Le Dernier Jour d'un condamné - Victor Hugo - E-Book

Le Dernier Jour d'un condamné E-Book

Victor Hugo

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"Le Dernier Jour d'un condamné, écrit par Victor Hugo, est un roman poignant qui plonge le lecteur au cœur de l'agonie d'un homme condamné à mort. Publié en 1829, ce livre est un cri de révolte contre la peine capitale et une dénonciation de l'injustice du système judiciaire de l'époque.
L'histoire se déroule en France, au XIXe siècle, et est racontée à la première personne par le protagoniste lui-même, un homme dont le nom reste inconnu. Condamné à mort pour un crime qu'il a commis, il nous livre ses pensées, ses angoisses et ses espoirs lors de ses dernières heures avant l'exécution.
À travers une écriture intense et poétique, Victor Hugo nous plonge dans l'esprit tourmenté de cet homme qui se remémore les événements de sa vie, les erreurs qu'il a commises et les regrets qui le hantent. Il nous fait ressentir toute la détresse et la solitude de cet individu condamné à une mort certaine, mais qui garde malgré tout une lueur d'espoir.
Le Dernier Jour d'un condamné est bien plus qu'un simple récit de la vie d'un homme sur le point de mourir. C'est un plaidoyer vibrant contre la peine de mort, une réflexion profonde sur la valeur de la vie humaine et sur les conséquences de nos actes. Victor Hugo utilise son talent d'écrivain pour nous faire prendre conscience de l'inhumanité de cette pratique et pour nous pousser à remettre en question nos propres convictions.
Ce livre, bien que court, est d'une puissance émotionnelle rare. Il nous confronte à notre propre humanité et nous pousse à réfléchir sur la justice et la compassion. Le Dernier Jour d'un condamné est un chef-d'œuvre de la littérature française qui continue de toucher les lecteurs, plus de deux siècles après sa publication.
Extrait : ""Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire. D'abord, parce qu'il importe de retrancher de la communauté sociale un membre qui lui a déjà nui et qui pourrait lui nuire encore. S'il ne s'agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. A quoi bon la mort vous objectez qu'on peut s'échapper d'une prison ? Faites mieux votre ronde, si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries ?"""

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Seitenzahl: 133

Veröffentlichungsjahr: 2015

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EAN : 9782335002720

©Ligaran 2014

Une comédie à propos d'une tragédie

PERSONNAGES

 

MADAME DE BLINVAL

LE CHEVALIER

ERGASTE

UN POÈTE ÉLÉGIAQUE

UN PHILOSOPHE

UN GROS MONSIEUR

UN MONSIEUR MAIGRE

DES FEMMES

UN LAQUAIS

– Un salon –

UN POÈTE ÉLÉGIAQUE, lisant.
Le lendemain, des pas traversaient la forêt,
Un chien le long du fleuve en aboyant errait ;
Et quand la bachelette en larmes
Revint s’asseoir, le cœur rempli d’alarmes,
Sur la tant vieille tour de l’antique châtel,
Elle entendit les flots gémir, la triste Isaure,
Mais plus n’entendit la mandore
Du gentil ménestrel !
TOUT L’AUDITOIRE

Bravo ! charmant ! ravissant !

On bat des mains.

MADAME DE BLINVAL

Il y a dans cette fin un mystère indéfinissable qui tire les larmes des yeux.

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE, modestement.

La catastrophe est voilée.

LE CHEVALIER, hochant la tête.

Mandore, ménestrel, c’est du romantique ça !

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Oui, monsieur, mais du romantique raisonnable, du vrai romantique. Que voulez-vous ? il faut bien faire quelques concessions.

LE CHEVALIER

Des concessions ! des concessions ! c’est comme cela qu’on perd le goût. Je donnerais tous les vers romantiques seulement pour ce quatrain :

De par le Pinde et par Cythère,
Gentil-Bernard est averti
Que l’Art d’Aimer doit samedi
Venir souper chez l’Art de Plaire.

Voilà la vraie poésie ! L’Art d’Aimer qui soupe samedi chez l’Art de Plaire ! à la bonne heure ! Mais aujourd’hui c’est la mandore, le ménestrel. On ne fait plus de poésies fugitives. Si j’étais poète, je ferais des poésies fugitives ; mais je ne suis pas poète, moi.

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Cependant, les élégies… .

LE CHEVALIER

Poésies fugitives, monsieur. Bas à Mme de Blinval : Et puis, châtel n’est pas français ; on dit castel.

QUELQU’UN, au poète élégiaque.

Une observation, monsieur. Vous dites l’antique châtel, pourquoi pas le gothique ?

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Gothique ne se dit pas en vers.

LE QUELQU’UN

Ah ! c’est différent.

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE, poursuivant.

Voyez-vous bien, monsieur, il faut se borner. Je ne suis pas de ceux qui veulent désorganiser le vers français, et nous ramener à l’époque des Ronsard et des Brébeuf. Je suis romantique, mais modéré. C’est comme pour les émotions. Je les veux douces, rêveuses, mélancoliques, mais jamais de sang, jamais d’horreurs. Voiler les catastrophes. Je sais qu’il y a des gens, des fous, des imaginations en délire qui… . Tenez, mesdames, avez-vous lu le nouveau roman ?

LES DAMES

Quel roman ?

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Le Dernier Jour…

UN GROS MONSIEUR

Assez, monsieur ! Je sais ce que vous voulez dire. Le titre seul me fait mal aux nerfs.

MADAME DE BLINVAL

Et à moi aussi. C’est un livre affreux. Je l’ai là.

LES DAMES

Voyons, voyons.

On se passe le livre de main en main.

QUELQU’UN, lisant.

Le Dernier Jour d’un…

LE GROS MONSIEUR

Grâce, madame !

MADAME DE BLINVAL

En effet, c’est un livre abominable, un livre qui donne le cauchemar, un livre qui rend malade.

UNE FEMME, bas.

Il faudra que je lise cela.

LE GROS MONSIEUR

Il faut convenir que les mœurs vont se dépravant de jour en jour. Mon Dieu, l’horrible idée ! développer, creuser, analyser, l’une après l’autre, et sans en passer une seule, toutes les souffrances physiques, toutes les tortures morales que doit éprouver un homme condamné à mort, le jour de l’exécution ! Cela n’est-il pas atroce ? Comprenez-vous, mesdames, qu’il se soit trouvé un écrivain pour cette idée, et un public pour cet écrivain ?

LE CHEVALIER

Voilà en effet qui est souverainement impertinent.

MADAME DE BLINVAL

Qu’est-ce que c’est que l’auteur ?

LE GROS MONSIEUR

Il n’y avait pas de nom à la première édition.

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

C’est le même qui a déjà fait deux autres romans, ma foi, j’ai oublié les titres. Le premier commence à la Morgue et finit à la Grève. À chaque chapitre, il y a un ogre qui mange un enfant.

LE GROS MONSIEUR

Vous avez lu cela, monsieur ?

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Oui, monsieur ; la scène se passe en Islande.

LE GROS MONSIEUR

En Islande, c’est épouvantable !

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Il a fait en outre des odes, des ballades, je ne sais quoi, où il y a des monstres qui ont des corps bleus.

LE CHEVALIER, riant.

Corbleu ! cela doit faire un furieux vers.

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Il a publié aussi un drame, – on appelle cela un drame, – où l’on trouve ce beau vers :

Demain vingt-cinq juin mille six cent cinquante-sept.

QUELQU’UN

Ah, ce vers !

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Cela peut s’écrire en chiffres, voyez-vous, mesdames :

Demain, 25 juin 1657.

Il rit. On rit.

LE CHEVALIER

C’est une chose particulière que la poésie d’à présent.

LE GROS MONSIEUR

Ah çà ! il ne sait pas versifier, cet homme-là ! Comment donc s’appelle-t-il déjà ?

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Il a un nom aussi difficile à retenir qu’à prononcer. Il y a du goth, du visigoth, de l’ostrogoth dedans.

Il rit.

MADAME DE BLINVAL

C’est un vilain homme.

LE GROS MONSIEUR

Un abominable homme.

UNE JEUNE FEMME

Quelqu’un qui le connaît m’a dit… .

LE GROS MONSIEUR

Vous connaissez quelqu’un qui le connaît ?

LA JEUNE FEMME

Oui, et qui dit que c’est un homme doux, simple, qui vit dans la retraite, et passe ses journées à jouer avec ses petits-enfants.

LE POÈTE

Et ses nuits à rêver des œuvres de ténèbres. – C’est singulier ; voilà un vers que j’ai fait tout naturellement. Mais c’est qu’il y est, le vers :

Et ses nuits à rêver des œuvres de ténèbres.

Avec une bonne césure. Il n’y a plus que l’autre rime à trouver. Pardieu ! funèbres.

MADAME DE BLINVAL

Quidquid tentabat dicere, versus erat.

LE GROS MONSIEUR

Vous disiez donc que l’auteur en question a des petits enfants. Impossible, madame. Quand on a fait cet ouvrage-là ! un roman atroce !

QUELQU’UN

Mais, ce roman, dans quel but l’a-t-il fait ?

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Est-ce que je sais, moi ?

UN PHILOSOPHE

À ce qu’il paraît, dans le but de concourir à l’abolition de la peine de mort.

LE GROS MONSIEUR

Une horreur, vous dis-je !

LE CHEVALIER

Ah çà ! c’est donc un duel avec le bourreau ?

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Il en veut terriblement à la guillotine.

UN MONSIEUR MAIGRE

Je vois cela d’ici ; des déclamations.

LE GROS MONSIEUR

Point. Il y a à peine deux pages sur ce texte de la peine de mort. Tout le reste, ce sont des sensations.

LE PHILOSOPHE

Voilà le tort. Le sujet méritait le raisonnement. Un drame, un roman ne prouve rien. Et puis, j’ai lu le livre, et il est mauvais.

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Détestable ! Est-ce que c’est là de l’art ? C’est passer les bornes, c’est casser les vitres. Encore, ce criminel, si je le connaissais ? mais point. Qu’a-t-il fait ? on n’en sait rien. C’est peut-être un fort mauvais drôle. On n’a pas le droit de m’intéresser à quelqu’un que je ne connais pas.

LE GROS MONSIEUR

On n’a pas le droit de faire éprouver à son lecteur des souffrances physiques. Quand je vois des tragédies, on se tue, eh bien ! cela ne me fait rien. Mais ce roman, il vous fait dresser les cheveux sur la tête, il vous fait venir la chair de poule, il vous donne de mauvais rêves. J’ai été deux jours au lit pour l’avoir lu.

LE PHILOSOPHE

Ajoutez à cela que c’est un livre froid et compassé.

LE POÈTE

Un livre !… un livre !…

LE PHILOSOPHE

Oui. – Et comme vous disiez tout à l’heure, monsieur, ce n’est point là de véritable esthétique. Je ne m’intéresse pas à une abstraction, à une entité pure. Je ne vois point là une personnalité qui s’adéquate avec la mienne. Et puis le style n’est ni simple ni clair. Il sent l’archaïsme. C’est bien là ce que vous disiez, n’est-ce pas ?

LE POÈTE

Sans doute, sans doute. Il ne faut pas de personnalités.

LE PHILOSOPHE

Le condamné n’est pas intéressant.

LE POÈTE

Comment intéresserait-il ? il a un crime et pas de remords. J’eusse fait tout le contraire. J’eusse conté l’histoire de mon condamné. Né de parents honnêtes. Une bonne éducation. De l’amour. De la jalousie. Un crime qui n’en soit pas un. Et puis des remords, des remords, beaucoup de remords. Mais les lois humaines sont implacables : il faut qu’il meure. Et là j’aurais traité ma question de la peine de mort. À la bonne heure !

MADAME DE BLINVAL

Ah ! Ah !

LE PHILOSOPHE

Pardon. Le livre, comme l’entend monsieur, ne prouverait rien. La particularité ne régit pas la généralité.

LE POÈTE

Eh bien ! mieux encore ; pourquoi n’avoir pas choisi pour héros, par exemple… . Malesherbes, le vertueux Malesherbes ? son dernier jour, son supplice ? Oh ! alors, beau et noble spectacle ! J’eusse pleuré, j’eusse frémi, j’eusse voulu monter sur l’échafaud avec lui.

LE PHILOSOPHE

Pas moi.

LE CHEVALIER

Ni moi. C’était un révolutionnaire, au fond, que votre M. de Malesherbes.

LE PHILOSOPHE

L’échafaud de Malesherbes ne prouve rien contre la peine de mort en général.

LE GROS MONSIEUR

La peine de mort ! à quoi bon s’occuper de cela ? Qu’est-ce que cela vous fait, la peine de mort ? Il faut que cet auteur soit bien mal né, de venir nous donner le cauchemar à ce sujet avec son livre !

MADAME DE BLINVAL

Ah ! oui, un bien mauvais cœur !

LE GROS MONSIEUR

Il nous force à regarder dans les prisons, dans les bagnes, dans Bicêtre. C’est fort désagréable. On sait bien que ce sont des cloaques ; mais qu’importe à la société ?

MADAME DE BLINVAL

Ceux qui ont fait les lois n’étaient pas des enfants.

LE PHILOSOPHE

Ah, cependant, en présentant les choses avec vérité…

LE MONSIEUR MAIGRE

Eh ! c’est justement ce qui manque, la vérité. Que voulez-vous qu’un poète sache sur de pareilles matières ? Il faudrait être au moins procureur du roi. Tenez, j’ai lu dans une citation qu’un journal fait de ce livre, que le condamné ne dit rien quand on lui lit son arrêt de mort ; eh bien, moi, j’ai vu un condamné qui, dans ce moment-là, a poussé un grand cri. – Vous voyez.

LE PHILOSOPHE

Permettez…

LE MONSIEUR MAIGRE

Tenez, messieurs, la guillotine, la Grève, c’est de mauvais goût ; – et la preuve, c’est qu’il paraît que c’est un livre qui corrompt le goût, et vous rend incapable d’émotions pures, fraîches, naïves. Quand donc se lèveront les défenseurs de la saine littérature ? Je voudrais être, et mes réquisitoires m’en donneraient peut-être le droit, membre de l’académie française… . – Voilà justement monsieur Ergaste, qui en est. Que pense-t-il du Dernier Jour d’un condamné ?

ERGASTE

Ma foi, monsieur, je ne l’ai lu ni ne le lirai. Je dînais hier chez Mme de Sénange, et la marquise de Morival en a parlé au duc de Melcourt. On dit qu’il y a des personnalités contre la magistrature, et surtout contre le président d’Alimont. L’abbé de Floricour aussi était indigné. Il paraît qu’il y a un chapitre contre la religion, et un chapitre contre la monarchie. Si j’étais procureur du roi !…

LE CHEVALIER

Ah bien oui, procureur du roi ! et la charte ! et la liberté de la presse ! Cependant un poète qui veut supprimer la peine de mort, vous conviendrez que c’est odieux. Ah ! ah ! dans l’ancien régime, quelqu’un qui se serait permis de publier un roman contre la torture !… – Mais depuis la prise de la Bastille on peut tout écrire. Les livres font un mal affreux.

LE GROS MONSIEUR

Affreux. – On était tranquille, on ne pensait à rien. Il se coupait bien de temps en temps en France une tête par-ci par-là, deux tout au plus par semaine. Tout cela sans bruit, sans scandale. Ils ne disaient rien. Personne n’y songeait. Pas du tout, voilà un livre… – un livre qui vous donne un mal de tête horrible !

LE MONSIEUR MAIGRE

Le moyen qu’un juré condamne après l’avoir lu !

ERGASTE

Cela trouble les consciences.

MADAME DE BLINVAL

Ah ! les livres ! les livres ! Qui eût dit cela d’un roman ?

LE POÈTE

Il est certain que les livres sont bien souvent un poison subversif de l’ordre social.

LE MONSIEUR MAIGRE

Sans compter la langue, que messieurs les romantiques révolutionnent aussi.

LE POÈTE

Distinguons, monsieur ; il y a romantiques et romantiques.

LE MONSIEUR MAIGRE

Le mauvais goût, le mauvais goût.

ERGASTE

Vous avez raison. Le mauvais goût.

LE MONSIEUR MAIGRE

Il n’y a rien à répondre à cela.

LE PHILOSOPHE, appuyé au fauteuil d’une dame.

Ils disent là des choses qu’on ne dit même plus rue Mouffetard.

ERGASTE

Ah ! l’abominable livre !

MADAME DE BLINVAL

Eh ! ne le jetez pas au feu. Il est à la loueuse.

LE CHEVALIER

Parlez-moi de notre temps. Comme tout s’est dépravé depuis, le goût et les mœurs ! Vous souvient-il de notre temps, madame de Blinval ?

MADAME DE BLINVAL

Non, monsieur, il ne m’en souvient pas.

LE CHEVALIER

Nous étions le peuple le plus doux, le plus gai, le plus spirituel. Toujours de belles fêtes, de jolis vers. C’était charmant. Y a-t-il rien de plus galant que le madrigal de M. de La Harpe sur le grand bal que Mme la maréchale de Mailly donna en mille sept cent… . l’année de l’exécution de Damiens ?

LE GROS MONSIEUR, soupirant.

Heureux temps ! Maintenant les mœurs sont horribles, et les livres aussi. C’est le beau vers de Boileau :

Et la chute des arts suit la décadence des mœurs.
LE PHILOSOPHE, bas au poète.

Soupe-t-on, dans cette maison ?

LE POÈTE ÉLÉGIAQUE

Oui, tout à l’heure.

LE MONSIEUR MAIGRE

Maintenant on veut abolir la peine de mort, et pour cela on fait des romans cruels, immoraux et de mauvais goût, le Dernier Jour d’un condamné, que sais-je ?

LE GROS MONSIEUR

Tenez, mon cher, ne parlons plus de ce livre atroce ; et, puisque je vous rencontre, dites-moi, que faites-vous de cet homme dont nous avons rejeté le pourvoi depuis trois semaines ?

LE MONSIEUR MAIGRE

Ah ! un peu de patience ! Je suis en congé ici. Laissez-moi respirer. À mon retour. Si cela tarde trop pourtant, j’écrirai à mon substitut… .

UN LAQUAIS, entrant.

Madame est servie.

I

Bicêtre

 

Condamné à mort !

Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !

Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des années que des semaines, j’étais un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s’amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d’inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. C’étaient des jeunes filles, de splendides chapes d’évêque, des batailles gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumière, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers. C’était toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j’étais libre.

Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n’ai plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude : condamné à mort !