Olympe de Clèves - Dumas Alexandre - E-Book

Olympe de Clèves E-Book

Dumas Alexandre

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Beschreibung

Olympe de clèves compte parmi les grands romans de dumas tombés pour un temps dans l'oubli : c'est le roman de l'amour fou, de la passion exacerbée qui mène à toutes les extrémités, le roman oú le théâtre et la vie se donnent sans cesse la réplique. Louis xv, qui a vingt ans, s'ennuie. il lui faut une maîtresse. celui qui la lui procurera aura prise sur le coeur et la raison du jeune roi. le duc de richelieu mène le jeu des intrigants. sur ce fond historique, deux héros flamboyants, dont l'existence est attestée par nombre de documents, s'aiment, se déchirent, se quittent, se retrouvent : le beau bannière qui a déserté les jésuites pour les planches, tendre, impulsif, malheureux, menacé d'être découvert, brûlant d'amour pour la merveilleuse actrice olympe de clèves, admirable portrait d'une femme libre, jouant aussi superbement ses rôles an théâtre qu'elle est sincère dans celui d'amante - la plus complexe et la plus accomplie des figures féminines créées par alexandre dumas. De la comédie-française à l'asile de charenton, dumas, pourtant une fois encore ruiné, déploie le meilleur de son génie.

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Seitenzahl: 377

Veröffentlichungsjahr: 2019

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Olympe de Clèves

Pages de titrePartie 1Partie 2Partie 3Partie 4Partie 5Partie 6Page de copyright

Alexandre Dumas

Olympe de Clèves

Tome III

Partie 1

LXIX

Ce que les canons permettent et ce que les canons ne permettent pas

Quant à M. le duc de Richelieu, qui paraissait moins dangereux au comte que Pecquigny, il ne pouvait, on le comprend, rester en si beau chemin. Après avoir prévenu loyalement le mari, c’est-à-dire après avoir fait la déclaration de guerre, il ne lui restait plus qu’à engager les hostilités. On voit que la même tactique était adoptée des deux côtés.

Richelieu avait prévenu le mari. Pecquigny avait prévenu l’amant. On vit alors le duc se diriger, après l’entretien qu’il avait eu avec Mailly, vers la maison de M. de Fréjus, à Issy. Barjac l’y attendait.

Ces grands hommes d’antichambre ont une intuition d’une sûreté qu’on retrouve difficilement chez les prophètes de la science moderne. Un sourire échappé dans le premier salon au valet, dans le but d’avertir le duc de ce qui se passait, et saisi par le duc révéla à chacun d’eux que l’occasion était favorable. Richelieu fut introduit.

Le prélat, sobre et formaliste en matière de repas, venait de prendre un dîner dont l’effet avait dû être exhilarant pour son cerveau. Richelieu, s’apercevant de ces symptômes flatteurs, s’empressa de mettre la conversation au niveau de l’attente du prélat.

– Monseigneur, dit-il, j’ai fait selon vos désirs.

– Quels désirs, cher monsieur de Richelieu ? fit l’évêque.

– Nous avons eu l’autre jour, vous le savez, un petit entretien.

– Ah ! oui ; pardon !

– Entretien dont les bagatelles touchaient toutes à quelque chose de sérieux.

– Oh ! duc, vous avez pris au sérieux notre entretien ?

– Oui, monseigneur, et ma conscience a été très vivement frappée.

– En vérité !

– À tel point, monseigneur, que, dès mon départ, je me suis mis à l’œuvre.

L’évêque se dérida.

– Voyons, dit-il.

– J’ai eu en vue, comme vous, monseigneur, la prospérité, la tranquillité de ce royaume.

– Sans aucun doute, ce doit être le but et le désir de tout bon Français, et M. de Richelieu est bon Français entre tous.

– Cependant, monseigneur...

– Eh bien ?

– Eh bien ! un scrupule m’arrête.

– Ah ! fit l’évêque encore une fois ramené aux craintes d’une défection de la part de Richelieu, vous avez un scrupule, vous ? un scrupule qui vous arrête ?

– Dame ! je vous l’ai dit, monseigneur, je suis devenu fort timoré là-bas.

– Comment, un scrupule ! quand moi je semblais au contraire...

– Eh ! monseigneur, je viens de vous dire combien Vienne m’a changé les mœurs.

– Mais je le vois ; que craignez-vous, voyons ? les coteries de toutes ces femmes ont-elles déteint sur vous sitôt votre arrivée à Paris ?

– Ce n’est pas cela, monseigneur.

– Je devine : vous avez vu la reine et vous hésitez.

– Ce n’est pas encore cela, monseigneur, parce que j’ai l’idée de faire le bonheur de Sa Majesté la reine bien plus encore que le bonheur du roi.

– Alors, monsieur, je ne vois pas de scrupule possible de la part d’un diplomate, homme d’épée, homme de cour.

– Mais, monseigneur, fit Richelieu charmé d’avoir un peu effrayé M. de Fréjus, Votre Grandeur ne me fait pas l’effet de me comprendre du tout. Le scrupule que j’ai, je l’ai à cause de vous.

– Bon ! Quoi donc ? qu’est-ce que ce scrupule alors ?

– C’est un exorde que je cherche.

– Pour quoi faire ?

– Mais pour parler.

– Que craignez-vous donc ?

– Je crains pour vos oreilles religieuses, monseigneur.

– Le chirurgien, mon cher duc, doit savoir toucher les plaies ; et ne suis-je pas un double chirurgien, moi ; chirurgien religieux et chirurgien politique ?

– Bien répondu, monseigneur. Je commence, et d’abord voici le fait principal : j’ai vu tout ce qu’il y a à la cour.

– Ensuite ?

– Ensuite le roi ne paraît pas disposé...

– À quoi ?

– À tout, monseigneur.

– Vous croyez ?

– J’en suis sûr.

– Mais...

– Mais quoi, monseigneur ?

– Pour qui ?

– Ah ! voilà les difficultés, monseigneur ; quand un roi de l’âge du nôtre est disposé à tout, il ne doit pas se montrer bien difficile sur le choix des instruments.

– Vous m’inquiétez.

– J’aimerais assez vous entendre, monseigneur, exprimer vos idées à ce sujet. Quel goût aurait Votre Grandeur ?

– Dame ! c’est un peu à vous à me le dire.

– J’y vais essayer, alors, répondit Richelieu.

– Voyons, fit M. de Fréjus.

Et le prélat s’enfonça dans un vaste fauteuil, préludant par le souvenir heureux d’une bonne digestion aux joies cachées d’une petite intrigue bien scandaleuse et menée par le duc de Richelieu.

– Voici ma liste, fit le duc en tirant un papier de sa poche.

– Oh ! oh !

– Nous avons d’abord madame de Toulouse.

– Non, non ! s’écria vivement le cardinal ; une femme de ce rang, c’est comme qui dirait la guerre au sein de la famille royale. Vrai, duc, auriez-vous pensé à madame de Toulouse ?

– J’ai dû penser à tout ce que le roi paraît goûter, monseigneur, et le roi...

– A pris beaucoup de plaisir en tout temps à baiser les belles mains et à regarder les belles épaules blanches de madame la comtesse de Toulouse, n’est-ce pas ?

– C’est cela même.

– Mais il y a un mari.

– Oh ! pour le roi, est-il des maris ?

– Impossible ! impossible ! fit vivement Fleury.

– Je m’en doutais bien, monseigneur, à cause de la politique.

– Car enfin, continua le cardinal, si nous nous donnons un maître, au moins faudrait-il qu’il fût choisi par nous, et madame la comtesse de Toulouse se choisirait trop facilement elle-même.

– Monseigneur, vous êtes toute raison. Passons alors au numéro deux.

– Passons.

– Mademoiselle de Charolais ?

Le prélat regarda Richelieu en souriant.

– Allons, monsieur le duc, vous y mettez du vôtre. C’est beau !

– Moi, monseigneur, oh ! Et puis, le service du roi !

– Voyons, voyons ; a-t-on le droit de franchise ?

– Pardieu ! monseigneur.

– Oui, mais sur cette personne en particulier ?

– Voulez-vous que je vous aide, monseigneur ?

– Je le voudrais d’autant plus que vous pourriez parler en connaissance de cause, duc.

– Eh bien ! monseigneur, je vous l’avoue, mademoiselle de Charolais commence à se passer.

– N’est-ce pas ?... Cependant, elle est bien agréable encore.

– Sans doute, sans doute. Un beau sang.

– Un peu trop riche.

– Trop fertile ; c’est cela que vous voulez dire, n’est-ce pas ?

– C’est cela. Il paraît, vous devez en avoir appris quelque chose, que nulle femme en ce monde n’a reçu du ciel avec autant de profusion ce don que Dieu jadis avait refusé à Sara, épouse d’Abraham.

– La fécondité ?

– Hélas ! oui. Savez-vous ce que l’on me racontait il n’y a pas huit jours ?

– Monseigneur, quand je le saurais, raconté par Votre Grandeur, cela me paraîtrait encore meilleur.

– Eh bien ! duc, rapprochez-vous un peu.

M. de Richelieu avança son fauteuil vers celui de son éminence.

– Me voici, monseigneur.

– Eh bien ! mademoiselle de Charolais a un hôtel. Cet hôtel a un suisse. Ah ! tiens, mais j’oubliais avant l’hôtel... Elle a une habitude.

– Laquelle, monseigneur ?

– Dame ! tous les ans, elle donne un fils ou une fille à celui que son cœur a choisi pour la consoler d’être restée... mademoiselle de Charolais.

Richelieu se mit à rire.

– Vous contez à merveille, monseigneur.

– Eh bien ! duc, quand mademoiselle de Charolais en vient là, toute sa société, qui n’en ignore pas, fait semblant de la croire indisposée. Elle garde le lit quinze jours, la chambre un mois, c’est fini. On appelle cela les spasmes de mademoiselle de Charolais.

– Très bien.

– Vous savez, n’est-ce pas ?

– Monseigneur, depuis deux ans j’étais à Vienne.

– Je poursuis. Cette année, dans cet hôtel que la dame habite, il y a un nouveau suisse, un grand et gros diable qui arriva de Berne ex abrupto dans le dernier mois qui précède les spasmes, et à qui les traditions n’avaient pas encore été enseignées.

– De sorte que...

– De sorte que lorsque mademoiselle de Charolais fut au lit et que le monde commença à venir s’inscrire chez elle, le suisse, souriant à la première visite qu’on lui fit, répondit en ouvrant deux bonnes lèvres soutenues de trente-deux énormes dents :

– Montsire, Matemoiselle se portir à merfeille et l’envant auzi.

Richelieu éclata, le prélat imita son exemple. Tous deux donnèrent un libre cours à leur hilarité.

La glace était rompue, l’entretien désormais pouvait marcher dégagé de toute précaution oratoire.

– Ainsi ? fit Richelieu.

– Biffez le numéro deux, mon cher duc, et cela par intérêt pour...

– Pour le roi ?

– Oh ! je ne dis pas cela. Je dis, par intérêt pour les coffres de l’État, que ses naissances périodiques grèveraient d’un déboursé annuel trop considérable.

– Numéro trois, mademoiselle de Clermont.

– La sœur de mademoiselle de Charolais ! Est-ce que nous n’aurions pas trop à craindre les influences de M. le duc ?

– Je crois que non, monseigneur.

– Et puis, vous n’avez donc pas regardé mademoiselle de Clermont ?

– Mais si... monseigneur.

– Elle est jolie, c’est vrai.

– Très jolie même. Et puis elle n’a pas de suisse, je crois.

– Oh ! duc, il paraît qu’elle a une jambe contrefaite.

– Tiens, monseigneur, vous savez cela ? dit Richelieu d’un ton espiègle.

Fleury rougit.

– On le dit, répliqua-t-il.

– Mais comment le sait-on ?

– Mon cher duc, tout se sait !

– Passons donc, bien qu’en vérité ce soit une charmante femme, et qu’on eût dû, avant de la renvoyer, l’admettre aux preuves.

– Femme politique ! duc, femme politique !

– Très bien, voilà une raison. Au numéro quatre, alors, madame de Nesle.

– Madame de Nesle ?

– Vous avez bondi, monseigneur.

– Mais, je le crois bien, une femme qui a trente-neuf ans... et à son dire, encore !

– Mais elle est extrêmement belle, et l’on prétend que le roi...

– Vous ne savez donc pas, à propos de ce que vous voulez dire...

– J’étais à Vienne, monseigneur.

– Le roi, en revenant de Fontainebleau, où, dit-on, il avait soupé dans un pavillon avec madame de Nesle, le roi a dit...

– Le roi a dit ?

– C’est à Pecquigny qu’il a dit cela.

– Mais achevez, par grâce, monseigneur !

– Ma foi ! duc, il y a des canons qui défendent aux évêques de dire ce que le roi a dit à Pecquigny.

– Ah ! fit Richelieu. Passons au numéro cinq, madame Paulmier.

– Quoi ! Paulmier l’hôtesse ?

– L’hôtesse, oui, monseigneur. Cette grosse commère si dodue, si ferme et si belle : Vénus à trente ans, peinte par Rubens.

– Eh quoi !

– Eh ! monseigneur, si le roi a jamais eu désir d’une beauté supérieure à celle de la reine, c’est pour la perfection de madame Paulmier. Vous ne savez donc pas ce que c’est que madame Paulmier ?

– Si fait : une main, un bras, un tour merveilleux.

– La jambe de Diane. Des cheveux d’or tombant... aux jarrets.

– Des pieds mignons.

– Des yeux d’une convoitise et d’une promesse !...

– La peau de satin.

– Monseigneur, vous connaissez très bien madame Paulmier ?

– Hélas ! oui.

– Eh bien ! est-ce une femme politique ?

– Non, mais tous les pages, tous les chevau-légers, tous les mousquetaires, tous les Suisses et tous les écoliers en sont amoureux. C’est une femme qui reçoit plus de billets par jour que je ne reçois de lettres dans la semaine.

– La conclusion...

– Est bien simple. Je conclus que si le roi veut de madame Paulmier, il la prendra lui-même, et que nous n’avons pas besoin de la lui donner.

– Passons. Numéro six. Olympe de Clèves.

– La comédienne ?

– Elle-même. Qu’avez-vous à dire, monseigneur ?

– Duc !

– Elle est à madame Paulmier ce que la beauté est à l’agrément.

– Oui, elle est très bien.

– Vous la connaissez ?

– Peuh !

– Du talent.

– Mais oui, assez ; de la vérité surtout.

– Vous l’avez vue jouer ?

– On me l’a dit.

– C’est fâcheux que vous ne l’ayez pas vue vous-même ; vous avoueriez que vous ne connaissez rien d’aussi beau.

– Ah ! pour la beauté, c’est vrai. Quand cette femme-là marche, on dirait qu’elle appuie sur les fibres de votre cœur, et qu’elle les fait vibrer comme des touches de clavecin.

– Allons, monseigneur, je vois qu’on vous l’a très bien dépeinte.

– Sans fard, duc, je l’ai vue jouer.

– Allons donc, monseigneur ! Eh bien ?

– Eh bien ! elle est superbe. De plus, j’ai pris des informations.

– Et...

– Et la fille est parfaite. Barjac a causé avec une certaine fille de chambre qui s’appelle Claire.

– Ah ! Et...

– Et cette fille lui a fait jouer un rôle mythologique.

– Continuez donc, monseigneur.

– Connaissez-vous la fable d’Actéon ?

– Pecquigny a-t-il été changé en cerf ?

– Non, Barjac, avant cela, avant...

– Ah ! fort bien ; Actéon s’est caché dans le trou du souffleur ?

– Mieux que cela, duc, sans quoi la fable serait mal copiée. Vous savez bien que pour Actéon il s’agit de cristal.

– D’un bain ? Oh ! monsieur Barjac ! fit Richelieu.

– Voilà, duc, les renseignements.

– Poursuivez, monseigneur.

– Les canons défendent aux ecclésiastiques l’abus des peintures vives.

– Ah ! Barjac ! Mais alors vous devez savoir combien le roi serait heureux d’aimer une si parfaite personne.

– Duc, on n’appelle pas cela aimer.

– N’en déplaise aux canons, monseigneur.

– Un pareil amour se nomme passe-temps.

– Eh quoi ?

– Eh bien ! ce qu’il faut à Sa Majesté, c’est un amour réel, un amour véritable, de la passion, entendez-vous, duc ; que cet amour vienne de la tête ou des sens, qu’il vienne même du cœur, si l’on veut, pourvu que nous nous tenions à la source, avec la clef qui dispense ou qui retire, qui ouvre ou qui ferme.

– Mais nous y serons, monseigneur.

– Non.

– Et puis le roi a remarqué cette fille.

– Raison de plus : coterie Pecquigny.

– Mais M. Pecquigny deviendra grand quand nous le voudrons : coterie Fleury.

– Duc, réfléchissez ; une comédienne, non, jamais. Tenez, fit-il en reprenant du sérieux, le roi ne doit pas déchoir. Une comédienne dans Versailles ou dans le Louvre, non, ce n’est pas possible. Laissons les comédiennes aux rois fainéants de l’Angleterre pour faire les intermèdes de leurs duchesses. Chez nous, gens polis, civilisés, n’exposons pas les gentilshommes à s’encanailler dans les coulisses ou à changer en coulisses l’appartement royal.

– Cependant, monseigneur.

– Louis XV, voyez-vous, duc, couche dans le lit de Louis XIV ; prenons garde d’oublier ce détail.

– Vous avez pris toutes mes convictions, monseigneur, dit froidement Richelieu ; je me rends, alors.

– Passons, comme vous le disiez vous-même tout à l’heure.

– Passons donc au numéro sept.

– Qui a sur votre liste le numéro sept ?

– Madame la comtesse de Mailly.

– Oh ! oh ! fit Son éminence.

– Encore un bond ? dit M. de Richelieu.

– De bon aloi, duc, cette fois-ci ; mais...

– Dites vos mais, monseigneur, je vous prie.

– Il y a un mari.

– Je le sais pardieu bien !

– Il y a une famille.

– Je vois que vous aimez mieux qu’on s’occupe de la famille ; soit. J’avais commencé par l’aînée des filles, mais, puisque vous y tenez, allons. Numéro huit, Pauline-Félicité de Nesle, encore au couvent.

– Elle est laide.

– Voilà un peu pourquoi je ne la nommais pas. Seulement, je dois vous prévenir d’une chose.

– Laquelle ?

– C’est que Pauline est fort spirituelle.

– Je le sais.

– Vous savez ce qui se passe au fond des couvents ?

– Un évêque !

– C’est juste.

– Je vous dirai même qu’elle a de l’ambition, et la plus mondaine.

– Je le sais aussi, monseigneur.

– Quoi ! duc, vous savez ce qui se passe au fond des couvents ?

– Monseigneur, j’ai connu son abbesse.

– C’est juste, dirai-je à mon tour.

– Donc, Pauline est trop spirituelle et trop mondaine pour nous.

– Elle est trop laide.

– Numéro neuf, monseigneur : Diane-Adélaïde, la troisième sœur.

– Presque une enfant.

– Alors, je ne parlerai pas d’Hortense-Félicité, numéro dix, quatrième sœur.

– Non, duc.

– Et de Marie-Anne, la cinquième sœur, belle fille que l’on dit un peu courtisée déjà par le marquis de La Tournelle.

– Duc, si elle est courtisée déjà, laissons Marie-Anne, la cinquième demoiselle de Nesle, ne la donnons pas au roi. Des maris, on s’en défait ; des amants non.

– Monseigneur, vous m’édifiez ; voilà ma liste de numéros qui commence à s’épuiser, et nous n’avons rien décidé.

– Mais, duc, peut-être avons-nous passé trop légèrement sur le numéro sept.

– Sur madame de Mailly, Louise-Julie ?

– Épouse de Louis-Alexandre de Mailly, amant de mademoiselle Olympe de Clèves.

– C’est tout plaisir de causer avec vous, monseigneur ; il n’est pas de mémoire pareille à la vôtre.

– C’est vrai, duc ; on me dit quelquefois que j’ai à peu près celle de votre grand-oncle le cardinal.

– Monseigneur, répliqua Richelieu avec une sorte de sécheresse, je n’en puis pas juger beaucoup ; je n’ai jamais vu mon oncle, et je vous vois.

Cette réserve à double tranchant pouvait passer pour une délicate flatterie.

Fleury la prit ainsi et s’en régala.

– Nous reviendrons donc à madame de Mailly, fit le duc.

– Par essai.

– Oh ! certes ; quant à moi, monseigneur, je n’y ai aucun dessein arrêté.

– Duc, elle est bien maigre.

– Qu’appelez-vous maigre, monseigneur ? demanda Richelieu avec un sang-froid glacial.

– J’appelle maigre, mon cher duc, la femme qui, au premier abord...

– Allez, allez, monseigneur.

– Je ne vous blesse pas ?

– Du tout, du tout. Allez.

– Eh bien ! continua le cardinal, la femme qui, lorsqu’on la voit en face...

– Les canons ! monseigneur, les canons !

– Hélas, oui !

– Eh bien ! monseigneur, je vous répondrai.

– Oh ! je crois bien que madame de Mailly est la femme de France qui porte le mieux une robe d’apparat.

– C’est quelque chose.

– Je crois bien !

– Pour un jeune roi coquet.

– C’est vrai !

– Bien porter une robe, monseigneur, c’est une promesse des plus considérables.

– La robe, beau feuillage, mais l’arbre ?

– Eh ! là, monseigneur, avec une femme comme celle dont nous parlons, entre l’arbre et l’écorce il ne faut pas mettre le doigt.

– J’avoue ! j’avoue !

– Les plus belles mains !...

– Le fait est qu’il semble qu’on voit des fuseaux charmants ou les doigts de l’Aurore.

– Une peau nacrée, diaphane, sous laquelle le sang court vermeil et généreux.

– Oh ! je ne le nie pas.

– Un œil dilaté, franc et lumineux comme celui du chevreuil.

– Un pied...

– Ne quittons pas la tête, duc !

– Une bouche rouge et brûlante !

– Des dents de perles, c’est vrai.

– Une petite moustache noire qui fait toujours sourire les coins de la bouche.

– Et qui est de la couleur des sourcils, noirs comme l’ébène !

– Avez-vous vu cette naissance de cheveux ?

– Au bas du col, n’est-ce pas ?

– Oui, au chignon.

– Et les pointes du front ?

– Il y en a sept.

– Suivant la règle de beauté.

– Le front est magnifique.

– Il n’est pas prétentieux.

– Non, c’est le front d’une belle femme, non le front d’une femme de génie.

– Ah ! point important !

– Monseigneur, savez-vous une chose ?

– Dites.

– Vous disiez qu’elle était maigre.

– Écoutez... cette poitrine de jeune fille !

– Monseigneur, on dirait que vous n’avez jamais remarqué les bras.

– Ah ! les bras sont beaux ?

– Monseigneur, ils sont non seulement beaux, mais gros.

– Ah ! duc !

– Pas d’incrédulité ! Regardez. Que diable ! quand vous feriez un peu comme saint Thomas, monseigneur ! il a bien mis sa main dans le côté de Notre-Seigneur, vous pouvez bien mettre les yeux sous les...

– Duc, duc, les canons !

Et l’évêque se mit à rire d’une façon toute rabelaisienne.

– J’insiste sur ce point, monseigneur ; savez-vous bien pourquoi ?

– Je le saurai si vous me le dites.

– C’est parce que le gros bras chez une jeune femme, c’est un diagnostic irrécusable.

– De quoi ?

– De santé, d’avenir.

– D’avenir ? Quoi ! de la brachiomancie ! est-ce votre sorcier de Vienne qui vous a appris cela ?

– Non, monseigneur ; il ne s’agit pas de l’avenir moral, mais de l’avenir physique. Telle femme a les bras beaux ayant la maigreur de la jeunesse, qui ne peut manquer de devenir une très belle femme à l’âge de maturité.

– Eh ! eh ! duc, quelle physiologie !

– C’est comme cela, monseigneur.

– En sorte que vous n’avez pas la moindre inquiétude pour l’avenir physique de Louise de Mailly ?

– Monseigneur, connaissez-vous ses jambes ?

– J’en ai ouï parler, mais la renommée...

– Monseigneur, c’est une jambe comme je n’en ai jamais vu la pareille. Or, vous savez que les plus belles du monde sont à Paris, et que j’ai toujours vécu à Paris jusqu’au moment où l’on m’a envoyé à Vienne.

– Ah ! bien, duc, la jambe est un stimulant très actif pour le roi. Le roi, toutes les fois qu’il chasse, se met à couvert sous un arbre, aux rendez-vous, pour regarder, sans être vu, les dames qui descendent de cheval ou qui y montent.

– En vérité ?

– Et toutes les fois qu’il voit une jambe à son goût...

– Est-il connaisseur ?

– Mais assez. Il demande immédiatement des renseignements sur la dame. Mon dieu ! c’est à sa belle jambe que madame de Nesle, la mère, doit l’aventure qui n’a pas eu de suites.

– Maintenant, monseigneur, quittons le physique si vous voulez, puisque nous sommes à peu près d’accord.

– Oui, duc, il est convenu que Louise de Mailly deviendra une fort belle femme.

– C’est dit, monseigneur ; parlons de ce qu’il y a dans ce front si beau.

– Peu de chose, peut-être !

– Pardon, beaucoup d’esprit.

– Ah ! diable ! de l’esprit caché !

– Vous avez dit diable ! monseigneur ; pour un évêque, c’est un juron affreux !

– C’est vrai ; j’aurais dû dire duc, au lieu de diable : ce ne serait qu’une vérité. Elle a donc un esprit caché ?

– Oui.

– Le pire de tous, savez-vous bien !

– Un très grand esprit, qui ne se cache que pour ceux à qui elle ne le veut pas montrer.

– Voilà qui est effrayant !

– Non.

– Mais pardon, duc, la femme d’esprit gouvernera le roi, aujourd’hui qu’il ne faut plus que de l’esprit pour gouverner.

– C’est méchant pour M. le Duc ce que vous venez de dire, monseigneur.

Fleury se mit à rire.

– Ce qu’il y a de pire pour nous, duc, vous venez de le dire, c’est l’esprit.

– Pardon, monseigneur, à côté de l’esprit j’oubliais le cœur.

– Elle a du cœur ?

– Et un cœur dans lequel est entré le roi.

– Vous croyez qu’elle aime le roi ?

– Monseigneur, je le crains. Il résulterait de là que madame de Mailly, amoureuse du roi, nous donnerait la sécurité que nous cherchons. Jamais elle ne chercherait à empiéter.

– Bien, mon cher duc ; seulement est-on jamais sûr de ces choses-là ? Une femme, quand elle croit tenir un homme, et que cet homme est un roi, ne change-t-elle pas de caractère ?

– Tant qu’elle aime, non, monseigneur.

– Mais aime-t-elle longtemps ?

– Celle-là, je le crois.

– À quels diagnostics voyez-vous cela, monsieur le prophète ? dit Fleury raillant un peu le duc.

– Ardente et rêveuse à la fois.

– Ce qui signifie... pour vous ?

– Qu’elle trouvera le roi très beau, très bon à garder, et que pour le garder, elle fera tout ce qui sera nécessaire.

– Expliquez-vous mieux.

– Voici. Quittant son mari, elle fait un scandale ; ce n’est pas une femme à reculer devant un scandale, mais ce n’est pas non plus une femme à entamer aventures sur aventures ; elle fera une bonne fois ce que lui dira son cœur, ce que lui dira sa tête. Sa tête est vive, je vous en préviens ; le cœur est bavard, je vous l’affirme ; mais une fois cette parole du cœur ou de la tête bien exprimée, mutisme absolu. Or, une femme, pour se décider au silence des sens ou de l’amour honnête, doit avoir tant de bonnes raisons qu’elle ne peut jamais les rassembler toutes : elle aime mieux capituler. Voilà pourquoi madame de Mailly capitulera toujours dans sa liaison avec le roi.

– Même avec l’amour-propre ?

– Surtout !

– Même avec la pauvreté ?

– Comment, la pauvreté ! Monseigneur, est-ce que vous dites là ce que vous pensez ?

– Je le dis. Madame de Mailly va se trouver abandonnée de son mari, n’est-ce pas, duc ? Sa famille la repoussera, et le roi ne sera pas généreux.

– Le roi n’est pas généreux ! s’écria Richelieu.

– Je ne vous dis pas, monsieur : « Le roi n’est pas généreux » ; je vous dis : « Ne sera pas. »

– Oh ! oh ! monseigneur ; mais qui vous fait penser cela ? dit Richelieu devenu attentif.

– D’abord, duc, mes instincts, puis mes besoins... je veux dire les besoins de la France.

– La France aurait besoin que le roi fût avare ! s’écria encore une fois Richelieu.

– Monsieur le duc, ne me regardez pas de travers ; je vous le dis en vérité, je suis vieux, le roi est jeune ; il s’annonce comme devant avoir un très grand nombre de péchés à commettre ; or, tôt ou tard, il tombera dans le gouffre de la prodigalité, comme son aïeul Louis XIV.

– Eh bien ! monseigneur ?

– Eh bien ! monsieur, la France serait ruinée. Or, je ne veux pas que cela arrive de mon temps. C’est inévitable sans doute, mais pas pour moi. J’ai une dizaine d’années à vivre : je les vivrai en économisant les ressources ; un autre, un successeur, fera le saut périlleux : pas moi.

– Le saut ! Mais vous m’effrayez, monseigneur ! Est-on si près ?

– On est trop près ; les expédients commencent ; je ne suis pas assez jeune pour les imaginer toujours neufs et productifs. Quand vous serez ministre, dépêtrez-vous-en, vous qui êtes homme de ressources.

– Oh ! monseigneur !

– Je ne déguise pas ma pensée, comme vous le voyez bien : tout pour moi jusqu’à ce que je sois mort. Cela ne tardera pas.

– Oh ! que d’exagérations en tout cela !

– Aucune, duc.

– Monseigneur, vous grossissez les dépenses.

– Vous verrez !

– Vous grossissez le danger.

– Brûlez-vous-y ! ce ne sera pas de mon aveu.

– Enfin, empêcherez-vous le roi d’être jeune ?

– Eh ! non, pardieu ! Bon ! voilà qu’après avoir juré le diable, je reviens à Dieu : c’est bon signe. Non, je n’empêcherai pas le roi d’être jeune ; tout au contraire, voyez, je lui trouve deux capitaux, moi, là où tous les autres ne lui en eussent trouvé qu’un, et à grand-peine encore.

– Deux capitaux ?

– La jeunesse et la puissance, deux magnifiques flambeaux tout neufs en belle et bonne cire amassée par le Mazarin, habile homme, pétrie par votre oncle, grand homme ; deux flambeaux que le roi Louis XIV a si bien brûlés ensemble et par les deux bouts, que, ma foi ! ils sont un peu bien réduits.

– C’est vrai !

– Vous voyez bien, il faut que le roi, mon élève, en ait pour jusqu’à la fin de ses jours, jours qui seront nombreux, j’espère.

– Espérons.

– Je m’y prends donc d’avance. Je permets au roi de dépenser un de ces capitaux à la fois, jamais deux. Il a la jeunesse, cela ne coûte rien ; qu’il en use pour le présent, nous verrons ensuite.

– Mais un roi jeune, c’est un roi dépensier.

– Du tout ! un roi jeune, c’est un agréable amour que toutes les femmes doivent s’arracher. Il consent à les aimer, il leur permet de l’adorer. Il donne un pois, il récolte une fève ; il prête un œuf, il reçoit un bœuf.

– Diantre ! monseigneur, quelle morale ! Savez-vous que j’ai dans mon régiment des racoleurs qui pratiquent cette théorie, et les soldats les appellent des... grugeurs.

– Je le crois bien ; vos soldats sont des soldats, et les racoleurs ne sont que des sergents, ou tout au plus des fourriers bien humbles. Faites-en des colonels, on commencera à compter avec eux ; faites-en des maréchaux, vous m’en direz des nouvelles ; princes du sang, vous les admirerez ; rois, ils ne sont que justes.

– Oh ! monseigneur, la, la ! pourquoi justes ?

– Parce que, monsieur le duc, dit sévèrement Fleury, une maîtresse de roi n’a pas une perle qui ne coûte dix mille livres de pain au peuple de ce roi.

Richelieu s’inclina.

– Ma politique ne vous paraît pas digne d’un gentilhomme, peut-être ?

– Monseigneur, je ne dis plus rien.

– Croyez-moi, duc, ajouta finement le vieillard, je tiens à ce qu’on ne rogne pas trop les parts de mes amis.

– Ainsi, madame de Mailly est acceptée à la condition qu’elle fera vœu de pauvreté.

– Oui.

– D’obéissance ?

– Oui. Je la dispense du reste.

– Voilà des conditions dures, monseigneur.

– Vous ne croyez pas que je donnerai aux maîtresses ce que je refuse à la reine.

– Mais le roi vous forcera peut-être ?

– Ah ! s’écria le vieillard avec une vivacité qui dévoila toute sa politique à Richelieu, c’est là que je l’attends ! Que le roi me force la main, et ma responsabilité étant mise à couvert, nous verrons !

– Bien, pensa Richelieu, je te comprends.

– D’ailleurs, se hâta d’ajouter Fleury, ne venez-vous pas de me dire que la comtesse n’aime plus son mari ?

– Elle l’a quitté.

– Qu’elle aime le roi ?

– Supposition.

– Supposition ! Vous avez dit positivement qu’elle est ardente et rêveuse ; qu’elle a de petites moustaches et des sourcils noirs.

– Fait positif.

– Donc, elle ne peut se dispenser d’aimer le roi.

– Il faudra s’enquérir.

– Cela vous regarde.

– Je m’y appliquerai pour vous obéir.

Fleury dissimula un mouvement d’impatience causé par cette obstination de Richelieu à demeurer couvert.

– Je conclus. Si madame de Mailly aime le roi, peu lui importera que le roi la traite en Cléopâtre ou en Lucrèce.

– C’est possible ; mais l’orgueil ?

– Nous sommes convenus qu’elle n’en aura pas.

– Monseigneur me bat.

– Avec vos armes. Du reste, duc, craignez-vous pour la solidité du numéro sept ? Voulez-vous que nous en cherchions un autre ?

– Oh ! non, monseigneur ; arrêtons-nous là ! La lutte avec vous est fatigante.

– Oui, par la logique serrée.

– J’aime mieux aller m’exercer contre une femme.

Le prélat sourit.

– Duc, dit-il, n’oubliez jamais que je suis votre meilleur ami, si vous m’en voulez accorder l’honneur.

Richelieu s’inclina

– Je n’ai eu dans tout cela, dit-il, qu’un seul vrai chagrin.

– Lequel ? mon Dieu !

– C’est d’entendre dire qu’un roi de France allait être avare. Cela n’était pas arrivé depuis...

– Depuis... votre oncle, fit malignement le vieillard.

Richelieu allait peut-être répondre. Fleury lui coupa la parole.

– Que vous importe, après tout, dit-il, que le roi soit avare ou prodigue ?

– Eh ! monseigneur, vous en parlez comme un homme dégagé du monde, vous.

– Mon cher ami, je suis dégagé du monde, c’est vrai ; mais vous, vous avez les bénéfices du monde.

– Moi ?

– Sans doute, vous.

– Lesquels, mon Dieu ! si le roi est avare ?

– Eh ! duc, un roi n’est jamais avare quand il promet ou qu’il a des gens qui promettent pour lui.

– Bah ! monseigneur, vous voulez rire ?

– Non, sur ma parole !

– Vous appelez riche celui à qui on a promis, vous, monseigneur ?

– Certes.

– Si l’on tient, oui.

– C’est évident ; mais à qui est venue l’idée qu’un roi de France ou un ministre du roi français manque à sa parole ?

– Oh ! s’écria Richelieu ravi, voilà parler. Ainsi, Louis XV, avare et sordide, tiendra toujours sa parole ?

– En doutez-vous, duc ?

– Non, si vous en répondez.

– J’en réponds corps pour corps !

– Monseigneur, pas un mot de plus.

– Il ne vous manque qu’une seule chose, duc, c’est la mémoire.

– À moi, monseigneur ?

– Oui, à vous. Que vous a-t-on promis ?

– Oh ! pardieu ! je le sais, allez. Je ne l’ai pas oublié, jamais.

– Voilà tout ce qu’il faut, mémoire pour retenir, mémoire...

– Pour tenir.

– Adieu, duc.

– Monseigneur, mille respects.

Et Richelieu sortit.

LXX

Serpent n° 2

Richelieu, après avoir obtenu son double engagement du ministre, pensa qu’il était tenu de se mettre à l’œuvre, et, sans perdre une minute, il partit pour aller retrouver madame de Mailly.

Du roi, il ne s’en inquiétait pas un instant ; n’avait-il pas les pleins pouvoirs de M. de Fréjus !

Quant à la comtesse, tout exaspérée de sa scène avec son mari, toute gonflée de vengeance féminine, elle se tenait dans son boudoir au moment où le duc fut annoncé par sa camériste.

En toute autre circonstance, Louise de Mailly eût refusé de recevoir le duc, à qui sa réputation plus que compromettante fermait toutes les liaisons des femmes respectées à la cour ; mais la pauvre comtesse vivait depuis deux jours dans une telle surexcitation que rien ne lui paraissait plus inconvenant que les convenances.

C’est pour les femmes un terrible moment à franchir que le moment où elles cachent leur pâleur sous du rouge, ou leur rougeur sous l’éventail ; seulement, il faut avouer que, ce moment franchi, elles sont plus fortes et meilleures pour le bien ou pour le mal que les hommes.

La comtesse, sans en être arrivée là, se sentait déjà à demi délaissée ; l’abandon de son mari lui inspirait un profond dégoût pour les hommes : un sentiment pareil conduit à la supériorité.

Être supérieur dans le monde, c’est parfois mettre sous ses pieds l’opinion.

Louise se disait, non seulement dans son cœur, mais encore dans sa conscience, que, M. de Mailly songeant à des amours publiques, elle pouvait bien, elle, songer à des amours particulières ; elle se rappelait que M. de Richelieu assistait la veille à la petite fête de Rambouillet, et qu’il avait été témoin des faits et gestes du roi.

Elle se rappelait, en outre, que, dans le court tête-à-tête qu’elle avait eu avec M. de Richelieu, au moment où elle attendait que tout le monde fût parti, M. de Richelieu avait lu aussi profondément dans son cœur que si elle avait eu à la poitrine cette fenêtre que désirait y voir le philosophe antique, et que, fort heureusement pour bien des gens, les philosophes modernes n’ont pas encore pu y pratiquer.

Elle pensa, aussitôt que le nom du duc de Richelieu fut prononcé, que d’un rapprochement avec lui allait naître une occasion d’apprendre ce que le roi avait dit ou fait depuis cette scène.

Il n’est pas une femme peut-être qui sache résister à la curiosité, c’est-à-dire aux violentes démangeaisons de savoir comment pensent d’elle les gens qu’elle a distingués, et particulièrement, parmi ces gens-là, l’homme qu’elle aime.

Et si cet homme qu’elle aime est le roi, on pense bien que ce n’est plus de la curiosité, mais de la frénésie.

On a dit avec raison que c’était cette curiosité qui causait la perte de la plupart des femmes, car c’est en s’informant que l’on sait, et c’est la science qui perd.

Madame de Mailly, sans se rappeler, tant son désir de savoir était grand, que, la veille encore, elle était une femme inattaquable et inattaquée, madame de Mailly donna ordre à l’instant même qu’on introduisît chez elle M. de Richelieu.

Quant à des idées qui regardaient personnellement le duc, elle n’en avait conçu aucune.

Et pourtant le duc, à trente ans, était d’une rare beauté. L’âge viril avait chez lui tenu, et au-delà, toutes les promesses de l’adolescence.

Mais la comtesse n’avait rien remarqué de tout cela. Ce qu’elle avait vu, c’était le roi jeune et beau, non pas Louis XV le monarque, mais Louis XV à seize ans, Louis XV rayonnant de jeunesse et de besoin d’aimer.

Quant au duc, elle savait qu’il était bel homme et recherché, comme on sait que Raphaël était un grand peintre. Cette beauté et ces succès du duc, c’était une chose de notoriété publique, qu’elle ne contestait ni n’affirmait.

En conséquence, elle n’avait pris aucune précaution de jour ou d’ombre, selon la coutume des femmes de ce temps pour faire valoir leur teint. Elle n’avait ni ajouté ni retranché une seule mouche quand le duc entra paisiblement dans son cabinet sur les pas de la camériste.

Sans trouble, sans gêne, sans affectation, elle sourit à Richelieu en lui faisant la révérence, et laissa partir sa femme de chambre, sans presser ni retarder son départ.

Ils demeurèrent seuls.

Madame de Mailly rompit le silence ; elle se sentait comme embarrassée sous le regard fixe du duc de Richelieu.

Celui-ci contemplait Louise avec une sorte de fascination qui, dans ses idées à lui, était certainement le meilleur moyen possible de conversation.

– Monsieur le duc, dit enfin la jeune femme, à quelle heureuse circonstance, s’il vous plaît, dois-je l’honneur de votre visite ?

– Madame, répliqua-t-il en saluant avec une grâce exquise, me pardonnez-vous d’abord de vous bien regarder ?

Les joues de Louise se couvrirent de pourpre, et toutes les histoires du duc de Fronsac lui revinrent à la mémoire.

Cependant, l’œil de Richelieu n’était pas animé de la provocation qui offense une femme ou de ces feux qui l’inquiètent.

– Il m’est impossible, répondit-elle en cherchant à sourire malgré son embarras, de vous empêcher de me regarder, monsieur le duc, ou même de m’en fâcher, car vous le faites le plus honnêtement du monde, et, je le crois sincèrement, dans une intention qui n’a rien d’hostile pour moi.

– Vous le pouvez croire, madame la comtesse.

– Dites-moi, cependant, je vous l’ai demandé déjà, si c’est uniquement au désir de me regarder que je dois l’avantage de votre visite ?

– Madame, il est vrai qu’à Rambouillet j’ai eu l’occasion de vous voir, et très longuement, mais assez peu, malgré cela, et trop peu même, si j’en crois toutes les idées qui me sont venues depuis hier, et dont je vous ai même, madame, touché quelques mots dans le cabinet.

– Allons, pensa-t-elle, nous y voilà ! N’est-il pas possible en ce monde de passer une heure avec un homme sans qu’il vous adresse quelque compliment ? Quelle nature banale que celle des hommes !

Richelieu devina la pensée de la comtesse de Mailly, et souriant :

– Madame, dit-il, je vais sans doute vous faire une grosse impertinence.

– Qui sait ? fit-elle froidement.

– Mais vous me la pardonnerez, j’en suis certain, continua-t-il.

– Peut-être, monsieur le duc.

– Je mets toutes mes espérances en votre bonté, madame la comtesse.

– Ne vous y fiez pas trop, dit-elle durement ; et puis, vous n’avez pas encore commencé. Puisque je puis conserver de vous le souvenir d’un gentilhomme extrêmement civil et agréable dans le commerce de la vie, ne me donnez pas de vous une autre idée.

– Madame, reprit le duc en conservant toujours sur les lèvres son premier sourire, laissez-moi, je vous prie, m’expliquer.

– Non ! non ! monsieur le duc, non ! mieux vaut, je crois, le doute que la certitude.

– Mais cette impertinence est pardonnable, madame, si je ne m’abuse.

– Duc, je n’en crois rien. Un homme de votre rang n’arrive pas chez une femme avec la garantie qu’une impertinence arrêtée soit pardonnable.

– Enfin, telle qu’elle est, madame, je me résigne ; la conversation ne commencerait pas avec vous sans cela. Tout ce que je puis vous dire d’agréable maintenant, ne le prenez point, je vous prie, comme calcul personnel. J’ai le malheur, ou plutôt j’ai le bonheur de n’être animé envers vous que d’un sentiment très vif...

– Duc ! monsieur le duc !

– L’amitié, madame, reprit Richelieu avec un geste plein de courtoisie, l’amitié la plus réservée et la plus respectueuse qui soit au monde.

Louise de Mailly trembla.

– Oh ! fit-elle.

– Vous voyez, comtesse, que, sur ce terrain, nous ne pourrons manquer de nous entendre.

– Oh ! certes, monsieur.

– Je continue donc, et vous allez voir si j’ai fait de bonnes et utiles réflexions depuis hier.

– J’écoute.

– Bien réfléchir, cela arrive surtout à ceux qui ont bien observé, n’est-il pas vrai, comtesse ?

– Mais je crois que oui. De même, à ce que je crois toujours, que bien observer arrive à ceux qui savent bien réfléchir.

Richelieu salua.

– Or, vous avez observé ? dit-elle.

– J’ai observé, madame, un fait très curieux et très intéressant.

– Et où cela, monsieur le duc ?

– Hier, à Rambouillet, madame la comtesse.

– Relativement à qui ?

– À vous. Ce même fait, vous le savez, dont je vous ai parlé, toujours dans le cabinet.

Louise rougit encore.

– À moi, c’est difficile, monsieur le duc ; simple et peu communicative, je ne croyais pas, je l’avoue...

– Vous ne croyiez pas être remarquée ? C’est impossible, madame.

– Un compliment !

– Non, mieux que cela, une observation. Voir vos yeux et trouver qu’ils sont noirs, ce n’est rien ; voir votre bouche et trouver qu’elle est charmante et votre sourire plein de grâce, ce sont là des observations vulgaires. J’ai donc observé mieux que cela, vous voyez, et j’ai de l’amour-propre, c’est chose connue depuis longtemps à la cour.

Le cœur de madame de Mailly commençait à battre. Elle déguisa le tremblement qui menaçait de se manifester sous un enjouement de commande.

– Allons, allons, duc, mettez-moi sur la sellette ; je vous y autorise, puisque je ne puis me défendre.

– Oh ! vous y êtes, comtesse. Écoutez-moi. J’ai donc remarqué que les yeux noirs scintillaient en touchant tel ou tel but ; que les lèvres, si fines et si parlantes, avaient des sourires pleins de soupirs et de signification.

– Monsieur le duc !

– Toujours quand le même but se proposait, entendons-nous bien, je vous prie. Rien n’a été plus intéressant pour moi à étudier. Toute la soirée, je me suis délecté au jeu de cette adorable physionomie. Toute la nuit, j’ai senti vibrer à distance, comme si j’en eusse tenu tous les fils, ce cœur riche d’un trésor inappréciable, d’autant plus que vous en ignorez vous-même le prix, un cœur riche d’amour.

– Mon cœur, à moi !

– Votre cœur, à vous.

Louise appuya une main sur son cœur et pâlit.

– De grâce ! madame, s’écria Richelieu, n’allez pas oublier un moment, je vous en conjure, que j’ai commencé la conversation par vous déclarer que nul n’est pour vous un ami plus sincère et plus dévoué que je n’ai l’honneur de l’être.

– De l’amour ! répéta-t-elle en essayant l’ironie ; de l’amour ! Oh ! monsieur, non... non...

– Madame, ne niez pas.

– Monsieur, je vous assure...

– Madame, je ne me permettrais pas de vous interroger, et ne vous demande point, en conséquence, de rien avouer.

– Vous êtes un singulier visiteur, monsieur le duc, et je ne vous comprends pas, en vérité.

– Aurais-je eu le malheur de vous déplaire, madame ?

– Vous piquez, je vous l’avoue, ma curiosité.

– C’est énorme déjà, madame. Je vous disais donc que votre aveu ne m’était pas nécessaire, puisque c’est moi qui viens vous faire une confidence. Tout au plus aurais-je besoin de votre acquiescement.

– À la bonne heure ! Quant à ce que vous me disiez de vos observations...

– Elles sont justes, madame.

– Fausses, duc, fausses !

– La, la, madame ; ne me réduisez pas à prouver.

– Fausses, vous dis-je !

– Pourquoi démentez-vous vos beaux yeux, votre beau sourire ?

– Qu’est-ce qu’un regard ? Un rayon de l’intelligence. Qu’est-ce qu’un sourire ? Une fossette dans la joue.

– Madame, c’est le langage du cœur.

– Vous appelez un regard et un sourire le langage du cœur chez une femme oisive ?

– Allons, ne démentez point maintenant votre cœur excellent et généreux.

– Voilà que vous vous en prenez à mon cœur, qui est froid comme pierre.

– Ah ! vous me piquez : songez, comtesse, que j’ai à défendre un intérêt contre vous.

– Contre moi ! un intérêt ! Lequel ?

– Celui du but dont je vous parlais tout à l’heure, celui du but vers lequel convergeaient hier à Rambouillet sourires et soupirs. Je ne parle plus des regards, puisque vous n’en voulez pas.

– Prouvez-moi !

– Je vous mets au défi, madame, de nier que vous aimez en ce moment quelqu’un ! s’écria Richelieu avec énergie. Niez cela, et je descends de toute l’admiration que vous m’avez inspirée ; niez cela, et je nie à mon tour votre élan de cœur, votre regard de feu, votre soupir plein d’enthousiasme ; je vous nie et je me tais.

– Mais enfin, monsieur, dit Louise toute palpitante, qui aimé-je ?

– Le roi, madame.

Et il laissa tranquillement tomber ces deux mots comme deux énormes montagnes sous le poids desquelles s’engloutirent en un instant les résolutions et les tentatives de mensonge de la femme.

Elle tomba sur le dossier de son fauteuil, l’œil éteint, les lèvres décolorées, le front pâle.

Richelieu ne bougea pas de sa place.

– C’est affreux, murmura Louise, c’est affreux, monsieur le duc !

– Vous ne direz pas que je vous insulte, madame la comtesse, répliqua froidement le duc. Il n’est personne en ce monde qui soit plus digne d’être aimé de vous depuis que vous avez le droit de ne plus aimer votre mari.

Un coup l’avait terrassée, le second coup la releva.

Richelieu venait, par une habileté sans exemple, de lui donner l’avantage à ses propres yeux dans cette conversation.

Peu à peu Louise se ranima ; la couleur reparut à ses joues, et le feu étincela de nouveau dans son regard.

– Je ne dis pas, monsieur le duc, fit-elle, que vous m’insultiez ; je dis que vous me torturez le cœur, et cela bien cruellement.

– À Dieu ne plaise, madame la comtesse, que je me rende coupable d’un pareil crime ! Vous torturer, moi ? oh ! non ! Je vous ai conté votre propre histoire ; seulement j’avais la certitude que vous l’ignoriez vous-même.

– Je l’ignore encore.

– Oui, je le crois, mais moi je ne l’ignore plus.

– Oh !

– Et je vous avertis, il est extrêmement naturel, il serait invraisemblable que, fait comme est le roi, vous ne l’aimassiez pas.

– Monsieur le duc, ménagez-moi.

– Eh ! madame, que fais-je donc ? quel est mon rôle ici ? non seulement je suis venu vous apporter un ménagement, mais encore un secours efficace.

Elle le regarda l’œil enflammé.

– Que voulez-vous dire ? fit-elle.

– Voici en deux mots. J’ai vu, vous disais-je tout à l’heure, j’ai vu hier dans vos yeux l’esprit, dans votre cœur l’amour, dans votre âme la noblesse ; j’ai deviné combien vous alliez souffrir de tout ce qui arrive.

– Qu’arrive-t-il ?

– J’y viens. Le roi a aimé beaucoup la reine.

– Ah ! Est-ce qu’il l’aime moins ? fit-elle avec vivacité.

– Prenez garde à vos yeux, comtesse, interrompit le duc en souriant : ils viennent de laisser aller une vérité dans un éclair ! Oui, madame, le roi aime un peu moins la reine, et, bien plus, il commence à aimer ailleurs.

– Ah !

– S’il n’aime pas, on lui fera croire qu’il aime ailleurs. Vous savez tout l’enthousiasme qu’excite autour de lui ce charmant roi dans sa cour.

– Oui ! oui !

– Le roi a le cœur inflammable.

– Vous voulez dire qu’il aime quelqu’un, n’est-ce pas, monsieur le duc ?

– Madame, cela pourrait arriver très vite, s’il vous regardait souvent, comme il en a eu l’occasion hier et comme il l’a fait.

La comtesse rougit.

– Oh ! le roi m’a peu regardée, dit-elle.

– Le roi est distrait, et l’on cherche à le distraire plus encore. Tant de gens attireront ses yeux de droite et de gauche, qu’il ne sera plus possible à Sa Majesté d’avoir un regard vacant d’ici à deux mois.

– Pauvre prince ! que d’amours fausses, que de mensonges avares, que de sensuelles amorces, cachant des trahisons !

– Votre cœur vient de parler avec une philosophie dont je vous croyais tout à fait capable, madame. J’ai réfléchi comme vous, tout d’abord, à ce danger que court le roi d’être trompé, et au danger que vous courez vous-même.

– Moi ! un danger ?

– Oui, sans aucun doute.

– Je ne vois pas lequel.

– Mais, pardon, madame, n’est-il pas convenu là, tout à l’heure, entre nous deux, que vous aimez le roi ?

– Méchant homme ! s’écria Louise avec des larmes dans les yeux.

– Méchant, soit, mais logique. Nous sommes bien convenus de ce fait. Or, si vous aimez Sa Majesté, trouverez-vous plaisant de voir le roi aimer d’autres femmes ?

– Homme brutal !

– Brutal ! soit encore, mais de plus en plus logique, vous le comprenez. Donc, si vous aimez le roi, si vous êtes blessée de le voir passer à d’indignes amours, pensez-vous qu’il vous faille travailler à vous faire aimer du roi, vous qui le pouvez sauver en vous faisant heureuse.

– Monsieur, oh ! monsieur.

Et Louise cacha son visage dans ses mains.

– Madame, croyez bien que si je ne vous estimais pas par-dessus toutes choses, je ne serais point venu pour parler avec cette franchise. Vous n’y devez sentir rien que le désir arrêté de vous interdire toute faute, que la volonté ferme de vous faire réussir en tout dessein.

» Avec une femme de moindre valeur, je ne me fusse pas dérangé, ou j’eusse fait de la diplomatie. À vous, je dis franc et net :

» Femme belle, aimante, généreuse, et digne d’être aimée par un charmant prince, par un grand roi, voulez-vous prendre votre place ou l’abandonner à d’indignes femmes qui la guettent ?

» Répondez ! Pas de larmes, pas de puérile rougeur, pas d’émotion de pensionnaire : s’il s’agissait d’être reine de France... je n’en chercherais pas moins votre réponse... mais la place est prise. Il ne reste, hélas ! à prendre que la seconde ; mais elle peut devenir la première. En voulez-vous ?

Étourdie, atterrée, écrasée, Louise se levait et retombait alternativement sur son siège, en proie à un désespoir, à une fièvre qui finirent par émouvoir l’âme impassible de Richelieu.

– Madame, dit-il, je m’étais trompé, je vous croyais un ferme caractère ; excusez-moi, et oubliez, je vous en prie, ce que je vous ai dit ; de tout cela, il ne me reste qu’un regret bien vif, de vous avoir pu offenser en vous tenant un langage que vous n’avez pas compris tel que je vous l’adressais.

Le duc se leva le plus respectueusement du monde, et vint devant elle faire sa révérence.

Elle était baignée de larmes. Elle tremblait comme une fauvette hors du nid après un premier orage de mai.

Mais enfin, voyant que le duc, impitoyable, se préparait à sortir :

– Monsieur, dit-elle, n’abusez pas du secret d’une femme qui aime, puisque vous prétendez avoir découvert son amour !

Le duc revint à madame de Mailly, fléchit un genou devant elle, et baisa, comme s’il adorait une sainte, la froide main qui pendait hors du fauteuil.

– Me voici tout à vous, dit-il ; remettez-vous, madame ; je suis vôtre, encore une fois, jusqu’à la mort. Parlez, je vous écoute.

LXXI

Où il est traité de la puissance des bonnes raisons sur un esprit juste

Richelieu poussa un Ah ! qui avait visiblement pour but de prendre haleine.

Madame de Mailly ramassa son éventail qui avait doucement glissé de sa main sur son siège, et de son siège à terre.

– Je vais donc, reprit M. de Richelieu, m’expliquer à cœur ouvert avec votre esprit.

– Et pourquoi pas avec mon cœur, duc ? demanda la comtesse.

– Parce que, avec votre cœur, c’est déjà fait, vous êtes séduite, et vous n’avez plus besoin que d’être décidée.

– Ah ! duc !

– Bon ! nous n’irons pas loin, si la première vérité vous révolte. Prenez garde, comtesse, car je n’ai que des vérités à vous dire, je vous en préviens.

– J’écoute.

– Bien décidément ?

– Oui.

– Eh bien ! maintenant que toute glace est rompue, maintenant que vous savez que je suis un ami, sachez encore une chose qui vous rassurera bien davantage.

– Laquelle ?

– C’est que je suis intéressé.

Madame de Mailly releva cette tête intelligente que les préliminaires de cette grave conversation avaient courbée.

– Un intéressé ? demanda-t-elle avec étonnement ; ce pauvre M. de Mailly, je vous croyais au mieux avec lui.

– Oh ! comme vous vous égarez, comtesse. Bon Dieu ! qui pense à M. de Mailly ? Est-ce que M. de Mailly est pour quelque chose dans ce que nous disons !

– De quoi s’agit-il donc ?

– Eh ! madame, il s’agit de savoir tout simplement qui gouvernera la France d’ici à deux mois.

– Monsieur le duc...

– Encore ! Oh ! je ne vous pardonne pas cette hésitation, comtesse ; que diable ! comme disait mon grand-oncle, qui a dit une quantité sinon de bonnes choses mais de grandes choses dans sa vie, qui veut la fin veut les moyens. Voulez-vous la fin ?