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Dans le sud-ouest de la France, une série de crimes brutaux glace le sang des habitants. Hommes et jeunes femmes sont les proies d’un tueur en série redoutable, dont les meurtres sont marqués par des symboles ésotériques intrigants. De la ville tranquille d’Argelès au sommet des Hautes-Alpes, la terreur se propage. Menée par l’adjudant-chef Bernard Liodard, la brigade de recherches de Sellonges-sur-Mérac se lance dans une traque sans merci. Plongez au cœur d’une enquête complexe et cruelle où chaque indice mène plus près de l’abîme, dans un récit qui vous captivera de la première à la dernière ligne.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ancien gendarme, Patrick Marchandiaux a consacré sa vie à traquer les criminels et à résoudre des enquêtes judiciaires. En tant que maître-chien au sein du Peloton de surveillance et d’intervention, ses fidèles compagnons à quatre pattes ont été ses plus précieux alliés pendant plus de 22 ans. Ensemble, ils ont poursuivi les trafiquants de drogue à travers tout le territoire, utilisant leur flair infaillible pour débusquer les criminels.
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Patrick Marchandiaux
Le massacreur
Roman
© Lys Bleu Éditions – Patrick Marchandiaux
ISBN : 979-10-422-3622-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Nous sommes le lundi 27 juin 2005, dans le sud-ouest, et plus particulièrement à Sellonge-sur-Mérac, ville d’environ quinze mille habitants. Il est 22 heures 20. Le 13, chemin du chat noir, se trouve à la sortie de la ville. L’adresse correspond à une maison isolée qui n’est pas de première jeunesse. Un individu tout de noir vêtu transporte un gros sac en toile. Il se présente devant le portail en bois. Ce dernier plus que fatigué ne comporte plus de serrure en état de fonctionner. L’individu pousse la barrière et se présente devant la porte de la demeure.
Il appuie deux fois sur la sonnette. Il entend des pas qui se rapprochent de l’entrée. Une clé tourne dans la serrure. L’huis s’ouvre sur une jeune femme habillée d’un élégant survêtement. Elle appuie sur un interrupteur. L’ampoule qui pend au-dessus du visiteur vient de s’allumer. Ce dernier d’une voix claire prononce : bonsoir Viviane…
La jeune femme cherche dans sa mémoire quelle est cette personne qui connaît son prénom. Ce visage lui dit quelque chose. Soudain, elle change de couleur. Son visage se crispe en dévisageant celui qui est devant elle. L’inconnu murmure :
— Ça fait un bail. Il y a longtemps que je te cherche. Il lève soudain sa main droite. Elle est gantée. Dans sa paume, se trouve une sorte de poudre particulièrement volatile. Il approche sa bouche de celle-ci qui se trouve désormais à hauteur du visage de la jeune femme. Un souffle léger chargé de poussière arrive au niveau des narines de la locataire. Elle aurait dû bloquer sa respiration. Éviter à tout prix d’aspirer cet air mélangé à cette mixture. Trop tard, son cerveau se déconnecte immédiatement de la réalité. Elle est dans un autre monde. Ses yeux sont grand ouverts. Elle voit probablement ce qui se passe autour, mais rien n’est interprété par sa matière grise qui s’est désormais positionnée sur pause.
Le visiteur pousse légèrement Viviane sur le côté du couloir pour pouvoir pénétrer dans la demeure. Il referme la porte derrière lui, fait le tour de la maison, monte à l’étage, puis finalement pose son sac dans la chambre de droite. Il redescend, prend la main de sa future proie et la conduit dans la pièce qui l’intéresse. La malheureuse se retrouve debout près du lit, immobile, docile. Aucun son ne sort de sa bouche. Le visiteur sort de son sac un fourreau plat en cuir noir orné de signes cabalistiques, dont dépasse un magnifique manche en bois d’une dizaine de centimètres. Son extrémité sculptée représente une tête de monstre cornu. Il tient d’un côté l’étui de l’autre le manche. Il tire sur les deux à l’opposé. Il tient désormais dans sa main un magnifique poignard aiguisé comme un rasoir. Il s’approche de sa proie. Avec dextérité et sans la moindre blessure, il s’ingénie à découper ses vêtements. Quelques secondes plus tard, nue comme un ver, il la guide pour qu’elle se retrouve allongée sur son lit, positionnée sur le dos. Il fouille ensuite dans son bagage. Il en sort une pelote de ficelle bleutée, une petite boîte en plastique allongée, quatre petites bougies « chauffe plats », un briquet jetable, une grosse craie, et un marqueur noir.
Il attache solidement les quatre membres de la femme à chaque pied du sommier. Il s’empare du feutre noir et s’applique à dessiner au niveau du nombril un cercle d’une douzaine de centimètres. À l’intérieur de celui-ci, il trace un carré dans lequel il fait apparaître une croix traversée par une droite. En périphérie de ce dessin, il écrit les trois mots suivants : « MEG CRATEV LUMIS ». Sur le torse, juste au-dessus des seins, il s’est employé à écrire ces quatre mots : « HEKAS HEKAS ESTE BEBELOI ». Il s’empare ensuite de la grosse craie et trace au sol du côté gauche du lit, un cercle parfait d’un mètre environ de diamètre. Il dispose en périphérie, les quatre bougies qu’il allume.
Il admire son œuvre. Il sort de la boîte allongée une seringue hypodermique emplie d’un liquide incolore. Il injecte la solution dans le bras droitde sa victime. Il se positionne au centre du cercle et commence à psalmodier des incantations dans une langue inconnue.
Moins de dix minutes plus tard, Viviane recouvre progressivement ses esprits. Elle veut bouger, mais s’aperçoit tout de suite qu’elle est totalement immobilisée par des liens solides, très tendus qui lui entrent dans les chairs si elle tente de bouger. Elle tourne la tête en direction des murmures qu’elle perçoit. Elle articule, péniblement, la voix pâteuse. Qu’est-ce que tu m’as fait prendre comme merde ?
L’individu prend la parole : « Tu es enfin réveillée, grosse pouffe. J’imagine que tu ne te souviens pas de moi ? »
— Bien sûr que si. Comment aurais-je pu t’oublier. Qu’est-ce que tu veux, pourquoi tu m’as ligotée ?
— De toi, je n’attends rien. Je suis uniquement là pour remettre les pendules à l’heure.
— Quelles pendules, de quoi parles-tu. Je ne comprends rien à ce que tu me dis.
— Tu veux que je te rafraîchisse la mémoire ? Tu pensais peut-être que de mon côté j’avais passé l’éponge. Tu ne peux pas savoir ce que j’ai enduré depuis toutes ces années. Vous vous êtes bien amusés avec moi. Vous êtes des monstres. Aujourd’hui, il faut payer l’addition.
— Mais enfin, nous étions jeunes. Nous avions trop bu, trop fumé de cannabis. C’est tombé sur toi, cela aurait pu être moi ou quelqu’un d’autre.
— C’est tout ce que tu trouves à dire. Tu n’as pas le moindre remords. Comment as-tu pu continuer à vivre après ce qui s’est passé ? Tes nuits ne sont pas agitées après ce que tu as fait ?
— Si, bien sûr, je m’excuse, pardonne-moi, tu sais bien que j’ai suivi le mouvement. Je ne sais pas ce qui nous a pris. Demande-moi ce que tu voudras, je suis prête à réparer le mal que je t’ai fait.
— Réparer, mais dans quel monde vis-tu. Tu n’as toujours pas pris la mesure du traumatisme qui est le mien. Je vais donc faire en sorte que tu ressentes ce que j’ai enduré. Prépare-toi à souffrir.
— Non, je t’en prie, ne fait pas cela, je ne bois plus, je ne me drogue plus, je suis clean. Ne me fais pas de mal.
— Regarde ce que je t’ai réservé. Il est beau, non ?
— Mais non, tu ne peux pas me faire cela, pas avec cela, pas comme cela, je t’en supplie, non, non, non…
***
Mardi 28 juin 2005, les six militaires de la gendarmerie qui composent la BR (brigade de recherches), de Sellonge-sur-Mérac sont réunis dans la salle café. Cette unité spécialisée dans les enquêtes criminelles et judiciaires est commandée par l’adjudant-chef Bernard Liodard. 43 ans, veuf, sans enfant, le regard vert émeraude, les cheveux châtain clair, peignés en brosse, la silhouette sportive. Il a un peu plus de vingt années sous l’uniforme. C’est un meneur d’homme et un excellent enquêteur. Il n’a pris le commandement de cette unité que depuis le2 mai dernier. Il vit depuis peu avec Christiane. Il l’a rencontrée lors de sa première enquête portant sur un jeune homme parti dans une croisade vengeresse contre les assassins de ses parents. Elle est serveuse dans le restaurant « la brasserie ». Il a fait sa connaissance lors d’un dîner en compagnie de son désormais ami, Gilles Mavier, médecin légiste de son état.
Il est secondé par :
Paul Levain dit « Paulo ». Adjudant, 32 ans, marié, un enfant, le regard bleu acier, les cheveux noir jais, légèrement dégarni sur le devant.
Gustave Ramoy, MDL/Chef (maréchal des logis-chef) dit « Gus », 30 ans, crâne rasé, yeux marron clair, un léger embonpoint laisse penser qu’il aime bien manger. Il est célibataire.
Georges Philony dit « Jojo » (maréchal des logis) autrement dit gendarme, 32 ans, marié, sans enfant, blond comme les blés, yeux gris clair, baraqué, accroc à la musculation.
Olivier Graton dit « Olives » gendarme, 31 ans, marié, 2 enfants, yeux marron foncé, cheveux raides noirs, corbeau, svelte, passionné de vélo.
Pour terminer, Léonie, Médius, dit Léon, célibataire, gendarme féminin, 29 ans, yeux noir profond, cheveux blonds coiffés en queue de cheval, spécialiste des sports de combat, ceinture noire de karaté.
Il est huit heures dix. Chacun a sous les yeux un calendrier de l’année. Il est question d’établir le planning des permissions estivales. Installés dans la salle de réunion, tout s’est passé dans le calme. Bernard, bien que prioritaire de par son grade et sa fonction, n’a pas cherché à imposer son choix. Il a laissé s’exprimer les trois mariés. Ils ont été très reconnaissants envers leur supérieur. C’est la première fois qu’ils pouvaient coordonner leurs vacances avec le travail de leur épouse. Léon, Gus et Bernard se sont ensuite arrangés de leur côté. Tout le monde était ravi. Ce n’était pas grand-chose, mais cela permettait de conserver au sein de cette unité, une ambiance particulièrement agréable qui s’était installée depuis l’arrivée de l’adjudant-chef.
À 8 heures 30, le téléphone intérieur du bureau de Bernard se mit à sonner. Il alla décrocher :
— Adjudant/Chef Liodard.
— C’est le commandant.
— Mes respects mon commandant.
— Liodard, les pompiers viennent de nous signaler le décès d’une jeune femme chez elle au 13 chemin du chat noir à Sellonge-sur-Mérac. Une équipe de la brigade territoriale se rend sur place. Nous n’avons aucune précision sur les causes de la mort. J’aimerais que vous y alliez jeter un coup d’œil, on ne sait jamais.
— Très bien, mon commandant, on se met en route. Je vous tiens au courant dès que j’en sais un peu plus.
— Parfait, rendez compte également au parquet si toutefois, cela se justifie.
Le patron de la BR raccrocha et s’adressa à Léon qui était à jour de tout écrit de service :
— Un décès signalé dans un domicile, allez, on bouge. Vous autres, clôturez rapidement vos procédures. Il est possible que nous aillions du pain sur la planche dans les prochains jours.
***
Le chemin du chat noir traversait une partie de la forêt. Le numéro 13 correspondait à une bâtisse d’un autre âge. La maison comprenait un étage. Elle était totalement isolée, à l’écart de l’agglomération. Le crépi partait en plaques par endroits. Les volets métalliques étaient délavés. Le peu de terrain qui entourait la maison était envahi par les hautes herbes. Le ou les occupants des lieux ne se préoccupaient visiblement pas de cet aspect des choses. Le portail en bois n’avait plus de serrure. N’importe qui pouvait entrer sans problème. Une Renault Twingo bleu clair était stationnée devant le garage.
La porte de la demeure était grande ouverte. Les militaires de la BT n’étaient encore pas arrivés.
Un camion de pompiers gyrophare encore en marche ainsi que le véhicule du médecin urgentiste étaient stationnés dans la cour. Deux hommes du feu sortaient en courant de l’habitation. Ils n’ont pas fait plus de trois pas.
Ils se sont courbés dans un mouvement d’ensemble parfait. Chacun a régurgité son petit déjeuner. Ils se sont appuyés contre le mur de la villa. De nombreux spasmes continuaient de secouer leur corps. Les gendarmes se sont approchés.
Un des deux pompiers a levé les yeux. Ces derniers étaient noyés par de grosses larmes. Il était livide. Ses lèvres étaient toutes blanches. Qu’est-ce qui avait pu le secouer à ce point ? Ces hommes sont pourtant habitués à travailler sur des interventions qualifiées de « difficiles », voire quelques fois de particulièrement horribles.
Bernard prit la parole et s’adressa au plus âgé :
— Ça va aller, mon garçon.
L’intéressé a secoué la tête de manière affirmative. Le binôme commençait à reprendre des couleurs. Il affirma :
— Désolé, j’ai été surpris par ce que je viens de voir. Je ne m’attendais pas à cela. C’est pas croyable que quelqu’un puisse faire de telles atrocités à un être humain.
L’enquêteur expliqua :
— Nous sommes de la BR et chargés de l’enquête. Qui vous a prévenu ?
Un simple coup de fil. Je n’en sais pas plus. Il faudrait s’adresser chez nous, à la permanence. Nous ne sommes arrivés que depuis quelques minutes. Le toubib est encore sur les lieux. Cela se passe au premier dans la chambre de droite. Bon courage.
L’urgentiste ressortait avec son sac d’intervention. Il était visiblement choqué. Les traits de son visage étaient marqués. Son regard était vide.
Bernard se présenta :
— Adjudant-chef, Liodard, Brigade des recherches. On a quoi ?
— Ce doit être une jeune femme. Enfin, je ne sais pas quel âge elle pouvait avoir. Toujours est-il qu’elle est décédée. Elle a été massacrée. Je n’ai touché à rien. Je suis juste allé au contact de la personne pour vérifier qu’elle était encore en vie. Ce n’était plus le cas, il n’y avait plus de pouls. Je suis ressorti de la chambre immédiatement. Les deux jeunes sont restés à l’entrée. Ils sont redescendus tout de suite. On vous laisse la place. Bon courage à vous.
Les deux gendarmes se sont regardés. Ils s’attendaient à découvrir une scène peu ragoûtante.
— Bien, merci pour votre intervention. Je préviens le légiste.
Bernard appela immédiatement Gilles Mavier :
— Gilles, nous avons besoin de toi. L’adresse : 13 chemin du chat noir. C’est à la sortie de la ville. Tu ne peux pas nous manquer.
— Je me mets en route tout de suite.
Il composa ensuite le numéro de la BT. Il tomba sur le planton.
— Adjudant-chef Liodard. Vous prévenez le TIC (technicien d’investigation criminelle) qu’il nous rejoigne sur les lieux d’un crime, il lui précisa l’adresse. Vous prévenez également les pompes funèbres pour l’enlèvement d’un corps.
S’adressant à Léon :
— Bon, on s’équipe : surchaussures, charlotte, combinaison spéciale, masques et gants. On prend toutes les précautions. Pas question de saloper la scène de crime.
Une fois équipés, ils ont gravi les escaliers qui conduisaient à l’étage. La porte de la chambre qui les intéressait était ouverte. Sur le côté droit, une commode. Sur cette dernière, divers bibelots égayaient cette pièce. Sur la gauche, une armoire en chêne massif. Au centre, un lit de 140 encadré par deux tables de chevet. Les rideaux étaient assortis au papier peint. Il représentait des coquelicots dans les tons pastel.
Le lit n’était pas défait. La victime y était allongée, nue, sur le dos, les bras en croix, les jambes ouvertes au maximum. Les quatre membres étaient immobilisés chacun à un pied du lit à l’aide d’une sorte de ficelle bleutée dont la texture semblait être du nylon. Cette position obscène attirait immanquablement le regard vers le sexe qui était béant. Un liquide sanguinolent s’en écoulait. Elle avait sans aucun doute subi des atrocités de ce côté-là. Plusieurs coupures lui déformaient la face. Les plaies étaient larges et profondes. Le visage de cette femme gonflé, bleuté et couvert de croûtes noirâtres ressemblait désormais à un énorme fruit qui aurait éclaté de toutes parts sous l’effet du soleil. Il était désormais impossible de dire si cette personne avait été jolie et quel âge elle avait.
Ce qui frappa Bernard, c’est que le sang n’avait pas giclé des blessures faciales. Seuls des écoulements d’hémoglobine désormais coagulés avaient suinté de ces estafilades. Le légiste confirmerait sans aucun doute ce qu’il pensait.
Les blessures avaient dû être pratiquées après la mort. Sur le ventre, au niveau du nombril, le meurtrier avait dessiné une sorte de figure géométrique. Le trait à première vue avait été réalisé à l’aide d’un gros feutre de couleur noire, type marqueur. Ce sera au labo de le confirmer. Cette image représentait un cercle dans lequel figurait un symbole enfermé dans un carré. À l’intérieur de ce dernier, deux traits obliques rejoignaient les coins opposés, eux-mêmes traversés par une ligne droite. En clair, une croix en X barrée en son centre par une droite verticale.
Sur le pourtour, plusieurs mots avaient été écrits en lettres majuscules. On pouvait lire : « MEG CRATEV LUMIS ». Sur le torse, juste au-dessus des seins, le tueur avait écrit ces quatre mots : « HEKAS HEKAS ESTE BEBELOI ».
Au sol, sur le côté gauche du lit, un cercle avait été visiblement tracé à la craie. 4 petites bougies de type « chauffe-plats » étaient positionnées sur le périmètre. Deux d’entre elles étaient encore allumées. Les enquêteurs se sont longuement regardés. Léon rompit le silence.
— C’est quoi ce bordel, Bernard, tu as déjà vu cela au cours de ta carrière ?
— Non, c’est une première. Je n’ai jamais été confronté à la magie noire.
Les vêtements que portait la victime gisaient éparpillés au sol. Ils avaient visiblement été découpés à l’aide d’un outil particulièrement tranchant pour gagner un peu de temps. L’instrument utilisé devait être le même qui avait servi à taillader cette pauvre femme. Devant ce carnage, Bernard regarda Léon. Cette dernière avait changé de couleur. Lui aussi sans aucun doute. Il murmura, plus pour lui que pour sa collègue : soit elle a été tuée ailleurs, soit les coupures ont été effectuées « post-mortem ». Il n’y a pas assez de sang répandu sur le lit et dans cette pièce.
Deux portières venaient de claquer en bas dans la cour. Bernard s’adressa à Léon.
— Descends vite voir qui arrive. Si c’est la Brigade, qu’ils ratissent autour de la maison à la recherche d’éventuels indices exploitables. Nous nous occupons de l’intérieur.
Pendant ce temps-là, Gilles venait d’arriver. Il s’était équipé et était resté à l’entrée de la chambre. Il poussa un cri :
« Nom de Dieu ! Houa le carnage. La pauvre femme. »
Il s’approcha de la suppliciée. Il chercha à tout hasard un semblant de pouls. Il fallait se rendre à l’évidence, elle était décédée. Le corps était presque froid, la rigidité cadavérique commençait à s’installer. Léon venait de remonter. Elle salua Gilles. Elle confirma que deux brigadiers s’occupaient de l’extérieur. Bernard s’adressa au légiste :
— Qu’est-ce que tu en penses ?
Je crois que vous avez tiré le gros lot. Le gars qui a fait cela est complètement névrosé. Bon, je regarde juste le cadavre. Je ne touche à rien d’autre. Mouais, elle n’a pas été tuée ici, ou alors elle a été charcutée « post-mortem ». Il n’y a pas assez de sang provenant des blessures. Pour arriver à faire des coupures aussi profondes sur le visage, il faut un outil très bien aiguisé, une certaine force et des mouvements très rapides. Il aurait dû y avoir forcément des giclées d’hémoglobine sur les murs et partout autour. Elle a visiblement été violée. Je vais vérifier cela à l’IML. Mais je peux vous dire d’avance sans trop me tromper que le gars qui s’est acharné sur cette femme devait être très membré et particulièrement violent lors du rapport. Regardez, le corps porte des hématomes sur le dessus des cuisses. Malgré les entraves, l’agresseur a été obligé de la maintenir de force pour pouvoir la pénétrer. D’où ces ecchymoses. Elle a dû se débattre énormément parce que les liens au niveau des poignets et des chevilles ont largement pénétré dans les chairs. Dans un premier temps, il est important que je découvre avec certitude les causes réelles de la mort. Parce que là, je dirais à première vue, qu’il s’agit peut-être d’un décès suite à une crise cardiaque. Quoique je vois la trace d’une injection récente au niveau de la pliure du bras droit. Une autre dans le bras gauche. C’est curieux. Seulement deux traces de piqûres, ce n’est pas une droguée. Je vais approfondir mes recherches et envoyer des analyses pour élucider cela. Pas de pétéchies dans les yeux, les extrémités des doigts ne sont pas cyanosés. Il n’y a pas de traces sur le cou. C’est certain, elle n’a pas été étranglée, ni étouffée. Je vais quand même vérifier lors de l’autopsie si l’os hyoïde est intact. Je te promets de faire vite. Bon, on attend votre TIC et on retourne le corps. Joli dessin. Votre tueur est peut-être un artiste. Le cercle au sol et les bougies, c’est pour faire joli ?
— Tu es très en forme, ce matin.
— Tu trouves. Blague à part, je ne suis pas très calé dans les signes cabalistiques, mais si tu veux un avis éclairé sur la question, j’ai ce qu’il te faut. Une sommité dans ce domaine-là.
— Cela m’intéresse. Tu peux le contacter. S’il est libre qu’il passe au bureau. Son avis peut nous être précieux. Merci encore pour ton concours.
Le TIC venait d’arriver avec son matériel. Il salua les personnes présentes. Il était en bon professionnel déjà équipé : Combinaison blanche, sur chaussures, charlotte, masque, bec de canard, gants chirurgicaux.
Ce militaire accusa le coup devant ce spectacle effrayant. Il se reprit tout de suite. Il ouvrit sa mallette métallique. Il en sortit des petits panonceaux plastifiés de couleur jaune. Chacun d’eux était numéroté. Il les positionna aux endroits judicieux de la scène de crime. Il sortit ensuite un magnifique appareil photo numérique dernier cri. Il commença à immortaliser la pièce dans son ensemble. Puis, tous les détails ont été photographiés. Il sectionna les ficelles et les plaça dans un sachet à sceller ainsi que les vêtements.
Gilles intervint : « La scène de crime est immortalisée, vous me donnez un coup de main afin de positionner la morte sur le côté. » Aucune trace suspecte visible. Il salua tout le monde et repartit afin de rejoindre son sous-sol mortuaire.
Bernard s’adressa au TIC. Bon, on vous laisse travailler. Vous passez ensuite à la BR me remettre votre PV de constatations. Ce serait sympa si nous avions un résultat au « FNAED » (fichier national automatisé des empreintes digitales), ou au « FNAEG » (fichier national automatisé des empreintes génétiques). Vous me faites également un jeu de photos du croquis et des inscriptions réalisés sur le ventre, ainsi que du cercle au sol. Dès que vous en avez terminé, vous faites en sorte que les gars des pompes funèbres emmènent rapidement le corps à l’IML. Merci à vous.
— Pas de problème, je fais pour le mieux. J’envoie les différents scellés et relevés au labo. Je vais prélever un peu d’encre pour savoir avec quoi il a dessiné sur la victime. Je vous tiens au courant, dès que je reçois les résultats, vous pouvez compter sur moi.
Ce technicien poursuivit sa tâche la plus ingrate et la plus longue de son travail : le relever d’éventuelles traces ADN à l’aide d’écouvillons spécialement adaptés à cet usage. Chacune de ces petites tiges cotonneuses allait être après utilisation, placée dans des tubes plastifiés. Le technicien collera ensuite sur ces derniers, une languette sur laquelle il aura mentionné sur quelle surface provient le relevé, le lieu, la date et l’heure et l’unité en charge de l’enquête.
Le tout sera envoyé à l’IRCGN (institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale) à Cergy-Pontoise. Viendra ensuite la méticuleuse recherche d’empreintes digitales à l’aide d’un pinceau spécial pourvu de poudre magnétique noire. D’autres couleurs sont à sa disposition en fonction du support pour pouvoir trancher et faire ressortir les traces. En présence d’une marque exploitable, le technicien devra l’emprisonner à l’aide d’un morceau de ruban adhésif. Ce dernier sera proprement collé ensuite sur un petit carton de couleur blanche afin de faire ressortir les plis et crêtes épidermiques. Cette trace sera ensuite scannée et introduite dans le FNAED. (fichier national automatisé d’empreintes digitales) pour que le logiciel recherche éventuellement une concordance avec une empreinte déjà répertoriée. Depuis le milieu des années 80, ce système était devenu infaillible, sans compter le gain énorme de temps. Auparavant, il fallait comparer manuellement une multitude de fiches dactyloscopies à l’aide de grosses loupes. Trouver la dizaine de points de concordances entre l’empreinte digitale relevée et celle des fiches provenant du fichier de l’unité. Cela demandait des heures.
Bernard s’adressa à Léon :
— Bien, nous, on tape la perquise dans le reste du logement. Il nous faut connaître son identité.
L’intérieur était finalement mieux tenu que l’extérieur. À l’étage, il y avait une seconde chambre. Propre et nette, le lit fait. Pas de poussière sur les meubles. L’armoire contenait le linge de maison. Une penderie supportait exclusivement des habits de femme. Rien de spécial dans les tables de chevet. En sortant de cette pièce, sur la gauche se trouvait la salle de bains. Ils remarquèrent immédiatement sur le lavabo, le verre ne contenant qu’une seule brosse à dents. Cette femme vivait seule. Dans l’armoire à pharmacie, les produits habituels destinés aux petits bobos ou tracasseries courants. De nombreux flacons de parfum de grandes marques ainsi que des crèmes de jour et de nuit laissaient supposer que cette personne prenait soin d’elle.
Ils redescendirent au rez-de-chaussée. La cuisine était propre et rangée. Le frigo contenait des produits laitiers et une grande variété de légumes. Elle avait à n’en pas douter une très bonne hygiène de vie.
Dans les WC, rien de spécial non plus. Le reste de l’appartement, outre la cuisine, était constitué d’une pièce unique qui servait de salle à manger-salon. Le mobilier était de bonne facture, probablement du chêne massif. Sur le buffet, une soupière en faïence. Bernard souleva le couvercle. Il s’écria :
— Bon, j’ai trouvé la tirelire. Il avait à l’intérieur, pas moins de 430 euros en billets divers pliés en quatre et enserrés par un élastique. Ils avisèrent ensuite sur la table un sac de femmes.
Léon en fit l’inventaire. Un portefeuille contenant 190 euros, une carte d’identité et un permis de conduire au nom de Viviane Mitchell. 30 ans, célibataire née le 14 juillet 1975 à Roubaix dans le Nord.
Il y avait également un porte-cartes. Une fois ouvert, Léon s’était statufiée.
— Quoi ? demanda Bernard.
C’est pas vrai, une « fliquette » ! Viviane était policière municipale !
— Alors, ça, c’est la merde. Tout le monde va brasser de l’air. On a intérêt à assurer.
Soudain, un téléphone portable se mit à vibrer. Les deux enquêteurs se sont regardés pour savoir lequel des deux était appelé sur son mobile. Mais le son provenait d’une veste posée sur une chaise. Léon découvrit l’appareil. « Boss » s’inscrivait sur l’écran. Elle décrocha et prononça :
— Oui, j’écoute.
Une voix suraiguë presque paniquée se fit entendre :
— Vous êtes qui ?
— La brigade des recherches de Sellonge. Gendarme Médius à l’appareil.
L’interlocuteur venait de percuter au mot : « gendarme »
— Mais pourquoi c’est vous qui répondez ? La gendarmerie, chez Viviane, il se passe quoi. Ne me dites pas qu’elle a des problèmes.
Léon fixa Bernard dans les yeux. Ce dernier lui fit un signe affirmatif de la tête. Elle comprit tout de suite qu’il était préférable de mettre au courant cette personne. Elle demanda :
— Qui est à l’appareil, s’il vous plaît ?
— Major Vendague, chef de la police municipale.
— Bon, major, j’ai une très mauvaise nouvelle à vous apprendre, Viviane a été assassinée à son domicile. Nous sommes sur place. Nous passons vous voir dans quelques minutes. Soyez assez sympa de ne pas quitter votre bureau, nous avons pas mal de questions à vous poser.
— Viviane, assassinée. Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Ne bougez pas, nous passons vous expliquer.
— Bon d’accord, je reste au poste.
La voix de cet homme s’était brisée.
— Autre chose, soyez assez aimable pour aller prévenir le maire.
— Oui, bien sûr, je m’en occupe tout de suite. Ils entendirent dans un murmure : Viviane morte, Viviane assassinée, mon Dieu…
Léon raccrocha. Elle s’employa à éplucher la messagerie ainsi que les contacts enregistrés. Rien de particulier à signaler.
Bernard rendit compte à son commandant de compagnie de la situation, ainsi qu’au procureur de la République. Ce dernier le chargea de l’enquête.
Le TIC redescendait. Il avait quasiment terminé. Il s’adressa à Bernard :
— Les vêtements que portait la femme ont été clairement découpés. Disons que l’agresseur ne s’est pas embêté à tout déboutonner. Il a carrément taillé dans le tissu pour ne pas s’embêter avec les boutons ou autres Fermetures éclair. J’ai relevé quelques empreintes digitales exploitables. Je vais les passer en priorité au fichier. Je vous appelle si j’ai une concordance. Bonne journée.
Bernard le remercia.
Les pompes funèbres étaient arrivées sur les lieux. Ils allaient s’occuper de transporter le corps jusqu’à l’IML.
Une fois le corps évacué, Léon fit le tour du lit et ouvrit l’armoire. Plusieurs uniformes se rapportant à sa profession étaient suspendus à l’intérieur.
Bernard décida : la maison n’a visiblement pas été fouillée par l’agresseur. Nous avons les premiers éléments concernant la victime. La perquise approfondie peut attendre. Mieux vaut revenir avec tout le personnel pour fouiller correctement les lieux. Nous allons commencer l’enquête, le temps joue contre nous.
Il est vrai que dans une affaire criminelle, les premières heures sont déterminantes. Amasser le plus d’éléments possible peut dans certains cas être prépondérant pour orienter les recherches, voire finaliser et interpeller l’auteur d’un assassinat.
***
Les deux limiers se rendirent directement au centre de secours de Sellonge-sur-Mérac. Ils furent à leur demande, conduits jusqu’à la salle de veille. Deux pompiers, assis devant leur console téléphonique, discutaient. Les gendarmes en civil se présentèrent. Bernard prit la parole :
— Vous pouvez nous dire qui a pris l’appel concernant votre intervention chemin du chat noir ?
Le plus âgé des deux répondit :
— C’est moi.
— On peut connaître l’heure exact de ce coup de fil ?
— Oui, toute de suite, attendez.
Il pianota sur plusieurs touches.
— Voilà, je l’ai. Il était exactement 8 heures 25.
— Votre interlocuteur s’est présenté ?
— Non pas du tout. Il m’a juste dit qu’une femme avait été massacrée 13 chemin du chat noir et d’appeler les flics. Ce sont ses mots.
— Massacrée, c’est le terme qui a été employé ?
— Oui, il a bien dit massacrée.
— Sa voix était comment, effrayée, excitée, calme ?
— C’est ce qui m’a troublé. D’habitude, la personne qui signale ce genre de méfait est très excitée. La voix est à chaque fois très haute dans les aigus. Le débit des mots est si rapide que nous sommes souvent obligés de faire répéter à plusieurs reprises, car nous ne comprenons rien. Généralement, les gens qui nous contactent pour cela sont incapables d’être logiques dans leur récit. Ils omettent tous de préciser le plus important qui est l’adresse où a eu lieu le problème. Mais cette fois-ci, l’élocution était parfaite, bien maîtrisée. L’adresse donnée immédiatement. Aucun stress ne transparaissait. En revanche, il m’a semblé que la voix était métallique. Oui, c’est cela, trafiquée, vous savez comme lorsque l’on parle au travers d’un appareil modifiant électroniquement la voix.
— C’est intéressant ce que vous nous dites là. Les conversations qui arrivent chez vous sont bien enregistrées.
— Oui, elles le sont.
— Vous pouvez nous passer la bande, pour nous faire une idée plus précise de la situation.
Il pianota de nouveau sur plusieurs touches. Ils entendirent d’abord une sonnerie téléphonique, puis la voix du pompier qui répondait. Un blanc, puis une voix effectivement caverneuse et métallique. Bernard se fit tout de suite la réflexion que la personne parlait effectivement au travers d’un modificateur de voix. Le dialogue fut assez bref :
— Je vous signale qu’une jeune femme s’est fait massacrer au 13 chemin du chat noir.
— Vous pouvez me donner votre nom ?
— Vous en feriez quoi ? Prévenez les flics !
Fin de la communication. Léon demanda :
— Vous pouvez nous en faire une copie, j’ai une clé USB.
— Tout de suite.
Cette dernière fut remise aux enquêteurs.
Bernard demanda :
— Vous nous avez prévenus à quel moment ?
— Tout de suite après que la personne eût raccroché. Je n’ai pas perdu une seconde. Dans ces cas-là, il faut être réactif.
Ils remercièrent, puis saluèrent les deux hommes du feu et partirent en direction de la mairie.
En cours de route, Léon demanda :
— Tu en penses quoi de cette histoire ?
— Mon sixième sens me souffle que nous sommes partis sur une très sale affaire. Je dirais même plus, une enquête qui va nous donner du fil à retordre.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
— Juste un pressentiment, une sorte de malaise. Lorsque j’ai ce genre de sensation, c’est généralement mauvais signe. La voix transformée au téléphone était j’en suis persuadé, celle du meurtrier. Qui d’autre que le criminel pouvait se trouver sur les lieux de l’agression. Ensuite, le fait de maquiller sa voix ne présage rien de bon. Je doute que ce soit l’œuvre d’un petit copain qui pète les plombs. Je pense que nous avons à l’évidence un assassin particulièrement bien organisé, déterminé et maître de ses émotions. Ce qui me choque, c’est le ton au téléphone. Il était beaucoup trop calme. Tu vois, après un déchaînement de violence de cette ampleur, il est rare de pouvoir dominer son excitation de cette façon. Je peux me tromper, mais je suis prêt à parier que ce criminel va encore faire parler de lui.
— Tu plaisantes. Tu ne vas pas me dire que tu penses sérieusement comme cela, de but en blanc, juste après avoir vu une scène de crime, que tu es presque certain d’avoir affaire à un tueur en série ?
— Ce sont certains détails qui me font dire que nous sommes peut-être partis à la chasse d’un très gros gibier.
— Quels détails, tu peux être plus clair ?
— Premièrement : Viviane n’a pas été tuée pour son argent. Un cambrioleur, un marginal ou un rôdeur aurait fouillé la maison et découvert ses économies ainsi que l’argent dans son portefeuille. Deuxièmement, pourquoi lui avoir lacérer le visage, si ce n’est pour l’enlaidir, le tueur n’a pas tailladé les autres parties de son corps. Il a réussi à se dominer pour ne pas se déchaîner sur le reste de son anatomie. À moins que ces lacérations soient voulues. Pour une raison qui nous échappe. Je suis pratiquement certain que lorsque nous aurons la réponse à ce deuxièmement, nous serons proche d’interpeller le tueur. J’en suis convaincu. Troisièmement, il l’a laissée les jambes écartées au maximum afin que nous nous rendions compte immédiatement qu’il l’avait violée. Pour lui, c’est à n’en pas douter un point essentiel. Il veut que nous nous focalisions sur cet aspect de l’agression. Quatrièmement, au téléphone, cette voix posée sans aucune émotion ou excitation n’est pas anodine. Ce crime a été perpétré en toute lucidité. Le tueur s’est éclaté, crois en mon expérience. Nous avons affaire à un très grand malade, mais conscient de ses gestes. Cinquièmement, s’il s’agit d’un maniaque, il doit y avoir un indice, une trace quelconque laissée par ce débile. Sixièmement, ce qui me fait peur, c’est le dessin et l’inscription sur le ventre de la victime, ainsi que le cercle au sol avec ces quatre bougies. Le surnaturel, j’aime pas du tout.
— Tu es certain qu’il veut que nous nous focalisions sur le viol ?
— Évidemment, c’est pour cela qu’il l’a laissée les jambes écartées au maximum pour que nous nous rendions compte de ce qu’il lui avait fait subir. Ensuite, il a tailladé le visage de cette femme après qu’elle eut cessé de vivre. Pour quelle raison. Je l’ignore, mais je compte bien le découvrir. Ce n’est pas un acte gratuit. Cela signifie quelque chose pour le tueur. J’en suis persuadé. C’est très important, il faut en tenir compte. D’autant qu’il lui a évité des souffrances puisqu’elle a été défigurée post-mortem.
— Pour résumer, d’après toi il est assez sadique pour la violer monstrueusement, mais il attend qu’elle soit morte pour lui lacérer le visage et lui éviter d’autres souffrances. Tu trouves cela normal ? Pour couronner le tout, tu penses que l’agresseur nous a laissé un message dans l’appartement ?
— C’est ce que font généralement les assassins et malades sexuels en série. Ils ont tous un petit rituel qui saute aux yeux. Ils veulent se démarquer. Laisser, en quelque sorte, une carte de visite. Dans ce cas présent, force est de constater que la scène de crime est particulièrement propre. On file rencontrer le patron de Viviane. Ensuite, on passe au bureau chercher le reste du personnel et nous allons tous ensemble retourner cette baraque. Je veux absolument être certain que nous ne sommes pas passés à côté de quelque chose d’important.
Quelques minutes plus tard, ils rencontraient le chef de la police municipale.
Ils avaient en face d’eux, assis à son bureau, un homme d’un certain âge. Il était plutôt fluet. Il portait une grosse barbe poivre et sel, qui lui donnait l’impression d’avoir une tête disproportionnée par rapport à ses épaules étroites. Il avait le visage triste. Il se leva dès l’entrée des gendarmes et leur serra la main. Il prit tout de suite la parole :
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Comment est-elle morte ?
— Nous ne savons pas encore. Le médecin légiste va pratiquer une autopsie. Il trouvera j’en suis certain, les causes de la mort.
— Mais vous m’avez dit au téléphone qu’elle avait été assassinée.
— Disons que votre policière a été visiblement agressée. Néanmoins, le légiste n’a pas pu être affirmatif quant à la cause de la mort.
— Agressée ? Mais de quelle manière ?
— Le mieux pour vous et votre personnel est que vous gardiez une bonne image de Viviane. Il est préférable que nous n’entrions pas dans les détails. Rassurez-vous, je vous promets de tout mettre en œuvre pour que le taré qui s’en est pris à cette femme finisse ses jours en prison. Désormais, nous nous focalisons sur l’enquête. Parlez-moi de Viviane. Son comportement en service, ses fréquentations, avait-elle eu des problèmes dernièrement avec quelqu’un ?
— Très sincèrement, j’avais sous mes ordres, une très grande professionnelle. Ce n’est pas parce qu’elle est décédée que je vais brosser d’elle un portrait idyllique, si ce n’était pas le cas. Jamais en retard, toujours disponible. Sympa avec les gens. Aucun grief à son encontre. Elle fréquentait un jeune de son âge, depuis pas mal de temps. Attendez, j’ai son nom sur le bout de la langue. Philippe, Vallois, c’est cela, il est couvreur. Il travaille pour l’entreprise « les toitures du sud ». Ils sont sur un chantier rue Belle-vue, à la sortie de la ville. Je sais qu’il est parti en compagnie de son patron chercher un chargement de tuiles dans le sud de la France. Il ne sera pas de retour avant la fin de la semaine.
— Bon, nous allons attendre pour l’entendre. Vous avez l’adresse des parents de Viviane pour que nous les prévenions du décès de leur fille ?
— Si cela ne vous ennuie pas, je préférerais m’en charger moi-même. Je les connais très bien. Ils sont de Roubaix.
— C’est comme vous voulez, mais il faut que ce soit fait rapidement.
— Vous pouvez compter sur moi. Je m’en charge tout de suite.
— Vous ne voyez rien d’autre à nous apprendre.
— Non, je ne vois pas.
— Si toutefois quelque chose vous revient, n’hésitez pas à nous prévenir. Ce serait bien que vous consultiez votre personnel pour savoir si quelqu’un a eu connaissance de problèmes ou d’ennuis survenus dernièrement sans que vous soyez au courant.
— Je vais faire le nécessaire. Si j’apprends quelque chose, je ne manquerai pas de vous prévenir.
Sur ce, ils ont pris le chemin du bureau.
***
Bernard réunit son personnel dans la salle café. Il expliqua aux autres enquêteurs, sur quoi portait l’enquête qui venait de démarrer. Il donna les détails de la scène du crime et son sentiment sur le fait qu’il était convaincu que cet assassinat en appellerait probablement d’autres. L’avenir le dira.
Paulo demanda : tu es certain que ce crime est l’œuvre d’un maniaque. Tu as pensé à une scène sexuelle, sadomasochiste qui dégénère et qui tourne mal.
— Oui, j’y ai pensé presque tout de suite. Mais vois-tu, dans ce milieu-là, la personne est immobilisée avec des liens autres que cette ficelle en nylon. Le matériau utilisé dans le cas d’un jeu sexuel est d’une nature non abrasive afin de ne pas entamer les chairs. Cet assassinat me fait penser à une mise en scène. Une mort préméditée et bien préparée. Si vous voulez, le viol ne fait pas réel. Il fait tache dans le tableau. C’est mon sentiment. De même que le massacre du visage.
Léon demanda :
— Tu sous-entends que l’agression sexuelle est gratuite, juste pour nous envoyer dans une autre direction. Mais le Gus l’a quand même bien défoncée, tu l’as vu comme moi. Il s’est bien acharné dessus. Je ne comprends pas ton raisonnement.
— Veuillez m’excuser, je me suis mal exprimé. Par le passé, j’ai été confronté malheureusement à ce genre d’affaires. Un violeur agit par pulsion. Soit, il a soudain à un instant précis, envie d’une femme qu’il a simplement croisée dans la rue tout bêtement. Il va alors, en fonction des lieux fréquentés ou non, agir spontanément. Agression, immobilisation de la victime afin de pouvoir assouvir son fantasme. Soit, il va mettre au point une stratégie pour, dans un futur proche, tenter d’agresser celle qui justement le fait fantasmer. C’est ce qu’il recherche. Après, qu’il mette un terme à la vie de sa victime pour ne pas qu’elle témoigne et donne des renseignements aux forces de l’ordre, c’est malheureusement souvent ce qui se passe. Mais tuer d’une manière aussi réfléchie sa victime et la massacrer de la sorte n’est pas du tout cohérent. Et puis, n’oubliez pas un détail et non des moindres, comment le tueur a-t-il fait son compte pour persuader sa victime de se rendre dans sa chambre, en sa compagnie ? Autre point essentiel : comment s’y est-il pris pour la neutraliser sur son lit. Il lui a attaché les quatre membres sans qu’elle résiste. Elle ne s’est pas défendue. Aucune trace de lutte. Elle ne porte que des hématomes sur le dessus des cuisses. Ce sont les seuls signes de résistance qui sont visibles sur ce corps. À aucun moment, nous n’avons la preuve que cette femme s’est rebellée, a résisté ou s’est réellement débattue. Cette passivité est quand même énorme et incohérente. Puis, il y a ces deux traces récentes d’injections, le dessin ésotérique et l’incantation tracés à l’aide probablement d’un gros feutre sur le ventre de la victime. Sans oublier le cercle au sol avec les quatre bougies.
— Mais, il y a bien eu viol ? demanda Gus.
— Assurément, je n’en disconviens pas. Je dis simplement que quelque chose m’échappe. Il l’a violée parce que c’est ce qu’il recherchait. Après l’acte, ayant recouvré une certaine lucidité ou un certain apaisement, certains malades cachent le visage de leur victime avec un vêtement ou la recouvrent d’un drap. Tout se remet en place dans leur cerveau. Ils se rendent compte de ce qu’ils viennent de faire. Mais agir de cette façon, avec cette violence, cela me gêne. Les lacérations post-mortem me dérangent. On dirait qu’il y avait de la rancœur à l’encontre de cette femme. Le fait qu’il la défigure après sa mort me suggère qu’il avait un contentieux à régler avec cette dernière. Je reste persuadé qu’il y a anguille sous roche. Nous verrons bien au fur et à mesure que nous avancerons. Pour l’instant, vu l’heure, nous allons casser la croûte.
Les enquêteurs comptaient sur ce qu’allait révéler l’autopsie. Savoir premièrement quelle était la cause exacte de la mort. Être également certain que le corps n’avait pas été déplacé ou transporté. Attendre ensuite les résultats provenant du laboratoire de l’IRCGN sur les relevés ADN collectés par le TIC, ainsi que l’analyse des vêtements, des liens et du marqueur utilisé. Ils ne comptaient pas sur une quelconque avancée grâce aux relevés dactyloscopies. Le tueur devait être prudent de ce côté-là et portait probablement des gants.
Bernard expliqua :
— Cet après-midi, précise au domicile de la victime. On collecte le moindre indice. En ce qui concerne l’environnement, la demeure est trop éloignée et isolée des premières maisons. Autant ne pas se disperser et perdre notre temps.
À quatorze heures, les cinq gendarmes étaient à pied d’œuvre.
— Qu’est-ce que nous cherchons au juste, demanda Gus.
— Si je le savais !
Ils débutèrent méthodiquement leurs recherches. D’abord à l’étage. Bernard et Léon ont commencé par la chambre de la morte. Gus et Paulo par la seconde chambre, la salle d’eau et les WC. Jojo et Olive, les pièces du bas. Trente minutes plus tard, ils n’avaient rien trouvé de particulier. Bernard se demandait quelle mouche l’avait piqué pour qu’il ordonne une nouvelle recherche sur un lieu de crime déjà perquisitionné, sommairement il est vrai, mais quand même. Quelques minutes plus tard, ils redescendaient l’escalier lorsque Olives hurla plus qu’il ne cria depuis la cuisine :
« J’ai ! J’ai un truc ! »
Ils se sont retrouvés dans cette pièce. L’enquêteur désignait un saladier qui trônait au milieu de la table. Il contenait une pyramide de fruits divers. Personne n’avait compris ce qu’il montrait à part bien évidemment le contenu du récipient.
Il tendit la main et de son doigt ganté, l’approcha à quelques centimètres d’un petit morceau de papier glacé posé à côté de la coupe de fruits. Ils se sont approchés plus près. C’était une partie de photographie couleur. Elle avait été découpée. Bernard demanda à Olive :
— Elle était où, cette photo ?
— Sous le saladier. D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi je l’ai déplacé.
Bernard ordonna :
— Léon, à toi de jouer.
Cette dernière sortit de sa sacoche une grosse pince chirurgicale à clamps. Elle attrapa le petit bout de papier glacé, le regarda sous toutes les coutures, puis le reposa sur la table.
Elle sortit son téléphone portable et prit un instantané. Désormais sur son appareil, elle pouvait agrandir le cliché. Il représentait le visage d’une très jeune fille. Ses cheveux étaient blonds, raides et coupés assez court. La partie visible des épaules nues laissait entrevoir deux bretelles très fines, d’un bleu intense, faisant penser tout de suite à un soutien-gorge. Ce n’était pas facile, car le cliché était petit et cadré légèrement juste au-dessous du cou. De face, le côté gauche était découpé pratiquement à ras de la tête. Il manquait une partie de la chevelure. En revanche, on distinguait, sur le côté droit, des cheveux auburn. Ils étaient contre ceux de cette jeune fille comme lorsque l’on prend une photo tête contre tête. La découpe ne laissait apparaître qu’une infime partie de ce qu’était le du début d’un autre visage.
Olive émit une hypothèse : cette photo doit avoir une importance capitale pour le tueur. Qu’est-ce que vous en pensez ?
— Tu as raison, affirma Bernard. On va se concentrer sur ce cliché. Pour l’heure, on rentre au bureau. Jojo, tu te mets dès notre retour à la recherche de renseignements concernant les maniaques sexuels connus et qui sont en liberté.
À peine arrivé, l’enquêteur s’est tout de suite mis au travail. Trente minutes plus tard, il avait listé les agresseurs sexuels du département et leurs adresses. 7 noms étaient sortis du chapeau. 3 étaient actuellement sous les verrous. 4 en liberté. Les adresses furent récupérées.
Le premier était un homme d’une cinquantaine d’années. Célibataire. Déjà condamné une fois pour ce genre de délit. Sorti de maison d’arrêt depuis moins de six mois, il vivait dans un camping dans le bas du département. Paulo et Gus étaient chargés d’aller l’entendre.
Le second était âgé de 37 ans. Marié depuis peu. Maçon, il demeurait dans le haut du département. Son affaire n’était pas claire. Il avait été accusé de viol par une femme de soixante ans. Elle avait porté plainte auprès de la gendarmerie en donnant des détails qui avaient permis d’arrêter l’auteur peu de temps après l’agression. L’intéressé n’avait jamais reconnu les faits. Il alléguait qu’elle était consentante. Lors du procès, les preuves matérielles manquaient cruellement. Son avocat n’eut aucun mal à faire planer le doute dans la tête des jurés. Il fut acquitté. Depuis, personne n’a jamais plus entendu parler de lui. Jojo et Olive récupérèrent le dossier.
Le troisième était âgé de 43 ans. Marié, homme particulièrement violent, condamné à cinq années de prison pour avoir tabassé son épouse à plusieurs reprises, suivit dernièrement d’un viol sur cette dernière. Sa femme avait finalement déposé plainte.
Elle avait dans la foulée entamé une procédure de divorce durant l’incarcération de son époux. Il avait purgé sa peine et avait été libéré depuis deux années. Interdit de séjour dans la commune où résidait son ex-femme, il demeurait désormais à Sellonge où il exerçait son métier de paysagiste auto-entrepreneur.
Le quatrième avait un peu plus de 70 ans. Condamné à 10 ans de réclusion pour avoir violé sa voisine de palier. Elle l’avait soi-disant allumé depuis plusieurs jours sans pour autant avoir cédé à ses avances. Il avait reconnu les faits. Libéré depuis une vingtaine d’années, il avait repris son travail de boulanger en s’expatriant à Sellonge. Il était en retraite depuis plus de huit ans. Il n’avait plus fait parler de lui. Bernard et Léon allaient s’occuper de ces deux dossiers.
***
Il était un peu plus de 19 heures lorsque les trois équipes se retrouvèrent pour faire le point dans le bureau de Bernard. Toutes ces personnes avaient un alibi solide. Retour à la case départ. Il fallait orienter l’enquête dans une autre direction. Chacun allait rentrer chez lui lorsque le portable de Bernard sonna.
— Bernard, c’est Gilles.
— Vas-y, Gilles, nous t’écoutons.
— Le mieux c’est que tu passes avec ton équipe. Ce sera plus facile que par téléphone.
— OK, nous arrivons.
À peine dix minutes plus tard, ils étaient dans le bureau de l’homme de science.
Le légiste attaqua :
— Bon, voilà, d’abord plusieurs choses. La première j’ai examiné consciencieusement, la victime. J’ai ensuite bien entendu lavé les traces de sang. Cela m’a permis de voir à quels points les liens aux poignets et aux chevilles avaient largement entamé les chairs. Signes qu’elle s’est fortement débattue. Deuxièmement, j’ai pu constater que le corps n’a pas été déplacé. Les « livors mortis » correspondent à sa position lors de la découverte sur le lit. Les deux traces d’injections sont récentes.
Léon osa demander :
— C’est quoi au juste « livor mortis » ?
— Bon, alors voilà : « livor mortis » appelé aussi « lividités cadavériques » sont le résultat d’une coloration rouge violacée de la peau qui survient à cause d’un déplacement passif de la masse sanguine vers les parties déclives du cadavre. Ce phénomène débute dès l’arrêt de l’écoulement du sang. Si tu veux, le cœur assure la circulation sanguine vers les vaisseaux sanguins. Son arrêt entraîne la stagnation du sang. Après la mort, des ouvertures se forment dans les parois des vaisseaux sanguins. Le sang, par le phénomène de gravitation, descend et en s’accumulant, devient visible par translucidité de la peau, d’où une modification de sa teinte qui caractérise les fameuses lividités cadavériques. Elles sont donc visibles sur les parties du corps qui sont en contact avec le sol. Si le corps a été déplacé, d’autres lividités apparaîtront automatiquement à un autre endroit du corps suivant la nouvelle position de ce dernier. Ce qui, dans ce cas bien évidemment, n’est pas normal du tout.
— Merci, Gilles. Dorénavant, je saurais de quoi tu parles.
Bernard demanda :
— S’il y a eu injections, elle a été droguée ou empoisonnée ?
— Pas dans le sens où tu l’entends.
— C’est-à-dire ?
— J’ai mis beaucoup de temps à découvrir ce qui l’avait tuée. En réalité, le meurtrier lui a injecté de l’air dans une veine. Environ 20 millilitres.
— Explique-moi comment on peut tuer une personne rien qu’en lui injectant de l’air dans une veine ?
— Je vais essayer d’être clair et pas trop long, ni trop compliqué. Voilà, lorsque l’on injecte une certaine quantité d’air dans une veine, cela peut provoquer ce que l’on appelle une embolie gazeuse. En fait, la grosse bulle va boucher une artère dans le poumon et provoquer une embolie pulmonaire. Qu’est-ce qui se passe : le vaisseau bouché dans le poumon provoque une asphyxie, qui, si elle est trop importante, peut causer la mort. S’il y a une bulle d’air conséquente dans une veine, elle remonte jusqu’au cœur sans soucis puisque les vaisseaux vont en grossissant. C’est après le cœur que cela se gâte. La bulle sort du cœur où elle est arrivée et va dans les artères pulmonaires dont le diamètre rétrécit à chaque embranchement. Un vaisseau bouché à cet endroit-là veut dire que le segment du poumon ne fonctionne plus. Le sang est donc moins oxygéné. Si la bulle est assez grosse, elle rend inutilisable une grosse partie du poumon. Cela provoque une sensation d’étouffement, des douleurs thoraciques et la mort.
Si la bulle est de petite taille, la pression sanguine l’empêche de se coincer et le trop-plein de gaz si je puis dire est évacué par l’expiration. Dans le cas qui nous intéresse, la victime a succombé à une embolie pulmonaire provoquée mécaniquement par l’introduction dans son organisme d’une grosse bulle d’air.
Nom d’une pipe, c’est machiavélique.
Paulo demanda : elle a bien été violée alors qu’elle était consciente ?
— Je confirme, elle était consciente sans aucun doute. Les parois vaginales ont été très endommagées. Elle a beaucoup souffert d’où les incrustations prononcées des liens dans les chairs.
— Et les coupures sur le visage ?
— En ce qui concerne les lacérations, il n’y a pas eu une grosse perte de sang, car le cœur ne battait plus. Elles ont donc été pratiquées post-mortem, c’est certain. Autre chose, aucune trace de liquide séminal dans le vagin de cette femme. C’est normal, j’ai trouvé sur les parois de son sexe, des traces de lubrifiant. Votre violeur portait un préservatif. En revanche, votre gars est très méticuleux. Aucun poil pubien ou autre découvert sur le corps de la victime. Rien de rien, aucune substance ou quoi que ce soit qui puisse nous faire avancer. Pourtant, le corps est resté en état. Il n’a pas été nettoyé, essuyé, et encore moins lavé par le tueur. C’est quand même curieux.
Paulo ajouta :
— Il est peut-être resté habillé.
— Cela m’étonnerait. Je n’ai pas découvert la moindre fibre avant de laver le corps, et croyez-moi, pour ce genre de chose, j’ai plutôt l’œil. J’ai envoyé au labo les prélèvements habituels. On pourra connaître l’heure de la mort le plus précisément possible. En attendant, le retour des analyses, pour votre enquête, à vue de nez, en fonction de la température du corps et de la « rigor mortis » ou rigidité cadavérique si vous voulez, celle-ci étant déjà bien installée, je dirais qu’elle est décédée dans un créneau entre 22 heures à minuit.
Bernard demanda :
— Tu as une idée qui pourrait expliquer la passivité de la victime. Tu nous confirmes qu’elle n’a pas résisté avant d’être totalement immobilisée par les liens qui la maintenaient sur le lit.
— Je te le confirme. Mis à part les hématomes sur le dessus des cuisses, aucune trace de brutalité manuelle sur le reste du corps. Il vous faut patienter jusqu’au retour des analyses sanguines. Il y aura peut-être une explication rationnelle de ce côté-là. Dès que j’en sais un peu plus, je t’appelle.
Ils ont remercié le légiste pour son méticuleux travail. Ils sont retournés au bureau pour faire le point. Bernard appela le substitut du Procureur de la République afin de lui communiquer les informations recueillies auprès du médecin. La journée s’achevait ici. Demain apporterait peut-être des éléments qui permettront aux enquêteurs d’avancer.
***
À 7 heures 45 le mercredi 29 juin 2005, l’ensemble des militaires de la BR étaient réunis en salle café. Le téléphone de Bernard sonna. En voyant que c’était Gilles, il décrocha et mit le haut-parleur.
— Salut, Gilles, tu es tombé du lit ?
— Pas du tout, il se trouve que ce matin, j’ai pas mal de boulot qui m’attend. Je t’appelle, car je viens de recevoir les résultats des prélèvements que j’ai envoyés à analyser. L’heure de la mort est confirmée. C’est bien entre 22 heures et 23 heures que cela s’est passé.
— OK, nous étions partis sur cette option. Rien d’autre ?
— Si, elle est bien morte d’une embolie pulmonaire consécutive à une injection d’air dans le système veineux. C’est l’une des traces d’injection que j’ai relevée sur les bras lors de mon primo-examen. Mais, j’ai beaucoup mieux et du lourd. Passe avec ton équipe, c’est beaucoup trop long et compliqué à expliquer par téléphone.