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Atmosphère pesante à Quimper...
La mort d'un huissier peu apprécié sème le branle-bas sur Quimper et sa région. Le crime est-il l'œuvre d'un proche offensé, d'un concurrent irrité, d'une victime bafouée ? Et pourquoi Paul Capitaine est-il écarté de l'affaire, pourquoi tous les témoins tremblent-ils de parler ?
Un étouffant climat de psychose semble s'être emparé de la cité. Ne pouvant s'interdire d'enquêter, Paul et Sarah vont creuser et découvrir une autre facette de la ville, un monde souterrain régi par d'autres règles et dont ils ne soupçonnent pas exactement l'abîme…
Découvrez le quatrième tome des enquêtes bretonnes de Paul Capitaine et sa fille, avec une nouvelle intrigue palpitante au cœur d'une ville parallèle !
EXTRAIT
"J’arrivai à la maison de la victime ; un petit jardinet fleuri et propret conduisait à une maison carrée et blanche, sur le perron de laquelle m’attendait mon jeune collègue, brun ténébreux d’un naturel étonnamment peu loquace pour un fils d’Italiens. Il m’escorta jusqu’à l’étage auquel on accédait par un escalier assez raide ; le corps gisait sur le palier, un filet de sang dégoulinait goutte à goutte de la plus haute marche, étroite, en bois patiné par le temps.
—Je te présente maître Hubert Potence, huissier de justice, cinquante-deux ans, marié, trois enfants, mort selon mon estimation entre seize heures et seize heures trente, en ce mercredi après-midi…Les gars de la scientifique ne sauraient tarder…Je suis venu sur la scène de crime dès que j’ai reçu l’appel et je les ai contactés immédiatement. Cette affaire ne me dit rien de bon…"
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"Éditions Bargain, le succès du polar breton." - Ouest France
"Avec le Finistère pour seul décor, Bernard Larhant opère comme un enquêteur pour bâtir ses histoires." - Carole Collinet-Appéré, France3
À PROPOS DE L'AUTEUR
Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après avoir passé une longue période dans le Sud-Ouest, il est revenu dans le Finistère, à Plomelin, pour poursuivre sa carrière professionnelle. Passionné de football, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du Stade Quimpérois, puis en senior. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l'écriture de polars avec les enquêtes d'un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine et de sa partenaire Sarah Nowak. À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
À André et Annick et à toute la famille Larhant.
- À Maître Stéphanie Calvet, avocate au barreau de Toulouse, pour ses précisions juridiques.
- À Sylvaine Le Berre, enseignante, pour son regard avisé.
PAUL CAPITAINE : La cinquantaine, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la ville et la région. Désabusé sur la société, à l’issue de sa carrière à la Cellule-Élysée, il trouve au sein de la brigade criminelle de Quimper une seconde jeunesse grâce à Sarah. À l’aube de cette nouvelle enquête, il est en souci avec son entourage après de nouvelles frasques sentimentales, cette fois avec Radia Belloumi.
SARAH NOWAK : 27 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Engagée dans la police pour retrouver son père, originaire de Quimper, elle va le découvrir derrière les traits de son partenaire et mentor Paul Capitaine. Dotée d’un fort caractère et d’une immense générosité, elle conserve en elle des rêves d’absolu. Et ne supporte pas de constater son père aussi faible face aux jolies femmes.
DOMINIQUE VASSEUR : 43 ans, célibataire, substitut du procureur de la République. Elle a échoué à Quimper après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre, loyale, elle est complexée par un physique peu avantageux. Elle a vite apprécié la compagnie de Paul et cela a été réciproque. Seulement, entre eux, rien n’est jamais simple et le mauvais sort se joue de leurs sentiments.
RADIA BELLOUMI : 32 ans, commissaire de police. Une surdouée qui se trouve parachutée à la tête du commissariat de Quimper à la suite d’un malaise du commissaire Chantre. Mal jugée en raison de son jeune âge, de son sexe et de ses origines, elle va assumer de brillante manière une première enquête et obtenir le respect de ses effectifs. Elle partage la vie de Paul depuis quelques jours.
ROSE-MARIE CORTOT : 26 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. RMC pour tout le monde. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur permanente, le plus de la brigade criminelle par son génie de l’informatique. Et la meilleure amie de Sarah.
CAROLE MORTIER : 39 ans, divorcée, une fille de 13 ans, Priscilla. Capitaine de police et chef de groupe. Un excellent flic, mais une femme au parcours tortueux, souvent empêtrée dans des soucis familiaux et des frustrations intimes.
MARIO CAPELLO : 28 ans, célibataire, lieutenant de police. Un beau garçon très réservé, malgré ses origines italiennes, souvent absent en raison d’une santé fragile. Excellent policier, efficace et rigoureux, qui voue une profonde admiration à Paul.
RONAN FEUNTEUN : La cinquantaine, divorcé, journaliste et patron de l’agence d’Ouest-France. Camarade de jeunesse de Paul Capitaine. Entre eux, un accord tacite : le journaliste transmet ses informations au policier, en échange, celui-ci lui réserve la primeur des résultats des enquêtes. Depuis peu, Ronan partage la vie de Françoise Mével, une ex de Paul, qui tient un hôtel vers la gare.
ISABELLE ET JEAN-LUC CONFORT : 45 et 47 ans. Patrons du Colibri, un bar-tabac situé en face du commissariat, un peu “l’annexe” de celui-ci. Ils se retrouvent souvent au centre des enquêtes par les discussions animées dont ils sont les témoins. Ils louent aussi des chambres aux étages, dont une à Rose-Marie et une autre à Sarah, même si cette dernière habite à Bénodet avec son père.
COLETTE ARNOULT : 42 ans, mariée, deux enfants. Agent d’amphithéâtre à l’hôpital de Quimper depuis un mois. Colette est la sœur de Paul à qui elle peut pardonner toutes les frasques. Mariée à Rémy, informaticien, mère de Quentin et Mélody, elle s’étiolait à son poste de laborantine et a accepté de s’occuper des défunts, pour se rapprocher de l’Institut médico-légal et de la salle d’autopsie.
Quand mon collègue Mario Capello m’appela à la rescousse sur les hauteurs de Quimper où il se trouvait confronté à une sale affaire, ma première pensée n’alla pas en direction de la victime, un huissier que je connaissais vaguement de réputation. Le Frugy, c’était la campagne à la ville, la montagne au bout de la rue, que Max Jacob appelait le coteau arborescent, avec ses six hectares de hêtres, qui avait incité les Révolutionnaires de 1789 à rebaptiser la ville Montagne-sur-Odet, en raison de ses vénérables 72 mètres…
Cela faisait plus de trente ans que je n’étais pas monté dans ce quartier paisible, implanté au sommet du Mont Frugy. La victime habitait la rue Alfred de Musset, plus précisément au milieu de celle-ci, dans une résidence bourgeoise, selon les indications de mon collègue. Vue de son bout le plus haut, la rue n’avait pas vraiment changé…
J’arrivai à la maison de la victime ; un petit jardinet fleuri et propret conduisait à une maison carrée et blanche, sur le perron de laquelle m’attendait mon jeune collègue, brun ténébreux d’un naturel étonnamment peu loquace pour un fils d’Italiens. Il m’escorta jusqu’à l’étage auquel on accédait par un escalier assez raide ; le corps gisait sur le palier, un filet de sang dégoulinait goutte à goutte de la plus haute marche, étroite, en bois patiné par le temps.
— Je te présente maître Hubert Potence, huissier de justice, cinquante-deux ans, marié, trois enfants, mort selon mon estimation entre seize heures et seize heures trente, en ce mercredi après-midi… Les gars de la scientifique ne sauraient tarder… Je suis venu sur la scène de crime dès que j’ai reçu l’appel et je les ai contactés immédiatement. Cette affaire ne me dit rien de bon…
— Il a pris une balle en plein cœur et il est mort quelques minutes plus tard ! constatai-je en me penchant sur le corps pour discerner le lieu précis de l’impact. Une autre balle a été tirée, par l’assassin selon toute vraisemblance, elle est allée se loger dans l’angle opposé, ce qui me semble étonnant.
— Pour moi, reprit Mario, il y a eu lutte, un coup est parti tout seul. Pas de trace de l’arme du crime, j’ai tout fouillé sans résultat, le meurtrier l’a emportée avec lui en s’enfuyant, selon toute vraisemblance.
— Pourquoi donc sur le palier de l’étage ? m’étonnai-je, perplexe, en lorgnant vers le rez-de-chaussée. Un quidam appuie sur la sonnette, l’habitant du lieu quitte son bureau pour lui ouvrir la porte. S’il s’est trouvé face à une personne mal intentionnée, pourquoi celle-ci aurait-elle forcé la victime à monter avant de la descendre ?
— Amusant cela, Paul, monter pour se faire descendre ! réagit spontanément Mario avant de se reprendre. J’y ai pensé aussi et j’ai deux hypothèses à te soumettre. La première : Potence attendait une relation connue, la porte était ouverte, l’individu monte tout seul. La seconde : l’huissier a proposé à son futur assassin, peut-être un client venu réclamer un arrangement à l’amiable, de le suivre jusqu’à son bureau, situé à l’étage depuis l’accident de son épouse. Celle-ci se déplaçant désormais dans un fauteuil roulant, elle loge en bas, dans l’ancien bureau de l’huissier, transformé en chambre. Je reprends ma théorie : une fois à l’étage, la discussion aura dégénéré… D’ailleurs, l’arme de Potence n’a pas été retrouvée dans le tiroir où il la planquait d’ordinaire, aux dires de sa famille. Il y a eu lutte sur le palier, faute d’un arrangement à l’amiable, des coups de feu sont partis, l’un d’eux a touché le malheureux en plein cœur. Seul hic : j’ai consulté son agenda, l’huissier n’attendait pas de rendez-vous cet après-midi…
Je regardai autour de moi, notai quatre portes autour de la cage d’escalier. Mario devança ma question en m’expliquant qu’en plus du bureau de l’huissier, on trouvait la chambre de Jézabel, l’aînée des filles, 17 ans, celle de la benjamine Justine, 10 ans, et enfin les sanitaires. Le fils Joachim, 21 ans, ne couchait plus chez ses parents depuis quelques années… Justine se trouvait dans sa chambre au moment des coups de feu, elle y demeurait toujours depuis, prostrée sur son lit, casque MP3 aux oreilles et nounours dans les bras. Personne n’avait pu la sortir de son état de torpeur, même pas les membres de sa famille. Une psy devait arriver promptement pour la prendre en charge…
— Je n’ai pas pu lui tirer un mot ! poursuivit Mario. Si elle a vu le meurtrier ou si elle a découvert le corps, rien d’étonnant à cela. Selon sa mère, c’est une môme très fragile, de santé précaire. Il va lui falloir du temps et un dialogue patient avec une spécialiste pour évacuer les séquelles du drame sur son mental. C’est un métier de prendre en charge des enfants après un tel choc, cela nécessite beaucoup de patience et de doigté…
— Malheureusement, en ce qui nous concerne, il ne s’agit pas de la priorité, arguai-je en posant ma main sur l’épaule de Mario. Qui a trouvé le corps ?
— La plus grande des filles qui revenait d’une balade en ville avec une copine de classe, elle a buté sur le cadavre en montant les marches quatre à quatre ; elle aussi est très choquée. La mère est rentrée un peu plus tard de sa séance hebdomadaire de rééducation à Lorient, dans un centre spécialisé ; le fils est encore à son travail, il est chauffeur-livreur dans la région.
Je descendis au rez-de-chaussée de la maison spacieuse et je trouvai la famille en rond, silencieuse et recueillie autour de la table de la salle à manger. La maman, environ quarante-cinq ans, chevelure rousse et bouclée, le visage blême, les mains serrées sous la poitrine, recroquevillée sur elle-même, clouée sur son fauteuil roulant. Jézabel, la grande fille, athlétique, aux joues persillées de taches de rousseur, regard clair entouré de cheveux auburn et perdu dans le vide, mâchoires serrées, poings fermés sur la table. Enfin, un septuagénaire qui s’avança vers moi, pour se présenter, les lèvres tremblantes :
— Mathurin Jacquet, je suis le père de Magali, enfin de l’épouse du défunt, je suis un ancien fonctionnaire préfectoral, je suis retraité et je n’habite pas très loin d’ici, plus précisément au Braden. Quel drame atroce, c’est une catastrophe !
— Je vous présente mes condoléances… J’imagine le choc pour chacun de vous… Je m’excuse par avance des désagréments supplémentaires que va vous causer notre enquête. Nous devons mettre la main sur l’assassin et, pour cela, nous allons devoir vous poser quelques questions de routine, parfois indiscrètes… Avec sa fonction d’officier ministériel, souvent mal perçue par le public, votre gendre devait cultiver de nombreuses inimitiés dans la région…
— C’est certain, bien des personnes lui en voulaient d’accomplir son métier avec rigueur et sérieux, répliqua Mathurin Jacquet, porte-parole de la famille. Il lui était demandé de faire exécuter les décisions de justice. Délivrer à longueur de semaine des assignations et des mises en demeure, pratiquer des saisies, cela n’est pas de nature à créer des relations chaleureuses avec ses interlocuteurs. Hubert passait pour un huissier intransigeant, mais juste. Implacable, certes, toujours dans le plus strict respect de la loi…
J’entendis, par la fenêtre entrouverte, l’approche bruyante d’une voiture en fin de carrière et je reconnus le moteur poussif de la vieille guimbarde de Dominique Vasseur, le substitut du procureur. Entre elle et moi, les relations n’étaient pas au beau fixe, depuis plusieurs jours, à cause de cette fameuse nuit passée en compagnie du commissaire Radia Belloumi, notre nouvelle patronne. Et comme Dominique et moi, nous envisagions un programme identique depuis bien plus longtemps, sans parvenir à conclure…
Elle se présenta, pâle comme un linge et visage fermé, droite et raide dans une robe vert pastel, regard caché par des lunettes de soleil qu’elle ne daigna même pas retirer.
Elle était flanquée du capitaine Carole Mortier, une autre de mes collègues, elle aussi au fait de mon incartade et révulsée de jalousie, aussi livide et aussi crispée que la magistrate. La première parole du substitut, en me découvrant auprès de Mario, fut cinglante et sans appel :
— Que faites-vous là, Capitaine ?
— Mario était de permanence au bureau, il a rallié les lieux dès que le commissariat a été prévenu du drame. Une fois sur la scène de crime, il a souhaité l’aide d’un collègue OPJ, je me trouvais au centre-ville ; à pied, Le Frugy, ce n’est pas très loin du commissariat, je suis arrivé aussitôt pour l’épauler, comme cela se passe souvent entre nous, argumentai-je avec conviction, tel un prévenu en salle d’interrogatoire.
— Personne ne vous a encore confié cette affaire, à ce que je sache ! répliqua la magistrate, rouge de colère. Vous prenez les décisions à ma place, à présent ? Le capitaine Mortier en aura la direction, le lieutenant Capello la secondera ! Nous n’avons plus besoin de vous ici, vous pouvez disposer !
— Combien de semaines ou de mois vais-je devoir payer l’écart d’une nuit, Madame le substitut ? questionnai-je, ahuri, me fichant éperdument de la circonstance mal choisie, des oreilles des témoins et des potins à venir. J’ai connu une époque pas si lointaine où vous ne pouviez pas vous passer de moi, sur le plan professionnel bien sûr, surtout lorsque l’enquête s’avérait délicate et complexe…
— Pardonnez-moi, Capitaine, répliqua Dominique sur un ton glacial, seriez-vous en train de sous-entendre que votre collègue est moins qualifiée que vous pour résoudre cette enquête ? Encore cet orgueil primaire de vieux macho ! Le procureur s’est déchargé sur moi du suivi de cette affaire et j’ai toute latitude pour choisir un interlocuteur parmi les OPJ de la ville. Cela vous pose un problème, Capitaine ?
— Dans le même temps, pas si lointain, auquel je faisais allusion précédemment, vous affirmiez que nous formions tous deux la plus efficace des équipes, renchéris-je, hors de moi. Une flatterie primaire de vieille fille aigrie sans doute…
— Quel spectacle pitoyable sommes-nous en train d’offrir aux membres de cette famille dans l’affliction ! soupira la magistrate en secouant la tête de dépit. Venez, Carole, nous avons à faire, laissons votre collègue à ses rancœurs personnelles et à ses considérations affligeantes… Mesdames, Monsieur, je suis le substitut Dominique Vasseur, le procureur m’a chargé du dossier du drame terrible qui vous touche en ce jour. Tout d’abord, je tiens à vous présenter mes sincères condoléances. Permettez-moi de vous présenter le capitaine Carole Mortier qui va…
J’avais quitté le seuil de la maison, traversé le petit jardinet abrité du soleil d’été par un vénérable pommier, franchi le petit portail en bois pour retrouver la rue et un peu de lucidité. Ce que je venais d’entendre m’avait abasourdi ; j’ignorais Dominique capable de placer sa réaction de jalousie à un tel niveau de cynisme. Je ne parvenais pas à voir en la femme qui venait de m’agresser verbalement en public la personne avec laquelle j’avais passé tant de moments de complicité depuis mon retour à Quimper. Sa réaction me semblait tellement disproportionnée, au regard d’une incartade finalement pas plus coupable que mes nuits avec Julie Varaigne, la belle secrétaire de Dominique, ou encore Florence Le Moal, l’adjointe au maire du quartier de Penhars, écarts qui ne m’avaient jamais valu un traitement aussi violent.
Je restai un moment à déambuler dans le quartier pour ruminer l’humiliation et tenter d’apaiser mes nerfs à vif. Il est vrai que, depuis quelques semaines, ma vie devenait intenable. Ma fille Sarah m’avait fichu à la porte de la maison familiale de Bénodet, préférant les services d’une auxiliaire de vie pour veiller sur mon père, quand elle ne rentrait pas le soir. J’avais trouvé une position de repli dans l’hôtel tenu par Françoise Mével, une copine d’enfance, qui filait, un peu sur le tard, le parfait amour avec Ronan Feunteun, un pote de jeunesse, journaliste à Ouest-France.
Au sein de l’équipe de la Crim’, placée au cœur des débats, chacun avait choisi son camp. Le commandant Fouilloux, le patron de l’unité, en partance pour La Réunion, d’où était originaire son épouse, avait besoin de moi pour dénouer les affaires en cours. Il savait faire le distinguo entre vie privée et activité professionnelle, seulement, il semblait si souvent absent, si ce n’était de corps du moins d’esprit… Mario, le ténébreux lieutenant d’origine italienne, continuait à agir normalement, trouvant idiot qu’une affaire personnelle interfère dans nos relations ; voilà pourquoi il n’avait vu aucun mal à me contacter. Carole, à l’origine du conflit, et Sarah, désespérée par un père aussi volage, m’avaient ostensiblement tourné le dos pour des motifs différents : la jalousie pour la première, le dépit pour la seconde.
Radia, de son côté, continuait à me choyer en tentant de me persuader que toutes ces vagues finiraient par se calmer. Elle semblait presque réjouie de la tempête qu’elle avait causée en me suppliant de la couvrir de tendresse, comme si le degré de l’affection qui nous unissait se mesurait au niveau des remous engendrés…
Je déambulai dans cette rue qui n’avait guère changé, îlot de paix et de mémoire d’une époque révolue, vestige concret d’un temps où la notion de quartier représentait une forte identité. Un peu plus loin, appliqué à balayer les marches de sa demeure, je reconnus un gars qui fréquentait chaque jour le bar du Colibri, en face du commissariat, pour y tenter sa chance à un jeu de hasard avant de papoter avec le patron devant un petit noir. Je m’arrêtai à sa hauteur, il me demanda ce qui se passait, je lui annonçai le meurtre de l’huissier, il ricana aussitôt :
— Je vais finir par croire qu’il existe une justice dans ce bas monde ! Il ne se trouvera pas beaucoup de gens dans la rue pour pleurer cette ordure ! Même pas dans sa famille, à ce que je sais… Il a saigné une bonne partie de la ville, sur le plan financier je l’entends, sous couvert de la loi, sans le moindre état d’âme ! Un véritable vampire…
— Il faisait son travail, rien de plus ! rectifiai-je, convaincu que j’allais en savoir davantage sur la victime, d’ici peu de temps. Certains métiers ne sont pas faciles…
— Potence, il portait bien son nom ! persifla le retraité. Quand il passait la corde autour du cou d’une personne, il serrait le nœud jusqu’à l’étouffer. Bien sûr, personne ne portait plainte, que peut un modeste citoyen face à un officier ministériel ? Surtout dans cette société du fric-dieu, quand on se trouve au bas de l’échelle… On a beau dire, Capitaine, pas de fumée sans feu… Les rumeurs ont souvent un fond de vérité, pas toujours mais souvent ! Elles cachent des blessures inavouables, des humiliations ravalées, des décisions iniques. Enfin, moi, ce que j’en dis… C’est vous le flic, hein ?
— Justement, si la rumeur est parfois la meilleure alliée de l’enquêteur, elle est aussi sa pire ennemie. Il existe tellement de procès d’intention… Sans rigueur, sans recherche d’éléments concrets, sans recoupage minutieux des indices recueillis, la rumeur publique peut mener à des erreurs judiciaires.
— Si vous voulez du concret, je vais vous en servir, moi ! Dans la maison d’en face habitait un octogénaire qui ne demandait rien à personne. Son seul tort aura été de se porter caution pour l’un de ses fils, hélas peu scrupuleux. Potence n’a pas arrêté de le harceler, se moquant de constater que ce brave type vivait mal la situation. Je me suis risqué à lui en toucher deux mots, ayant reçu les confidences de mon voisin que je sentais au bout du rouleau. Pour réponse, Potence m’a seulement expliqué que la société n’avançait pas avec les bons sentiments, mais uniquement par le respect des lois et des décisions de justice. Le lendemain, le malheureux se suicidait, en se pendant à la poutre de son grenier… Une fois de plus, Potence avait justifié son nom. Mais je vous préviens tout de suite, je n’ai pas tué ce salaud…
— Il est certain qu’un peu de diplomatie et de compréhension permet parfois de contrôler une situation sans pousser les gens à la dernière extrémité. Je dois vous laisser pour redescendre à la boutique…
— Dommage, sinon je vous aurais parlé des époux Quentin qui habitaient un peu plus haut…
— J’ai cinq minutes, vous savez…
— Victor, c’était un brave gars, représentant en cosmétiques, une pâte d’homme. Seulement, un vendredi soir, en rentrant du boulot, tellement heureux de retrouver Rozenn, son épouse, il a remonté à trop vive allure la rue Henri Barbusse et il n’a pu éviter un gamin qui traversait la chaussée à la poursuite de son ballon. Le môme est mort, accroché par l’aile droite, Victor a embouti sa bagnole dans un mur en tentant, d’un coup de volant, d’éviter la collision ; les pompiers l’ont sorti de l’habitacle avec plusieurs fractures. Lui, il aurait donné sa peau pour que le gamin vive encore…
— C’est dramatique, mais je ne vois pas le rapport avec…
— Vous êtes vraiment un gars pressé, vous ! Pour une bonne partie des frais, les assurances ont suivi, mais pas pour tout… Et puis Victor ne pouvait plus travailler… Rozenn a dû quitter son emploi de secrétaire au sein d’un cabinet d’architectes pour s’occuper de lui, car il est resté impotent. Potence ne leur a pas fait le moindre cadeau ; ils avaient pas mal d’emprunts sur le dos et plus beaucoup de rentrées financières, ils ont été forcés de vendre leur bicoque et d’aménager en locataires dans un petit appartement de l’OPAC, au centre-ville. Et maintenant, l’huissier a refilé le dossier à des usuriers qui veulent à tout prix que mes amis revendent leur maison secondaire de Bénodet pour éponger l’ardoise. Et ils vont réussir à les faire craquer à l’usure… On parle souvent de ce couple au jardin, avec les collègues ; on a bien essayé de les aider, seulement, financièrement, c’était impossible…
— Au jardin ?
— Oui, au Moulin de Melgven, notre petit paradis entre le boulevard de France et la rue de Ludugris. Victor y passait ses week-ends et tous ses temps libres. Il n’avait pas vraiment la main verte, mais cela n’était pas bien grave, on lui donnait un coup de main… Depuis son coup dur, on a décidé de lui garder sa concession et de la payer. C’est Rozenn qui y vient, elle est courageuse, elle n’est pas habituée à travailler la terre, mais on est là… L’un ou l’autre d’entre nous lui passe le motoculteur à la saison, on achète toujours un peu plus de plants pour qu’elle en ait. Au moins, ils n’ont pas à acheter les légumes… Et puis, comme toutes leurs anciennes relations du beau monde les ont laissés tomber, nous sommes là près d’elle pour l’aider à se libérer de ses soucis. Ce n’est peut-être pas la justice, mais c’est la solidarité ! Cela, Potence, il ne pouvait pas le comprendre, avait-il seulement un cœur… Il faudra que vous veniez nous voir, un jour…
— Oui, avec le panier à salade…
Je m’apprêtais à reprendre le chemin qui menait vers le commissariat en descendant à pied Le Frugy, comme je le faisais lorsque je m’entraînais, avant l’entame d’une saison de foot, pour retrouver la forme physique. Seulement, à l’époque, je courais, alors que maintenant, descendre en marchant représentait un calvaire pour mes vieux genoux de gardien de but. J’avais quitté la rue Alfred de Musset pour prendre sur ma gauche la rue Joseph Le Brix, en direction de l’accès à la promenade, quand un coup de klaxon m’incita à tourner la tête. Radia Belloumi arrivait en personne dans sa Fiat Panda blanche. Décidément, la mort de maître Hubert Potence rassemblait tout le gratin de la police locale ! me surpris-je à glousser. Je montai à ses côtés en me pinçant les narines en raison de l’odeur de tabac froid, elle coupa le moteur et réclama mes premières impressions. Je haussai les épaules.
Elle me confessa, avant que j’aie pu seulement ouvrir la bouche, que l’affaire embarrassait le préfet ; sur le conseil de son directeur de cabinet, il s’était fendu d’un appel personnel pour que la patronne de la police veille personnellement à la conclusion rapide de cette enquête. D’ailleurs, il avait donné des consignes dans ce sens au substitut Vasseur et entendait voir l’équipe de la Crim’ la soutenir de son mieux pour boucler l’affaire promptement.
— Pour moi, la conclusion de l’affaire est on ne peut plus rapide, ricanai-je, Dominique vient de me débarquer manu militari ! C’est Carole qui est en charge du dossier…
— C’est stupide de sa part, vous fonctionnez bien ensemble d’habitude ? Quelle mouche l’a piquée ?
— À ton avis ?
— Ne me dis pas que c’est à cause de notre relation, c’est absolument stupide de sa part. Une réaction de gamine, indigne d’une magistrate ! Pire, une faute professionnelle inexcusable. Et puis, jusqu’à preuve du contraire, la patronne du commissariat, c’est moi. Attends un peu, je vais lui dire ce que je pense de ses états d’âme, à cette péronnelle…
Radia remit aussitôt le moteur de son véhicule en marche, rallia le secteur où deux véhicules se trouvaient déjà garés, quitta l’habitacle en claquant la portière, courut comme une dératée à travers le jardin pour se planter devant le substitut Vasseur et Carole qui dialoguaient sur le perron. Je préférai rester à ma place pour ne pas jeter d’huile sur le feu, ouvrant juste la vitre pour ne rien rater de la passe d’armes. Et aussi pour respirer un peu d’air pur. De fait, une dose supplémentaire de combustible s’avérait inutile pour que le torchon brûle entre les rivales…
— Dans une affaire aussi sensible, j’ai besoin du concours d’un OPJ entièrement préoccupé par l’enquête, et non pas accaparé par ses problèmes de libido ! asséna la magistrate pour toute explication.
— Pardonnez-moi, Madame le substitut, répliqua Radia, mais je viens d’avoir le préfet en personne au téléphone, il me demande de m’occuper de ce dossier avec la plus grande attention. J’ai donc décidé de le confier au capitaine Paul Capitaine, élément d’expérience de l’équipe, que cela vous chante ou non !
— Très bien, Commissaire, si vous voulez déclencher la guerre, vous l’aurez ! Police et justice n’auront rien à gagner dans ce bras de fer que vous m’imposez…
— Si j’avais voulu la guerre, Madame le substitut, je serais retournée en Algérie, la terre de mes ancêtres, où elle n’a jamais cessé. Ou encore dans la banlieue où j’ai grandi, au milieu de mes anciens camarades qui me considèrent comme une vendue… J’ai reçu un ordre du préfet, je m’y conforme. Point final !
— Et moi, je suis chargée par le procureur, sur ordre du préfet, de la direction de cette enquête pour laquelle il m’a laissé carte blanche. J’ai désigné le capitaine Mortier pour diriger les investigations, je ne reviendrai pas sur ma décision ! À présent, veuillez nous laisser travailler, Commissaire, j’entends voir ce dossier bouclé au plus vite, comme je m’y suis engagée…
J’avais horreur de ces affrontements de personnalités, qui ne désignaient jamais de gagnants ni de perdants à l’issue d’un conflit. Il en restait toujours des ombres, des souillures, des paroles excessives, des mots déplacés qui demeuraient ancrés dans les esprits, comme des taches indélébiles sur une étoffe vierge. Je n’avais cependant jamais connu Dominique murée dans un entêtement aussi forcené et j’avais du mal à concevoir que mon incartade soit l’unique cause de son emportement abusif.
Lorsque Radia revint vers moi, elle aussi me déversa son fiel, promettant de remettre rapidement en place cette grue qui se prenait pour Dieu le père. Quand elle me prit à témoin, je dus lui avouer que je ne l’approuvais pas ; si Dominique réagissait de la sorte, c’est qu’elle se sentait blessée par ce qu’elle considérait comme une trahison de ma part, plus profondément que je ne l’avais imaginé. Radia ne comprit pas que je veuille lui trouver des circonstances atténuantes, alors qu’elle frisait l’abus de pouvoir. J’insistai pour ne pas la suivre sur cette pente négative et coupai net le dialogue vénéneux. Je décidai de rentrer à pied et j’ouvris la portière.
— Il est où, ton problème, Paul ? Tu regrettes, pour nous deux, tu ne veux plus l’assumer ?
— J’ai besoin de respirer l’air pur et de réfléchir en paix. Non, je ne veux pas assumer un crêpage de chignon entre deux femmes que j’apprécie ! Pire, j’ai horreur de voir deux nanas se déchirer, cela ne ressemble pas à l’idée que je cultive de la nature féminine, surtout si ma modeste personne est l’enjeu !
— À quelle heure on se donne rendez-vous pour la soirée ? Tu n’es pas de permanence, ce soir ? On pourrait se faire un petit resto, puis je t’invite à mon appartement…
— J’ai envie de faire un break, Radia, la situation devient étouffante pour moi. Je suis policier pour mener une mission d’agent de l’ordre, pas pour semer la pagaille. J’ai été formé pour assumer des pressions émanant de mes ennemis et non des agressions de la part des gens que j’aime. Tu n’es pas plus en cause que Dominique, personne n’a rien à se reprocher, je dois juste y voir plus clair en moi…
Le soleil commençait à décliner, je remontai mon col de blouson et entrepris de remonter la rue pour obliquer sur la gauche vers Le Frugy. Ici, je me sentais un peu chez moi, même si les hêtres de mon enfance n’avaient pas survécu à la tempête de 1987. Une tempête, un mot bien doux pour des rafales de vent qui avaient atteint les 220 km/h à Penmarch et approché les 190 km/h à Quimper, un phénomène atmosphérique qui, en d’autres régions que la Bretagne, aurait reçu une appellation plus forte : ouragan, cyclone, tornade, typhon… Pourtant la colline inspirée, comme il me plaisait de l’appeler quand je me l’appropriais à l’âge adolescent, après la découverte du roman de Maurice Barrès, gardait ce côté magique d’écrin de verdure aux abords de la ville, d’un poumon qui permettait aux cœurs des habitants de recouvrer leurs battements normaux.
Je descendais à mon rythme, perdu dans mes pensées, tantôt tournées vers le passé, avec un brin de nostalgie, tantôt vers le futur proche, avec une once d’appréhension. Les moments durs ne me faisaient pas peur, à partir de l’instant où les données étaient clairement établies et les missions bien définies. Cette fois, je me sentais le sujet central d’une guerre de nanas, que j’avais sans doute bien cherchée mais qui ressemblait à une grenade dégoupillée que je tenais dans la paume de ma main et qui risquait de me sauter à la figure, au premier soubresaut. En plus, depuis que je connaissais Sarah et que je savais qu’elle était ma fille, nous n’étions jamais restés aussi longtemps éloignés l’un de l’autre et ce contact familial me manquait cruellement. J’avais bien tenté une approche, sans résultat ; elle voulait vraiment marquer le coup !
Mes pensées allaient cependant aussi vers cet huissier mort dans des circonstances violentes qu’il serait certainement ardu d’élucider. Les paroles de l’un de ses voisins me martelaient le crâne, visant à m’orienter vers l’acte d’un client revanchard ou de la famille de l’une de ses victimes, et il devait s’en compter des dizaines à en vouloir à sa peau. Dans ce cas, pourquoi à l’étage et sans doute avec sa propre arme ?
La vision de cette famille affligée, dont les visages n’exprimaient pas davantage le chagrin après le choc de ce drame, me laissait perplexe. Le coupable se trouvait-il parmi eux ? Éprouvaient-ils une certaine forme de soulagement, plus forte que la douleur, face à la disparition d’un être vraisemblablement tyrannique ? Et puis une impression confuse, au moment de quitter la maison : Magali, l’épouse de la victime, levant les yeux vers moi pour me lancer une supplique, alors que j’étais débarqué de l’enquête, comme si elle avait cru percevoir, dans mes paroles maladroites de préambule, l’esquisse d’une relation de confiance que les ordres autoritaires de la magistrate avaient effacée aussitôt… Seulement, depuis plusieurs semaines, il me semblait avoir perdu ma faculté innée de lire dans le cœur des femmes. Problème de décodeur, sans doute…
Trouver l’arme du crime permettrait à coup sûr de répondre à la question. Seulement, où, chez qui ? Deux zones d’investigations possibles, la famille du défunt et les victimes de l’intransigeance de l’huissier. Deux équipes sur le terrain, l’une officielle, dirigée par Dominique et Carole, l’autre agissant dans l’ombre, car il n’était pas question que je capitule de la sorte. Même si, pour l’heure, je représentais l’équipe à moi tout seul… Des journées en prévision à « se tirer la bourre », bonjour l’ambiance dans le commissariat !
Dès mon arrivée à l’Hôtel des Voyageurs, je demandai à Françoise de me servir un whisky. Un bien tassé. À mon visage, elle comprit que j’avais le moral dans les chaussettes et de gros soucis avec mon entourage. Elle me demanda si mes ennuis provenaient toujours de mes relations avec la patronne de la boutique. Je haussai les épaules, peu désireux d’épiloguer sur la guerre de mes prétendantes, pour de multiples raisons. Aussi évoquai-je la mort d’Hubert Potence, l’huissier de la rue Saint-Julien. Le son de cloche de Françoise fut au diapason de celui du voisin de la victime.
— Ce type-là n’aurait pas dû s’installer en qualité d’huissier mais comme fossoyeur ! éructa-t-elle, les yeux injectés de colère. Dans le quartier, il a fait couler des dizaines de petits commerçants, sans concéder un pouce de terrain ! Comme si le marasme économique et l’impossibilité à assumer les engagements financiers ne suffisaient pas, Monsieur harcelait les malheureux jusqu’à ce qu’ils craquent. Jamais un geste social, un délai supplémentaire pour se retourner, un petit effort de compréhension, un geste de conciliation. On ne lui demandait pas de se muer en mère Teresa, juste de faire preuve d’un minimum d’humanité ! Tu sais que, moi aussi, j’ai eu affaire à lui, après un contrôle des services de l’hygiène qui m’imposaient des travaux de rénovation des sanitaires pour lesquels je ne possédais pas les fonds nécessaires ?
— Non, je l’ignorais, Soizig, mais si tu me parles en ce lieu, c’est que le grand méchant loup ne t’a pas bouffée toute crue !
— Mes parents ont accepté de me sauver la mise, je leur rembourse encore la somme qu’ils m’ont avancée, heureusement sans intérêts ni pénalités de retard ! Mais concernant Potence, ce n’était pas tout ! Il émanait de ce type une atmosphère malsaine, vicelarde, surtout avec les femmes seules ! Un petit mec insignifiant qui n’existait que par sa fonction…
— Tu peux préciser ton analyse ?
— Je sais, ce n’est pas le jour pour le salir, je pense pourtant qu’il s’agissait d’un maniaque sexuel, un pervers complexé, un refoulé aigri qui prenait son plaisir à humilier ceux qui ne risquaient pas de lui causer de soucis. Mais si quelqu’un l’a assassiné, je ne dis rien, paix à son âme torturée… N’empêche… Les femmes sentent ces choses-là, les mecs qui leur pompent, à travers les habits, un peu de leur corps et de leur intimité morale… Je ne connais rien de plus détestable, mieux vaut encore un grossier personnage qui te porte la main aux fesses ! Tu veux un second whisky ? Je vais t’accompagner et apporter des cacahuètes. Ronan ne devrait pas tarder…
On s’installa dans le salon de l’hôtel, quelques clients passèrent, des habitués, ouvriers de chantiers, représentants, touristes heureux de trouver une chambre financièrement à leur portée. Lorsque Ronan arriva, il me réclama un moment, passa un coup de fil à un collègue pour lui demander de penser à un détail dans son article, puis il vint me faire l’accolade, comme à chaque fois que nous nous rencontrions.
— Alors, maître Potence au gibet, les affaires reprennent pour toi ?
— Erreur, je ne m’occupe pas de ce dossier. Dominique l’a confié à Carole et Mario.
— Comment, on sort l’équipe de réserve pour un gros match ? s’étonna le journaliste en se servant un whisky. Cela cache quoi ? Une basse rivalité substitut-commissaire ? Une volonté de nos dirigeants d’étouffer un règlement de compte dans le monde du recouvrement de fonds en accusant un lampiste ? Finalement, c’est pour moi que les affaires reprennent !
— Tu vas un peu vite en besogne ! Je te concède juste le crêpage de chignon entre deux rivales pour une place à mes côtés. Et encore, grâce à toi, je n’ai pas à subir les reproches de Soizig… Je plaisante, je deviens sarcastique ! Si tu avais à brosser le portrait de la victime, tu dirais quoi ?
— Si j’avais été contraint de rédiger sa nécrologie, avec diplomatie, j’aurais évoqué l’officier ministériel intègre, soldat de l’ombre et des tâches ingrates, époux magnanime d’une femme handicapée, rivée à son fauteuil roulant. J’aurais insisté sur sa personnalité complexe, tiraillée entre le désir viscéral d’humanité et les impératifs rigoureux des missions qui lui étaient assignées…
— Pour un article dans un brûlot, un pamphlet à l’acide sur la vraie personnalité de l’huissier, tu aurais pondu quoi ?
— J’aurais décrit un personnage controversé, ambigu, qui semblait prendre son plaisir à humilier les gens qui rampaient déjà. Il mettait tellement d’acharnement à liquider rapidement le cas des personnes les plus démunies qu’on ne pouvait pas s’empêcher de l’imaginer pervers et vicieux. Il se disait même que, s’il s’agissait de jeunes femmes bien faites et plutôt naïves, il assouvissait ses fantasmes en leur promettant, en échange de leurs faveurs, une remise de dette, comme on prend une gratification, au passage, pour un service. Et pour bien isoler l’individu et ne pas affoler la population, j’aurais conclu par une précision essentielle : maître Hubert Potence représentait le mouton noir d’une profession qui, par ailleurs, compte dans ses rangs une large majorité de membres corrects et soucieux de l’honneur de leurs interlocuteurs. Lui, pour avoir trop longtemps refoulé ses penchants les plus pervers, peut-être aussi du fait qu’il ne pouvait plus bénéficier du corps de son épouse, avait vu ses bas instincts resurgir un matin, du fond de ses entrailles, pour le transformer en bête immonde. Un cas isolé, mais viscéralement répugnant !
— Tu me fais froid dans le dos ! Tu possèdes là les ingrédients d’un article au vitriol !
— Des rumeurs, juste des rumeurs, Cap ! Pour toi comme pour moi ! Même des proches qui m’ont confié leurs secrets, en me faisant promettre de ne jamais les publier, reviendraient sur leurs propos, si tu leur demandais de les confirmer… Sans parler du parapluie ouvert par l’ordre des huissiers. T’attaquer à Hubert Potence, dans le cadre de sa profession, ce serait, d’une part, affronter ses confrères qui refuseraient de se voir traîner dans la boue, pour les excès d’un seul des leurs, et surtout, de l’autre côté, te heurter à un système de recouvrement mis au point par de nouvelles sociétés, prêtes à utiliser toutes les méthodes pour satisfaire leurs clients…
— Comme quoi ?
— Des organismes rachètent les créances, moyennant un rabais, et se chargent ensuite de rentrer dans leurs frais, en utilisant l’intimidation, la force, la violence, tout procédé coercitif, légal ou non ! Et pour peu qu’un huissier leur serve de rabatteur…
— J’en ai assez entendu ! soupirai-je en me levant d’un bond. De toute manière, le préfet ne veut pas de vagues et, de plus, je ne suis pas chargé de l’enquête ! Je vais aller manger un bout au Colibri, dans l’espoir d’y rencontrer Sarah, ou au moins Rose-Marie. Je ne pensais pas que ma fille me manquerait à ce point ! Bonne soirée à vous deux, je prends la clé de la porte d’entrée, je risque de rentrer tard me coucher, si je ne traîne pas mon spleen toute la nuit dans les rues de la ville… Merci pour la prise de tête, Ronan ! Dire que je pensais que Quimper restait une ville calme !
— Mon pauvre Cap, voilà les résultats concrets de la mondialisation ! D’un côté, tu peux acheter en toute saison des papayes ou des mangues, tu trouves des vins chiliens ou australiens moins chers que les nôtres. De l’autre, désormais, les magouilles de partout ont également cours au coin de nos rues, par les vertus d’une législation européenne moins tatillonne que celle de Marianne et de l’ouverture des frontières nous plaçant en prise directe avec les méthodes anglo-saxon-nes de recouvrement de fonds et les pratiques scélérates de la mafia napolitaine !
Au Colibri, pas davantage de traces de Sarah que de Rose-Marie… Ma fille se trouvait à Bénodet, auprès de mon père, sa copine l’avait sans doute accompagnée, avant de la suivre pour une soirée entre filles, comme elles en avaient l’habitude. Jean-Luc, le patron du bar, m’assura que Sarah allait bientôt revenir vers moi. Il l’avait entendue me défendre quand Carole avait voulu remuer le couteau dans la plaie. Son épouse Isabelle qui avait suivi notre conversation, sortit de la cuisine pour venir me faire la bise.
— Ne t’inquiète pas, tout va rentrer dans l’ordre, il faut laisser du temps au temps ! Tu dois juste posséder en toi la conviction de la solidité de tes sentiments envers Radia, car sinon, tu auras causé bien des dégâts pour peu de chose ! Je l’aime bien, cette Beurette, elle trace son sillon avec force et détermination. Bien sûr, elle pourrait être ta fille, alors que le procureur correspond mieux à la femme qui saurait t’épauler solidement…
— De quoi te mêles-tu à présent ? s’emporta son mari, torchon dans la main. Te voilà devenue madame Soleil, capable de dire quelle femme représente le meilleur complément pour Paul ! Une chance que ce ne soit pas toi, encore ! Allez, viens t’installer à notre table, on allait juste dîner ! Un reste de coq au vin de midi. Heureusement qu’Isa demeure meilleure cuisinière que marieuse…
— Hubert Potence, tu en penses quoi, Jean-Luc ? Quelle image avais-tu de lui, qu’en disaient tes clients ?
— Un personnage étonnant, en vérité. Il venait parfois ici boire un café, entre deux rendez-vous. Tu vois, je connais des gars qui en imposent par leur personnalité ; tu en fais partie. Flic ou pas flic, tu resterais l’individu que j’ai en face de moi. D’autres existent par leur statut : une profession, une distinction, le simple fait d’accéder à la présidence d’une petite association. Pour moi, sorti de son costard gris, étriqué, de petit huissier, Potence n’était rien. Un kapo dans un camp de détenus… Sa seule puissance provenait du pouvoir hypothétique que lui conférait l’acte de procédure qu’il lui avait été demandé de signifier à ses interlocuteurs. S’il recelait l’âme d’un humaniste, il cachait bien son jeu…
— Et que faisais-tu cet après-midi, vers seize heures ? Non, ne fais pas cette tronche, je déconne ! De toute manière, Dominique m’a débarqué de l’affaire ! Allez, sors un bon pommard de ta cave, tu mettras la bouteille sur ma note, c’est moi qui régale ! On ne va tout de même pas déguster le somptueux coq au vin d’Isabelle avec un gros rouge qui tache…
Le jeudi matin, en arrivant au bureau, je découvris “l’équipe du procureur” excitée devant quelques résultats d’analyse balistique et des procès-verbaux de déposition. Je m’installai à mon bureau en gardant une oreille ouverte sur les informations extérieures, cela pouvait toujours servir. En synthèse, Carole se focalisait sur la piste familiale, imaginant difficilement une personne extérieure venir chercher l’huissier chez lui, juste ce mercredi après-midi où il ne se trouvait pas à son étude. De loin, je l’entendais soumettre sa théorie à Hervé Fouilloux, très embarrassé de ne pas me voir associé à la réflexion de l’équipe, pas plus que Sarah qui pointait aux abonnés absents ce matin encore.
— Il a été rapidement établi que Potence était un despote envers les siens, argumentait Carole sur un ton sans appel. D’abord, pour les enfants, il n’était pas le père, mais le beau-père, car il s’agissait d’un remariage. Le fils, Joachim, n’a pas caché son animosité envers un salaud qui « faisait du fric sur le dos des gens en difficulté », je le cite, quand il s’est lâché, en fin de journée. Son beau-père, Mathurin Jacquet, nous a exprimé à demi-mot qu’il regrettait le jour où il avait présenté sa fille, récemment divorcée, à Hubert Potence, pour lui permettre de récupérer la pension de son premier mari. Dès cet instant, cet homme maléfique avait jeté son dévolu sur cette jeune maman divorcée en quête de protection. Enfin, Olivier, le frère de Magali, beau-frère du défunt donc, a fini par nous cracher qu’il avait un jour menacé son beauf de lui casser la figure s’il continuait à maltraiter sa sœur. Certes, c’était avant la chute accidentelle de Magali dans l’escalier, car par la suite, Hubert Potence était aux petits soins pour sa femme, quasiment un saint homme !