Les Louves de Machecoul - Dumas Alexandre - E-Book

Les Louves de Machecoul E-Book

Dumas Alexandre

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Beschreibung

Filles jumelles et bâtardes d'un ancien combattant royaliste de 1793, le marquis de Souday, Mary et Bertha, auxquelles on prête, bien à tort, une sulfureuse réputation, sont cruellement surnommées «les louves de Machecoul». Loin de ces médisances, elles vivent sereinement leur solitude jusqu'au jour où le sort place sur le chemin deux nouveaux personnages : le baron Michel de la Logerie, fils d'un bourgeois enrichi par l'Empire, et Marie-Caroline de Bourbon, duchesse de Berry, qui veut offrir le trône de France à son fils en réveillant l'esprit royaliste vendéen.

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Seitenzahl: 426

Veröffentlichungsjahr: 2019

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Les Louves de Machecoul

Pages de titreIIIIIIIVVVIVIIVIIIIXXXIXIIXIIIXIVXVXVIXVIIXVIIIXIXXXXXIXXIIXXIIIXXIVXXVXXVIXXVIIXXVIIIXXIXXXXXXXIXXXIIXXXIIIXXXIVXXXVXXXVIXXXVIIXXXVIIIXXXIXXLÉpiloguePage de copyright

Alexandre Dumas

Les Louves de Machecoul

Tome 2

I

Un peu d’histoire ne gâte rien

Le voyageur fut conduit, par un mauvais escalier qui semblait collé contre la muraille, jusqu’au premier étage de la maison ; son conducteur ouvrit une porte et aperçut une grande chambre de construction récente.

Dans cette chambre, couchée, il aperçut une femme et Mme la duchesse de Berry.

L’attention de Me Marc se concentra tout entière sur elle.

À la lueur des deux bougies, la duchesse dépouillait sa correspondance.

Un assez grand nombre de lettres placées sur cette même table de nuit, et maintenues en guise de serre-papier par une seconde paire de pistolets, n’était pas encore décachetées.

Madame paraissait attendre avec impatience l’arrivée du voyageur, car, en l’apercevant, elle sortit à moitié du lit pour tendre vers lui ses deux mains.

Celui-ci les prit, les baisa respectueusement, et la duchesse sentit une larme qui tombait des yeux du fidèle partisan sur celle des deux mains qu’il avait gardée dans les siennes.

– Une larme, monsieur ! dit la duchesse ; m’apportez-vous de mauvaises nouvelles ?

– Cette larme, madame, répondit Me Marc, n’exprime que mon dévouement et le profond regret que j’éprouve de vous voir ainsi isolée et perdue, au fond d’une métairie de la Vendée, vous que j’ai vue...

Il s’arrêta ; les larmes l’empêchaient de parler.

La duchesse reprit sa phrase où il l’avait laissée, et continua :

– Oui, aux Tuileries, n’est-ce pas, sur les marches d’un trône ? Eh bien ! cher monsieur, j’y étais, à coup sûr, plus mal gardée et moins bien servie qu’ici, car ici je suis servie et gardée par la fidélité qui se dévoue, tandis que là-bas, je l’étais par l’intérêt qui calcule... Mais, arrivons au but, que je ne vous vois pas éloigner sans inquiétude, je l’avoue. Des nouvelles de Paris, vite ! M’apportez-vous de bonnes nouvelles ?

– Croyez, madame, répondit Me Marc, à mon profond regret, moi, homme d’enthousiasme, d’avoir été forcé de me faire le messager de la prudence.

– Ah ! ah ! fit la duchesse, pendant que mes amis de Vendée se font tuer, mes amis de Paris sont prudents, à ce qu’il paraît. Vous voyez bien que j’avais raison de vous dire que j’étais ici mieux gardée et surtout mieux servie qu’aux Tuileries.

– Mieux gardée peut-être, oui, madame ; mais mieux servie, non ! Il y a des moments où la prudence est le génie du succès.

– Mais, monsieur, reprit la duchesse impatiente, je suis aussi bien renseignée sur Paris que vous, et je sais qu’une révolution y est instante.

– Madame, répondit l’avocat de sa voix ferme et sonore, nous vivons depuis un an et demi dans les émeutes, et aucune de ces émeutes n’a pu monter encore à la hauteur d’une révolution.

– Louis-Philippe est impopulaire.

– Je vous l’accorde ; mais cela ne veut pas dire qu’Henri V soit populaire, lui.

– Henri V ! Henri V ! mon fils ne s’appelle pas Henri V, monsieur, fit la duchesse ; il s’appelle Henri IV second.

– Sous ce rapport, madame, repartit l’avocat, il est bien jeune encore, permettez-moi de vous le dire, pour que nous sachions son vrai nom ; puis, plus on est dévoué à un chef, plus on lui doit la vérité.

– Oh ! oui, la vérité ! je la demande, je la veux ; mais la vérité !

– Eh bien ! madame, la vérité, la voici. Pour le peuple français, il y a deux grands souvenirs, dont le premier remonte à quarante-trois ans et le second à dix-sept ; le premier, c’est la prise de la Bastille, victoire qui a donné le drapeau tricolore à la nation ; le second, c’est la double restauration de 1814 et de 1815, victoire de la royauté sur le peuple, victoire qui a imposé le drapeau blanc au pays. Or, madame, dans les grands mouvements, tout est symbole ; le drapeau tricolore, c’est la liberté ; il porte écrit sur sa flamme : par ces signes, tu vaincras ! le drapeau blanc, c’est la bannière du despotisme ; il porte sur sa double face : par ce signe, tu as été vaincu !

– Monsieur !

– Vous avez quitté Paris le 28 juillet, madame ; vous n’avez donc pas vu avec quelle rage le peuple a mis en pièces le drapeau blanc et foulé aux pieds les fleurs de lis...

– Le drapeau de Denain et de Taillebourg ! les fleurs de lis de saint Louis et de Louis XIV !

– Par malheur, madame, le peuple ne se souvient, lui, que de Waterloo ; le peuple ne connaît que Louis XVI : une défaite et une exécution... Eh bien ! savez-vous, madame, la grande difficulté que je prévois pour votre fils, c’est-à-dire pour le dernier descendant de saint Louis et de Louis XIV ? C’est justement le drapeau de Taillebourg et de Denain. Si Sa Majesté Henri V, ou Henri IV second, comme vous l’appelez, rentre dans Paris avec le drapeau blanc, il ne passera pas le faubourg Saint-Antoine ; avant d’arriver à la Bastille, il est mort.

– Et... s’il rentre avec le drapeau tricolore ?

– C’est bien pis, madame ! avant d’arriver aux Tuileries, il est déshonoré.

La duchesse fit un soubresaut ; pourtant, elle resta muette.

– C’est peut-être la vérité, dit-elle après une minute de silence ; mais elle est dure !

– Je vous l’ai promise tout entière, et je tiens ma promesse.

– Mais, si telle est votre conviction, monsieur, demanda la duchesse, comment restez-vous attaché à un parti qui n’a aucune chance de succès ?

– Parce que j’ai fait serment des lèvres et du cœur à ce drapeau blanc, sans lequel et avec lequel votre fils ne peut revenir, et que j’aime mieux être tué que déshonoré.

La duchesse redevint muette un instant encore.

– Ce ne sont point là les renseignements que j’avais reçus et qui m’ont déterminée à revenir en France. En somme, qu’apportez-vous dans les plis de votre toge, maître Cicéron ? est-ce la paix ? est-ce la guerre ?

– Comme il est entendu que nous restons dans les traditions de la royauté constitutionnelle, je répondrai à Son Altesse royale qu’en sa qualité de régente, c’est à elle qu’il appartient d’en décider.

– Enfin, vous avez dû recueillir les opinions de mes fidèles et féaux conseillers sur l’opportunité de la prise d’armes. Quelle est-elle ? qu’en pensez-vous vous-même ? Nous avons parlé de la vérité ; c’est parfois un spectre terrible. N’importe ! quoique femme, je n’hésite pas à l’évoquer.

– C’est parce que je suis bien convaincu qu’il y a l’étoffe de vingt rois dans la tête et dans le cœur de madame que je n’ai point hésité non plus à me charger d’une mission que je regarde comme douloureuse.

– Ah ! nous y voilà enfin !... Allons, moins de diplomatie, Me Marc ; parlez haut et ferme, comme il convient que l’on parle à ce que je suis ici, c’est-à-dire à un soldat.

Puis s’apercevant que le voyageur, après avoir arraché sa cravate, cherchait à la découdre pour en tirer un papier :

– Donnez, donnez, dit-elle avec impatience ; j’aurai plus tôt fait que vous.

C’était une lettre écrite en chiffres.

La duchesse y jeta les yeux, puis, la rendant à Me Marc :

– Lisez-la-moi , cela doit vous être facile ; car vous savez sans doute ce qu’elle contient.

Me Marc prit le papier des mains de la duchesse, et, en effet, lut sans hésitation ce qui suit :

Les personnes en qui l’on a reporté une honorable confiance ne peuvent s’empêcher de témoigner leur douleur des conseils en vertu desquels on est arrivé à la crise présente ; ces conseils ont été donnés, sans doute, par des hommes pleins de zèle, mais qui ne connaissent ni l’état actuel des choses, ni la disposition des esprits.

On se trompe quand on croit à la possibilité d’un mouvement dans Paris ; on ne trouverait pas douze cents hommes non mêlés d’agents de police qui, pour quelques écus, fissent du bruit dans la rue et se risquassent à combattre la garde nationale et une garnison fidèle.

On se trompe sur la Vendée, comme on s’est trompé sur le Midi : cette terre de dévouement et de sacrifices est désolée par une nombreuse armée aidée de la population des villes, presque toute anti-légitimiste ; une levée de paysans n’aboutirait désormais qu’à faire saccager les campagnes et à consolider le gouvernement par un triomphe facile.

On pense que, si la mère d’Henri V était en France, elle devrait se hâter d’en sortir après avoir ordonné à tous les chefs de se tenir tranquilles. Ainsi, au lieu d’être venue organiser la guerre civile, elle serait venue demander la paix ; elle aurait eu la double gloire d’accomplir une action de grand courage et d’arrêter l’effusion du sang français.

Les sages amis de la légitimité, que l’on n’a jamais prévenus de ce que l’on voulait faire, qui n’ont jamais été consultés sur les partis hasardeux que l’on voulait prendre, et qui n’ont connu les faits que lorsqu’ils étaient accomplis, renvoient la responsabilité de ces faits à ceux qui en ont été les conseillers et les auteurs ; ils ne peuvent ni mériter l’honneur ni encourir le blâme dans les chances de l’une ou de l’autre fortune.

Pendant cette lecture, madame avait été en proie à une vive agitation ; sa figure, habituellement pâle, s’était couverte de rougeur ; sa main tremblante passait et repassait dans ses cheveux et repoussait en arrière le bonnet de laine qu’elle portait sur sa tête. Elle n’avait pas prononcé un mot, elle n’avait point interrompu le lecteur ; mais il était évident que son calme précédait une tempête. Pour la détourner, Me Marc se hâta de dire, en lui rendant la lettre, qu’il avait repliée :

– Ce n’est point moi, madame, qui ai écrit cette lettre.

– Non, répondit la duchesse, incapable de se contenir plus longtemps ; mais celui qui l’a apportée était bien capable de l’écrire.

Le voyageur comprit qu’avec cette nature vive et impressionnable, il ne gagnerait rien en courbant la tête ; il se redressa donc de toute sa hauteur.

– Oui, dit-il ; et il rougit d’un moment de faiblesse, et il déclare à Votre Altesse royale que, s’il n’approuve pas certaines expressions de cette lettre, il partage au moins le sentiment qui l’a dictée.

– Le sentiment ! répéta la duchesse ; appelez ce sentiment-là de l’égoïsme, appelez-le de la prudence qui ressemble fort à de la...

– Lâcheté, n’est-ce pas, madame ? Et, en effet, il est bien lâche, le cœur qui a tout quitté pour venir partager une situation qu’il n’avait pas conseillée ! Il est vraiment égoïste, celui qui est venu vous dire : « Vous voulez la vérité, madame, la voici ! mais, s’il plaît à Votre Altesse royale de marcher à une mort inutile autant que certaine, elle va m’y voir marcher à ses côtés ! »

La duchesse resta quelques instants silencieuse ; puis elle reprit avec plus de douceur :

– J’apprécie votre dévouement, monsieur ; mais vous connaissez mal l’état de la Vendée ; vous n’en êtes informé que par ceux qui sont opposés au mouvement.

– Soit ; supposons ce qui n’est pas, supposons que la Vendée va se lever comme un seul homme ; supposons qu’elle va vous entourer de ses bataillons, supposons qu’elle ne vous marchandera ni le sang, ni les sacrifices ; la Vendée n’est pas la France !

– Après m’avoir dit que le peuple de Paris hait les fleurs de lis et méprise le drapeau blanc, voulez-vous en arriver à me dire que toute la France partage les sentiments du peuple de Paris ?

– Hélas ! madame, la France est logique, et c’est nous qui poursuivons une chimère en rêvant une alliance entre le droit divin et la souveraineté populaire, deux mots qui hurlent en se sentant accouplés. Le droit divin semble fatalement conduire à l’absolutisme, et la France ne veut plus de l’absolutisme.

– L’absolutisme ! l’absolutisme ! un grand mot pour effrayer les petits enfants.

– Non, ce n’est point un grand mot ; c’est tout simplement un mot terrible. Peut-être sommes-nous plus près de la chose que nous ne le pensons ; cependant j’ai regret de vous l’avouer, madame, je ne crois point que ce soit à votre royal fils que Dieu réserve le dangereux honneur de museler le lion populaire.

– Et pourquoi, monsieur ?

– Parce que c’est de lui surtout qu’il se défie, parce que, d’aussi loin qu’il le verra venir, le lion secouera sa crinière, aiguisera ses griffes et ses dents, et ne le laissera approcher que pour bondir à lui. Oh ! l’on n’est pas impunément le petit-fils de Louis XIV, madame.

– Ainsi, à votre avis, je dois renoncer à toutes mes espérances, abandonner mes amis compromis, et, dans trois jours, quand ils prendront les armes, les laisser me chercher inutilement dans leurs rangs, et leur faire dire par un étranger : « Marie-Caroline, pour laquelle vous étiez prêts à combattre, à mourir, a reculé devant la destinée ; Marie-Caroline a eu peur... » Oh ! non, jamais, jamais, monsieur !

– Vos amis n’auront pas ce reproche à vous faire, madame ; car, dans trois jours, vos amis ne se réuniront pas. Ils ont dû recevoir contre-ordre.

– Quand cela ?

– Aujourd’hui.

– Aujourd’hui ? s’écria la duchesse, en fronçant le sourcil, et en se dressant sur ses deux poings. Et d’où leur est venu cet ordre ?

– De Nantes. Et de celui à qui vous-même leur avez commandé d’obéir.

– Le maréchal ?

– Le maréchal n’a fait que suivre les instructions du comité parisien.

– Mais alors, s’écria la duchesse, je ne suis donc plus rien, moi ?

– Vous, madame, au contraire, s’écria le messager en se laissant tomber sur un genou et en joignant les mains ; vous êtes tout, et c’est pour cela que nous vous sauvegardons, que nous ne voulons pas vous user dans un mouvement inutile, que nous tremblons de vous dépopulariser par une défaite !

– Monsieur, monsieur, dit la duchesse, si Marie-Thérèse avait eu des conseillers aussi timides que les miens, elle n’eût pas reconquis le trône à son fils.

– C’est, au contraire, pour l’assurer plus tard au vôtre, madame, que nous vous disons : « Quittez la France et laissez-nous faire de vous l’ange de la paix, au lieu du démon de la guerre ! » Toutes les précautions sont prises pour que madame puisse quitter la France sans être inquiétée ; un navire croise dans la baie de Bourgneuf ; en trois heures, Votre Altesse peut l’avoir joint.

– Ô noble terre de la Vendée ! s’écria la duchesse, qui m’aurait dit cela, que tu me repousserais, que tu me chasserais quand je venais au nom de ton Dieu et de ton roi !

– Vous partirez, n’est-ce pas, madame ? dit le messager, toujours à genoux et les mains jointes.

– Oui, je partirai, dit la duchesse ; oui, je quitterai la France ; mais prenez garde, je n’y reviendrai pas ; car je ne veux pas y revenir avec les étrangers. Ils n’attendent qu’un moment pour se coaliser contre Louis-Philippe, vous le savez bien, et, ce moment arrivé, ils viendront me demander mon fils, non pas qu’ils s’inquiètent plus de lui véritablement qu’ils ne s’inquiétaient de Louis XVI en 1792 et de Louis XVIII en 1813, mais ce sera un moyen pour eux d’avoir un parti à Paris. Eh bien, alors, non, ils n’auront pas mon fils ; non, ils ne l’auront pour rien au monde ! Je l’emporterai plutôt dans les montagnes de la Calabre. Et maintenant, je n’ai plus rien à vous dire. Allez, monsieur, et reportez mes paroles à ceux qui vous ont envoyé.

À peine la porte se fut-elle refermée derrière lui, que madame, brisée par ce long effort, retomba sur son lit en éclatant en sanglots et en murmurant :

– Oh ! Bonneville ! mon pauvre Bonneville !

II

Où Petit-Pierre se décide à faire contre fortune bon cœur

Immédiatement après la conversation que nous venons de rapporter, le voyageur quitta la métairie de la Banlœuvre ; il tenait à être de retour à Nantes avant le milieu de la journée.

Quelques minutes après son départ, et bien que le jour parût à peine, Petit-Pierre, sous ses habits de paysan, descendit de sa chambre et entra dans la salle basse de la ferme. Lorsqu’il ouvrit la porte, un homme qui se chauffait sous le manteau de la cheminée se leva et s’éloigna respectueusement, pour céder au nouvel arrivant sa place en face du foyer.

Mais Petit-Pierre lui fit signe de la main de reprendre sa chaise, tout en la repoussant dans le coin.

Petit-Pierre prit une escabelle et s’assit à l’autre coin, vis-à-vis de cet homme, qui n’était autre que Jean Oullier.

Puis il posa sa tête sur sa main, appuya son coude sur son genou, et resta abîmé dans ses réflexions.

Jean Oullier, lui aussi, demeurait morne et silencieux.

Malgré les préoccupations dont il était lui-même agité, Petit-Pierre remarqua les nuages qui chargeaient le front du paysan.

Il rompit le silence.

– Mais qu’avez-vous donc, mon cher Jean Oullier, demanda-t-il, et pourquoi cet air morose, lorsque j’aurais cru, au contraire, vous trouver tout joyeux ?

– Et pourquoi serais-je joyeux ? demanda le vieux garde.

– Mais parce qu’un bon et fidèle serviteur comme vous prend toujours part au bonheur de ses maîtres, et que notre amazone a l’air assez satisfait, depuis vingt-quatre heures, pour que cette joie se reflète un peu sur votre visage.

– Dieu veuille qu’elle dure longtemps, cette joie ! répondit Jean Oullier, avec un sourire de doute et en levant les yeux au ciel.

– Comment donc, mon cher Jean ! Auriez-vous quelque prévention contre les mariages d’inclination ? Moi, je les aime à la folie ; ce sont les seuls dans toute ma vie dont j’aie voulu me mêler.

– Je n’ai point de prévention contre le mariage, répondit Jean Oullier ; seulement, j’en ai contre le mari.

– Et pourquoi ?

– Parce qu’il y a une flétrissure sur le nom que doit porter la femme qu’épousera M. Michel de la Logerie, et ce n’est pas la peine de quitter un des plus vieux noms du pays pour prendre celui-là.

– Hélas ! mon brave Jean, reprit Petit-Pierre avec un triste sourire, vous ignorez sans doute que nous ne sommes plus au temps où les enfants étaient solidaires des vertus ou des fautes de leurs ancêtres.

– Oui, j’ignorais cela, dit Jean Oullier.

– C’est, continua Petit-Pierre, une assez forte tâche, à ce qu’il paraît, pour les gens de nos jours, que d’avoir à répondre d’eux-mêmes ; aussi, voyez combien y succombent ! combien manquent dans nos rangs, auxquels le nom qu’ils portent y assignait une place ! Soyons donc reconnaissants pour ceux qui, malgré l’exemple de leur père, malgré la situation de leur famille, malgré les tentations de l’ambition, viennent continuer au milieu de nous les traditions chevaleresques du dévouement et de la fidélité au malheur.

Jean Oullier releva la tête, et, avec une expression de haine qu’il ne chercha même pas à dissimuler :

– Mais vous ignorez peut-être... dit-il.

Petit-Pierre l’interrompit.

– Je n’ignore rien, dit-il. Je sais ce que vous reprochez à la Logerie père ; mais je sais aussi ce que je dois à son fils, blessé pour moi, et encore tout sanglant de cette blessure. Quant au crime de son père, – si son père a véritablement commis un crime, ce qu’à Dieu seul il appartient de décider, – ce crime, ne l’a-t-il pas expié par une mort violente ?

– Oui, répondit Jean Oullier, en baissant malgré lui la tête ; c’est vrai.

– Oseriez-vous pénétrer le jugement de la Providence ? oseriez-vous prétendre que celui devant lequel, à son tour, il a comparu, pâle et ensanglanté d’une mort violente et inattendue, n’a pas étendu sa miséricorde sur sa tête ? Et pourquoi, lorsque Dieu peut-être a été satisfait, pourquoi vous montreriez-vous plus rigoureux et plus implacable que Dieu ?

Jean Oullier écoutait sans répondre.

C’est que chacune des paroles de Petit-Pierre faisait vibrer les cordes religieuses de son âme, ébranlait ses convictions haineuses à l’endroit du baron Michel, mais ne parvenait point à les déraciner tout à fait.

– Monsieur Michel, poursuivit Petit-Pierre, est un bon et brave jeune homme ; il est riche, et je crois que votre jeune maîtresse, avec son caractère un peu entier, avec ses habitudes indépendantes, ne pouvait mieux rencontrer ; je suis convaincu qu’elle sera parfaitement heureuse avec lui. N’en demandons pas davantage à Dieu, mon pauvre Jean Oullier. Oubliez le passé, ajouta Petit-Pierre avec un soupir. Hélas ! s’il nous fallait nous souvenir, il n’y aurait plus moyen de rien aimer.

Jean Oullier secoua la tête.

– Monsieur Petit-Pierre, dit-il, vous parlez à merveille et en excellent chrétien ; mais il est des choses que l’on ne peut comme on le voudrait chasser de sa mémoire, et, malheureusement pour monsieur Michel, mes rapports avec son père ont été de ces choses-là.

– Je ne vous demande point vos secrets, Jean, répondit gravement Petit-Pierre ; mais le jeune baron, comme je vous l’ai déjà dit, a répandu son sang pour moi ; il a été mon guide, il m’a offert un asile dans cette maison qui est la sienne ; j’ai pour lui plus que de l’affection, j’ai de la reconnaissance, et ce me serait un véritable chagrin de penser que la désunion règne parmi mes amis. Aussi, mon cher Jean Oullier, au nom du dévouement que je vous reconnais pour ma personne, je vous demande d’étouffer votre haine jusqu’à ce que le temps, jusqu’à ce que la certitude que le fils de celui qui fut votre ennemi fait le bonheur de la jeune fille que vous avez élevée, aient pu effacer cette haine de votre âme.

– Que le bonheur vienne du côté qu’il plaira à Dieu, et j’en remercierai Dieu ; mais je ne crois pas qu’il entre au château de Souday avec monsieur Michel.

– Et pourquoi cela, s’il vous plaît, mon brave Jean ?

– Parce que plus je vais, monsieur Petit-Pierre, plus je doute de l’amour de monsieur Michel pour mademoiselle Bertha.

Petit-Pierre haussa les épaules avec impatience.

– Permettez-moi, mon cher Jean Oullier, dit-il, de douter un peu de votre perspicacité en amour.

– C’est possible, repartit le vieux Vendéen ; mais, si cette union avec mademoiselle Bertha, c’est-à-dire le plus grand honneur que puisse espérer le jeune homme, comble les vœux de votre protégé, pourquoi donc a-t-il été si pressé de quitter la métairie et a-t-il passé la nuit à errer comme un fou ?

– S’il a erré toute la nuit, répondit Petit-Pierre, c’est que le bonheur l’empêchait de se tenir en place, et, s’il a quitté la métairie, c’est, selon toute probabilité, pour les besoins de notre service.

– Je le souhaite ; je ne suis pas de ceux qui ne pensent qu’à eux-mêmes, et, bien que décidé à sortir de la maison le jour où le fils de Michel y entrera, je n’en prierai pas moins Dieu, matin et soir, pour qu’il fasse le bonheur de l’enfant, et, en même temps, je veillerai sur cet homme ; je tâcherai que mes pressentiments ne se réalisent pas, et qu’au lieu du bonheur qu’il promet à sa femme, ce ne soit pas le désespoir qu’il lui apporte.

– Merci, Jean Oullier ! Ainsi, je puis espérer que vous ne montrerez plus les dents à mon jeune protégé ; n’est-ce pas, vous me le promettez ?

– Je garderai ma haine et ma méfiance au fond de mon cœur, pour ne les en tirer que s’il justifiait l’une ou l’autre ; c’est tout ce que j’oserai vous promettre ; mais ne me demandez ni de l’aimer, ni de l’estimer.

– Race indomptable ! dit Petit-Pierre à demi-voix ; il est vrai que c’est ce qui te fait grande et forte.

– Oui, répondit Jean Oullier à l’espèce d’aparté de Petit-Pierre, prononcé assez haut pour qu’il eût été entendu du vieux Vendéen ; oui, nous n’avons guère, nous autres, qu’une haine et qu’un amour ; mais est-ce vous qui vous en plaindrez, monsieur Petit-Pierre ?

Et il regarda fixement le jeune homme comme s’il lui portait un respectueux défi.

– Non, reprit ce dernier ; je m’en plaindrai d’autant moins que c’est à peu près tout ce qui reste à Henri V de sa monarchie de quatorze siècles, et cela ne suffit pas, paraît-il.

– Qui dit cela ? fit le Vendéen en se levant, et d’un ton presque menaçant.

– Vous le saurez tout à l’heure. Nous venons de parler de vos affaires, Jean Oullier, et je ne le regrette pas ; car cette causerie a fait trêve à de bien tristes pensées. Maintenant, il est temps de m’occuper un peu des miennes. Quelle heure est-il ?

– Quatre heures et demie.

– Allez réveiller nos amis ; la politique les laisse dormir, eux ; mais, moi, je ne le saurais ; car ma politique, c’est de l’amour maternel. Allez, mon ami !

Jean Oullier sortit. Petit-Pierre, la tête inclinée, fit quelques tours dans la chambre ; il frappa du pied avec impatience, il se tordit les mains avec désespoir. Lorsqu’il revint devant l’âtre, deux grosses larmes roulaient le long de ses joues et sa poitrine semblait oppressée. Alors, il se jeta à genoux, et, joignant les mains, il pria Dieu d’éclairer ses résolutions, de lui donner la force indomptable de continuer sa tâche, ou la résignation de subir son malheur.

III

Comment Jean Oullier prouva que, lorsque le vin est tiré, il n’y a rien de mieux à faire que de le boire

Quelques instants après, Gaspard, Louis Renaud et le marquis de Souday entrèrent dans la pièce.

En apercevant Petit-Pierre, qui restait abîmé dans sa méditation et dans sa prière, ils s’arrêtèrent sur le seuil, et le marquis de Souday, qui, comme au bon temps, avait cru à propos de saluer la diane par une chanson, s’interrompit respectueusement.

Mais Petit-Pierre avait entendu ouvrir la porte ; il se releva, et, s’adressant aux nouveaux venus :

– Approchez, messieurs, et pardonnez-moi d’avoir interrompu votre sommeil ; mais j’avais à vous communiquer des déterminations importantes.

– C’est nous qui avons à demander pardon à Votre Altesse royale de n’avoir pas prévenu sa volonté, d’avoir dormi lorsque nous pouvions lui être utile, dit Louis Renaud.

– Trêve de compliments, mon ami, interrompit Petit-Pierre ; cet apanage de la royauté triomphante est mal venu au moment où elle s’abîme pour la seconde fois.

– Que voulez-vous dire ?

– Je veux dire, mes bons et chers amis, reprit Petit-Pierre en tournant le dos à la cheminée, tandis que les Vendéens faisaient cercle autour de lui, je veux dire que je vous ai appelés pour vous rendre votre parole et vous faire mes adieux.

– Nous rendre notre parole ! nous faire vos adieux ! s’écrièrent les jeunes partisans étonnés. Votre Altesse royale songerait-elle à nous quitter ?

– Il le faut, cependant. On me le conseille, on m’en conjure.

– Mais qui ?

– Des gens dont je ne puis suspecter ni l’intelligence, ni le dévouement, ni la fidélité.

– Mais sous quel prétexte ? pour quelles raisons ?

– Il paraît que la cause royaliste est désespérée même en Vendée ; que le drapeau blanc n’est plus qu’un haillon que la France répudie ; qu’il est faux que nous ayons des sympathies dans l’armée, que le Bocage soit une seconde fois prêt à se lever comme un seul homme pour défendre les droits d’Henri V !

– Mais, interrompit le noble Vendéen qui avait momentanément changé un nom illustré dans la première guerre contre celui de Gaspard, de qui viennent ces avis ? qui parle de la Vendée avec cette assurance ?

– Différents comités royalistes, de l’opinion desquels nous avons à tenir compte.

– Les comités royalistes ! s’écria le marquis de Souday. Ah ! parbleu ! je connais cela, et, si madame veut m’en croire, nous ferons de leur avis ce que feu M. le marquis de Charette faisait de l’avis des comités royalistes de son temps !

Petit-Pierre ne put s’empêcher de sourire.

– M. de Charette était un souverain absolu dans son camp, et la régente Marie-Caroline ne sera jamais qu’une régente très constitutionnelle. Le mouvement projeté ne doit réussir qu’à la condition d’une entente complète entre tous ceux qui peuvent souhaiter son succès ; or, cette entente existe-t-elle, je vous le demande, lorsque, la veille du combat, on vient prévenir le général que les trois quarts de ceux sur lesquels il croyait pouvoir compter ne se trouveront point au rendez-vous ?

– Eh ! qu’importe ! s’écria le marquis de Souday ; moins nous serons à ce rendez-vous, plus la gloire sera grande pour ceux qui s’y trouveront.

– De combien d’hommes croyez-vous que nous puissions disposer en ce moment ? demanda Petit-Pierre à Gaspard.

– Dix mille au premier signal.

– Hélas ! dit Petit-Pierre, c’est beaucoup et ce n’est point assez : le roi Louis-Philippe, outre la garde nationale, dispose de quatre cent quatre-vingt mille hommes de troupes !

– Mais les défections, mais les officiers démissionnaires ! objecta le marquis.

– Eh bien ! reprit Petit-Pierre, en se tournant vers Gaspard, je mets entre vos mains mes destinées et celles de mon fils. Dites-moi, assurez-moi, et cela sur votre honneur de gentilhomme, que, contre dix chances contraires, nous en avons deux favorables, et, loin de vous ordonner de déposer les armes, je reste au milieu de vous pour partager vos périls et votre sort.

À cet appel direct, non plus à ses sentiments, mais à sa conviction, Gaspard courba la tête et resta muet.

– Vous le voyez, reprit Petit-Pierre, votre raison n’est point d’accord avec votre cœur, et ce serait presque un crime de profiter d’une chevalerie que le bon sens condamne. Ne discutons donc plus de ce qui a été décidé, et peut-être bien décidé ; prions Dieu pour qu’il me renvoie près de vous dans un temps et dans des conditions meilleurs, et ne pensons plus qu’au départ.

Les gentilshommes ne répondirent rien, se contentant de se détourner pour cacher leurs larmes.

– Oui, continua Petit-Pierre, après un silence et avec amertume, oui, les uns ont dit comme Pilate : « Je m’en lave les mains », et mon cœur, si fort contre le danger, si fort contre la mort, a plié ; car il ne saurait envisager de sang-froid la responsabilité de l’insuccès et le sang inutilement versé qu’ils rejettent d’avance sur ma tête ; les autres...

– Le sang qui coule pour la foi ne sera jamais du sang perdu ! fit une voix qui partait de l’angle de la cheminée. C’est Dieu qui l’a dit, et, si humble que soit celui qui parle, il ne craint point de le répéter après Dieu : tout homme qui croit et qui meurt est un martyr ; son sang féconde la terre qui le reçoit et hâte le jour de la moisson.

– Qui a dit cela ? s’écria vivement Petit-Pierre, en se haussant sur la pointe du pied.

– Moi, dit simplement Jean Oullier, se levant de l’escabeau sur lequel il se tenait accroupi et entrant dans le cercle des nobles et des chefs.

– Toi, mon brave ? s’écria Petit-Pierre, enchanté de trouver ce renfort au moment où il se croyait abandonné de tous. Alors, tu n’es pas de l’avis de ces messieurs de Paris ? Voyons, approche et parle. Donne-nous tes raisons.

– Mes raisons ! c’est que vous êtes notre drapeau, et que, tant qu’un soldat est debout, fût-il le dernier de l’armée, il a droit de le tenir haut et ferme jusqu’à ce que la mort le lui donne pour linceul.

– Après, après, Jean Oullier ? Parle, tu parles bien.

– Mes raisons ! c’est que vous êtes la première de votre race qui soit venue combattre au milieu de ceux qui combattaient pour elle, et qu’il sera mauvais que vous vous retiriez avant d’avoir sorti l’épée.

– Va, va, toujours, Jacques Bonhomme ! dit Petit-Pierre en se frottant les mains.

– Mes raisons, enfin, continua Jean Oullier, c’est que votre retraite avant le combat ressemble à une fuite, et que nous ne pouvons pas vous laisser fuir.

– Mais, interrompit Louis Renaud alarmé par l’attention avec laquelle Petit-Pierre écoutait Jean Oullier, mais les défections que l’on vient de nous signaler ôteront au mouvement toute son importance ; ce ne sera plus qu’une échauffourée.

– Non, non, cet homme a raison ! s’écria Gaspard, qui n’avait cédé qu’à son grand regret aux raisons de Petit-Pierre. Une échauffourée vaut mieux que le néant dans lequel nous allons retomber ; une échauffourée, c’est une date, elle témoigne dans l’histoire, et, madame, j’ai grande envie, je vous l’avoue, de faire ce que nous a conseillé ce brave paysan.

– Et votre conclusion de tout cela, mon brave Oullier ? demanda Petit-Pierre.

– Ma conclusion, répondit le Vendéen, est que, quand le vin est tiré, il faut le boire ; que nous avons pris les armes, et que, du moment où nous les avons prises, il faut nous battre sans perdre de temps à nous compter.

– Battons-nous donc ! s’écria Petit-Pierre avec exaltation. La voix du peuple est la voix de Dieu ! j’ai foi dans celle de Jean Oullier. À quel jour fixons-nous la prise d’armes ?

– Mais, fit Gaspard, n’a-t-il pas été décidé qu’elle aurait lieu le 24 ?

– Oui ; mais ces messieurs ont envoyé un contre-ordre.

– Quels messieurs ?

– Ces messieurs de Paris.

– Sans vous en prévenir ? s’écria le marquis. Savez-vous que l’on en fusille pour moins que cela ?

– J’ai pardonné, dit Petit-Pierre, en étendant la main. D’ailleurs, ceux qui ont fait cela ne sont pas des gens de guerre.

– Oh ! cette remise est un bien grand malheur ! dit Gaspard à demi-voix.

– Bah ! dit Petit-Pierre, vous l’avez entendu, mon cher Gaspard, le vin est tiré, il faut le boire ! Buvons-le donc gaiement, messieurs ! Allons, marquis de Souday, tâchez de me trouver une plume, de l’encre et du papier, dans la métairie où votre futur gendre a bien voulu m’offrir l’hospitalité.

Le marquis s’empressa de chercher ce que Petit-Pierre venait de lui demander. Puis, ayant trouvé ce qu’il cherchait, il se hâta de le porter devant Petit-Pierre.

Celui-ci écrivit alors ce qui suit :

Mon cher maréchal,

Je reste parmi vous !

Veuillez vous rendre auprès de moi.

Je reste, attendu que ma présence a compromis un grand nombre de mes fidèles serviteurs ; il y aurait donc, en pareille circonstance, lâcheté à moi de les abandonner. D’ailleurs, j’espère que, malgré ce malheureux contre-ordre, Dieu nous donnera la victoire.

Adieu, monsieur le maréchal ; ne donnez pas votre démission, puisque Petit-Pierre ne donne pas la sienne.

Petit-Pierre.

– Et maintenant, continua Petit-Pierre, tout en pliant la lettre, quel jour fixons-nous pour le soulèvement ?

– Le jeudi 31 mai, dit le marquis de Souday, pensant que le terme le plus rapproché était le meilleur, si cela vous convient toutefois.

– Non, non, dit Gaspard. Excusez, monsieur le marquis, mais il me semble que mieux vaut choisir la nuit du dimanche au lundi 4 juin. Le dimanche, après la grand-messe, dans toutes les paroisses, les paysans se rassembleront sous le porche des églises, et les capitaines, sans éveiller les soupçons, auront le loisir de leur communiquer l’ordre de la prise d’armes.

– Votre connaissance des mœurs du pays vous sert à merveille, mon ami, dit Petit-Pierre, et je me rallie à votre avis. Va donc pour la nuit du 3 au 4 juin.

Et, immédiatement, il se mit à rédiger l’ordre du jour suivant :

Ayant pris la résolution de ne pas quitter les provinces de l’Ouest, et de me confier à leur fidélité si longtemps éprouvée, je compte sur vous, monsieur, pour prendre toutes les mesures nécessaires à la prise d’armes qui aura lieu dans la nuit du 3 au 4 juin.

Et, cette fois, Petit-Pierre signa : Marie-Caroline, régente de France.

– Allons, le sort en est jeté ! s’écria Petit-Pierre. Maintenant, il faut vaincre ou mourir ! Vous, Gaspard, chargez-vous de prévenir les divisionnaires du haut et du bas Poitou. M. le marquis de Souday en fera autant dans le pays de Retz et de Mauges. Vous, mon cher Louis Renaud, entendez-vous de cela avec vos Bretons. Ah ! mais qui va se charger maintenant de porter ma dépêche au maréchal ? Il est à Nantes, et vos visages y sont un peu trop connus, messieurs, pour que j’expose aucun de vous à cette mission.

– Moi, dit Bertha, qui, de l’alcôve où elle reposait avec sa sœur, avait entendu le bruit des voix et s’était levée ; n’est-ce point là un des privilèges de mes fonctions d’aide de camp ?

– Oui, certes ; mais votre costume, ma chère enfant, répondit Petit-Pierre, ne sera peut-être pas du goût de messieurs les Nantais, tout charmant que je le trouve.

– Aussi n’est-ce point ma sœur qui ira à Nantes, madame, dit Mary en s’avançant à son tour ; ce sera moi, si vous voulez bien le permettre. Je prendrai des habits de paysanne et je laisserai à Votre Altesse royale son premier aide de camp.

Bertha voulut insister ; mais Petit-Pierre, se penchant à son oreille, lui dit tout bas :

– Restez, ma chère Bertha ! nous parlerons de M. le baron Michel, et nous ferons ensemble de beaux projets qu’il ne contredira pas, j’en suis sûr.

Bertha rougit, baissa la tête et laissa sa sœur s’emparer de la lettre destinée au maréchal.

IV

Où il est expliqué comment et pourquoi le baron Michel avait pris le parti d’aller à Nantes

Nous avons annoncé que Michel avait quitté la Banlœuvre ; mais nous ne nous sommes point suffisamment appesantis, ce nous semble, sur les causes de cette fugue et les circonstances qui l’avaient accompagnée.

Pour la première fois de sa vie, Michel avait agi de ruse et avait montré quelque duplicité.

Sous le coup de l’émotion profonde qu’avaient produite sur lui les paroles de Petit-Pierre, en voyant s’évanouir, par la déclaration inattendue de Mary, les espérances qu’il avait si complaisamment caressées chez maître Jacques, il était resté anéanti.

Il comprenait que le penchant que Bertha avait si librement manifesté pour lui le séparait de Mary mieux que ne l’eût pu faire l’aversion de cette dernière. Il se reprochait de l’avoir encouragé par son silence et par sa sotte timidité ; mais il avait beau se gourmander lui-même, il ne trouvait pas dans son âme la force nécessaire pour couper court à un imbroglio qui le frappait dans une affection plus chère pour lui que la vie.

Il chercha bien à parler à Mary ; mais Mary mettait à l’éviter autant de soin qu’il en apportait à s’approcher d’elle, et il dut renoncer à en faire son intermédiaire, comme il y avait pensé un moment.

Il profita donc d’un instant où personne, pas même Bertha, n’avait les yeux sur lui pour se retirer, ou plutôt s’enfuir dans sa chambre.

Il se jeta sur le lit de paille et réfléchit sur ce qu’il convenait de faire.

La conséquence des réflexions de Michel fut donc qu’il s’éloignerait de la Banlœuvre, momentanément, bien entendu, car, une fois que la position serait nettement dessinée, une fois que le terrain serait déblayé autour de Mary, rien n’empêcherait plus le baron de revenir prendre sa place auprès de celle qu’il aimait.

Pourquoi, d’ailleurs, le marquis de Souday, qui lui avait accordé la main de Bertha, lui refuserait-il celle de Mary lorsqu’il apprendrait que c’était Mary, et non Bertha, qu’aimait le protégé de Petit-Pierre ?

Mais, au moment où, après avoir enlevé et déposé le long du mur la première de ces barres, il faisait jouer la seconde, il avait aperçu, sous un hangar situé à droite de cette porte, un tas de paille qui s’agitait, et, de ce tas de paille, il avait vu sortir une tête qu’il reconnut pour celle de Jean Oullier.

– Peste ! lui dit celui-ci avec son accent le plus bourru, vous êtes matinal, monsieur Michel !

Et en effet, au même instant, deux heures sonnaient à l’église du village.

– Avez-vous donc, continua Jean Oullier, quelque message à remplir ?

– Non, répondit le jeune baron, car il lui semblait que l’œil du Vendéen perçait dans les plus profonds replis de son âme ; non, mais j’ai un grand mal de tête, et je voulais voir si l’air de la nuit ne le calmerait pas.

– Voyez... mais je vous préviens que nous avons des sentinelles au-dehors, et que, si vous n’êtes pas muni du mot d’ordre, il pourra bien vous arriver malheur.

– Ce mot d’ordre, vous le connaissez, monsieur Jean ?

– Sans doute.

– Dites-le-moi.

Jean Oullier secoua la tête.

– C’est le marquis de Souday que cela regarde : montez à sa chambre ; dites-lui que vous voulez sortir ; que, pour sortir, vous avez besoin du mot d’ordre, et il vous le dira... s’il juge à propos de vous le dire.

Michel n’avait garde d’employer ce moyen, et il était resté la main sur la seconde barre.

Quant à Jean Oullier, il s’était renfoncé dans sa paille.

Michel, tout décontenancé, alla s’asseoir sur une auge renversée qui faisait banc à la porte intérieure de la cour de la métairie.

Là, il eut le loisir de continuer ses méditations et trouver un prétexte pour quitter convenablement la Banlœuvre. Ce prétexte, Michel le cherchait encore lorsque les premiers rayons du jour s’allumèrent à l’horizon. Tout à coup une fenêtre située juste au-dessus du banc où Michel était assis, s’ouvrit doucement, et la tête de Petit-Pierre parut à cette fenêtre.

Mais Petit-Pierre n’aperçut pas Michel ; il avait les yeux au ciel et semblait complètement absorbé, soit par ses pensées intérieures, soit par la grandeur du spectacle que lui offrait l’horizon.

Pendant quelque temps, Petit-Pierre s’abandonna à la contemplation de ce magique tableau, puis, appuyant sa tête sur sa main, il murmura avec mélancolie :

– Hélas ! dans le dénuement de cette pauvre maison, ceux qui l’habitent sont cependant plus heureux que moi !

Cette phrase fut le coup de baguette magique qui éclaira le cerveau du jeune baron et y fit luire l’idée ou plutôt le prétexte qu’il avait inutilement cherché pendant deux heures.

Il se tint coi le long du mur, où il s’était collé, au bruit qu’avait fait la fenêtre en s’ouvrant, et il ne se détacha de la muraille que lorsque le bruit qu’elle fit en se refermant lui indiqua qu’il pouvait quitter sa place sans être vu.

Il alla droit au hangar.

– Monsieur, dit-il à Jean Oullier, Petit-Pierre vient de se mettre à la fenêtre.

– Je l’ai vu, dit le Vendéen.

– Il a parlé ; avez-vous entendu ce qu’il disait ?

– Cela ne me regardait pas, et, par conséquent, je n’ai point écouté.

– Plus rapproché que j’étais de lui, j’ai entendu, moi, sans le vouloir. Notre hôte trouve sa demeure incommode ; en effet, elle manque de ce que ses habitudes aristocratiques font pour lui des objets de première nécessité. Ne pouvez-vous – moi vous donnant l’argent, bien entendu, – vous charger de lui procurer ces objets ?

– Et où cela, s’il vous plaît ?

– Dame ! au bourg ou à la ville la plus proche, à Légé ou à Machecoul.

Jean Oullier secoua la tête.

– Et pourquoi cela ? demanda Michel.

– Parce que acheter en ce moment des objets de luxe dans les endroits que vous me désignez, où pas un geste de certaines gens n’est perdu, ce serait éveiller de dangereux soupçons.

– Ne pourriez-vous donc, alors, pousser jusqu’à Nantes ? demanda Michel.

– Non pas, répondit sèchement Jean Oullier ; la leçon que j’ai reçue à Montaigu m’a rendu prudent, et je ne quitterai pas mon poste ; mais, continua-t-il avec un accent légèrement railleur, vous qui avez besoin de prendre l’air pour guérir votre mal de tête, que n’y allez-vous, à Nantes ?

En voyant sa ruse couronnée d’un si grand succès, Michel se sentit rougir jusqu’au blanc des yeux ; et, cependant, il tremblait en approchant du moment où il allait mettre cette ruse à exécution.

– Vous avez peut-être raison, balbutia-t-il ; mais, moi aussi, j’ai peur.

– Bon ! un brave comme vous ne doit rien redouter, dit Jean Oullier, en secouant sa couverture, en se dégageant de sa paille et en se dirigeant vers la porte, comme pour ne pas laisser au jeune homme le temps de réfléchir.

– Mais alors... dit Michel.

– Quoi encore ? demanda Jean Oullier impatient.

– Vous vous chargerez de dire les motifs de mon départ à monsieur le marquis, et de présenter mes excuses à...

– Mademoiselle Bertha ? dit Jean Oullier, d’un ton ironique. Soyez tranquille.

– Je reviendrai demain, dit Michel, en franchissant le seuil.

– Oh ! ne vous gênez pas, prenez votre temps, monsieur le baron. Si ce n’est pas demain, ce sera après-demain, continua Jean Oullier en refermant la lourde porte derrière le jeune homme.

Le bruit de la porte qui se rebarricadait derrière lui serra douloureusement le cœur de Michel ; il songea moins aux difficultés de la position qu’il voulait fuir qu’à sa séparation d’avec celle qu’il aimait.

Comme il suivait la route de Légé, un bruit de roues lui fit tourner la tête ; il aperçut la diligence qui allait des Sables-d’Olonne à Nantes, elle se dirigeait sur lui ; il la fit arrêter, monta dans un de ses compartiments, et, quelques heures après, il était à Nantes.

Là, dans la chambre de l’auberge qu’il avait choisie, il s’assit devant sa table, et écrivit la lettre suivante, qu’il destinait à Bertha :

Mademoiselle,

Je devrais être le plus heureux des hommes, et cependant mon cœur est brisé ! et cependant je me demande s’il ne vaudrait pas mieux être mort que de souffrir ce que je souffre !

Qu’allez-vous penser, qu’allez-vous dire lorsque cette lettre vous apprendra ce que je ne puis vous cacher plus longtemps sans me montrer tout à fait indigne de vos bontés pour moi ? Et pourtant il me faut tout le souvenir de votre bienveillance, il me faut toute la certitude de la grandeur et de la générosité de votre âme, il me faut surtout la pensée que c’est l’être que vous aimez le plus au monde qui nous sépare, pour que j’ose me décider à cette démarche.

Oui, mademoiselle, j’aime votre sœur Mary ; je l’aime de toute la puissance de mon cœur ! je l’aime à ne vouloir, à ne pouvoir vivre sans elle ! Je l’aime tant, qu’au moment où je me rends coupable envers vous de ce qu’un caractère moins élevé que le vôtre prendrait peut-être pour une sanglante injure, j’étends vers vous des mains suppliantes et je vous dis : « Laissez-moi espérer que je pourrai acquérir le droit de vous aimer comme un frère aime sa sœur ! »

Ce n’est que lorsque cette lettre fut pliée et cachetée que Michel pensa aux moyens par lesquels il pourrait la faire parvenir à Bertha.

Il ne fallait pas songer à en charger personne à Nantes ; c’était ou trop dangereux pour le messager s’il était fidèle, ou trop dangereux pour celui qui expédiait le messager si le messager était un traître ; seulement Michel pouvait regagner la campagne, trouver, dans les environs de Machecoul, un paysan sur la discrétion duquel il pût compter, et attendre dans la forêt cette réponse qui allait décider de son avenir.

Ce fut là le parti auquel s’arrêta le jeune homme. Il employa le reste de la soirée aux différentes emplettes qui lui restaient à faire, enferma tous ces objets dans une valise et remit au lendemain matin l’acquisition d’un cheval qui lui était nécessaire s’il avait, comme il l’espérait, à continuer la campagne qu’il avait commencée.

Le lendemain, en effet, vers neuf heures, Michel, un excellent normand entre les jambes et sa valise en croupe, se disposait à rentrer dans le pays de Retz.

V

Où la brebis, croyant rentrer au bercail, tombe dans une chausse-trape

C’était un jour de marché et l’affluence des campagnards était considérable dans les rues et sur les quais de Nantes ; au moment où Michel se présenta au pont Rousseau, le passage était littéralement obstrué par une file compacte de lourdes voitures chargées de grains, de charrettes pleines de légumes, de chevaux, de mulets, de paysans, de paysannes, ayant tous, dans leurs paniers, sur leurs bâts, dans leurs vases de fer-blanc, les denrées qu’ils apportaient pour l’approvisionnement de la ville.

L’impatience de Michel était si vive, qu’il n’hésita point à s’engager dans cette cohue ; mais, comme il venait d’y pousser son cheval, il aperçut, débouchant du côté opposé à celui qu’il suivait, une jeune fille dont l’aspect le fit tressaillir.

Elle était, ainsi que les autres paysannes, vêtue d’une jupe à raies rouges et bleues et d’un mantelet d’indienne à capuchon ; elle était coiffée d’un mantelet à barbes tombantes des plus communs ; mais, sous cet humble costume, elle ressemblait si fort à Mary, que le jeune baron ne put retenir le cri de surprise qui lui échappa.

Il voulait rebrousser chemin ; par malheur, le mouvement qui se fit dans la foule, lorsqu’il arrêta son cheval, souleva une tempête de jurons et de cris qu’il ne se sentit pas le courage de braver ; il laissa sa monture poursuivre son chemin, maugréant lui-même contre la lenteur que tant d’obstacles apportaient à sa marche ; mais, aussitôt le pont franchi, il sauta à bas de son cheval et chercha des yeux à qui il pourrait le confier, tandis qu’il retournerait pour s’assurer que ses yeux ne l’avaient pas trompé et tâcher de savoir ce que Mary pouvait être venue faire à Nantes.

En ce moment, une voix nasillarde, comme l’est celle des mendiants de tous les pays, lui demanda l’aumône.

Il se retourna brusquement, car il lui sembla que cette voix ne lui était pas inconnue.

Il aperçut alors, appuyés contre la dernière borne du pont Rousseau, deux individus à la physionomie trop caractéristique pour qu’elle ne fût pas gravée dans sa mémoire : c’était Aubin Courte-Joie, et Trigaud la Vermine, dont, pour l’instant, l’association paraissait n’avoir d’autre but que d’exploiter la pitié des passants, mais qui, selon toute probabilité, étaient là dans un but qui n’était pas étranger aux intérêts politiques et même commerciaux de maître Jacques.

Michel alla vivement à eux.

Aubin Courte-Joie cligna de l’œil.

– Mon bon monsieur, dit-il, ayez pitié d’un pauvre voiturier qui a eu les deux jambes coupées par les roues de sa voiture, à la descente du saut de Baugé.

– Oui, oui, mon brave homme, dit Michel qui comprenait.

Et le jeune homme descendit de sa monture, comme pour faire l’aumône au pauvre voiturier.

Cette aumône était une pièce d’or qu’il glissa dans la large patte de Trigaud.

– Je suis ici par l’ordre de Petit-Pierre, dit-il tout bas au vrai et faux mendiant ; gardez-moi mon cheval pendant quelques minutes ; je vais faire une course importante.

Le cul-de-jatte fit un signe d’assentiment ; le baron Michel lui jeta au bras la bride de son cheval et s’élança dans la direction de la ville.

En tournant l’angle de la rue du Château, il aperçut, à vingt pas de lui, la jupe à raies rouges et bleues, et le mantelet de laine grise qui avaient si fort excité son attention.

Il n’y avait pas à s’y tromper, la jeune campagnarde et Mary ne faisaient qu’une seule et même personne.

Que venait faire Mary à Nantes ? Pourquoi, venant à Nantes, avait-elle pris ce déguisement ?

Voilà la question que Michel s’adressait sans pouvoir la résoudre, et il allait, après avoir fait un violent effort sur lui-même, se décider à aborder la jeune fille, lorsque, en arrivant en face du numéro 17 de cette même rue du Château, il la vit pousser la porte de la maison, et, comme cette porte n’était pas fermée, entrer dans une allée, repousser la porte derrière elle, et disparaître.

Michel alla vivement à cette porte ; cette fois, elle était fermée.

Le jeune baron resta debout sur le seuil dans une stupéfaction profonde et douloureuse, ne sachant quel parti prendre et croyant avoir rêvé.

Tout à coup, il se sentit frapper doucement sur le bras ; il tressaillit, tant son esprit se trouvait ailleurs qu’où se trouvait son corps, et il se retourna.

C’était le notaire Loriot qui l’abordait.

– Comment ! vous ici ? lui demanda ce dernier avec un accent qui dénotait la surprise.

– Et qu’y a-t-il d’étonnant à ce que je sois à Nantes, Me Loriot ? demanda Michel.

– Voyons, parlez plus bas et ne restez pas planté devant cette porte comme si vous vouliez y prendre racine ; c’est un conseil que je vous donne.

– Ah çà ! quelle mouche vous pique donc, maître Loriot ? Je vous savais prudent, mais pas à ce point-là.

– On ne saurait jamais l’être trop. Marchons en causant, c’est le moyen de ne pas être remarqué.

Puis passant son mouchoir à carreaux sur son front baigné de sueur :

– Allons, continua le notaire, voilà encore que je me compromets horriblement !

– Je vous jure, Me Loriot, que je ne comprends pas un mot de ce que vous voulez me dire, fit Michel.

– Vous ne comprenez pas ce que je veux dire, malheureux jeune homme ? Mais vous ne savez donc pas que vous êtes compris sur la liste des personnes suspectes, et que l’on a donné l’ordre de vous arrêter ?

– Eh bien, que l’on m’arrête ! reprit Michel avec impatience, en essayant de ramener le notaire en face de la maison où il avait vu disparaître Mary.

– Ah ! qu’on vous arrête ? Eh bien, vous prenez gaiement la nouvelle, monsieur Michel ! Je dois cependant vous dire que cette même nouvelle a produit sur madame votre mère une telle impression, que, si le hasard ne vous avait pas placé sur mon chemin à Nantes, aussitôt après mon retour à Légé, je me fusse mis en quête pour vous rejoindre.

– Ma mère ! s’écria le jeune homme.