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Truffé de références littéraires, ce récit drôle et enlevé soulève des enjeux philosophiques essentiels.
Comme tout créateur devant La Création (que celle-ci soit le fait du hasard et de la nécessité ou bien d'une volonté transcendante et impénétrable), Anne Serre se pose les questions primordiales : Qu'est-ce qu'un arbre ? Qu'est-ce qu'une rue ? Qu'est-ce qu'une femme ?
Elle y répond avec fantaisie dans une prose spirituelle qui fait le charme de ce texte inédit.
L'occasion de découvrir - ou d'apprécier davantage encore - une auteure contemporaine majeure, aussi discrète qu'exigeante.
EXTRAIT
Qu’est-ce qu’un arbre ?
Un arbre est le pommier sous lequel s’endort le père d’Hamlet tandis que son frère verse dans son oreille un poison brûlant. Un arbre est le poirier de notre jardin aux poires toujours blettes. Un arbre est le noisetier du jardin de madame Mary dont les noisettes sont toujours trop fraîches. Un arbre est ces petits arbres plats et minces de formes différentes qu’on voit à l’arrière-plan des peintures du Quattrocento. Un arbre est celui d’Amarcord dans lequel grimpe l’oncle fou qui crie : « Je veux une femme ! Je veux une femme ! » Un arbre est l’un de ces fûts roux dressés dans les Landes. Un arbre est celui dont la branche énorme et transversale m’assomme alors que je monte au grand galop un cheval que je ne sais arrêter.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Anne Serre est née à Bordeaux en 1960. Dès l'âge de vingt ans, elle publie des nouvelles et des textes courts dans des revues littéraires (NRF, Obsidiane). En 2012, son douzième roman
Petite table, sois mise ! rencontre auprès de la critique et des lecteurs un accueil très favorable et figure dans les sélections des prix Mauvais genre/France Culture, Sade, Wepler, Flore, Femina. Dans son portrait de l'auteur, Anne Diatkine écrit : « Comme l’héroïne de son récit, Anne Serre vit dans une maison de fiction où la littérature est la seule réalité possible. »
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Seitenzahl: 26
Qu’est-ce qu’une femme ?
Anne Serre
Qu’est-ce qu’un arbre ?
Un arbre est le pommier sous lequel s’endort le père d’Hamlet tandis que son frère verse dans son oreille un poison brûlant. Un arbre est le poirier de notre jardin aux poires toujours blettes. Un arbre est le noisetier du jardin de madame Mary dont les noisettes sont toujours trop fraîches. Un arbre est ces petits arbres plats et minces de formes différentes qu’on voit à l’arrière-plan des peintures du Quattrocento. Un arbre est celui d’Amarcorddans lequel grimpe l’oncle fou qui crie : « Je veux une femme ! Je veux une femme ! » Un arbre est l’un de ces fûts roux dressés dans les Landes. Un arbre est celui dont la branche énorme et transversale m’assomme alors que je monte au grand galop un cheval que je ne sais arrêter. Un arbre est cet énorme éléphant végétal de chez Janine Pannelier à la branche duquel est accrochée une balançoire qui grince. Un arbre est le tilleul dont la grosse tête fleurie secoue sur la terrasse ses feuilles jaunes où circulent peut-être des scorpions. Un arbre est le souple prunier qui donne sur une autre terrasse, et nous volons des prunes, dures comme des cailloux. Un arbre est le catalpa aux haricots géants sur lequel donne la fenêtre de notre haute chambre à Bordeaux. Un arbre est le marronnier du fond du jardin et, surtout, celui qui fut abattu, ce dont Maman pleura parce qu’elle l’avait toujours vu. Un arbre est celui qui se dresse, rond, palpitant de soleil sur le pré du lac de Montbélier, c’est aussi ce bonzaï que m’offrit Catherine et d’où sortit un livre parce que tout à coup, en lui, s’étaient réunis tous les arbres que je connaissais (et ceux dont j’ignorais qu’ils fussent dans ma mémoire, mais qui y étaient aussi).
Et ainsi de suite pour les arbres, comme ce serait le cas aussi pour les femmes si on devait définir ce qu’est une femme, pour les rues si on devait définir ce qu’est une rue, et ainsi de suite. Si je dis le mot « rue », en effet, s’accumulent en un même point de ma conscience toutes les rues que j’ai vues – et j’en ai vu – mais aussi toutes celles qu’on m’a racontées, quand on disait : « Je suis passé par la rue untel et alors j’ai fait ci », et toutes celles que j’ai lues dans les romans, et toutes celles que j’ai vues en peinture et au cinéma, ajoutons encoretoutes celles dont j’ai rêvé la nuit. De toutes ces rues accumuléessort une rue imaginaire qui tient, allez, un exemple, de celle de Proust quand il allait « du côté de Guermantes », de celle que j’ai vue et parcourue à Illiers-Combray, de celle que j’ai prise à Rome avec Pierre ce jour-là, de celle qui allait de chez mes grands-parents paternels à chez mes grands-parents maternels quand on « passait par derrière », de celle qu’on prenait à Bordeaux pour aller de la maison auLys bleu, de celle qu’on prenait pour aller de la rue des Pins à l’école