THC sans ordonnance - Olivier Kourilsky - E-Book

THC sans ordonnance E-Book

Olivier Kourilsky

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  • Herausgeber: Glyphe
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2021
Beschreibung

Le corps d'un trafiquant de cannabis est retrouvé près de la frontière espagnole, affreusement mutilé. Or, l'individu, connu de la police, avait été déclaré mort deux ans plus tôt. Sur le chemin de l'enquête, alors qu'un tueur redoutable vient de s'évader, les accidents et les cadavres s'accumulent. Dans cette histoire aux rebondissements multiples, le Dr K fait appel à quelques-uns de ses personnages fétiches.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Olivier Kourilsky est professeur honoraire au Collège de médecine. Il a publié neuf polars, tous aux Éditions Glyphe, dont Meurtre pour de bonnes raisons (prix Littré 2010), Le Septième péché (Prix du polar d'Aumale 2014) et Marche ou greffe ! (prix du Rotary club international 2018). Il a aussi écrit ses mémoires : La Médecine sans compter.

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Couverture

Page de titre

Du même auteur chez le même éditeur

Du même auteur chez le même éditeur

La médecine sans compter

Marche ou greffe ! Prix littéraire de la ville de Moret-sur-Loing, décerné par le Rotary International

L’Étrange Halloween de M. Léo

Le Septième Péché. Prix du polar, Aumale

Homicide post mortem

Dernier Homicide connu

Homicide par précaution

Meurtre pour de bonnes raisons. Prix Littré

Meurtre avec prémédication

Meurtre à la morgue

À Michel Leski, en souvenir de « Kourleski et Leski tout court », avec mon éternelle affection.

À Guy André Voisin, l’élève fidèle de mon père et l’ami indéfectible de la famille.

À mon ami S.A.R. le Prince Sisowath Samyl Monipong, à qui j’aurais tant voulu offrir ce 11eopus.

Et pour Bob…

« Nul ne sait combien douce est la vengeance que celui qui a reçu l’injure. »

Étienne Pasquier (1529-1615)

AVERTISSEMENT AU LECTEUR

THC : Δ-9-tétrahydrocannabinol, l’un des constituants les plus abondants du cannabis dit récréatif.

Ce roman est une fiction. Toute ressemblance avec des événements ou des personnages réels serait une coïncidence.

PROLOGUE

Septembre 2019

Le ruban boudiné rose et blanc parcourait le flanc de la montagne sur plusieurs mètres. Une toile tendue sur quelques piquets protégeait l’endroit, entouré des bandes jaunes « Gendarmerie nationale. Zone interdite ». En tenue blanche et masqués, les techniciens de scène de crime s’affairaient sous la tente.

Là-haut, plusieurs vautours tournoyaient avec insistance, frustrés de ne pouvoir goûter au festin qu’ils avaient repéré. Sous le ciel d’un bleu profond, au milieu des superbes montagnes pyrénéennes, entre Aulon et Saint-Lary-Soulan, le spectacle paraissait incongru.

Le commissaire Claude Maplède rajusta ses lunettes de soleil qui avaient tendance à glisser sur son nez. La cinquantaine bien sonnée, de grande taille, les cheveux bruns coupés en brosse, le directeur adjoint du SRPJ de Toulouse luttait contre un embonpoint qui commençait à déformer sa silhouette. Son épouse était trop bonne cuisinière…

À côté de lui, le lieutenant Pierre Leroy, un jeune policier à peine sorti de l’ENSOP1, blond et toujours tiré à quatre épingles, était au bord de la nausée. Son bronzage virait à l’olivâtre.

– C’est peut-être un chasseur, lâcha l’adjudant-chef Alphonse Bergui, un homme de petite taille, râblé, sanglé dans son uniforme. Avec sa moustache impressionnante, il ressemblait à un militaire de la Grande Guerre.

– Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? demanda Maplède.

– Vous savez, Commissaire, contrairement à une idée répandue, beaucoup de chasseurs ont la fibre écologique. Ici en tout cas. Lorsqu’ils tuent un chevreuil, ils étalent les viscères pour nourrir les vautours. Mais ils prennent la précaution de les installer en hauteur. Dans la vallée, les vautours ne pourraient pas reprendre leur envol.

– Mais la victime a été éviscérée sur place ? Je vois mal l’assassin, ou plutôt les assassins, opérer tranquillement dans cet endroit, sous les yeux des villageois.

– Sans doute. Il y a beaucoup de sang un peu plus loin, et ce qui reste de la tête.

Le commissaire jeta un regard à Leroy, dont le teint se plombait de minute en minute. Sous la toile de tente, l’odeur des entrailles devenait de plus en plus incommodante. Lui-même, pourtant habitué aux pires spectacles, commençait à se demander s’il allait pouvoir digérer son sandwich, avalé à la hâte à midi.

Ils suivirent l’adjudant-chef jusqu’à la flaque de sang séchée au milieu de laquelle était posée une boule noirâtre. Il fallait beaucoup d’imagination pour identifier une tête humaine. La face avait été méthodiquement détruite, probablement à coups de masse. Au moins comprenait-on que les entrailles exposées étaient celles d’un homme et non d’un chevreuil.

Leroy ne put se retenir davantage et s’écarta vivement pour vomir.

Claude Maplède surmonta sa répugnance et observa avec attention le macabre débris.

– Il y a des traces de pneus à proximité. Sans doute un 4 x 4. Les techniciens vont relever des empreintes. Bon, on va les laisser travailler. Allons voir le reste du corps.

– Il a été déposé à quelques kilomètres d’ici, dans la vallée. Dès que votre collègue est remis, je vous emmène. Mais je vous préviens, le spectacle est encore pire, dit Bergui, impassible.

Le ton n’était pas ironique, mais plutôt compatissant. Rien ne semblait pouvoir altérer le calme du gendarme.

*

L’élevage de porcs noirs de Bigorre, géré par une petite entreprise familiale, était situé à l’extérieur de la commune de Vignec. Les animaux vivaient la plupart du temps en plein air. La conserverie artisanale et le magasin de vente jouxtaient l’enclos.

Cet après-midi ne générerait pas le meilleur chiffre d’affaires de l’année pour les propriétaires… Un ruban de sécurité interdisait l’accès aux lieux. Plusieurs véhicules de gendarmerie stationnaient devant l’entrée. Derrière la clôture, des techniciens de scène de crime étaient à l’œuvre. Les porcs restaient confinés sous un auvent, temporairement privés de nourriture.

Arrivé sur place, Claude Maplède réprima un haut-le-cœur. Les techniciens étaient en train de recueillir des fragments humains déjà à moitié dévorés. Une main où il manquait plusieurs doigts, des morceaux de bras, de jambe, de torse… Pierre Leroy s’était à nouveau écarté. Il risquait de ne pas manger de saucisson ou de pâté avant un bon moment !

Bergui présenta à Maplède et à Leroy le substitut du procureur de Tarbes. Il s’agissait d’une jeune femme dont la mine défaite indiquait sans ambiguïté qu’elle aurait préféré être ailleurs. Le commissaire se dit qu’il était un peu vache d’envoyer une jeune magistrate sur une telle scène de crime. Mais il n’y avait sans doute pas moyen de faire autrement.

Devant l’entrée de la conserverie, le couple qui gérait la ferme depuis des années était effondré. Comment allaient-ils se remettre de cette catastrophe ? Combien de temps faudrait-il attendre pour que les clients reviennent acheter leurs produits ?

Des oiseaux de proie d’un genre différent s’étaient embusqués aux alentours : les journalistes ! On en dénombrait plusieurs, l’appareil photo prêt à prendre en rafale, ainsi qu’une camionnette de la télévision.

– A-t-on trouvé des traces de pneus ici aussi ? demanda Maplède à Bergui.

– C’est plus compliqué, car il y a beaucoup de passage et du bitume presque partout, sauf dans le parking réservé à la clientèle. Et ce n’est pas sûr qu’ils aient pris le risque de s’y garer. On va quand même tout relever et comparer avec celles de là-haut.

Un grand échalas aux cheveux en bataille et portant d’épaisses lunettes d’écaille se détacha du groupe des techniciens. Il vint à la rencontre des policiers.

– Bonjour, Docteur Sudre. Je suis le médecin légiste. Eh bien, quelle boucherie… !

– Vous avez pu recueillir quelques indices ?

– Difficile, vu l’état du corps. Bon, il s’agit d’un homme d’âge encore non précisé, mais je dirais quarante à cinquante ans. Les mutilations semblent avoir été effectuées post mortem. Mais il n’en est peut-être pas de même pour l’éviscération. Je viens de là-haut, dit-il en désignant la montagne, et il y avait beaucoup de sang sur place. Le décès remonte à au moins vingt-quatre heures. Disons, pendant le week-end. Vu la localisation des restes, on ne pouvait que les découvrir très vite. On va récupérer tous les morceaux et les emporter à Tarbes. Autopsie demain matin à neuf heures. Vous êtes conviés, bien sûr, précisa-t-il d’un air malicieux, avec cet humour noir des médecins légistes confrontés quotidiennement à l’horreur. On fera des analyses ADN et on les soumettra au FNAEG2. Je vous tiendrai au courant dès que j’aurai des résultats.

Le commissaire Maplède formula la question que tous se posaient :

– Bon Dieu, mais quel malade a pu faire ça ?

1 École nationale supérieure des officiers de police, située à Cannes- Écluse (77).

2 Fichier national automatisé des empreintes génétiques.

1

LA réquisition du procureur était arrivée le matin même au SRPJ1 de Toulouse. Étant donné le caractère singulier et violent de l’homicide, le magistrat souhaitait confier l’affaire à la Brigade criminelle. Les gendarmes étaient d’ailleurs les premiers à avoir réclamé son concours. Ils n’avaient jamais vu un cadavre réparti en plusieurs morceaux, les intestins étalés en hauteur sur la montagne, la tête méconnaissable posée un peu plus loin, les membres et le thorax mélangés à la nourriture pour un élevage de porcs dans la vallée ! Le commissaire Maplède et le lieutenant Leroy avaient dû sauter dans leur voiture et parcourir le plus vite possible les 150 kilomètres qui les séparaient de la gendarmerie de Vignec.

À présent, ils tentaient de se remettre de leurs émotions en dégustant une bière sur la terrasse du chalet du Pic Noir à Aulon. C’était le seul hôtel de ce village d’à peine quatre-vingt-dix habitants. Bergui leur avait conseillé l’établissement : ils seraient à pied d’œuvre pour la recherche de témoins éventuels et pourraient y coucher. Il paraissait en effet difficile de retourner ce soir à Toulouse, d’autant que l’autopsie était prévue le lendemain à neuf heures.

Le soleil brillait encore dans un ciel bleu intense, le spectacle des montagnes face à la terrasse était magique et on avait peine à imaginer la scène horrible qui s’y était déroulée.

– On y va quand vous voulez, proposa Bergui.

Il avait suggéré de les accompagner pour interroger les habitants. Comme ils le connaissaient tous, ils parleraient plus librement en sa présence. Les gendarmes avaient déjà recueilli le maximum de témoignages aux alentours de la conserverie à Vignec. Sans aucun succès. Personne n’avait remarqué quoi que ce soit d’anormal au cours des vingt-quatre heures précédentes. Il est vrai que l’élevage de porcs noirs était situé à l’écart du village. Quant à la famille qui gérait l’entreprise, ils ne se rappelaient pas avoir entendu de bruits de moteur ou autres.

Les trois hommes se mirent en route. Les quelques habitants croisés dans Aulon ne parlaient que de la découverte macabre. L’information avait circulé très vite ! Le maire vint les saluer et leur ouvrit, pour la forme, le local des chasseurs, en plein centre du village. Mais il paraissait évident que personne n’aurait pris le risque de se livrer au dépeçage du corps ici.

– Vous ne pensez quand même pas que cela puisse être quelqu’un de chez nous ? demanda le maire, visiblement catastrophé. C’est un endroit si paisible.

– Monsieur le maire, je l’espère comme vous, mais on ne peut rien exclure à ce stade de l’enquête. Nous en sommes aux premières constatations, répondit Maplède.

Le représentant de l’autorité municipale ne parut guère rassuré par cette réponse de Normand.

Ils revinrent bredouilles de leur expédition. Bergui les laissa dîner seuls au Pic Noir. Il fallait être d’attaque tôt le lendemain.

Heureusement, la cuisine de la patronne était excellente. Maplède renonça une fois encore à suivre son régime pourtant souhaitable.

1 Service régional de police judiciaire.

2

L’AUtopsie se déroula dans le service de médecine légale de Tarbes, au Centre Hospitalier de Bigorre. Maplède n’avait jamais assisté à une procédure aussi pénible.

Les fragments identifiables furent disposés de façon à reconstituer une ébauche de corps entier, comme un puzzle macabre. Beaucoup de viscères manquaient – les intestins récupérés à flanc de montagne avaient été recueillis dans une bassine et déposés dans la chambre froide. Il ne restait qu’une partie de la cage thoracique et quelques morceaux de membres. Les doigts et les orteils avaient disparu. Les porcs s’étaient déjà servis… Adieu le relevé d’empreintes digitales et la recherche de résidus sous les ongles. La tête était posée à l’extrémité du puzzle, tel un sinistre trophée.

Le docteur Sudre travaillait avec minutie, en quête du moindre indice utilisable malgré l’état de la dépouille. Il découpait maintenant la calotte crânienne, en prenant moult précautions pour ne pas blesser son aide qui tenait la tête. Après avoir extrait le cerveau, il le coupa en deux et l’inspecta.

– Comme vous avez pu le constater, rappela-t-il, la mâchoire et les dents ont été réduites en bouillie, on ne pourra pas étudier les empreintes dentaires. A priori, rien de particulier au niveau du cerveau.

Pierre Leroy saisissait tous les prétextes pour détourner les yeux du spectacle. Le plus souvent, il manipulait son portable à la recherche d’hypothétiques messages. Quant à l’adjudant-chef Bergui, il demeurait impénétrable. Un dur, celui-là, se dit le commissaire.

– Cette autopsie ne nous apporte pas grand-chose de plus, conclut le praticien. Sujet de sexe masculin, âgé de quarante à cinquante ans, décédé depuis vingt-quatre à quarante-huit heures. Les mutilations ont bien été effectuées post mortem. Il n’y a aucune trace de saignement sur les sections. Quant à la cause de la mort, c’est probablement l’hémorragie secondaire à l’éviscération. Il est aussi possible que la victime ait été étranglée juste avant, car l’os hyoïde est brisé, mais la tête a été séparée du cou très près de la mâchoire. Les lésions ont pu survenir lors de la décapitation, celle-ci a été effectuée de façon très grossière avec un instrument peu adapté, sans doute une scie.

Il s’interrompit un instant pour suivre du regard Pierre Leroy qui quittait précipitamment la salle d’autopsie.

– Les toilettes, première porte à droite dans le couloir, lança-t-il.

Puis il reprit le fil de sa conversation comme si de rien n’était.

– Il faut attendre les résultats des analyses ADN pour savoir si on a une chance de l’identifier.

– Quand ? demanda Maplède, impatient.

– Pas avant demain.

– Okay. Nous repartons à Toulouse cet après-midi. Merci encore pour votre aide, ajouta-t-il à l’intention de Bergui. On reste en contact et on se tient au courant dès qu’il y a du nouveau.

Il alla retrouver le lieutenant qui sortait des toilettes, livide. Décidément, le malheureux n’était pas à la fête pour sa première enquête !

3

LE lendemain à quatorze heures, Pierre Leroy entra dans le bureau du commissaire Maplède un quart de seconde après avoir frappé à la porte.

– Tu me parais bien pressé. Que se passe-t-il ?

– Je crois qu’on a identifié notre client, annonça Leroy.

– Ah, bravo ! Alors ?

– L’ADN de la victime concorde parfaitement avec un ADN enregistré au FNAEG. Il s’agirait de Pedro Ramirez, inscrit au fichier comme trafiquant de drogue.

– Bien. On commence à y voir plus clair. Mais s’il s’agit d’un règlement de comptes, le procédé est d’une violence inhabituelle ! On a voulu faire passer un message de menace à ses petits copains. J’appelle tout de suite Bergui.

Leroy s’installa dans un des fauteuils tandis que le commissaire composait le numéro de la gendarmerie.

– Allô, Bergui ? Maplède à l’appareil. Ça y est, on a identifié la victime : un trafiquant de drogue nommé Pedro Ramirez. Ça vous dit quelque chose ? … QUOI ?!

Leroy vit la stupéfaction et l’incrédulité s’afficher sur le visage de son supérieur au fur et à mesure qu’il écoutait son interlocuteur.

– Mais comment est-ce possible ? Et pourquoi ce putain de fichier n’est pas à jour ? Il faut absolument contacter les autorités espagnoles et aller vérifier sur place. J’attends votre feu vert pour nous mettre en route.

Maplède raccrocha, visiblement contrarié.

– Que se passe-t-il, Patron ?

– Il se passe que Pedro Ramirez est officiellement mort depuis deux ans, et enterré dans un village perdu de l’Espagne, près de la frontière. Maintenant, il va falloir obtenir une autorisation d’exhumation et tenter de savoir qui a été mis en terre à sa place ! On n’est pas sortis de l’auberge.

4

MALgre l’heure matinale, le soleil tapait fort sur le village abandonné de Muro de Bellós, situé à près de mille mètres d’altitude, non loin de la frontière. Le paysage était splendide. Maplède et Leroy contemplaient les ruines perchées sur un promontoire rocheux. Une seule des maisons semblait encore habitable.

– Il s’agit d’un des nombreux villages sacrifiés par le régime franquiste au nom du progrès, expliqua Bergui. La route d’Escalona à Muro de Bellós est restée fermée de 2002 à 2016, le village n’était accessible qu’en 4 x 4. Depuis, les bergers y conduisent de nouveau leurs animaux. Et quelques touristes y viennent aussi. Je crois qu’il y a un habitant officiellement déclaré ! Et il y a même des tombes récentes, dont celle qui nous intéresse.

Une plaque explicative trônait à l’entrée du hameau. Ils grimpèrent entre les maisons en ruines et trouvèrent un petit cimetière près des restes de l’église. La plupart des sépultures étaient anciennes, certaines étaient encore fleuries. Parmi celles-ci, Maplède repéra très vite celle du pseudo Ramirez. Elle comportait une simple plaque ronde en métal, sur laquelle était peinte à la main une inscription : Pedro Ramirez, 1/4/1965 – 24/7/2017.

– Il est né un premier avril. C’est une mauvaise blague ? hasarda Leroy.

Personne ne releva.

– Comment a-t-il eu l’autorisation de se faire inhumer ici ? intervint Maplède. La tombe la plus récente que j’ai vue date de 2000, et le village est inhabité.

– Je crois que ses ancêtres étaient originaires du village, répondit Bergui.

– Ils n’y sont pourtant pas enterrés, ou alors sous un nom différent, fit observer le commissaire, qui venait d’inspecter rapidement les autres tombes. On sait de quoi Ramirez était censé être mort ? Enfin, disons… officiellement.

– Crise cardiaque, d’après la rumeur. J’ai le nom du médecin qui a délivré le certificat de décès.

– On va lui rendre visite après. Bon, allons-y ! Voyons ce qu’il y a là-dessous.

Pedro Ramirez n’ayant plus aucune famille connue, seul un adjudant de la garde civile espagnole assistait à l’exhumation. Un technicien procéderait aux prélèvements ADN. Deux agents des pompes funèbres, revêtus de combinaisons protectrices, ouvraient déjà la fosse. Un cercueil en bois ordinaire apparut au fond.

Maplède et Leroy recouvrirent leur visage d’un mouchoir, se préparant à recevoir des émanations putrides lors de l’ouverture du cercueil. Comme à son accoutumée, Bergui affichait un calme olympien. Les deux hommes firent sauter le couvercle avec un craquement sinistre.

Aucune odeur désagréable ne parvint à leurs narines.

Les croque-morts s’immobilisèrent. Ils semblaient interloqués. Intrigués, les policiers s’approchèrent et se penchèrent au-dessus de la sépulture.

Le cercueil ne contenait qu’un amas de pierres.

5

–C’EST QUOI CE BORDEL ? tonna Maplède. On se rejoue La Nuit des morts-vivants ou Le Retour de Dracula ? Je veux voir le médecin qui a établi le certificat de décès et l’entreprise de pompes funèbres qui a procédé à l’inhumation. C’est eux ? ajouta-t-il en désignant d’un doigt menaçant les employés qui venaient d’ouvrir le cercueil. Ils sont forcément complices !

Les deux Espagnols, qui avaient deviné les accusations dont ils étaient l’objet, firent des gestes de dénégation frénétique. Bergui, qui parlait couramment espagnol, alla discuter avec eux.

– Ils n’y travaillent que depuis cette année expliqua-t-il à Maplède. Il y a eu un rachat de l’entreprise à la suite du décès de son propriétaire.

– Décidément, c’est une épidémie ! Allez, au boulot. Il faut qu’on sache.

Pour la première fois, le visage de Bergui exprima un certain agacement devant ce qui ressemblait à un ordre. Mais il ne releva pas cette maladresse due à la mauvaise humeur du commissaire.

– On va commencer par les pompes funèbres. Ils auront sans doute le nom du médecin qui a signé le certificat de décès. Je vais demander à mon collègue de la garde civile de nous accompagner.

Le groupe remonta dans les voitures, laissant les employés refermer la fosse vide, et prit la route d’Escalona.

*

La visite à l’entreprise de pompes funèbres fut décevante. Le nouveau propriétaire, Manuel Berdugo, ne connaissait pratiquement rien des gérants précédents. Il avait racheté le fonds de commerce après le décès du patron et de ses deux employés dans un accident de la circulation. Le corbillard était tombé dans un ravin avec ses trois occupants alors qu’il partait chercher un défunt dans une commune voisine. « Quelle histoire », s’exclama l’homme en espagnol. « Bien sûr, les accidents de la route, ça peut arriver à tout le monde, mais là…, et en plus, un jour d’enterrement ! » Malgré l’aide précieuse de Bergui qui faisait l’interprète, ils n’avançaient pas ; les pistes se dérobaient devant eux au fur et à mesure.

L’ex-propriétaire laissait derrière lui une veuve qui ne connaissait rien de l’exploitation, leur précisa Berdugo. Heureusement, les registres de l’exercice précédent existaient toujours, et il put retrouver le nom du médecin qui avait signé le certificat de décès. Il s’agissait d’un certain Docteur Alberto Torres ; domicilié à Bielsa, une petite ville de 500 habitants, plus proche de la frontière, à une trentaine de kilomètres.

– C’est là-bas qu’il est censé être mort ? demanda Maplède.

– Non, le lieu indiqué est bien Escalona. Peut-être sa famille connaissait-elle ce docteur ?

– Sa famille ? Il n’avait plus de famille !

– Ou alors c’est lui qui le connaissait, je ne sais pas. Le domicile indiqué sur le certificat est Muro de Bellós.

– Mais le village est abandonné ! fulmina le commandant. Vous m’avez dit qu’il n’y avait qu’un seul habitant répertorié ! ajouta-t-il à l’intention de Bergui.

– Je ne peux rien vous dire de plus, je n’étais pas encore là, répondit Manuel Berdugo par Bergui interposé.

– Bon… Il ne nous reste plus qu’à filer à Bielsa !

*

Le ravissant village de Bielsa, traversé par une rivière, était situé à mille mètres d’altitude, au milieu d’un somptueux paysage montagneux. La mauvaise humeur de Maplède monta d’un cran lorsque les premiers habitants rencontrés déclarèrent ne jamais avoir entendu parler du docteur Torres ! Il s’agissait de jeunes gens et ils obtinrent heureusement des réponses plus précises du patron de l’Hostal Vidaller, au centre du village.

– Ah, mais le docteur Torres est parti depuis au moins six mois ! Il a été remplacé par le docteur Felipe Aznar. Son cabinet est à cent mètres d’ici, à côté de l’église.

Le docteur Aznar les reçut avec amabilité, entre deux patients, mais ne put les renseigner davantage.

– Je me suis installé ici il y a sept mois. Le docteur Torres avait fait passer une annonce peu de temps auparavant. Il semblait pressé de vendre sa clientèle. Moi aussi, je cherchais un cabinet médical à reprendre. On a pu conclure l’affaire très vite.

– Mais il vous a dit pourquoi il voulait partir et où il comptait aller ?

– Ce n’était pas très clair. Il m’a laissé entendre qu’il avait touché un héritage important et qu’il voulait changer de vie, mais ne m’a donné aucune indication quant à ses projets. C’est vrai qu’il n’a pas demandé un prix élevé pour la reprise de son cabinet. Mais que se passe-t-il ? Pourquoi le cherchez-vous ? C’est grave ?

– On ne peut pas trop vous en dire pour l’instant. C’est dans le cadre d’une enquête criminelle. Il n’était pas directement impliqué. Mais si vous avez la moindre nouvelle ou si vous vous rappelez quoi que ce soit, prévenez tout de suite la garde civile.

À peine sorti, le petit groupe s’installa à la terrasse d’un café au soleil, à la demande de Maplède, qui voulait faire le point avant le déjeuner.

– Nous avons donc un truand tué dans des conditions horribles, comme pour faire un exemple. L’homme s’était fait passer pour mort depuis deux ans, sans doute pour échapper à ceux qui le recherchaient. Il a bénéficié de la complicité d’un médecin qui a rédigé un faux certificat de décès, et d’une entreprise de pompes funèbres qui a enterré un cercueil rempli de pierres. Le patron de l’entreprise en question et ses deux employés ont péri dans un accident de la circulation quelques mois plus tard. Peu de temps après, le médecin a vendu son cabinet et a disparu.

– Est-il encore vivant ? intervint Leroy.

– C’est la question à se poser. On a effectivement l’impression que les témoins de cette fausse mort ont été systématiquement éliminés. Après ce qui est arrivé aux membres de l’entreprise de pompes funèbres, le docteur Torres a dû se dire qu’il était en danger et c’est pour ça qu’il s’est enfui. Bergui, pouvez-vous demander à nos collègues espagnols d’étudier toutes les informations disponibles sur cet accident de corbillard ? Il faut également lancer un avis de recherche pour le docteur Alberto Torres, en sachant qu’il se cache probablement sous une fausse identité – s’il est encore de ce monde. Son soi-disant héritage correspondait sans doute au prix de son mensonge, mais aura-t-il eu le temps d’en profiter ? Quant à nous, nous allons nous renseigner sur ce cher Pedro Ramirez et ses fréquentations antérieures. Et aussi retrouver de notre côté le docteur Torres, qui a très bien pu passer la frontière et se planquer en France. Au boulot ! Ça ne va pas être facile… Dites-moi, Bergui, avez-vous du nouveau sur les empreintes de pneus relevées dans la montagne, près du… des intestins de Ramirez ?

– Ce sont des Michelin analogues à ceux qui équipent les Nissan Navara 4 x 4. Mais ces véhicules sont très courants dans la région. On ne pourra étudier la correspondance avec les empreintes que lorsqu’on aura un véhicule « suspect ».

6

–ALLÔ, PATRON ?

– Tu me fais le coup de la publicité Lidl, là ? gronda Maplède, impatient.

Au bout du fil, Pierre Leroy ne put s’empêcher de rire.

– Mais non, Patron, je voulais vous tenir au courant de nos recherches.

– Vas-y.

– Bon voilà : Bergui m’a appelé. Comme on pouvait s’y attendre, le décès des trois croque-morts a été considéré comme accidentel. Le boss conduisait façon kamikaze, c’était de notoriété publique. Qu’il se balance dans un ravin à la sortie d’un virage un peu serré n’a surpris personne. Le corbillard n’a pas vraiment été regardé de près.

– Merde !

– Attendez, Patron, il y a une bonne nouvelle.

– Quoi donc ?

– À ma demande relayée par Bergui, la garde civile a contacté l’épaviste qui a récupéré le fourgon après l’accident. Il a pris du retard dans son travail et n’a pas encore détruit le véhicule. On va pouvoir l’examiner.

– Quand ?

– Je suis à Vignec. On part dans quelques minutes.

– Bien joué, bravo ! Rien d’autre ?