Route du Hellen - F-M. Pailler - E-Book

Route du Hellen E-Book

F-M. Pailler

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Beschreibung

Dans les terres légendaires du nord de la Bretagne, un voile de mystère enveloppe la route du Hellen, un chemin souvent négligé sauf lors du Pardon du 15 août, où il s’anime soudain, guidant les villageois vers l’église pour l’office dédié à Notre Dame du Bon Secours. Mais au-delà de cette journée pieuse, le Hellen se replonge dans son silence, habité uniquement par des retraités paisibles. Pourtant, une ombre s’étend sur cette quiétude : la tragédie frappe avec le meurtre de Christalline, une femme au charme envoûtant, dont la caravane près de la fontaine Sainte Haude attire la curiosité. Le Major Henri Tromeur et ses hommes se retrouvent plongés dans une enquête labyrinthique, cherchant à dénouer les fils de cette énigme qui ébranle la tranquillité du quartier.




À PROPOS DE L'AUTEUR




Après de nombreuses années passées dans le milieu hospitalier, F-M. Pailler se tourne vers l’écriture pour explorer les facettes de la société, abordant des thèmes tels que la jalousie, la honte, la séduction, l’amour et la normalité de la vie. Ses personnages évoluent souvent dans les régions mystérieuses de la pointe nord de la Bretagne, face à Ouessant, sa terre natale. Dans son premier roman policier, "Route du Hellen", il nous plonge dans l’ambiance fascinante d’un petit village de la Côte des Légendes.

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F-M. Pailler

Route du Hellen

Roman

© Lys Bleu Éditions – F-M. Pailler

ISBN : 979-10-422-2512-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Route du Hellen

Laissez vivre les fleurs,

Le temps qui est le leur.

15 août, jour du Pardon, à Notre Dame de Bon Secours.

Les cloches sonnent à toute volée et ce n’est plus Jean qui, en tirant sur une corde de toutes ses forces, les a mises en route, non, le progrès fait que maintenant, c’est une minuterie qui les déclenche comme pour l’angélus de 18 heures.

Yves-Marie, le petit-fils d’Yves, le fils de sa plus jeune fille Marylène, qui habite Mez Lan chez ses parents, marche d’un bon pas car il sait que pour le Pardon, à la chapelle de Kersaint, les places sont « chères ». Certains se les attribuent d’office, par héritage, par transmission de génération en génération et il serait mal venu qu’il ose s’asseoir là où la famille Ruché a l’habitude de le faire : le troisième rang à droite, face à l’autel. À l’origine, le grand-père Ruché se mettait là parce que « paresseux de l’oreille droite », comme on disait, en raison de séquelles de la Grande Guerre où il avait été gazé, il n’y avait que l’oreille gauche qui lui permettait d’entendre le sermon du prédécesseur de ce prêtre rubicond et pléthorique qui, avant de monter en chaire, s’autorisait une prise de tabac gris. Il s’en débarrassait bruyamment dans son mouchoir en arrivant en haut de l’escalier en bois, escalier grinçant et mangé par les verres, que l’on craignait toujours de voir s’effondrer sous son poids.

Monsieur le Recteur, peu affable, « torchait » son homélie, louant une année sur deux Notre Dame de Bon Secours, reconnue pour venir en aide aux marins en perdition mais aussi à tous les fidèles en difficulté ou Sainte Haude, la sœur de Tanguy qui, en frère aîné responsable de sa moralité, mécontent de sa conduite pendant son absence, selon des ragots de leur marâtre, lui avait tranché la tête.

Yves-Marie, pour raccourcir son chemin et arriver à l’heure, voire en avance, a pris la route du Hellen qui débouche sur la place Sainte Haude, aujourd’hui encombrée de voitures. Quelle différence avec, il y a quarante ans, quand il se promenait avec sa grand-mère ou faisait du vélo. Le chemin du Hellen était calme et on y rencontrait plus volontiers une charrette à cheval transportant du foin, la récolte de pommes de terre ou de betteraves et on pouvait aussi y croiser de bon matin « la Colonelle », on aurait dû dire « l’Amirale », à cheval qui venait donner des ordres ménagers à sa « carabassen », sa « gouvernante » en français qui habitait le quartier de Kerbriec.

Elle avait la réputation de donner de grandes réceptions dans sa maison, face au château, auxquelles Yves-Marie n’avait jamais été convié en raison de la différence de classe sociale. Il se disait qu’elle aimait l’entrain viril des jeunes officiers sortant de l’École navale et que l’Amiral fermait les yeux quand il était en mer… Il se souvenait également avec amusement que l’on guettait son passage pour récolter de quoi fumer les rosiers et sa monture était très généreuse dans ce domaine et parsemait volontiers son trajet !

Yves-Marie, en reprenant au retour la route du Hellen, fredonnait le « Santez Anna » que la chorale locale avait chanté avec vigueur et enthousiasme au moment où les bannières portées par les costauds du pays, son grand-père en faisait partie autrefois, suivies par la Croix, les servants de messe, le Recteur et les Vicaires redescendaient l’allée centrale.

Il pensait qu’il était bien que l’on ait gardé les traditions et notamment celle d’écouter les conteurs les soirs de fête et de se réunir le plus souvent possible autour d’un feu.

Comme ça, en écoutant les plus anciens qui parlaient en breton, on savait ce que sa mère avait appris de sa mère qui, elle-même, l’avait aussi appris de sa propre mère.

Au déjeuner, on raviva beaucoup de souvenirs.

Ce soir, il irait à Langoz’vraz écouter Jean-Marie Quéméner qui cumulait les responsabilités de Maire et de conteur depuis le décès de son oncle Biel.

Le quartier du Hellen

Presque une voie privée, cette route du Hellen en dehors des jours de Pardon.

Les riverains qui habitaient le quartier avaient la réputation d’être invisibles, de mener une vie secrète, d’observer en se cachant dans l’encoignure de leur fenêtre après avoir soulevé le rideau dès qu’ils entendaient un bruit, mais, curieux comme des pies, ils voulaient toujours savoir le fils ou la fille de qui on était quand par hasard ils osaient vous parler en s’appuyant des deux bras sur le mur. « Piou en ez ? »

Les Pratividec n’échappaient pas à cette réputation. Ils habitaient une ancienne ferme qu’ils avaient achetée en 1947 à un Capitaine d’infanterie originaire de l’est de la France et qu’ils avaient fait restaurer pour leur retraite. On ne disait jamais « Ker an Guen » mais toujours « La maison des toubibs » car madame Pratividec, l’épouse du Docteur du même nom, était également médecin et elle était maintenant seule, veuve et très âgée.

Le Docteur Pratividec, Brestois intransigeant, tenait absolument à ce que l’on sache qu’il était médecin et il se lançait dans des diagnostics hasardeux sur le bord du chemin, ne sachant plus très bien s’il avait fait une carrière de médecin civil, médecin de marine ou de médecin de la coloniale.

Né à Recouvrance, quartier populaire au-dessus de l’arsenal et du Port de guerre, on ne pouvait pas le prendre en défaut sur l’histoire de sa ville et très « livresquement » cultivé, il pouvait donner l’impression à son interlocuteur qu’il avait servi en Indochine ou embarqué à bord du croiseur « Tonnerre de Brest » et qu’il savait tout également des cultures sous serres, car une de ses autres obsessions était de se faire admettre comme ayant des origines agricoles !

Il expliquait aussi très bien que sa demeure s’appelait « Ker an Guen » et non pas « Ker Guen » ce qui aurait voulu dire la « maison blanche » alors que c’était la « maison du blanc » parce que des moines blancs avaient été envoyés en mission pour exercer la médecine « dans ce pays en voie de développement » selon une de ses expressions favorites et étaient donc d’illustres prédécesseurs. Très affabulateur, il n’allait cependant pas jusqu’à dire que ces moines blancs l’avaient conduit sur le chemin du sacerdoce médical, mais on n’en était pas loin !

Le Docteur Pratividec était mort des suites de deux accidents vasculaires cérébraux, le premier survenu à la chasse en tirant une bécasse qu’il avait d’ailleurs tuée. Une histoire à la Pagnol. Ça avait fait le tour du pays ainsi que la narration du dévouement de son chien, épagneul breton du nom de Valentin qui essayait de le tirer du ruisseau dans lequel il était tombé.

N’ayant plus eu le droit de conduire à la suite de son deuxième AVC, le quartier était affecté d’un spectacle touchant lorsqu’il sortait et rentrait sa voiture pour avoir le simple plaisir de monter dedans, s’installer au volant et passer la marche arrière puis la première. En marche avant, il s’arrêtait après avoir heurté la poutre de bois qu’il avait fait mettre contre le mur de son garage, puis enclenchait la marche arrière pour une énième fois.

Si son mari se livrait facilement et entreprenait toute personne passant à proximité de son garage, on ne savait pas grand-chose de Madame Pratividec qu’on avait fini par appeler « Monette ». Elle était originaire de Vendée et après avoir beaucoup hésité à suivre son mari dans le Nord-Finistère, le décès de sa mère toujours bienveillante à son égard avait facilité sa décision. Très effacée du vivant de son mari, en passant route du Hellen, on apercevait parfois une longue blouse marron délavé et un foulard de la même couleur qui paraissaient courbés sur ce qui aurait pu être un carré de pommes de terre mais qui en fait était un magnifique parterre de rosiers. Elle aimait les fleurs en général et en particulier les roses dont elle connaissait parfaitement les exigences de culture.

Laissez vivre les fleurs,

Le temps qui est le leur.

Depuis qu’elle était veuve, on la voyait tous les après-midis faire le tour du quartier au bras d’une de ses trois aide-ménagères qui se relayaient pour couvrir les 24 heures.

Après le virage, en direction de l’église dont le clocher était tous les soirs illuminé, c’était Ker Briec, Vian et Vraz.

Vian était occupé par Marie qui portait la coiffe et avait longtemps servi chez la « colonelle » qui venait, à cheval, lui donner des ordres ou prendre de ses nouvelles.

Marie avait deux sœurs jumelles qui elles, vivaient à Paris, venaient la voir de temps en temps mais lui faisaient toujours sentir qu’elles n’appartenaient pas au même monde. Leur famille était très ancienne au pays.

En poussant quelque 100 mètres plus loin, Vraz avait été longtemps habité par un pharmacien de marine, bourru et pas commode. Il passait ses permissions d’été à engueuler ceux qu’il croisait et à débroussailler sa propriété qu’il laissait envahir tout l’hiver par les ronces et les mauvaises herbes. Il s’entendait très mal avec son voisin le plus proche à qui il reprochait, avec parfois des mots choisis pour le dire, d’avoir des chiens qui aboyaient la nuit et l’empêchaient de dormir.

Le Docteur Pratividec toujours adepte de la prescription sur le bord du chemin lui avait proposé une ordonnance de Lexomil® mais s’était entendu répondre qu’en bon pharmacien, il ne croyait pas un instant à l’intérêt des médicaments et qu’il valait mieux « qu’il bouffe du goémon ! »

Le pharmacien de marine était mort dans des circonstances assez mystérieuses dont personne ne s’était vraiment rendu compte.

De façon à remplir un rôle dans la commune qui lui vaudrait la reconnaissance de chacun et peut-être aussi celle de se faire pardonner sa légendaire mauvaise humeur, il avait proposé au Recteur d’endosser les responsabilités de bedeau ce qui le conduisait à ouvrir tous les matins et à fermer tous les soirs la chapelle Notre Dame du Bon Secours. Il veillait également à la propreté du lieu très visité surtout en été et au fleurissement de l’autel, précisait-il toujours avec beaucoup de fierté, avec des fleurs de mon jardin, ajoutant :

— Ça ne coûte pas un sou à l’Évêché et c’est bien normal que je porte enfin secours à mes collègues de la marine !

On l’avait retrouvé un soir du mois d’août, la veille du pardon, allongé de tout son long dans la nef, un crucifix à la main comme s’il terminait son chemin de croix.

C’était sa femme qui ne le voyant pas revenir avait donné l’alerte. Elle avait appelé le Docteur Cadiou qui avait conclu à une mort naturelle par crise cardiaque, au pays, on disait par crise de méchanceté, et qui avait autorisé son transfert à la morgue.

Il avait eu peu de visites, le pharmacien de marine, et son enterrement s’était fait dans un grand anonymat… Avait-il des enfants ?

En tout cas, depuis que sa veuve avait vendu, les ronces et les mauvaises herbes poussaient toujours aussi vigoureusement et il régnait un vent de solitude autour de la propriété des successeurs du pharmacien de marine que l’on disait Italiens en raison de l’immatriculation de leur voiture mais dont on n’avait jamais vu l’épouse du couple. On entendait par contre le mari qui, de temps en temps, accompagnait de la voix les airs d’opéra qu’il mettait à tue-tête.

Cependant, une ancienne crèche à cochons, aménagée en studio, attirait l’attention. Elle était louée par un sportif de haut niveau, international de javelot, disait-on, professeur de sport dans le collège voisin et que l’on voyait surtout du côté de Kervajean ou de la route touristique, en train de faire son jogging, torse bombé. Lorsqu’il faisait beau, il était coutumier de la sieste dans son hamac.

Quand on passait route du Hellen, on était enveloppé d’un grand mystère, comme si cette voie transversale qui reliait la place Sainte Haude à la route du Viaduc était un lieu de légendes, de secrets, de non-dits. Une voiture jaune, qui y stationnait en permanence sans que l’on sache très bien à qui elle appartenait, ajoutait du mystère au mystère car elle ne bougeait jamais. Que se passait-il dans cette voiture ? À quoi et à qui servait-elle ?

Lieu de légendes, pourquoi pas, quand on comprenait qu’en poussant un peu plus loin, en sens inverse et en longeant le ruisseau, on arrivait à la Fontaine Sainte Haude puis à Kervajean qui les jours d’orage, avec un ciel gris et chargé, déversait un spectacle de grande solitude avec un bâtiment de ferme, seul au milieu des champs !

Ce qui enlevait du mystère au mystère et ramenait aux choses de la vie, c’était la caravane de Christalline qui plus prosaïquement prétendait ouvrir les jeunes aux plaisirs de l’existence pour 50 € ! Il n’y avait pas que des jeunes qui osaient lui dire qu’elle était chère, mais elle rétorquait inlassablement avec son accent de voyouse, « je ne me ménage pas et l’hiver, j’ai bien du mal à joindre les deux bouts ! »

Une autre des caractéristiques de ce quartier était que la vie y était rythmée par les cris des oiseaux et la présence familièrement indiscrète des animaux.

Le matin, au moment du petit déjeuner, les goélands, eux aussi à la recherche du leur, remontaient le ruisseau en direction de la mer en poussant des cris aigus lugubres qui annonçaient que la mer montait et allait leur apporter de quoi se rassasier. En fait, ils remplaçaient volontiers le calendrier des marées dont leurs pérégrinations dépendaient. Marée haute, marée basse, il suffisait d’écouter leurs cris deux fois par jour à six heures d’intervalle.

Le soir, à l’heure de la fermeture des volets de bois des maisons, on assistait, toujours dans la vallée, à une guerre de Sécession voire de religion entre des échassiers blancs qui venaient squatter les saules pour la nuit au grand désarroi des corbeaux qui avaient bien du mal à préserver leurs droits de propriété. Les blancs étaient régulièrement vainqueurs et les bagarres ponctuées de cris accompagnés de coups d’aile commençaient à la tombée du jour pour ne cesser qu’au moment où la nuit s’affirmait.

Lorsque dans la solitude, on observait et écoutait ce spectacle depuis la route du Hellen, l’illumination du clocher de l’église semblait compléter cette féérie grandiose faite de sons et de lumière.