Quimper sur le gril - Bernard Larhant - E-Book

Quimper sur le gril E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Une sanction disciplinaire, un retour aux sources… malgré une vérité qu'on cherche à lui cacher, Paul Capitaine est bien décidé à élucider cette enquête !

Suite à une sanction disciplinaire, le capitaine Paul Capitaine, membre de la Cellule-Élysée, est expédié à Quimper, sa ville natale. Le retour aux sources n'est pas de tout repos. Il se heurte aussitôt à son supérieur qui lui ordonne de bâcler une enquête sur la mort de squatters dans un incendie…
Seulement, Paul Capitaine est breton et, plus on veut lui cacher une vérité, plus il met d'énergie à la révéler !
Ses investigations lui attirent beaucoup d'ennuis et d'inimitiés, mais aussi des soutiens, parfois inattendus. De moments dramatiques en instants cocasses, son expérience et son humour lui permettent de se tirer de mauvais pas, parfois sur le fil du rasoir.
Plus l'enquête avance, plus un étau mystérieux se resserre sur lui et ceux qui l'ont aidé…

Savourez le premier tome des enquêtes du capitaine Paul Capitaine, à la fois cocasses, complexes et bien ficelées !

EXTRAIT

"- […] J’allais oublier 007 et “sa” James Bond Girl. J’ai sur les bras le dossier de trois clodos qui se sont cramés dans leur squat. Vous allez me rassembler les éléments de l’enquête pour boucler ce dossier, le médecin légiste a signé ses conclusions et vous trouverez sur le bureau de Fabien le rapport des bleus qui ont été les premiers sur les lieux de l’incendie. Vous voyez, ce n’est pas trop compliqué comme boulot. Le proc attend notre feu vert pour classer l’affaire sans ouvrir d’enquête particulière. Alors, vous faites fissa pour passer rapidement à autre chose. Des questions ? Aucune, c’est bien, alors au boulot ! Ah oui, RMC, tu restes bien sûr fidèle au poste, devant ton ordinateur ! Je me fous que tu y joues à des jeux vidéo, du moment que tu ne nous emmerdes pas !
Si je ne m’étais pas contrôlé, je lui aurais flanqué mon poing sur la figure, tant l’attitude du cheffaillon local de la Crim donnait envie de vomir. Seulement, je n’étais pas là pour cela !"

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Éditions Bargain, le succès du polar breton." - Ouest France

"Quimper sur le gril s'est révélé être un bon moment de lecture et une excellente surprise entre enquête policière, humour et émotion… C'est bien écrit, captivant dans une trame narrative qui monte en puissance avec un final imprévisible." - AMR, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après avoir passé une longue période dans le Sud-Ouest, il est revenu dans le Finistère, à Plomelin, pour poursuivre sa carrière professionnelle. Passionné de football, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du Stade Quimpérois, puis en senior. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l’écriture de polars avec cette première enquête d’un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine. À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.



À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute res-semblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Jean-Marie Larhant,Brigadier de police à Quimper,mon grand-père.

I

— Vous avez lu cet article ? L’histoire de ce policier de l’Élysée qui a voulu jouer les taupes pour compromettre l’armée ? Carton jaune, ce n’est pas cher payé pour une pareille bavure ! De mon temps, une forte tête qui s’en prenait à l’armée, on lui réglait son compte avant qu’il ne passe devant une cour martiale ! Cela évitait des frais à la République…

Le gars qui m’apostrophait, assis à ma droite dans le TGV me conduisant vers Quimper, avait l’allure d’un militaire à la retraite, cheveux en brosse et costume strict, même si, de nos jours, l’habit ne fait pas plus le soldat que le moine. Il était monté à Vannes et, depuis lors, gardait les yeux rivés sur cet article d’un magazine hebdomadaire qui taillait en pièces un capitaine de police affecté à la cellule spéciale de l’Élysée, coupable d’avoir enquêté en sous-marin sur les agissements suspects de la Grande Muette.

Mon compagnon de voyage continuait à débiter son fiel en se moquant totalement du peu d’intérêt que je portais à son réquisitoire. Mon esprit partait vers d’autres horizons, vers Quimper principalement, terminus du périple et, pour moi, point final d’un retour aux sources qui m’angoissait autant qu’il m’excitait. J’avais quitté la ville à vingt ans, sur un coup de tête, pour me lancer vers l’inconnu, sans réel projet devant moi. À peine un dernier regard vers mes parents et, comme Sardou dans sa chanson d’alors, je partais ; je les aimais, mais je partais !

Trente années plus tard, les circonstances me ramenaient à mes racines, avec le doute obstiné de savoir comment je serais accueilli dans cette ville, si chère à mon cœur, que j’avais juste frôlée durant cette période d’exil volontaire. Je savais que je me préparais à négocier un tournant de ma vie dont je ne sortirais pas indemne. Ce ne serait pas le premier, pas le dernier non plus, certainement ! Du moins, je l’espérais ardemment, car toute forme de routine s’apparentait pour moi à une petite mort… Et je n’avais pas encore envie de passer l’arme à gauche !

Finalement, ce fut le silence qui me ramena au présent, en ce train qui me conduisait vers un exil au parfum de pèlerinage aux sources de ma vie. Les éléphants retournent, dit-on, sur les lieux de leur enfance pour mourir, moi j’espérais peut-être y ressusciter… Mon voisin venait d’achever son monologue et me regardait à travers ses lunettes écaillées, avec des yeux aussi hébétés qu’embarrassés, avant de revenir au portrait exhibé sur sa revue et de fixer à nouveau mon visage, dans un curieux va-et-vient oculaire. Il réalisait soudainement sa bourde et entreprit avec balourdise le rétablissement aléatoire de ceux qui critiquent aisément dans le dos des gens mais rechignent à soutenir leurs idées face à l’intéressé. Un courageux de la dernière heure, quoi !

— Pardonnez-moi, balbutia-t-il, je ne pouvais pas savoir… Et puis, vous avez certainement eu raison d’agir ainsi ! Surtout que, dans cet article, ils ne donnent aucun détail sur les faits qui vous sont reprochés… Et puis, l’armée n’est pas toujours irréprochable, non plus ! Sans parler de ces journalistes qui n’ont pas leur pareil pour monter en épingle un fait divers banal, tout cela pour vendre plus de papier…

Je pensais : « Tant qu’il existe des imbéciles pour acheter leur prose et croire leurs supputations ! », mais je préférais me taire. D’ailleurs, j’avais décidé de ne jamais aborder le sujet de mon différend avec ma hiérarchie durant mon séjour à Quimper. De toute manière, il relevait du secret défense ! Alors, blackout total ! Mon gaillard se recroquevilla dans son fauteuil et je ne l’entendis plus jusqu’à Quimperlé où, au moment de se lever pour descendre du train, il me gratifia d’un mielleux : « Bon courage pour la suite ! », avant de s’éclipser d’un pas penaud, glissant jusqu’à la portière comme un fantôme.

Plus Quimper approchait, plus une boule gonflait dans ma gorge, à laquelle s’ajoutait un poids d’angoisse sur la cage thoracique, qui m’oppressait littéralement. Je n’avais jamais éprouvé une telle sensation, même aux moments les plus décisifs des missions spéciales auxquelles j’avais pu participer. Il m’en revenait pourtant à l’esprit de bien gratinées qui forgent le caractère d’un être humain et l’incitent ensuite à réfléchir à la précarité d’une existence, au sens du devoir, aux sacrifices consentis au nom de l’obéissance à sa hiérarchie. Enfin, je reconnus quelques paysages à travers la vitre, puis la longue arrivée vers la gare dans laquelle j’avais vécu mon enfance, infortuné fils d’un chef de gare réveillé chaque matin par le train en partance pour Brest.

Rien de ces lieux ne ressemblait aux souvenirs que j’en conservais, pas plus dans les bâtiments qui bordaient la voie que dans les maisons des collines alentour ; encore moins une fois le TGV arrêté devant la gare ! Les inévitables transformations qui permettaient aux voyageurs de s’y retrouver, d’une ville à l’autre, avaient accompli leur œuvre de standardisation jusqu’au bout de la terre. Rien, hormis la terrasse qui surplombait le bâtiment, sur laquelle j’avais disputé des parties de foot mémorables avec quelques copains et que j’imaginais encore recouverte de cette couche de gravier qui avait ruiné quelques genoux. Quand une balle passait par-dessus la rambarde, les chauffeurs de bus, qui discutaient paisiblement ensemble sur la place, nous la renvoyaient d’un solide coup de pied. Ou le monde courait moins vite, ou les gens le prenaient avec davantage de philosophie… Parfois, le carreau de l’une des baies vitrées du salon de l’appartement familial faisait les frais de notre maladresse et ma mère apparaissait en fulminant. La partie s’interrompait instantanément et nous rentrions, l’air penaud, dans le salon. Elle n’était pas réellement fâchée, la maman : la preuve, dix minutes plus tard, elle avait préparé un goûter et nous appelait à table !

Les “voleurs de souvenirs” avaient même “osé” abattre la gare routière et ses toilettes que nous avions utilisées chaque matin, lorsque l’appartement familial s’était trouvé en réfection, WC compris. Nous attendions que le quartier soit calme pour utiliser les lieux en toute discrétion, et nous nous arrangions pour sortir de la gare de bonne heure, avant l’arrivée des premiers voyageurs… Nous glissant dans l’anonymat du frimas matinal avec un rouleau de papier hygiénique ou une serviette de toilette et un savon, sacré souvenir ! Quand la malchance voulait que nous rencontrions un voisin incrédule, nous ne savions comment lui expliquer la raison de notre équipée nocturne…

Par contre, l’hôtel des Voyageurs se trouvait toujours en face de la gare. Nouvelle attaque de la boule qui me titillait la gorge. Sur sa gauche et sa droite, ses homologues avaient laissé place à des banques, des cafés, des sociétés de location de voitures, ou avaient simplement changé d’enseigne. Lui n’avait pas bougé, borne commémorative du passé jalonnant le temps qui file. À peine rénové, tout juste un peu vieilli ! Et Françoise ? Qui sait si Françoise y vivait encore ? Je n’osais l’espérer ! Trimballant ma grosse valise à roulettes et pliant sous le poids de mon sac à dos, je me faufilai à travers la circulation et il ne me fallut pas longtemps pour reconnaître la silhouette qui se dessinait à travers la vitre. Le choc fut réciproque. Elle resta pétrifiée, la main posée sur son comptoir. J’ouvris la porte, posai mon barda et m’approchai de deux pas pour l’embrasser.

— Un revenant ! s’étouffa-t-elle en se nettoyant machinalement un œil, Paul Capitaine en personne… Cela fait combien de temps que tu ne m’as pas donné signe de vie ; vingt ans, vingt-cinq ans ?

— Trente ! répondis-je, en adoptant une moue de désolation en signe de regret. Mais tu n’as pas changé depuis ce temps, Françoise ! Aussi splendide que jadis ! Toujours fidèle au poste… Et tes parents, que deviennent-ils ?

— Ils ont pris leur retraite et coulent des jours heureux à Kerleven, me répondit-elle de cette voix douce qui éveillait en moi tant de nostalgie. Moi, je n’avais pas le choix ! Je les ai secondés un temps, puis je leur ai succédé. Tu vois, rien de transcendant… Une vie banale quand tu parcourais le monde pour défendre les intérêts du pays et protéger ses ressortissants. Dans le fond, je peux te dire merci : en suivant tes exploits, j’ai voyagé à ma manière…

En quelques paroles, Françoise évoqua son mariage raté à vingt ans, ses deux enfants installés à Paris : Fabien qui se destinait à une carrière de fonctionnaire de la République et Floriane qui désirait devenir comédienne et suivait les cours Florent. Dès son divorce, elle était revenue vivre auprès de ses parents pour prendre progressivement les commandes de l’établissement. Le restaurant avait été fermé, hormis pour les clients en demi-pension, auxquels elle servait un dîner simple. Les chambres n’avaient pas été rénovées, juste ce qu’il fallait pour rester aux normes et contenter une clientèle d’ouvriers, de petits représentants, d’estivants peu fortunés…

Elle parlait en me fixant du regard, comme si ma présence valait davantage que son histoire. Je lui demandais si elle pouvait me louer une chambre pour un mois et, après m’avoir assuré qu’elle allait me réserver la meilleure et la plus calme, elle prit un visage plus sérieux.

— Et toi, Cap, m’interrogea-t-elle sur un ton affectueux, tu traverses une période de turbulences, toute la presse en parle… Je ne te demande rien, simplement, si tu veux en parler, tu sais que je suis là ! Je suppose que tu ne descends pas chez moi par hasard… Une vieille amie, c’est fait pour ça ! Tu te souviens, lorsque nous rentrions tous deux du lycée La Tour d’Auvergne, tu me racontais tes premiers émois amoureux, tu me parlais des autres filles, puis un jour, tu t’es enfin aperçu que j’existais…

— J’ai toujours aimé chercher au loin ce que je possédais à portée de ma main, répliquai-je avec dépit. L’amour, le bonheur, la sérénité… Je me souviens combien tous les copains me trouvaient verni de passer autant de temps auprès de la fille la plus “canon” du bahut et moi, je rigolais, car tu étais comme ma sœur ! Et puis, j’ai compris quelle perle je côtoyais chaque jour… J’ai souvent pensé à ces mois que nous avons passés ensemble, dès lors. Je ne comprends pas encore pourquoi je t’ai laissé tomber, pourquoi j’ai tout plaqué pour partir à l’aventure. Sans doute ai-je toujours détesté les évidences, refusé les chemins tracés, les destins écrits… C’est peut-être aussi pour cela que je suis flic…

— Tu n’as pas changé ! exprima-t-elle comme si elle avait zappé mes justifications pour poursuivre une immersion profonde dans sa mémoire. Toujours la même ligne de sportif ! La même déformation de la bouche, lorsque tu vas lancer une boutade… Les cheveux grisonnants te vont à merveille… Cap ! Si tu savais comme ce diminutif hante souvent mes pensées ! Allez, bougeons-nous de là, sinon nous allons prendre racine…

Françoise se retourna discrètement pour sécher une larme, puis elle m’aida à monter mes affaires dans la chambre et me fit visiter l’hôtel. Elle m’offrit une bière dans l’appartement que ses parents s’étaient réservé, derrière la réception. Elle y vivait aujourd’hui, sans attendre rien d’autre de la vie que de la voir s’égrener en paix, sans maladie ni souci. Une première pièce avec un coin-salon : une autre pour les repas ; au fond, une porte donnant sur une troisième, certainement sa chambre. Ses enfants lui donnaient peu de nouvelles et venaient la voir uniquement quand ils avaient besoin d’argent. Ses parents se montraient exigeants, aussi évitait-elle de les fréquenter, pour s’affranchir de revendications et de reproches empreints d’aigreur.

Elle aurait bien aimé refaire sa vie, seulement elle craignait une seconde erreur et avait perdu confiance en elle, et dans les hommes aussi, certainement ! De la bande des bons copains de jeunesse, elle n’en voyait plus un seul. Enfin si, Ronan Feunteun, devenu journaliste à Ouest-France, qui la saluait distraitement. Elle parlait de tout avec nostalgie, comme si son existence entière s’était arrêtée à son divorce. Ou même un peu plus tôt, quand je lui avais appris que je plaquais tout pour partir poursuivre ma vie loin de Quimper. Je ne la fuyais pas. Traversant une période de rébellion familiale, je refusais juste un avenir programmé. Aujourd’hui, elle ne semblait pas m’en vouloir, elle gardait cette même douceur qui me rassurait et m’apaisait alors. Cette force intérieure qui semblait la placer au-dessus des problèmes quand elle les affrontait sûrement comme tout un chacun.

Elle ne me réclamait pas de comptes, je crus pourtant opportun de lui en fournir, pour renouer un lien tissé voilà tellement de temps que l’usure des jours l’avait fatalement altéré :

— Tu vois, parler avec toi me fait monter dans la gorge une boule de regrets ! Qu’ai-je fait de ma vie ? Servi mon pays avec intégrité pour me retrouver au final rejeté comme un paria… Ce monde dans lequel des années de parcours sans faute peuvent se trouver gommées en un instant par un fait répréhensible aux yeux de certains, me répugne ! Tes supérieurs qui t’encensaient la veille te désavouent sans remords, tes relations te tournent le dos pour ne pas t’accompagner dans la charrette, même la glace de ta salle de bains réfléchit davantage avant de te renvoyer une image différente de toi-même ! Aussi, ressentir autant d’humanité à mon égard, dans le fond de tes yeux, cela me donne la sensation d’exister encore un peu pour quelqu’un !

— Ta mère est décédée, mais il te reste ton père ! argua Françoise, cherchant à partager le lourd monopole de l’affection témoignée. Et puis ta sœur travaille à l’hôpital de Quimper, si je me souviens bien… Tu n’es pas seul dans ta chienne de vie !

— Mon père ne m’adresse plus la parole depuis le jour où je suis parti en mission à l’étranger, au lieu de venir le soutenir lors de ce deuil. Et Colette, ma sœur, me le reproche toujours, elle aussi ! Ils ne comprennent pas qu’il s’agissait d’un ordre… Je ne suis pas venu pour t’écraser avec mes états d’âme… J’ai été muté à Quimper et tu devras me supporter pour un mois, pas davantage !

Le soir venu, j’ai éprouvé le désir de marcher dans les rues de la ville. Les dimanches soirs ont toujours été calmes sur les bords de l’Odet. Le flot des voitures se faisait peu à peu moins dense sur ce quai Dupleix que j’avais vu se tracer ; la ville appartenait aux piétons qui déambulaient paisiblement en s’accordant un arrêt devant quelques vitrines éclairées. La place Saint-Corentin avait changé et la cathédrale se refaisait une beauté, elle étincelait dans le soleil couchant. Je ne retrouvais plus beaucoup des magasins qui avaient marqué mon enfance. Les uns après les autres, les souvenirs auxquels je cherchais à me raccrocher s’évanouissaient devant moi ; une boucherie transformée en boutique d’artisanat étranger, un hôtel de luxe qui ne recevait plus de clients, la boutique d’articles de sports sur la vitrine de laquelle s’affichaient les convocations sportives du Stade Quimpérois, proposait désormais des promos pour la téléphonie moderne…

J’eus envie de passer devant le commissariat où j’allais prendre mon poste temporaire, affecté dans ma ville natale, par sanction de ma hiérarchie. Je n’y étais entré qu’une fois, lorsque j’avais trouvé un portefeuille en traversant la rue menant à la salle omnisports. Mon père m’avait demandé d’aller l’apporter au commissariat d’où j’étais sorti fièrement, un peu plus tard, avec les félicitations des policiers. Le planton ne me reconnut pas. Comment pourrait-il me reconnaître ? Il avait bien moins de trente ans… De toute manière, qui se souvenait encore de moi dans cette ville où j’avais pourtant vécu les vingt premières années de ma vie ? Seulement les téléspectateurs assidus des journaux télévisés, suffisamment physionomistes pour établir un rapprochement : et ces gens-là n’avaient pas envie de mieux me connaître ! Le planton m’avait peut-être identifié, il fronça les sourcils en constatant que je détaillais la façade du commissariat, alors j’esquissai un sourire indifférent.

Les bâtiments n’avaient pas beaucoup changé, les gens si ! Allaient-ils bien m’accueillir ou me réserver une soupe à la grimace ? Me forceraient-ils à parler de mon histoire ou me laisseraient-ils en paix ? Y trouverais-je des alliés ou des ennemis ? Autant de questions qui me turlupinaient tandis que je reprenais ma route vers la confluence du Steir et de l’Odet. Un petit regard vers le Bretagne, la brasserie où je retrouvais mes copains de foot, le dimanche matin, pour aller jouer un match dans un bourg du Finistère. Là où, en fin de journée, nous attendions les résultats des matchs des concurrents du Stade Quimpérois, bien avant Télé-foot ou Saccomano. Je fus surpris de constater qu’il était fermé et je compris que, lui aussi, n’avait pas soutenu l’épreuve du temps.

Je continuai vers les halles et me souvins du soir où, rentrant de la plage, j’avais vu les flammes de l’incendie de l’ancien marché couvert illuminer toute la ville. Autour, des rues désormais piétonnes qui me rappelaient tant de souvenirs doux ou amers. La fraîcheur tombait, aussi décidai-je de retourner vers la gare. Comme autrefois, je pris la rue du Frout, la rue des Réguaires et je suivis la haie qui séparait les voies ferrées du parking de la gare. Jadis, j’y glanais dix boules noires du premier arbuste. Je shootais dans l’une d’entre elles et, les jours de forme, recommençais avec la seconde à l’endroit où s’était arrêtée la première, les dix me suffisaient pour effectuer la distance qui me séparait de ma grande maison au bord des rails. Du temps où des gamins pouvaient effectuer sans souci la distance séparant leur domicile de l’école… En traversant la rue pour rejoindre l’hôtel, plongé dans mes pensées, je manquai de me faire renverser par une horde de motos lancée à toute allure dès le passage du feu au vert. Autre époque, autre vitesse !

Lundi matin, commissariat de Quimper, rue Théodore Le Hars. Essoufflé par une bonne marche matinale, je dus encore me payer l’escalier qui menait aux bureaux de la brigade criminelle, situés au premier étage. Visiblement, j’y étais attendu. Dans une grande salle, le groupe se trouvait rassemblé et, en me voyant arriver, le plus âgé s’avança vers moi avec un sourire railleur qui ne me disait rien de bon. Les autres se retournèrent aussitôt et me détaillèrent des pieds à la tête.

— Tiens, voilà le cow-boy du Président ! s’exclama le plus ancien, en me tendant la main. Le cadeau que nous fait la République ! Commandant Vendelli, ton nouveau patron ! Je vais mettre tout de suite les points sur les i, Capitaine Paul Capitaine ! Ici, le chef, c’est moi ! Je donne les ordres, on m’obéit ! Pas d’initiative personnelle, sinon je casse ! Si tu me cherches, tu me trouveras ; si tu files droit, nous n’aurons aucun problème ensemble !

Il portait une barbe de deux jours qui lui donnait un air de baroudeur et un aspect peu sympathique. Une voix rendue rauque par le tabac dont son haleine exhalait la désagréable odeur ; un ton de cabot-chef ! Il aurait désiré se faire détester, il ne s’y serait pas pris autrement !

Vêtu d’un pull ras de cou noir et d’un jean, il n’avait rien des meneurs de brigade que j’avais connus jusqu’alors. La tignasse brun-roux n’était pas plus longue que la barbe ; son physique solide lui donnait une apparence de commando, excepté le ventre rebondi qui trahissait des heures de planque dans les cafés de la ville, caché derrière une mousse fraîche. Il présenta son équipe :

— Lui, c’est Fabien Quesnoy, annonça-t-il fièrement, en posant sa main sur l’épaule d’un jeune blond d’une petite trentaine d’années. C’est mon équipier, je le forme, ce sera un tout bon ! Lui, c’est le capitaine Hervé Fouilloux, un élément sérieux, discret et efficace, comme je les aime ! C’est-à-dire obéissant aux ordres et allergique à tout acte de zèle. Elle, c’est Carole Mortier, lieutenant qui me tapera moins sur les nerfs quand elle aura résolu ses problèmes personnels. Pour l’instant, son travail fluctue avec ses états d’âme. Celui-là, c’est Mario Capello, simple enquêteur, mais expert en plans de drague. Il nous vient de Marseille… Elle, c’est la Polaque, la dernière arrivée, une stagiaire sortant de l’école des officiers de la police de Cannes-Écluse. Elle sait tout sur le papier, mais à la vue du premier macchabée, elle vire de l’œil comme une première communiante.

— Selon les dernières directives de l’administration générale, me permis-je de rappeler, polaque est une appellation péjorative à connotation raciste, tout comme négro, bougnoul, bicot, youpin, schleu ou d’autres… Je vous demanderai donc, Commandant, de me présenter ma nouvelle collègue par son patronyme !

— Je me nomme Sarah Nowak, anticipa la jeune femme en s’avançant vers moi, et c’est un honneur de rencontrer un policier qui possède votre expérience du terrain. Sachez qu’à l’école des officiers, vous représentez un exemple, surtout après votre rôle de négociateur dans l’affaire des otages de Beyrouth et votre intervention…

— Bon, c’est fini, ces congratulations stupides ! coupa sèchement Vendelli, passablement irrité. Que personne n’oublie que le capitaine Paul Capitaine est ici par sanction administrative d’un mois, après ses récents manquements au devoir. Il n’a donc rien du chevalier blanc ou du héros invincible que semble voir en lui quelque midinette à l’âme slave… Dis-moi, avant, tu t’appelais lieutenant Paul Lieutenant ?

Fabien Quesnoy éclata de rire, satisfait de l’humour de son chef. Les autres esquissèrent au mieux une mimique. Vendelli détourna le regard vers la porte d’entrée où apparut une jeune et superbe Noire au visage fin, presque entièrement caché derrière une grosse écharpe.

— Tiens, voilà le dernier boulet de l’équipe ! s’exclama Vendelli. C’est quoi ce matin, RMC, le réveil qui n’a pas sonné, la voiture qui n’a pas démarré, un feu rouge qui n’est pas passé au vert, ou simplement une nuit de folie avec un Black solidement membré de ton île ?

La jeune Antillaise expliqua que sa voisine avait eu des problèmes avec son mari et qu’elle avait dû intervenir pour les séparer, avant de promettre de rattraper en soirée son retard. Le commandant la présenta : l’enquêtrice Rose-Marie Cortot, spécialiste de l’informatique, était arrivée depuis deux mois à Quimper pour mettre en place un nouveau système de recherche de suspects, lié à un fichier national. Elle ne bougeait donc pas de son bureau ; d’ailleurs, selon son chef, elle serait perdue loin de sa bécane et incapable de se servir de son arme, sans blesser un équipier…

Je me trouvais au sein de l’équipe depuis à peine dix minutes et j’avais déjà perçu dans quel climat pesant j’allais passer ce mois de sanction. Il ne m’avait pas fallu davantage de temps pour jauger chaque membre de l’unité, les réflexions de Vendelli et les réactions de chacun sur les jugements de valeur de ce dernier m’ayant largement aidé à cerner les personnalités.

Le jeune Fabien Quesnoy semblait vouer un culte illimité à son chef et coéquipier, riant à gorge déployée quand il humiliait l’une ou brocardait l’autre. Le parfait modèle de l’apprenti macho, pour ne pas dire l’apprenti facho qui, pour un avenir de tortionnaire, avait déniché le meilleur professeur.

Hervé Fouilloux ne partageait pas leur sexisme, seulement il semblait avoir pris le parti de se taire pour ne pas risquer d’entrer en conflit avec son supérieur. Réfléchi et vif d’esprit, il devait posséder les qualités d’un bon officier de police qu’une timidité maladive l’empêchait d’exprimer totalement.

Carole Mortier, brune aux cheveux courts, d’une petite quarantaine d’années, comme Hervé Fouilloux, semblait une écorchée vive, se contenant pour ne pas cracher son fiel à la face de ses partenaires. Elle ne desserrait pas les dents et offrait un visage crispé que persillaient de minuscules taches de rousseur ; ses traits marqués par les épreuves de la vie me donnaient déjà envie de lui venir en aide, sans savoir comment agir.

Mario Capello avait tout du latin lover : la chevelure noire et fournie, les yeux bleu clair, des fringues à la mode et ce je-ne-sais-quoi qui devait faire craquer toutes les filles… Il n’avait pas ri aux insultes racistes de Vendelli et il avait approuvé du regard mon intervention pour rétablir l’honneur de Sarah Nowak.

Il devait bien l’aimer, cette petite blondinette aussi belle que vive d’esprit, aussi romantique que déterminée, avec son regard franc comme l’or et sa bouille d’éternelle adolescente, plus adaptée aux magazines de mode qu’aux descentes de police ! Elle campait désormais à mes côtés, comme un enfant vient chercher auprès de son père la protection qu’il est en devoir de lui fournir. Elle aurait pu d’ailleurs très bien être ma fille ! Elle devait avoir dans les vingt-cinq ans et moi, vingt-deux de plus, alors…

Je n’avais, jusqu’à cet instant, jamais éprouvé à ce point combien le temps avait passé. À force de courir la vie au jour le jour, prenant un match après l’autre comme on dit si facilement dans le jargon sportif, on oublie que les grains coulent dans le sablier, même si chacun d’eux est le sosie de son semblable et pourtant, à bien y regarder, légèrement différent… Les années avaient pourtant passé comme l’eau sous les ponts et les passerelles jetés au-dessus de l’Odet et je pris un mauvais vertige.

Mon expérience me conférait l’avantage d’un blindage face aux agressions du métier, qu’elles vinssent de la hiérarchie, d’adversaires que j’étais chargé de neutraliser, qu’il s’agît de trafiquants d’âmes ou d’armes, de terroristes de toute espèce, d’autonomistes forcenés ou de fidèles d’un dictateur de république bananière.

En toute circonstance, l’humour restait pour moi une valeur-refuge salvatrice, un principe de philosophie qui me permettait de désamorcer des situations explosives et de conserver mon sang-froid lorsque la situation aurait pu me conduire à “péter un câble”.

Le commandant aux ordres duquel je me trouvais désormais avait cherché à me déstabiliser dès mon arrivée. Pour conserver son autorité sur le groupe, pour me discréditer, une bonne fois pour toutes, auprès de mes collègues. Sa dernière banderille, destinée à la jeune Antillaise, manqua de me faire sortir de mes gonds :

— Déjà, je n’ai jamais compris comment les femmes ont réussi à gagner leur place dans la police, surtout à des postes à responsabilités ! commenta-t-il en fixant un à un les regards de son auditoire. Pour les parcmètres, à la rigueur, mais à la Crim ! En plus, on nous colle des danseuses de zouk fraîchement descendues de leur cocotier ! Bientôt, ce ne sera plus une brigade, ce sera un zoo !

Personne n’avait bronché. Il m’avait défié du regard en prononçant sa dernière phrase, je l’avais foudroyé du mien, le fixant jusqu’à ce qu’il détourne les yeux vers un autre collègue.

Il poursuivit en excusant l’absence du commissaire principal Chantre, le grand patron, une fois de plus empêché par des problèmes de santé et qui lui avait laissé carte blanche pour mener à bien les enquêtes de la semaine.

Les présentations achevées, Gilles Vendelli définit les objectifs du groupe. Il s’adressa à son équipe avec le même ton autoritaire et péremptoire, qui ne laissait aucune alternative à ses hommes.

— Nous avons sur les bras le cadavre d’un adjoint au maire, retrouvé sur le chemin du halage, peu avant le port du Corniguel. L’enquête préliminaire de Fabien a permis de cerner la personnalité de la victime : Marc Bénédetti était écolo et homo. Il vivait avec un certain Julien Torcy que je suis allé interroger moi-même. Il ne faut pas chercher plus loin, c’est lui le coupable ; d’ailleurs, je l’ai fait placer en garde à vue. C’est juste un règlement de comptes entre pédés. Va comprendre ce qu’ils ont dans la tête, ces déglingués !

— Commandant, interrompis-je passablement courroucé, je ne sais pas si vous employez sciemment ces termes pour me pousser à sortir de mes gonds, mais vous n’avez pas le droit de traiter les homosexuels de la sorte ! Les termes que vous utilisez sont humiliants et vos propos indignes du responsable d’une équipe policière ! De plus, je trouve vos conclusions bien hâtives ! J’aurais aimé vous entendre énoncer une preuve tangible plutôt que de condamner une personne pour son mode de vie différent.

— Je vais continuer à cuisiner Torcy avec Fabien, pour lui tirer les vers du nez, poursuivit-il, sans prêter attention à mon désaccord. Ensuite, nous passerons voir la secrétaire personnelle de l’écolo à la mairie. Hervé et Mario, vous allez vous coltiner l’enquête de voisinage sur ces deux loustics, je veux des preuves concrètes de leurs querelles, des témoignages de leur vie de débauche, de leurs scènes de ménage… Carole, tu vas te rendre au domicile de Bénédetti pour le passer au peigne fin et éplucher sa correspondance. Tu me rapporteras les papiers intéressants que tu trouveras chez lui. Tu pourras prendre la journée pour la fouille et récupérer directement ta fille quand tu auras fini ! Tu vois, je ne suis pas un barbare, ma grande ! J’allais oublier 007 et “sa” James Bond Girl. J’ai sur les bras le dossier de trois clodos qui se sont cramés dans leur squat. Vous allez me rassembler les éléments de l’enquête pour boucler ce dossier, le médecin légiste a signé ses conclusions et vous trouverez sur le bureau de Fabien le rapport des bleus qui ont été les premiers sur les lieux de l’incendie. Vous voyez, ce n’est pas trop compliqué comme boulot. Le proc attend notre feu vert pour classer l’affaire sans ouvrir d’enquête particulière. Alors, vous faites fissa pour passer rapidement à autre chose. Des questions ? Aucune, c’est bien, alors au boulot ! Ah oui, RMC, tu restes bien sûr fidèle au poste, devant ton ordinateur ! Je me fous que tu y joues à des jeux vidéo, du moment que tu ne nous emmerdes pas !

Si je ne m’étais pas contrôlé, je lui aurais flanqué mon poing sur la figure, tant l’attitude du cheffaillon local de la Crim donnait envie de vomir. Seulement, je n’étais pas là pour cela !

J’ai quitté le commissariat, flanqué de Sarah qui me suivait comme mon ombre, pour respirer une bouffée d’air pur à l’extérieur. Je me dirigeai vers l’Odet et proposai à ma partenaire d’entamer notre collaboration en apprenant à nous découvrir devant un expresso. Elle accepta immédiatement et m’ouvrit la porte du Colibri, le bistrot voisin où elle semblait posséder déjà ses habitudes.

Le patron vint l’embrasser avec empressement, puis elle s’installa à une table au fond de la salle en m’expliquant qu’elle dormait à l’étage, dans un petit meublé. Quand le tavernier vint prendre la commande, elle me présenta aussitôt :

— C’est le capitaine Paul Capitaine ! annonça-t-elle avec fierté. Il arrive de Paris où des militaires veulent l’impliquer dans une sale affaire, mais je suis certain qu’il est innocent ! Il passe un mois à Quimper, dans le service, et j’espère rester son équipière jusqu’au bout, car je sais qu’auprès de lui, j’apprendrai vraiment mon métier et je…

La jeune policière n’eut pas le loisir de poursuivre son éloge. L’épouse du cafetier était apparue, poussant le rideau qui séparait la cuisine de l’arrière du comptoir. Une grande rouquine qui devait avoir environ mon âge et dont le visage ne me semblait pas inconnu.

— Cap ! C’est bien toi, je ne rêve pas ! s’exclama-t-elle avec un large sourire aux lèvres. Isabelle… Isabelle Derrien à l’époque. Isabelle Confort à présent… Mes parents tenaient le bureau de tabac, en face de la gare… Ne me dis pas que tu m’as oubliée, ce serait vexant !

— Comment peut-on oublier son premier fantasme ? soupirai-je en me replongeant dans mes souvenirs. Mon paternel ne comprenait pas pourquoi j’étais si souvent fourré chez les buralistes d’en face ! J’allais y acheter régulièrement les Royale menthol de ma mère… Simplement pour te voir, même si tu m’intimidais et que je n’osais pas t’adresser la parole ! Pardi, tu avais trois ans de plus que moi et j’étais déjà timide avec les jolies filles…

Elle quitta l’arrière du bar pour venir me sauter au cou. Puis elle expliqua de manière lapidaire à son mari que je l’avais initiée à beaucoup de plaisirs de la vie. Il ne s’en formalisa pas plus que cela et me serra la main comme à un vieil ami. Isabelle ne cessait de me fixer et sa fascination devenait presque gênante. Une foule d’instants intimes et importants défilèrent devant mes yeux et j’eus peur que mon trouble finisse par se lire sur mon visage. Jean-Luc détendit l’atmosphère en insistant pour offrir les deux cafés, un cadeau de la maison en guise de bienvenue !

Quand nous fûmes installés à notre table, Sarah me présenta le dossier de l’affaire qui nous intéressait. Les premières conclusions des bleus corroboraient les affirmations de Vendelli. Trois corps calcinés recroquevillés derrière la porte d’un squat du vieux Quimper. Des vestiges de mégots retrouvés sur place, des litrons vides par dizaines… Un stupide accident de la précarité extrême, comme il s’en déroule dans toute la France ! La Place au Beurre, le lieu du drame, me rappelait les établissements scolaires de mon enfance, l’école Jules Ferry, le lycée La Tour d’Auvergne ; Le quartier se situait de l’autre côté de l’Odet, aussi proposai-je à Sarah de nous y rendre à pied pour tenter de dénicher de nouveaux indices qui auraient échappé aux premiers enquêteurs.

Durant ce court parcours, la stagiaire posa mille questions qu’elle énonçait sans même attendre la réponse totale. Elle voulait tout connaître de ma carrière. Elle parla aussi de ses origines polonaises. Elle était native de Gdansk ; sa mère, une militante de Solidarnosc y était morte, son père ne s’était jamais manifesté. L’un de ces pleutres qui n’assument pas leurs actes… Une branche française de sa famille l’avait recueillie et élevée. Elle s’était présentée, parmi d’autres concours, à celui de la police. Avec succès, puisqu’elle s’apprêtait, à la fin de son stage, à obtenir ses galons de lieutenant !

Je n’ai jamais été un grand sentimental ou, du moins, j’ai toujours tenté de juguler mes émotions intimes, surtout avec des collègues de travail. Pourtant, la jeune Sarah dégageait une telle impression de pureté et de quête d’absolu que, bien malgré moi, je savais que je céderais à son besoin de m’ériger au niveau d’idole, de référence, occupant la place du père absent, sans doute… Dans sa frénésie de paroles, de questions qu’elle regrettait aussitôt, de confessions censées m’émouvoir, elle ressemblait à ces jeunes chats qui manœuvrent à tâtons, dans le seul désir de se trouver adoptés.

Nous approchions du lieu du drame. Je la priai de garder ses questions pour plus tard et de se concentrer plutôt sur les détails qui éveilleraient sa perspicacité d’enquêtrice. Même la réflexion la plus extravagante pouvait déboucher sur la découverte d’un indice capital… Elle parut étonnée que j’aie besoin d’elle, du fait de ma grande expérience, alors qu’elle sortait juste de l’école. Je souris une fois de plus devant sa pureté et, désarmé par sa candeur, après avoir tenté de lui expliquer que ma mission précédente m’entraînait vers d’autres champs d’action, je finis par lui rétorquer que, si je lui mâchais le travail, elle ne progresserait jamais.

Elle concéda en conclusion que je me révélais encore plus humble qu’elle ne l’imaginait et remercia le ciel de m’avoir placé sur son chemin. Dix coups sonnaient juste au carillon de Saint-Corentin quand nous débouchâmes de la rue du Salé pour découvrir, au fond de la Place au Beurre, l’immeuble incendié vers lequel une forte odeur de cramé, à elle seule, aurait pu nous guider. La première réflexion de Sarah me parut suffisamment pertinente pour attiser mon attention :

— Comment un mégot a-t-il pu embraser un tel immeuble, sans éveiller rapidement l’attention de l’entourage ?

II

Ce quartier du vieux Quimper avait bien changé, lui aussi. En mieux, le plus souvent ! De superbes rénovations respectaient le style breton médiéval, empreint de robustesse et de rusticité. Restaient quelques immeubles qui n’avaient pas encore bénéficié de lifting, comme celui-ci, au fond de la Place au Beurre, côté rue Élie Fréron, dont seuls les murs tenaient encore debout.

La porte d’entrée avait complètement brûlé et, après avoir soulevé le cordon interdisant l’accès au public, on se retrouva à l’emplacement des trois corps, signalé par des marques de craie, les indices récupérés l’étaient par des numéros. Comme dans toute scène de crime. Sarah me demanda pourquoi les malheureux étaient morts en cet endroit précis avant d’apporter elle-même un début de réponse : ils avaient voulu sortir de l’immeuble en flammes. Ce qui me conduisit à me pencher sur la porte pour remarquer qu’elle se trouvait barrée par un verrou solide que devait manœuvrer une clé ancienne de bonne taille. Seulement, de clé de porte, il ne s’en trouvait point dans les alentours ! Je demandai à ma coéquipière de vérifier sa présence sur la liste des pièces à conviction recueillies par les enquêteurs, elle n’y figurait pas.

Ce premier détail laissa s’immiscer en nous le sentiment de nous trouver face à une affaire plus compliquée. Il me tardait de prendre connaissance du rapport du médecin légiste, mais aussi de celui des pompiers sur les circonstances exactes du départ de l’incendie. En attendant, en parfait policier de terrain, je proposai à Sarah de nous atteler à l’enquête de voisinage. Il nous fallait recueillir des témoignages, tant que les mémoires fonctionnaient encore avec précision.

Seulement, les gens n’avaient rien vu, rien entendu, rien remarqué, jusqu’à ce que la clarté dégagée par les flammes ne domine la lumière blafarde des réverbères de la place. Certaines personnes avaient sûrement des détails à nous fournir, mais il leur semblait plus simple de pointer aux abonnés absents que de nous aider. Certains ne désiraient sans doute pas risquer de troubler le cours paisible de leur existence, d’autres ne voulaient pas enfoncer davantage les malheureux clochards, quand leur mutisme ne dissimulait leur crainte ou leur dégoût de la police. Je commençais à baisser les bras et à entendre mon ventre crier famine quand j’aperçus une silhouette descendant de la rue du Lycée, ressemblant à celle d’un SDF. L’individu comprit que je l’avais remarqué et fit aussitôt demi-tour. Je le rattrapai sans grande difficulté et reconnus un ancien copain de classe. « Comme quoi le second cycle mène à tout ! » pensai-je en le voyant ainsi fagoté.