Le Comte de Monte-Cristo 4 - Dumas Alexandre - E-Book

Le Comte de Monte-Cristo 4 E-Book

Dumas Alexandre

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Beschreibung

Au début du règne de Louis XVIII, Edmond Dantès, marin, est accusé à tort de bonapartisme et enfermé dans la prison d’If, sur l’île du même nom, au large de Marseille. Après 14 années il réussit à s’échapper, et s’empare du trésor de l’île de Monte-Cristo, qui lui a été révélé par un compagnon de captivité (l’abbé Faria). Devenu riche et puissant, il entreprend, sous le nom de comte de Monte-Cristo, de se venger de ses ennemis, qui l’ont accusé ou ont bénéficié directement de son incarcération pour s’élever dans la société : le comte de Morcerf (alias Fernand Mondego, son rival en amour), le banquier Danglars (qui a rédigé la dénonciation), le procureur du Roi de Villefort (qui l’a envoyé en prison bien que le sachant innocent).|Wilipédia|

Extrait
| |58| M. Noirtier De Villefort.
Voici ce qui s’était passé dans la maison du procureur du roi après le départ de madame Danglars et de sa fille, et pendant la conversation que nous venons de rapporter.
M. de Villefort était entré chez son père, suivi de madame de Villefort ; quant à Valentine, nous savons où elle était.
Tous deux, après avoir salué le vieillard, après avoir congédié Barrois, vieux domestique depuis plus de vingt-cinq ans à son service, avaient pris place à ses côtés.
M. Noirtier, assis dans son grand fauteuil à roulettes, où on le plaçait le matin et d’où on le tirait le soir, assis devant une glace qui réfléchissait tout l’appartement et lui permettait de voir, sans même tenter un mouvement devenu impossible, qui entrait dans sa chambre, qui en sortait, et ce qu’on faisait tout autour de lui ; M. Noirtier, immobile comme un cadavre, regardait avec des yeux intelligents et vifs ses enfants, dont la cérémonieuse référence lui annonçait quelque démarche officielle inattendue.
La vue et l’ouïe étaient les deux seuls sens qui animassent encore, comme deux étincelles, cette matière humaine déjà aux trois quarts façonnée pour la tombe ; encore, de ces deux sens, un seul pouvait-il révéler au dehors la vie intérieure qui animait la statue : et le regard qui dénonçait cette vie intérieure était semblable à une de ces lumières lointaines qui, durant la nuit, apprennent au voyageur perdu dans un désert qu’il y a encore un être existant qui veille dans ce silence et cette obscurité.
Aussi, dans cet œil noir du vieux Noirtier, surmonté d’un sourcil noir, tandis que toute la chevelure, qu’il portait longue et pendante sur les épaules, était blanche ; dans cet œil, comme cela arrive pour tout organe de l’homme exercé aux dépens des autres organes, s’étaient concentrées toute l’activité, toute l’adresse, toute la force, toute l’intelligence répandues autrefois dans ce corps et dans cet esprit...|

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SOMMMAIRE

|58| M. Noirtier De Villefort.

|59| Le testament.

|60| Le télégraphe.

|61| Le moyen de délivrer un jardinier des loirs qui mangent ses pêches.

|62| Les fantômes.

|63| Le dîner.

|64| Le mendiant.

|65| Scène conjugale.

|66| Projets de mariage.

|67| Le cabiner du procureur du roi.

|68| Un bal d’été.

|69| Les informations.

|70| Le bal.

|71|Le pain et le sel.

|72| Madame de Saint-Méran.

|73| La promesse.

|74| Le caveau de la famille Villefort.

|75| Le procès verbal.

|76| Le progrès de Cavalcanti fils.

|77| Haydée.

Notes

ALEXANDRE DUMAS

LE COMTE DE MONTE-CRISTO

Tome 4

roman

6 volumes

C. Lévy, 1889 (1, pp. 1-13).

Raanan Éditeur

Livre 76| édition 2

|58| M. Noirtier De Villefort.

Voici ce qui s’était passé dans la maison du procureur du roi après le départ de madame Danglars et de sa fille, et pendant la conversation que nous venons de rapporter.

M. de Villefort était entré chez son père, suivi de madame de Villefort ; quant à Valentine, nous savons où elle était.

Tous deux, après avoir salué le vieillard, après avoir congédié Barrois, vieux domestique depuis plus de vingt-cinq ans à son service, avaient pris place à ses côtés.

M. Noirtier, assis dans son grand fauteuil à roulettes, où on le plaçait le matin et d’où on le tirait le soir, assis devant une glace qui réfléchissait tout l’appartement et lui permettait de voir, sans même tenter un mouvement devenu impossible, qui entrait dans sa chambre, qui en sortait, et ce qu’on faisait tout autour de lui ; M. Noirtier, immobile comme un cadavre, regardait avec des yeux intelligents et vifs ses enfants, dont la cérémonieuse référence lui annonçait quelque démarche officielle inattendue.

La vue et l’ouïe étaient les deux seuls sens qui animassent encore, comme deux étincelles, cette matière humaine déjà aux trois quarts façonnée pour la tombe ; encore, de ces deux sens, un seul pouvait-il révéler au dehors la vie intérieure qui animait la statue : et le regard qui dénonçait cette vie intérieure était semblable à une de ces lumières lointaines qui, durant la nuit, apprennent au voyageur perdu dans un désert qu’il y a encore un être existant qui veille dans ce silence et cette obscurité.

Aussi, dans cet œil noir du vieux Noirtier, surmonté d’un sourcil noir, tandis que toute la chevelure, qu’il portait longue et pendante sur les épaules, était blanche ; dans cet œil, comme cela arrive pour tout organe de l’homme exercé aux dépens des autres organes, s’étaient concentrées toute l’activité, toute l’adresse, toute la force, toute l’intelligence répandues autrefois dans ce corps et dans cet esprit. Certes, le geste du bras, le son de la voix, l’attitude du corps manquaient, mais cet œil puissant suppléait à tout : il commandait avec les yeux ; il remerciait avec les yeux ; c’était un cadavre avec des yeux vivants, et rien n’était plus effrayant parfois que ce visage de marbre au haut duquel s’allumait une colère ou luisait une joie. Trois personnes seulement savaient comprendre ce langage du pauvre paralytique : c’étaient Villefort, Valentine et le vieux domestique dont nous avons déjà parlé. Mais comme Villefort ne voyait que rarement son père, et, pour ainsi dire, quand il ne pouvait faire autrement ; comme, lorsqu’il le voyait, il ne cherchait pas à lui plaire en le comprenant, tout le bonheur du vieillard reposait en sa petite-fille, et Valentine était parvenue, à force de dévouement, d’amour et de patience, à comprendre du regard toutes les pensées de Noirtier. À ce langage muet ou inintelligible pour tout autre, elle répondait avec toute sa voix, toute sa physionomie, toute son âme, de sorte qu’il s’établissait des dialogues animés entre cette jeune fille et cette prétendue argile, à peu près redevenue poussière, et qui cependant était encore un homme d’un savoir immense, d’une pénétration inouïe et d’une volonté aussi puissante que peut l’être l’âme enfermée dans une matière par laquelle elle à perdu le pouvoir de se faire obéir.

Valentine avait donc résolu cet étrange problème de comprendre la pensée du vieillard, pour lui faire comprendre sa pensée à elle ; et, grâce à cette étude, il était bien rare que, pour les choses ordinaires de la vie, elle ne tombât point avec précision sur le désir de cette âme vivante, ou sur le besoin de ce cadavre à moitié insensible.

Quant au domestique, comme depuis vingt-cinq ans, ainsi que nous l’avons dit, il servait son maître, il connaissait si bien toutes ses habitudes, qu’il était rare que Noirtier eût besoin de lui demander quelque chose.

Villefort n’avait en conséquence besoin du secours ni de l’un ni de l’autre pour entamer avec son père l’étrange conversation qu’il venait provoquer. Lui-même, nous l’avons dit, connaissait parfaitement le vocabulaire du vieillard, et s’il ne s’en servait point plus souvent, c’était par ennui et par indifférence. Il laissa donc Valentine descendre au jardin, il éloigna donc Barrois, et après avoir pris sa place à la droite de son père, tandis que madame de Villefort s’asseyait à sa gauche :

— Monsieur, dit-il, ne vous étonnez pas que Valentine ne soit pas montée avec nous et que j’aie éloigné Barrois, car la conférence que nous allons avoir ensemble est de celles qui ne peuvent avoir lieu devant une jeune fille ou un domestique ; madame de Villefort et moi avons une communication à vous faire.

Le visage de Noirtier resta impassible pendant ce préambule, tandis qu’au contraire l’œil de Villefort semblait vouloir plonger jusqu’au plus profond du cœur du vieillard.

— Cette communication, continua le procureur du roi avec son ton glacé et qui semblait ne jamais admettre la contestation, nous sommes sûrs, madame de Villefort et moi, qu’elle vous agréera.

L’œil du vieillard continua de demeurer atone ; il écoutait : voilà tout.

— Monsieur, reprit Villefort, nous marions Valentine.

Une figure de cire ne fût pas restée plus froide à cette nouvelle que ne resta la figure du vieillard.

— Le mariage aura lieu avant trois mois, reprit Villefort.

L’œil du vieillard continua d’être inanimé.

Madame de Villefort prit la parole à son tour, et se hâta d’ajouter :

— Nous avons pensé que cette nouvelle aurait de l’intérêt pour vous, monsieur ; d’ailleurs Valentine a toujours semblé attirer votre affection ; il nous reste donc à vous dire seulement le nom du jeune homme qui lui est destiné. C’est un des plus honorables partis auxquels Valentine puisse prétendre ; il y a de la fortune, un beau nom et des garanties parfaites de bonheur dans la conduite et les goûts de celui que nous lui destinons, et dont le nom ne doit pas vous être inconnu. Il s’agit de M. Franz de Quesnel, baron d’Épinay.

Villefort, pendant le petit discours de sa femme, attachait sur le vieillard un regard plus attentif que jamais. Lorsque madame de Villefort prononça le nom de Franz, l’œil de Noirtier, que son fils connaissait si bien, frissonna, et les paupières se dilatant comme eussent pu faire des lèvres pour laisser passer des paroles, laissèrent, elles, passer un éclair.

Le procureur du roi, qui savait les anciens rapports d’inimitié publique qui avaient existé entre son père et le père de Franz, comprit ce feu et cette agitation ; mais cependant il les laissa passer comme inaperçus, et reprenant la parole où sa femme l’avait laissée :

— Monsieur, dit-il, il est important, vous le comprenez bien, près comme elle est d’atteindre sa dix-neuvième année, que Valentine soit enfin établie. Néanmoins, nous ne vous avons point oublié dans les conférences, et nous nous sommes assurés d’avance que le mari de Valentine accepterait, sinon de vivre près de nous, qui gênerions peut-être un jeune ménage, du moins que vous, que Valentine chérit particulièrement, et qui, de votre côté, paraissez lui rendre cette affection, vivriez près d’eux, de sorte que vous ne perdrez aucune de vos habitudes, et que vous aurez seulement deux enfants au lieu d’un pour veiller sur vous.

L’éclair du regard de Noirtier devint sanglant.

Assurément il se passait quelque chose d’affreux dans l’âme de ce vieillard ; assurément le cri de la douleur et de la colère montait à sa gorge ; et, ne pouvant éclater, l’étouffait, car son visage s’empourpra et ses lèvres devinrent bleues.

Villefort ouvrit tranquillement une fenêtre en disant :

— Il fait bien chaud ici, et celle chaleur fait mal à M. Noirtier.

Puis il revint, mais sans se rasseoir.

— Ce mariage, ajouta madame de Villefort, plaît à M. d’Épinay et à sa famille ; d’ailleurs sa famille se compose seulement d’un oncle et d’une tante. Sa mère étant morte au moment où elle le mettait au monde, et son père ayant été assassiné en 1815, c’est-à-dire quand l’enfant avait deux ans à peine, il ne relève donc que de sa propre volonté.

— Assassinat mystérieux, dit Villefort, et dont les auteurs sont restés inconnus, quoique le soupçon ait plané sans s’abattre au-dessus de la tête de beaucoup de gens.

Noirtier fit un tel effort que ses lèvres se contractèrent comme pour sourire.

— Or, continua Villefort, les véritables coupables, ceux-là qui savent qu’ils ont commis le crime, ceux-là sur lesquels peut descendre la justice des hommes pendant leur vie et la justice de Dieu après leur mort, seraient bien heureux d’être à notre place, et d’avoir une fille à offrir à M. Franz d’Épinay pour éteindre jusqu’à l’apparence du soupçon.

Noirtier s’était calmé avec une puissance que l’on n’aurait pas dû attendre de cette organisation brisée.

— Oui, je comprends, répondit-il du regard à Villefort ; et ce regard exprimait tout ensemble le dédain profond et la colère intelligente.

Villefort, de son côté, répondit à ce regard, dans lequel il avait lu ce qu’il contenait, par un léger mouvement d’épaules.

Puis il fit signe à sa femme de se lever.

— Maintenant, monsieur, dit madame de Villefort, agréez tous mes respects. Vous plaît-il qu’Édouard vienne vous présenter ses respects ?

Il était convenu que le vieillard exprimait son approbation en fermant les yeux, son refus en les clignant à plusieurs reprises, et avait quelques désirs à exprimer quand il les levait au ciel.

S’il demandait Valentine, il fermait l’œil droit seulement.

S’il demandait Barrois, il fermait l’œil gauche.

À la proposition de madame de Villefort, il cligna vivement les jeux.

Madame de Villefort, accueillie par un refus évident, se pinça les lèvres.

— Je vous enverrai donc Valentine, alors ? dit-elle.

— Oui, fit le vieillard en fermant les yeux avec vivacité.

M. et madame de Villefort saluèrent et sortirent en ordonnant qu’on appelât Valentine, déjà prévenue au reste qu’elle aurait quelque chose à faire dans la journée près de M. Noirtier.

Derrière eux, Valentine, toute rose encore d’émotion, entra chez le vieillard. Il ne lui fallut qu’un regard pour qu’elle comprît combien souffrait son aïeul et combien de choses il avait à lui dire.

— Oh ! bon papa, s’écria-t-elle, qu’est-il donc arrivé ? On t’a fâché, n’est-ce pas, et tu es en colère ?

— Oui, fit-il en fermant les yeux.

— Contre qui donc ? contre mon père ? non ; contre madame, de Villefort ? non ; contre moi ?

Le vieillard fit signe que oui.

— Contre moi ? reprit Valentine étonnée.

Le vieillard renouvela le signe.

— Et que t’ai-je donc fait, cher bon papa ? s’écria Valentine.

Pas de réponse ; elle continua :

— Je ne t’ai pas vu de la journée ; on t’a donc rapporté quelque chose de moi ?

— Oui, dit le regard du vieillard avec vivacité.

— Voyons donc que je cherche. Mon Dieu, je te jure, bon père… Ah !… M. et madame de Villefort sortent d’ici, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Et ce sont eux qui t’ont dit ces choses qui te fâchent ? Qu’est-ce donc ? Veux-tu que j’aille le leur demander pour que je puisse m’excuser près de toi ?

— Non, non, fit le regard.

— Oh ! mais tu m’effrayes. Qu’ont-ils pu dire, mon Dieu !

Et elle chercha.

— Oh ! j’y suis, dit-elle, en baissant la voix et en se rapprochant du vieillard. Ils ont parlé de mon mariage peut-être ?

— Oui, répliqua le regard courroucé.

— Je comprends ; tu m’en veux de mon silence. Oh ! vois-tu, c’est qu’ils m’avaient bien recommandé de ne t’en rien dire ; c’est qu’ils ne m’en avaient rien dit à moi-même, et que j’avais surpris en quelque sorte ce secret par indiscrétion ; voilà pourquoi j’ai été si réservée avec toi. Pardonne-moi, bon papa Noirtier.

Redevenu fixe et atone, le regard sembla répondre : « Ce n’est pas seulement ton silence qui m’afflige. »

— Qu’est-ce donc ? demanda la jeune fille : tu crois peut-être que je t’abandonnerais, bon père, et que mon mariage me rendrait oublieuse ?

— Non, dit le vieillard.

— Ils t’ont dit alors que M. d’Épinay consentait à ce que nous demeurassions ensemble ?

— Oui.

— Alors pourquoi es-tu fâché ?

Les yeux du vieillard prirent une expression de douceur infinie.

— Oui, je comprends, dit Valentine ; parce que tu m’aimes ?

Le vieillard fit signe que oui.

— Et tu as peur que je ne sois malheureuse ?

— Oui.

— Tu n’aimes pas M. Franz ?

Les yeux répétèrent trois ou quatre fois :

— Non, non, non.

— Alors tu as bien du chagrin, bon père ?

— Oui.

— Eh bien ! écoute, dit Valentine en se mettant à genoux devant Noirtier et en lui passant ses bras autour du cou, moi aussi, j’ai bien du chagrin, car moi non plus je n’aime pas M. Franz d’Épinay.

Un éclair de joie passa dans les yeux de l’aïeul.

— Quand j’ai voulu me retirer au couvent, tu te rappelles bien, que tu as été si fort fâché contre moi ?

Une larme humecta la paupière aride du vieillard.

— Eh bien ! continua Valentine, c’était pour échapper à ce mariage, qui fait mon désespoir.

La respiration de Noirtier devint haletante.

— Alors, ce mariage te fait bien du chagrin, bon père ? mon Dieu, si tu pouvais m’aider, si nous pouvions à nous deux rompre leur projet ! Mais tu es sans force contre eux, toi dont l’esprit cependant est si vif et la volonté si ferme, mais quand il s’agit de lutter tu es aussi faible et même plus faible que moi. Hélas ! tu eusses été pour moi un protecteur si puissant aux jours de ta force et de ta santé ; mais aujourd’hui tu ne peux plus que me comprendre et te réjouir ou t’affliger avec moi. C’est un dernier bonheur que Dieu a oublié de m’enlever avec les autres.

Il y eut à ces paroles, dans les yeux de Noirtier, une telle expression de malice et de profondeur, que la jeune fille crut y lire ces mots :

— Tu te trompes, je puis encore beaucoup pour toi.

— Tu peux quelque chose pour moi, cher bon papa ? traduisit Valentine.

— Oui.

Noirtier leva les yeux au ciel. C’était le signe convenu entre lui et Valentine lorsqu’il désirait quelque chose.

— Que veux-tu, cher père ? voyons.

Valentine chercha un instant dans son esprit, exprima tout haut ses pensées à mesure qu’elles se présentaient à elle, et voyant qu’à tout ce qu’elle pouvait dire, le vieillard répondait constamment non :

— Allons, fit-elle, les grands moyens, puisque je suis si sotte !

Alors elle récita l’une après l’autre toute les lettres de l’alphabet depuis A jusqu’à N, tandis que son sourire interrogeait l’œil du paralytique ; à N, Noirtier fit signe que oui.

— Ah ! dit Valentine, la chose que vous désirez commence par la lettre N ; c’est à l’N que nous avons affaire ? Eh bien ! voyons, que lui voulons-nous à l’N ? Na, ne, ni, no.

— Oui, oui, oui, fit le vieillard.

— Ah ! c’est no ?

— Oui.

Valentine alla chercher un dictionnaire qu’elle posa sur un pupitre devant Noirtier ; elle l’ouvrit, et quand elle eut vu l’œil du vieillard fixé sur les feuilles, son doigt courut vivement du haut en bas des colonnes.

L’exercice, depuis six ans que Noirtier était tombé dans le fâcheux état où il se trouvait, lui avait rendu les épreuves si faciles, qu’elle devinait aussi vite la pensée du vieillard que si lui-même eût pu chercher dans le dictionnaire.

Au mot notaire, Noirtier fit signe de s’arrêter.

— Notaire, dit-elle ; tu veux un notaire, bon papa ?

Le vieillard fit signe que c’était effectivement un notaire qu’il désirait.

— Il faut donc envoyer chercher un notaire ? demanda Valentine.

— Oui, fit le paralytique.

— Mon père doit-il le savoir ?

— Oui.

— Es-tu pressé d’avoir ton notaire ?

— Oui.

— Alors on va te l’envoyer chercher tout de suite, cher père. Est-ce tout ce que tu veux ?

— Oui.

Valentine courut à la sonnette et appela un domestique pour le prier de faire venir M. ou madame de Villefort chez le grand-père.

— Es-tu content ? dit Valentine ; oui… je le crois bien : hein ? ce n’était pas facile à trouver, cela ?

Et la jeune fille sourit à l’aïeul comme elle eût pu faire à un enfant.

M. de Villefort entra ramené par Barrois.

— Que voulez-vous, Monsieur ? demanda-t-il au paralytique.

— Monsieur, dit Valentine, mon grand-père désire un notaire.

À cette demande étrange et surtout inattendue, M. de Villefort échangea un regard avec le paralytique.

— Oui, fit ce dernier avec une fermeté qui indiquait qu’avec l’aide de Valentine et de son vieux serviteur, qui savait maintenant ce qu’il désirait, il était prêt a soutenir la lutte.

— Vous demandez le notaire ? répéta Villefort.

— Oui.

— Pour quoi faire ?

Noirtier ne répondit pas.

— Mais qu’avez-vous besoin d’un notaire ? demanda Villefort.

Le regard du paralytique demeura immobile et par conséquent muet, ce qui voulait dire : Je persiste dans ma volonté.

— Pour nous faire quelques mauvais tour ? dit Villefort ; est-ce la peine ?

— Mais enfin, dit Barrois, prêt à insister avec la persévérance habituelle aux vieux domestiques, si monsieur veut un notaire, c’est apparemment qu’il en a besoin. Ainsi je vais chercher un notaire.

Barrois ne reconnaissait d’autre maître que Noirtier et n’admettait jamais que ses volontés fussent contestées en rien.

— Oui, je veux un notaire, fil le vieillard en fermant les yeux d’un air de défi et comme s’il eût dit : Voyons si l’on osera me refuser ce que je veux.

— On aura un notaire, puisque vous en voulez absolument un, monsieur ; mais je m’excuserai près de lui et vous excuserai vous-même, car la scène sera fort ridicule.

— N’importe, dit Barrois, je vais toujours l’aller chercher.

Et le vieux serviteur sortit triomphant.

|59| Le testament.

Au moment où Barrois sortit, Noirtier regarda Valentine avec cet intérêt malicieux qui annonçait tant de choses. La jeune fille comprit ce regard et Villefort aussi, car son front se rembrunit et son sourcil se fronça.

Il prit un siège, s’installa dans la chambre du paralytique et attendit.

Noirtier le regardait faire avec une parfaite indifférence ; mais, du coin de l’œil, il avait ordonné à Valentine de ne point s’inquiéter et de rester aussi.

Trois quarts d’heure après, le domestique rentra avec le notaire.

— Monsieur, dit Villefort après les premières salutations, vous êtes mandé par M. Noirtier de Villefort, que voici ; une paralysie générale lui a ôté l’usage des membres et de la voix, et nous seuls à grand-peine parvenons à saisir quelques lambeaux de ses pensées.

Noirtier fit de l’œil un appel à Valentine, appel si sérieux et si impératif, qu’elle répondit sur-le-champ :

— Moi, monsieur, je comprends tout ce que veut dire mon grand-père.

— C’est vrai, ajouta Barrois, tout, absolument tout, comme je le disais à monsieur en venant.

— Permettez, monsieur, et vous aussi, mademoiselle, dit le notaire en s’adressant à Villefort et à Valentine, c’est là un de ces cas où l’officier public ne peut inconsidérément procéder sans assumer une responsabilité dangereuse. La première nécessité, pour qu’un acte soit valable, est que le notaire soit bien convaincu qu’il a fidèlement interprété la volonté de celui qui le dicte. Or, je ne puis pas moi-même être sûr de l’approbation ou de l’improbation d’un client qui ne parle pas ; et comme l’objet de ses désirs et de ses répugnances, vu son mutisme, ne peut m’être prouvé clairement, mon ministère est plus qu’inutile et serait illégalement exercé.

Le notaire fit un pas pour se retirer. Un imperceptible sourire de triomphe se dessina sur les lèvres du procureur du roi. De son côté, Noirtier regarda Valentine avec une telle expression de douleur, qu’elle se plaça sur le chemin du notaire.

— Monsieur, dit-elle, la langue que je parle avec mon grand-père est une langue qui se peut apprendre facilement, et de même que je le comprends, je puis en quelques minutes vous amener à le comprendre. Que vous faut-il, voyons, monsieur, pour arriver à la parfaite édification de votre conscience ?

— Ce qui est nécessaire pour que nos actes soient valables, mademoiselle, répondit le notaire ; c’est-à-dire la certitude de l’approbation ou de l’improbation. On peut tester malade de corps, mais il faut tester sain d’esprit.

— Eh bien ! monsieur, avec deux signes vous acquerrez cette certitude que mon grand-père n’a jamais mieux joui qu’à cette heure de la plénitude de son intelligence. M. Noirtier, privé de la voix, privé du mouvement, ferme les yeux quand il veut dire oui, et les cligne à plusieurs reprises quand il veut dire non. Vous en savez assez maintenant pour causer avec M. Noirtier, essayez.

Le regard que lança le vieillard à Valentine était si humide de tendresse et de reconnaissance, qu’il fut compris du notaire lui-même.

— Vous avez entendu et compris ce que vient de dire votre petite-fille, Monsieur ? demanda le notaire.

Noirtier ferma doucement les yeux, et les rouvrit après un instant.

— Et vous approuvez ce qu’elle a dit ? c’est-à-dire que les signes indiqués par elle sont bien ceux à l’aide desquels vous faites comprendre votre pensée ?

— Oui, fit encore le vieillard.

— C’est vous qui m’avez fait demander ?

— Oui.

— Pour faire votre testament ?

— Oui.

— Et vous ne voulez pas que je me retire sans avoir fait ce testament ?

Le paralytique cligna vivement et à plusieurs reprises ses yeux.

— Eh bien ! monsieur, comprenez-vous, maintenant, demanda la jeune fille, et votre conscience sera-t-elle en repos ?

Mais avant que le notaire n’eût pu répondre, Villefort le tira à part :

— Monsieur, dit-il, croyez-vous qu’un homme puisse supporter impunément un choc physique aussi terrible que celui qu’a éprouvé M. Noirtier de Villefort, sans que le moral ait reçu lui-même une grave atteinte ?

— Ce n’est point cela précisément qui m’inquiète, monsieur, répondit le notaire, mais je me demande comment nous arriverons à deviner les pensées, afin de provoquer les réponses.

— Vous voyez donc que c’est impossible, dit Villefort.

Valentine et le vieillard entendaient cette conversation. Noirtier arrêta son regard si fixe et si ferme sur Valentine, que ce regard appelait évidemment une riposte.

— Monsieur, dit-elle, que cela ne vous inquiète point ; si difficile qu’il soit, ou plutôt qu’il vous paraisse de découvrir la pensée de mon grand-père, je vous la révélerai, moi, de façon à lever tous les doutes à cet égard. Voilà six ans que je suis près de M. Noirtier, et, qu’il le dise lui-même, si, depuis six ans, un seul de ses désirs est resté enseveli dans son cœur faute de pouvoir me le faire comprendre ?

— Non, fit le vieillard.

— Essayons donc, dit le notaire ; vous acceptez mademoiselle pour votre interprète ?

Le paralytique fit signe que oui.

— Bien ; voyons, monsieur, que désirez-vous de moi, et quel est l’acte que vous désirez faire ?

Valentine nomma toutes les lettres de l’alphabet jusqu’à la lettre T.

À cette lettre, l’éloquent coup d’œil de Noirtier l’arrêta.

— C’est la lettre T que monsieur demande, dit le notaire ; la chose est visible.

— Attendez, dit Valentine ; puis, se retournant vers son grand-père : Ta… te…

Le vieillard l’arrêta à la seconde de ces syllabes.

Alors Valentine prit le dictionnaire, et aux yeux du notaire attentif elle feuilleta les pages.

— Testament, dit son doigt arrêté par le coup d’œil de Noirtier.

— Testament ! s’écria le notaire, la chose est visible ; monsieur veut tester.

— Oui, fit Noirtier à plusieurs reprises.

— Voilà qui est merveilleux, monsieur, convenez-en, dit le notaire à Villefort stupéfait.

— En effet, répliqua-t-il, et plus merveilleux encore serait ce testament ; car, enfin, je ne pense pas que les articles se viennent ranger sur le papier, mot par mot, sans l’intelligente aspiration de ma fille. Or, Valentine sera peut-être un peu trop intéressée à ce testament pour être un interprète convenable des obscures volontés de M. Noirtier de Villefort.

— Non, non ! fit le paralytique.

— Comment ! dit M. de Villefort, Valentine n’est point intéressée à votre testament ?

— Non, fit Noirtier.

— Monsieur, dit le notaire, qui, enchanté de cette épreuve, se promettait de raconter dans le monde les détails de cet épisode pittoresque ; monsieur, rien ne me paraît plus facile maintenant que ce que tout à l’heure je regardais comme une chose impossible, et ce testament sera tout simplement un testament mystique, c’est-à-dire prévu et autorisé par la loi pourvu qu’il soit lu en face de sept témoins, approuvé par le testateur devant eux, et fermé par le notaire, toujours devant eux. Quant au temps, il durera à peine plus longtemps qu’un testament ordinaire ; il y a d’abord les formules consacrées et qui sont toujours les mêmes, et quant aux détails, la plupart seront fournis par l’état même des affaires du testateur et par vous qui, les ayant gérées, les connaissez. Mais d’ailleurs, pour que cet acte demeure inattaquable, nous allons lui donner l’authenticité la plus complète ; l’un de mes confrères me servira d’aide et, contre les habitudes, assistera à la dictée. Êtes-vous satisfait, monsieur ? continua le notaire en s’adressant au vieillard.

— Oui, répondit Noirtier, radieux d’être compris.

— Que va-t-il faire ? se demanda Villefort à qui sa haute position commandait tant de réserve, et qui, d’ailleurs, ne pouvait deviner vers quel but tendait son père.

Il se retourna donc pour envoyer chercher le deuxième notaire désigné par le premier ; mais Barrois, qui avait tout entendu et qui avait deviné le désir de son maître, était déjà parti.

Alors le procureur du roi fit dire à sa femme de monter.

Au bout d’un quart d’heure, tout le monde était réuni dans la chambre du paralytique, et le second notaire était arrivé.

En peu de mots les deux officiers ministériels furent d’accord. On lut à Noirtier une formule de testament vague, banale ; puis pour commencer, pour ainsi dire, l’investigation de son intelligence, le premier notaire, se retournant de son côté, lui dit :

— Lorsqu’on fait son testament, monsieur, c’est en faveur de quelqu’un.

— Oui, fit Noirtier.

— Avez-vous quelque idée du chiffre auquel se monte votre fortune ?

— Oui.

— Je vais vous nommer plusieurs chiffres qui monteront successivement ; vous m’arrêterez quand j’aurai atteint celui que vous croirez être le vôtre.

— Oui.

Il y avait dans cet interrogatoire une espèce de solennité ; d’ailleurs jamais la lutte de l’intelligence contre la matière n’avait peut-être été plus visible ; et si ce n’était un sublime, comme nous allions le dire, c’était au moins un curieux spectacle.

On faisait cercle autour de Villefort ; le second notaire était assis à une table, tout prêt à écrire ; le premier notaire se tenait debout devant lui et interrogeait.

— Votre fortune dépasse trois cent mille francs, n’est-ce pas ? demanda-t-il.

Noirtier fit signe que oui.

— Possédez-vous quatre cent mille francs ? demanda le notaire.

Noirtier resta immobile.

— Cinq cent mille ?

Même immobilité.

— Six cent mille ? sept cent mille ? huit cent mille ? neuf cent mille ?

Noirtier fit signe que oui.

— Vous possédez neuf cent mille francs ?

— Oui.

— En immeubles ? demanda le notaire.

Noirtier fit signe que non.

— En inscriptions de rentes ?

Noirtier fit signe que oui.

— Ces inscriptions sont entre vos mains ?

Un coup d’œil adressé à Barrois fit sortir le vieux serviteur, qui revint un instant après avec une petite cassette.

— Permettez-vous qu’on ouvre cette cassette ? demanda le notaire.

Noirtier fit signe que oui.

On ouvrit la cassette et l’on trouva pour neuf cent mille francs d’inscriptions sur le Grand-Livre.

Le premier notaire passa, les unes après les autres, chaque inscription à son collègue ; le compte y était, comme l’avait accusé Noirtier.

— C’est bien cela, dit-il ; il est évident que l’intelligence est dans toute sa force et dans toute son étendue.

Puis, se retournant vers le paralytique :

— Donc, lui dit-il, vous possédez neuf cent mille francs de capital, qui, à la façon dont ils sont placés, doivent vous produire quarante mille livres de rentes à peu près ?

— Oui, fit Noirtier.

— À qui désirez-vous laisser cette fortune ?

— Oh ! dit madame de Villefort, cela n’est point douteux ; M. Noirtier aime uniquement sa petite-fille, mademoiselle Valentine de Villefort : c’est elle qui le soigne depuis six ans ; elle a su captiver par ses soins assidus l’affection de son grand-père, et je dirai presque sa reconnaissance ; il est donc juste qu’elle recueille le prix de son dévouement.

L’œil de Noirtier lança un éclair comme s’il n’était pas dupe de ce faux assentiment donné par madame de Villefort aux attentions qu’elle lui supposait.

— Est-ce donc à mademoiselle Valentine de Villefort que vous laissez ces neuf cent mille francs ? demanda le notaire, qui croyait n’avoir plus qu’à enregistrer cette clause, mais qui tenait à s’assurer cependant de l’assentiment de Noirtier, et voulait faire constater cet assentiment par tous les témoins de cette étrange scène.

Valentine avait fait un pas en arrière et pleurait les yeux baissés ; le vieillard la regarda un instant avec l’expression d’une profonde tendresse ; puis se retournant vers le notaire, il cligna des yeux de la façon la plus significative.

— Non ? dit le notaire ; comment, ce n’est pas mademoiselle Valentine de Villefort que vous instituez pour votre légataire universelle ?

Noirtier fit signe que non.

— Vous ne vous trompez pas ? s’écria le notaire étonné ; vous dites bien non ?

— Non ! répéta Noirtier, non !

Valentine releva la tête ; elle était stupéfaite, non pas de son exhérédation, mais d’avoir provoqué le sentiment qui dicte d’ordinaire de pareils actes.

Mais Noirtier la regarda avec une si profonde expression de tendresse qu’elle s’écria :

— Oh ! mon bon père, je le vois bien, ce n’est que votre fortune que vous m’ôtez, mais vous me laissez toujours votre cœur ?

— Oh ! oui, bien certainement, dirent les yeux du paralytique, se fermant avec une expression à laquelle Valentine ne pouvait se tromper.

— Merci ! merci ! murmura la jeune fille.

Cependant ce refus avait fait naître dans le cœur de madame de Villefort une espérance inattendue ; elle se rapprocha du vieillard.

— Alors c’est donc à votre petit-fils Édouard de Villefort que vous laissez votre fortune, cher monsieur Noirtier ? demanda la mère.

Le clignement des yeux fut terrible : il exprimait presque la haine.

— Non, fit le notaire ; alors c’est à monsieur votre fils ici présent ?

— Non, répliqua le vieillard.

Les deux notaires se regardèrent stupéfaits ; Villefort et sa femme se sentaient rougir, l’un de honte, l’autre de colère.

— Mais, que vous avons-nous donc fait, père, dit Valentine ; vous ne nous aimez donc plus ?

Le regard du vieillard passa rapidement sur son fils, sur sa belle-fille, et s’arrêta sur Valentine avec une expression de profonde tendresse.

— Eh bien ! dit-elle, si tu m’aimes, voyons, bon père, tâche d’allier cet amour avec ce que tu fais en ce moment. Tu me connais, tu sais que je n’ai jamais songé à la fortune : d’ailleurs, on dit que je suis riche du côté de ma mère, trop riche même ; explique-toi donc.

Noirtier fixa son regard ardent sur la main de Valentine.

— Ma main ? dit-elle.

— Oui, fit Noirtier.

— Sa main ! répétèrent tous les assistants.

— Ah ! Messieurs, vous voyez bien que tout est inutile, et que mon pauvre père est fou, dit Villefort.

— Oh ! s’écria tout à coup Valentine, je comprends ! Mon mariage, n’est-ce pas, bon père ?

— Oui, oui, oui, répéta trois fois le paralytique, lançant un éclair à chaque fois que se relevait sa paupière.

— Tu nous en veux pour le mariage, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Mais c’est absurde, dit Villefort.

— Pardon, monsieur, dit le notaire, tout cela au contraire est très logique et me fait l’effet de s’enchaîner parfaitement.

— Tu ne veux pas que j’épouse M. Franz d’Épinay ?

— Non, je ne veux pas, exprima l’œil du vieillard.

— Et vous déshéritez votre petite-fille, s’écria le notaire, parce qu’elle fait un mariage contre votre gré ?

— Oui, répondit Noirtier.

— De sorte que sans ce mariage elle serait votre héritière ?

— Oui.

Il se fit alors un silence profond autour du vieillard.

Les deux notaires se consultaient ; Valentine, les mains jointes, regardait son grand-père avec un sourire reconnaissant ; Villefort mordait ses lèvres minces ; madame de Villefort ne pouvait réprimer un sentiment joyeux qui, malgré elle, s’épanouissait sur son visage.

— Mais, dit enfin Villefort, rompant le premier ce silence, il me semble que je suis seul juge des convenances qui plaident en faveur de cette union. Seul maître de la main de ma fille, je veux qu’elle épouse M. Franz d’Épinay, et elle l’épousera.

Valentine tomba pleurante sur un fauteuil.

— Monsieur, dit le notaire, s’adressant au vieillard, que comptez-vous faire de votre fortune au cas où mademoiselle Valentine épouserait M. Franz ?

Le vieillard resta immobile.

— Vous comptez en disposer, cependant ?

— Oui, fit Noirtier.

— En faveur de quelqu’un de votre famille ?

— Non.

— En faveur des pauvres, alors ?

— Oui.

— Mais, dit le notaire, vous savez que la loi s’oppose à ce que vous dépouilliez entièrement votre fils ?

— Oui.

— Vous ne disposerez donc que de la partie que la loi vous autorise à distraire.

Noirtier demeura immobile.

— Vous continuez à vouloir disposer de tout ?

— Oui.

— Mais après votre mort on attaquera le testament ?

— Non.

— Mon père me connaît, monsieur, dit M. de Villefort, il sait que sa volonté sera sacrée pour moi ; d’ailleurs il comprend que dans ma position je ne puis plaider contre les pauvres.

L’œil de Noirtier exprima le triomphe.

— Que décidez-vous, monsieur ? demanda le notaire à Villefort.

— Rien, Monsieur, c’est une résolution prise dans l’esprit de mon père, et je sais que mon père ne change pas de résolution. Je me résigne donc. Ces neuf cent mille francs sortiront de la famille pour aller enrichir les hôpitaux ; mais je ne céderai pas à un caprice de vieillard, et je ferai selon ma conscience.

Et Villefort se retira avec sa femme, laissant son père libre de tester comme il l’entendrait.

Le même jour le testament fut fait ; on alla chercher les témoins, il fut approuvé par le vieillard, fermé en leur présence et déposé chez M. Deschamps, le notaire de la famille.

|60| Le télégraphe.

M. et madame de Villefort apprirent, en rentrant chez eux, que M. le comte de Monte-Cristo, qui était venu pour leur faire visite, avait été introduit dans le salon, où il les attendait ; madame de Villefort, trop émotionnée pour entrer ainsi tout à coup, passa par sa chambre à coucher, tandis que le procureur du roi, plus sûr de lui-même, s’avança directement vers le salon.

Mais si maître qu’il fût de ses sensations, si bien qu’il sût composer son visage, M. de Villefort ne put si bien écarter le nuage de son front que le comte, dont le sourire brillait radieux, ne remarquât cet air sombre et rêveur.

— Oh ! mon Dieu ! dit Monte-Cristo après les premiers compliments, qu’avez-vous donc, monsieur de Villefort ? et suis-je arrivé au moment où vous dressiez quelque accusation un peu trop capitale ? 

Villefort essaya de sourire.

— Non, monsieur le comte, dit-il, il n’y a d’autre victime ici que moi. C’est moi qui perds mon procès, et c’est le hasard, l’entêtement, la folie qui a lancé le réquisitoire. 

— Que voulez-vous dire ? demanda Monte-Cristo avec un intérêt parfaitement joué. Vous est-il, en réalité, arrivé quelque malheur grave ? 

— Oh ! monsieur le comte, dit Villefort avec un calme plein d’amertume, cela ne vaut pas la peine d’en parler ; presque rien, une simple perte d’argent. 

— En effet, répondit Monte-Cristo, une perte d’argent est peu de chose avec une fortune comme celle que vous possédez et avec un esprit philosophique et élevé comme l’est le vôtre ! 

— Aussi, répondit Villefort, n’est-ce point la question d’argent qui me préoccupe, quoique, après tout, neuf cent mille francs vaillent bien un regret, ou tout au moins un mouvement de dépit. Mais je me blesse surtout de cette disposition du sort, du hasard, de la fatalité, je ne sais comment nommer la puissance qui dirige le coup qui me frappe et qui renverse mes espérances de fortune et détruit peut-être l’avenir de ma fille par le caprice d’un vieillard tombé en enfance. 

— Eh ! mon Dieu ! qu’est ce donc ? s’écria le comte. Neuf cent mille francs, avez-vous dit ? Mais, en vérité, comme vous le dites, la somme mérite d’être regrettée, même par un philosophe. Et qui vous donne ce chagrin ? 

— Mon père, dont je vous ai parlé. 

— M. Noirtier ! vraiment ! Mais vous m’aviez dit, ce me semble, qu’il était en paralysie complète, et que toutes ses facultés étaient anéanties ? 

— Oui, ses facultés physiques, car il ne peut pas marcher, il ne peut point parler, et avec tout cela, cependant, il pense, il veut, il agit, comme vous voyez. Je le quitte il y a cinq minutes, et, dans ce moment, il est occupé à dicter un testament à deux notaires. 

— Mais alors il a parlé ? 

— Il a fait mieux, il s’est fait comprendre. 

— Comment cela ? 

— À l’aide du regard ; ses yeux ont continué de vivre, et vous voyez, ils tuent. 

— Mon ami, dit madame de Villefort qui venait d’entrer à son tour, peut-être vous exagérez-vous la situation ? 

— Madame… dit le comte en s’inclinant. 

— Madame de Villefort salua avec son plus gracieux sourire. 

— Mais que me dit donc là M. de Villefort ? demanda Monte-Cristo, et quelle disgrâce incompréhensible ?… 

— Incompréhensible, c’est le mot ! reprit le procureur du roi en haussant les épaules, un caprice de vieillard ! 

— Et il n’y a pas moyen de le faire revenir sur cette décision ? 

— Si fait, dit madame de Villefort ; et il dépend même de mon mari que ce testament, au lieu d’être fait au détriment de Valentine, soit fait au contraire en sa faveur. 

Le comte, voyant que les deux époux commençaient à parler par paraboles, prit l’air distrait, et regarda avec l’attention la plus profonde et l’approbation la plus marquée Édouard qui versait de l’encre dans l’abreuvoir des oiseaux.

— Ma chère, dit Villefort répondant à sa femme, vous savez que j’aime peu me poser chez moi en patriarche, et que je n’ai jamais cru que le sort de l’univers dépendît d’un signe de ma tête. Cependant il importe que mes décisions soient respectées dans ma famille, et que la folie d’un vieillard et le caprice d’un enfant ne renversent pas un projet arrêté dans mon esprit depuis longues années. Le baron d’Épinay était mon ami, vous le savez, et une alliance avec son fils était des plus convenables. 

— Vous croyez, dit madame de Villefort, que Valentine est d’accord avec lui ?… En effet… elle a toujours été opposée à ce mariage, et je ne serais pas étonnée que tout ce que nous venons de voir et d’entendre ne soit que l’exécution d’un plan concerté entre eux. 

— Madame, dit Villefort, on ne renonce pas ainsi, croyez-moi, à une fortune de neuf cent mille francs. 

— Elle renoncerait au monde, monsieur, puisqu’il y a un an elle voulait entrer dans un couvent. 

— N’importe, reprit de Villefort, je dis que ce mariage doit se faire, madame ! 

— Malgré la volonté de votre père ? dit madame de Villefort, attaquant une autre corde : c’est bien grave ! 

Monte-Cristo faisait semblant de ne point écouter, et ne perdait point un mot de ce qui se disait.

— Madame, reprit Villefort, je puis dire que j’ai toujours respecté mon père, parce qu’au sentiment naturel de la descendance se joignait chez moi la conscience de sa supériorité morale ; parce qu’enfin un père est sacré à deux titres, sacré comme notre créateur, sacré comme notre maître ; mais aujourd’hui je dois renoncer à reconnaître une intelligence dans le vieillard qui, sur un simple souvenir de haine pour le père, poursuit ainsi le fils ; il serait donc ridicule à moi de conformer ma conduite à ses caprices. Je continuerai d’avoir le plus grand respect pour M. Noirtier ; je subirai sans me plaindre la punition pécuniaire qu’il m’inflige ; mais je resterai immuable dans ma volonté, et le monde appréciera de quel côté était la saine raison. En conséquence, je marierai ma fille au baron Franz d’Épinay, parce que ce mariage est, à mon sens, bon et honorable, et qu’en définitive je veux marier ma fille à qui me plaît. 

— Eh quoi ! dit le comte, dont le procureur du roi avait constamment sollicité l’approbation du regard ; eh quoi ! M. Noirtier déshérite, dites-vous, mademoiselle Valentine, parce qu’elle va épouser M. le baron Franz d’Épinay ? 

— Eh ! mon Dieu ! oui, monsieur ; voilà la raison, dit Villefort en haussant les épaules. 

— La raison visible, du moins, ajouta madame de Villefort. 

— La raison réelle, madame. Croyez-moi, je connais mon père. 

— Conçoit-on cela ? répondit la jeune femme ; en quoi, je vous le demande, M. d’Épinay déplaît-il plus qu’un autre à M. Noirtier ? 

— En effet, dit le comte, j’ai connu M. Franz d’Épinay, le fils du général de Quesnel, n’est-ce pas, qui a été fait baron d’Épinay par le roi Charles X ? 

— Justement, reprit Villefort. 

— Eh bien ! mais c’est un jeune homme charmant, ce me semble ! 

— Aussi n’est-ce qu’un prétexte, j’en suis certaine, dit madame de Villefort ; les vieillards sont tyrans de leurs affections ; M. Noirtier ne veut pas que sa petite-fille se marie. 

— Mais, dit Monte-Cristo, ne connaissez-vous pas une cause à cette haine ?  

— Eh ! mon Dieu ! qui peut savoir ? 

— Quelque antipathie politique peut-être ? 

— En effet, mon père et le père de M. d’Épinay ont vécu dans des temps orageux dont je n’ai vu que les derniers jours, dit Villefort. 

— Votre père n’était-il pas bonapartiste ? demanda Monte-Cristo. Je crois me rappeler que vous m’avez dit quelque chose comme cela. 

— Mon père a été jacobin avant toutes choses, reprit Villefort, emporté par son émotion hors des bornes de la prudence, et la robe de sénateur que Napoléon lui avait jetée sur les épaules ne faisait que déguiser le vieil homme, mais sans l’avoir changé. Quand mon père conspirait, ce n’était pas pour l’empereur, c’était contre les Bourbons ; car mon père avait cela de terrible en lui, qu’il n’a jamais combattu pour les utopies irréalisables, mais pour les choses possibles, et qu’il a appliqué à la réussite de ces choses possibles ces terribles théories de la Montagne, qui ne reculaient devant aucun moyen. 

— Eh bien ! dit Monte-Cristo, voyez-vous, c’est cela, M. Noirtier et M. d’Épinay se seront rencontrés sur le sol de la politique. M. le général d’Épinay, quoique ayant servi sous Napoléon, n’avait-il pas au fond du cœur gardé des sentiments royalistes, et n’est-ce pas le même qui fut assassiné un soir sortant d’un club napoléonien, où on l’avait attiré dans l’espérance de trouver en lui un frère ? 

Villefort regarda le comte presque avec terreur.

— Est-ce que je me trompe ? dit Monte-Cristo. 

— Non pas, monsieur, dit madame de Villefort, et c’est bien cela, au contraire ; et c’est justement à cause de ce que vous venez de dire que, pour voir s’éteindre de vieilles haines, M. de Villefort avait eu l’idée de faire aimer deux enfants dont les pères s’étaient haïs.  

— Idée sublime ! dit Monte-Cristo, idée pleine de charité et à laquelle le monde devait applaudir. En effet, c’était beau de voir mademoiselle Noirtier de Villefort s’appeler madame Franz d’Épinay ! 

Villefort tressaillit et regarda Monte-Cristo comme s’il eût voulu lire au fond de son cœur l’intention qui avait dicté les paroles qu’il venait de prononcer.

Mais le comte garda le bienveillant sourire stéréotypé sur ses lèvres ; et cette fois encore, malgré la profondeur de son regard, le procureur du roi ne vit pas au delà de l’épiderme.