Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
« Ce n’est pas un pouvoir, c’est un service… » Le pouvoir dans l’Église serait-il un gros mot ? Un sujet réservé aux hommes ? À l’occasion du synode, cinq femmes engagées prennent la parole pour éclairer la délicate question de la gouvernance dans l’Église.
Geneviève Comeau, théologienne, donne le juste horizon de cette réflexion : cette gouvernance ne peut avoir qu’une source, le Christ crucifié, et un but, la mission. Joëlle Ferry, exégète, raconte comment l’autorité s’exerçait dans les premiers temps de l’Église, et quelle place en particulier y tenaient les femmes. Agata Zielinski, philosophe, propose, elle, un chemin de pensée décapant pour passer du « pouvoir sur » au « pouvoir ensemble ». Quant à Christine Danel, ancienne supérieure de la Xavière, elle montre comment l’exercice de la gouvernance dans la vie religieuse peut inspirer d’autres lieux d’Église. Isabelle de La Garanderie, ecclésiologue, relit enfin Vatican II et le pape François pour inviter à former une Église une et plurielle.
Dans ce livre choral aux accents ignatiens, cinq femmes apportent donc une pierre stimulante à la réflexion vitale engagée par le synode, une réflexion qui concerne chaque chrétien.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 184
Veröffentlichungsjahr: 2025
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Composition : Soft Office (38)
Relecture : Le Champ rond
© Éditions de l’Emmanuel, 2024
89, bd Auguste-Blanqui – 75013 Paris
www.editions-emmanuel.com
ISBN : 978-2-38433-227-4 9782384332274
Dépôt légal : 3e trimestre 2024
Geneviève Comeau
Christine Danel
Joëlle Ferry
Isabelle de La Garanderie
Agata Zielinski
Il a donné pouvoir à ses serviteurs
Cinq regards de femmes sur la gouvernance dans l’Église
Jean-Marc Eychenne
Évêque de Grenoble-Vienne
Cinq de nos sœurs et amies (quatre xavières et une vierge consacrée) nous proposent une réflexion stimulante susceptible d’éclairer ce qui se dessine dans notre Église, 60 ans après le concile Vatican II, au regard d’une évolution de la gouvernance. Car c’est bien de cela dont il est principalement question lors du synode sur la synodalité. Il ne s’agit pas tant, en effet, d’aborder telle ou telle question dogmatique, pastorale, morale ou encore liturgique, que de se doter d’un mode d’élaboration et de prise de décision, faisant droit à ce que l’Esprit du Seigneur semble suggérer à son Église aujourd’hui. Chacune des intervenantes – et c’est heureux – nous dit « d’où elle parle ». Elles savent que notre réflexion est toujours incarnée, et que la biographie d’un auteur nous aide toujours à mieux comprendre ce qu’il veut s’efforcer de nous partager.
Toutes les cinq évitent un certain nombre de pièges dans lesquels nous avons l’habitude de nous faire prendre lorsque nous abordons ces questions de l’autorité et du pouvoir. Par exemple, elles savent que la présence de quelques figures féminines dans des instances de prise de décision, ou dans l’accès aux ministères, ne résout nullement la question plus globale de la participation de tous les baptisés, et particulièrement des plus « pauvres », à la gouvernance. Elles ont bien pris la mesure aussi du fait que refuser de parler de pouvoir (pour y substituer la notion de service) ne fait pas disparaître ce que ce concept renferme et qu’il s’agit plutôt de revisiter, à la lumière de la Révélation, ce qu’il faut entendre par là.
Permettez-moi de partager quelques échos, évidemment subjectifs, de ma lecture de ces chapitres. Échos trop succincts au regard de la richesse de chacune des contributions. J’espère seulement que cela puisse donner envie à chacun de les lire à son tour.
Geneviève Comeau, tout d’abord, nous ouvre à la compréhension du fait que c’est notre union au Christ, et à la communauté « spirituelle », dans l’acte de servir qui nous éloigne de la tentation du pouvoir conçu comme une domination. Cette réflexion sur le service nous conduit aussi à préciser ce que nous devons comprendre par « mission », responsabilité de tous, à la lumière de la théologie du concile Vatican II. Se précise alors aussi ce que l’on entend par autorité, au service de la croissance et de la communion des personnes. La source de toute autorité est le Pauvre, le Crucifié, qui nous envoie non pour dominer, ou « aspirer » à nous, tous les hommes, mais pour les aimer de l’amour même de Dieu ayant sa source dans la Communion Trinitaire. C’est toute l’institution alors qui doit se transformer, et on ne peut se contenter de tout renvoyer à une conversion personnelle. De quels outils, de quelles transformations institutionnelles, doit se doter notre Église pour mieux susciter un mode évangélique d’exercice de l’autorité ? Les questions sont clairement posées. Pouvoir, service, autorité, mission : il s’agit de « subvertir » ces concepts pour ne pas les aborder à la manière « du monde », mais à la lumière de l’Évangile du Christ.
Les évangiles, les actes des apôtres, les lettres apostoliques nous offrent des éclairages précieux sur la façon dont les premières communautés chrétiennes s’organisaient, s’adaptaient à la culture de leurs interlocuteurs, affrontaient un moment de crise, et élaboraient des décisions. Tous ces écrits doivent être relus, approfondis, interprétés afin qu’ils soient inspirants pour la vie ecclésiale d’aujourd’hui et notre exercice de la synodalité. Joëlle Ferry nous fait revisiter ces textes néotestamentaires, nous montrant aussi que la nouveauté de l’Évangile ne peut pas, du jour au lendemain et sur tous les points, entrer en opposition avec les usages culturels du temps. Cela est particulièrement sensible dans des expressions de Paul au regard de la place de la femme. Joëlle nous invite à découvrir que les évolutions de la prise en compte de l’égale dignité de tous, en raison du baptême, s’ancrent dans un déploiement de la fraternité, sans laquelle notre conception chrétienne de l’autorité et du pouvoir sera toujours biaisée. L’ouverture à de nouveaux ministères, accessibles aux hommes comme aux femmes, prend là aussi sa source.
Alors, oui, pouvoir il y a, et il ne sert à rien de le nier, mais il nous faut nous engager dans un véritable combat spirituel, une relecture constante de ce qui nous anime au plus profond, pour l’exercer véritablement comme un service, nous décentrant de nous-mêmes. Agata Zielinski tourne notre regard vers l’humilité du Serviteur Souffrant, figure du Christ, et vers celle de Marie. L’autre ne peut être réduit à un objet, mais doit accéder au statut de sujet. On retrouve là l’approche de Kant qui nous invite à ne jamais considérer l’autre comme un moyen mais toujours comme une fin. Il faut s’efforcer de fuir la dissymétrie dans la relation (celui qui donne et celui qui reçoit) pour tendre vers la réciprocité. Il s’agit de faire « avec » plus que de faire « pour », faute de quoi le service devient un pouvoir.
Dans notre Église, la coresponsabilité est différenciée, et la synodalité doit continuer à donner une place à la collégialité et à la primauté. Cela pourrait sembler contradictoire à nos contemporains (en dernière analyse, ce sont le pape et les évêques qui décident !). C’est alors qu’il nous faut examiner comment l’exercice d’un pouvoir par quelques-uns, à la manière du Christ, en Église, ne retire pas à tous les autres leur statut, plein et entier, de coresponsables.
Les communautés religieuses, avec leurs spécificités, n’échappent pas évidemment à la question de l’exercice du pouvoir et de l’autorité, à envisager sous l’angle du service, à la lumière de l’Évangile. Elles ont pu, elles aussi, se laisser imprégner par une certaine culture « du monde » marquée par la domination. Christine Danel nous partage opportunément son expérience, et la réflexion éthique et théologique qu’elle implique. Si, au lieu de partir de la reconnaissance qu’ont, ou n’ont pas, les personnes dans une culture donnée, nous partions des charismes que le Seigneur distribue avec libéralité, indépendamment de ce que nous avons parfois trop essentialisé (masculinité et féminité par exemple) ? Si ces charismes ouvraient à une plus grande diversité de ministères ? Si les espaces de rencontre, de collaboration, de vie fraternelle entre les différents états de vie et différents ministères étaient plus nombreux ? Le Christ et son Évangile nous invitent à une éthique relationnelle bien spécifique qui reste, pour une bonne part, encore à déployer.
Cette belle et longue période de prière et de réflexion sur le caractère synodal de l’Église du Christ ne devrait pas seulement rester dans les livres d’histoire comme une expérience unique au cours de laquelle tous se sont sentis concernés par le discernement des orientations de leur Communauté. Isabelle Payen de La Garanderie nous invite à comprendre que, si la coresponsabilité ne devenait pas l’ordinaire de la vie de nos communautés, nous aurions alors consacré du temps et de l’énergie en vain. Notre Église se doit de déployer (ou susciter parfois) des espaces de collaboration, d’écoute mutuelle. Nous avons besoin d’une conversion généralisée à l’écoute, à l’image de ce que beaucoup ont expérimenté avec bonheur dans les exercices de « conversation spirituelle ». Cette écoute faisant abstraction de la place assignée à chacun ou chacune, par une culture donnée, permet de discerner les charismes et de les mettre en valeur, pour le bien du Corps tout entier. En effet, il nous faut nous pencher sérieusement sur la gouvernance au sein de notre Église. Non seulement pour que celle-ci soit plus crédible dans un monde qui a beaucoup changé, mais peut-être même pour que son approche devienne prophétique pour bien des organisations humaines. Les attentes du Christ concernent l’humanité entière.
Puissent ces contributions de nos cinq auteurs nous aider à vivre ce temps si riche de notre Église où nous percevons bien que quelque chose de nouveau est en train de naître. Nous sommes forts de cette conviction, si bien exprimée par Maurice Zundel, que « la vraie connaissance est celle qui est une naissance ».
Marie-Lucile Kubacki
Journaliste, envoyée spéciale permanente pour La Vie à Rome
Pouvoir et service. Si le christianisme est une religion du paradoxe, de l’oxymore non contradictoire, la tension entre ces deux termes-là s’est particulièrement trouvée interrogée par l’actualité de l’Église catholique ces dernières années. Une séquence marquée par les scandales et le travail de vérité entrepris par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) et plusieurs commissions dans diverses communautés religieuses, qui ont fait émerger une réalité difficile à voir. Comme le relève parfaitement la philosophe Agata Zielinski au chapitre 3, l’une des phrases les plus prononcées dans l’Église est sans doute la fameuse expression : « Ce n’est pas un pouvoir, c’est un service. » Journaliste d’information religieuse depuis maintenant treize ans, je dois avouer ma joie et mon soulagement en découvrant ne pas être la seule à tressaillir et à éprouver un malaise lorsqu’il m’arrive de l’entendre.
C’est une noble conception des choses, pourtant, dans une société où la gratuité est d’autant plus guettée que l’atmosphère archi-concurrentielle tend à isoler les individus dans une piégeuse solitude travestie en suprême liberté. Concevoir le pouvoir comme un service est une attitude évangélique, nul ne pourra le contester. Une bonne intention… mais l’enfer n’en est-il pas pavé ? De fait, la crise des abus de pouvoir, dont la composante des violences sexuelles est désormais la mieux connue, mais à laquelle vient peu à peu s’ajouter le pan non moins conséquent des phénomènes d’emprise, révèle un angle mort : le service est un pouvoir. C’est la force de ce livre polyphonique que d’affronter le tabou du service comme pouvoir sans pour autant relativiser l’exigence évangélique de vivre le pouvoir comme un service. Mais comment ? De réflexion en réflexion s’esquissent des pistes de réponse, les ingrédients d’un discernement éclairé par l’histoire, la philosophie, la théologie et les expériences personnelles, discernement laissé à la responsabilité et à l’intelligence du lecteur. Une méthode somme toute très ignatienne.
En ouverture, la théologienne Geneviève Comeau, grande experte du dialogue interreligieux et des relations avec le judaïsme, affirme la nécessité pour l’Église de revenir « à la source de toute autorité : le Crucifié » (chapitre 1). Elle rappelle que le Ressuscité jamais ne s’impose. Au point que Marie-Madeleine au tombeau croit rencontrer un jardinier et que les disciples sur le chemin d’Emmaüs mettent un certain temps avant de reconnaître le maître et ami dont ils ont partagé la vie. Pas de grandiloquence ni de triomphalisme mais au contraire de la discrétion dans le mode de révélation de l’extraordinaire : la résurrection et la victoire de la vie sur la mort. Le passage par la pédagogie christique est d’autant plus essentiel pour le sujet que la réflexion sur le pouvoir dans l’Église est indissociable d’une méditation sur la « toute-puissance » divine. De quoi Dieu tout-puissant est-il le nom ? À nouveau, il faut commencer par contempler le Crucifié, dans sa traversée de la souffrance et de la mort librement acceptée – « Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18). En poussant le débordement d’amour, antidote à l’esprit de représailles, jusqu’à pardonner à ses persécuteurs, il dessine les contours d’une puissance – d’un pouvoir – où, écrit la théologienne, souveraineté et humiliation se justifient mutuellement. Par ailleurs, en faisant de l’autorité des pauvres et des souffrants la valeur de référence, logique évangélique à nouveau paradoxale de la primauté des derniers, le Christ ouvre la voie à une conception anti-mondaine du pouvoir qui renverse les puissants de leur trône et désigne la supercherie des colosses aux pieds d’argile. À l’heure de la crise, Geneviève Comeau rappelle que bien des saints ont été de grands réformateurs, ne négligeant pas de mettre les mains dans la pâte des structures, à rebours d’un discours qui voudrait dissimuler les fêlures sous le tapis du tout-spirituel.
Mais comment réformer l’Église en restant fidèle à son histoire ? Joëlle Ferry, docteure en histoire des religions et spécialiste de l’Ancien Testament, opère un détour par les débuts du christianisme (chapitre 2). « L’autorité naturelle » de Jésus, rappelle-t-elle, est liée à sa nature divine et elle se manifeste par son pouvoir de guérir et de pardonner. Du reste, le passage de relai de l’autorité aux apôtres s’opère en leur transmettant ce service de guérison, non comme un pouvoir magique dont ils seraient propriétaires, mais comme un don dispensable « au nom du Christ », dont ils sont dépositaires. Elle relève par ailleurs combien le Christ se défiait des titres honorifiques, préférant le mot de « frères », tradition, souligne-t-elle, reprise par Paul, attaché au champ lexical de la fraternité lorsqu’il s’adressait à ses collaborateurs… et à ses collaboratrices. Des femmes, qui lorsque les assemblées se réunissaient dans les maisons, jouaient un rôle capital d’annonce de l’Évangile, de protection, de direction et de service. Ces rôles n’étaient du reste ni institués ni figés, mais adaptés aux besoins et reconnus par la communauté, traçant la voie d’une collaboration – le mot est fondamental – vécue au service de l’annonce de l’Évangile. C’est d’ailleurs cette intuition articulée autour du principe de l’égale dignité baptismale que cherche à creuser le pape François à travers sa redynamisation du principe de synodalité, non sans tensions, comme on le voit déjà poindre à travers les débats autour des ministères et notamment du diaconat féminin.
« À quelles conditions, cependant, un pouvoir peut-il être et rester un service ? » Cette question soulevée par la philosophe Agata Zielinski (chapitre 3) est la boussole qui doit présider à toute réflexion sur la réforme de l’Église. En ce qui concerne les femmes, justement, n’entend-on pas souvent opposer aux interrogations féminines la prévention à vouloir les protéger de la « tentation du pouvoir » ? Argument pour le moins simpliste et fragile en ce qu’il nie la complexité de l’imbrication entre pouvoir et service relevée plus haut. C’est ainsi que des abus spirituels ont pu être commis par des bergers abusant du langage de la soumission et de la vulnérabilité. Agata Zielinski relève très justement que rendre service c’est déjà « pouvoir faire », avant d’inviter à « distinguer pouvoir d’agir et domination : pouvoir-de et pouvoir-sur ». Ainsi, de même que le service ne garantit pas la pureté des intentions et de l’action du serviteur, le pouvoir n’est pas nécessairement emprise et écrasement. Plus que le pouvoir, c’est donc de l’idolâtrie et de l’ivresse du pouvoir dont il faut se défier, voie express du glissement du « pouvoir-de » vers le « pouvoir-sur ». Mais comment ? À nouveau en gardant les yeux bien ouverts, sur soi-même et sur les autres. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas de remèdes miracles à appliquer – même s’il existe des garde-fous à renforcer, mais d’un combat spirituel à mener et d’une vigilance à observer. Qui tend à se sentir indispensable pour son savoir ou son savoir-faire, à ne pas savoir lâcher les rênes, à ne pas écouter, à penser détenir la vérité à lui seul, à pouvoir sauver la situation, est en danger et met en danger. J’ai toujours été marquée par cette anecdote attribuée à François d’Assise. Ayant fabriqué un panier en osier, le Poverello peinait à entrer en prière à la pensée que l’objet puisse être abîmé. Alors, il décida de le brûler, de s’en libérer. Qui n’est pas prêt à abandonner le pouvoir s’éloigne de l’esprit de service, de même que qui s’identifie au service rendu prend le pouvoir. Sortir de soi-même, se laisser bousculer dans ses certitudes par la parole des autres, être ouvert à l’inattendu de la vie, autrement dit aux surprises de l’Esprit Saint, rester en somme à l’écoute de la volonté parfois contrariante de Dieu, constituent des garde-fous qui, écrit Agata Zielinski, dessinent la voie d’un « pouvoir ensemble », ainsi défini : « On donnera à d’autres de donner, dans une perspective de réciprocité : la capacité de recevoir, de ne pas être le tout de la tâche, met le service du côté de l’humilité. »
Ces tensions, Christine Danel, médecin, qui a été supérieure générale de la Xavière de 2017 à 2023, les a expérimentées des deux côtés de la barrière de l’obéissance, pourrait-on dire. Dans la foulée d’Agata Zielinski, c’est forte de son expérience qu’elle affirme avec lucidité : « Un pouvoir reconnu et assumé est sans doute moins dangereux que s’il est nié. » Assumer son pouvoir, c’est savoir à la fois trancher et accompagner. Ainsi, elle pointe deux écueils dans l’exercice de l’autorité : se laisser illusionner par la crainte et l’admiration suscitée par la fonction occupée (la grammaire connaît bien le principe de la différence entre la nature et la fonction !), ou « démissionner de sa propre autorité ». Voilà pourquoi les regards extérieurs, véritablement extérieurs, sont primordiaux dans l’exercice de fonctions d’encadrement, en ce qu’ils permettent de ne pas confondre sa nature et sa fonction, même si les deux sont nécessairement imbriquées, car comme le souligne également Agata Zielinski, l’autorité est incarnée. En ce temps marqué par le traumatisme des abus de pouvoir, exercer des responsabilités est d’autant moins chose aisée qu’au risque de l’emprise, s’ajoute, à l’extrémité inverse, la procrastination et la peur de prendre des décisions. Terrain miné là aussi. « Le contexte actuel peut affaiblir l’autorité et la légitimité, et le risque est que ce soit des personnes “leaders” non légitimes qui prennent le pouvoir sur le groupe » alerte la religieuse xavière, qui envisage la réflexion sur les « ministères » sous l’angle de la responsabilisation de tout un chacun, valorisation des charismes et implication dans la mission.
Tout comme Christine Danel explore les pistes offertes par la vie religieuse, Isabelle de La Garanderie, ecclésiologue et enseignante de lettres dans l’enseignement public, s’inspire des « bonnes pratiques » des milieux éducatifs. Sa réflexion se concentre sur le développement des ministères qui pourraient renouer avec l’expérience des premières Églises chrétiennes, dont le tableau a été brossé par Joëlle Ferry, au sens d’une diversité et d’une souplesse de la structure, adaptable aux besoins locaux. Loin de céder à un opportunisme circonstanciel, il s’agit de renouer avec la conception de l’Église comme intrinsèquement ministérielle : ni « fourre-tout » ni « démocratie », mais fondée sur le service mutuel, manifestant à chaque personne qu’elle est importante. Église plurielle, charismatique plus que dichotomique, évitant le piège de l’essentialisation.
À l’heure où les idéologies de tous bords menacent de dénaturer la vivacité de l’Évangile, ces voix de femmes esquissent non pas une utopie ou une Église fantasmée, mais une réalité déjà à l’œuvre dans un certain nombre de lieux. Ce qu’elles proposent, alors que les catholiques se demandent parfois où se trouve l’issue du tunnel, c’est un acte d’espérance, de vérité et de foi. Une parole directe qui appelle les choses par leur nom, et qui respecte la complexité du réel, toujours complexe parce qu’incarné et irréductible à un message. Faire tomber les écailles des yeux est la première étape de la conversion.
Geneviève Comeau
Depuis plusieurs années, j’enseigne la théologie aux Facultés Loyola Paris (anciennement « Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris »), un lieu de formation qui se veut au service d’une pluralité d’Églises locales de par le monde. En effet les étudiants viennent de tous les continents. Cette grande diversité d’origines culturelles et linguistiques est un défi à relever : Inde, Vietnam, Brésil, États-Unis, Italie, Cameroun, Burkina, Grande-Bretagne, etc. Sans compter la diversité des familles religieuses : ignatiens, franciscains, spiritains, assomptionnistes, etc. – ces noms pouvant se décliner aussi au féminin, même s’il y a davantage d’hommes que de femmes. Je ne veux pas non plus oublier les laïcs, de la région parisienne ou d’au-delà, qui viennent aussi se former en ce lieu. Les accompagner dans leurs travaux me fait découvrir des manières de « faire Église » nouvelles pour moi. Je me souviens du mémoire d’un jeune venant de Polynésie, où une grande place est donnée aux catéchistes et aux femmes ; la diversité des ministères y est palpable.
C’est également dans le corps enseignant que la diversité est grande. Initialement composé surtout de jésuites, il s’est peu à peu élargi à des religieuses, des laïcs. Nous sommes maintenant des hommes et des femmes de diverses traditions spirituelles : ignatienne bien sûr, mais pas seulement. Au service de tous ceux qui veulent grandir dans l’intelligence de leur foi, nous travaillons ensemble dans un esprit d’amitié et de collaboration.
Certains enseignants sont prêtres, mais pas tous. Certains étudiants sont prêtres ou se préparent à l’être. Mais beaucoup d’autres états de vie sont représentés : frère ou sœur dans une communauté religieuse, marié(e), père ou mère de famille, célibataire… Cette diversité engendre plutôt de la joie que de la comparaison. De solides amitiés se nouent, véritable soutien quand des épreuves arrivent. C’est donc le mot « service » qui me vient à l’esprit, plutôt que le mot « pouvoir », quand je pense à ce lieu et à cette mission.
Certes je n’ignore pas que le pape François dénonce depuis longtemps le « cléricalisme », manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église, et que cette maladie peut toucher aussi bien les laïcs que les prêtres. Mais la manière d’être prêtre est vécue de diverses façons selon les contextes et selon les sensibilités.