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L'autrice best-seller de romances lesbiennes, Harper Bliss, vous invite à découvrir une histoire aussi délicieuse qu'interdite, sur l'amour impossible pour la personne qu'on ne devrait jamais aimer.
Kate est mariée à Kevin depuis dix ans, mais leur rêve brisé de devenir parents a fragilisé leur relation.
Alors que Kevin tente de se remettre en rénovant leur maison, Kate se retrouve à vivre dans la dépendance de sa belle-mère, passant beaucoup de temps avec Stella, la sœur gâtée de Kevin.
Stella se prépare pour une audition cruciale pour sa carrière, mais elle est heureuse d'accueillir son frère et sa femme—même si elle pense que Kate ne l'apprécie pas vraiment.
En l'absence de Kevin, Kate et Stella se rapprochent en partageant leurs coups de cœur secrets, en parlant de stars sexy du cinéma, et en allant à des fêtes glamour.
Jusqu'à ce qu'une nuit, après un peu trop de tequila, leur complicité dépasse les limites...
Procurez-vous votre exemplaire dès maintenant et suivez Kate et Stella dans leur aventure passionnante et inattendue vers l'amour !
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Seitenzahl: 429
1. Kate
2. Stella
3. Kate
4. Stella
5. Kate
6. Stella
7. Kate
8. Stella
9. Kate
10. Stella
11. Kate
12. Stella
13. Kate
14. Stella
15. Kate
16. Stella
17. Kate
18. Stella
19. Kate
20. Stella
21. Kate
22. Stella
23. Kate
24. Stella
25. Kate
26. Stella
27. Kate
28. Stella
29. Kate
30. Stella
31. Kate
32. Stella
33. Kate
34. Stella
35. Kate
36. Stella
37. Kate
38. Stella
39. Kate
40. Stella
41. Kate
42. Stella
43. Kate
44. Stella
45. Kate
46. Stella
Un message de Harper
À propos de Harper Bliss
Bien que ce soit moi qui aie imaginé jusqu’au moindre détail cet endroit sublime, je n’ai pas envie d’y vivre. À bientôt quarante ans, j’emménage dans le pool house de ma belle-mère. Ce n’était pas censé se passer comme ça.
« Tu veux un coup de main ? » lance Stella depuis la chaise longue où elle se prélasse au bord de la piscine.
Je me retourne, elle n’a même pas levé les yeux du scénario qu’elle étudie - comme s’il avait pu échapper à qui que ce soit dans cette famille qu’elle auditionnera dans quelques jours pour un rôle important aux côtés de Nora Levine.
« Tiens, ma puce. » Kevin me tend une bouteille d’eau. « C’est juste pour quelques semaines. » Il me pose délicatement la main sur l’épaule. « En un rien de temps, notre maison sera finie et plus belle que jamais. Je te le promets. »
J’aimerais tellement croire mon mari. J’aimerais le croire avec la même fougue que celle avec laquelle j’ai dit « oui » le jour de notre mariage. Mais il s’est passé - ou non - tant de choses depuis.
« Je ne proposerai pas une deuxième fois ! » prévient Stella.
Je peste : « On vient à peine de s’installer et les manières d’enfant gâtée de ta sœur me tapent déjà sur les nerfs.
— Sois indulgente, répond Kevin, comme je m’y attendais. Elle se prépare pour…
— Je sais. » Je prends une profonde inspiration. « Et je suis désolée. » Rien de tout cela n’est de la faute de Stella, bien qu’elle soit indéniablement une gosse gâtée, convaincue, depuis que je la connais, qu’elle ne va pas tarder à percer.
« Je passe par la maison une dernière fois pour récupérer le reste de nos affaires. » Kevin m’embrasse sur la joue. « Essaie de commencer à trouver tes marques. Ou va traîner avec mon adorable petite sœur près de la piscine », ajoute-t-il avec un sourire.
Je lève les yeux au ciel et soupire, ce qui n’a aucun effet sur la situation dans laquelle je me trouve. Je jette un regard vers Stella, qui soliloque, répétant son texte, comme s’il n’y avait personne d’autre dans le jardin de sa mère.
« J’espère que je ne te dérange pas trop. » Grommeler est une façon comme une autre d’évacuer ma frustration.
« Tu ne me déranges jamais, Kate. » Stella pose son script et se redresse. Son sourire paraît assez sincère. Elle sait pourquoi nous sommes là. Peut-être n’est-elle pas autocentrée au point d’être incapable de faire preuve d’un tantinet de compassion envers son frère et son épouse stérile. « C’est super que Kev et toi créchiez ici. Plus on est de fous, plus on rit, maintenant que Maman a fait venir Keanu. »
Je m’assieds dans le fauteuil à côté du sien. « Du moment que tu ne comptes pas sur moi pour te faire à manger. »
Stella fait non de la tête. Elle me regarde, sans un mot. Son chemisier s’est entrouvert et elle ne porte rien d’autre en dessous qu’un minuscule bikini.
« Pour info, reprend-elle après quelques secondes, Keanu nous prépare un grand dîner de famille ce soir. » Le vrai prénom du petit ami de Mary n’est pas Keanu, mais Stella l’appelle ainsi en raison de sa ressemblance avec Keanu Reeves époque Point Break, le côté surfeur cool inclus. « Ça devrait être sympa. » Dire que Stella n’approuve pas le choix de sa mère en matière de compagnon est un euphémisme - sans doute parce que l’attention de sa mère ne lui est plus toute consacrée. Tant mieux pour Mary, je trouve. Et Keanu - qui se prénomme en réalité Nathan - est très agréable à regarder.
« Je trouve ça sympa, justement », dis-je.
« Kevin n’est pas fan de lui non plus, tu sais.
— Je suis au courant. » Mais Kevin fait preuve d’une maturité suffisante pour ne pas le montrer à chaque opportunité. Kevin respecte assez sa mère pour accepter qu’elle soit heureuse avec qui elle veut. Mais c’est trop demander de quelqu’un comme Stella, qui vit toujours chez sa mère à vingt-huit ans parce qu’à l’entendre, elle n’aura les moyens de s’installer ailleurs que lorsqu’elle aura « percé ». Certes, les loyers à L.A. sont raides, mais Stella pourrait déménager si elle le souhaitait vraiment. Elle est bien trop chouchoutée chez Mary pour ça. La preuve, elle répète sa future audition au bord de la piscine…
« Comment ça se passe ? » Je désigne le scénario, je n’ai plus envie de parler de Nathan derrière son dos. Même si ça m’oblige à entrer dans le jeu de Stella. Au moins comme ça, je n’ai pas non plus besoin de parler de moi, ni de la raison pour laquelle Kev et moi avons atterri ici.
« J’ai jamais eu un trac pareil de toute ma vie. » Stella m’a l’air plutôt sûre d’elle. « Même pas quand il a fallu que j’embrasse Faye Fleming. »
J’essaie de ne pas lever les yeux au ciel mais je ne parviens pas à m’empêcher de glousser comme une adolescente quand elle prononce le nom de Faye. J’ai toujours eu un faible pour Faye Fleming et mon agaçante belle-sœur a eu la chance de jouer son amante lesbienne à l’écran, ce qu’elle ne manque pas de me rappeler dès qu’elle en a l’occasion.
Si c’était n’importe qui d’autre, je lui proposerais de l’aider à répéter son texte, mais c’est Stella, l’insupportable petite sœur de Kevin, et aujourd’hui en particulier, je n’en ai pas la force.
« Je suis certaine que tu vas cartonner. » Mes mots s’évanouissent dans un soupir.
« Dis-moi, Kate. » La voix de Stella s’adoucit. « Tu vas bien ? Ça doit être rude pour toi, aujourd’hui. »
Je passe la main dans mes cheveux et inspire profondément. « C’est vraiment ce que veut Kev. Il veut nous donner une sorte de nouveau départ, comme si c’était possible. Une nouvelle maison où retourner après… » Ça reste difficile à dire, mais Stella sait.
« Kev est comme ça. Il a besoin de s’occuper. De construire quelque chose. C’est comme ça qu’il gère. »
Je hoche la tête.
« Et toi, tu… gères comment ? » demande Stella.
Je ne gère pas, et je me contente donc de hausser les épaules.
Je sursaute en sentant la paume de Stella sur mon épaule. « Faye et Ida organisent une soirée pour l’équipe du film le lendemain de la première, la semaine prochaine. Ça te dirait de m’accompagner ?
— Faye Fleming et Ida Burton ?
— Oui. » Stella me gratifie d’un grand sourire. Elle n’est peut-être pas si terrible que ça. J’ai peut-être été trop absorbée par les épreuves que je traversais pour accorder à ma belle-sœur le bénéfice du doute.
« Tu veux m’emmener à leur soirée ? » Je pose une main incrédule sur ma poitrine.
« Absolument. » Pour la première fois, peut-être, depuis que je l’ai rencontrée, l’idée que Stella Flack pourrait effectivement devenir une star de cinéma ne me paraît pas farfelue. Elle a le genre de sourire ravageur qui éblouit les décideurs d’Hollywood, et ce côté fille-toute-simple-mais-pas-que auquel les spectateurs ne résistent pas.
« Carrément ! » Je hurle. « Merci mille fois.
— Ça sert à ça, la famille, répond Stella. À se réconforter mutuellement. »
Ma mère est la personne la plus intelligente que j’aie rencontrée de toute ma vie. Elle a construit les merveilles architecturales les plus extravagantes dans le monde entier et pourtant, elle est absolument incapable de choisir un homme digne d’elle. Je comprends ce qu’elle trouve à Keanu, cela dit. Ce garçon est un pur régal pour les yeux. Un beau gosse à arborer à son bras quand elle est invitée à un cocktail. L’équivalent masculin d’une potiche. Encore heureux qu’ils ne soient pas mariés ! D’accord, Keanu est canon, mais ça n’a rien d’étonnant, il est à peine plus vieux que moi. Un an et sept jours, très exactement. Il pourrait être l’un des mecs avec qui je discute dans un bar branché d’East Hollywood. Tout ce qui lui manque, en fait, c’est un man bun. Au lieu de ça, sa chevelure encadre élégamment ses joues, dans une coupe très années 90 qui lui permet de glisser une mèche derrière son oreille, un geste charmant qui fait craquer Maman. Je le sais parce qu’elle le lui a dit devant nous, ses propres enfants, dont l’un est plus âgé que Keanu.
Cette situation m’agace au plus haut point, mais comme me l’a fait remarquer mon frère récemment, alors que je pestais à nouveau contre Keanu: personne ne m’oblige à vivre ici. Je pourrais trouver un endroit à moi, ce qui m’aiderait peut-être à mieux supporter le play-boy de ma mère. Je n’aurais pas à le voir en caleçon le matin, avec ses pectoraux au garde-à-vous et ses biceps magnifiquement sculptés. Mais c’est aussi chez moi, ici. J’ai grandi dans cette maison. J’y ai vécu toute ma vie, et, pour moi, l’intrus, c’est Keanu. Si quelqu’un doit partir, c’est lui.
Maman s’approche de la table de la salle à manger. « Ma chérie, dit-elle en me prenant doucement par les épaules avant de m’embrasser sur la joue. Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, sache que je serai accompagnée de Nathan pour la première de ton film, la semaine prochaine. »
Je suis tentée de me dégager de son étreinte impromptue, mais je me laisse amadouer par sa mention du film dans lequel je joue un rôle certes petit mais non négligeable. Ma mère sait s’y prendre avec moi. Elle m’a élevée, elle sait me caresser dans le sens du poil.
« Devinez qui a réussi à se faire inviter à l’after chez Faye Fleming et Ida Burton ? » Kate a visiblement du mal à cacher son excitation. Elle pointe ses deux pouces vers sa très jolie poitrine. « C’est bibi ! » Elle m’envoie un baiser, ce qui ne lui ressemble pas du tout. Ma belle-sœur n’est pas ma plus grande fan, j’en ai conscience, mais mon frère et elle en ont bavé. La vie ne les a pas épargnés. Et puis, c’est la famille.
« Ça alors! » La pression de la main de ma mère sur mon épaule s’accentue. « Tu n’emmènes pas Hayley ? Elle va être déçue.
— Hayley n’est pas ma petite amie, je ne suis pas obligée de l’emmener partout.
— C’est exact, répond ma mère, avant qu’un bref silence ne s’installe.
— Ma mère écoute encore tout le temps ses vieux disques des Lady Kings. » Que son commentaire remette encore son scandaleusement jeune âge au centre de l’attention ne dérange manifestement pas Keanu le moindre du monde.
Que pense sa mère du fait qu’il sorte avec une femme qui a presque le double de son âge ? Je guette des signes de désarroi sur le visage de Maman à l’évocation de sa propre mère par Keanu mais je n’en vois aucun. Elle a zéro état d’âme sur leur histoire. J’en ai bien assez pour nous deux.
« J’espère que Kevin ne va pas tarder. » Maman regarde ostensiblement sa montre. Pas grand-chose ne la perturbe, mais elle ne supporte pas qu’on soit en retard, surtout si son petit ami a préparé le dîner. Elle pousse un soupir.
On sait tous que Kev va être à la bourre parce qu’il s’est laissé embarquer par la rénovation de leur maison, à Kate et à lui - maison qui est déjà parfaite puisque ma mère et lui l’ont dessinée - et qu’il a perdu la notion du temps. Parce qu’à l’heure actuelle, c’est la seule chose qui lui permet d’oublier qu’il ne sera pas père, en tout cas pas dans l’immédiat, et peut-être jamais. Pour cette même raison, Maman lui a déjà pardonné son retard.
Je lance un œil en direction de Kate. Elle semble résignée à l’absence de Kevin. À ce qu’il ait dit il y a trois heures qu’il passait chercher des affaires et qu’il ne soit toujours pas de retour. Qu’il la laisse seule avec ses émotions. Il est comme ça, mon frère. Il a intérêt à être là à ma première, en revanche, bien que s’il la loupe, je serai obligée de lui pardonner immédiatement, moi aussi.
« Je n’arrive pas à croire que je vais rencontrer Faye Fleming. » Apparemment, Kate gère ses émotions à sa manière. Cela dit, elle n’a jamais caché qu’elle pourrait « virer sa cuti pour Faye », au contraire. « Je crois que je commence à peine à réaliser que tu as joué le rôle de son amante. » Elle me fixe du regard.
Je lui souris, puis caresse mes lèvres du bout des doigts. « Ces lèvres ont touché celles de Faye. »
Rien ne me fait plus plaisir que d’attirer les regards, de chercher l’attention, et tout ce qui peut distraire cette famille en ce moment est bienvenu. C’est peut-être pour ça que ma mère a toujours soutenu mon rêve de devenir actrice. Il y avait déjà bien assez de gens cérébraux et hyper sérieux dans cette famille.
Kate joue le jeu et porte ses mains à sa bouche. « Tais-toi, Stella. Ne me fais pas rougir. »
« J’ai hâte de voir ton film, ma chérie. » Maman nous observe, amusée. Elle est toujours super cool et bienveillante. Elle mériterait que je fasse un effort avec Keanu… avec Nathan, mais c’est dur. Je dois être encore trop immature. En plus, ma chambre est au même étage que la sienne et je ne suis pas sourde. J’entends des choses que les oreilles d’une fille ne devraient jamais avoir à subir. J’aurais dû m’installer dans le pool house dès qu’elle a ramené Keanu, mais j’ai laissé passer ma chance.
« On ne peut pas dire que ce soit mon film, Maman. » Ma voix dégouline de fausse modestie. J’incarne Cleo Palmer, l’amante beaucoup plus jeune qu’elle de la légende queer du rock Lana Lynch, et Cleo n’est pas dans la vie de la chanteuse depuis assez longtemps pour que je sois beaucoup à l’écran dans un biopic. C’est un petit rôle mais il est important à sa façon. Cleo représente la rédemption de Lana, c’est pas rien. Et j’ai embrassé Faye Fleming. Si c’est la seule raison qu’a ma belle-sœur de me respecter, je prends.
« N’empêche, je suis impatiente de te voir interpréter la petite amie d’une femme nettement plus âgée », poursuit Maman en enlaçant Nathan d’un bras.
— Touché », remarque Kate.
Je peux difficilement me cacher derrière la fiction. C’est un film biographique et il n’y a rien de romancé. « D’accord, j’avoue, je suis une hypocrite. » Mais ça n’a rien à voir quand il s’agit de sa propre mère. Lana Lynch n’a pas d’enfants. Je ne peux rien dire de tout ça à voix haute, mais c’est la vérité.
« Je vous ai dit que j’avais une audition pour le projet hyper-médiatisé de Nora Levine la semaine prochaine ? » Je préfère qu’ils se moquent de mon égocentrisme que de mon incapacité à accepter Nathan dans notre famille.
« Difficile d’oublier, ma chérie », dit Maman.
Kate se contente d’un de ses soupirs dédaigneux les plus spectaculaires.
Le seul qui m’adresse un sourire d’encouragement est le candidat au poste de beau-père, Nathan.
Est-ce à cause des circonstances actuelles de notre vie - mon ventre stérile, les minables semences de mon époux - que j’ai compté les heures jusqu’à la projection ? On n’a pas toutes les semaines l’occasion d’assister à la première d’un film dans lequel joue sa belle-sœur. Surtout pas un film dont la tête d’affiche n’est autre que Faye Fleming. Faye et Ida ne sont pas les seules stars que j’ai reconnues. Lana Lynch et The Lady Kings sont là. Ainsi que la petite amie de Lana, Cleo Palmer, et son groupe The Other Women. Et tout à l’heure, quand le tour des people est venu de faire leur entrée dans la salle de cinéma où nous autres, simples mortels, patientions depuis plus d’une demi-heure, j’aurais juré avoir repéré Sadie Ireland de King & Prince. Les rediffusions de cette série m’ont apporté un réconfort inattendu mais considérable pendant les nuits d’insomnie qui ont suivi l’implosion de mes rêves de maternité.
Pour parfaire le tout, Stella m’emmène chez Faye et Ida demain soir, à Malibu, pour une fête qui s’annonce prestigieuse. C’est peut-être futile, mais j’ai besoin de me changer les idées. Contrairement à la plupart de mes camarades de classe, je n’ai jamais rêvé secrètement de devenir actrice. J’étais bien trop occupée à redécorer ma chambre puis, quand je m’en lassais, celle de mes parents ou le salon. Je n’ai jamais eu d’autre envie que de devenir décoratrice d’intérieur… et mère. L’un de ces deux rêves s’est réalisé. L’autre vraiment pas. Alors pourquoi ne pas me laisser emporter par la fascinante histoire de Lana Lynch ? Je n’ai jamais rien vu de tel. Faye Fleming est quasiment méconnaissable avec la coupe de cheveux funky et les tenues en cuir de la rockeuse. Une chose est sûre, elle est à la hauteur. Je me demande ce que Lana ressent en voyant sa vie portée à l’écran. J’aurai peut-être l’occasion de lui poser la question à la fête, demain soir.
« Et voilà! » Mary, qui a d’ordinaire la tête bien vissée sur les épaules, est surexcitée depuis que nous avons quitté la maison. « Le grand moment est arrivé. » Peut-être est-ce l’euphorie de voir enfin sa fille dans un rôle un peu plus substantiel que ses quelques répliques habituelles. Ou peut-être est-elle juste extrêmement fière de Stella, qui a été choisie parmi des milliers de postulantes pour interpréter Cleo Palmer. Ce doit être exaltant pour une mère… Non, je refuse de laisser mes pensées se tourner vers l’enfant que je n’aurai peut-être jamais, la fierté maternelle que je ne ressentirai peut-être jamais. Je réponds à Mary d’un hochement de tête et reporte mon attention sur le film.
À l’écran, Faye et Stella, dans la peau de Lana et Cleo, chantent en duo et l’alchimie entre elles est volcanique. À l’époque où Stella tournait ce film, il y a maintenant plus d’un an, Kevin et moi tentions une nouvelle FIV et j’étais trop obnubilée par les effets des hormones pour prêter attention à ma belle-sœur et à ses histoires d’imminente gloire hollywoodienne. Et je consacrais le peu d’énergie qu’il me restait à un projet de rénovation très lucratif dont j’avais la charge. Pour être honnête, de façon générale, je n’ai jamais prêté beaucoup d’attention à la sœur de Kevin. Jusqu’à présent.
Elle se débrouille très bien face à Faye, qui est sensationnelle même quand elle n’est pas au mieux de sa forme. J’ignore pourquoi, mais jusqu’à très récemment, je n’ai jamais vraiment cru que Stella pourrait devenir une star de cinéma. Et pourtant la voilà, sur le grand écran du Dolby Theatre, qui mime un duo voluptueux avec Faye, et ça lui va drôlement bien. Comme si elle était faite pour ça.
« C’est mon bébé », murmure Mary à côté de moi.
Kevin enroule ses doigts autour des miens. C’est un grand jour pour les Flack. Pour le meilleur et pour le pire, je suis une Flack depuis un moment. Et notre famille a bien besoin d’une journée comme celle-ci, où les choses sont au beau fixe, ou en tout cas semblent pouvoir tourner en notre faveur pendant quelque temps. Grâce à Stella.
On en est à l’acte final du film et la relation entre Lana et Cleo évolue rapidement. Elles sont dans une loge, en coulisses, quelque part. Elles se rapprochent, si près que leurs lèvres se touchent presque. La caméra zoome sur le visage de Cleo et j’ai l’impression que c’est moi que Stella regarde. À ce moment-là, ma belle-sœur, la gamine dont j’ai toujours pensé qu’elle n’arriverait pas à grand-chose, embrasse Faye Fleming sur la bouche, et je sais que je ne regarderai plus jamais Stella de la même façon. Parce que c’est un sacré baiser. Il ne fait aucun doute pour moi que Lana et Cleo étaient extrêmement amoureuses - et extrêmement attirées l’une par l’autre - à ce stade de leur vie, parce que Faye et Stella me le font ressentir jusqu’au plus profond de mon être.
* * *
« Ça devrait être interdit de voir sa propre sœur faire ça », s’émeut Kevin sur le chemin du retour.
« Ne sois pas si prude, rétorque Mary, qui est au volant. C’est de l’art. Voilà tout.
— De l’art, mon cul. » Kevin semble chercher mon soutien du regard mais, ne voyant rien venir, il abandonne.
Le film m’a laissée quasiment sans voix. Certes, l’histoire de Lana était incroyable. Oui, Faye Fleming était extraordinaire, comme on pouvait s’y attendre. Mais je ne cesse de penser à ce baiser. Je ne cesse de penser à Stella en train d’embrasser Faye.
Mary et Kevin continuent de se chamailler, comme d’habitude, comme tout parent et son enfant quand ils travaillent ensemble et passent, par conséquent, beaucoup trop de temps l’un avec l’autre, mais je les ignore.
Pour la première fois depuis que Kevin et moi avons décidé de nous épargner une nouvelle tentative d’IVF éprouvante, et vraisemblablement vaine, mes pensées ne se tournent pas naturellement vers la chambre d’enfant qui, depuis des années, est prête à accueillir un bébé. Vers le berceau vide. L’inutile rocking-chair. La palette de pastels, jolie mais horripilante, que j’avais choisie. Les biberons en rang dans le placard de la cuisine. Les minuscules vêtements que notre enfant ne portera jamais.
Au lieu de ça, mon esprit revient sans cesse à Stella. Elle jouait un rôle, je le sais. Ce n’est même pas de Stella qu’il s’agit. C’est de ce que j’ai ressenti en la regardant embrasser Faye - ou Lana, si vous préférez. Ça m’a paru réel. Tangible. Quelque chose à quoi me raccrocher dans cette période de ma vie où tout semble sujet à discussion, où tout ce que j’ai toujours désiré est remis en question. Où je ne sais même plus qui je suis si je ne deviens pas mère… Si je suis une femme qui n’a jamais porté son propre enfant en elle.
Je n’ai qu’une envie, me cramponner à la sensation que m’a apportée ce baiser, juste pour ne pas avoir à sombrer de nouveau dans l’obscure torpeur de mon cerveau. Le choix est simple: revivre le baiser de cinéma de Lana et Cleo encore et encore, goûter l’élan de joie - modeste mais pur - qu’il déclenche, ou me confronter au fait que mon utérus est hostile et que le sperme de Kevin n’y est pas le bienvenu. Et à la douleur de savoir que la FIV a fonctionné par deux fois, que j’ai, dans les faits, été enceinte deux fois, mais pour quelques semaines seulement. Kevin et moi avons été embarqués dans un cycle répétitif d’espoir et de découragement, qui n’a conduit qu’à un chagrin plus grand encore. Les séquelles qui perdurent dans un mariage sont gigantesques. Les accusations tacites. La culpabilité secrète. Toutes ces choses qu’on ne peut pas dire et toutes ces choses que l’on dit alors qu’on devrait les taire.
Le choix est facile. Qu’il me faille utiliser ma belle-sœur pour m’extraire quelques instants de ce deuil ne me pose pas de problème. C’est la famille. C’est à ça que sert la famille, elle l’a dit elle-même l’autre jour. Ce n’est qu’une pensée, de toute façon. C’est un film. Une illusion. Un baiser factice qui me fait ressentir toutes sortes d’émotions factices, avec juste ce qu’il faut de véracité pour atténuer ma souffrance. C’est parfait, en fait. Comme un médicament sans effets secondaires. Ce n’est même pas un crush, même si j’en ai un pour Faye Fleming depuis une éternité. Depuis bien avant qu’elle se mette en couple avec Ida Burton et adopte…
Adoption. Le mot suffit à m’arracher à cet instant de répit. Je ne veux pas penser à l’adoption. Pour toutes sortes de bonnes et de mauvaises raisons, pour le moment je ne vais penser qu’à moi. À comment m’en remettre. Comment reconstruire ma vie, comme Kevin reconstruit notre maison.
À notre arrivée à la maison, Mary monte directement, entraînant Nathan avec elle. Lève-tôt invétérée, elle a sans doute une douzaine de rendez-vous importants demain, comme toujours.
« Je suis épuisé, moi aussi », dit Kevin. Rien de surprenant à ça, vu qu’il s’est attribué un autre travail à plein temps. « Tu viens, ma puce ?
— Je vais m’asseoir dehors un instant. Me détendre avec un verre de vin au bord de la piscine.
— D’accord. » Il passe ses bras autour de ma taille et me serre contre lui. Il plonge le nez dans mes cheveux. « Ça va, nous deux ? Demande-t-il.
— Toujours. » Je ne sais pas si je mens ou non. Qu’importe. C’est mon mari et parfois, je dois lui dire ce qu’il a besoin d’entendre, même si ce n’est pas complètement vrai.
Lorsque je rentre, je suis beaucoup trop excitée pour aller me coucher immédiatement… et je veux être sûre que Maman et Nathan dorment profondément. Je sors dans le jardin boire un verre bien mérité, et je trouve Kate, les pieds dans l’eau. J’ai été embarquée par la presse après la projection et je n’ai pas eu l’occasion de demander à ma famille ce qu’ils avaient pensé du film, même si Maman m’a envoyé quelques SMS avant qu’ils partent pour me dire à quel point elle est fière de moi. Mais je savais que ma mère allait adorer. Je suis bien plus curieuse de connaître la réaction de ma belle-sœur à mon premier film digne de ce nom.
« Coucou. » Je retire mes chaussures et l’imite. « Il est tard. Qu’est-ce que tu fais encore debout ?
— Je t’attendais, en fait. » Kate me regarde bizarrement.
« Moi ? » Je porte une main à ma poitrine en feignant la surprise. « Mais pourquoi donc ? »
Kate me donne un léger coup de coude. « Tu es une star de cinéma maintenant. Je ne peux pas simplement aller me coucher dans le pool house de ta mère comme n’importe quel soir de la semaine.
— Tu veux dire, maintenant que tu m’as vue embrasser Faye ? »
Ses lèvres s’étirent dans un sourire. « En plein dans le mille.
— Ça va être un problème pour toi de la rencontrer demain ? » C’est agréable de pouvoir papoter avec Kate comme ça. On n’a jamais été très proches, elle et moi, et je me suis toujours dit que c’était parce que nous étions à des moments différents de nos vies, entre elle qui tente d’avoir des enfants et moi qui tente de faire décoller ma carrière. Et en même temps, j’ai jamais réussi à m’enlever de l’idée qu’elle ne m’apprécie pas des masses, en réalité.
« Je te promets de bien me tenir.
— Nan. » Mon épaule touche la sienne. « Fais-toi plaisir. Éclate-toi.
— Mais sérieusement, Stella. » Elle se tourne pour me regarder dans les yeux. « Tu étais époustouflante. Vraiment. Je ne le dirais pas si je ne le pensais pas du fond du cœur. Kev était un peu contrarié de devoir regarder ton personnage embrasser et caresser un autre être humain, mais bon, c’est ton grand frère.
— Merci. » Étrangement, ça me touche beaucoup venant de Kate, en tout cas plus que de la part de quelqu’un qui partage mon ADN. « Ça me fait plaisir que tu aies aimé.
— Quel est le dress code pour demain ? » Kate boit une gorgée de vin.
« Venez comme vous êtes.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Que tu n’as pas de souci à te faire. Tu as une garde-robe fantastique, et tout te va de toute façon.
— Tu trouves ? s’étonne Kate.
— Bah oui, évidemment. » Une image me vient à l’esprit. « Le tailleur crème que tu portais aux soixante ans de Maman, par exemple. Il était fabuleux.
— Attends, Stella. Tu te moques de moi ou tu es sérieuse ? »
Je fronce les sourcils. Pourquoi est-ce que je me moquerais de Kate ? Et pourquoi le penserait-elle ? « Les couleurs pâles te vont bien. Elles accentuent le charme ténébreux de tes cheveux.
— Le charme ténébreux de mes cheveux ? » Kate me regarde d’un air sceptique. « Maintenant je sais que tu te moques.
— Tu as des cheveux magnifiques ! Depuis toujours. Tu te souviens pas que Maman n’arrêtait pas de s’extasier ? De te demander des conseils pour que les siens soient aussi brillants ? Je crois que je fais une fixette sur tes cheveux depuis cette époque. »
Kate rigole. « C’était il y a des années. Mary n’a pas évoqué mes cheveux depuis une éternité.
— J’ai jamais oublié, je sais pas pourquoi. Peut-être parce qu’elle avait raison. Tu as des cheveux sublimes. » La chevelure de Kate est toujours parfaite, comme si elle avait un coiffeur sous le coude en permanence. Je bois une gorgée pour masquer mon envie de la toucher.
« À mes cheveux, alors. » Kate lève son verre. « Et à mon tailleur crème. J’espère qu’il me va encore, avec toutes les hormones que je me suis tapées.
— Quoi que tu portes… » Je penche mon propre verre dans sa direction. « … tu seras splendide et parfaitement à ta place. Le seul truc qui peut arriver, c’est que comme je suis notoirement gouine et tout ça, les autres invités te prennent pour ma petite amie, ce qui pourrait être un peu embarrassant, puisque tu es mariée à mon frère. »
Kate s’esclaffe à nouveau, avant de poser une main sur sa bouche. « Je ne veux pas réveiller Kev. Il travaille comme un dingue en ce moment.
— Je crois que Maman lui fiche la paix à l’agence, pour le laisser un peu respirer maintenant qu’il doit rénover votre maison de ses propres mains.
— Je sais. » Kate tient son verre presque vide dans ses deux mains. « C’est sa façon de gérer.
— Ouais. Tout ça est très viril de sa part. » Je sais que mon frère souffre. C’est écrit sur sa figure, mais il n’est pas du genre à se confier à sa petite sœur. « Et toi, tu gères comment ?
— Hum… en vivant, c’est tout, je crois.
— Dans le pool house de ta belle-mère.
— Heureusement que c’est moi qui l’ai décoré, dit Kate d’un ton las. Est-ce que… hum… on peut parler d’autre chose, s’il te plaît ? C’est juste que… je ne peux pas, là. Peut-être à un autre moment.
— Bien sûr.
— Ça me touche beaucoup que tu m’emmènes à cette fête, demain. C’est l’antidote parfait à ma dépression pas post-natale.
— C’est bizarre. » Je sors mes pieds de la piscine pour pouvoir me tourner vers elle. « J’aurais jamais imaginé qu’une soirée people te ferait triper. Pour être honnête, j’ai toujours eu plutôt l’impression que ma carrière t’inspirait surtout du mépris.
— Je suis désolée. » Abandonnant son verre, Kate se recule, appuyée sur ses mains. « Je sais très bien faire ma connasse parfois.
— Comme nous tous, donc bon…
— Sérieusement, Stella. » Elle lève légèrement la tête vers moi. « Je ne prenais pas ton choix de métier au sérieux. J’ai grandi avec des filles comme toi. Il y en avait à la pelle et, à ma connaissance, aucune n’a réussi. Mais ça ne me donne pas le droit de te juger. Pourtant, c’est ce que j’ai fait, et j’en suis désolée.
— Il faut de la chance et j’en ai eu. Enfin, je dis ça maintenant, mais ça peut très bien s’arrêter après ce film. » C’est ce qui m’empêche de dormir la nuit, le plus souvent. Les acteurs comme moi n’ont aucun pouvoir dans ce milieu. Tout dépend des gens qui ont le pognon.
« Aucun risque ! » Kate secoue la tête avec véhémence. « Si Nora Levine voit ce film, elle va exiger que ce soit toi qui obtiennes le rôle dans sa nouvelle série. »
Son ton catégorique est hyper flatteur, encore plus après l’extraordinaire soirée que je viens de passer. « Merci.
— Je vais te dire autre chose. » Le sourire qu’elle m’adresse est lui aussi digne d’une star de ciné. « Si effectivement demain quelqu’un croit que je suis ta petite amie, j’en serai honorée. » Elle lâche un petit rire. « Je te promets de ne pas t’embarrasser.
— Et moi qui croyais que Faye était l’exception pour qui tu pourrais changer de camp. »
Malgré nos efforts pour ne pas faire trop de bruit, nous éclatons toutes les deux de rire.
« Non mais sérieusement, tu me dirais si c’était irrespectueux, n’est-ce pas ?
— Certaines personnes pourraient trouver ça déplacé, mais pas moi. Mais bon, euh, évite peut-être de le crier sur les toits demain soir.
— Je te donne ma parole. » Kate prend un air solennel.
« Mais par pure curiosité… Qu’est-ce que ça veut dire, au juste ? Si l’occasion se présentait, tu le ferais ? » La soirée est suffisamment avancée pour que je puisse me permettre de l’asticoter gentiment.
Kate écarquille les yeux. « Que veux-tu dire ?
— Bah… est-ce que c’est juste une expression ? Est-ce que tu y as déjà pensé ? Laissé libre cours à ton imagination ?
— Mon imagination ? » Les joues de Kate rosissent. « Euh… Je sais pas… Je…
— T’inquiète, cette fois-ci je te taquine vraiment.
— Tu as déjà eu un crush pour un homme ? » Elle a vite retrouvé ses esprits. Avec ce qu’elle et Kev ont vécu, elle est peut-être devenue experte dans l’art de détourner la conversation.
— Uniquement des crushs ultra-platoniques. Pas de fantasmes. Nan. Pas de ça pour moi. » Je la regarde dans les yeux mais en réalité, je n’ai pas super envie de savoir si ma belle-sœur fantasme sur des meufs. Kate est mariée à mon frère et ça ne me regarde pas.
« Et Toni ? Tu t’en es complètement remise ? »
Je ne l’avais pas vue venir, celle-là. « J’ai eu quelques années pour m’en remettre.
— Mais tu n’as rien cherché de sérieux depuis ? »
Je fais lentement non de la tête. « Ça se comprend, non ? Quand la femme que tu voulais épouser tombe amoureuse de ta meilleure amie ?
— Je suis désolée de ne pas avoir été là pour toi quand c’est arrivé. » Kate pose une main sur mon genou et le tapote brièvement.
« C’était pas à toi d’être là pour moi.
— N’empêche, j’aurais pu être une belle-sœur moins distante.
— Ne t’en fais pas. » Je n’avais pas pensé à Toni depuis une éternité, même si une infime partie de moi espère qu’en voyant l’affiche de Like No One Else, elles culpabiliseront un brin de ce qu’elles m’ont fait subir.
Kate réprime un bâillement. « Je vais me coucher. Il faut que je sois au top demain soir.
— Merci d’être venue à la projection. » Je me redresse aussi. « C’était précieux que vous soyez tous là.
— Même Keanu ? » Le sourire de Kate est contagieux.
— Pour un mec dont l’âge est indécent, il est plutôt adorable. » Mon ton est évasif. Je n’ai pas envie de penser à Nathan. Je veux juste savourer le sentiment de bonheur qui a accompagné ma grande première à Hollywood.
« Bonne nuit, Stella. » Kate se penche vers moi et dépose un baiser sur ma joue. « À demain. »
Skye, mon associée, est tout le contraire de moi. Le côté glamour de Los Angeles, c’est toute sa vie. Comme tant d’autres, elle s’est installée sur la Côte Ouest dans l’unique but de travailler dans le milieu du cinéma. Au lieu de ça, elle s’est retrouvée avec moi.
Qui peut expliquer pourquoi on accroche avec certaines personnes et pas du tout avec d’autres ? Bien que nos personnalités et nos hobbies soient aux antipodes, Skye et moi sommes inséparables depuis l’université, où notre passion commune pour les tissus de rideaux et les nuanciers nous a rapprochées.
« Je veux tout savoir sur ta soirée d’hier. » Elle me fait signe de m’asseoir près d’elle, sur le banc qui orne le patio de notre bureau, où nous avons l’habitude de boire un café le matin. « Je t’ai fait un flat white, comme tu aimes.
— C’était incroyable. » Je m’installe à côté d’elle. « Je n’arrête pas de me demander pourquoi il a fallu que j’attende d’avoir trente-huit ans, d’avoir vécu vingt ans dans cette ville, pour connaître les paillettes d’une première hollywoodienne.
— Tu as changé de refrain, dis-moi.
— Je sais, mais c’est… Enfin, tu sais. » Skye connaît ma vie dans les moindres détails.
« Mieux que le groupe de parole que j’ai suggéré ?
— Je le ferai peut-être aussi, mais ce sera sans Kev. Il est bien trop occupé à prendre ses distances ou, pour le citer, à faire son deuil en s’enterrant sous le travail.
— Il a sans doute juste besoin d’un peu plus de temps.
— Ça ne fait rien, il peut continuer. Pour l’instant. Ça ne m’ennuie même pas d’habiter chez Mary. Au moins, ça me fait de la compagnie.
— Le timing est excellent, maintenant que la carrière de Stella décolle enfin et que tu peux laisser la fan de Faye Fleming qui est en toi se lâcher.
— Je n’arrive pas à croire que je vais chez elle et Ida Burton ce soir. » Je regarde l’heure. « Dans moins de onze heures.
— Tu as besoin de prendre ton après-midi pour te préparer ? s’amuse Skye.
— Peut-être. » Je ne plaisante même pas.
« Je vais continuer à me répéter. » Skye appuie son épaule contre la mienne. « Prends tout le temps qu’il te faut. Tu peux compter sur moi. »
Mes yeux s’embuent, comme quand je prenais des hormones à haute dose et que je fondais en pleurs au rayon légumes de Whole Foods. Mais les seules hormones dans mon sang aujourd’hui sont les miennes. Bravache, j’ai même cessé de suivre mon cycle menstruel. Puisque mon corps refuse de collaborer, pendant que je me remets de sa haute trahison, j’ai décidé de l’ignorer superbement. « Merde. » J’efface à la hâte la larme qui menace de couler sur ma joue.
« Ça va aller. » Skye passe un bras autour de mes épaules et me serre contre elle. « Laisse-les sortir. Je sais que c’est difficile. »
Je n’ai rien à lui dire que je n’ai déjà répété un million de fois, mais prononcer les mots à voix haute au lieu de les laisser pourrir en moi et se transformer en quelque chose d’encore plus compliqué à affronter aide malgré tout. « Quelle femme suis-je si je ne peux même pas porter d’enfant ?
— Ça va pas la tête! Pas de ces conneries misogynes chez nous, rétorque Skye. Comme si les femmes n’étaient bonnes qu’à pondre des bébés. » Parfois, il suffit que quelqu’un d’autre me le rappelle pour couper court à la spirale dépressive de mes pensées. Comme aujourd’hui, sans doute parce que Stella m’emmène chez Faye Fleming ce soir.
« Tu en as pondu bien assez pour nous deux, dis-je sur le ton de la plaisanterie, comme à mon habitude.
— Si tu veux m’emprunter les jumeaux pour une dizaine d’années, ils sont à toi, répond Skye, comme à son habitude. C’est un cauchemar. D’ailleurs, si tu pouvais dire à Stella que ta meilleure amie aurait aussi besoin de se changer les idées sous les paillettes… Sais-tu ce que c’est que d’être la seule femme d’une famille de six personnes ? La lunette des toilettes n’est jamais baissée.
— Je prends Thiago. Ce petit bouchon me réchauffe le cœur à chaque fois que je le vois. » Il n’y a pas si longtemps, Skye amenait son benjamin au bureau plusieurs jours par semaine. Sa petite bouille me manque, ses doigts minuscules qui agrippent les miens, ses yeux toujours brillants. Je passais des heures à marcher avec ce bébé dans les bras, pas parce qu’il pleurnichait, mais parce que je le pouvais.
« Désolée, ma belle, je vais garder ce bambino encore quelque temps.
— Je peux comprendre. » Je force un vague sourire.
« Les garçons réclament leur Tante Kate. » Skye finit son café. « Kev et toi devriez venir dîner un de ces jours. Gabriel vise la version junior de Knives Out. Laisse-le cuisiner pour toi, pour changer.
— Gabriel n’a que neuf ans!
— Exactement. »
Je ne peux pas m’empêcher de rigoler. Les exploits des gamins de Skye m’ont fait rire aux larmes plus d’une fois.
« J’en parlerai à Kev. » Je me lève à mon tour.
« Quand vous serez prêts.
— J’espère vous inviter dans notre maison fraîchement rénovée au plus vite.
— Souviens-toi de ce que je t’ai dit. Ne le laisse pas faire ce qu’il veut avec cette maison. Garde constamment un œil sur lui. Assure-toi qu’il reste dans les clous et qu’il ne te construit pas un étage de plus, dont tu n’as pas besoin, juste parce qu’il ne sait pas quoi faire de ses émotions. Les mecs sont bizarres.
— Pas Roland.
— Ah, mon charmant homme bêta. Il y a tellement de femmes qui ne jurent que par l’alpha, mais crois-moi, elles ne savent pas ce qu’elles ratent.
— J’ai toujours vu Kevin comme plus bêta qu’alpha, mais cette incapacité à concevoir un enfant l’a fait basculer vers l’alpha à un point que je n’avais pas prévu. Comme s’il avait besoin de compenser.
— Il doit y avoir différents degrés. » Skye tend la main pour prendre ma tasse vide. « Il te reviendra quand il aura cicatrisé un peu plus. D’ici là, tu as le champ libre pour devenir la meilleure amie de Faye Fleming.
— Tu sais ce que m’a demandé Stella hier soir ? »
Skye fait non de la tête.
« Je dis souvent en plaisantant que je pourrais virer ma cuti pour Faye, n’est-ce pas ?
— Hm.
— Stella m’a demandé si j’avais déjà fantasmé sur Faye. Si l’attirance était réelle, en gros.
— Et ? » Les yeux de Skye s’éclairent.
« Peut-être une ou deux fois. Ou, je sais pas, cinq ou six, mais je n’allais pas le dire à Stella.
— Pourquoi pas ?
— Parce que… c’est Stella. C’est la famille.
— De toute façon, ça nous arrive à tous, ma belle. Alors ne te sens pas gênée à cause de tout ça. » Sur ce, Skye rentre avec nos tasses, pendant que je m’interroge sur ce qu’elle a voulu dire. Je regarde ma montre à nouveau. Plus que dix heures et trente-six minutes avant que je ne rencontre Faye.
Je n’aurais jamais dû parler à Kate de son tailleur crème. Elle est à couper le souffle. On pourrait croire qu’elle s’apprête à convoler en justes noces lesbiennes. Ou tout au moins à me voler la vedette. Mais même si elle paraît au top, je sais que sous l’extérieur scintillant se cache une immense souffrance. Je la laisse donc savourer l’instant lorsque nous arrivons chez Faye et Ida et que plus d’un visage se retourne sur son passage.
Je la présente à la scénariste du biopic de Lana Lynch, Charlie Cross, et à son irrésistible épouse Ava Castaneda dont le regard admiratif, j’en suis sûre, n’a raté aucune courbe du corps de Kate.
« Oh la la. » Kate me serre le bras. « Je m’efforce de garder mon sang-froid, mais Skye parlait justement de Knives Out tout à l’heure et il ne m’a même pas traversé l’esprit qu’Ava Castaneda serait là.
— Ava est la meilleure amie de Faye. » Je dis ça d’un ton détaché, comme si maintenant que j’ai embrassé Faye sur un plateau, je sais tout de ses relations les plus intimes.
« Oh la la, s’exclame à nouveau Kate. La voilà ! » Elle s’arrête net, comme si elle était profondément croyante et qu’un ange venu du ciel lui était apparu. Elle se cramponne à mon bras. « Elle est encore mieux en vrai. Comment est-ce possible ?
— Stella ! Bonsoir. » Faye m’a aperçue et vient vers nous. Ce n’est pas comme si tout ceci me laissait de glace. Si Faye est une star, je suis au mieux une starlette, et encore, à condition d’être sur un plateau avec elle. Avant la sortie de ce film, comme aime à me le rappeler mon amie Hayley, mon nom de simple mortelle ne figurait même pas sur l’affiche. « Merci d’être venue. » Faye m’attrape par la taille et m’embrasse sur les deux joues. De vraies bises, pas juste des minauderies.
« Merci mille fois à toi pour l’invitation. » Les doigts de Kate encerclent mon biceps avec une telle force que je ne serais pas étonnée qu’ils y laissent des bleus. « Je te présente Kate, ma belle-sœur et une de tes plus grandes fans. » Dans ma grande sagesse, j’évite de préciser que Faye est « l’exception de Kate ».
« Vous étiez formidable dans Like No One Else, et dans Twice Bitten aussi. » Kate continue de dresser la liste des films dans lesquels Faye a joué. « Et dans A New Day aussi, bien sûr. » Elle reprend son souffle avant d’offrir à Faye un sourire radieux. « Vous m’avez si souvent fait rire quand j’en avais le plus besoin, je vous remercie du fond du cœur.
— C’est adorable, merci. » Faye pose les mains sur les épaules de Kate puis l’embrasse sur les deux joues. « J’apprécie vraiment. Et bienvenue chez nous. J’espère que vous passerez une bonne soirée.
— Kate est décoratrice d’intérieur, elle va adorer découvrir votre maison.
— Ah bon ? C’est génial. Vous me direz ce que vous en pensez ? J’ai dû faire quelques… on va appeler ça des concessions, quand Ida a emménagé, mais pas trop, heureusement.
— On m’a appelée ? »
Alors qu’Ida Burton se joint à nous, Kate serre son corps contre le mien, agrippée de nouveau à mon bras, comme si elle avait besoin d’un gilet de sauvetage pour survivre dans cet océan de stars.
« Tu te souviens de Stella, dit Faye.
— Je me souviens de chaque femme que tu as embrassée, mon cœur. » Ida est tout en cheveux ébouriffés et sourire étincelant. « Beau travail, cela dit. J’ai ressenti un frisson de jalousie, tant votre alchimie à l’écran était crédible.
— Et voici Kate, poursuit Faye, décidément la parfaite hôtesse. La belle-sœur de Stella est décoratrice d’intérieur. Je m’apprêtais à lui parler de la maison froide, austère, immaculée dans laquelle tu vivais avant de me rencontrer et comment j’ai repeint ta vie de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
— Un rien exagéré, mais je vais laisser passer puisque c’est ta fête, répond Ida.
— Merci, mon ange. » Faye glisse un bras autour d’Ida et l’attire contre elle. Elle me fixe du regard. « On m’a posé des questions sur toi. J’ai dit aux gens des RP qu’ils devraient t’utiliser pour la promo du film. Tu tournes en ce moment ?
— Euh, non. » J’aimerais bien.
« Stella a une audition importante la semaine prochaine, interjette Kate.
— Pour quel projet ? » L’intérêt de Faye semble sincère.
« La nouvelle série de Nora Levine.
— Oh, waouh. Ah oui, ça a l’air important, en effet, acquiesce Faye. J’espère que ça se passera bien, Stella. Tiens-moi au courant, d’accord ?
— Okay, dis-je, comme si Faye et moi étions amies. Dis-moi si vous avez besoin de moi pour quoi que ce soit. »
Elle hoche la tête d’un air sérieux. « Quelqu’un du studio te contactera. Je pense qu’on à tous à y gagner.
— N’en fais pas trop, quand même, plaisante Ida. Même si je ne veux pas jouer les épouses excessivement jalouses. » Elle ponctue d’un de ses fameux sourires.
« Stella est beaucoup trop jeune pour moi, mon ange, réplique Faye, qu’entrer dans son jeu amuse ostensiblement. Je préfère les femmes plus expérimentées, comme toi. »
Ida fait mine d’être froissée au plus haut point par cette remarque. « On a le même âge, je te rappelle. » Son ton jubilatoire la trahit. Un homme que je ne reconnais pas s’avance vers elles et Faye et Ida repartent avec lui.
« Pince-moi, s’il te plaît, dit Kate. Est-ce que j’ai vraiment vécu ce que je viens de vivre ?
— Je confirme.
— Elles sont tellement… complètement charmantes et agréables. » Kate me lâche enfin le bras.
« À quoi tu t’attendais ?
— Plutôt à… Je ne sais pas. Une gentillesse de façade et du snobisme, peut-être. À ce qu’elles nous montrent combien elles nous sont supérieures.
— Sauf qu’elles ne le sont pas. En tout cas pas pour les trucs importants. Okay, je vis avec ma mère et son play-boy et pas dans une maison sur la plage de Malibu, mais ça ne dit rien de qui je suis, moi, personnellement.
— La maison de ta mère est extrêmement jolie, donc tout ce que ça me dit c’est que tu as le goût des jolies choses.
— Si je voulais plus d’indépendance, j’emménagerais dans le pool house mais il est déjà occupé.
— Et quel pool house !
— Ne te sens pas obligée de le libérer au plus vite, Kate.
— Ça m’ennuierait d’être dans tes pattes. » Kate met les mains sur ses hanches et me sourit. Elle est vraiment ravissante ce soir. Je ne comprends pas ce que fait Kevin, à l’ignorer comme ça en ce moment.
« Impossible. Je te le jure.
— Et Mary ? » Les bras de Kate retombent, mais c’était super de la voir s’illuminer quelques instants, de la retrouver comme avant que leur seule obsession, à Kevin et à elle, soit d’avoir des enfants. Avant, aussi, qu’elle se rende compte que j’existe. « Elle doit avoir un avis sur notre présence.
— Tu connais Maman. Tu sais comment elle est. Bien sûr, vivre avec Kevin alors qu’ils bossent déjà ensemble, ça peut faire un peu beaucoup, parce que c’est un vrai blaireau, des fois… » Kevin est mon frère, ça me donne le droit de dire ce genre de trucs. « Mais c’est son fils et tu es sa belle-fille. En plus, entre Keanu et le boulot, elle est trop occupée. Kev et elle partent à Washington la semaine prochaine, je crois, donc au moins, si tu es là, je ne vais pas me retrouver en tête à tête avec le play-boy. »
Une expression de surprise passe sur le visage de Kate, mais elle se remet rapidement. « Est-ce que Keanu cuisine pour toi quand Mary est absente ?