Ruy Blas - Victor Hugo - E-Book

Ruy Blas E-Book

Victor Hugo

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Beschreibung

"Ruy Blas, le chef-d'œuvre littéraire de Victor Hugo, est un roman captivant qui plonge le lecteur dans les méandres de la politique et de l'amour. L'histoire se déroule dans l'Espagne du XVIIe siècle, où le protagoniste éponyme, Ruy Blas, un jeune homme issu de la classe populaire, se retrouve propulsé au cœur du pouvoir en devenant le secrétaire du tout-puissant Don Salluste.Mais derrière les apparences, se cache une intrigue complexe et tortueuse. Ruy Blas, épris de la belle et noble reine d'Espagne, Doña Maria de Neubourg, se retrouve pris entre son amour pour elle et les manigances politiques ourdies par Don Salluste. Entre trahisons, complots et jeux de pouvoir, Ruy Blas devra faire face à des choix déchirants qui mettront à l'épreuve sa loyauté et son intégrité.À travers ce récit, Victor Hugo explore les thèmes universels de l'ambition, de la corruption et de la condition humaine. Il dépeint avec brio les contrastes sociaux et les luttes de pouvoir qui animent la société espagnole de l'époque. Ruy Blas est un personnage complexe et attachant, tourmenté par ses sentiments et confronté à des dilemmes moraux poignants.Avec sa plume flamboyante et son style inimitable, Victor Hugo nous offre un roman d'une intensité rare, où l'amour et la politique se mêlent dans une danse tragique. Ruy Blas est un ouvrage incontournable de la littérature française, qui continue de fasciner les lecteurs par sa profondeur et sa puissance narrative.
Extrait : ""RUY BLAS, survenant. Bon appétit, messieurs ! Tous se retournent. Silence de surprise et d'inquiétude. Ruy Blas se couvre, croise les bras, et poursuit en les regardant en face. O ministres intègres ! Conseillers vertueux ! Voilà votre façon De servir, serviteurs qui pillez la maison ! Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure, L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure !"""

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Seitenzahl: 145

Veröffentlichungsjahr: 2015

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Personnages

RUY BLAS.

DON SALLUSTE DE BAZAN.

DON CÉSAR DE BAZAN.

DON GURITAN.

LE COMTE DE CAMPOREAL.

LE MARQUIS DE SANTA-CRUZ.

LE MARQUIS DEL BASTO.

LE COMTE D’ALBE.

LE MARQUIS DE PRIEGO.

DON MANUEL ARIAS.

MONTAZGO.

DON ANTONIO UBILLA.

COVADENGA.

GUDIEL.

UN LAQUAIS.

UN ALCADE.

UN HUISSIER.

UN ALGUAZIL.

UN PAGE.

DONA MARIA DE NEUBOURG, REINE D’ESPAGNE.

LA DUCHESSE D’ALBUQUERQUE.

CASILDA.

UNE DUÈGNE.

DAMES, SEIGNEURS, CONSEILLERS PRIVÉS, PAGES, DUÈGNES, ALGUAZILS, GARDES, HUISSIERS DE CHAMBRE ET DE COUR.

Madrid, 169.

ACTE PREMIER Don Salluste
 

Le salon de Danaé dans le palais du roi, à Madrid. Ameublement magnifique dans le goût demi-flamand du temps de Philippe IV.À gauche, une grande fenêtre à châssis dorés et à petits carreaux. Des deux côtés, sur un pan coupé, une porte basse donnant dans quelque appartement intérieur. Au fond, une grande cloison vitrée à châssis dorés s’ouvrant par une large porte également vitrée sur une longue galerie. Cette galerie, qui traverse tout le théâtre, est masquée par d’immenses rideaux qui tombent du haut en bas de la cloison vitrée. Une table, un fauteuil, et ce qu’il faut pour écrire.

Don Salluste entre par la petite porte de gauche, suivi de Ruy Blas et de Gudiel, qui porte une cassette et divers paquets qu’on dirait disposés pour un voyage. Don Salluste est vêtu de velours noir, costume de cour du temps de Charles II. La toison d’or au cou. Par-dessus l’habillement noir, un riche manteau de velours clair, brodé d’or et doublé de satin noir. Épée à grande coquille. Chapeau à plumes blanches. Gudiel est en noir, épée au côté. Ruy Blas est en livrée. Haut-de-chausses et justaucorps bruns. Surtout galonné, rouge et or. Tête nue. Sans épée.

Scène première

Don Salluste de Bazan, Gudiel ; par instants Ruy Blas.

DON SALLUSTE
Ruy Blas, fermez la porte, ouvrez cette fenêtre.

Ruy Blas obéit, puis, sur un signe de don Salluste, il sort par la porte du fond, don Salluste va à la fenêtre.

Ils dorment encore tous ici. Le jour va naître.

Il se tourne brusquement vers Gudiel.

Ah ! c’est un coup de foudre !… oui, mon règne est passé,
Gudiel ! renvoyé, disgracié, chassé !
Ah ! tout perdre en un jour ! L’aventure est secrète
encore. N’en parle pas. Oui, pour une amourette,
Chose, à mon âge, sotte et folle, j’en conviens !
Avec une suivante, une fille de rien !
Séduite, beau malheur ! parce que la donzelle
Est à la reine, et vient de Neubourg avec elle,
Que cette créature a pleuré contre moi,
Et traîné son enfant dans les chambres du roi ;
Ordre de l’épouser. Je refuse. On m’exile.
On m’exile ! Et vingt ans d’un labeur difficile,
Vingt ans d’ambition, de travaux nuit et jour ;
Le président haï des alcades de cour,
Dont nul ne prononçait le nom sans épouvante ;
Le chef de la maison de Bazan, qui s’en vante ;
Mon crédit, mon pouvoir ; tout ce que je rêvais,
Tout ce que je faisais et tout ce que j’avais,
Charge, emplois, honneurs, tout en un instant s’écroule
Au milieu des éclats de rire de la foule !
GUDIEL
Nul ne le sait encore, monseigneur.
DON SALLUSTE
Mais demain !
Demain on le saura ! Nous serons en chemin.
Je ne veux pas tomber, non, je veux disparaître !

Il déboutonne violemment son pourpoint.

Tu m’agrafes toujours comme on agrafe un prêtre ;
Tu serres mon pourpoint, et j’étouffe, mon cher !

Il s’assied.

Oh ! mais je vais construire, et sans en avoir l’air,
Une sape profonde, obscure et souterraine…
Chassé !

Il se lève.

GUDIEL
D’où vient le coup, monseigneur ?
DON SALLUSTE
De la reine.
Oh ! je me vengerai, Gudiel ! Tu m’entends !
Toi dont je suis l’élève, et qui depuis vingt ans
M’as aidé, m’as servi dans les choses passées,
Tu sais bien jusqu’où vont dans l’ombre mes pensées,
Comme un bon architecte, au coup d’œil exercé,
Connaît la profondeur du puits qu’il a creusé.
Je pars. Je vais aller à Finlas, en Castille,
Dans mes états, et, là, songer. Pour une fille !
Toi, règle le départ, car nous sommes pressés.
Moi, je vais dire un mot au drôle que tu sais ;
À tout hasard. Peut-il me servir ? Je l’ignore. Ici jusqu’à ce soir je suis le maître encore.
Je me vengerai, va ! Comment ? je ne sais pas ;
Mais je veux que ce soit effrayant ! De ce pas
Va faire nos apprêts, et hâte-toi. Silence !
Tu pars avec moi. Va.
Gudiel salue et sort. Don Salluste appelant.
Ruy Blas !
RUY BLAS, se présentant à la porte du fond.
Votre excellence ?
DON SALLUSTE
Comme je ne dois plus coucher dans le palais,
Il faut laisser les clefs et clore les volets.
RUY BLAS, s’inclinant.
Monseigneur, il suffit.
DON SALLUSTE
Écoutez, je vous prie.
La reine va passer, là, dans la galerie,
En allant de la messe à sa chambre d’honneur,
Dans deux heures. Ruy Blas, soyez là.
RUY BLAS
Monseigneur,
J’y serai.
DON SALLUSTE, à la fenêtre.
Voyez-vous cet homme dans la place
Qui montre aux gens de garde un papier, et qui passe ?
Faites-lui, sans parler, signe qu’il peut monter.
Par l’escalier étroit.

Ruy Blas obéit. Don Salluste continue en lui montrant la petite porte à droite.

Avant de nous quitter,
Dans cette chambre où sont les hommes de police,
Voyez donc si les trois alguazils de service
Sont éveillés.
RUY BLAS
Il va à la porte, l’entrouvre et revient.
Seigneur, ils dorment.
DON SALLUSTE
Parlez bas.
J’aurai besoin de vous, ne vous éloignez pas.
Faites le guet afin que les fâcheux nous laissent.

Entre don César de Bazan. Chapeau défoncé. Grande cape déguenillée qui ne laisse voir de sa toilette que des bas mal tirés et des souliers crevés. Épée de spadassin.

Au moment où il entre, lui et Ruy Blas se regardent, et font en même temps, chacun de leur côté, un geste de surprise.

DON SALLUSTE, les observant, à part.
Ils se sont regardés ! Est-ce qu’ils se connaissent ?

Ruy Blas sort.

Scène II

Don Salluste, Don César.

DON SALLUSTE
Ah ! vous voilà, bandit !
DON CÉSAR
Oui, cousin, me voilà.
DON SALLUSTE
C’est grand plaisir de voir un gueux comme cela !
DON CÉSAR, saluant.
Je suis charmé…
DON SALLUSTE
Monsieur, on sait de vos histoires.
DON CÉSAR, gracieusement.
Qui sont de votre goût ?
DON SALLUSTE
Oui, des plus méritoires.
Don Charles de Mira l’autre nuit fut volé.
On lui prit son épée à fourreau ciselé
Et son buffle. C’était la surveille de Pâques.
Seulement, comme il est chevalier de Saint-Jacques,
La bande lui laissa son manteau.
DON CÉSAR.
Doux Jésus !
Pourquoi ?
DON SALLUSTE
Parce que l’ordre était brodé dessus.
Eh bien, que dites-vous de l’algarade ?
DON CÉSAR
Ah ! diable !
Je dis que nous vivons dans un siècle effroyable !
Qu’allons-nous devenir, bon Dieu ! si les voleurs
Vont courtiser saint Jacque et le mettre des leurs ?
DON SALLUSTE
Vous en étiez !
DON CÉSAR
Eh bien, oui ! s’il faut que je parle,
J’étais là. Je n’ai pas touché votre don Charle,
J’ai donné seulement des conseils.
DON SALLUSTE
Mieux encore.
La lune étant couchée, hier, Plaza-Mayor,
Toutes sortes de gens, sans coiffe et sans semelle,
Qui hors d’un bouge affreux se ruaient pêle-mêle,
Ont attaqué le guet. Vous en étiez.
DON CÉSAR
Cousin,
J’ai toujours dédaigné de battre un argousin.
J’étais là. Rien de plus. Pendant les estocades,
Je marchais en faisant des vers sous les arcades.
On s’est fort assommé.
DON SALLUSTE
Ce n’est pas tout.
DON CÉSAR
Voyons.
DON SALLUSTE
En France, on vous accuse, entre autres actions,
Avec vos compagnons à toute loi rebelles,
D’avoir ouvert sans clef la caisse des gabelles.
DON CÉSAR
Je ne dis pas. La France est pays ennemi.
DON SALLUSTE
En Flandre, rencontrant dom Paul Barthélemy.
Lequel portait à Mons le produit d’un vignoble
Qu’il venait de toucher pour le chapitre noble,
Vous avez mis la main sur l’argent du clergé.
DON CÉSAR
En Flandre ? il se peut bien. J’ai beaucoup voyagé.
Est-ce tout ?
DON SALLUSTE
Don César, la sueur de la honte,
Lorsque je pense à vous, à la face me monte.
DON CÉSAR
Bon. Laissez-la monter.
DON SALLUSTE
Notre famille…
DON CÉSAR
Non ;
Car vous seul à Madrid connaissez mon vrai nom.
Ainsi ne parlons pas famille.
DON SALLUSTE
Une marquise
Me disait l’autre jour en sortant de l’église :
Quel est donc ce brigand qui, là-bas, nez au vent,
Se carre, l’œil au guet et la hanche en avant,
Plus délabré que Job et plus fier que Bragance,
Drapant sa gueuserie avec son arrogance,
Et qui, froissant du poing sous sa manche en haillons
L’épée à lourd pommeau qui lui bat les talons,
Promène, d’une mine altière et magistrale,
Sa cape en dents de scie et ses bas en spirale ?
DON CÉSAR, jetant un coup d’œil sur sa toilette.
Vous avez répondu : C’est ce cher Zafari !
DON SALLUSTE
Non. J’ai rougi, monsieur.
DON CÉSAR
Eh bien, la dame a ri.
Voilà. J’aime beaucoup faire rire les femmes.
DON SALLUSTE
Vous n’allez fréquentant que spadassins infâmes !
DON CÉSAR
Des clercs ! des écoliers doux comme des moutons !
DON SALLUSTE
Partout on vous rencontre avec des Jeannetons !
DON CÉSAR
Ô Lucindes d’amour ! ô douces Isabelles !
Eh bien, sur votre compte on en entend de belles !
Quoi ! l’on vous traite ainsi, beautés à l’œil mutin,
À qui je dis le soir mes sonnets du matin !
DON SALLUSTE
Enfin, Matalobos, ce voleur de Galice
Qui désole Madrid malgré notre police,
Il est de vos amis !
DON CÉSAR
Raisonnons, s’il vous plaît.
Sans lui j’irais tout nu, ce qui serait fort laid.
Me voyant sans habit, dans la rue, en décembre,
La chose le toucha. Ce fat parfumé d’ambre,
Le comte d’Albe, à qui l’autre mois fut volé
Son beau pourpoint de soie…
DON SALLUSTE
Eh bien ?
DON CÉSAR
C’est moi qui l’ai.
Matalobos me l’a donné.
DON SALLUSTE
L’habit du comte !
Vous n’êtes pas honteux ?…
DON CÉSAR
Je n’aurai jamais honte
De mettre un bon pourpoint, brodé, passementé,
Qui me tient chaud l’hiver et me fait beau l’été.
Voyez, il est tout neuf.

Il entrouvre son manteau, qui laisse voir un superbe pourpoint de satin rose brodé d’or.

Les poches en sont pleines
De billets doux au comte adressés par centaines.
Souvent, pauvre, amoureux, n’ayant rien sous la dent,
J’avise une cuisine au soupirail ardent
D’où la vapeur des mets aux narines me monte.
Je m’assieds là. J’y lis les billets doux du comte,
Et, trompant l’estomac et le cœur tour à tour,
J’ai l’odeur du festin et l’ombre de l’amour.
DON SALLUSTE
Don César…
DON CÉSAR
Mon cousin, tenez, trêve aux reproches.
Je suis un grand seigneur, c’est vrai, l’un de vos proches ;
Je m’appelle César, comte de Garofa.
Mais le sort de folie en naissant me coiffa.
J’étais riche, j’avais des palais, des domaines,
Je pouvais largement renter les Célimènes,
Bah ! mes vingt ans n’étaient pas encore révolus
Que j’avais mangé tout ! il ne me restait plus
De mes prospérités, ou réelles ou fausses,
Qu’un tas de créanciers hurlant après mes chausses.
Ma foi, j’ai pris la fuite et j’ai changé de nom.
À présent, je ne suis qu’un joyeux compagnon,
Zafari, que hors vous nul ne peut reconnaître.
Vous ne me donnez pas du tout d’argent, mon maître ;
Je m’en passe. Le soir, le front sur un pavé,
Devant l’ancien palais des comtes de Teve,
C’est là, depuis neuf ans, que la nuit je m’arrête,
Je vais dormir avec le ciel bleu sur ma tête.
Je suis heureux ainsi. Pardieu, c’est un beau sort !
Tout le monde me croit dans l’Inde, au diable, mort.
La fontaine voisine a de l’eau, j’y vais boire,
Et puis je me promène avec un air de gloire.
Mon palais, d’où jadis mon argent s’envola,
Appartient à cette heure au nonce Espinola.
C’est bien. Quand par hasard jusque-là je m’enfonce,
Je donne des avis aux ouvriers du nonce
Occupés à sculpter sur la porte un Bacchus.
Maintenant, pouvez-vous me prêter dix écus ?
DON SALLUSTE
Écoutez-moi…
DON CÉSAR, croisant les bras.
Voyons à présent votre style.
DON SALLUSTE
Je vous ai fait venir, c’est pour vous être utile.
César, sans enfants, riche, et de plus votre aîné,
Je vous vois à regret vers l’abîme entraîné ;
Je veux vous en tirer. Bravache que vous êtes,
Vous êtes malheureux. Je veux payer vos dettes,
Vous rendre vos palais, vous remettre à la cour,
Et refaire de vous un beau seigneur d’amour.
Que Zafari s’éteigne et que César renaisse.
Je veux qu’à votre gré vous puisiez dans ma caisse,
Sans crainte, à pleines mains, sans soin de l’avenir.
Quand on a des parents, il faut les soutenir,
César, et pour les siens se montrer pitoyable.

Pendant que don Salluste parle, le visage de don César prend une expression de plus en plus étonnée, joyeuse et confiante ; enfin il éclate.

DON CÉSAR
Vous avez toujours eu de l’esprit comme un diable,
Et c’est fort éloquent ce que vous dites là.
Continuez.
DON SALLUSTE
César, je ne mets à cela
Qu’une condition. Dans l’instant je m’explique.
Prenez d’abord ma bourse.
DON CÉSAR, soupesant la bourse, qui est pleine d’or.
Ah ça ! c’est magnifique !
DON SALLUSTE
Et je vous vais donner cinq cents ducats…
DON CÉSAR, ébloui.
Marquis !
DON SALLUSTE, continuant.
Dès aujourd’hui.
DON CÉSAR
Pardieu, je vous suis tout acquis.
Quant aux conditions, ordonnez. Foi de brave,
Mon épée est à vous, je deviens votre esclave,
Et, si cela vous plaît, j’irai croiser le fer
Avec don Spavento, capitan de l’enfer.
DON SALLUSTE
Non, je n’accepte pas, don César, et pour cause,
Votre épée.
DON CÉSAR
Alors quoi ? je n’ai guère autre chose.
DON SALLUSTE, se rapprochant de lui et baissant la voix.
Vous connaissez, et c’est en ce cas un bonheur,
Tous les gueux de Madrid.
DON CÉSAR
Vous me faites honneur.
DON SALLUSTE
Vous en traînez toujours après vous une meute.
Vous pourriez, au besoin, soulever une émeute,
Je le sais. Tout cela peut-être servira.
DON CÉSAR, éclatant de rire.
D’honneur ! vous avez l’air de faire un opéra.
Quelle part donnez-vous dans l’œuvre à mon génie ?
Sera-ce le poème ou bien la symphonie ?
Commandez. Je suis fort pour le charivari.
DON SALLUSTE, gravement.
Je parle à don César, et non à Zafari.

Baissant la voix de plus en plus.

Écoute. J’ai besoin, pour un résultat sombre,
De quelqu’un qui travaille à mon côté dans l’ombre
Et qui m’aide à bâtir un grand évènement.
Je ne suis pas méchant, mais il est tel moment
Où le plus délicat, quittant toute vergogne,
Doit retrousser sa manche et faire la besogne.
Tu seras riche, mais il faut m’aider sans bruit
À dresser, comme font les oiseleurs la nuit,
Un bon filet caché sous un miroir qui brille,
Un piège d’alouette ou bien de jeune fille.
Il faut, par quelque plan terrible et merveilleux,
Tu n’es pas, que je pense, un homme scrupuleux,
Me venger !
DON CÉSAR
Vous venger ?
DON SALLUSTE
Oui.
DON CÉSAR
De qui ?
DON SALLUSTE
D’une femme.
DON CÉSAR

Il se redresse et regarde fièrement don Salluste.

Ne m’en dites pas plus. Halte-là ! Sur mon âme,
Mon cousin, en ceci voilà mon sentiment.
Celui qui, bassement et tortueusement,
Se venge, ayant le droit de porter une lame,
Noble, par une intrigue, homme, sur une femme.
Et qui, né gentilhomme, agit en alguazil,
Celui-là, fût-il grand de Castille, fût-il
Suivi de cent clairons sonnant des tintamarres,
Fût-il tout harnaché d’ordres et de chamarres,
Et marquis, et vicomte, et fils des anciens preux,
N’est pour moi qu’un maraud sinistre et ténébreux
Que je voudrais, pour prix de sa lâcheté vile,
Voir pendre à quatre clous au gibet de la ville !
DON SALLUSTE
César !…
DON CÉSAR
N’ajoutez pas un mot, c’est outrageant.

Il jette la bourse aux pieds de don Salluste.

Gardez votre secret, et gardez votre argent.
Oh ! je comprends qu’on vole, et qu’on tue, et qu’on pille,
Que par une nuit noire on force une bastille,
D’assaut, la hache au poing, avec cent flibustiers ;
Qu’on égorge estafiers, geôliers et guichetiers,
Tous, taillant et hurlant, en bandits que nous sommes,
Œil pour œil, dent pour dent, c’est bien ! hommes contre hommes !
Mais doucement détruire une femme ! et creuser
Sous ses pieds une trappe ! et contre elle abuser,
Qui sait ? de son humeur peut-être hasardeuse !
Prendre ce pauvre oiseau dans quelque glu hideuse !
Oh ! plutôt qu’arriver jusqu’à ce déshonneur,
Plutôt qu’être, à ce prix, un riche et haut seigneur,
Et je le dis ici pour Dieu qui voit mon âme,
J’aimerais mieux, plutôt qu’être à ce point infâme,
Vil, odieux, pervers, misérable et flétri,
Qu’un chien rongeât mon crâne au pied du pilori !
DON SALLUSTE
Cousin…
DON CÉSAR
De vos bienfaits je n’aurai nulle envie,
Tant que je trouverai, vivant ma libre vie,
Aux fontaines de l’eau, dans les champs le grand air,
À la ville un voleur qui m’habille l’hiver,
Dans mon âme l’oubli des prospérités mortes,
Et devant vos palais, monsieur, de larges portes
Où je puis, à midi, sans souci du réveil,
Dormir, la tête à l’ombre et les pieds au soleil !
Adieu donc. De nous deux Dieu sait quel est le juste.
Avec les gens de cour, vos pareils, don Salluste,
Je vous laisse, et je reste avec mes chenapans.
Je vis avec les loups, non avec les serpents.
DON SALLUSTE
Un instant…
DON CÉSAR
Tenez, maître, abrégeons la visite.
Si c’est pour m’envoyer en prison, faites vite.
DON SALLUSTE
Allons, je vous croyais, César, plus endurci.
L’épreuve vous est bonne et vous a réussi.
Je suis content de vous. Votre main, je vous prie.