Roland Mack - Benno Stieber - E-Book

Roland Mack E-Book

Benno Stieber

4,9

Beschreibung

»Quand on peut faire la fête, on peut aussi travailler.« Cette maxime est indissociable de la vie de Roland Mack, le fondateur du plus grand parc d'attractions d'Allemagne. Avec son Europa-Park, il bat tous les records et provoque l'enthousiasme chez les jeunes et les moins jeunes grâce à des grands huit spectaculaires, des spectacles enchanteurs et une conception raffinée d'un univers idyllique. Mais qu'est-ce qui se cache derrière tout cela, et surtout, qui ? Benno Stieber esquisse un portrait unique d'une entreprise familiale et nous laisse jeter un œil dans les coulisses multicolores d'un parc de loisirs – scintillant, luxueux et un peu mystérieux.

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Benno Stieber

Roland Mack

Le maître des grands huit

Traduit de l’allemand par Céline Maurice

Mentions légales

Titre de l’édition originale:

Roland Mack. Herr der Achterbahnen

© Verlag Herder GmbH, Freiburg im Breisgau 2014

ISBN 978-3-451-30752-2

© Verlag Herder GmbH, Freiburg im Breisgau 2015

Tous droits réservés

www.herder.de

Crédits photos: © Roland Mack/Europa-Park

Conception de la couverture: Verlag Herder

Illustration de la couverture : © ullstein bild/Europa-Park

Conversion en livre électronique: le-tex publishing services GmbH, Leipzig

Imprimé en Allemagne

ISBN 978-3-451-80291-1

Sommaire

1. Le parc des rêves

Zirkus Macksimus · Un parc microcosmique

2. Le principe Mack

L’ADN d’un parc d’attractions · Le parc, c’est moi · Concentration · Liens familiaux · Les quatre M · Vivre, c’est apprendre · Pragmatique, passionné, catholiqueQuand on peut faire la fête, on peut aussi travailler

3. Tradition sur sept générations

Au début était la roulotte · Une enfance entre la Wild Mouse et le cirque lilliputien · Le droit d’étudier

4. L’idée de la petite Europe

Quand le parc tenait encore sur un sous-bock… · Les grands modèles d’outre-Atlantique · Presque en solitaire · La naissance de la petite Europe · Douleurs de croissance

5. À grands pas

There’s no business… · Hôtels · Féerie hivernale · Sous la lumière des projecteurs · Crise à Waldkirch

6. Mondes artificiels

Cathédrales des loisirs · La distraction à en mourir? · L’aventure en toute sécurité · Peu de David, beaucoup de Goliath · Les perspectives qui s’offrent à Rust

7. Le vaste monde est mon domaine

Le temps du repos · Franz Mack · La huitième génération · Condamné à la croissance · Le parc aquatique

Les grandes dates

Récompenses et prix

Remerciements

Photos

1. Le parc des rêves

Zirkus Macksimus1

Un parc de contes de fées à l’ancienne, des allées plantées de vieux arbres, un train du Far West d’un rouge rutilant et un bateau à aubes, sans oublier un minigolf et un circuit de petits bolides pétaradants que l’on pouvait conduire soi-même. J’avais quatre ou cinq ans la première fois que nous sommes allés à Europa-Park ; c’était donc tout au début du parc. Depuis, comme de nombreuses autres familles de la région, nous y sommes retournés au moins une fois par an, toujours curieux de découvrir les nouveautés annoncées par le journal, comme la descente des rapides, le nouveau Quartier italien ou l’extraordinaire spectacle d’illusionnisme présenté dans le Théâtre baroque par un magicien de renom international. Europa-Park, pour moi comme pour bien d’autres, était alors le parc de mes rêves. Piloter un bateau à aubes coiffé de la casquette du capitaine ou être tiré par des dauphins dans un canot pneumatique à travers un bassin, voilà des expériences qui font partie de mon enfance au même titre que mon premier ballon de foot, les grottes et les cabanes dans la forêt ou ma première nuit passée seul sous une tente.

Dans le parc de Rust, j’ai participé à un dressage de chiens sur la scène en plein air. Le chien n’obéissait pas à mes instructions, n’en faisant qu’à sa tête, et c’est moi qui devais lui courir après en répétant mes ordres. C’est ainsi que je saisis pour la première fois que, dans le show-business, on use d’une multitude de petites astuces. J’assistai aussi ici à mon premier vrai spectacle de cabaret, tel qu’on n’en voyait alors que le soir de la Saint-Sylvestre sur l’une des deux chaînes de télévision. L’adolescent que j’étais fut marqué par les tenues moulantes des danseuses du ballet Maxim.

Las Vegas dans le fossé rhénan? Divertissement plutôt que culture? Ma famille n’était par chance nullement dogmatique sur la question de savoir s’il s’agissait là de pur consumérisme et de distraction vide de sens ou si l’on y trouvait effectivement une certaine valeur culturelle. Mes parents avaient un abonnement aux concerts de musique de chambre, nous écoutions de la musique classique pendant le petit-déjeuner du dimanche et tenions les livres en haute estime, mais il nous semblait tout aussi naturel de nous rendre ensemble au parc une ou deux fois par an pour rire du spectacle des perroquets et nous gaver joyeusement de barbe à papa. C’était alors loin d’être le cas dans toutes les familles: de nombreuses personnes cultivées, les enseignants de notre école en tête, affichaient une moue méprisante face à tant de commerce et d’évasion ludique.

Pourtant, le parc grandit de saison en saison, et moi avec lui. Pendant mes études, je perdis de vue les développements de Rust, et lorsque j’y revins, dix ans plus tard, le paisible parc était devenu un empire du divertissement, avec des hôtels et une quantité incroyable d’attractions.

Tout cela était l’œuvre d’une famille originaire de la petite ville dans laquelle j’avais grandi, je le savais bien sûr depuis longtemps. Le terrain de l’entreprise des Mack à Waldkirch, au bord de l’Elz, était dans notre enfance un endroit mystique. On y voyait les montagnes russes et les autos tamponneuses y prendre forme pièce par pièce dans la cour de l’atelier. Je me souviens qu’il nous arriva de passer plusieurs après-midi aux aguets devant l’entreprise, sous la pluie et le vent: l’un de nous avait entendu son père dire qu’à une époque, les enfants étaient autorisés à tester les manèges avant leur livraison. Cela resta évidemment un vain espoir.

Chacun en ville connaissait l’histoire des entrepreneurs locaux qui, sceptiques, avaient refusé d’investir dans le parc de loisirs de Rust pour s’en mordre les doigts des années plus tard. Roland Mack avait bâti ce parc avec son père, lequel vécut encore longtemps dans sa maison située à l’arrière des bureaux de l’entreprise de Waldkirch. Aujourd’hui, on peut affirmer sans grand risque d’erreur qu’Europa-Park est l’empire et l’œuvre de Roland Mack.

«L’art, c’est bien beau, mais ça fait beaucoup de travail», a dit un jour Karl Valentin.2 C’est valable aussi pour l’art du divertissement. Mais les enfants ne pensent pas à cela ; c’est là le secret des petits cirques comme des grandes entreprises de loisirs telles qu’Europa-Park: donner un air léger à ce qui est difficile.

Les Allemands ont du mal à appréhender les produits à connotation affective. Même pour l’achat d’une voiture, qui est pourtant de nos jours bien plus souvent un acte de plaisir qu’une décision purement raisonnée, ils se fient à la perfection technique, à la sécurité et à l’aspect pratique, alors qu’aux États-Unis, dès les années 1990, la nouvelle Golf elle-même (qui est vraiment une voiture raisonnable) était vendue avec pour tout slogan le mot allemand de Fahrvergnügen – «plaisir de conduire».

La différence entre Allemands et Américains dans leur rapport à l’industrie du divertissement est similaire. Certes, en Allemagne aussi, des millions de personnes affluent chaque année dans les parcs de loisirs, et cette industrie y est tout autant devenue un véritable facteur économique, visible aujourd’hui dans presque tous les domaines de la vie. Mais pour beaucoup, un parc de loisirs reste associé aux foires, aux spectacles de variétés et au commerce en général, alors qu’aux États-Unis, même les gens cultivés n’éprouvent aucun embarras à aller passer une journée de détente à Disneyland.

Roland Mack a toujours souffert de cette mentalité et s’est battu pour que son secteur soit reconnu, tout comme les forains. Aujourd’hui, Europa-Park est une entreprise hautement moderne aux processus complexes dont les attractions, les spectacles et l’offre gastronomique et hôtelière ne craignent pas la comparaison avec ses concurrents du monde entier. Avec ses 3 500 employés réguliers et saisonniers, il est depuis longtemps le plus gros employeur de la région ; la moitié de ses collaborateurs viennent de l’Alsace toute proche. Europa-Park est un centre de divertissement qui rayonne désormais vers toute l’Europe. Avec ses camps pour la jeunesse et ses nombreuses offres de conférences et de séminaires, il est aussi devenu un lieu social de rencontre et un foyer de culture, tant que l’on ne recherche pas expressément l’avant-garde. Roland Mack et son épouse Marianne, guidés par leur foi chrétienne, se font un devoir de ne pas consacrer le parc qu’aux activités de loisirs – il doit aussi créer du sens.

Mais nous voici de nouveau en train de rationaliser. Une performance suscite l’estime quand la sueur qu’elle a générée n’est pas encore sèche, quand on peut mesurer la réflexion qui l’a accompagnée. C’est ainsi que les Mack, une famille d’artisans à la tête d’une entreprise vieille de 230 ans, ont eux-mêmes toujours raisonné. Depuis des générations, ils sont artisans et constructeurs, c’est-à-dire tout autre chose que des amuseurs-nés. Roland Mack, qui a grandi dans la fabrique familiale de manèges et de roulottes, soudeur de formation avant de suivre des études d’ingénieur, a été le premier de la famille à s’initier au métier de forain – pour l’exercer ensuite à la perfection.

Il est le premier des Mack à véritablement incarner la détente et la joie que le parc a pour objectif de procurer aux gens. Il est enthousiasmé par son produit, tel un magicien qui ne peut être réellement convaincant que s’il se croit lui-même un peu capable de prodiges. On le remarque en voyant Roland Mack se laisser emporter avec exaltation dans les loopings d’un grand huit ou applaudir ses acrobates et ses clowns, assis au premier rang d’une nouvelle revue. Il adore la scène qu’il s’est construite avec le parc, et il y joue avec passion.

Les gens capables d’enthousiasme savent le communiquer aux autres. Roland Mack ne fait plus qu’un avec son parc ; voilà pourquoi il est désormais difficile de distinguer, dans cette œuvre d’art totale, le sens du commerce de la passion, le calcul de manager du goût personnel.

Évidemment, bien des esprits ont cogité pour aboutir à cette réussite, jamais uniquement celui de Roland Mack. Citons d’abord Franz Mack, le père, qui apporta l’idée et le courage d’entreprendre. Dirigeant d’une exploitation familiale couronnée de succès, il a tout recommencé depuis le début pour fonder un parc à une époque où cette activité était pratiquement inconnue en Allemagne. Il y a aussi Ulrich Damrau, l’architecte de théâtre et de cinéma, qui a donné au parc son caractère unique avec ses constructions inspirées de tous les styles européens. Voici Jürgen Mack, le frère, une sorte de ministre de l’Intérieur, arrivé dans l’entreprise treize ans après Roland, qui a contribué à façonner Europa-Park et reste toujours à l’écoute des employés. Marianne Mack, l’épouse de Roland, est aussi de la partie, elle qui a travaillé dans le parc dès le premier jour et s’est occupée, à la maison, de la famille. Toute une équipe de créatifs et de professionnels a également rejoint l’entreprise, et tous l’ont fait avancer, chacun dans son domaine. Et maintenant, bien sûr, la nouvelle génération est là et appose son empreinte dans le parc.

Mais Roland Mack tient toujours les rênes et fait le lien entre tout cela. C’est de lui que viennent aujourd’hui encore de nombreuses impulsions primordiales. Personne ne connaît le parc mieux que lui, ne l’a marqué comme lui de son ouverture jusqu’à ce jour. Sur une photo de l’inauguration figure un grand ingénieur un peu dégingandé, avec une moustache sombre et une raie bien tirée, en costume gris, coincé maladroitement derrière le levier de commande du train du Far West. C’était en 1975. Aujourd’hui, on voit là un homme rayonnant qui fête son anniversaire entre Hubert Burda3 et Sabine Christiansen,4 un homme aussi bien capable de prendre la parole, détendu et les jambes croisées, face à de grands noms du métier, que d’enthousiasmer les étudiants d’un amphithéâtre pour son univers fait de technique et de divertissement. Il a grandi avec son entreprise. On qualifie volontiers ce type d’entrepreneurs de terre à terre, et c’est vrai – qu’est-ce que Mack pourrait bien faire d’autre? Tel un restaurateur à son restaurant, un agriculteur à sa terre, Roland Mack est attaché à son parc. À l’inverse d’autres chefs d’entreprise, il ne peut pas délocaliser à l’étranger, d’un claquement de doigts, ses ateliers de production et ses centres de développement. Les gens doivent venir chez lui, dans son parc. Et pour que cela fonctionne, il a inlassablement investi, bâti, développé, se comparant à la concurrence, l’imitant puis la surpassant en bien des points. Ainsi est née une petite principauté dans laquelle, à la fin, une voix seule compte – celle de Roland Mack.

On peut considérer le parc comme un conglomérat à la réussite extraordinaire, qui emboîte en une mécanique bien huilée des branches aussi différentes que l’hôtellerie, la restauration, la technique, la logistique et le show-business, tout en divertissant le public de manière parfaitement professionnelle. Mais on peut aussi voir Europa-Park à la manière dont Roland Mack semble toujours capable de le voir, après toutes ces années: à travers les yeux d’un visiteur, comme un monde scintillant, opulent, luxueux, surprenant – et un peu mystérieux.

Depuis l’ouverture, plus de 600 millions d’euros ont été investis. Le parc a déjà accueilli une centaine de millions de visiteurs, ses cinq hôtels assurent plusieurs centaines de milliers de nuitées chaque année. Son chiffre d’affaires annuel est évalué à 300 millions d’euros, la famille ne dévoile pas de sommes plus précises. Depuis des années, l’entreprise est en mesure de financer, avec les revenus d’exploitation courante et les sommes épargnées, de nombreux investissements destinés à l’entretien et au développement du parc.

Le parc ne connaît pas la crise. Lorsqu’on le parcourt avec Roland Mack en voiturette de golf, on se dit qu’il a créé pour les visiteurs, mais aussi pour lui-même, le meilleur des mondes possibles. Et pourtant, il ne relâche pas ses efforts, poussant ses employés, souvent d’un ton rude, à toujours accomplir de nouvelles performances.

Qu’est-ce qui fait avancer cet homme? Sous la lumière des projecteurs, il affirme que c’est son enthousiasme pour le produit ainsi que sa soif de succès et de reconnaissance. Celle-ci est importante pour lui et il sait en jouir pleinement. Mais quand il est d’humeur plus songeuse, Roland Mack parle aussi de peur, la peur que ce succès sans fin, ces records toujours plus élevés du nombre de visiteurs, ces récompenses puissent un jour, malgré tout, s’arrêter. Quelqu’un pourrait apparaître qui aurait plus de succès que lui, les modes de loisirs des gens pourraient changer, les parcs d’attractions ne plus séduire personne.

À la fin des années 1990, quand Internet cessa d’être uniquement un jouet pour initiés et conquit les foyers, il craignit que les gens ne se détournent de son parc et de ses attractions pour chercher leur bonheur dans des univers virtuels. C’est l’époque à laquelle Mack construisit les grands hôtels et à laquelle Europa-Park se prépara à devenir non plus simplement un but d’excursion, mais bien une destination de loisirs. Finalement, ses inquiétudes se révélèrent infondées. Les gens recherchent toujours l’aventure contrôlée et se laissent emporter, aujourd’hui plus que jamais, dans des mondes artificiels réels ; le nombre de visiteurs augmente chaque année.

Bien qu’Europa-Park soit un des plus grands et des meilleurs parcs d’Europe, et en Allemagne depuis longtemps le numéro un incontesté, Roland Mack continue à le comparer sans relâche avec la concurrence. Lors de ses coups de téléphone à ses rares confrères toujours en poste dans des parcs dirigés par leurs fondateurs, il ne manque jamais de s’enquérir des succès constatés et des nouvelles attractions prévues. Il contrôle en permanence le taux d’occupation de ses hôtels et consulte chaque après-midi les chiffres du jour. Roland Mack ne peut pas se reposer sur sa réussite. Pour lui, elle doit se mériter chaque jour de nouveau. C’est ce qu’il prêche à ses collaborateurs et ce qui le motive chaque matin, même quand la nuit a été courte, passée à son bureau ou sur un site de construction du parc.

«Quand on peut faire la fête, on peut aussi travailler.» Voici l’une des célèbres devises léguées par le Vadder, le père, c’est-à-dire Franz Mack. Les Mack réunissent ainsi l’éthique de travail d’un chef de PME et l’esprit combatif des forains.

La vie de Roland Mack est une histoire de pionnier qui raconte comment se dépasser soi-même, vaincre ses propres limites et extrémités, une histoire de conquête comme on n’en entend plus que très rarement de nos jours.

Le succès a son prix. La dureté envers soi-même et bien souvent envers les autres, cela, chaque chef d’entreprise peut en parler. Mais les vertus entrepreneuriales que sont le zèle, la discipline et le sens des réalités engendrent ici une contradiction particulière avec le produit lui-même, qui doit sembler rêveur et léger afin d’entraîner les visiteurs dans son sillage. Quiconque regarde en coulisses et raconte les efforts engagés pour obtenir cette légèreté apparente courra le risque de passer pour un rabat-joie qui dévoile les astuces du magicien.

Un parc microcosmique

Il est presque neuf heures. Après les averses de la nuit et une dernière ondée quelques heures plus tôt, le soleil brille désormais dans le ciel, comme s’il savait lui aussi ce qu’on attend de lui à Europa-Park. Depuis une heure déjà, les premiers visiteurs, quelques centaines, se pressent contre les grilles de métal noir de l’Allée allemande. Ils sont arrivés les premiers à la caisse, et maintenant, ils veulent aussi être les premiers à emprunter les montagnes russes du blue fire, du Silver Star ou de l’Eurosat ; en passant, ils en profiteront pour vite faire un tour de Bobsleigh suisse.

Neuf heures tapantes. Miro Gronau tourne la clé, «Veuillez reculer un peu, s’il vous plaît», puis ouvre le portail d’un seul élan. Le public se déverse en masse dans le parc, les garçons en tête, petits et grands. Au pas de course, ils prennent possession du site, encore idyllique un instant plus tôt. Ils n’ont qu’un but: les grands huit. Il n’est jamais trop tôt pour une bonne dose d’adrénaline. Ces tours de manège semés de vrilles et de loopings, malgré les frissons qu’ils procurent, se déroulent en toute sécurité ; c’est la responsabilité d’un homme, Achim Stoß le bien nommé.5 Bien avant que le parc n’ouvre, il contrôle les trains des montagnes russes et, oui, il effectue chaque matin, quasi à jeun, un tour d’essai. Quel travail vertigineux!

Derrière les hordes exultantes d’adolescents qui se précipitent pour franchir le portail entrent tranquillement les couples et les familles. Eux ont d’abord des objectifs bien différents: flâner à travers la Forêt enchantée Grimm avec les plus jeunes ou prendre un latte macchiato sur la piazza. L’ouverture des portes est comme le signal du départ, un des moments agréables de la journée de travail de Miro Gronau. Parfois, Roland Mack lui-même est là dès le matin, un peu en retrait. Comment être plus proche des visiteurs, mieux ressentir leur joie anticipée et leur impatience recueillie?

Roland Mack salue brièvement et discute parfois avec quelques visiteurs, puis il grimpe dans sa voiturette de golf, qui est un peu plus rapide que toutes les autres, et file. Des réunions l’attendent, ou bien la visite du site de construction d’une nouvelle attraction. Le chef souhaite rester informé de tout et savoir comment la journée se déroule. Même quand il est en déplacement, il reçoit quotidiennement sur son téléphone portable les nombres actuels de visiteurs et les chiffres d’occupation des hôtels, ainsi que les estimations du jour. Roland Mack sait toujours exactement quel numéro composer lorsqu’il pense qu’il y a des difficultés.

Miro Gronau est le directeur du parc. Si une lampe ou, pire encore, un manège complet tombe en panne quelque part, c’est à lui de résoudre ces problèmes. Aujourd’hui, sa journée de travail a commencé trois quarts d’heure avant l’ouverture officielle du parc. Il a laissé dans le petit bureau qu’il partage avec le directeur des ateliers le planning du jour sorti de l’imprimante. Dans la salle de conférences, non loin de là, des collègues de la restauration, de la sécurité et des hôtels sont déjà arrivés. Gronau demande à la cantonade: «Est-ce qu’il s’est passé quoi que ce soit de particulier, hier?» La veille, dans l’après-midi, un groupe de Suisses a escaladé un tourniquet de l’hôtel El Andaluz. Il leur en coûtera une amende et une interdiction de revenir – un abonnement annuel aurait été moins cher. Tout le monde rit.

Pendant ce temps-là, Jürgen Sedler fait sa tournée de contrôle à bord de sa voiturette de golf. Il est dans les halles de la jardinerie depuis cinq heures et demie du matin déjà ; maintenant, juste avant l’ouverture, le maître jardinier vérifie les plantes une fois de plus. Aucune feuille brune ne doit défigurer les généreux parterres, les arbustes morts sont aussitôt remplacés. Tôt ce matin, dans la jardinerie, de nouvelles plantes ont été chargées sur les voitures électriques selon une liste d’approvisionnement, puis plantées au bon endroit dans le parc. Europa-Park est un véritable jardin, avec des chênes centenaires et des végétaux exotiques, à la mode des parcs de châteaux des siècles passés. S’y ajoutent 2 000 plantes en pot et 300 000 fleurs d’été dans les parterres. L’équipe de Sedler doit entretenir cette flore tout en assurant au fil des saisons un paysage fleuri dans tout le parc.

Les plantes aussi sont l’affaire du chef. Roland Mack connaît l’importance qu’elles ont toujours eue, surtout au début, lorsque l’aire de Rust ne comptait pas encore tellement d’attractions mais que les expositions horticoles étaient à la mode. Cette tradition est entretenue aujourd’hui encore par le biais d’énormes investissements. Certains oliviers du Quartier espagnol bénéficient de leur propre chauffage par les racines afin de traverser sans dommages les rudes hivers allemands.

Au même moment, à la réunion matinale, on continue à organiser la journée du parc. Combien de visiteurs sont attendus? Quelles régions sont actuellement en période de vacances scolaires? Ce jour-là, ce ne sont plus que la Bavière et la France. De plus, il y a aujourd’hui en Suisse un jour férié, calculé sur le calendrier lunaire. Beaucoup de monde avec du temps libre, donc. C’est pour cela que les cinq hôtels du parc sont presque complets, «principalement des Bavarois», précise un collègue de la gestion des chambres. L’assistance jette un coup d’œil aux prévisions météorologiques: après les averses du matin, le temps doit se stabiliser dans le courant de la journée. C’est une bonne nouvelle: le printemps a été pluvieux et on est en pleine remontée, dans l’espoir que cette saison sera elle aussi meilleure que la précédente, comme l’exige le chef.

Combien de temps le parc restera-t-il ouvert aujourd’hui, si le temps demeure stable? Ce dernier point est toujours un peu critique pour le directeur du parc. En effet, à Europa-Park, on est fier de ne pas avoir d’heure de fermeture fixe et de décider chaque jour selon le nombre de visiteurs, le temps et, un peu, l’intuition de Roland Mack, à quelle heure les portes se fermeront. Une fois par an, le parc reste même ouvert jusqu’à minuit. Il arrive aux employés de se plaindre de ces horaires de fermeture flexibles – à cause desquels il leur est difficile de savoir quand se terminera leur journée et de calculer leurs heures de travail.

Et même si, parfois, les collaborateurs maugréent à voix basse, et les habitants de Rust (à cause du bruit) à voix plus haute, Roland Mack trouve important de faire ce geste envers ses visiteurs. Ils ont payé et doivent en avoir pour leur argent ; lorsqu’il fait particulièrement beau, pourquoi ne pas leur en offrir un peu plus? C’est ainsi que le Poseidon et l’Express des Alpes «Enzian» restent parfois ouverts une heure et demie de plus. Miro Gronau, qui, en tant que directeur du parc, décide des heures de fermeture, dit: «Souvent, le chef trouve que ma décision n’est pas correcte, et il lui arrive de m’appeler pour me demander des explications.» Gronau a jadis travaillé comme assistant personnel de Roland Mack, il connaît ses exigences et sait aujourd’hui garder son sang-froid même en cas de réprimande.

À la fin de la réunion matinale, le responsable de la sécurité rapporte un accident qui s’est produit plus tôt sur le Europa-Park-Express, le moyen de transport le plus important pour les visiteurs. Un employé d’une entreprise de nettoyage de vitres chargé de laver les fenêtres situées au-dessus de la voie ferrée avait oublié de retirer son échelle. Le Park-Express, qui par chance roule lentement à cet endroit, a tamponné l’escabeau du laveur de carreaux. Cela peut faire penser à un gag sorti d’un film muet de Harold Lloyd, mais n’est cependant pas sans danger. Le laveur de vitres est indemne, mais le système de climatisation situé sur le toit du train a été arraché. Aujourd’hui, seuls deux des trois trains circuleront donc. «Heureusement que nous n’attendons pas de pic de visiteurs aujourd’hui», commente Miro Gronau. Plus tard, il fera quelques photos du train endommagé pour les envoyer au chef.

Entre-temps, un groupe de vaillants retraités de Rust essuie les bancs et autres sièges situés sur l’Allée allemande, avançant lentement jusqu’à la Grèce puis l’Espagne. Ils font cela tous les matins, plus par amour du parc que pour le salaire. Cette tradition remontant à l’ouverture prouve aussi que les anciens habitants de Rust voient toujours Europa-Park, qui fut un jour le jardin public de la petite ville, comme leur propriété.

À l’hôtel El Andaluz, les derniers clients prennent encore leur petit-déjeuner. Penchés sur les dépliants bleus, ils organisent leur journée. Commencer par le château puis traverser l’Italie, la Russie et l’Angleterre pour revenir doucement vers l’hôtel, ou plutôt l’inverse? Quels sont les horaires de la revue sur glace et du spectacle de cascadeurs? Ils se hâtent ensuite vers le parc. Sur les murs, le maître du parc, Roland Mack, les salue. Ici une photo avec Joachim Löw,6 plus loin un cliché avec Kofi Annan, et un avec Marianne et Michael.7 Ces messieurs de Gazprom ou encore Dieter Zetsche, de Daimler, ne manquent pas non plus à l’appel. Les Mack aiment afficher leur fierté d’être à tu et à toi avec ces personnalités appréciées ou puissantes. De nombreux visiteurs observent la galerie de photos avec admiration.

Tandis que certains se dépêchent de rejoindre le parc, d’autres commencent par une promenade matinale dans la palmeraie ; ils préfèrent démarrer calmement.

À l’autre bout du parc, sur la terrasse du Château Balthasar, on met déjà la table. Les cuisines des hôtels et des restaurants débarrassent les buffets de petit-déjeuner puis commencent la préparation du raz-de-marée du déjeuner, et dans les innombrables stands de restauration du parc, on remplit les réserves.

Dans le lointain, on entend les cris stridents des visiteurs qui viennent de prendre une bonne douche sur le Fjord-Rafting. Dans le canal circulent plus de 6 millions de litres d’eau, explique l’homme aux cheveux blancs qui tient le stand où l’on peut acquérir un instantané de sa descente. «Cela coûte beaucoup d’argent à M. Mack», précise-t-il, semblant considérer cela comme un argument de vente. Les douches du terrain de jeux situé juste derrière le quartier thématique anglais sont mieux réglées. Sous un voile de bruine fine, les parents peuvent se rafraîchir dans la chaleur de midi, tandis que les enfants, équipés de gilets de sauvetage, naviguent sur un bassin dans de petits bateaux.

L’heure du déjeuner arrive et les visiteurs défilent maintenant en masse. Ils se pressent dans les ruelles du Quartier scandinave, de longues queues se forment devant les stands de restauration, une petite fille met la tête dans la gueule d’un requin et ses parents la prennent en photo. Pendant ce temps, Roland Mack, installé dans le Zirkus Macksimus, sa salle de conférences de l’hôtel Colosseo, travaille avec Chip Cleary sur les plans du nouveau parc aquatique qui doit ouvrir dans les années à venir sur un terrain jouxtant le parc. Cleary, petit Américain au regard malicieux, a été président et directeur de l’IAAPA, l’Association internationale des parcs de loisirs et Attractions, jusqu’à ce que Roland Mack lui succède en 2012 au poste de président. Mais Cleary est avant tout expert en parcs aquatiques. Depuis des mois déjà, le chef du parc de Rust l’écoute lui présenter ses réflexions et ses estimations sur son nouveau grand projet, posant et reposant des questions sur le moindre détail. Avant de donner le premier coup de pioche, Roland Mack veut être absolument sûr de son fait. Un second parc à Rust entraînera davantage de nuitées d’hôtels et sera un enrichissement logique des attractions déjà connues. Aucun doute: le parc aquatique sera le plus grand défi relevé par les Mack depuis l’inauguration d’Europa-Park en 1975.

Miro Gronau est appelé au Wodan, le grand huit en bois situé dans la zone sud du parc. Il y a un problème avec l’un des capteurs qui freinent automatiquement le train, et le manège a été interrompu. En s’y rendant, il aperçoit la voiture de jardiniers en train de s’attaquer à un parterre. Les tâches de ce type sont censées être effectuées le matin ou le soir, en dehors des heures d’ouverture, mais des sondages ont révélé que les travaux des jardiniers ne dérangeaient pas les visiteurs – au contraire, ils leur demandent même des conseils pour leurs propres potagers. Ils peuvent continuer tranquillement leur œuvre, Wodan attend.

Quand Gronau arrive près du gigantesque échafaudage de bois, en lisière du Quartier scandinave, l’activité a déjà repris. Les trains sortent de la gare à toute vitesse, à chaque minute. Quelques secondes seulement pour arriver, descendre, monter, déposer son sac à main, et les arceaux de sécurité se ferment. En un mouvement synchronisé évoquant une longue révérence, l’équipe avance rapidement le long des wagons pour vérifier que les arceaux sont bien en place, puis le train ressort de la gare en une souple accélération. Peu après, on entend, loin au-dessus de la tête des visiteurs qui patientent, le cliquètement de la chaîne de transport, puis les cris de joie et de frayeur lorsque le train dévale des hauteurs, et on sent trembler la charpente de bois de toute l’installation.

L’équipe du Wodan change de poste toutes les demi-heures. Si on vient de contrôler les entrées, on passe ensuite à la conduite du train depuis le pupitre de commandes. Gronau explique que le rythme des opérations, arrivée, descente, montée, contrôle, départ, est particulièrement important. On peut considérer des montagnes russes comme une chaîne de montage dans une usine. Toutes les 62 secondes, un train doit partir ; à chaque arrivée, une horloge numérique rouge démarre le compte à rebours. Tout retard provoque une perte de «productivité», ce qui, sur un grand huit, signifie que certaines personnes ne pourront pas profiter du manège ce jour-là. Une seconde de retard par tour empêche en une journée 600 voyageurs de jouir de la délicieuse terreur engendrée par le Wodan. Mais les visiteurs doivent ressentir le moins possible ces considérations liées à la gestion des montagnes russes. L’équation est simple: l’attente entraîne chez eux la frustration, et une longue attente, c’est donc une grande frustration. Les jours de pics d’affluence, l’attente aux attractions principales peut parfois dépasser une heure. Mais faire la queue augmente aussi la joie anticipée, disent les psychologues. C’est aussi pour cela que dans le parc, on a commencé très tôt à aménager les espaces d’attente pour en faire des zones de mise dans l’ambiance: musique dramatique pour Wodan, animations pour blue fire ou tout simplement décorations et design sonore pour Eurosat. Le cours interactif de chant tyrolien est particulièrement apprécié par les visiteurs attendant leur tour devant la Descente des rapides du Tyrol.

Dans les locaux de l’administration, dans la zone ouest du parc, les planifications de la saison prochaine suivent déjà leur cours. À la centrale d’appel, les inscriptions arrivent à un rythme soutenu ; on y réserve les chambres d’hôtel, on y organise l’occupation des salles de conférences. Congrès spécialisés, fêtes de mariage, conférences de presse: depuis longtemps, le parc est le lieu de manifestations en tout genre. Dans le centre de formation interne, juste à côté, se déroulent en permanence des cours et des séminaires destinés aux employés ainsi que le training on the job, dont font, paraît-il, partie de nombreux tours de montagnes russes.

En face des ateliers de production se trouve le bureau de Mack Solutions, l’entreprise responsable du graphisme et de la décoration, c’est-à-dire ce qu’on appelle la thématisation des manèges. Ici, dans un petit atelier, les graphistes debout devant leur planche à dessin (qui n’est plus une planche depuis bien longtemps, mais un écran numérique) développent les futurs mondes imaginaires. Thèmes, personnages, aménagement intérieur, architecture – tout passe par leur bureau. Et tout cela est top secret. Personne ne doit savoir quelle forme prendront les manèges de demain que l’équipe créative est en train d’inventer ici. Lorsque les ébauches sortent pour la première fois de ce bureau, c’est Roland Mack qui les voit avant tout le monde. Il décide souvent à l’instinct si une idée sera réalisée ou doit être retravaillée. La plupart des ébauches trouvent grâce aux yeux du chef, affirment les designers avec aplomb. Depuis toutes ces années, ils ont fait l’expérience de ce qui plaît ou pas. Leur taux de réussite: sept propositions sur dix résistent à l’examen.

Dans la ruelle entre les silos des ateliers et le bureau du design se tient Michael Mack, chef junior du parc, son portable à l’oreille. Clignant des yeux dans le soleil, il s’entretient en français au téléphone, s’interrompt pour nous saluer brièvement puis reprend sa conversation. Michael Mack est notamment directeur du département de design, qu’il dirige en toute autonomie et qui fournit aussi, en cas de besoin, des ébauches à l’entreprise de Waldkirch. Lui, son frère Thomas, leur père et leur oncle Jürgen forment depuis quelques années la direction de l’entreprise.

À quelques pas de là vrombissent les machines à coudre. Ici, on fabrique et on répare les costumes des spectacles et les vêtements de travail des employés. Jadis, ceux-ci portaient des uniformes jaune et bleu. Aujourd’hui, ils sont vêtus de costumes folkloriques et de tenues correspondant aux zones thématiques. Au début de la saison, chacun reçoit son costume, dont il devra prendre soin lui-même. Les collaborateurs travaillent souvent plusieurs années de suite au même endroit, par exemple un manège ou un kiosque dans le Quartier grec ou le Quartier portugais, développant ainsi un esprit d’équipe qui leur est propre.

Ici, en bordure ouest du parc – les coulisses, pour ainsi dire –, se trouve aussi une des quatre cantines des employés. Des hommes en bleu de travail s’y restaurent entre clowns et jeunes châtelaines, dégustant Leberkäse,8 boulettes de viande et jus de pomme pétillant. Ici, même l’Euromaus a le droit d’ôter sa tête.