Vengeances criminelles en Lauzière - René Vigne - E-Book

Vengeances criminelles en Lauzière E-Book

René Vigne

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Beschreibung

En 1971, dans un village de Savoie, la population est en émoi. Roger Demontaz, un enfant du pays, est retrouvé mort en pleine forêt. L’adjudant Crépy et le capitaine Le Floch n’ont pour seul indice que l’arme du crime : un revolver utilisé par les résistants locaux lors de la dernière guerre. Les recherches du criminel s’annoncent difficiles, surtout qu’un nouveau meurtre survient en montagne trois mois plus tard…

À PROPOS DE L'AUTEUR

René Vigne, auteur déjà reconnu pour ses deux précédents ouvrages, aspire à explorer de nouveaux horizons littéraires à travers 'Vengeances criminelles en Lauzière'. Avec cette inédite aventure, il vous invite à plonger au cœur d’une investigation unique.

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René Vigne

Vengeances criminelles

en Lauzière

Roman

© Lys Bleu Éditions – René Vigne

ISBN : 979-10-422-4256-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Avant-propos

Nous sommes en Savoie.

À l’entrée de la vallée de la Maurienne, juste après le verrou de Charbonnière d’Aiguebelle, notre regard est attiré sur la gauche. Nous apercevons les aiguilles de La Balme qui culminent à 2683 mètres d’altitude, au-dessus du village d’Argentine.

Ce sont les premiers hauts sommets du massif de la Lauzière. Cette montagne, d’une vingtaine de kilomètres de long, domine les vallées de Tarentaise et de Maurienne. Dans cette dernière, elle s’étend depuis les communes d’Argentine et Monsapey jusqu’à celle de Saint-François-Longchamp.

Elle surplombe une vallée étroite où coule l’Arc, une rivière parfois impétueuse ; l’ancienne nationale 6 et les voies de chemin de fer qui relient Lyon à Turin y passent également. Tout au long de ce parcours, la plaine est quasiment réservée aux cultures. À Argentine, elle couvre environ quatre cents hectares.

Sur cette commune, comme toutes celles de la vallée, les eaux parfois déchaînées des torrents dévalent la montagne dans de profonds ravins creusés au fil du temps et débordent de temps à autre engendrant d’importants dégâts. À Argentine, quatre torrents sont craints au printemps, à la fonte des neiges et en été à cause des violents orages.

Ces eaux ont fourni pendant plusieurs siècles l’énergie nécessaire pour actionner les moulins à grains, mais, surtout depuis les années 1500, les roues à aubes, reliées aux soufflets, pour alimenter les marteaux dans les fonderies, de plomb, de cuivre, d’argent et de fer tirés des mines du village et de celles de Saint-Georges-d’Hurtières.

Sur les quatre ruisseaux, trois ont été équipés de centrales hydroélectriques au début des années 1900. Aujourd’hui, perfectionnées, notamment avec des turbines plus puissantes, elles fonctionnent toujours.

Compte tenu de la raideur de ses pentes à Argentine, le massif est resté relativement sauvage. Il y a peu de sentiers balisés, peu de touristes. La montagne est en fait réservée aux autochtones habitués à sa dureté, et surtout aux chasseurs ou aux amateurs de champignons.

Jusqu’à la dernière guerre de 1939-1945, des gens d’Argentine vivaient dans des hameaux, appelés autrefois villages. Tous ces villages composaient la paroisse puis avaient formé la commune. Ils se situaient entre trois cents et neuf cents mètres d’altitude. Plus haut, il y avait les chalets d’alpage dans lesquels les bergers séjournaient de juin à septembre pour garder le bétail qu’on leur confiait et pour fabriquer les fromages.

Peu à peu, ces habitations ont été presque toutes abandonnées. On en trouve encore quelques-unes, éparpillées dans ces anciens hameaux, plus ou moins en bon état ; certaines ont été réhabilitées, en conservant les grandes cheminées d’autrefois, en privilégiant la pierre et le bois comme matériaux, l’ardoise ou les tôles pour les couvertures. Elles accueillent désormais leurs propriétaires le temps d’un week-end ou seulement quelques jours par-ci, par-là. Les chasseurs s’y retrouvent également après leur journée dans la montagne pour échanger sur leurs exploits, tout en se restaurant et en buvant.

Quant aux chalets d’alpage, ils existent toujours, plus ou moins bien entretenus ; ils abritent, là encore, les quelques randonneurs qui passent par là et surtout les chasseurs.

Dans cette commune de montagne, les maisons, pour la plupart regroupées, se répartissent, sur près de sept kilomètres, en une vingtaine de hameaux situés en vallée et sur les coteaux. Ces coteaux, au pied du massif, sont très verdoyants et ensoleillés.

Le roman qui va suivre se déroule dans cette partie de montagne du massif de La Lauzière.

I

Vendredi 28 mai 1971 – 11 heures 55

Après une marche en montagne assez alerte, Robert Ronsart arrive au bout du chemin qui dessert la centrale hydroélectrique de Pont Chanet installée sur le ruisseau de La Roche, entre les communes d’Argentine et de Montsapey, toutes deux, nous l’avons vu, situées sur le massif de La Lauzière.

Il est à peine midi. C’est l’heure de la relève de son camarade Roger Demontaz qui, comme lui, assure le gardiennage de l’installation depuis de nombreuses années.

Comme à son habitude, arrivé au bout du chemin à une quinzaine de mètres du bâtiment, il s’arrête une trentaine de secondes, prend le temps de jeter un long regard circulaire sur tout cet espace de lumière créé par la coupe de tous les bois et de toutes les broussailles autour de la centrale.

Il aime ce coin. C’est pour lui un petit paradis silencieux, seulement animé par le chant des oiseaux et le bruissement des eaux du ruisseau, quand il n’est pas en colère, et avant qu’il ne soit canalisé pour faire fonctionner les turbines de la centrale.

Il allait respirer profondément, en fermant les yeux, pleins d’une profonde sensation de bonheur, quand son regard est arrêté par un corps allongé au bord du dessableur.

Un bref instant de curiosité, suivi d’interrogation, avant qu’il comprenne très vite. Il se parle à haute voix :

Nom d’un chien, mais c’est Roger… il a dû avoir un malaise…

Il est étonné, car d’habitude Roger l’attend à l’intérieur de la salle des turbines où il lui passe les consignes, lui fait part du fonctionnement des installations et éventuellement des problèmes.

Il se dit également que la couleur de la veste que Roger porte très souvent ne laisse aucun doute : il s’agit bien de lui. Il accélère le pas. Arrivé à proximité, ses craintes sont confirmées. C’est bien Roger. Il est allongé, à plat ventre, les mains au-dessus du visage qui est faiblement tourné sur le côté.

Il l’appelle… Rien…

Il se positionne à ses côtés ; il pose un genou à terre, le regarde ; il a dû tomber la tête en avant…

Il le secoue à l’épaule. À la raideur de son corps, il comprend qu’il est mort. Il reste là, pantelant… stupéfait…

Après avoir hésité, il retourne son camarade pour le positionner sur le dos. Il ressent encore une fois sa rigidité cadavérique. Il en déduit que son décès est intervenu depuis un bon moment déjà.

Il pose tout de même l’index et le majeur de sa main gauche sur le cou, au niveau de la carotide. Le cœur ne bat plus.

Le regard de Robert est attiré par deux taches de sang sur la chemise, à hauteur de la poitrine de Roger. Il n’y touche pas.

Il pose sa main sur son épaule et se met à sangloter. Il est complètement consterné devant ce malheur. Ils s’appréciaient tous les deux… Quand bien même ils ne se voyaient que quelques minutes au moment de la relève, ils étaient bien ensemble.

Assez régulièrement, ils se faisaient un petit casse-croûte tous les deux, à midi, dans la centrale. C’était simple, saucisson, diots, tome, parfois en été, mais plutôt en hiver. Ils ouvraient une boîte de cassoulet ou de bonne choucroute… Le tout arrosé d’un petit vin du pays. Il y avait encore quelques paysans du village qui tiraient leur vin, un petit vin à 8, 9 degrés.

Certains ne l’aimaient pas ce petit vin. Ils disaient, comme excuse, qu’il leur faisait mal à l’estomac.

Ils préféraient les vins vendus en magasin. Alors, ils posaient la main sur le verre qui était déjà sur la table, pour ne pas être servis.

Nos deux compères, eux, l’appréciaient bien.

C’était des bons moments, simples, emplis d’amitié sincère, qu’ils passaient tranquillement ensemble et qu’ils savouraient.

Et puis, Roger était une bonne personne. Jamais un mot plus haut que l’autre. Jamais de mal sur l’un ou sur l’autre. Il était toujours souriant, positif.

Mais qu’a-t-il pu se passer pour en arriver à ce qu’il se fasse tuer ? Dans quelle sale affaire s’était-il retrouvé ?

Il n’était pas garçon à avoir des embrouilles. Ses sorties, il les faisait toujours avec son copain, le garde forestier, Denis Morel, un homme tranquille également.

Au bout d’un moment, il se relève. Par instinct, il jette un regard rapide tout autour de lui, comme s’il espérait vraiment découvrir le meurtrier. Rien d’anormal.

C’est impensable. Il n’arrive pas à se faire une raison. Il reste encore quelques instants, un peu hébété, devant cette situation.

Le choc un peu passé, il se dirige rapidement à l’intérieur du local. En 1970, les téléphones portables n’existent pas encore. Il utilise celui de service, installé dans la salle des turbines, relié en permanence à celui de la centrale de Gemilly. Celle-ci fonctionne dans la vallée en dérivation ; elle est actionnée grâce aux eaux rejetées par la centrale de Pont Chanet après avoir été turbinées.

Il informe son collègue que Roger est mort sur son lieu de travail. Il lui résume en quelques mots sa découverte, lui demande d’avertir les pompiers, et surtout la gendarmerie, car il s’agit bien d’un meurtre.

En attendant, il recouvre le corps d’une couverture prise dans le bâtiment des turbines.

II

Ce même jour, vers 11 heures, comme à son habitude, Robert Ronsart a garé sa voiture à l’entrée du hameau du Coudret, sur une toute petite place située en bordure de la route des Bottets d’un côté, et du lit du ruisseau de La Roche de l’autre.

De là, il a grimpé à pied la montagne pour atteindre la centrale hydroélectrique où il assure, avec Roger Demontaz, le gardiennage et l’entretien de l’installation et de ses environs.

Il y a une dizaine d’années encore, les gens d’ici avaient l’habitude d’emprunter un petit sentier qui commence là où Robert a garé sa voiture. Ce sentier longe le côté de la montagne au pied de laquelle coule le ruisseau de La Roche. Il s’appelle chemin de Montsapey, car il permettait d’accéder à pied à cette commune située à 1000 mètres d’altitude quand il n’y avait pas encore de route pour la desservir.

Aujourd’hui, le début de ce sentier est devenu, sur la droite du ruisseau et sur une centaine de mètres, un chemin caillouteux, assez large pour qu’un tracteur puisse l’emprunter et desservir un petit pré appelé La Fonderie, sans doute parce qu’autrefois, du début du 17e à la fin du 19e siècle, durant la période faste de l’industrie du fer avec ses fonderies dans le village, un four et un martinet y étaient installés.

Maintenant, ce pré est, pour partie, une petite place utilisée pour y stocker le bois descendu de la montagne après y avoir été abattu.

Il est coincé entre le chemin, la route des Bottets et le pied de la montagne qui s’arrête là, abrupte, en formant une pointe.

Après cette partie de chemin, le sentier commence vraiment. Son tracé suit le flanc de la montagne avec, à ses pieds, le ruisseau qui est de plus en plus encaissé au fur et à mesure que l’on prend de l’altitude. Beaucoup plus haut, le chemin et le ruisseau se retrouvent enfin au même niveau ; c’est là où a été construite la centrale hydroélectrique.

D’entrée, sa pente est très raide. Sur près de 900 mètres, elle se situe entre 35 et 40 pourcents. Inutile de dire que pour l’emprunter il faut être un habitué de ce type de marche en montagne, être un excellent grimpeur et faire preuve d’une bonne forme physique.

Celui qui n’est pas entraîné va s’arrêter très rapidement avec les poumons qui brûlent dans la cage thoracique. C’est pourquoi, depuis les années 1965, 1970, il n’est plus utilisé par les gens d’ici, ou plus exactement, pratiquement pas.

Il ne fait d’ailleurs plus l’objet d’entretien par la commune. Par endroit, il est même envahi de broussailles et, par-ci par-là, il disparaît sur quelques mètres sous des coulées de boues ; son contournement est alors nécessaire pour éviter ces passages obstrués et dangereux, car la pente, côté ruisseau, est très raide.

Tout le monde, plus particulièrement les amateurs de champignons et les gardiens de la centrale, lui préfèrent le chemin de La Louze, un peu plus long en temps, mais autrement plus confortable, même s’il vaut mieux, tout de même, être un bon marcheur.

Sur cette partie de montagne côté ruisseau de La Roche, il n’y a pas du tout de randonneur.

Après avoir laissé son véhicule, Robert Ronsart marche sur près de cent cinquante mètres le long de la route des Bottets et emprunte tout de suite le chemin de La Louze.

On appelle ce chemin ainsi, car selon les dires des anciens du village, il desservait autrefois une maison isolée dans les bois, au niveau du hameau de Montgodioz.

Dans cette maison, assez petite, très sombre avec seulement une petite fenêtre, un sol en terre battue, vivait très pauvrement une dame très âgée qu’on appelait La Louze. Comme elle restait essentiellement à l’intérieur de sa maison, son visage était très blanc, aussi blanc que ses cheveux qui tombaient sur ses joues. On pouvait deviner ses traits vieillis à la lumière du feu de bois dans sa grande cheminée, feu qu’elle gardait toute l’année. Elle y faisait chauffer son eau qu’elle allait chercher à une petite source voisine, mais également cuire ses aliments dans une marmite maintenue au-dessus du foyer grâce à un comacle, sorte de perche pivotante à laquelle était suspendu le récipient. On pouvait ainsi, sans trop d’efforts, entraîner celui-ci au-dessus des flammes ou le retirer quand la cuisson était faite.

Ce chemin est très caillouteux, même si, au fil du temps, les gens d’ici avaient ramassé, pour le dégager, le plus de pierres possible plus ou moins grosses, et les jetaient sur les côtés pour en faire des tas, les murgers.

Aujourd’hui, dès son départ, les tracteurs peuvent l’emprunter sur près de quatre cents mètres afin de desservir, sur son côté droit, des champs généralement réservés à quatre ou cinq vaches qui y paissent tranquillement.

À cet endroit, le chemin longe, sur sa gauche, l’orée du bois avant de serpenter, sur tout son long, en sous-bois.

Cette première partie est pratiquement en faux plat. Puis commence véritablement la marche avec toujours beaucoup de cailloux plus ou moins gros.

Depuis le temps qu’il emprunte ce chemin, Robert Ronsard le connaît par cœur. Il marche d’un pas long, régulier. Il avale les nombreux lacets en pente, tantôt raide, voire très raide, tantôt plus douce. Il garde toujours la même cadence appuyée. Il sait où il va poser ses pieds pour éviter, le plus possible, de forcer sur ses jambes et sur ses reins. Il peut pratiquement décrire tout le chemin en fermant les yeux.

Pas un creux, pas un gros caillou ne lui sont étrangers. Même à la période où le chemin est recouvert de feuilles de châtaigniers, très nombreux dans cette partie de la forêt, il devine les rochers rendus parfois glissants par temps de pluie ou à cause des bogues de châtaignes qui roulent sous les brodequins. Il redoute toujours qu’un pied glisse, surtout quand il descend.

Ce matin, une belle journée s’est installée et fait espérer la continuation d’un bel été. L’après-midi sera chaud.

En marchant, en bordure des prés, il ne peut s’empêcher de songer au fauchage de l’herbe, déjà haute, qui ondule, caressée par un petit air tiède ; les prés recouverts de fleurs attirent les papillons qui virevoltent au-dessus d’eux… L’air est agréable.

Il est empli d’une sensation de bonheur.

Comme tous les jours, ce parcours est pour Roger un plaisir. Il apprécie d’être au milieu de cette nature, de ces bois, de cet environnement tranquille.

Il aime retrouver ici un terrier de renards, plus loin des souilles de sangliers…

Il reconnaît également ce qu’on appelle toujours dans notre région les places, ces trouées dans la forêt qui permettaient aux charbonniers de fournir, durant des siècles, le charbon de bois nécessaire au fonctionnement des fabriques installées sur le village pour produire du fil de fer, des épées, des tôles, des objets de taillanderie comme les couteaux, les ciseaux à bois, les haches, ou encore les faux…

Ce matin-là, c’est presque devenu une habitude, Robert Ronsart rencontre au départ du chemin Ferdinand Rissotto qui revient de la montagne avec un gros panier et un petit sac plein de ceps et de chanterelles tout frais. L’orage de la veille aura favorisé la pousse…

Ferdinand Rissotto garde généralement pour lui un peu de sa cueillette et donne la presque totalité de ses champignons à ses voisins.

Une petite discussion s’est engagée entre eux avec bien sûr les champignons comme sujet principal ; Ferdinand Rissotto dévoile sansréticence ses coins : La Combe, Les Coves, Le Plan Chanet, mais le plus souvent au-dessus de Louzinthe et des Bottets. Autant dire qu’il connaissait par cœur un bon quart de cette forêt d’Argentine pourtant très grande.Robert Ronsart disait que ses coins à lui se résumaient aux abords du chemin de La Louze et dans les bois juste à côté de la centrale.

Ferdinand Rissotto a un peu plus de soixante ans, mais il parcourt la forêt comme s’il en avait vingt. Il est à la retraite de la SNCF depuis deux ans et habite à quelques pas de là, au hameau de La Roche.

Il a perdu son épouse, il y a six mois. Elle est décédée d’un cancer foudroyant. Elle était toujours en activité et travaillait comme infirmière à l’hôpital d’Albertville. Ils vivaient tranquillement une vie simple, avec leurs deux salaires et un beau jardin situé derrière leur maison, juste en contrebas de la route départementale qui traverse le hameau.

Ils auraient été heureux, s’ils n’avaient pas eu le décès de leur fille, à l’âge de 40 ans, quelques mois avant celui de sa femme, en septembre dernier.

Irène, c’était son prénom, leur unique enfant, a été leur joyau et leur raison de vivre. Rien n’était trop beau pour elle.

De plus, chacun de leurs côtés, ils n’avaient ni oncles, ni tantes, ni neveux ou petits neveux. Personne d’autre à chérir. Irène était la dernière de leurs lignées familiales à l’un et à l’autre. Ils espéraient secrètement qu’elle fonderait un jour une famille et qu’ils auraient un petit fils ou une petite fille.

Irène était adorable, avec un joli petit minois. Elle était très curieuse et s’intéressait à tout. Jusqu’à ce qu’elle rentre au collège, elle était toujours gaie. Ensuite, elle était devenue plutôt taciturne. Cela était sans doute dû à sa trop grande implication dans ses études.

Elle était studieuse et avait de grandes capacités ; tout se passait fort bien dans ses études. Ses parents étaient heureux d’avoir pu lui permettre de les poursuivre à la faculté de Lyon ; cela récompensait bien son travail assidu qui allait lui assurer une belle situation dans la vie. En même temps, elle le faisait pour leur faire plaisir. Ils étaient très fiers de ses résultats.

Depuis son enfance, elle avait une petite copine, une amie. Elles ne se quittaient pas. On ne voyait pas l’une sans l’autre. Jacqueline, c’était son prénom ; elles avaient le même âge. Comme Irène, elle était très enjouée, très belle également. Elle aimait aussi les études. Elles s’entendaient à merveille, et, depuis leur plus jeune âge, étaient très complices.

Cette amie habitait dans le même hameau, à une cinquantaine de mètres plus haut, dans une ancienne ferme située au bord de la route départementale.

Elles faisaient beaucoup de vélo ensemble et aimaient accompagner Ferdinand et son épouse quand ils partaient en randonnée en montagne. L’une et l’autre étaient de bonnes marcheuses et adoraient la nature.

À partir de leurs quinze ans, les parents de l’une et l’autre, les avaient autorisées pendant les vacances, notamment celles d’été, à aller aux séances de cinéma qui se déroulaient au chef-lieu du village. Elles s’y rendaient à vélo. Il fallait compter un petit quart d’heure pour faire le parcours depuis La Roche.

Cela se passait au café Elleri, en face de la Poste. Tous les quinze jours, un projectionniste itinérant installait un gros appareil devant le mur côté entrée et un grand drap blanc sur celui d’en face, dans la grande salle du café qui servait ordinairement à organiser des repas de groupes.

Dans la salle, le patron avait déployé une cinquantaine de chaises de bistrot, en ayant soin de laisser une allée au milieu dans le prolongement de l’appareil pour ne pas gêner la projection.

Ces chaises étaient, comme on peut encore en trouver dans certains jardins publics, pliables, en fer. Quatre lattes de bois étaient fixées pour servir de siège ; deux autres lattes servaient de dosseret.

Il y régnait une ambiance particulière dans cette salle improvisée pour le cinéma, sans doute parce que c’était une chance pour tout ce monde de la campagne, de profiter, pour une somme assez modique, du cinéma et de films même s’ils n’étaient pas toujours très récents.

Et puis, il y avait ce bruit particulier du déroulement de la bobine au fur et à mesure de la projection.

Le moment venu, toutes les lumières étaient éteintes et la projection démarrait directement par le film, sans publicité.

C’étaient, pour toutes les deux, des moments chargés d’émotion. Il y régnait comme un air de fête.

Dans les jours qui suivaient, Irène n’arrêtait pas d’en parler, de raconter le film. Cela devait être la même chose pour sa petite amie Jacqueline.

On les sentait heureuses. En même temps, c’était pour elles des moments de détente et de rencontres, d’autant qu’il y avait beaucoup de jeunes.

La dernière séance de ces vacances d’été à laquelle elles avaient participé avait eu lieu fin août. Une semaine après, elles retrouvaient le collège d’Aiguebelle. À chaque rentrée scolaire, Irène était stressée. Mais cette fois encore plus que d’habitude. Elle avait pourtant de grandes facilités pour apprendre ; elle ne devait pas s’inquiéter : elle n’avait pas quinze ans, avec une année d’avance pour ses études.

Depuis leur tendre adolescence, Irène et son amie Jacqueline, à part leurs balades à vélo, ne sortaient pas beaucoup dans le village. Seules ces séances de cinéma leur permettaient de rencontrer d’autres jeunes.

Les gens d’ici qui connaissaient très bien les parents de la jeune Irène disaient que depuis cette nouvelle rentrée scolaire au collège d’Aiguebelle, elle avait tendance à faire un peu de neurasthénie. Elle était anxieuse, triste, dormait mal.

Elle ne semblait pas « très bien dans sa peau ». Elle vivait renfermée sur elle-même, n’avait pas d’amies en dehors de Jacqueline, la seule qu’elle voyait, et encore, depuis quelque temps, de manière de plus en plus fugitive.

À partir du collège, Irène qui était déjà très studieuse l’était encore plus. Elle passait ses week-ends, ses vacances dans ses livres. Elle disait qu’elle voulait réussir. Elle figurait toujours parmi les trois meilleures de sa classe. Toutefois, Ferdinand et son épouse, l’a trouvaient soucieuse.

Quelques mois plus tard, elle était toujours fatiguée et ne pouvait pas cacher sa grande tristesse.

Ses parents étaient inquiets. Était-elle malade ? Elle le cachait peut-être à ses parents et ne disait rien pour ne pas les inquiéter.

Sa maman, très proche d’elle, tentait, en vain, de comprendre ce qu’il se passait chez sa fille. Irène renvoyait tout sur ses études ; elle voulait à tout prix réussir ses examens et il lui fallait travailler beaucoup. Pour eux, c’était bien, mais tout de même excessif.

Les enseignants, qu’ils avaient rencontrés, étaient tous très satisfaits de ses résultats, mais eux aussi, l’a trouvaient, depuis la rentrée, effectivement assez renfermée sur elle-même, et plutôt soucieuse.

Le médecin de famille lui avait ordonné une prise de sang qui faisait ressortir un début d’anémie. Il lui préconisait beaucoup de détente, d’effectuer du sport, notamment de la marche, et de se distraire le plus possible.

Ferdinand et son épouse avaient alors pris la décision de reprendre les randonnées qu’ils avaient un peu délaissées et, tous les week-ends, la famille partait s’aérer en montagne ; bien sûr, son amie Jacqueline les accompagnait.

Au fil du temps, ils avaient l’impression que sa santé s’améliorait. Elle était plus rieuse ; elle avait levé un peu le pied sur ses études et ses résultats ne s’en ressentaient pas du tout. Les rencontres avec son amie Jacqueline qui s’étaient espacées reprenaient, moins fréquentes qu’auparavant, mais elles reprenaient. Pour les parents cela leur paraissait essentiel.

Irène avait effectué de belles études. Tout le monde disait que c’était une bosseuse.

Elle avait fréquenté pendant neuf années la faculté de Lyon et avait obtenu, tout naturellement, ses diplômes en biologie médicale.

Ses parents étaient fiers d’elle.

À la sortie de la faculté, elle avait été cooptée par un important laboratoire d’analyses et de recherche de la région lyonnaise. Elle était assurée d’un travail pérenne et avait acheté un petit appartement à Lyon, rue des Maronniers, à proximité de la place Bellecour, son quartier préféré.

Elle y vivait seule. Elle n’avait pas de petit ami, et selon ses parents, elle n’en a jamais eu. En revanche, elle élevait un chat, un petit chat siamois qui lui tenait compagnie.

De temps en temps, elle aimait revenir chez ses parents à Argentine.

Elle emportait chaque fois son petit compagnon, le petit chat. Elle l’avait appelé Pilou. Elle l’emmenait dans une petite cage. Aux alentours de la maison familiale, il se régalait à courir et à attraper les mulots qu’il ramenait fièrement pour les déposer devant la porte.

Irène, par contre, ne sortait pas et préférait rester en famille. Même avec ses parents, elle demeurait enfermée dans on ne savait quelles pensées ; mais elle se sentait bien dans ce cocon familial ; elle était entourée, cajolée, aimée. Elle-même aimait tellement ses parents…

Jacqueline, sa seule amie, était décédée quatre années auparavant dans un accident de la route, en se rendant à son travail à Albertville. Elle était mariée, mais n’avait pas d’enfant.

La période de deuil avait été très difficile pour Irène. C’était son amie, sa seule amie, celle à qui elle pouvait, sans retenue, se confier, en plus de sa maman. Elle a mis beaucoup de temps pour accepter ce malheur, et sans doute pas totalement.

Ferdinand et son épouse étaient tristes de voir leur fille souffrir de la sorte en silence. Cependant, au fil des années, ils étaient devenus plutôt fatalistes et espéraient surtout que cette situation ne s’aggraverait pas.

Elle dormait mal et ne se sentait toujours « pas bien dans sa peau ». Sur les conseils de son médecin traitant, elle s’astreignait à suivre régulièrement des séances de psychothérapie. Pendant toute une période, elle était beaucoup mieux, avant que son état général ne redevienne, peu à peu, comme avant.

Dans son travail, elle se trouvait bien. Elle s’y impliquait totalement. Ses supérieurs lui avaient confié la direction d’une équipe de recherche.

Elle remplissait parfaitement son rôle, mais elle vivait toujours dans une sorte de retenue ; elle n’arrivait pas à créer de véritables liens. Au fond d’elle-même, elle était malheureuse.

En septembre dernier, elle décédait et laissait ses parents dans le désarroi.

Ferdinand perdait ensuite son épouse en décembre. Un cancer du foie avait été diagnostiqué au début du mois d’août. Le médecin qui avait rencontré Ferdinand avait été très franc avec lui : il ne laissait que quelques mois à vivre à sa femme. Malheureusement, son diagnostic était bon. Des métastases avaient envahi tout son corps, et l’issue était fatale. Elle avait heureusement été bien accompagnée et n’avait pas trop souffert après son opération.

Ces deux départs, très proches l’un de l’autre, ont été rudes pour Ferdinand qui vit désormais seul à Argentine. Ses voisins essaient bien de l’entourer. Ils l’invitent de temps à autre, mais le cœur n’y est pas. Ils le voient bien, il se renferme de plus en plus sur lui-même. Ses pensées le ramènent invariablement vers ces deux êtres qu’il avait tant aimés.

Là où il se trouve le mieux, c’est en forêt. Il apprécie ce silence dont il a désormais tant besoin, mais aussi la nature qu’il recherchait et contemplait autrefois avec sa fille et son épouse.

Ces moments restent présents, en lui. Les rires d’enfant et les douces paroles de sa femme teintent encore à ses oreilles.

Il aime aujourd’hui, dans sa solitude, dans cet environnement, les retrouver.

La conversation engagée avec Robert Ronsart sur les champignons lui convenait bien ; elle restait très superficielle et après quelques minutes de bavardage, chacun reprenait son chemin.

III

Robert Ronsart et Roger Demontaz avaient été embauchés presque en même temps, il y a un peu moins de vingt ans, pour assurer la surveillance de la centrale hydroélectrique de Pont Chanet.

Aujourd’hui, il n’y a plus de gardiens sur place ; le travail s’est transformé en télésurveillance à distance.

Ils intervenaient pour la maintenance. Ils étaient sur place surtout pour dégager les grilles.

Les souches, les branches, les troncs d’arbres plus ou moins gros, transportés par le ruisseau après de violents orages, pouvaient entraver la bonne marche des turbines.

Au début des années 1900, un petit barrage avait été construit, à cet endroit, en travers du ruisseau de La Roche. Il fallait, en effet, surélever sa ligne d’eau en aménageant cette retenue de manière à désentraver le plus possible l’eau qu’on déviait par un canal d’arrivée en direction d’un dessableur.

Une grille retenait les corps flottants, comme les branches dont nous avons parlé plus haut. Au pied de la grille, une vanne de désengravement permettait le nettoyage du bac dessableur.

L’arrivée de l’eau faisait fonctionner une turbine et un alternateur pour produire de l’électricité.

À la sortie, l’eau était récupérée et repartait dans une conduite forcée de 1260 mètres de longueur vers la centrale hydroélectrique de Gemilly installée en contrebas, dans la plaine. La hauteur de la chute d’eau représentait 249,80 mètres.

Sur la commune d’Argentine, plusieurs autres centrales hydroélectriques avaient été construites à la même période, sur les ruisseaux de La Balme, Montartier, et plus tard, sur la rivière Arc.

La vieille métallurgie liée à l’exploitation des mines de plomb argentifère du village et du fer de Saint-Georges-d’Hurtières ainsi qu’à la proximité de l’énergie hydraulique, avait fait la fortune, au cours des trois siècles précédents, de quelques pionniers comme les familles Castagneri, Grange et Rochette.

La richesse hydraulique du massif de La Lauzière avait en effet favorisé durant plusieurs siècles l’installation, sur trois des quatre torrents du village, de nombreuses roues hydrauliques.

Cette richesse permettait de faire fonctionner martinets, forges, et bien sûr, plusieurs moulins.

La fin de cette vieille industrie intervenait dès 1870 jusqu’au début du 20e siècle, entraînant le départ de nombreuses personnes du village vers les villes où elles espéraient des jours meilleurs.

L’avènement de l’électricité avait entraîné plus tard, la création de centrales à proximité des unités de production électrométallurgiques gourmandes en énergie.

C’était le cas pour Argentine où, nous l’avons vu, les torrents avaient été équipés dès le début du 20e siècle. Quelques petits industriels s’y installaient, comme Monsieur Mizgier qui fabriquait du carbure, très demandé à cette époque. Sur la commune d’Aiguebelle, au lieu-dit « La Pouille », à la sortie d’Argentine, à la faveur de la proximité de cette énergie, une importante usine hydrométallurgique s’était implantée sur les lieux d’anciennes fonderies. Elle embauchait plusieurs centaines d’ouvriers.