Les Nouveaux Bistrots de Genève - 7ème édition - Nicolas Burgy - E-Book

Les Nouveaux Bistrots de Genève - 7ème édition E-Book

Nicolas Burgy

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Beschreibung

Le guide des bistrots genevois est de retour !

Le guide des bistrots de Nicolas Burgy et André Klopmann a fait référence durant douze ans. La recette ? Indépendance, ligne, anecdotes et style. En 2012, les compères ont choisi de prendre du recul. Aujourd’hui, les voilà qui reviennent… A trois.

Pour cette septième édition, ils s’adjoignent Marie Battiston. Le regard de cette jeune complice enrichit leur approche.

A travers les bistrots, les auteurs racontent une Genève exigeante et populaire. Ils restituent des ambiances et des parcours. Ils décrivent des expériences et des cafés. Ils ont tout revisité, distinguant nouveaux, redécouvertes et incontournables. La préface s’inscrit entre chronique et sociologie. Pendant ce temps, l’œil aiguisé d’Olivier Vogelsang saisit des tranches de vie.

Etayé, subjectif et joyeux, ce guide reste inimitable. Un incontournable !

EXTRAIT

Après six éditions, il convenait de laisser du temps au temps. De se ressourcer. Se réorganiser. Ecrire d’autres livres. Filer en Toscane ou en Provence, histoire de changer d’air. Puis reprendre à Genève le fil de nos restaus. Observer toujours le mouvement, les tournus et les effets de la mode. Mais, pour un temps, sans mot dire. Sans foncer sur le clavier, la plume ou le stylo. Nos ballades après tout ne tiennent ni du procédé ni de la routine. Elles ne s’accommodent d’aucune pratique systématique. Nous allons où nos pieds nous mènent. Nos chroniques, ce n’est pas du couper-coller. Le danger de la répétition guettait et une pause nous a paru nécessaire. Car le risque, quand on suit ses pieds (c’est très intelligent, les pieds, selon Prévert), c’est qu’ils nous ramènent au point de départ. L’attention, la curiosité et l’observation critique s’aiguisent avec le recul. Encore faut-il savoir le prendre. Alors oui : au risque de décevoir les milliers de lecteurs qui nous ont suivis fidèlement de 2000 à 2012, nous avons osé le repli. Jusqu’au jour où…

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

- « Entre chroniques et sociologie, l'ouvrage réunit 180 bons plans à (re)découvrir, avec des photographies signées Olivier Vogelsang. A travers les endroits évoqués, se dessine ainsi une Genève à la fois exigeante et populaire. » Tribune de Genève

- « Les auteurs défendent avec une plume d’une grande vivacité 180 adresses où il fait bon manger, mais surtout être. Les chouettes clichés d’Olivier Vogelsang sont autant de tranches de vie qui nous plongent tout de suite dans une ambiance… » Sébastien Colson, Le Dauphiné libéré

- « La Genève populaire des cafés. Pas moins de 180 nouveaux bons plans et adresses incontournables, avec une introduction très riche et documentée. Une mention pour le style, à la fois vif et empreint de nostalgie, et pour les superbes photos noir-blanc d'Olivier Vogelsang. » Le Cafetier

A PROPOS DES AUTEURS

Nicolas Burgy est journaliste à la Radio Télévision Suisse.

André Klopmann est haut fonctionnaire et écrivain.

Marie Battiston est attachée au service du protocole de l’Etat.

Olivier Vogelsang est photographe de presse et indépendant.

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INTRODUCTION

– Alors, ces bistrots, vous les refaites ou quoi ?

C’était flatteur mais cela devenait pesant. Pas moyen d’entrer dans une librairie ou de s’asseoir en terrasse sans que la question nous soit posée. En même temps, c’était extraordinairement touchant. Vous étiez si nombreux à nous lire !

Il faut qu’on vous explique.

1. LA LIBELLULE ET LES BARBONS(OÙ L’ON REFAIT LES PRÉSENTATIONS)

Après six éditions, il convenait de laisser du temps au temps. De se ressourcer. Se réorganiser. Ecrire d’autres livres. Filer en Toscane ou en Provence, histoire de changer d’air. Puis reprendre à Genève le fil de nos restaus. Observer toujours le mouvement, les tournus et les effets de la mode. Mais, pour un temps, sans mot dire. Sans foncer sur le clavier, la plume ou le stylo. Nos ballades après tout ne tiennent ni du procédé ni de la routine. Elles ne s’accommodent d’aucune pratique systématique. Nous allons où nos pieds nous mènent. Nos chroniques, ce n’est pas du couper-coller. Le danger de la répétition guettait et une pause nous a paru nécessaire. Car le risque, quand on suit ses pieds (c’est très intelligent, les pieds, selon Prévert), c’est qu’ils nous ramènent au point de départ. L’attention, la curiosité et l’observation critique s’aiguisent avec le recul. Encore faut-il savoir le prendre. Alors oui : au risque de décevoir les milliers de lecteurs qui nous ont suivis fidèlement de 2000 à 2012, nous avons osé le repli. Jusqu’au jour où…

Jusqu’au jour où nous avons rencontré Marie.

C’était beau comme du Brel. Nous la cherchions mais ne la connaissions pas. Et puis voilà. Elle est arrivée. Fine gourmette, baroudeuse, palais avisé, œil ouvert : un peu nous mais en version fille. En âge aussi d’être la nôtre. Elle s’y connaît en tendances et en breuvages. Passés les tests, nous avons fait affaire au Pied de Cochon*. Puis débouché force bouteilles au Café de la Paix*, repris par Florian Le Bouhec (L’Artichaut) après le passage rapide du tandem Dumont-Dupraz, lui-même successeur de Manu Hausermann (La Guinguette). Marie ne connaissait pas l’histoire de ce café centenaire qui a connu bien des avatars. Nous, oui. Cela fait bien trente ans que nous y patinons le gosier. Nous avons connu aussi Gérard Le Bouhec, le père, un grand chef. Pas elle. Marie, c’est la génération Florian, le fils, très doué aussi. Magie des lieux. La Paix a réuni de vieux habitués des murs et une groupie du nouveau chef. Parfait ! Ainsi le duo est-il devenu trio. Le renouveau allié à la tradition, c’est l’assurance de débats enrichissants.

Et comme chez les Mousquetaires, le trio est quatuor – le quatrième, c’est Olivier Vogelsang. Lui qui a voyagé en Afghanistan et dans des contrées sensibles n’aura jamais pris autant de risques qu’en photographiant les bistrots genevois. Entre les patrons qui le reçoivent d’un air rogue parce que ce n’est pas le moment, le client qui le menace de mort, le numéro d’un mac attentif à ses poupées thaïs et l’angoisse légitime d’un couple qui ne l’est pas – mais Vogelsang est prince de la discrétion – l’ami photographe en a vu des vertes et des pas mûres. Des mûres, oui, si l’on en juge à cette dame d’un âge certain qui souhaite offrir ses fesses à photographier. Une autre fois, Madame, pour un autre livre, peut-être.

Le style et la méthode n’ont pas changé. Bienveillance toujours ; exigence assurément. Nous sommes vous. Des clients ordinaires, des consommateurs moyens. Pas des critiques analysant la cuisson du haricot ou mesurant l’arrondi du petit pois. Encore moins des internautes éructant des expertises déstructurées et souvent écervelées. Trop de doctes éruptifs shootés à « Super Chef » abusent de l’impunité d’Internet pour déverser sans mesure et sans compétence, tour à tour, fiel et miel. On ne peut pas généraliser mais beaucoup, nous le voyons bien, n’aiment pas la table et ne connaissent pas le métier. Ils aiment le pouvoir d’Internet et pas les gens. Nous, c’est le contraire. Ces justiciers masqués sévissent sans recul sur des sites dont certains filtrent contre paiement les commentaires désagréables. « S’ils ne sont pas servis en 30 secondes, ils râlent et zappent », nous glisse un restaurateur. C’est l’ère du zapping. Tout, tout de suite et si possible pasteurisé. « Ils se croient compétents mais ne différencient pas une queue de langouste d’un scampi ou une truffe du Périgord d’un melanosporum chinois », nous glisse un autre. Ces sites, donc, ne nous intéressent pas. En plus, il traîne sur Internet des tonnes de prétendus commentaires concernant des restaurants fermés, ou repris, c’est dire. Nous respectons en revanche les blogs personnels, dont beaucoup sont sérieux et sont entretenus. Ils permettent une identification à un style ou à un esprit. Ce ne sont pas des sites de notation mais des chroniques personnalisées1.

Les index sont personnalisés aussi. Par genre ou par pays. Les burgers entrent (sélection sévère) mais les pâtes n’y figurent pas. Au rayon italien, si vaste, nous choisissons de rester larges. Il n’y a pas que les pâtes ! et de très belles adresses à Genève.

Nous sommes subjectifs, honnêtes et payons nos notes. Nous n’employons ni l’Assiette genevoise ni quelque autre formule de réduction dont l’usage altérerait notre liberté. Nous sommes assez expérimentés, aussi, pour ne pas nous laisser impressionner par l’esbroufe. Des gens ordinaires, en somme. Qui aimons être bien traités et passer de bons moments. Qui considérons qu’une ambiance ou un cadre exceptionnel peuvent compenser parfois une assiette ordinaire. Qui n’attachons aucune importance aux sites et aux fadaises qu’on y débite. Qui savons lire et écrire entre les lignes. Qui proclamons qu’un mets délicieux servi dans un aboiement ne méritera aucune mention même s’il est signé du plus grand chef. Sans qualité d’accueil, pas d’intérêt. C’est cela le truc : nous regardons tout, dans cette Genève que nous connaissons par cœur au point que l’histoire des lieux nous interpelle aussi. Un bistrot, un café, une taverne, une gargote – et même un bouge – mérite notre intérêt si nous pensons que, en son absence, le secteur perdrait quelque chose. Après, on regarde de plus près.

Bref, nous voilà repartis pour un tour ! A Genève toujours et, cette fois-ci, avec de rares transgressions (rares, parce que sinon, ce n’en sont plus…) du côté du canton de Vaud et de la France voisine. Les Genevois s’y rendent aussi. Il faut se rendre à l’évidence. Et les restaurateurs de même, d’autant qu’ils sont parfois frontaliers et restent dans leur coin, lors de leurs rares jours de congé. Alors oui, parlons-en. On en parle. Sans excès. Nos coups de cœur.

2. FINALEMENT, UNE NOUVELLE LOI(OÙ L’ON CONSTATE UNE VAGUE DE FOND)

A Piogre, quoi de neuf ? Toujours un monstre tournus. 4 à 600 changements d’enseigne par année. Ce n’est pas nouveau mais tout de même ébouriffant. Et puis une nouvelle loi sur les auberges, plus stricte. La précédente datait de 1932. La nouvelle contiendra mieux, paraît-il, les débordements et expériences sauvages qui parfois heurtent la quiétude des riverains. Mais surtout, elle cadre la profession, trop longtemps coutumière de pratiques que nous avons souvent dénoncées, comme l’abus des faillites suivies de réouvertures après licenciements. La profession est surveillée de plus près. Les charges sociales doivent être payées et la réglementation sur le séjour des étrangers correctement respectée. Y’a du boulot ! Parce qu’à y regarder de plus près… L’économie du secteur supportera mal que l’on demande à chacun, en cuisine ou à la plonge, titres et permis. Le black fait tourner ce secteur de l’économie et tout le monde le sait, comme dirait Leonard Cohen. Mais voilà : un excès d’excès engendre forcément la réaction. L’autorité peut désormais fermer un établissement d’un claquement de doigt, si celui-ci contrevient à la loi ou si, simplement, il contient mal le bruit. Les flibustiers sont prévenus.

Cela dit, la vie underground et les terrasses craignent un peu. Celles-ci, davantage taxées, autrement surveillées, risquent de diminuer en nombre. Pour les exploitations temporaires d’associations qui animent, parfois, de beaux endroits (comme La Barje, sans parler du Bateau-Lavoir, carrément sur le Rhône, ou le Bateau Genève dans la rade) en remplissant de surcroît une fonction sociale, le coup est rude. D’autant que sont exigés désormais des certificats qui n’étaient pas demandés auparavant. On professionnalise tout. On cadre, on certifie. On formate. Bon, le Bateau a réglé le problème, c’est la patronne de l’Opéra Bouffe* (* L’astérisque signifie que l’établissement cité fait l’objet d’un article dans cette édition) qui l’exploite désormais. Est-ce tout ? Non. Abolition aussi des happy hours offrant de l’alcool fort. Possibilité pour les clubs de nuit d’ouvrir plus longtemps afin que les cafés et les boîtes ne déversent pas en même temps leurs clientèles dans les rues. Effets restant à mesurer.

Tout cela fleure bon le retour à l’ordre moral. D’autant que, côté red light, on observe, parallèlement, la fin du statut d’artiste de cabaret ouvert aux ressortissantes de pays extra-européens. Diantre ! Cela signifie que les Russes, Ukrainiennes et autres Dominicaines vont se raréfier dès 2016 dans les établissements qui les employaient comme « artistes », ce qu’elles sont d’ailleurs parfois aussi2. Après la fin des « séparés » dont nous avions parlé en 2010 (des espaces discrets), les cabarets continuent de s’étioler. Ils étaient dix-sept en 2001 et onze en 2011. Bataclan, Maxim’s et d’autres sont morts. Fin 2014, il en restait six3. Début 2015, il s’en est ouvert un : le Baby Boa, qui veut jouer les Bains-Douches à la place de l’ancien cinéma Broadway. Certains changent, comme le Moulin Rouge, devenu dancing en reflet du Point Bar et qui cible une clientèle nettement rajeunie, dès 18 ans. D’autres apparaissent en renouvelant le genre, comme le Zoé Club, qui propose dans un espace vitré karaoké et orchestre, avec un étonnant fumoir, à côté du Nid d’Poule*, un restau que nous avons soutenu dès ses débuts (à propos, karaoké toujours : c’est le créneau du repreneur de l’ancien Bavarois, enfin rouvert) à l’enseigne Entre nous. Disons simplement qu’on boit moins de champagne. Les temps changent. Et que les taxes augmentent avec les loyers. Les temps changent vraiment. Mais la vie continue ! Pour preuve, un nouveau Noctambus emmène, au départ de la rue de l’Ecole-de-Médecine, les fêtards du week-end lorsque les bars ferment. Plusieurs boîtes (Chat Noir, Motel Campo, Bypass, Moa) contribuent, avec les communes, au financement du service. Cela vaut la peine d’être relevé.

Donc on peut encore se pinter à la bière et aligner les shots. Certains établissements restent vigilants. Un Grand Conseil de la nuit réunit usagers et exploitants pour veiller à ce que Genève ne devienne pas – on emprunte ici le nom bien trouvé d’une association – Kalvingrad. Mais le tabac, c’est bien fini, et vous savez quoi ? Les restaurants, cafés, tavernes, estaminets, gargotes et autres bars genevois ne se sont pas effondrés. On peine même à imaginer le temps où l’on y fumait encore – pas si ancien, pourtant4. Notez, la Bourse de Carouge, parmi d’autres qui restent peu nombreux, elle interdit même le vapotage. Mais pas le papotage. Ouf.

3. LA BATAILLE DE L’EAU GRATOS(OÙ L’ON ENTEND DES CRIS D’ORFRAIE)

Du coup, passons à l’eau. Sujet récurrent. La carafe qu’on vous sert gratuitement dans de nombreux pays (dès que vous vous asseyez), l’eau qu’on ne vous facture pas encore à Genève dans la majorité des cas mais qui, de plus en plus souvent, devient payante à Genève… Voilà un sujet qui revient comme les marrons à l’automne !

Depuis que A Tasca do Primo a facturé en 2009 une carafe douze francs, ce qui lui vaut une absence persistante de nos pages en dépit du fait qu’il s’agit d’un bon restaurant, il ne passe pas une année sans que le prix de l’eau de Genève, la flotte du lac, la gougoutte au jet d’eau ne revienne dans les débats. Avec une constance qui finit par émouvoir, les associations professionnelles défendent la liberté de leurs membres de facturer ou non la flotte du robinet. Voilà qui nous énerve. Pas seulement nous, d’ailleurs. Entre ceux qui ne la facturent pas, ceux qui la facturent, ceux qui la facturent selon les cas, donc à la tête du client, et ceux qui la facturent pour reverser le produit à une œuvre charitable (le Calamar), on s’y perd.

Bien sûr, une carafe doit passer à la machine. Un quart de centime. Bien sûr, les restaurateurs comptent sur les boissons pour tourner – les boissons payantes, donc, qui assurent l’essentiel du chiffre d’affaires. Bien sûr, il est de mauvais goût de commander un plat du jour « avec une carafe » et de filer sans prendre un café. Passe encore que l’eau soit facturée, disons, deux balles quand le client ne consomme aucun autre liquide. Prix plancher. Mais facturer la carafe quand elle complète le vin ou d’autres boissons, c’est limite. C’est comme facturer trois francs le sirop d’un enfant quand sa famille consomme et dépense à côté. C’est tellement mesquin que cela vaut une mention, au Yacht Club de la Tour carrée avec félicitations du jury.

Une croyance très répandue voudrait que « les restaurateurs sont obligés de fournir la Feuille d’avis officielle et/ou une carafe d’eau ». Désolé de vous décevoir : cela ne repose sur aucune base légale. C’est une légende urbaine, un mythe, une fadaise. Mais à force de freiner sur l’eau gratuite, à surtaxer le jus de robinet, les « professionnels de la profession » (dixit Godard5) ont pris des risques. Et le boulet n’a pas passé loin.

Au Grand Conseil, une tentative d’interdiction d’une telle pratique a échoué. Il eût été navrant qu’une loi vînt à codifier un usage simple tenant de la convivialité, du symbole, de l’art de recevoir et, finalement, dans tous les sens du terme, du bon commerce. Les cafetiers peuvent facturer l’eau. Mais qu’ils prennent garde à la mesure ! Quand l’excès répond à l’excès, on est mal barrés. Il est vrai qu’à Genève, on s’y entend, en matière d’excès. Même avec l’eau. Autre exemple : vous vous installez et demandez de l’eau minérale. On vous apporte une scandinave à douze balles. D’office. Sans choix. Ce qui est anormal, ce n’est pas le choix du restaurateur de servir de l’eau pétillante au prix de l’eau de parfum. Après tout, ça le regarde. Créneau commercial. Tant qu’il y a des riches… Non, ce qui est scandaleux, en vérité, c’est de ne pas prévenir et ne pas laisser de choix.

Quoi de neuf, disions-nous avant ces digressions ?

Qu’il y a du renouveau. Vous le verrez dans ces pages. Un foisonnement extraordinaire. La profession est vivace. Et travailleuse. Il nous semble que davantage d’établissements ouvrent à présent le dimanche, ce qui traduit la dureté des temps. Faut bosser. Y a-t-il trop d’établissements, comme on l’entend souvent ? Là n’est pas la question. Seuls les mauvais exploitants craignent le nombre et la proximité des concurrents. Un bon établissement tient le cap, un mauvais doit réfléchir et oser l’introspection. Les cris d’orfraie des milieux professionnels réclamant le retour de la clause de besoin pour limiter le nombre d’établissements dans la cité – cette clause de besoin dont la suppression a provoqué la dynamisation du marché à l’origine de notre premier guide –, ces hurlements de rapaces à la torture sont indignes. Pas les oiseaux, bien sûr. Les dirigeants professionnels campés dans le passé. La coterie chabrolienne qui fédère la branche a fait l’objet de contestations et même, depuis notre dernière édition, d’une tentative de putsch. Pas surprenant. Mais comme la révolution a échoué, la voilà confortée dans sa posture dominante. Quoique. Des cours de cafetiers s’organisent. La Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers n’est plus seule en place. Son monopole vacille. Une dissidence, le Groupe professionnel des restaurateurs et hôteliers, riposte et propose aussi des cours professionnels… En ligne et moins chers. Si ça marche, voilà qui pourrait détourner le flux des liquidités, ces cours assurant, c’est notoire, une part du budget associatif.

4. LES TAXES ET LE PINARD(OÙ ÇA CHARRIE PARFOIS GRAVE)

C’est comme le vin genevois. Trop cher, c’est clair. Certains exagèrent les marges. N’empêche… Et si l’on imposait aux restaurateurs de proposer au moins un vin genevois dans leur assortiment ? C’était l’une des propositions examinées par le Grand Conseil lors de la refonte de la loi sur la restauration, les débits de boissons et l’hébergement. Le président des restaurateurs a protesté comme d’hab’, « prêt à plaider jusqu’au Tribunal fédéral » contre une telle mesure si elle devait être appliquée. Bon. Chacun son point de vue. Mais quelle mouche a donc piqué le patron de l’Incontro pour déclarer, dans la presse, qu’une telle mesure serait « complètement stupide » au motif que, « lorsqu’on va dans un restaurant italien ou libanais, c’est pour manger italien ou libanais, pas genevois ! ». On peut s’opposer à toute obligation. Mais quelle emphase et quelle mauvaise foi dans un tel propos !

La rhétorique repose sur de fausses bases. Il n’a jamais été question d’imposer une exclusivité. Franchement, on peine à comprendre les viticulteurs s’opposant à une telle opération de valorisation du terroir au motif – comme on l’a entendu au parlement6 – que « leurs vins sont bons » et qu’ils « n’ont besoin de personne pour le faire valoir ». S’ils sont si bons, que craignent-ils, sauf à valoriser le terroir auprès des Genevois et des visiteurs ? Le député-vigneron qui s’exprimait ainsi est un homme sympathique et assurément convaincu. Son propos, hélas, ne valorise pas l’humilité. Et puis, franchement… On ne parle pas d’une carte genevoise… On parle de la présence d’un vin, au moins un vin et pas davantage, qui soit issu du vignoble local, au demeurant le troisième de Suisse. Il se serait agi de rendre hommage au travail des viticulteurs genevois qui, depuis une trentaine d’années, à force de travail, ont hissé leurs breuvages de la méchante plaisanterie (« du vinaigre pour laver les vitres ») aux appréciations les plus respectueuses, même chez les Vaudois, c’est dire.

Cela dit, pour être honnêtes, il faut aussi donner l’argument des « libertaires ». On nous susurre que de bons viticulteurs ne gagneraient rien à voir des restaurateurs de mauvaise foi respecter cette loi à reculons en servant de la piquette genevoise. C’est malheureusement vrai aussi : il en reste, et pas mal. Donc servir de la piquette juste pour respecter un oukase, c’est nase. Cette simple idée – balle dans le pied, autogoal, déloyauté, trahison – nous semble passible quasiment de la Cour martiale mais si certains l’évoquent, c’est donc qu’elle n’est pas saugrenue et qu’il y a des gougnafiers dans le marigot. Quel monde compliqué, la restauration. C’est cela qui est marrant, avec les cafetiers : leurs chefs veulent réglementer quand ça les arrange (clause de besoin) mais quand ça les gêne, c’est la bronca. On ne parle pas d’imposer la longeole aux restaus chinois. Mais d’une mesure qui n’aurait pas dopé les ventes, ni compliqué la gestion. Elle aurait juste souligné la présence d’un terroir local. Imaginerait-on qu’on ne propose que de la bière allemande dans un troquet belge ? Pas de vin d’Espagne à Barcelone au prétexte que le vin de France, c’est plus chic (et que celui du Chili coûte moins cher) ? Nous prenons le pari qu’aucun restaurateur, nous disons bien : aucun professionnel n’aurait perdu un franc en raison de cette contrainte. D’autant que beaucoup multiplient le prix d’achat, parfois plus que de raison. Mais nous admettons que toute contrainte est une atteinte.

Ils devraient faire gaffe, les syndicats de restaurateurs. Les consommateurs ne les suivent plus. Leur bataille pour l’abaissement de la TVA à 2,5 % pour tous les restaurants, par exemple, a fait long feu. Les Suisses ne se sont pas laissé faire. C’est même du brutal : rejet à 71,5 %, dans les urnes 7 ! Si le projet avait passé, il aurait fallu trouver près de 750 millions de francs pour le seul financement de l’AVS, auquel la TVA contribue.

Pourtant, sur le fond, on pouvait comprendre. Les restaus en ont marre de payer 8 % de TVA quand ils servent à table, cependant que les établissements de restauration à l’emporter (take away) sont taxés à 2,5 %. Mais nous n’avons pas le souvenir d’une proposition inverse. Par exemple : tout le monde à 8 %. Les kebabs et McDo auraient majoré leurs prix en conséquence, c’est vrai, mais cela aurait opéré ce rééquilibrage que Gastrosuisse dit appeler de ses vœux. Sur la santé, sur l’équité, on ne voit que des avantages. Sur les prix des sandwiches, peut-être pas. Mais imagine-t-on que les restaurants auraient baissé leurs prix si la TVA avait été réduite ? On s’en voudrait de faire un procès d’intention mais il est permis d’en douter. Il y a, en effet, un exemple proche de nous. Voyons la France. Sous Nicolas Sarkozy, la TVA a chuté de 14,6 points, passant de 19,6 % à 5,5 %. Les finances publiques ont morflé. Les prix ont baissé, oui, mais seulement de 2,5 %. Et les employeurs du secteur n’ont pas engagé davantage de monde. C’était officiellement le but, pourtant, de la mesure8.

Ce qui nous console, c’est que le prix du café reste contenu en Suisse romande. Au-delà de 3,50 fr., nous miaulons. A 4 fr., nous grognons. A 4,50 fr., nous boudons. Le prix du café servi a augmenté en Suisse alémanique et tire la moyenne suisse, pour 2014, à 4,16 fr. avec une pointe à Zurich (4,36 fr.) 9. Nombre de restaurants romands vont tenter de majorer un peu le petit noir. Certains, comme les Armures, pratiquent carrément des prix différenciés selon les heures. Les Armures sortent d’ailleurs de nos pages en raison d’une lente inflation et d’une politique patronale du personnel qui a coûté sa place aussi à la Fabrique. Les Genevois sont râleurs et critiques. Ils ne se laissent pas tondre. La consommation générale du café est en baisse. Nombre de restaurateurs se plaignent car la petite tasse dégage une bonne marge : amortissement compris de la machine automatique, le coût de revient se stabilise à 2022 centimes (50 pour les dosettes) 10. Cette régression doit à deux causes. Le prix – c’est de leur responsabilité – et, aussi, la multiplication à la maison comme au travail – là, ils n’y peuvent rien – des machines à dosettes. A moins de fournir un café exceptionnel, comme naguère la Caravane, et de verrouiller la clientèle pour cette raison, le phénomène devrait inciter les tenanciers à une prudente mesure.

5. CES CHERS DISPARUS(OÙ L’ON VOIT LES ENSEIGNES TOURNER)

Ah ! La Caravane de Daniel Sepe ! Quelle saga ! Longtemps nous avons soutenu et encouragé le travail du cafetier mobile le plus populaire du canton. Des thés et des cafés d’ici et d’ailleurs (on cultive peu de thé et café dans la campagne genevoise…), du chocolat chaud mousseux, des quiches épaisses, des tartes goûteuses, des sandwiches originaux : voilà ce que Daniel servait, sous le lustre rococo de sa caravane tapissée de rouge. En veste verte, avec à ses côtés un staff d’enfer, dont sa femme Regina, c’était une figure des marchés. Durant plusieurs années, Daniel a espéré une taverne fixe, présenté des dossiers, attendu un pavillon. Promesses, abandons, re-promesses, trahisons…

En 2010, nous disions à cette même place espérer pouvoir écrire bientôt le mot « fin ». On y était presque. Car finalement, Sepe l’a obtenu, son pavillon avec terrasse, plaine de Plainpalais. Mais sous condition. Plus de caravane mobile ! Alors là, il a lâché. Vendu la nouvelle caravane (il venait de se l’acheter), l’ancienne aussi et le service traiteur avec, cédé ses recettes, quitté le pavillon trop neuf et disparu du paysage, épuisé. Parfois, on le recroise en lisière de spectacles, comme au cabaret Tell donné en 2014 aux Bastions. Mais elle manque, la Caravane. Même si la nouvelle buvette rafraîchie côté Rond-Point est plutôt sympa. Que les « food truckistes » en plein essor (lire chapitre 8) n’oublient pas que c’est à Daniel Sepe qu’ils doivent tout. Il a montré le chemin, créé des habitudes et convaincu les autorités municipales en quinze ans de lutte. Quinze ans ! Trois ans de plus que n’en comptent trois législatures.

Plus surprenant, à l’extrême opposé du genre, le naufrage du Little Buddha Bar ! Le petit cousin, place Neuve, du célèbre temple de la jet set branchée parisienne a vécu. Et dire que c’était parti à fond les biellons. « Fermeture pour cause de travaux », indiquait une pancarte manuscrite à la va-vite. Fermeture définitive pour cause de plantage, oui ! Pardon, de « surendettement ». Faut pas quêter plus haut que son dû. Qui a dit que la clientèle branchée genevoise n’était pas volatile ? Ce qui nous chagrine dans cette histoire, c’est le licenciement sec et sans préavis d’une vingtaine de personnes. Dans le genre, seul le Baroque tient le coup au Molard, mais pour combien de temps ? Aussi vite disparu qu’arrivé, la Voile, ouvert après force teasing sur leurs vitrines. Très bon, trop cher : pas de clientèle. L’ancien vénérable Amiral est désormais japonais : Moshi Moshi !

L’une des autres fermetures spectaculaires, c’est celle de Dédé. Là, entre nous, c’est gravissime. Le Dédé incontournable des Pâquis, ses cordons bleus d’anthologie ! Eh bien, il a vendu. Quel traumatisme. Avec le temps, va, tout s’en va. Même Dédé. Il était fatigué, fatigué. Plusieurs restaurateurs le citent, dans ces pages. Nous n’avons rien biffé. Le manque apparaît déjà. L’enseigne va rester en place une année mais le repreneur, qui vient de Versoix (Choiseul), devra se la jouer finaude. Autre annonce qui nous rend inconsolables : la vente du café Babel, à Bardonnex, fondé en 1906. Mais voilà : Hannelies Thomas, la divine patronne appenzelloise, celle qui refoula la Présidente de la Confédération – des ouvriers avaient réservé leur table, elle refusait de les décevoir – Hannelies donc baisse les bras. Elle a assez donné. Que vont devenir les tartes magiques, les röstis épatants, la cuisine familiale, les terrasses et le bric-à-brac du café Babel au milieu duquel Maurice Chevalier lui-même s’est attablé un jour ? Qui d’autre va reprendre cette enseigne mythique ? A suivre, à court terme.

Il y a ainsi beaucoup d’enseignes dont nous observons l’évolution et jaugeons les avatars. Pour le meilleur, parfois ou pour le statu quo, aussi. Et plus rarement, pour le pire, en ce sens que meurt un esprit.

Ainsi, le Mortimer. Mais qu’est donc arrivé à l’ancien Café Fontaine, cher aux joueurs d’échecs, ce Mortimer de belle déco, en Vieille-Ville, sous la terrasse Agrippa d’Aubigné, qui ne désemplissait pas ? Du jour au lendemain, pfuit ! Fermé. Nous avons entendu plein d’histoires à ce sujet mais nous vous épargnerons les ragots. Le fait est que, durant plus d’une année, l’arcade est restée comateuse. Jusqu’à l’installation fin 2014 d’un tea-room à l’enseigne de Pougnier. La bonne nouvelle, c’est qu’on a évité l’installation d’un troisième Starbucks ou d’un nouveau sushi bar (il y en a de l’autre côté de la place et deux autres à la Rôtisserie). La mauvaise, c’est qu’on ne s’y retrouve pas. Quand on joue des coudes pour s’imposer en Vieille-Ville, encore faut-il soigner l’accueil ! Franchement, côté ambiance, ce n’est pas terrible. Derrière le comptoir, on voit tout de suite où sont les chefs : ils tirent la gueule et ne saluent pas. La clientèle subit, le personnel probablement aussi. Et puis, les plats du jour dans une boulangerie, est-ce de la cuisine ?

A contrario, on apprécie la bonne nouvelle à la Madeleine : après quinze ans d’échecs sous des appellations diverses et des proprios fugitifs, genre Pyshiar au Servette FC, le Cintra – portes closes durant un an et demi – les rouvre enfin et, désormais lié au café du Perron, retrouve son vrai nom. C’est plutôt une bonne nouvelle. Parce que trop de restaurants sont à remettre. Et trop disparaissent. Parfois, ils sont repris. Parfois pas. Parfois, c’est heureux. Parfois pas.

Aux Pâquis, par exemple, Inagiku a fermé. La Navigation, il s’en est fallu de peu. Le troquet centenaire, récif des naufragés, a fermé en 2013. Puis rouvert, orientalisé, avec un nouveau sol, de nouvelles couleurs, un nouvel éclairage et… un public plus chic. Très belle histoire, soit dit en passant, que celle du réfugié kurde qui, passé par mille métiers dont les kebabs, ouvre ainsi son quatrième établissement. L’Aiglon aussi a changé. Lassitude, vente. Mais au moins, il demeure. A la Jonction, L’Entracte a plié. Côté hôpital, L’Amalfi est remplacé par un Bistro de la Tour qui tente de faire sa place dans un lieu difficile (Cyril Frutiger a rebondi à l’enseigne Da Matteo*). Dans le quartier, évaporation encore de Thé & Vapeur (dans le genre, reste Le Thé*, adresse mythique près de la caserne des Bains). Fermeture aussi en Vieille-Ville d’In Fine et toujours cette créativité dans le mensonge : « fermé pour cause de travaux, durée indéterminée ». Tu parles ! Bon, il a réouvert, autre direction, biosans gluten. En Vieille-Ville toujours, dissout, le 3 Rive gauche, trop cher et accueil prétentieux. Son successeur un brin chic, la Bottega, commence bien mais nous attendrons pour voir. Aux Pâquis, disparition de la mythique Bâloise, remplacée par Il Duca. Quant au Relais de l’Entrecôte, il s’en est fallu de peu. Il a migré angle rue d’Aoste/Cour de Rive, avec une terrasse un peu moins mini qu’avant. Mais c’est l’usine !

Pour la bonne bouche, rappel des épisodes précédents. Cette histoire est abracadabrantesque.

a) Propriétaire de l’immeuble 49, rue du Rhône, Zurich Assurances, ne renouvelle pas le bail. La boîte ne veut plus de restaurant dans le bâtiment.

b) La Zurich obtient le départ du Relais mais doit conserver le décor de 1912, classé. Pour vendre de la fringue grand luxe, les boiseries feront l’affaire.

c) Coup de théâtre : la Ville impose le maintien d’une activité de restauration pour compenser la désertification du secteur au centre-ville. Donc, le proprio doit conserver le cadre et l’activité. Le Relais, lassé, plie bagages.

d) Et voilà – surprise du chef ! – qu’un concurrent du Relais obtient le bail avec un concept similaire. Pis : avec des anciens du Relais !

On ne vous dit pas le bronx. Si l’entrecôte est chère, dans le coin, c’est peut-être parce que les avocats des parties ne sont pas les meilleurs marchés de la place. Invectives et nom d’oiseau. Résultat : avantage au flibustier. Il lui est interdit de plagier le nom du restaurant, de reprendre le graphisme du vaincu ou de prétendre à la longévité de son activité alors que, en réalité, il s’installe comme un coucou dans le nid de ses prédécesseurs. Mais il gagne en ce sens qu’il peut perpétuer l’entrecôte à cette adresse, ce qui lui était contesté. Il est vrai que le concept entrecôte beurre Café de Paris (qui est vraiment né à Genève, en 1930 au Café de Paris*) n’est pas exclusif. La recette est secrète mais chacun y va de son imitation approximative, comme par exemple à l’Entrecôte St-Jean, à l’Aviation à Vernier ou au Mont-Salève à Veyrier (qui a réintégré le risotto, tant mieux, mais en majorant le prix, alors flûte). Le nouveau venu, à l’enseigne 49 Rhône, a ajouté à la carte le dos de cabillaud, histoire de se démarquer un peu. Et en avant Simone ! Après tout, le service « brasserie » en rondin n’est pas exclusif…

A propos de rondin, le vêtement de service des bonnes brasseries. Dans le quartier, la brasserie Lipp* a eu chaud. Une résiliation de bail pour elle aussi, du propriétaire Crédit suisse. Lipp s’est battu et a survécu. La brasserie reste en place mais il y aura des travaux dans le bâtiment. A l’arrivée, rien ne changera fondamentalement : il y aura un vrai jardin d’hiver, démontable, un accueil facilité pour les clients, bref, on ne touche pas aux fondamentaux. Lipp, c’est Lipp. On améliore, on ne change pas. Juste derrière, à la Rôtisserie, l’Alhambar a aussi été sauvé. Il devait être mangé par le foyer du théâtre Alhambra, rénové. Son sauvetage tient de la saga. Il a changé, le bar s’est déplacé, il y a moins de canapés, mais il est là. Nous n’en parlons pas davantage parce qu’il n’est pas ouvert au moment où nous rendons ces lignes. Dommage. Mais nous connaissons Maroussia Baud. Elle fera des merveilles, comme d’hab’. Nous irons les yeux fermés.

A l’inverse, disons-le clairement : s’il y a un endroit où nous ne poserons pas les fesses, c’est bien sur l’invraisemblable « bateau » de Florissant, mi-bunker mi-artichaut. Cette chose de trente mètre sur six s’est posée sur la terrasse du Flora Bar. Grotesque. C’est moche, prétentieux et surtout, ça marque la fin du dernier bistrot popu d’un quartier qui en manque singulièrement. L’ami Orlando s’est battu tant qu’il pouvait contre cette flibusterie. Il s’y est usé. Le commerce est libre mais l’avidité est affligeante.

Quand on dit qu’à Genève, on ne peut rien construire…

Faisons l’addition. Au total, un restaurant maintenu rue du Rhône, l’Alhambar qui repart et Lipp* miraculé, ça soulage. Il n’y a aucun gain mais des pertes empêchées. Car au centre-ville, ça continue d’aller moyen. Le Radar et la Crémière n’ont jamais été remplacés. Le Radar de Poche du Bourg-de-Four, anciennement l’Eperon, n’a pas l’envergure de celui des Rues-Basses. Les autres disparaissent aussi. Terminé, l’Antidote. Du balai. Fermé aussi, L’Hermitage ! On ne pend plus de bidoche à la potence. Et à propos de barbaque… La boucherie du Molard a failli émigrer. Nespresso guettait la place. Elle s’est battue. Déjà que le fleuriste du Molard se trouve aujourd’hui, sous ce nom, boulevard de Saint-Georges, il ne manquerait plus que la célébrissime boucherie s’en aille aussi ! Après le Coq d’Or et Zivi, cela sonnerait la fin des traiteurs fins, tous chassés du centre à l’exception de la Halle de Rive. Pas de quoi se réjouir. Mais aux dernières nouvelles, un accord semble trouvé : la boucherie du Molard reste en place jusqu’en 2030.

On continue ? Disparu à son tour, le Céleste empire ! Le premier restaurant chinois de Suisse n’a pas résisté au renchérissement des loyers au centre-ville. Il s’est exilé. Nous l’avons cherché et retrouvé… à Bernex. Mais oui : c’est bien la même maison. Les générations se suivent. A propos, la fille de Jean-François Schlemmer a repris à la Coulouvrenière l’Omnibus – le premier restaurant de « JFS » – mais passe à autre chose, avec la maternité. Son frère en revanche s’investit grandement. Leur père, c’est aussi celui du Curiositas, de la Taverne de la République, repris, pour devenir une vraie boîte de musique live, par un ancien « ingé-son » de la RTS, du restaurant de l’Observatoire (au Salève) et du « VG », qu’il a remis depuis longtemps… JFS aujourd’hui se dégage de presque tout. Nous l’avions pressenti (et suggéré) : qui trop embrasse mal étreint. Bref, il fait des choix. Merci quand même, l’artiste ! Le Palais Mascotte lui survit (il l’avait fait renaître), mais Curiositas est devenu « Cercle des Bains ». Contrairement à ce que son nom peut laisser penser, ce cercle – sans les « curiosités » naturalistes qui conféraient au décor un style unique – est ouvert. Il se loue pour des fêtes privées glamour ou d’entreprises, pas moins.

Place des Eaux-Vives, nous avions salué l’ouverture de Quelque part par deux sympathiques transfuges des Halles de Rive. L’une travaillait au Bistrot des Halles chez Blaise et Marlyse, l’autre à la fromagerie Müller. Leur restaurant remplissait une double fonction sociale. D’abord, il n’était pas cher. Ensuite, c’était un lieu où les femmes seules ne se faisaient pas enquiquiner. Les patronnes veillaient au grain. Donc forcément, à Rive, quartier chérot où la Rolex et la Cayenne peuvent procéder de l’identification sociale, et où la gourmette-or signe un style, ça n’a pas tenu. C’est devenu le Cerfeuil. En face de l’Opéra Bouffe*, envolé MasQmenos ! Successivement grec, maghrébin, italien, le lieu semble maudit. Personne n’a tenu dans cette arcade. Devant la poste, le Bamboo Garden n’est plus. Vive l’Olyve* ! Au moins, ce n’est pas perdu. Aux Glacis, l’Aïoli a émigré rue de la Colline… à la Colline. Son arcade est devenue italienne. En aval, rue des Eaux-Vives, fini Arirang. Pas loin, rue Blanvalet, le Goût des Autres ferme et cela nous chagrine. Poussé dehors après douze ans de réussite. Son propriétaire l’a mis à la porte pour installer des amis à lui. C’est vache ! Dans la même rue, consternation derechef : l’Etoile espagnole s’incline, l’Atelier Cocktail Club récupère l’espace. Dans ce grand mouvement, la galaxie Gourmet Brothers*, pousse ses pions. Vous avez remarqué : tous les sept ans ou à peu près, comme un tournus de jachère, vous avez un nouveau trust. Dumont-Dupraz, Schlemmer, Frutiger…

Et maintenant Benjamin Luzuy. Il n’a pas 30 ans mais reprend l’Altitude, l’élégant restaurant de l’aéroport international de Genève, exploite une cuisine de 600 mètres carrés pour le Gourmet Bros et quelques établissements annexes, dont Voisins*, obtient le restaurant d’entreprise de Hublot à Nyon, saute en parachute sur des terroirs qu’il fait découvrir dans une émission de télévision… Pourvu qu’il n’en fasse pas trop.

Face au jet d’eau, après les Marins, le vénérable Amiral a donc disparu. Etrange malédiction au bord des quais. Après plus d’une année de « teasing » sur des vitrines opaques, un établissement plutôt cossu mais convivial s’est implanté, La Voile qui, à peine dépliée, s’est déchirée. Reste l’enseigne. Elle n’a pas tenu la première bise : excellent mais trop cher ! C’est délicat, la gestion d’un restaurant. A Saint-Gervais, le Café des Transports (son coq au vin !), c’est fini. Minée par les erreurs d’une gérance qu’elle croyait de confiance, Graziela a jeté l’éponge. A deux pas de là, le Gervaise aux murs duquel de grands dessinateurs de presse ont laissé des souvenirs (Plantu, Wiaz, Siné, Wolinski…) a cédé la place à Yukiguni*, un bar à ramen (soupes japonaises). Fin de bail un peu bizarre (à propos : toujours à St-Gervais, le Café Bizarre, c’est terminé aussi), voire triste. On appréciait les concerts du Gervaise. Et ses bandes-sons jazzy-balkano-bluesy mâtinées chanson française. On y retrouvait les tonalités musicales de Mama Seuz, aux Augustins. On aimait s’arrêter chez elle le midi pour une croque bio. C’est fini. Sarah a fait un choix, elle cartonne comme thérapeute. Donc adieu soupes, quiches et tartines.

Une grosse larme, aussi, pour le Pompei de Champel qui mettra les clés sous le paillasson fin 2015. Motif ? Les misères causées par le chantier de la gare CEVA d’en face. En 2013, le patron a été partiellement indemnisé pour les nuisances. Puis, plus rien. En clair : on veut bien que marteaux-piqueurs et tremblements fassent fuir vos clients – pour cela on vous dédommage – mais on ne considère pas la perte consécutive à la suppression des places de stationnement. Résultat : moins 20 %. Les inusables (jusqu’ici) Attianese ont préféré renoncer. A propos de rails, rue Voltaire, près du train, le petit Couchant a fermé. C’était sans doute le dernier à Genève qui affichait le portrait du Général Guisan…

On guettait encore la Maison d’Arare (ancienne Auberge du Levant) à Plan-les-Ouates, qui allait rouvrir avec une nouvelle équipe. Malédiction ! Elle a brûlé. A Troinex, Patrick Mièvre – ex-Vallon – a succédé aux fourneaux de la Chaumière de Cressac et Mondet. Richard Cressac, lui, a posé les plaques en fermant son « C »*, rue du Simplon. Dommage, on perd un bon cuisinier. Mais pas l’adresse, reprise par le tandem Fran et Paccot.

A Carouge le grand Bouilloux a cédé le Petit Collège* au couple Turcan. Ce sont des évolutions, pas des fermetures ! Boulevard de Saint-Georges, en revanche, le Saint-Germain quasi historique a plié boutique. Lui ne s’est pas relocalisé. Son enseigne fait place désormais au remarquable Jeab*. Dans le même axe, Chez l’Autre a été repris par Georges Magnin. Voici la fondue, à l’enseigne du Gruyérien*, qui a fermé simultanément son estaminet rue Bonivard. C’est donc un déplacement, pas une disparition. Des vases communicants. La Certitude s’est déplacé sous la gare, au Pradier, toujours avec une formule buffet sans égale. L’Assiette bleue est devenue Comptoir Canaille*. La Cantine des commerçants* a changé. Sa carte aussi est parlante. Dès qu’on voit arriver « espuma » et « gravlax » on sait ce que ça veut dire. Changement de gamme, vers le haut. Très réussie, il faut le dire. N’empêche, en pleine Jonction portugaise, face à la Coop… La « gentryfication » du quartier est en marche. Contenue jusqu’ici côté Bains, elle avance. Aux Acacias, encore épargnés, larmes de tristesse pour la disparition de L’Etna original. Heureusement, le bon Rocco n’a pas supporté la retraite. Le revoilà au Floraire* à Chêne-Bourg. Sonnez hautbois, résonnez musettes ! A Malagnou, une larme encore pour Le Lotus, victime peut-être d’une cuisine vietnamienne trop subtile – c’est un comble – pour tout-un-chacun. C’est aujourd’hui le Jardin d’Eliette. Et la Biscotte, rond-point de Plainpalais… devient les Merveilleux de Fred, une pâtisserie chic mais maillon d’une chaîne. Et Central Perk a mis la clé sous le paillasson.

Un mot du Central Perk. On vous avait raconté comment P’tit Louis a tenu tête à la Warner en reproduisant en 1998, presque à l’identique, le célèbre café (fictif) de la série « Friends ». Il a gagné contre les avocats balèzes de la compagnie. Mais il s’est épuisé. Un Central Perk « autorisé » a ouvert depuis lors ses portes à Greenwich Village en 2014, mais aujourd’hui « P’tit Louis » a disparu, laissant tout de même un autre de ses « bébés » l’Atelier. Dur métier, quand même. Quant aux restaurants à vendre à l’heure où nous écrivons, nous en connaissons un paquet. Mais pas question de les nommer : ce serait trahir la confiance des propriétaires encore en place.

6. UNE NOUVELLE DYNAMIQUE(OÙ LE MARCHÉ SE PREND LE CHOU, BIO)

Le gastro se porte bien. Sept étoilés Michelin, vingt-neuf toqués Gault & Millau… On s’en réjouit mais nous ne vous en parlerons pas ici. Alain Giroud fait cela très bien (il cuisine aussi comme un grand). Nous sommes dans un autre registre. Plus grand public, moins expert. Et dans ce répertoire, un constat nous réjouit : la Semaine du goût prend de l’ampleur. On vous en rappelle en deux mots le principe : des restaurants s’engagent à proposer une cuisine de saison, artisanale et de proximité. Bref, ils avancent, déterminés – et pas qu’une semaine – dans le sens du développement durable. Pas de gaspillage, pas de fraises en hiver, pas de vin du Chili dans les sauces, lesquelles forcément ne sont pas industrielles. Vous pigez ? C’est juste des principes de bonne bouffe intelligente. D’alimentation de qualité. En 2014, la Ville de Genève a créé un Prix du public de la Semaine du goût. Et surprise : ce prix est allé à trois restaurants situés dans le même secteur de Plainpalais-Augustins La Fin des Haricots*, l’Epicentre* et l’éphémère Coin Vert, devenu l’Eveil des Sens*. Manifestement, il y a émulation dans ce quartier où Marius*, le Socrate* ou la 6e Heure* ont déjà amené, et ancré, de nouvelles habitudes. Eric Vouriot par exemple a fait du café des Sources*, autrefois boui-boui de quartier, une table emblématique, avec son ris de veau, sa cocotte de homard et, parfois, de petits concerts. On aime ces mutations. De belles tables naissent du travail patient de mains talentueuses. Des chrysalides deviennent papillons. Les prix ne vont pas à la baisse, c’est vrai, mais la qualité peut devenir exceptionnelle dans un rapport qualité-prix intéressant. Foin du steak-frites, vive le carré d’agneau aux herbes. Vous suivez ?

C’est cela qui a changé, ces dernières années : cette attention au goût, à la recherche, à la finesse, au fait maison, au bio. Ainsi, sans tonnes de beurre, sans litrons de crème (on ne vit plus sous Vatel et Escoffier), des restaurateurs sensibles aux produits locaux proposent de nouveaux voyages et des assemblages inédits – sans négliger pour autant les grands classiques. La souris d’agneau est bien là mais, par exemple, laquée aux noisettes. On réinvente toujours. Même le café – ou plutôt, l’art du café se renouvelle. C’est le cas aux Voisins*. Il est très bon au Karoma Royal, spécialisé. Mention spéciale avec palmes au Birdie qui propose, à l’instar de ce qu’on trouve à New York, Copenhague ou Berlin, des cafés exclusifs, pointus, d’origine traçable et de la petite nourriture saine (soupes, cakes…) dans un décor clair et bien pensé. Le plancher de récup’ porte quelques traces de peinture qui participent au charme. C’est dans le quartier de l’art contemporain, rue des Bains. Pas vraiment un restaurant. Mais le lieu mérite d’être signalé pour l’excellence du style et des produits. Il y a là une vraie compétence. Si vous les questionnez, Florent et Bastien vous parlent à l’infini des filières café et chocolat, de la torréfaction, des méthodes pour tirer le jus. De courtes tables collées à la vitre permettent de profiter du soleil et de l’animation de la caserne des pompiers. Et le bus s’arrête juste devant, petits malins. En face, de part et d’autre de la caserne des pompiers, il y a da Tavolone, une épicerie italienne qui abreuve, et Ou bien encore, une ancienne épicerie portugaise dont Claude Lazzaretti (ex-Alhambar) a fait un lieu très rue des Bains, « cantine, café, galerie ».

Dans le même genre, plutôt salades et moins cafés, on vous glisse une autre petite adresse sympa, en Vieille-Ville, rue de la Boulangerie : Une Bonne Santé. Très frais, très vert, bio. Epicerie et petite restauration maison, à l’emporter car il n’y a qu’une table, pour l’appel, pour l’attente. A deux pas, rue de la Pélisserie, Da Marcella prépare de magnifiques pâtes et desserts. Service traiteur. On s’en voudrait encore de ne pas mentionner, toujours à portée de main, rue de la Tour-de-Boël, la jolie Cantinella. Même genre, avec jambons qui pendent et quasiment le son de la mandoline dans les oreilles. Et le top : Au Petit Comestible, rue du Perron, dont le patron mythique, Alessandro, connaît chaque client par son prénom. Prosciutto di Parma, pain aux olives, tortelloni à la truffe et pique-niques de rêve. Ce ne sont pas des bistrots. Mais ils font partie d’un mouvement qu’ils catalysent, parfois, sans le savoir. Le nouveau café agricole La Ritournelle* du boulevard Carl-Vogt s’inscrit dans ce créneau. Du bon, du vrai. Naturel, souvent bio, avec une attention soutenue aux filières et au recyclage option épicerie. De belles adresses mais pas vraiment des restaurants. Car, signe des temps, on prend moins le temps de s’arrêter le midi. Mais au moins, grâce à de tels établissements, on peut – c’est la bonne nouvelle – manger sur le pouce convenablement.

C’est intéressant aussi, ce trend « pas vraiment restaurant ». Les produits, on en a parlé. Il y a aussi le mélange – ou plutôt l’addition – des genres. Les Filles indignes avec leur épicerie-bibliothèques relaient Livresse*, pionnier du genre, ou les Recyclables. C’est chouettes, les livres, dans les cafés. On connaissait les fringues (L’Adresse*), voici les mots. C’est plus volatile mais ça habille bien l’esprit quand on sait les choisir. Du coup, notre éditeur Slatkine ouvre un café littéraire dans son arcade centenaire. On s’en réjouit car c’est une belle tradition un peu perdue. Un ancien bibliothécaire a ouvert quant à lui l’Olyve*, avec une carte courte comme on les aime. Y paiera-t-on des cafés suspendus ?

Ah oui, parce qu’il faut qu’on vous dise, un nouveau truc, c’est le café « suspendu » – ou « en attente », c’est pareil. La Ritournelle a commencé et d’autres ont suivi : le Café des Savoises, le Chausse-coqs*, le Charlie Bar, le Bal des Créateurs, l’Atelier*… En deux mots, voici : vous payez un café pour vous, et un autre aussi qui reste « en attente », autrement dit, destiné à une personne désargentée qui le boira volontiers. Le président des cafetiers n’est pas enthousiaste11. Le contraire nous eût étonné. Selon lui, les cafetiers sont sympas et cela suffit. Oui, et alors ? S’il en est qui veulent proposer le café en attente, qu’ils le fassent ! C’est leur affaire. Une expérience originale et solidaire. Oui, du café solidaire mais au niveau du consommateur, pas du producteur ! Le projet est né à Naples. Plus de 200 lieux le mettent en œuvre aujourd’hui dans une vingtaine de pays. C’est top, chef.

Revenons à la table. Le sans-gluten gagne du terrain. Pas seulement dans le clan bio. Giardino Romano, Sunset, A Table, In Fine, tout le monde s’y essaie. Autre mouvement ascendant : la cuisine végétarienne. C’est très créatif, la cuisine végétarienne. Oubliez les clichés Katmandou. Osez même la cuisine végétalienne (pas de produits lactés, pas d’œufs, bref, rien qui soit d’origine animale), laquelle se fait une petite place aussi. Ce qui est plaisant, par exemple chez Mu Food*, place de la Navigation, c’est que, en plus de la créativité et de l’élégance des plats, tout est traçable et reste proche. Potagers de Gaïa, Domaine des Biolettes et de la Touvière, cidrerie de Meinier, bières du Père Jakob et Glouglou (vous connaissiez ? Nous pas)… Oui, le végétarien et le vegan se déploient. Avant Helveg*, aujourd’hui figure de proue, ce sont Les Deux Portes qui ont commencé, rue Schaub. On vous en avait parlé dès les premières éditions. Une histoire incroyable parce que l’arcade avait abrité auparavant… une boucherie. Eh bien ! Les Lacombe ont fait de leur boutique assainie un lieu d’exception. Beaucoup à Genève se sont inspiré de leur cuisine et de leur savoir-faire. Une cuisine qui élimine les produits d’origine animale et aussi – question d’éthique – l’huile de palme. Une cuisine qui préfère sucrer à la poire qu’à la canne ou à la betterave. Ne racontons pas de fadaises : nous ne sommes pas dans ce mouvement. Mais respect à eux !

Dans cette veine, il faut saluer avec flonflons Les Mangeurs*, rue du Prieuré. Ce n’est pas un restau végétarien à proprement parler mais ce bistrot (qui fait aussi épicerie, comme souvent) remet la viande à sa juste place. On en mange mais sans excès. Pas quotidiennement et seulement dans la mesure où l’origine des bêtes est identifiée et leur bien-être assuré. Raisonnablement. Produits bios, proches, équitables et toujours traçables : pâtes du Tessin, moutardes de Fontanezier, fruits et légumes de Bardonnex, olives de Lausanne, mozza de Plainpalais, pain de Satigny (et bières de Soral, toujours Jakob…), on sait à qui et à quoi l’on a affaire. D’autres petits troquets « santé » se sont ouverts aussi, sur le pouce mais pas junk food. Tous proches de la plaine de Plainpalais et de ses marchés. Ou Bien, café-épicerie, Yogi bar, Green Spot… Nous n’allons pas les suivre mais on peut les mentionner ici.

Cette nouvelle dynamique mérite d’autant son nom que, précisément, les vins naturels, bio ou biodynamiques aussi connaissent un essor nouveau. On doit beaucoup au bien nommé Le Passeur de vin (LPDV). Derrière cette appellation, des artistes, des philosophes, des poètes et des experts partagent ensemble une passion et forgent les palais curieux. La viticulture raisonnée qu’ils défendent se heurte à des pratiques industrielles qui peuvent produire de bons vins, aussi, mais se fichent d’astralité, force éthérique ou, même, pesticides phytosanitaires. On sent, du côté des grandes caves, une certaine condescendance à l’endroit des nouvelles méthodes. Faut s’y faire : depuis Noé, on a peu changé de technique et là, hop ! De nouveaux venus secouent le cocotier, pardon, le cep, en écoutant les oiseaux, les étoiles et les coccinelles. C’est un brin exagéré, comme description, mais à peine. En gros, c’est la querelle des Anciens et des Modernes, des allopathes et des homéopathes, des Horaces et des Curiaces.

Marius*, Gourmet Brothers*, l’Epicentre*, Zinette*, la Paix*, Arsène*, Nagomi*, L’Artichaut* (le nouveau patron est ancien de LPDV), Jeab*, La Crise*, L’Auberge de Confignon* ou Le Flacon*, pour ne citer que ceux-ci, osent des vins naturels, faisant souvent fi du label (des rebelles, des vrais !). Voilà des flacons pas toujours acceptés par l’ensemble de la profession, voire des consommateurs, mais souvent passionnants à découvrir. Qu’on se le dise : ce sont des pionniers. Un bémol : leurs prix. Deux, trois voire quatre francs de plus qu’ailleurs, le canon, c’est un peu poussé. Et nombreux sont ceux qui se refusent à payer ce prix. Mais cela s’explique. Ce n’est pas la caractéristique naturelle du vin qui coûte le plus. C’est le choix du vigneron consistant à privilégier la qualité au rendement. Alors oui, forcément, ça a un prix. « C’est pas une mode, c’est un état d’esprit », commente un restaurateur. Pas faux. Notre interlocuteur, on l’aura compris, n’aime pas trop ça.

C’est eux, la nouvelle tendance. Elle se développe côté Augustins, on l’a dit, mais pas seulement. Elle essaime. Cette nouvelle façon de concevoir la cuisine et le vin, saisonnière, proche, naturelle va s’étendre encore.

7. L’OFFENSIVE DU HAMBURGER(OÙ L’ON TIENT SA REVANCHE SUR MCDO)

Dans le genre tout inverse, avez-vous remarqué ? Les hamburgers sont à la mode. En France en 2014, 58 % des sandwiches vendus sont des burgers. Plus d’un milliard de burger. Une augmentation de 10 % 12. Ce qui change ? L’arrivée du burger classe ! Alain Cojean a lancé la mode en 2001 en quittant McDo. Plus de vingt enseignes portent aujourd’hui son nom. En France, les hamburgers représentent 40 % des mets servis dans la restauration13. Sur Instagram, la clé #burger renvoie à un million d’images14. La contre-restauration gagne ses galons. Burger de saumon au Contemporain*. Rossini ou Brie, au Pied de Cochon*. Même l’Opéra Bouffe* s’y est mis. Bref, nature ou compliqués, les vrais, bons burgers font un tabac. L’Odéon* et son hamburger QDB (queue de bœuf), le M* (comme Madeleine), Holly Cow (tout est suisse, même le sirop), Together (à Saint-Gervais), The Hamburger Foundation* (caravane et arcade, aux Pâquis), le Café du Cinéma (à Carouge), Remor (avec pommes au four), FMR Bar (passé des Eaux-Vives à la Jonction), le Gobelet d’argent* (nouvelle équipe), Roadrunner (le pionnier, à Grange-Canal), Chez Arsène* (amusant, le nom : Mic Mac), la Cantine des Commerçant (produit d’appel), B d’Armand (d’agneau, à l’orientale), le Spikisi (matos chiné, serveur chiadé), et bien d’autres pour ne pas dire tous. Ça en devient grotesque. Ils rivalisent comme, avant, les pizzerias de quartier. Chacun tenait « sa » pizzeria meilleure que les autres : eh bien, c’est pareil avec les hamburgers.

L’une de ces enseignes (THF) a connu son quart d’heure de gloire en 2014 lorsque le réseau Twister a déclaré que son hamburger comptait parmi les dix meilleurs du monde. Foutaise, bien sûr. La source ? Des « ambassadeurs » autoproclamés et « les réseaux Facebook et Twitter ». Ah bon ? Leurs utilisateurs auraient-ils testé, avec critères et méthode, tous les hamburgers du monde d’Albanie au Zimbabwe ? Vous savez ce que nous pensons des sites. Ici, la farce est complète.

Décryptage :

1) Un site pompe ses « infos » sur les réseaux, où on peut les envoyer en rafale et donc les bidonner.

2) Il les synthétise avec des « ambassadeurs » qui sont, en quelque sorte, des correspondants dont la neutralité fait débat.

3) Il transmet un classement à une presse locale fatiguée.

4) Celle-ci relaie une affaire « mondiale ». Comme THF est effectivement une bonne maison, on regrette ce barnum qui finalement ne l’avantage pas.

Tant qu’à chercher des infos sur Internet, autant visiter un site personnel, local, identifiable et maîtrisé comme www.theburgerblog.ch. Ce réseau ne prétend ni à l’universalité ni à l’objectivité. On peut être d’accord avec lui ou pas. Preuve de compétence locale, il mentionne L’Aviation, célèbre troquet de Vernier, spécialiste de la viande, à l’écart des gazouillis, ou la Brasserie des Tours