Les mille et une morts de Norbert Dupont - Philippe Laperrouse - E-Book

Les mille et une morts de Norbert Dupont E-Book

Philippe Laperrouse

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Beschreibung

1001 récits de vie.

Qui peut se vanter d’avoir été successivement : grouillot dans une étude de notaire sous Henri IV, confident de Madame de Sévigné, aide-bourreau sous la Révolution, curé de campagne vers 1800, journaliste polémiste au XIXe siècle, coureur cycliste du tour de France 1919, facteur à la Libération, et instituteur de nos jours ? Il faudrait 1001 vies pour réaliser un tel parcours. Oui, et donc 1001 morts. Guidé par la Voix, le jeune Norbert Dupont s’embarque dans une aventure rocambolesque qui lui fera traverser les époques. Une condition cependant : toujours décider des modalités de son trépas…

Découvrez les aventures rocambolesques de Norbert Dupont, et parcourez à ses côtés les époques : de Henri IV Madame de Sévigné, de la Révolution à la Libération, en passant par l'époque contemporaine !

EXTRAIT

Dans le village où je fus curé, la mort des vieux n’émouvait personne, elle semblait comme inscrite dans le paysage et les habitudes, au même titre que le temps des semailles et des récoltes. Les hommes naissaient, travaillaient la terre, puis décédaient tranquillement. Au xixe siècle, la valeur de l’existence n’avait pas beaucoup progressé : des jeunes gens trépassaient sottement à la guerre, parfois dans des révolutions populaires ou – s’ils n’y parvenaient pas – dans des duels au pistolet ou à l’épée, pour des motifs ridicules.
J’imaginais que le boulot de la Voix était en rapport avec cette triste façon qu’ont les hommes de disparaître ou de faire disparaître leurs concitoyens. Si mon hypothèse était correcte, la Voix m’aurait donc choisi pour étudier ce qu’il pourrait advenir d’un homme pour lequel le décès ne serait pas une fin. Je décidais que cette conclusion se tenait. Il ne fallait pas que j’entre dans la valse des mortels. C’est la raison pour laquelle Elle voulait que je reste discret sur mes dons et que je programme moi-même mes disparitions corporelles. La seule chose contrariante, c’était que je pouvais éprouver de la souffrance, la Voix n’en avait pas l’air indisposée.
Si j’osais encore ce jeu de mots amusant, j’étais un type qui était un prototype. Bientôt grâce à moi, plus personne ne mourrait.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Philippe Laperrouse a 69 ans et vit dans la banlieue lyonnaise, sa région de naissance. Après des études scientifiques et économiques, il rejoint la fonction publique, dont il est aujourd'hui retraité. Il a publié quatre romans, deux essais et deux recueils de nouvelles. Il a également écrit quelques pièces de théâtre. Il gère un site d’auteur : www.monpied.net, sur lequel on retrouvera toutes ses productions. Outre la littérature, il s’intéresse et pratique à temps perdu la BD, le foot et le jardinage.

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Philippe Laperrouse

Les mille et une morts de Norbert Dupont

Dumême auteur 

2014. Histoire d’histoires (Edilivre). Recueil de nouvelles historiques

2015. À deux mains (La compagnie littéraire). Roman policier.

2016. À la poursuite de Roger (Mon petit éditeur). Roman.

2016. Les phrases hypocrites (7écrit). Essai.

2017. Pensées épistolaires (Publishroom). Essai.

2017. Les choses ne sont pas ce qu’elles sont (Edilivre). Roman.

2017. Balivernes et pitreries (Publishroom). Album de dessins humoristiques.

2018. Vices et vilénies d’aujourd’hui (Edilivre). Recueil de nouvelles. (à venir)

1.

C’est vers 1425 que j’ai entendu la Voix pour la première fois, comme Jeanne d’Arc. À mon avis, c’était la même. Je ne vois pas comment deux voix différentes seraient venues nous parler à peu près à la même époque, à 200 kilomètres de distance, pour nous délivrer un message identique.

Il est probable qu’elle ait émis d’autres appels entre la Normandie et la Lorraine. J’imagine que beaucoup de bergers ou de bergères l’ont entendue comme Jeanne et moi. Beaucoup d’entre eux s’en sont foutus complètement ou alors se sont gratté la tête en pensant être assaillis par une nuée d’insectes aux bourdonnements moqueurs. Ils ont raté l’occasion d’entrer dans l’Histoire et d’avoir leur statue sur la place du Marché, mais on peut comprendre que les pouilleux illettrés que nous étions n’aient pas eu l’intention de laisser une trace quelconque de leur existence sur la planète. Nos vies ne présentaient pas d’intérêt particulier, y compris à nos propres yeux.

Au début, j’étais un peu incrédule. Lorsque vous êtes garçon vacher, que vous avez 16 ans, que vous ne savez ni lire, ni écrire et que votre seule distraction, c’est de poser des pièges aux lièvres de votre canton et de chaparder dans les fermes, vous ne vous attendez pas à entendre un inconnu (ou une inconnue) vous affirmer que vous êtes l’Élu. C’est pourtant ainsi que la Voix a énoncé le problème, un jour d’été. Je lui ai exprimé ma stupéfaction, mais elle a refusé tout net de rentrer dans des détails et les motifs de son intervention qui, selon ses dires, ne me regardaient pas. Je devais la croire sur parole.

À cette époque-là, on se dépêchait de vivre avant d’être emporté vers la trentaine par la variole ou la guerre. J’étais un parfait garnement et même un peu plus. Voleur, menteur, mais très débrouillard. Officiellement, je menais aux champs les troupeaux de plusieurs fermiers pour un revenu de misère (ou pas de revenu du tout), ce qui expliquait ma tendance à m’approprier le bien d’autrui sans vergogne. Du point de vue sexuel, je crois que j’avais peut-être un peu engrossé à droite, à gauche, quelques bergères accortes. Personne ne s’était plaint, ni les donzelles, ni les paysans qui récoltaient ainsi de la main-d’œuvre gratuite.

La Voix n’avait donc aucune raison de s’arrêter sur cette espèce de truand qui pillait les vergers, les fenils, les jeunes filles, bref tout ce qui lui apportait un profit immédiat. C’est pourtant à moi qu’Elle proposa ce qu’Elle considérait comme l’immortalité. Quand je dis qu’elle me « proposa », j’en prends à mon aise. Elle développa de nombreux arguments ravageurs qui ne laissèrent pas beaucoup de place aux miens. Pour s’assurer de mon adhésion « spontanée » aux termes du « contrat », elle me décrit avec force précisions la vie qui m‘attendait chez Satan si je refusais son pacte.

Elle insista longuement sur le fait que l’immortalité, c’était certes mieux que l’Enfer, mais ce n’était pas un cadeau tout de même. Selon sa proposition, je mourrai plusieurs fois, mais jamais de manière définitive. Il était nécessaire que je décide moi-même des modalités de ma disparition, puis je renaîtrai. Ou plus exactement, je réapparaîtrai. Je connaîtrai plusieurs époques au même âge : vingt-quatre ans. Je ne vivrai jamais la vieillesse. Je ne devrai jamais révéler ce secret à quiconque, sinon je serai immédiatement versé dans le contingent des simples mortels avec tous les soucis attachés à cette condition.

En cet après-midi chaud du mois d’août 1424, pendant lequel elle m’exposa son projet à travers les branches d’un pommier qui m’abritaient du soleil, elle me demanda de bien vouloir trépasser rapidement de façon à tester sa méthode de résurrection. Elle ne m’en dit pas plus, mais je soupçonne maintenant qu’elle savait pertinemment que tout n’était pas très au point dans sa démarche, sinon Jeanne d’Arc n’aurait pas été brûlée.

Pour calmer mes réticences, elle m’affirma que le curé de la paroisse, le père Chinard ne s’opposerait pas à ma disparition puisqu’il y verrait l’occasion de me punir de tous mes péchés et accessoirement de débarrasser le village de la présence d’un voyou notoire. À l’époque, je n’avais pas le recul nécessaire, mais aujourd’hui je peux affirmer que l’approche spirituelle de la Voix ne collait pas du tout, mais alors pas du tout avec l’avis du Père Chinard sur le mystère de la Vie. Pour lui, il convenait de naître, de souffrir et de mourir. Point barre. L’immortalité n’existait pas. Seuls des mécréants comme moi pourraient ajouter foi à cette sorte de fariboles. Il confirmait la réalité du Paradis, mais assurait que son accès m’était totalement interdit. La seule idée que je puisse prétendre à un séjour bienheureux le faisait mourir de rire. La Voix conclut qu’elle n’avait pas besoin de consulter le père Chinard pour savoir qu’il enregistrerait ma disparition avec un certain soulagement.

Je manifestais quelques réticences que la Voix balaya – si j’ose dire – d’un revers de main. Selon Elle, je n’avais pas le choix. Dieu et son représentant l’abbé Chinard envisageaient très favorablement l’effacement immédiat de ma vie terrestre. Je serais donc bien inspiré de faire ce qu’ils me commandaient. De toute façon, je n’étais pas – présentement - promis à une longue existence, étant donné mes manières de mauvais garçon. Donc autant en finir tout de suite, pour repartir du bon pied. Certes, la Voix n’avait pas pu ressusciter Jeanne d’Arc, mais ce n’était qu’un premier essai raté dont elle avait su tirer des conséquences positives.

Je n’avais personne sous la main à qui me confier. Je me voyais assez mal demander confirmation à l’abbé Chinard une espèce de validation de cette apparition auditive céleste. Nous n’étions pas en assez bons termes. Il était fort comme un bûcheron : je risquais une vigoureuse torgnole, comme chaque fois que je lui passais à portée de mains. Il y avait bien le père Dubois, un fermier aux idées larges, dont je n’avais pas encore engrossé la fille parce qu’elle était trop laide, mais je lui avais volé deux poulets récemment et je crois qu’il commençait à avoir des soupçons.

J’en vins à penser que la Voix avait peut-être raison et qu’ayant exaspéré tous les notables de mon village, je ne ferai pas long feu sur Terre. Disparaître ne dérangerait personne, pas même moi. Pour ce qui était de renaître, je n’avais qu’un vague engagement d’une inconnue qui m’avait adressé la parole du haut du ciel, sur un ton pas très aimable. C’était mince. Très mince.

J’acceptais donc d’entrer dans la voie de l’immortalité, sachant qu’il fallait commencer par mourir. Selon les instructions de la Voix, le meilleur moyen de passer de vie à trépas discrètement, c’était de se faire condamner aux galères. Sur les navires du Roi, la mort ne comptait pas, les rameurs devenus inutiles étaient jetés par-dessus bord sans hésitation. Bref, on pouvait mourir dans l’anonymat. Très tranquillement.

Je dus accomplir toutes sortes de vilenies pour me faire condamner. Les juges s’étonnèrent longuement de mon insistance à ne pas me défendre. Bientôt, les fers aux pieds je pus connaître enfin le port de Marseille et l’enfer que Sa Majesté réservait aux rameurs forcés de sa marine. À bord des galères, le palmarès des condamnés inspirait le respect du novice : violence, vols, viols, meurtres, indifférence à la vie humaine. Tout ça ressemblait assez bien à mon sordide quotidien. En mieux. Dans ces conditions, ma fin fut une formalité sur laquelle je ne reviendrai pas, pour la simple raison que j’en suis revenu. La Voix - si j’ose dire - a tenu sa parole.

J’ignorais sa véritable finalité. Qu’on puisse faire un immortel d’un bandit comme moi me sidérait. Je soupçonnais des motifs inavouables, mais je n’étais pas mécontent d’avoir une chance de sortir d’une vie misérable que j’avais rendue plus que lamentable. Une seule raison m’avait poussé à plonger dans l’inconnu et accessoirement dans la mer : que la Voix me ressuscite ou pas, ce qui allait m’arriver ne pouvait pas être pire que mes seize premières années d’existence sur Terre. Peut-être même allais-je gagner ce que le père Chinard appelait mon salut. Un truc qui, selon ses dires, n’avait pas l’air mal du tout.

2.

Ça a marché ! Je ne suis pas né, je suis réapparu. Comme ça, d’un coup. Je ne sais plus quand. Mes souvenirs sont confus. J’ai une vague réminiscence des années 1600. La France était encore ravagée par les guerres de religion. Il ne faisait pas bon dire que l’on était de tel ou tel parti, ni même d’avoir l’air d’être de tel ou tel côté. Personnellement, les sermons du père Chinard ne m’avaient pas convaincu : je n’étais ni catholique, ni protestant. À tout point de vue, je n’étais rien. La question de croire ou de ne pas croire à une quelconque divinité m’était complètement étrangère. De plus, être d’une religion, c’est attendre quelque chose de l’au-delà, par conséquent, c’était contraire à mon statut d’immortel.

À l’époque, je n’avais aucune idée approfondie sur la gouvernance du pays dans lequel je vivais. Aujourd’hui je sais que dès son avènement, le bon roi Henri IV s’est admirablement débrouillé pour mettre fin à la chienlit religieuse. Il appela auprès de lui, pour de hautes fonctions, des hommes de tous les bords. Bien joué ! Plus tard, certains auraient dû en tirer des leçons. Pour calmer les rancœurs des politiciens le souverain béarnais avait compris qu’il faut les affubler d’un titre et d’une place qui leur donnent l’impression d’exercer une autorité sur leurs contemporains.

Je sentais que j’étais différent des autres. On ne le sait pas assez, mais le fait de ne pas vieillir, de ne pas mourir est extrêmement handicapant puisque je n’avais peur de rien. Pour n’importe quel homme, la crainte de la mort est le moteur de la vie quotidienne. Prendre des précautions pour éviter les pièges de l’existence oblige à prévoir, à imaginer, bref, à construire. Moi, je ne me projetais pas, comme on dit maintenant. Comme si ce qui allait m’arriver ne me concernait pas.

À peine débutée cette nouvelle existence, ma première préoccupation fut de me conformer aux instructions de la Voix. Je devais cacher la particularité de mon origine et donc me donner une allure « normale ». J’embrassais la vie d’un saute-ruisseau, chez Maître Pinson à Louviers. Maître Pinson m’avait croisé, vagabondant au coin d’une ruelle, vivotant de rapines et de coups plus ou moins tordus. Il m’avait trouvé – m’a-t-il dit – une mine avenante et vive, une allure souple et déliée. Comme il cherchait à cette époque un homme à tout faire, il m’engagea sur-le-champ en se fiant à son instinct qu’il estimait infaillible. Ainsi, pendant plusieurs mois, je fus chargé de porter des plis à l’autre bout de la ville, de pourvoir aux dîners de Maître Pinson et de ses clercs lorsque ces messieurs avaient faim et de leur procurer quelques ribaudes à leur goût quand leur sensualité l’exigeait.

J’avais pris logement chez une vieille rombière qui me louait son galetas pour la nuit, à un prix scandaleux, ce qui m’était complètement égal. S’indigner de l’injustice est un luxe de mortel. Se révolter aussi : c’est espérer plus d’équité. Moi, le concept d’espoir m’échappait puisque le temps ne m’était pas compté.