec, mais tu ne tiendrais pas longtemps – voire pas du tout – sur le champ de bataille.

–Non, fis-je, irritée, je pensais plutôt en prendre une de la réserve.

–Tu es un général, Larla ! Tu mérites d’avoir une épée spéciale, unique… comme toi.

Je haussai les épaules, ne sachant comment prendre sa remarque. Nous étions arrivés. Il passa la commande d’une arme « faite spécialement pour ma sœur », pour reprendre les termes exacts utilisés par mon frère. Ensuite, nous allâmes vers l’arène afin de nous entraîner. Nous pénétrâmes dans l’enceinte. À cet instant précis, je remarquai la tenue de mon grand frère : il portait une ample chemise blanche, un pantalon noir, et il s’était coiffé les cheveux – chose qu’il ne faisait que dans de très rares cas, sinon jamais. Un soupçon monta en moi telle une flèche.

–Est-ce que tu ne serais pas allé rendre visite à Tanya, par hasard ?

Il rougit.

–Je prends ça pour un oui, fis-je avec une pointe de jalousie dans la voix – pointe qui était bien plus grande dans mon cœur.

Ce n’était pas que je n’aimais pas la petite amie de mon frère, mais comme ce dernier était le seul ami que j’avais, si quelqu’un d’autre accaparait toute son attention et son amour, que me resterait-il, à moi, à part la solitude ? Il me donna une épée et en prit une pour lui, interrompant le fil de ma pensée.

–Commence par attaquer, pour que je puisse évaluer ton niveau d’escrime malgré ton ignorance en la matière, fit mon frère.

Ce fut donc avec sûreté et irritation que je mis en position. Puis me ravisai.

–En fait… non. Tu n’as qu’à commencer toi.

Il leva les sourcils.

–D’accord…

Il leva son épée et attaqua. Il avait mis bien trop de force dans son coup, car, sûr de son triomphe, il n’avait pas attaqué en finesse, et il me fut extrêmement aisé de dévier son coup, de le soulager de son épée, et de le faire tomber à terre, la pointe de mon arme appliquée contre son cou. Il me fixa avec des yeux ronds, complètement abasourdi.

–Bon, eh bien ! on dirait que tu as gagné, dit-il en essayant de ne pas laisser son étonnement déborder dans sa voix – vainement, d’ailleurs.

–Surpris, hein ? Tu ignorais que je savais me battre, dis-je, mi-figue, mi-raisin.

–Oui, je dois l’avouer. Mais quand as-tu appris à te battre ainsi… et avec qui ?

–Que crois-tu que je fasse quand j’ai du temps libre et que tu joues dans les jupes de Tanya ?… je m’entraîne dans les bois, à l’abri de l’avis et du regard des autres, seule, bien évidemment.

–Alors, en fait, cet entraînement ne sert strictement à rien, à part à faire baisser mon estime personnelle, c’est ça ?

Je ne cillai pas devant le reproche à peine dissimulé.

–C’est tout à fait ça, sans vouloir te manquer de respect.

–Oh, ça ne m’offense pas, je suis même plutôt content et fier de toi. Il n’empêche que cet entraînement a perdu toute son utilité première, et qu’il faudrait mieux vaquer à des tâches plus utiles. Il est plaisant que tu saches te battre, cela pourra précipiter notre départ à demain. Je cours prévenir père. (« Et Tanya par la même occasion », pensai-je.)

–Chouette, fis-je d’une voix dégoulinante de sarcasme par rapport à notre départ fortement avancé, je vais en profiter pour acheter de quoi faire un bon repas pour ce soir.

–À tout à l’heure ! me salua-t-il.

–C’est ça.

Nous partîmes chacun de notre côté. Je me dirigeai vers le marché, une partie de mon esprit voguant dans mon imagination. J’achetai tout le nécessaire pour préparer quelque chose d’à peu près mangeable pour ce soir. J’allais repartir, quand mon œil fut à la fois surpris et attiré par un vif reflet rouge. Je m’approchai du stand d’où m’avait semblé venir cette subite lumière. La marchande qui était debout derrière l’étal était âgée, et son visage avait un quelque chose de familier… et d’un peu inquiétant.

Sa marchandise était étalée sur une table. Il s’agissait de plusieurs dizaines de médaillon où étaient gravées des lettres (une par bijou) et qui étaient incrustés de pierres différentes. Mais il n’y en avait qu’un seul qui avait des rubis. Un « N » était inscrit dessus.

« C’est lui qui a fait ce reflet », compris-je, émerveillée.

J’étais comme hypnotisée – fascinée – par ce médaillon.

–Est-ce que quelque chose serait en mesure de vous plaire, mademoiselle Larla ? me demanda la vieille dame en remettant une mèche de cheveux blonds parsemés de gris derrière son oreille.

Je sursautai, autant surprise de l’entendre prononcer mon prénom que d’être tirée de ma rêverie.

–Vous me connaissez ? Je ne vous ai pourtant jamais vue par ici, et je ne me suis jamais présentée à vous.

–C’est vous qui ne m’avez pas remarquée. Et puis, qui ne reconnaîtrait pas la malheureusement, pauvre et solitaire Larla ? Personne !

Je soutins son regard perçant un instant puis détournai les yeux, gênée.

–Alors ?

–Oui, il y a bien quelque chose qui m’intéresse, mais je n’ai plus rien à vous donner en échange.

–Détrompez-vous… vous possédez beaucoup de choses très intéressantes.

Je ne pus m’empêcher de trouver cette dernière phrase étrange et inquiétante, surtout venant de la bouche d’une inconnue.

–Je vous le donnerai pour rien, si vous me permettez de jeter un coup d’œil à votre paume gauche.

–Pourquoi ? fis-je, intriguée par ce marché bizarre que je ne pouvais que trouver injuste pour elle.

–Parce que c’est comme ça.

–Si vous insistez et que vous le voulez vraiment…

–Je le veux vraiment, et j’insiste, laissez-moi observer votre main gauche.

–Très bien.

Je la lui tendis, et elle s’en empara avec une certaine avidité. Elle posa le doigt sur une des lignes qui parsemait ma paume.

–Que faites-vous ?

–Je consulte ta ligne de vie, m’informa-t-elle sans réel intérêt pour moi.

Elle commença à la suivre du bout de l’index. Elle marmonna plusieurs « mmmh », et un « oh ! », suivi d’un violent rougissement. Enfin, elle parvint à la fin de la ligne, et ses lèvres se mirent à trembler tandis que ses yeux se remplissaient de larmes. Avant d’avoir pu les ravaler intégralement, l’une d’entre elles lui échappa et roula le long de sa joue sale en créant un sillon humide… et tandis qu’elle coulait, un visage s’y dessina.

C’était un visage de femme aux cheveux brun foncé et bouclés, avec de beaux yeux bruns et qui arborait un grand sourire. Puis la larme tomba par terre et la vieille femme s’essuya vivement la joue. Je ne dis rien, tant la terreur m’empêchait de faire un seul geste. Beaucoup auraient interrogé cette dame pour cet étrange et mortifiant spectacle, mais quelque chose dans son aspect me poussait à me taire.

Mon œil voulut alors s’attarder sur quelque chose de moins anormal, et je détaillai son habit. Elle portait une robe aux manches retroussées, qui laissait voir ses avant-bras et qui lui donnait un air étrangement noble. Elle me fourra le médaillon (qui m’était complètement sorti de l’esprit) dans la main avec un certain empressement.

–Tenez, je vous l’offre de bon cœur. Vous le méritez amplement.

Elle n’avait présenté ses avant-bras que quelques secondes, mais ce que j’y avais vu me laissa stupéfaite et figée dans une expression horrifiée. Deux longues cicatrices affreuses s’étiraient sur sa peau. Elles partaient du poignet et finissaient à la limite des avant-bras. La vieille marchande suivit mon regard mortifié, s’attarda à son tour sur ce que j’avais vu et me lança un regard effrayé en pâlissant. Elle était si blanche que pendant un certain temps, on aurait dit qu’un cadavre me dévisageait.

–Eh bien, partez ! Qu’attendez-vous ? La neige ? Mais pendant que vous attendez l’hiver – alors que nous en sortons juste –, qui va nourrir votre frère et votre père ? Vous avez un repas à faire, dépêchez-vous ! me pressa-t-elle d’un geste de la main en reprenant quelques couleurs.

Je secouai la tête et la fixai sans réussir à savoir si elle était folle, s’il s’agissait d’une sorcière ou d’un fantôme. Je pensai un instant à le hurler à travers le marché, mais ce n’est pas elle que l’on regarderait comme si elle était dérangée, mais moi.

D’ailleurs, même en me remémorant ce qui était arrivé, je me crus également folle, ou en train de dormir. Je me pinçai afin de vérifier ma théorie, mais je dus me rendre compte que je ne rêvais pas, et ses paroles m’atteignant enfin, je réfléchis à une réponse adéquate.

–Oui, vous avez raison, ma foi, ils ne sauraient se débrouiller et survivre sans mon aide, alors je me vois obligée de vous quitter afin de les rejoindre et de m’acquitter au mieux de mes tâches. Je vous souhaite une bonne continuation et une bonne journée. Au revoir ! dis-je en m’éloignant le plus vite que je pouvais de cette étrange personne.

Une fois rendue à une distance qui me sembla suffisante, j’entrouvris les doigts pour pouvoir admirer le médaillon, mais celui-ci n’était pas seul. Il y avait aussi un morceau de papier. Je le dépliai après un instant d’hésitation, et y découvris une phrase en ancien itrusiens :

Étant donné que je l’avais appris lorsque j’étais encore petite – c’était une exigence de mon père –, je réussis à le traduire sans trop de difficulté. Voici ce que cela me donna – en termes exacts :

« Le Vieux Lion rugit toujours. »

Bien évidemment, je ne compris pas ce que cela pouvait bien signifier, et je n’étais pas d’humeur à essayer de décrypter une phrase surgit de nulle part quoi ne semblait ne rien vouloir dire d’autre que son sens premier. Je rentrai donc après avoir passé le médaillon à mon cou et fourré le papier avec le message étrange dans ma sacoche. Une fois arrivée, je m’attelai à préparer ce que j’avais acheté dans le cours laps de temps qu’il me restait avant l’heure du repas. Je servis trois assiettes dès que ce fut prêt, en emmenai une à mon père, puis à mon frère.

Ensuite, je montai avec mon propre repas dans ma chambre. Une fois assise, je dévorai le contenu de mon assiette. Je sortis des feuilles – qui étaient rares et chères, mais pas assez pour me faire obstacle – et me mis à dessiner. Depuis ma plus tendre enfance, je m’amusais à dessiner les visages que je mémorisais avec, je dois l’avouer sans modestie selon mon frère, un grand talent. Je fis ma mère, Clémentin, la marchande et le visage de femme qui était apparu sur sa larme.

Une fois mes dessins terminés, je les jaugeai avec un œil appréciateur, puis après les avoir jugés assez réalistes pour rester entiers, je me déshabillai, me couchai, et après avoir vaincu – non sans peine – ma réticence à m’endormir par peur d’être visitée en cauchemar par la vieille dame, le sommeil m’accueillit…

J’étais sur le champ de bataille, et mes pieds semblaient comme fixés au sol par une étrange mélasse couleur sang et chair, une épée au poing. À la place de mon adversaire se tenait Clémentin, qui n’avait pour seule défense qu’une malheureuse rose. Je sus à l’instant où je la vis qu’il s’agissait de celle qu’il m’avait cueillie la veille de sa mort… mais également, et surtout, la dernière fois que je l’avais vu vivant.

–Je ne veux pas me battre contre toi, Clémentin ! Je ne veux pas une deuxième fois être la cause de ta mort ! … je ne veux… ne peux pas te tuer une seconde fois ! Ne m’y oblige pas ! lui hurlai-je à la figure en fermant les yeux.

–Tu ne m’as pas tué !… et ouvre les yeux !

Je suivis son ordre avec docilité et remarquai avec un certain soulagement que ce n’était plus lui, mais moi qui étais armée d’une rose. Sous l’influence d’une force inconnue, qui devait d’ailleurs beaucoup s’amuser à m’utiliser comme une marionnette, je tendis la rose à Clémentin, qui, inondé par le bonheur, s’empara de mon présent… mortel. Il s’écroula, la fleur à la main… Pleine de sang cette fois.

Enfin Clémentin changea de visage, qui devint celui de la vieille marchande. Puis il se transforma encore, mais cette fois, c’était le visage de la femme qui avait décoré la larme de la vendeuse de pendentifs. Une terrible douleur me traversa, et je tombai à genoux. Mon père venait de me transpercer le ventre avec une flèche dont la pointe en forme de cœur était gravée d’un « N ». Puis le noir grignota mon champ de vision, jusqu’à envahir mon esprit…

J’ouvris les yeux, complètement paniquée. Je me mis à tâter en hâte mon ventre nu à la recherche d’une quelconque blessure, mais mes doigts ne rencontrèrent que ce qui avait toujours été là. J’essuyai les gouttes de sueur qui perlaient sur mon front. Mais même ce geste ne parvint pas à me débarrasser – une bonne fois pour toutes – de l’affreuse terreur que j’avais ressentie.

Je me levai et vis un étrange paquet sur le rebord de ma fenêtre. Pour la seconde fois de cette journée, la curiosité vainquit ma raison et mon – très – mauvais pressentiment. Je m’approchai discrètement du paquet, comme si ce qu’il y avait dedans pouvait me sauter à la gorge à n’importe quel instant. Mais bon, « prudence est mère de sûreté », aurait dit Dan. Je détaillai la forme que moulait le paquet, et y reconnus une épée.

« Avec un peu de chance – et beaucoup de hasard –, c’est peut-être mon frère qui a emporté l’arme qu’il a commandée ici, parce que le forgeron l’a déjà terminée, n’est-ce pas ? Qui sait ? » me rassurai-je sans tellement y croire.

Je pris alors mon courage à deux mains, et sortis l’épée du paquet. Émerveillée, j’observai la lame qui luisait sous la lueur des deux lunes. Elle était parcourue de veines vertes, et, encore une fois, il y était gravé quelque chose en ancien itrusiens :

Ce qui donna (« ô surprise ! ») :

« La rose de la Mort. »

Au début de la lame étaient sculptées des feuilles vertes. Le manche de l’épée symbolisait la tige de la rose (en plus gros, bien évidemment), et le pommeau était en forme de rose rouge. Comme la rose que Clémentin m’avait offerte il y a longtemps de ça… Persuadée que je dormais encore, je me remis au lit et le sommeil me cueillit.

Chapitre II

Larla Pedìnn, Arthurin, 11 h 26, mardi 4 Carence, année 473

Ce furent les lueurs de l’aube qui me réveillèrent. Je m’étirai et soupirai de bonheur. Je regardai sur le rebord de la fenêtre, et vis avec un sentiment persistant de satisfaction qu’il n’y avait plus rien. Ma joie intense s’accentua. Malheureusement, pour une obscure raison, mon regard dériva dans toute ma chambre, et je vis, posée sur mon bureau, comme pour mieux me surprendre – chose qui était plutôt réussie – l’épée de la veille.

Certaine d’avoir eu une vision – ce n’était pas possible autrement –, je me frottai les yeux. Mais elle était toujours là, me narguant par sa présence, qui, contre mon gré, était bel et bien réelle. Alors, résignée, je me levai et m’habillai d’un pantalon rouge en velours et d’une chemise de tissu blanche. Comme ma mère autrefois, je réunis mes cheveux blond roux en un chignon. Je pris ma sacoche – qui traînait dans un coin de la pièce – et y glissai mes dessins.

Je pris le paquet dans lequel j’avais trouvé l’épée et m’apprêtai à le jeter quand je remarquai qu’il y avait toujours quelque chose à l’intérieur. Je le vidai et trouvai un beau fourreau de cuir noir où était également inscrit le nom de mon épée en lettres dorées. Je soupirai profondément.

J’aplatissais tant bien que mal les plis de ma chemise, quand, à travers le tissu, je sentis le médaillon. Je le sortis de mon habit et l’observai. C’était une œuvre délicate, et il me sembla impossible que des mains humaines soient parvenues à un résultat aussi fin.

–Bon, il faut avouer que celle qui le vendait n’avait pas l’air très humaine et très nette, fis-je en sursautant au son de ma propre voix, car je n’avais nullement eu l’intention de laisser cela franchir ma pensée.

–De qui ? fit mon frère en surgissant dans ma chambre à l’improviste.

Sans qu’il le remarque, je remis le médaillon à sa place initiale, et pris du mieux que je le pus un air innocent.

–Alors ? demanda-t-il d’un air soupçonneux.

–De quelqu’un que j’ai dessiné, hier. J’ai tellement loupé l’un de mes dessins, qu’il n’avait plus du tout apparence humaine.

Ce qui n’était – au fond – pas tout à fait faux.

–D’accord. Bon, tu es prête ?

–Oui, mais je n’ai rien encore pu manger.

Il me tendit une tranche de pain tartinée de confiture et glissa une gourde d’eau dans ma sacoche. Il remarqua mes dessins et les sortis de leur cachette. Il les regarda tour à tour, et, par deux fois, il fronça les sourcils.

–C’est… étrange, dit-il, troublé.

–De quoi ? fis-je, réellement intriguée.

–Sans les connaître, j’ai vu dans mon livre de la nuit1 chacune des deux personnes que tu as dessinées… ainsi que Clémentin.

–Ah… bon ?

–Oui.

–Est-ce que tu pourrais me le raconter, s’il te plaît, Dan ?

–Bien sûr. Le voici : au début, il y avait toi, Clémentin et moi. Clémentin était armé d’une rose rouge, et nous deux d’une épée. Ensuite, tu suppliais ton ancien ami de ne pas t’obliger à le tuer une deuxième fois, puis tu as fermé les yeux. Clémentin t’a ordonné de les ouvrir, et, tout à coup, c’est toi qui avais la rose, et l’autre n’avait plus rien pour se défendre. Tu lui as donné la fleur, et Clémentin est tombé, mort. Puis son visage a commencé à se modifier, et est devenu celui d’une vieille femme, puis de celui d’une autre femme aux cheveux brun foncé et bouclés. Ensuite, Sanctino est apparu, et t’a visé avec son arc – la flèche qu’il a encochée était très bizarre, elle avait une pointe en forme de cœur et un « N » était gravé dessus. Puis il a tiré, tu es morte, et tu as disparu. Finalement, c’est moi, qui n’avais rien fait de tout le long, qui n’avais même pas levé le petit doigt pour t’aider, qui l’ai tué… et ça s’est fini comme ça.

Je le fixai, complètement abasourdie… ce qu’il venait de me raconter était la copie exacte de mon propre livre de la nuit, à une exception près ; il s’arrêtait à ma mort. Cette coïncidence me laissa vraiment et définitivement estomaquée. Mais je n’en laissai rien paraître. Dan me lança un regard pénétrant, et j’eus l’impression que tous mes petits secrets étaient soudainement mis à la vue et à la connaissance de tous.

–As-tu déjà vu cette femme ?

–Laquelle ? Celle aux cheveux bruns ?

–Oui.

–… non. Je ne la connais pas.

–… et l’autre ?… cette étrange vieille dame qui me dit vaguement quelque chose ?

Alors il avait aussi l’impression de la connaître, ou de l’avoir déjà rencontrée ? Étrange.

–Non plus, mentis-je.

Mal, apparemment, car il craqua. La colère déformait ses traits.

–Ne me mens pas, Larla. Dis-moi la vérité. Entièrement.

–Très bien, si tu le souhaites… la vieille femme de ton livre, et du mien, d’ailleurs, m’a offert un médaillon, hier, ainsi qu’un dicton.

Une vague de trouble passa sur son visage.

–Comment ça : « … et du mien… » ? me demanda-t-il.

–J’ai fait le même livre de la nuit que toi, à la différence près qu’il s’arrêtait à ma mort et que je ne te voyais pas.

–De plus en plus bizarre… mais, et l’autre femme, la connais-tu… et si ce n’est pas le cas, d’où est-elle sortie ?

–Je l’ai déjà vue, oui, admis-je à contrecœur.

–Où ?

–La vieille femme dont je te parlais précédemment a pleuré – mais quand je dis pleurer, je dis lâcher UNE larme – et dessus est apparu le visage de la femme aux cheveux bruns et bouclés.

–Pourquoi s’est-elle mise à pleurer ?

Je lui décrivis toute la scène, dont mon inexplicable attirance pour l’un des objets qu’elle vendait, ma malchance, car je n’avais, sur le moment, plus d’argent, le marché – pour le moins étrange – que nous avions passé et le papier qu’elle m’avait glissé.

–Quel genre de marché était-ce ?

–Je devais lui laisser regarder ma paume gauche, puis elle me donnerait le bijou.

Je lui décrivis ce qu’elle avait fait avec ma main gauche.

–Voilà. C’est pour ça qu’elle a lâché UNE larme, dis-je en accentuant le « une » du mieux que je pouvais.

–Je crois qu’il s’agissait d’une sorcière, ou d’une voyante, et qu’elle a lu ton avenir – ou elle l’a du moins prétendu – dans ta ligne de vie.

–Elle a effectivement utilisé cette expression… mais qu’est-ce que c’est, et, surtout, quel est le rapport avec mon avenir ?

–C’est là où est, soi-disant, inscrit l’avenir de chacun. Elle a dû s’émouvoir, pour une raison ou pour une autre, de ton destin.

–Ah… (Maintenant, je comprenais – enfin, à peu près) tiens, j’ai failli oublier ! Le dicton qu’elle m’a donné avec le médaillon était écrit en ancien itrusien.

–Pourrais-tu me montrer à quoi ressemblent les deux, s’il te plaît, et même si cela ne te plaît pas, en fait ?

–Bien sûr.

Je les lui fourrai dans les mains.

–Hem… « Le Vieux Lion rugit toujours. » Intéressant… et étonnant. Quant au médaillon, je dois avouer qu’il est beau, mais je ne comprends pas pourquoi tu te sentais autant attirée par ce bijou… et que vendait-elle, à part ce médaillon ?

–Beaucoup d’autres bijoux comme celui-ci, mais avec d’autres pierres de différentes couleurs et avec d’autres lettres. C’était le seul à être incrusté de rubis.

Il arborait une expression très concentrée cette fois.

–Tout cela est très étonnant, mais surtout très effrayant. Y a-t-il autre chose que tu ne m’aies pas montré qui puisse soulever des questions et des frayeurs ?

–Oui.

–Ah bon ?

Apparemment, il s’attendait – et espérait – un non.

–Il s’agit d’une épée que j’ai trouvée sur le rebord de ma fenêtre cette nuit, ou très tôt ce matin.

–Est-ce que tu peux me la montrer, s’il te plaît ?

–D’accord.

Je la lui montrai. Il avait l’air à présent complètement sonné. Il observa le moindre centimètre carré de l’arme. Puis il vit l’inscription, et il éclata d’un grand éclat de rire nerveux.

–« La rose de la Mort » ? À nouveau, très peu de choses s’éclairent, de nouveaux mystères apparaissent et d’anciens se concrétisent.

–Je suis bien d’accord.

–Sais-tu autre chose ?…

–Non. Je ne sais rien de plus que ce que je t’ai déjà expliqué. Mais, toi, j’imagine que tu as quelque chose à dire, sinon tu ne serais pas entré dans ma chambre à l’improviste. J’ai visé juste ?

Il baissa les yeux, honteux.

–Oui, c’est vrai. Ça a un rapport avec notre défunte mère.

–Maman ? Sur quel sujet aurait-on pu me cacher quelque chose d’elle ?… je suis sa fille !

–Nous t’avons tous caché la véritable raison de son décès. Ou, en tout cas, ses circonstances et ses causes.

–Quoi ? Comment peut-on mentir sur une mort ?

–En la faisant passer pour une autre mort…

–Elle n’est pas vraiment morte de la peste ? fis-je, surprise.

–Non.

–De quoi, alors ?

–Avant de te le dire, j’aimerais te lire une partie du livre de L’Histoire de Callas… ça ne te dérange pas ?

–Non, non… vas-y… fis-je, profondément déstabilisée.

Il sortit de ma chambre, et revint avec un épais volume à la couverture rouge ocre. Il l’ouvrit à une certaine page, et commença à me faire la lecture, comme quand j’étais petite et que je ne savais pas encore lire :

« Au couronnement d’Itrus, le premier roi de notre bien-aimé pays, un sorcier jengois, soucieux de prouver son allégeance au dirigeant du pays voisin, offrit la main de sa fille aînée à ce dernier. Cette femme était sans nul doute superbe – n’oublions pas qu’il s’agissait de l’enfant d’un sorcier –, mais ce n’était pas elle, mais sa sœur cadette, qui plaisait au roi. Négligeant ce petit détail, pourtant d’importance capitale, pour ne pas offenser le sorcier, il accepta son présent et se maria avec la grande sœur.

« Seulement, la pauvre était sans cesse délaissée et seule dans le grand château. Être abandonnée par l’homme qu’elle aimait lui brisait le cœur et la transformait petit à petit. À la place de recevoir cela comme une punition du ciel, elle prenait ça comme une délivrance de ses tâches de femme et d’humaine. Étant persuadée de ceci, elle forgea son cœur brisé au beau milieu de la forêt qui trônait à côté de la ville, et apprit à reconnaître peu à peu tous les sons du bois et leurs sources.

« Grâce à ses sorties, son cœur brisé se gela petit à petit et finit par la rendre indifférente à tout. Seulement, un jour, alors qu’elle s’était attardée plus longtemps dans les bois, elle entendit un bruit qu’elle connaissait, mais qu’elle n’avait jamais entendu dans cette forêt qui inspirait crainte et respect à tous : un bruit de pas et de murmures.

« Elle s’approcha de l’origine du son, et distingua, à la faible lumière des dernières lueurs du jour, deux silhouettes, dont l’une d’elle était sa sœur, et l’autre avait le visage recouvert par son capuchon, et dont elle ne pouvait distinguer les traits. Sa petite sœur se pencha vers l’individu et l’embrassa avec tendresse.

« Jamais la reine n’avait vu son adorable sœur aimer autant quelqu’un, et voir que cet amour était réciproque, quand la silhouette lui rendit son baiser, brisa son cœur gelé par la solitude, car c’était cette affection qu’elle désirait tant.

« Ensuite, pour une obscure raison, sa sœur baissa le capuchon de son amant. Ce fut – non sans accablement – que la malheureuse reine reconnut celui auquel elle avait été mariée par son père, Itrus. Enfin, la glace qui entourait son cœur fondit, et tous les coups qui n’avaient pu l’atteindre se figèrent dans ce dernier. Il se brisa en mille morceaux.

« Mais une étrange lucidité s’empara de son esprit tandis que son cœur s’empalait sur tous les malheurs qui lui étaient arrivés. Elle se dirigea vers sa chambre, puis se posa sur son lit, couche qui avait vu tant de ses larmes. Elle se souvint, en désespoir de cause, de l’amour qu’elle ressentait pour son mari et pour sa sœur. Elle comprit qu’elle ne faisait qu’empêcher cette fleur d’éclore ; qu’elle, comme elle l’avait fait toute sa vie, ne faisait que gêner ces deux personnes qu’elle affectionnait particulièrement.

« Beaucoup d’hypothèses courent sur la façon dont elle l’a fait, mais ça n’a, au fond, pas d’importance, car cela revient au même. Cette nuit-là, étreinte pour la première fois par le désespoir, elle mit fin à ses jours. Elle fut enterrée avec tout le respect que l’on devait à quelqu’un de son rang, et le roi et la sœur pleurèrent comme ils ne le firent plus jamais après cela. Les deux ressentaient une profonde compassion – non dépourvue de pitié – pour la morte.

« Un an après l’officialisation de leur relation, le veuf et la sœur de l’ancienne reine se marièrent. Cette dernière ne ressentait plus l’amour qui avait causé le suicide de sa sœur aînée, et seul le pouvoir absolu que lui promettait ce mariage put la convaincre. Mais avant cette union, ils eurent huit beaux enfants, dont sept d’entre eux devinrent plus tard Chads. Ils se marièrent le jour de l’anniversaire des 18 ans de leur fille aînée.

« Cette journée-là fut, sans doute aucun, la plus importante de toutes, car ce fut ce jour-là le roi fit de l’Itrus d’alors, le pays que l’on connaît et aime aujourd’hui. À la fin de son discours sur la réforme du pays, un individu encapuchonné se leva dans l’assemblée, et fit taire la foule d’un seul geste sec. Il fit disparaître sa cape en un mouvement.