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Des catholiques, laïcs et religieux, racontent comment ils ont vécu les événements de mai 1968, comme croyants et comme citoyens.
Avec les témoignages de Guy Aurenche, Maurice Bellet, Mgr Jacques Gaillot, Jacques Musset, Mgr Jacques Noyer, René Poujol, François Soulage...
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« Prêcher massivement le Carême,
c’est éveiller, susciter et sans cesse re-susciter
une action collective pour paralyser, frapper de mort
les mécanismes d’une société injuste,
dominée par l’argent et la puissance.
La grève générale de protestation,
non instinctive
mais pensée contre l’injustice structurelle du monde,
est bien l’accomplissement du Carême qui plaît à Dieu,
la liturgie contemporaine de la Pâque. »
Père Jean Cardonnel, dominicainExtrait du prêche de Carême le 22 mars 1968 à la Mutualité (Paris)
Introduction
Catholiques français de gauche et d’extrême-gauche à l’épreuve du « moment 68 »1
Par Denis Pelletier, historien, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, membre du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL)
Il a existé en France au cours des « années 68 » une mouvance clairement identifiable, et identifiée comme telle, de « chrétiens de gauche » dont la principale composante était catholique2. Dans une République construite autour d’une laïcité qui écartait le religieux de la sphère politique, ces militants catholiques ont alors trouvé place dans un double contexte : celui d’une gauche en pleine recomposition, mais qui n’avait nullement renoncé à la laïcité comme un des fondements de son combat de toujours, d’une part ; celui, d’autre part, d’un débat sur les valeurs, auquel ils participèrent non comme défenseurs d’une institution, l’Église, qu’ébranlait alors la contestation gauchiste, mais comme partie prenante d’une utopie révolutionnaire qu’ils ont fait porter à la fois contre la politique libérale et contre l’Église en tant que structure hiérarchique3.
Leur rôle a longtemps été mésestimé. En effet, la mémoire collective des événements de Mai 68 et des années qui ont suivi associe ce moment de l’histoire de France à une gauche laïque travaillant à sa réunification sous la direction de François Mitterrand, et à un gauchisme d’inspiration trotskyste, maoïste ou anarchiste, en omettant volontiers la part qu’y prirent les catholiques. Via le débat sur l’émancipation des mœurs qui culmina avec la loi de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse, l’Église catholique apparaît rétrospectivement comme l’une de ces institutions qui pesaient encore lourd dans le paysage gaullien des années 68 et avec laquelle il fallait en finir. L’institution cache ainsi la diversité des engagements sur le terrain. En outre, pour nombre de catholiques, intellectuels, dirigeants ou simples fidèles, les années 68 sont celles où l’espérance née du Concile Vatican II est venue se fracasser sur les rives et les dérives du gauchisme, entre théologie de la révolution et anti-humanisme théorique. Ajoutons que, pour les chrétiens de gauche eux-mêmes, l’histoire finit mal, tant ils échouent dans leur projet à peser durablement sur une gauche de gouvernement.
Il faut inscrire cette histoire du catholicisme de gauche dans une histoire plus générale de la société française et de ses controverses politiques. La manière dont les catholiques de gauche y mêlèrent idéologie et théologie, politique et pastorale, critique de l’institution et ecclésiologie, renvoie à ce qui fait la première originalité de la République française, le rôle de la laïcité dans la structuration du champ politique et du champ intellectuel. Contrairement à une thèse trop répandue, les catholiques n’ont jamais été exclus de la sphère politique4, mais leur présence en République supposait qu’ils mettent en sourdine le fondement chrétien de leur engagement. L’originalité du moment 68 est que l’on ait pu faire tant de politique au nom de la foi, et que cette politique ait trouvé sa place à gauche5. Dans la contribution qui suit, on s’attache d’abord à expliquer comment le Concile Vatican II, puis sa première réception, qui coïncide avec la recomposition de la gauche française, la fondation du Parti socialiste et la mise en place de l’Union de la gauche, a permis de lever un certain nombre de verrous qui faisaient obstacle à l’engagement politique de catholiques à gauche de l’échiquier politique français. Cet engagement a pris des formes différentes selon qu’il se situait à gauche ou à l’extrême gauche, distinction qui fait l’objet des deux parties suivantes de l’article. On reviendra enfin, en conclusion, sur le bilan que l’on peut faire de ces deux décennies.
Vatican II, concile français : une illusion active
Dans l’opinion, le sentiment a longtemps prévalu d’un rôle spécifique tenu par la France au cours du Concile. Plusieurs arguments alimentent cette illusion. Convoqué par le pape Roncalli, dont la nonciature parisienne après la Libération a laissé l’image d’un personnage chaleureux et ouvert, le Concile s’achève sous le pontificat de Montini, ami de Jacques Maritain, bon connaisseur de la théologie et de la littérature françaises, et qui joua à plusieurs reprises un rôle d’intermédiaire entre la France et Rome lorsqu’il était substitut à la Secrétairerie d’État de Pie XII. Le message au monde adopté en octobre 1962 est le résultat d’une initiative française et doit beaucoup à un texte rédigé par le Père Chenu. C’est le cardinal Liénart qui a pris la parole lors de la séance du 13 octobre 1962 au cours de laquelle la décision de repousser l’élection des commissions conciliaires a ouvert la voie à l’aggiornamento6. Les correspondants de presse (Henri Fesquet pour Le Monde, Antoine Wenger pour La Croix, René Laurentin pour Le Figaro, Robert Rouquette pour les Études) ont largement relayé l’actualité du Concile, et notamment le rôle qu’y ont tenu les experts français par leur travail en commission, les évêques par leurs interventions en aula. Surtout, le sentiment prévaut que l’aggiornamento consacre les efforts de rénovation que « l’aile marchante » du catholicisme hexagonal a portés dans les décennies précédentes en dépit des condamnations romaines. On se rappelle alors que, déjà au début du siècle, la crise du modernisme chrétien avait eu pour théâtre principal la France, et le triomphe, avant le Concile et dans son sillage, de l’exégèse historico-critique qui avait alors été condamnée paraît confirmer le rôle spécifique imparti à la catholicité française dans le renouveau de l’Église. Paradoxalement, que certaines voix qui s’élèvent déjà contre une possible dérive post-conciliaire soient encore françaises – Jacques Maritain, Jean Lacroix, Jean Daniélou... – contribue à entretenir ce sentiment.
Il s’agit certes d’une illusion. À poids démographique inégal, l’épiscopat belge a sans doute été plus efficace que son homologue français, notamment viales réunions de travail organisées au Collège belge afin de peser sur les débats. Au cours des années qui suivent le Concile, et particulièrement dans les années 1970, les relations entre l’épiscopat français et Rome se détériorent. Surtout, la sociologie des experts, l’évolution des positions occupées après 1965, le poids relatif des traditions nationales dans les deux revues européennes de théologie Concilium et Communio, montrent un déplacement du débat théologique vers l’Allemagne et les Pays-Bas d’une part, vers l’Amérique latine aussi avec l’émergence des théologies de la libération. Mais cette illusion est efficace : elle contribue en interne à lever un certain nombre de verrous qui faisaient obstacle à l’engagement des catholiques à gauche et à l’extrême gauche.
Comment comprendre et prolonger l’aggiornamento ? Au sein de la gauche catholique française, la position dominante est que le Concile a initié une ouverture au monde moderne qu’il n’a pu mener à son terme, faute de temps et de préparation mais aussi parce que, sous l’influence de Paul VI, les membres du Concile ont limité leurs ambitions dans le souci d’élargir le consensus face à la minorité des opposants. On peut alors, comme le font certains, rêver d’un Concile Vatican III. Mais on est bien davantage engagé dans une exigence de confirmation et d’approfondissement de l’aggiornamento à la base, qui fait de la réception conciliaire un enjeu majeur de la rencontre entre politique ecclésiale et politique tout court.
Réception conciliaire et engagement progressiste
En amont, il est possible de repérer quelques enjeux de la mise en œuvre « progressiste » des textes du Concile. « Divine surprise » aux yeux de ceux qui en ont en quelque sorte posé les bases, plusieurs décennies durant, au prix de multiples difficultés avec Rome, le décret sur l’œcuménisme n’a guère été contesté à gauche sur le fond. Est-il lu par tous, dans toutes ses implications et ses nuances ? Dès après le Concile, un œcuménisme de la base se met en place, qui préfère le terrain au débat théologique, au risque d’émouvoir les pionniers du dialogue œcuménique eux-mêmes7. Il se déploie dans des célébrations eucharistiques communes ponctuées d’intercommunions, nourrit des liturgies contestataires au sein des mouvements communautaires, et considère que les luttes sociales partagées constituent une base solide qu’il n’appartenait pas au Concile de théoriser, mais dont la pratique permet d’abattre les frontières interconfessionnelles.
Le décret sur la rénovation et l’adaptation de la vie religieuse produit des effets analogues. À Boquen, dans les Côtes-d’Armor, il transforme une entreprise de rénovation de la vie monastique en expérience de réinvention de l’Église à l’épreuve de l’utopie communautaire, du questionnement du célibat ecclésiastique et de la rencontre entre laïcs et clercs8. Durant quelques années, sous l’impulsion de Bernard Besret, Boquen devient un laboratoire où se côtoient chrétiens communautaires, chrétiens marxistes, chrétiens tiers-mondistes, partageant le désir de réinventer l’Église dans une démarche attentive à la dimension festive de l’activité liturgique. La contestation prend ailleurs d’autres formes : Françoise Vandermeersch noue le combat pour l’émancipation féminine sur une relecture de l’histoire des ministères féminins dans l’Église9 ; la plupart des ordres et congrégations voient la vie communautaire remise en question par des religieux ou des prêtres en quête d’une meilleure proximité avec le monde contemporain, y compris en s’installant dans des appartements « en ville10 ».
En outre, certains textes du Concile ont déçu. Coincé entre le décret sur les évêques, qui a mis en avant le caractère spécifique de leur sacerdoce, et le décret sur l’apostolat des laïcs, qui insiste sur la participation de ces derniers au sacerdoce universel, le décret sur les prêtres apparaît timide et trop exclusivement disciplinaire. Cette déception, ajoutée au sentiment de demeurer tenus à l’écart par les évêques de la gestion de la réception conciliaire, nourrit en partie la contestation des prêtres qui s’organisent à l’automne 1968 au sein du mouvement Échanges et dialogue11. Leur projet de déclergification, avec ses quatre axes programmatiques (l’engagement politique, l’engagement professionnel, la démocratie dans l’Église, la mise en question du célibat), déplace vers la notion de citoyenneté une partie des revendications naguère émises par les prêtres-ouvriers à l’épreuve de leur expérience en usine. Ils renouent aussi avec une tradition française d’engagement politique forgée dans l’expérience de la résistance spirituelle, du compagnonnage avec les communistes, puis du combat contre la guerre d’Algérie et la torture. La contestation des prêtres français prend donc un tour spécifique, différent par exemple de celui que prend le mouvement néerlandais Septuagint, pour lequel la question du mariage des prêtres prime sur l’engagement politique. Dès 1969, le mouvement européen des prêtres contestataires est le théâtre d’affrontements entre ces deux conceptions de la « déclergification », qui pèsent chacune à leur manière sur la structuration des gauches catholiques nationales, se nouant ici sur les spécificités du combat des prêtres basques contre le franquisme, là sur le combat des prêtres italiens contre les compromissions de la Démocratie chrétienne ou sur la protestation des prêtres allemands contre la « fonctionnarisation » du métier de prêtre12.
Le ministère des prêtres, l’œcuménisme, la vie religieuse, sont autant de lieux ecclésiaux autour desquels réception du Concile et engagement politique à gauche vont de pair – on pourrait y ajouter la mission, soumise à la critique tiers-mondiste13. Mais il serait intéressant de mieux connaître, dans la même perspective, la chronologie de la réception des quatre constitutions conciliaires et la manière dont s’y fixe la controverse. Les constitutions Lumen Gentium et Gaudium et Spes sont celles autour desquelles s’est d’abord cristallisé le débat. La première, selon que l’on insistait davantage sur la définition de la collégialité ecclésiale et sur celle de l’Église comme « peuple de Dieu », ou sur le maintien d’une tradition centrée sur l’Église « corps mystique du Christ », pesait sur les conditions mêmes de réception du Concile. La seconde, programmée à la fin de la première session et pour la rédaction de laquelle on a dû faire appel à de nombreux experts faute de compétences, apparaît, du fait même de sa rédaction originale et de ses imprécisions théologiques, comme la base d’un militantisme à même de prolonger l’aggiornamento dans les luttes sociales et le combat tiers-mondiste.
La constitution Sacrosanctum concilium sur la liturgie, adoptée sans difficulté lors de la seconde session du Concile, n’a guère été discutée sur le fond au cours des années qui ont suivi, l’attention des évêques se portant bien davantage sur les « initiatives intempestives » auxquelles sa mise en œuvre donnait lieu à la base. C’est à partir de la publication de la constitution Missale Romanum et du nouvel Ordo Missae en 1969, et de la radicalisation intégriste qu’elle provoque chez Mgr Lefebvre et ses partisans, que la question liturgique devient vraiment un enjeu, articulé autour du rôle de la liturgie comme lieu théologique et comme espace social de production du sacré14. Parce que la contestation liturgique se noue chez les traditionalistes sur la remise en cause de la liberté religieuse au nom de la tradition révélée, l’attention se porte alors vers la quatrième grande constitution conciliaire, Dei Verbum. D’un objet à l’autre de la controverse se déploie ce « moment subjectif » du catholicisme français qu’a analysé Michel Fourcade15. Mais cette subjectivation du rapport d’appartenance s’inscrit lui-même dans un cadre marqué par la manière dont la constitution sur la révélation, en combattant la doctrine des deux sources, a déplacé la focale du rapport entre révélation et tradition vers le rapport entre tradition et conscience. Et pèse sur le débat le sentiment que l’on est entré dans une « société des individus » qui met chacun en demeure de construire de manière autonome son système de valeurs. En 1975, le cardinal Marty, célébrant le dixième anniversaire de la fin du Concile, estime que, de tous les textes conciliaires, Gaudium et Spes « est celui qui a le plus vieilli16 ».
Les catholiques dans la recomposition de la gauche française
Des catholiques à gauche ? Ils peuvent se réclamer d’une longue tradition. Elle remonte à la première démocratie chrétienne, de la figure de Lamennais au Jésus démocrate de la révolution de février 1848, en passant par Buchez et les premiers socialistes chrétiens. Plus récemment, cette généalogie s’est retrempée au temps du Front populaire, auxquels se sont ralliés deux milieux ultraminoritaires, les « chrétiens révolutionnaires », catholiques et protestants, réunis autour de Maurice Laudrain et du périodique Terre Nouvelle mis à l’Index en juillet 193617, et les quatre députés de la Jeune République, ce mouvement fondé par Marc Sangnier après l’échec du « Plus grand sillon », dont les successeurs à la Chambre refusent de prêter allégeance au maréchal Pétain le 10 juillet 1940. La résistance spirituelle, symbolisée par les Cahiers du Témoignage chrétien clandestins, n’est certes pas « de gauche », mais les valeurs qu’elle promeut, et d’abord le primat de la conscience individuelle sur l’obéissance à la hiérarchie, sont celles de la gauche catholique.
Reste que cette dernière ne trouve pas de place sur l’échiquier politique après la Libération. Dans un cadre dominé par l’affrontement droite-gauche et par la laïcité, les catholiques de gauche ne disposent ni d’un modèle de « polarisation » à la belge dans lequel ils pourraient s’investir, ni d’une démocratie chrétienne se substituant à l’État à l’image de la Démocratie chrétienne italienne, ni d’un système d’État social à l’allemande qui pourrait leur servir de base d’engagement. Le PCF leur tend les bras, non sans l’arrière-pensée de les réduire à l’orthodoxie communiste, mais le Saint-Office proscrit par décret, en juillet 1949, toute collaboration entre catholiques et communistes, précipitant la disparition de l’Union des chrétiens progressistes qui faisait sa ligne de l’alignement sur les positions du PCF. La SFIO se méfie d’eux au nom de la laïcité et interdit à ses membres de militer au sein d’organisations catholiques18. Quant au MRP, qui promettait de rassembler tous les électeurs situés entre la droite vichyste et le PCF, sa droitisation est rapide et se fait au détriment de son aile gauche, issue du syndicalisme ouvrier et de l’Action catholique, et sensible au modèle travailliste anglais.
Ainsi les catholiques ont-ils longtemps été contraints d’inventer leurs propres lieux, en marge des partis, les uns au sein de mouvements sociaux en cours de déconfessionnalisation, comme la minorité CFTC regroupée autour du bulletin Reconstruction ou le Mouvement populaire des familles qui rassemble les aînés de la Jeunesse ouvrière chrétienne et de la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOC et JOCF), les autres dans la mouvance de la mission ouvrière, qui résiste à l’interruption de l’apostolat des prêtres-ouvriers en 195419, d’autres encore dans le sillage de Témoignage chrétien20 et de la revue Esprit. En 1954, l’expérience Mendès France ouvre la perspective d’une gauche modernisatrice, à la fois morale et accueillante, mais la parenthèse se referme au bout de quelques mois21.
Pour cette gauche « sans domicile fixe », le salut vient de la coïncidence entre l’ouverture conciliaire et la recomposition politique qui suit la fin de la guerre d’Algérie en 1962. Ce que l’on appelle bientôt la « nouvelle gauche » se construit à la rencontre entre déçus du PCF – de la répression de Budapest (1956) à celle de Prague (1968) –, déçus de la SFIO du fait de la compromission du parti dans la répression en Algérie et la torture, déçus du MRP coincé entre la gauche et le mouvement gaulliste et devenu à leurs yeux la « Machine à Ramasser les Pétainistes ». Fondé en avril 1960, le Parti socialiste unifié (PSU) apparaît comme le porte-parole de cette nouvelle gauche22, qui trouve dans la CFDT, issue de la déconfessionnalisation de la CFTC, la base militante d’une social-démocratie à la française23. Quelques clubs servent de relais dans cette migration catholique vers la gauche : le club Citoyens 60 animé par Jacques Delors en marge du mouvement chrétien La Vie nouvelle, le club Objectif 72 fondé par Robert Buron, ancien militant MRP adepte du travaillisme, rallié au gaullisme de gauche au moment de la guerre d’Algérie, mais qui s’éloigne ensuite d’une UDR gaulliste qu’il juge socialement réactionnaire24. Le feuilletage militant que constituent les mouvements d’Action catholique spécialisée et leurs branches aînées fournit une base de recrutement à cette mouvance de gauche, que relaient dans la presse les publications du groupe de la Vie catholique, mais aussi l’hebdomadaire Témoignage chrétien sous la direction de Georges Montaron, ainsi que la revue Esprit. Le texte « Église, politique et foi. Pour une pratique chrétienne de la politique », que les évêques publient en 1972, constate le pluralisme politique des catholiques français et légitime leur engagement à gauche, sans pourtant se rallier au marxisme, contrairement à la lecture approximative qui en est parfois faite25.
Les catholiques de gauche trouvent un débouché privilégié dans le Parti socialiste réorganisé par François Mitterrand et transformé par lui en machine à conquérir le pouvoir26. Les pionniers entrent au PS dès le congrès d’Épinay en 1971, soitvia la Convention des institutions républicaines, soit autour de la motion ultra-minoritaire présentée par Robert Buron et l’ancien secrétaire général de la CFDT Eugène Descamps, qui séduit nombre de militants de La Vie nouvelle. Les plus nombreux suivent le ralliement de Michel Rocard au nouveau PS lors des Assises du socialisme de 1974.
Pour nombre d’entre eux, l’entrée au PS se nourrit sans doute d’un transfert d’utopie, du religieux vers le politique. Ils y importent une culture du terrain, de l’engagement à la base, guère propice à la conquête de positions dominantes. La culture politique des cathos de gauche est une culture de la critique des pouvoirs, nourrie d’intransigeantisme, peu aguerrie aux manœuvres d’appareil. François Mitterrand saura en tirer parti pour les marginaliser dès le congrès de Metz de 1979, avant même la victoire électorale de 1981. Pourtant, les cathos de gauche contribuent à donner à la recomposition de la gauche française sa composante éthique27, attachée au débat sur les valeurs, partagée entre modernisme social et tiers-mondisme, et paradoxale en ceci que c’est pour partie au nom de valeurs chrétiennes qu’ils prétendent peser dans une gauche qui continue à faire de la laïcité un de ses chevaux de bataille.
Un gauchisme catholique
L’émergence de la contestation étudiante des sixties, puis les événements de Mai 68, introduisent une autre composante au sein de ce courant, celui d’une extrême gauche catholique porteuse d’une rhétorique révolutionnaire.