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Sarah et Léo viennent de mettre un terme à leur relation. Une fois de plus, Léo a échoué à maintenir une histoire d’amour stable, malgré les promesses de bonheur. Mais tout change lorsqu’il croise le chemin d’Emma. Pour la première fois, il ressent la capacité de s’engager dans une relation durable et de maîtriser son penchant pour de nouvelles aventures, comme s’il cherchait à fuir un passé douloureux. Cependant, un événement viendra contrarier leurs ambitions. Toutefois, le destin les réunira à nouveau, autrement et bien plus tard, là où personne n'aurait pu l'imaginer.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après avoir publié un recueil de poèmes en 2018 intitulé "Pour vous… émois" aux éditions Saint-Honoré et un roman en 2023 intitulé "Yasmyna… une vie derrière le rideau" aux éditions Le Lys Bleu,
Patrick Diné a ressenti le besoin d’explorer l’écriture romanesque. La rédaction de ce manuscrit découle de son humble désir d’enrichir sa production littéraire et d’offrir aux futurs lecteurs un moment agréable de découverte.
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Patrick Diné
Au-delà du silence
L’intention du désir
Roman
© Lys Bleu Éditions – Patrick Diné
ISBN : 979-10-422-2146-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Ce roman aurait pu s’intituler : « au-delà du désir » (l’intention du silence)…
… car la vie a ceci de particulier, de merveilleux ou de dramatique selon les différentes situations qu’elle nous propose : elle nous guide par l’afflux des circonstances de notre existence.
Elle nous promène ou nous balade au gré des événements qui nous parviennent, ou vers lesquels on va.
Elle oriente ainsi notre nature pour que nous puissions nous construire, et définir des caps, afin que nous tentions de leur donner du sens… non pas qu’en termes de direction, mais plutôt dans l’idée d’une signification.
La destinée est-elle une voie singulière ?
Le destin est-il un « signe » anonyme ?
On ne choisit pas souvent ce qui constitue les événements essentiels de notre existence, ni les dénouements marquants, mais notre liberté réside dans la palette des choix possibles qui s’offrent à nous, afin de répondre au mieux, mais aussi tant bien que mal parfois… aux situations souvent indépendantes de ce qu’on croit être notre volonté : si nous ne sommes pas forcément responsables de ce qui nous arrive, nous le demeurons peut-être dans la manière d’apporter des réponses dignes aux occurrences fortuites.
Nos désirs auraient pour visées de satisfaire des manques souvent relatifs au passé, ou du moins de nous soulager des privations qu’ils génèrent dans notre chair.
Mais la définition du manque fait également référence à ce qui peut faire défaut : le désir pourrait-il donc être défectueux lui aussi, dans ses tentatives à vouloir compenser inutilement des carences… ou du moins ce que l’on éprouve comme une insuffisance relative à un moment de notre vie ?
Les pays occidentaux le définissent habituellement comme une pulsion de vie : seules les personnes déprimées n’auraient plus d’envies, sinon éventuellement celle de ne pas se sentir « en vie ».
D’autres contrées orientales comme l’Inde pensent à travers leurs cultures qu’a contrario, l’absence du désir est la présence de la sagesse ultime.
On observe donc que la fonction et la reconnaissance du désir sont variables selon les mécaniques psychiques ou culturelles qu’on leur assigne, et la spiritualité qu’on leur attribue.
Mais indépendamment de la culture et de ses traditions, le désir aurait-il une intentionnalité particulière selon la nature de celui ou celle qu’il anime ; et se définirait-il plus précisément en fonction du contenu de son histoire ?
Notre passé génère-t-il des tendances sous-jacentes que certaines situations réactualiseraient sous forme d’envies plus ou moins consciemment ravivées, mais encore bien présentes ou actives, aux dépens de notre attention, et sous condition de la nature de leurs intentions ?
Plutôt que de tenter d’essayer d’expliquer cette indicible logique, on peut toujours essayer de la raconter pour permettre à notre interlocuteur, non pas de trouver une réponse, mais une occasion de s’interroger… afin de pouvoir se questionner sur ce sujet.
Ou de se ré « interpeller » en tant que sujet des verbes et des actes liés à sa propre existence. Il n’y a pas que la police qui peut faire des « interpellations d’identité », ou des interrogatoires : on peut se questionner soi-même afin de s’approprier plus profondément son individualité.
On peut aussi l’écrire afin de permettre aux amateurs d’histoires et de romans, une lecture plus nuancée sur ce qu’ils croyaient d’eux-mêmes vis-à-vis de cette réflexion.
Le but de ce livre n’est que d’interroger leur propre raison, leurs connaissances certes, mais de provoquer leurs illusions aussi : c’est pour cela que certains m’en voudront à la fin de leur lecture, mais on ne peut que se faire quelques « opposants » lorsqu’on les sensibilise à voir ce que leur esprit ne veut pas regarder !
Écrire est un risque… !
Je prends désormais plaisir à me faire non pas que des amis… mais des détracteurs : on ne se singularise que dans l’opposition pacifique, c’est pour cela qu’on ne peut pas plaire à tout le monde !
Mais ce livre n’a pas l’objectif d’apporter une réponse : il tente simplement d’illustrer une pensée.
Et cette pensée souhaite faire figurer l’évocation d’un visage : celui d’une femme à qui rendre hommage, simplement parce que c’est elle qui m’a amené il y a déjà quelques années, à me questionner sur ce sujet… en me sensibilisant au fait que « le sujet » n’était autre que moi-même !
Je sais qu’elle se reconnaîtra…
Voilà l’histoire de Léo…
Voici celle d’Emma… et de Léo.
« Tu as raison, quittons-nous dès maintenant avant de nous gâcher, répondit Léo à Sarha… »
Le sentiment d’amour semblait déjà suffisamment gaspillé lui aussi, dilapidé dans cet irrémédiable constat de ne plus pouvoir subsister.
Il refrénait l’espoir de pouvoir continuer d’envisager des jours heureux à partager ensemble, tel qu’ils s’y étaient pourtant si sincèrement invités quelques mois auparavant.
Mieux valait donc se préserver malgré la légitime déception, et l’espoir déchu de cette triste destinée autant subite qu’inattendue.
Mais il en était ainsi : Sarha et Léo étaient en train de se quitter dans ce bar où leurs échanges allaient dès lors irrémédiablement s’estomper !
Léo la laissa verbaliser cette fatale décision comme pour lui permettre d’être « celle qui en faisait le choix ». Il pensait que cette position plus favorable pour elle lui faciliterait leur séparation. Mais il savait depuis plus d’un mois que c’était une partie de lui qui avait déjà quitté leur histoire… il avait intimement ressenti l’élan brisé en lui, sans en comprendre la cause, tout en subissant son mystère.
Ils avaient commencé leur liaison six mois auparavant, au début du mois de juin 2016, persuadés de rester ensemble pour le restant de leur vie tellement ils s’aimaient infiniment.
Indéfiniment aussi… et c’est peut-être en ça que résidait l’énigme du problème !
Elle était pourtant tout ce qu’il aimait chez une femme : sa beauté égale à son esthétique intérieure, sa sensibilité constamment éveillée, son intelligence généreuse, sa quête de spiritualité cherchant l’existence juste au travers d’une vie accomplie, sa féminité sensuelle… et tout cet indicible l’amenant à désirer de se rapprocher d’elle.
S’il laissa à Sarha l’impression du choix de cette décision comme pour lui faciliter cette pénible épreuve, il savait combien il était malgré tout désespérant pour elle de devoir en énoncer le verdict encore impensable il y a peu de temps encore.
Pas de dispute ni de reproches, sinon une déception commune : l’instant devait rester solennel et empreint de dignité, afin d’être au moins conforme à ce qu’ils avaient espéré d’eux lorsqu’ils étaient encore ensemble… même s’il en révélait tragiquement l’échec cuisant !
Pas de rancune entre eux… mais déjà le remords en lui, et cette impression de ne pas comprendre pourquoi il n’était pas parvenu à honorer l’amour dans lequel il l’avait pourtant invitée sincèrement, quelques mois auparavant.
« Nous nous raconterons nos nouvelles vies plus tard autour d’une tasse de thé… » lui dit-elle, comme pour s’inviter à se revoir ; comme pour se faire croire que cet instant n’était pas un adieu, et que d’autres moments leur apporteraient peut-être des échanges tout au moins encore amicaux.
Quelques phrases s’ensuivirent par peur de laisser le silence trop parler, et par crainte d’offrir la détresse de regards si éprouvés. Alors ils se levèrent pour quitter l’endroit de cet instant crucial, et rejoignirent le dehors offrant désormais un espace qu’ils ne partageraient plus ensemble main dans la main.
Ils se dirent adieu en se remerciant malgré tout, de ce que chacun avait apporté à l’autre, au cours de ces quelques mois.
Mais il fallut également rendre ce qui avait été donné : Léo rendit la clé de la maison de Sarha, celle qu’elle lui avait offerte quelques mois auparavant, afin de partager encore plus un cadre de vie dans lequel tous deux souhaitaient tant peindre le décor.
Elle lui rendit quelques livres et des disques qu’il avait souhaité lui faire découvrir, espérant que ces musiques allaient accompagner les gammes du quotidien, dans lesquelles ils pensaient se composer ensemble, entre quelques pauses et de doux soupirs.
Puis ils se dirent au revoir, au gré d’une embrassade imposant cette première bise qu’on se fait quand on « redevient amis », mais aussi lorsqu’on n’est plus amant ! Une bise presque amicale, comme pour un dernier moment de chaleur dans cette ambiance glacée par l’émotion transie, et par ce froid de novembre annonçant dès lors l’hiver… mais aussi d’autres frimas à venir telle la gerçure du remords, les froideurs d’un repentir déjà présent en lui, et le frisson des regrets dus à une double absence.
L’absence de leur unité, de cette sensation de l’onde de l’autre qui nous habite intérieurement, et qu’on aime intensifier afin d’amplifier ce sentiment d’être relié à lui.
Et l’absence par la perte… pas celle de l’autre, mais celle qui imposait déjà à Léo ce constat amer de s’être perdu lorsqu’il ne se sentait plus suffisamment présent lors de ces dernières semaines, sans en savoir d’ailleurs pourquoi. La perte soudaine de la confiance qu’il avait en lui-même, liée à la culpabilité d’avoir fait obscurément mal à cette femme pourtant si éblouissante et lumineuse.
Il était conscient de ce qui allait irrémédiablement s’ensuivre pour lui : éprouver le manque d’amour…
Non pas seulement celui de l’autre… parce qu’il ne l’offre plus : mais celui qui émane de l’illusion perfide, subreptice et insidieuse d’en être suffisamment pourvu lui-même.
Voilà ce qui l’attendait : devoir se confronter à l’illusoire, s’interroger par des questionnements qu’il ne s’était jamais vraiment posés, et dont il ne connaissait ni la teneur de la remise en cause, ni la texture des réponses à venir.
Il ressentait pour une première fois que tout ce qu’il savait intellectuellement des choses, révélait en même temps une méconnaissance absolue et presque effroyable : une méconnaissance de qui il était réellement.
Il allait falloir dénouer pour une première fois ce qui faisait souffrance en lui et qui causait douleur à l’autre.
Lui… pourtant toujours reconnu intelligent ! Mais il commençait à ressentir non pas seulement ses propres limites, mais plus précisément la barrière que peut être l’intellect face à l’authenticité des sentiments.
Il ne pouvait pas s’empêcher de pressentir qu’une partie de lui devenait évidemment responsable, de ce qu’il ne pourrait plus dès lors appeler oisivement… la fatalité.
Il commençait à goûter à la saveur amère des constats tardifs : il comprit que la destinée n’était pas le fruit d’un hasard facile à inventer, afin de rendre plus commode l’irresponsabilité de ses choix.
Il ne put échapper à cette évidence s’imposant toute seule, afin de l’inciter à se rendre compte que jusqu’ici, à cet endroit et à cet instant précis… il n’avait finalement que cumulé un grand nombre d’histoires vécues avec beaucoup de femmes, sans jamais ne pouvoir leur offrir véritablement la durabilité fiable et fidèle de ses sentiments pourtant authentiques au début. Il ne put se soustraire non plus aux multiples questions désordonnées qui s’imposaient dans son esprit.
Pourquoi avoir réitéré cette répétition qu’il percevait désormais comme un symptôme, avec cette femme si merveilleuse, jusqu’à s’offrir à lui dans l’espoir de l’inviter jusqu’au dernier jour de leurs jours ?
Pourquoi ne plus désirer honorer les promesses et avoir éprouvé cette tristesse paradoxale lors de ces deux derniers mois, face à tant d’amour qu’elle se révélait prête à lui offrir si généreusement ?
Tout devenait confus et incertain. C’est dans cette lourdeur s’annonçant déjà tenace qu’ils se quittèrent sur ce parking, où se garaient leurs élans en panne, et où s’égaraient les siens désormais dépourvus de sens.
Les regards pourtant tristes étaient restés dignes, et les cœurs brisés de désillusions n’exprimaient qu’une rancœur contenue, presque exempte de rancune.
Puis l’irrémédiable seconde s’annonça : les yeux se baissèrent, les voix s’inondèrent de silence, et les corps se séparèrent laissant place à la distance, puis à l’éloignement.
Chacun repartait dans des ailleurs différenciés, chacun repartait dans sa vie en quittant celle de l’autre, dans une effroyable intensité muette et pourtant criarde allant jusqu’à abasourdir leur dignité.
Léo éprouva la sensation d’un soulagement absurde lorsqu’il monta dans sa voiture, comme si l’épreuve s’arrêtait là : cet instant d’adieu était enfin terminé, mais commençaient alors à venir des résurgences ne pouvant qu’accentuer les sentiments cruellement liés à cette situation : « les preuves dans l’épreuve » ! Il démarra pour partir sans trop vraiment savoir où aller…
Et même s’il avait su où se diriger, il se sentait déjà un peu égaré au milieu de nulle part. Il venait de perdre quelqu’un et semblait se perdre lui-même dans des questionnements qu’il tentait d’évincer de son esprit. Mais son âme réactivait aussitôt cette lourdeur d’introspection lorsqu’il tentait naïvement d’y échapper.
Alors il décida de se diriger vers une forêt avoisinante à la ville avant de rentrer chez lui, afin de tenter de trouver un semblant d’apaisement après une telle affliction. Il espérait que la nature pourrait lui offrir un soulagement et lui permettre de respirer un peu d’air pour atténuer ses crispations.
Il ressentait le besoin de changer de décor, mais sa conscience lui dictait déjà de changer, tout simplement… mais quoi !?
Il tenta de quitter rapidement la ville, et lorsqu’il lui fallait s’arrêter aux feux d’arrêt ou de voie libre, il ne ressentait plus ce plaisir de pouvoir aller ailleurs. Les feux rouges l’amenaient à regarder les piétons comme des passants, et pour chacun d’eux, il se demandait d’où il pouvait venir… et là où il allait. Qui était cet homme avec son long manteau et son air pressé, où se dirigeait cette femme avec sa démarche hésitante semblant ralentir volontairement son pas, d’où venait cette adolescente avec cet air déçu et son regard inquiet, vers quel néant allait cette enfant remplie de vide… ?
Il s’identifiait à ces gens quelconques, dans l’attente que le feu soit vert pour finalement passer lui-même au milieu de tous ces passants anonymes.
Comme eux, il était également pressé de quitter tout cela ; il était lui aussi hésitant à se diriger vers là où sa destinée l’amenait.
Il était déçu et frustré de ne pas être celui qu’il pensait être.
Dépassé par l’événement et l’avènement d’une conscience si soudaine, il sentit le poids de l’ambivalence troublée par tant d’émotions. La sensation du vide, et simultanément d’un trop-plein, lui donnait l’impression que ces quelques passants s’imposaient à lui comme une foule désormais trop bruyante.
Et puis… le silence dans l’habitacle de son véhicule : un silence envahi de silences, un silence envahi par trop de questionnements dont l’écho devenait de plus en plus sidérant.
Il quitta la ville et se dirigea vers la forêt, vers des arbres bordant la route, immenses et silencieux, se balançant au gré des bourrasques tumultueuses du vent. Tout en restant attentif à sa conduite, il était attiré par cette souplesse néanmoins robuste de ces géants, épousant harmonieusement la puissance des violentes rafales, afin de se confondre en une chorégraphie lente et apaisée. Il était attiré par cette danse fusionnelle, les troncs lui semblaient être des corps offerts à la cadence du vent. Le balancement des branches lui paraissait semblable à l’ondulation souple des algues bercées dans la vive énergie des torrents, et qui ne se fracturent jamais… parce qu’elles s’offrent pleinement et sans résistance à la puissance du courant.
Il ressentait une similitude entre son intériorité et cet extérieur offert au regard de tous : un environnement ne s’offrant qu’au regard de ceux qui, poussés par l’authenticité de l’existence, parviennent à lire et à décoder des signes dans ces leçons, et ces images qu’offre subrepticement la vie de temps à autre.
Il éprouvait l’instant à devoir enfin décrypter à son tour pourquoi il ne parvenait point à s’identifier à cette tempête en lui, pourquoi ses branches à lui étaient cassées, pourquoi le tronc était plié comme s’il n’avait pas été assez solide afin de résister à ses dernières épreuves.
Pourquoi n’était-il pas parvenu à rester présent dans cette histoire pourtant si douce à construire ? Si ce ne sont qu’amis que vent emporte, pourquoi avait-il laissé le mauvais temps balayer ces prémisses d’amour autant espérées par l’un que par l’autre ? Pourquoi n’était-il pas parvenu à en honorer l’attente des cœurs entremêlés ?
Il avait envie de mettre la radio comme pour faire taire ces voix en lui, et rendre muettes ses interrogations. Il savait déjà que la balade qui l’attendait n’allait pas lui offrir le soulagement dont il avait envie, mais plutôt une confrontation dont il avait besoin… même s’il la redoutait déjà.
Mais tant pis, mieux valait s’oxygéner la tête et redonner un peu d’air à sa réflexion asphyxiée. Il vit un chemin l’invitant à quitter la route un peu comme il venait de quitter sa voie, au cours de cette séparation. Il bifurqua vers ce sentier et stoppa la voiture avec une lenteur presque calculée, anticipant la nécessité de ne pas précipiter ses idées. Mieux aurait-il fallu pleurer, mais même s’il avait pressenti cette séparation depuis au moins un mois, l’effet de sidération le contraignait à intérioriser ses émotions comme pour tenter de mieux les contenir. Les larmes ne pouvaient couler, pas plus que son ventre ne parvenait à vomir cette réalité.
Il commença à marcher en maintenant cette lenteur morbide qui lui donnait l’impression de se diriger vers un précipice, sans pouvoir discerner s’il valait mieux rebrousser chemin, ou en risquer les abîmes. Il restait figé dans le constat d’avoir lui-même dégradé leur aventure, et d’avoir brisé les rêves de Sarha.
Qu’était le plus dur à éprouver : son mal intérieur à lui, ou celui qu’elle devait vivre au même instant ? La tentation de s’excuser lui-même au nom de prétextes fugaces sur les vicissitudes de la vie, ou de se reconnaître l’unique responsable de tout cela ?
Comment aborder ce temps de remise en question où, bien que fatigué, il se sentait encore disponible pour se battre, mais sans pouvoir identifier contre qui et envers quoi ? Son ennemi n’était-il autre que lui-même, ou devait-il puiser dans son passé afin de découvrir une vérité cachée pouvant justifier cette destinée contradictoire à leurs desseins aux intentions pourtant prometteuses ?
Sarha avait-elle au même instant le courage de pleurer, de crier seule ou de confier au silence ses aveux meurtris ? Plus qu’une étape, ce moment lui semblait une séquence où il ne pouvait dissocier son mal à celui de celle à qui il pensait.
Dans son esprit reflétant cette récente scène tragique, il percevait leur image coupée en deux, avec le visage de Sarha dans une moitié d’espace, et la sienne dans l’autre. La première moitié était pleine, tant par la beauté du visage de celle qu’il avait tant aimée, que par des désespoirs floués. La seconde se vidait et devenait vacante, comme si sa lucidité s’estompait peu à peu ; comme si son regard occultait sa vision, et comme si sa vision obscurcissait son regard.
Puis, le visage de Sarha occupait progressivement et irrésistiblement tout l’espace, imposant une présence autant crainte qu’espérée, autant futile que nécessaire, aussi dangereuse que rassurante.
Sans s’apercevoir de ses pas, Léo marchait avec cette image devant lui, face à un scénario où chacun des deux devenait plus un personnage qu’un être réel, peut-être pour se faire croire une dernière fois que tout cela n’était pas vrai ; qu’il semblait plus simple de nier la vérité pour pouvoir encore occulter cette invraisemblable destinée.
Mais le visage de Sarha semblait s’animer pour lui confirmer qu’il ne cauchemardait pas, même s’il aurait tellement préféré l’inventer en train de lui dire qu’ils allaient encore s’octroyer une nouvelle chance. Ses traits restaient muets comme pour lui offrir encore sa beauté silencieuse et discrète. Il se sentit happé par son regard toujours doux, mais habituellement porteur d’une colère lui conférant des éclats mêlés d’intensités aussi calmes que tumultueuses.
Il avait toujours été séduit par ses yeux : des yeux qui regardaient vraiment, offrant la profondeur de cette alternance où s’exprimaient autant la douceur que le courroux. Il aimait puiser dans son regard limpide et clairvoyant ce qu’elle ne disait pas, cet indicible qu’il décodait dans les nuances d’intensités dissimulées au creux de sa pupille.
Il appréciait secrètement ce que le tact de sa pudeur n’offrait jamais en confidences, et qu’il lisait dans son iris qu’elle lui offrait involontairement… mais consentante, tel un orifice dans lequel il aimait simplement puiser l’amour et la vérité.
Il appréciait toujours deviner ce qu’elle était vraiment, non pas pour lui subtiliser une intimité qu’elle tentait de préserver, mais avant tout pour lui donner le goût de se confier ; pour lui donner l’envie de « s’offrir à lui », lorsqu’il la devinait au détour d’un simple regard.
Puiser pour prendre dans la propension de rendre ce qui n’avait été qu’emprunté, afin de lui offrir encore plus que ce qu’elle lui avait donné d’elle : Sarha lui faisait si souvent don de l’évanescence de ses yeux qu’il revoyait ces détails souvent implicites, presque inconscients chez l’homme séduit de pouvoir déchiffrer la teneur de leurs équations.
Tout ce qu’il appréciait d’elle lui revenait sans aucun effort de mémoire, mais plutôt par une étrange sensation due au regret : la douceur de ses gestes, parfois entrecoupée d’une cadence accélérée par le rythme d’élans spontanés ; l’élégance de sa main ouverte lorsqu’elle parlait tout en semblant ainsi offrir la vérité blottie au creux de sa paume ; sa voix suave de tonalités mélodiques, et de vérités énoncées par un besoin d’édicter les nuances de ce qui lui semblait juste… de ce qui lui paraissait vrai, et de ce qui se révélait bien souvent exact.
Il ressentait l’attirance éprise qui s’imposait à lui lorsqu’elle avait défait ses cheveux, offrant à son visage une authenticité amplifiée, et à l’instant, une sensualité décuplée par ses charmes discrets où se reflétait son humilité.
Il visualisait son front lisse, parfois plissé par des interrogations subtiles ou des pensées soucieuses, sa bouche généreuse d’amples embrassades, sa gorge remplie de mots rassurants, son sourire tranquille et lumineux qu’elle lui offrait dès son réveil, telle une aube offrant tous ses éclats après une nuit de repos partagé, les invitant à la verticalité des corps et aux renouvellements de l’âme.
Il lui semblait qu’il la connaissait si bien et finalement si peu en même temps.
Si bien… au nom de ce qu’il avait su lire en elle, tellement il fut épris de ce qu’elle laissait émaner de sa personne, en s’offrant à lui de manière parcellaire, juste par petits bouts, confiante de leur histoire au fil des jours.
Si peu… dans le constat que cette connaissance allait s’estomper et mettre fin à une attirance qui l’incitait souvent à découvrir en elle ce que d’autres n’avaient ni su voir, ni peut-être pu apprécier. Ou ce que tant d’autres auraient voulu pouvoir approcher de plus près, mais qu’elle repoussait respectueusement, consciente que les charmes, qu’elle préservait discrètement, ne pouvaient plaire qu’à ceux qui étaient attirés par l’esthétique des âmes pures.
Il se culpabilisait d’avoir été séduit par l’infinité de ces petites choses qu’elle lui offrait au nom de ses propres remaniements de femme grâce à leur récente histoire, après quelques temps de solitude mêlés à l’épreuve d’une mère esseulée, face à sa fille adolescente sujette à une tendance anorexique : la culpabilité lui donnait l’avantage futile d’être un peu victime, lui aussi… mais il savait qu’il n’était victime que de lui-même !
Qu’en était-il de son état d’âme d’homme blessé ? Était-ce trop de vide dans son esprit vacant, ou un trop plein d’émotions qu’il ne pouvait pas plus contenir, qu’évacuer ?
Le vent de ce mois de novembre continuait à souffler en imposant la précocité d’un frimas d’hiver, mais il était conscient que le froid qu’il ressentait n’était pas celui dû au temps. Les arbres continuaient de lui offrir leurs danses ondulées par leurs mouvements ondoyants, mais lui sentait a contrario, sa pensée figée par des remords subséquents.
Il savait pourtant depuis plus d’un mois l’issue fatidique qui allait orienter le paradoxe de leur histoire, même si cette voie semblait n’avoir aucun sens, puisque tous deux s’aimaient vraiment depuis ce 5 juin qui avait donné naissance à leur union.
Tout était là pour durer : elle lui avait présenté ses deux filles dont l’aînée allait partir en Chine pour ses études et lui, lui avait présenté son fils dessinateur, au cours d’un repas au restaurant, leur permettant un premier échange prometteur de liens durables. C’est ainsi qu’il y eut également une première rencontre entre eux deux en tant que parents, en tant qu’adultes engagés dans d’autres dimensions et vers d’autres responsabilités que leur histoire amoureuse.
Les souvenirs s’imposaient à lui : ils imposaient cette corrélation relative entre un passé déjà démodé… un passé dépassé par l’instant présent, pressant.
Un passé sollicitant Léo à se réactualiser. Il se souvenait de ce jour où, assis tous les deux sur un banc dans une autre ville, elle avait osé lui confier qu’il leur fallait peut-être veiller à ne pas perdre de temps…
Certes, le plaisir des petits pas vers l’autre au gré d’échanges dans les restaurants, ou par le biais de quelques mots révélateurs par inférence, envoyés par sms, apportait un plaisir d’abord informel, presque suffisant. Une sorte de plaisir commun lorsque les sentiments n’osaient pas encore se révéler, implicitement partagés et parfois complices d’innocentes séductions, lorsque les mots, les gestes et les regards se risquaient à des aveux inducteurs… mais suffisamment précis pour leur indiquer les prémisses d’une idylle possible.
Lui… aurait pu laisser encore passer quelques jours, quelques semaines pour ce contentement des derniers moments avant que les corps s’unissent, avant que les bouches se taisent pour s’offrir d’autres langages, avant que les yeux ne se ferment pour s’inventer d’autres rêves offrant l’éloge d’une lenteur patiemment apaisée.
Elle avait choisi cet après-midi-là, de leur offrir ce premier pas après déjà tant d’infimes approches l’un vers l’autre, mais à cet instant il était enfin question de pas à faire ensemble vers une même voie, pour cheminer vers des horizons éclatants. Ils repartirent de ce petit parc adjacent à un belvédère, avec ses vieilles pierres témoignant autant de l’histoire des temps anciens que de la leur, réactualisée à cet instant précis par les confidences de Sarha.
Ils quittèrent cette ville haute aux vieux quartiers apportant l’étonnante impression de vivre dans un autre siècle, voire cette bizarre impression d’y avoir vécu en des temps plus anciens… peut-être parce que tous deux avaient déjà pensé à cet instant rêvé, au gré d’espérances qu’ils ne s’étaient pas encore confiées. Il ramena Sarha dans une autre ville avoisinante où était garée sa voiture, et durant ce court trajet de vingt minutes, tout en conduisant son véhicule et leur destin, il lui prit sa main afin de répondre à ce premier pas… d’un premier geste, d’une prime douceur.
Serrant sa main, il lui demanda si elle voulait bien « l’attendre » encore un peu, sans trop savoir si cette préférence émanait d’un excès de timidité, d’une vigilance en lui, d’une prudence pour elle, ou d’une impression peut-être déjà révélatrice de ne pas être vraiment prêt, sans le savoir vraiment.
Leurs deux mains restées jointes leur offraient un partage d’intériorités tant intimes, qu’intenses par la douceur de leurs paumes. Elle lui confirma qu’elle allait l’attendre encore un peu pour respecter sa demande, même si elle pensait effectivement que trop s’attendre pouvait leur faire perdre du temps, jusqu’à le gâcher par le manque de s’aimer… de plus près. Ils arrivèrent au parking où ils s’étaient rejoints en début d’après-midi pour partir dans cette autre vieille ville leur offrant un renouveau apaisant…
… comme une renaissance !
Avant de se quitter, Sarha remercia Léo de lui avoir pris la main pendant ce court trajet et pour ce long voyage. Elle le remercia tout comme lui ne pouvait que remercier la destinée de lui offrir une telle compagne tant attendue et tellement espérée.
Elle le remercia comme pour lui faire sentir qu’elle attendait elle aussi une présence dans sa vie, et que ces prémisses répondaient à un espoir, à une étape de son existence où elle avait pourtant appris à ne plus rien demander : c’est ce qu’elle lui confiera un peu plus tard en expliquant que c’est peut-être quand on sait faire taire la propension égoïste de nos envies, que le ciel répond favorablement à l’innocence de nos désirs… surtout s’ils émanent du souhait d’honorer l’amour, plutôt que de l’attente pourtant légitime d’être aimé en retour.
Ainsi s’anima leur au revoir… une tendre embrassade encore amicale mais plus douce qu’à l’habitude, afin d’exprimer cette invitation à se rapprocher, dans le plaisir d’un dernier instant d’amitié anticipant déjà un premier baiser à reporter dès leur prochaine rencontre.
Cette retenue lui semblait honorable, lui qui était plutôt entreprenant et en quête d’immédiateté dans ses multiples aventures : c’est comme s’il avait eu envie de faire enfin autrement, en lui offrant ainsi un respect inattendu, reflétant une estime qu’il lui vouait depuis déjà longtemps. Ou alors… était-ce parce qu’il n’était pas encore prêt… mais à quoi et pourquoi ?
Sarah rejoignit sa voiture puis s’en alla en offrant un dernier signe par un geste qu’il partagea, afin de laisser les mains s’offrir ce que les lèvres n’avaient encore osé se donner, comme pour laisser les âmes s’offrir ce que les corps allaient bientôt s’apporter.
Toutes les secondes de cet instant s’imprégnaient dans l’esprit de Léo, sa promenade prenait l’allure d’une réminiscence aux tonalités affectives pleines d’échos saccadés, toutes à fleur de peau, et pleines de frissons intériorisés.
Tout était clair et si obscur : les souvenirs semblaient controuvés et pourtant trop crus de vérités profondes ; les images lui paraissaient apocryphes, mais paradoxalement conformes au scénario passé.
Bouleversé par tant de tumultes, il ne savait plus s’il lui était souhaitable de prolonger sa balade, ou s’il était préférable de rebrousser chemin. Mais rebrousser chemin, c’est ce qu’il venait précisément de faire vis-à-vis de leur histoire. L’humidité d’automne installait une brume obscène épaississant le lointain d’un léger brouillard, comme s’il obscurcissait également l’horizon de son devenir.
Que fallait-il faire pour aller néanmoins « de l’avant » : revenir en arrière en repartant de ce lieu hostile mais également propice à l’introspection, ou continuer cette promenade qui le transportait un peu trop vers le passé et ses incertitudes ?
Il décida de rester mais en avait-il vraiment le choix ? Était-ce bien sa volonté, emprisonnée par l’ambiance d’un tel contexte et par un libre arbitre bafoué ? Ou était-il plus question d’un arbitrage confronté à régler un différend entre ses certitudes et ses illusions ?
Était-ce un désaccord entre sa conscience et ses convictions erronées, ou un démêlé entre son habitude à contrôler sa vie, et l’impression de ne plus la maîtriser du tout à cet instant précis ?
Une tendance ineffable le conduisait à poursuivre son chemin de souvenance tel un chemin de croix, de croyances relatives, de convictions erronées.
Il revoyait ainsi leur première étreinte, en ce vendredi de juin où chacun savait à l’avance que les cœurs allaient s’effleurer, et les corps se rapprocher. Ils avaient choisi d’aller dans le parc d’une ancienne abbaye, réitérant ainsi le désir de se confondre dans un lieu ancien et chargé d’Histoire, afin d’offrir à la destinée et à cet endroit, les prémisses de la leur.
Il revoyait chaque seconde de cette séquence de vie : l’instant où ils arrivèrent pour descendre de la voiture et entrer dans ce lieu, en reprenant spontanément la main de Sarha, comme pour donner instantanément une suite à leur dernière rencontre ; comme pour offrir une subtilité solennelle et symbolique en pénétrant dans cet espace qu’ils considéraient dès lors comme sacré.
Il se remémorait leur promenade près de cette abbaye en ruine, avec une impression de côtoyer un autre siècle l’invitant à lui conter fleurette et à la courtiser élégamment. Ils se dirigèrent vers un point d’eau pour s’étendre près de cet ancien bassin, leur apportant la fraîcheur contrastée de ce bel après-midi ensoleillé. Ils s’offrirent encore quelques derniers mots concluant la teneur de leur relation, afin de laisser enfin place à la véritable substance de leur liaison.
Les corps s’étendirent, les bouches se turent afin que les lèvres se rapprochent et que leurs bras s’invitent à une première étreinte. Ils étaient seuls dans ce grand parc, seuls au monde aussi dans cet instant d’intimité, tous deux ne faisant plus qu’un, tellement ils se sentaient enfin unis, et réunis à l’éternité.
Les paupières se fermaient au cours des baisers, puis se relevaient afin de s’offrir des regards comblés de plénitude. Les mains s’adonnaient à des gestes doux et commençaient à s’émouvoir des premiers contacts, lorsque leurs doigts découvraient la sensualité tactile des courbes sous le fin tissu des habits d’été, ainsi que des ondes émanant de l’intensité de deux corps pourtant encore vêtus.
Les cœurs se confiaient le rythme de sentiments cadencés, tout en accompagnant la musicalité de leurs émotions. Ils étaient seuls et enfin deux, entremêlés dans une intimité qu’ils ne confiaient qu’au regard des vieilles statues de pierres, alentour du bassin d’antan.
Léo marchait, un peu perdu et envahi du contraste entre ce moment de première étreinte tentant d’honorer l’instant présent, et ce décor ancien offrant un charme agreste. Il demeura encore un peu dans l’intensité de ce souvenir où la sérénité se confrontait à l’impatience des désirs ; où la tranquillité du mouvement se heurtait à la timidité des gestes.
Il se rappelait avoir ouvert les yeux après un long baiser, et contempler un ciel qu’il n’avait jamais vu aussi bleu, un infini qu’il n’avait jamais perçu si beau, une espérance qu’il n’avait jamais ressentie aussi vaste.
Mais il lui fallait maintenant démêler l’écheveau de ce récit, dont la narration pourtant véridique lui semblait si opposée, face à la réalité de cette issue déplorable qui s’était imposée à leur histoire. Est-ce par envie de repartir lui aussi de cette pénible promenade afin d’abréger sa souffrance, qu’il les revît quitter cet endroit bucolique, partant main dans la main, dès lors anciens amis et déjà nouveaux amants ; compagnons de vie dans une pluralité de situations à venir, d’opportunités, de devenirs à construire, et de partages à s’offrir communément, dans la réciprocité de leurs sentiments ?
Les revoir partir estompait quelque peu sa rumination, comme s’il espérait que la fin de cette séquence allait conclure sa détresse : il était alors temps pour lui de rebrousser chemin, de repartir lui aussi vers des ailleurs sans trop savoir malgré tout où se diriger.
Rentrer chez lui ; aller boire un café dans un bar plein de solitudes partagées par les clients de comptoir ; passer chez un ami pour lui demander de parler « de tout et de rien »… et plutôt de rien que du tout ; chercher l’échappatoire qu’offre parfois une discussion banale, une conversation presque inutile, mais qui permet une pause suffisante malgré ses propos communs ?
Il rebroussa chemin, sans trop avoir réalisé la distance parcourue au cours de sa promenade, tellement happé par ses songes. Il avait marché pendant une longue heure, et repartir impliquait la même durée pour revenir à sa voiture. Il devinait que la chanson du vent dans les branches n’allait pas soulager son âme en quête de repos et de sonorités plus douces que toutes celles qui résonnaient dans sa tête. Il réalisait que les teintes diaprées de l’automne n’allaient pas apporter un peu de nuances apaisantes dans la noirceur de son cerveau. Mais il fallait refaire ce chemin à l’envers, tout comme ses émotions venaient de le faire « à l’aller », au gré de souvenirs lui apportant des regrets… « en retour ».
Il craignait de retrouver les mêmes souvenirs, comme quand on repasse en des lieux offrant la répétition des images de leur décor bordé de quelques nuances toujours inattendues. Aller-retour… mais aller où, retourner vers quoi ?
Il craignait de devoir se confronter à nouveau à des pensées presque similaires, réitérant trop d’émotions. Il avait envie de faire taire cette voix qui était pourtant la sienne, même si à cet instant précis il pressentait que la voie de sa conscience n’était peut-être pas celle que l’on suppose ordinairement être à l’intérieur…
Il semblait percevoir que la conscience était peut-être en dehors de soi, et qu’elle n’habite notre intériorité que lorsque des événements viennent vraiment nous interpeller ; lorsque des circonstances nous invitent à requestionner l’esprit, en lui conférant ainsi une nouvelle forme de pensée. Comme si la voix de la conscience faisait subtilement écho et référence à la voie de l’inconscience vers lesquels nos choix malhabiles peuvent parfois nous guider aveuglément.
Léo s’apercevait qu’il vivait simultanément dans son tracas, un moment important de réflexion et de discernement. Les pas qu’il faisait lui indiquaient une nouvelle orientation et en même temps, la route à ne plus suivre. Il avait l’impression de revoir les pas de sa promenade initiale et initiatique, comme des empreintes dans la neige. Mais dans le tumulte des visions affligées, les traces dans la neige devenaient des empreintes dans la boue, l’invitant à reconsidérer ses certitudes et à se confronter à des illusions soudainement sales et dangereuses.
« Refaire le chemin à l’envers » devenait une épreuve, tant par la réalité de cette situation que par son symbolisme hasardeux. Mais tant pis, il accepta, résigné et volontaire pour coopérer avec cette curieuse invitation du sort. Il constatait que c’était seulement lui qui était à l’épreuve… et qu’elle ne lui appartenait pas ! Lui qui avait toujours cette habituelle propension à maîtriser les choses, se voyait dominé par une force inexprimable, et s’observait en train de se livrer à elle telle qu’on livre un coupable, en le déférant, non pas à « la justice des hommes », mais à ce qui semblait spirituellement juste… comme par sensibilité féminine.
Le retour lui paraissait alors moins pénible, la souffrance devenait presque souhaitable et l’inquiétude semblait ainsi nécessaire. Sans trop savoir pourquoi, il repensait à cet ouvrage qu’elle lui avait prêté au cours de leur union : un livre écrit par un auteur de l’Académie française dont le sujet traitait de « l’élément ternaire », invisible dans l’instant, mais définissable un peu plus tard ; une dimension existante entre deux êtres souvent inconscients de cet espace qui les relie… ou les dissociera plus tard. Il se remémora qu’il l’avait lu trois fois en un mois, sans vraiment comprendre la raison d’une telle réitération presque excessive, sinon l’idée de pressentir une notion qu’il ne parvenait point à comprendre, mais qui l’interpellait comme par élément d’anticipation.
Quel était donc cet élément indistinct et incongru qui s’était interposé entre eux jusqu’à les distancer ? Cette séparation indiquait-elle avant tout une leçon de vie à déchiffrer, un message à décoder, un signe à décrypter ?
Sur le chemin du retour, les pensées cessèrent comme s’il était parvenu à en atténuer le volume sonore. Il parvenait ainsi à faire taire son propre bruit abasourdi d’échos venant autant de partout que de nulle part. Il se sentait lui-même l’émetteur du son et l’obstacle qui le répercute.
Un obstacle… voilà comment il se considérait ! Les bruits ainsi contraints aux silences l’amenaient désormais à devenir le témoin muet d’images résignées à ne pas s’effacer, comme pour mieux conserver la beauté d’instants merveilleux partagés au cours de cet été.
Pas dans un amour d’été, mais dans l’amour d’avoir été… le compagnon de Sarha.
D’avoir été tant ensemble pendant ces quelques mois, dans l’amour ; dans l’amour d’être tout simplement, dans l’Amour d’Êtres… liés et reliés dans leur unité.
Dans l’amour de s’éprendre, de se prendre, de s’offrir, de se donner et de se rendre… par amour de l’Amour. Les images revenaient en flash-back en se succédant presque trop rapidement.
Et si elles offraient l’avantage d’un cinéma muet à la cadence accélérée, elles ne se révélaient néanmoins pas dispensées d’autres sensations plus criardes que les mots : la senteur des parfums de Sarha et du patchouli ravivant des odeurs d’antan ; l’exhalaison des bâtons d’encens chez elle, apportant des senteurs entêtantes dans les pièces, et enivrantes dans sa chambre ; ses effluves féminins émanant de son corps induisant le désir olfactif de l’être aimé.
Après les finesses de l’odorat apparaissait la subtilité du toucher, des caresses partagées ; de l’effleurement des peaux entremêlées dans le tact et le tactile ; des mots touchants offrant l’intimité d’un frisson à fleur de peau, puis de chair ; l’énergie qu’ils appréciaient se transmettre du bout de leurs doigts afin d’harmoniser les corps d’ondulations partagées dans un élan plein de mouvances.
S’ensuivait l’ouïe habitée par la voix suave de Sarha dont il n’entendait parfois plus les phrases, ni l’habituelle véracité de ses propos, mais seulement des consonances mélodiques dans sa manière de parler. Elle était pleine de tonalités assurées et de tons rassurants par ses rares assonances mettant en lumière la légèreté des voyelles, afin de leur offrir à la manière de Rimbaud, des nuances de couleurs diaprées dans la palette de ses teintes et de ses mots.
Et puis le goût… le goût d’elle aux multiples saveurs ; leurs goûts communs pour la spiritualité, pour la vivre communément pour encore mieux « se vivre ensemble » ; le fait de prendre goût à ce qu’elle lui faisait découvrir ; son bon goût à elle dans ses modes esthétiques enclins aux arts, et à l’Art de vivre pour toujours tenter de mieux exister.
Les pensées s’étaient tues de leurs ruminations verbales, mais elles semblaient encore plus présentes en lui dans leurs teneurs affectives et leur sensitivité incontournable. Les images parlaient d’elles-mêmes et lui contaient la complainte de ses amours déçues. Des sonorités lui chantaient la « chanson des amants désunis ». Les senteurs de l’automne pleines d’humus ravivaient les « amours décomposés » tel dans un poème de Baudelaire dans « les fleurs du mal ».
Le goût amer au fond de sa gorge muette indiquait l’âpreté de son histoire. C’est tout son être qui était ainsi touché au plus profond de ses cinq sens. Le sixième devenait celui qu’il devait alors donner aux nouvelles orientations de sa vie, afin de se fixer des caps plus sûrs pour lui, et surtout moins risqués pour celles qui pourraient souhaiter partager elles aussi, un bout de son chemin un peu plus tard.
Car il fallait se rendre à l’évidence, où s’y offrir, qu’importe… mais il percevait jusqu’où la quête de ces multiples aventures n’était qu’un symptôme ne le rassurant finalement que par le nombre, comme si le chiffre permettait de « compter sur elles »… et moins sur lui !
Comme si l’option de la quantité avait eu un effet apaisant et compensatoire : il considérait que cette pluralité de compagnes révélait un charme finalement rassurant, même si elles ne devaient être « femme » que pour un soir, une nuit ou quelques jours. Mais sa conscience touchée et plus accrue lui dictait enfin la différence entre l’homme charmant et le mâle charmeur ; les nuances entre l’être séduisant et le piètre individu séducteur qu’il était.
Entre le laid et le beau, entre violons et violence, entre le fou et le roi… qui était-il finalement ?
Il avait toujours considéré la laideur telle une disgrâce de la vie pour certains, une défaveur dans l’existence pour d’autres, et peut-être était-ce pour cela qu’il lui plaisait tant de plaire. Chez lui, le beau se révélait indubitablement par l’esthétique féminin, tant par la beauté intérieure que par les charmes extérieurs.
Léo semblait se découvrir sur ce chemin de retour, se découvrir en tentant de mieux se comprendre tout en acceptant de se dénuder de ce voile qui rendait trouble, et désormais troublée, la considération qu’il avait de lui. La beauté féminine, l’esthétique du féminin…
Même dans son lyrisme, il préférait naturellement la matinée au matin ; la froidure au froid ; la soirée au soir ; l’action à l’acte… la destinée au destin !
La réalité au réel… !
Son vocabulaire exaltait « l’élément » féminin comme pour lui rendre hommage.
Mais il appréciait également « le » matin dans sa froidure pleine d’aurores glacées ; « le » soir en pleine action… dans « le » destin des crépuscules.
Et il connaissait presque de manière aussi égale… « la » matinée dans le froid de l’aube clairette ; « la » soirée et son acte théâtral dans « la » destinée du couchant de ses aubes inventées.
Entre violences et violons… lui, le troubadour jonglant avec les mots, le ménestrel jouant sur sa guitare des notes pour mieux faire la cour, le trouvère usant de la rime pour abuser de ses charmes, même si désormais ils ne rimaient plus à rien.
Entre violons et violences, il appréciait ce semblant de bohème adoucissant son vécu des vicissitudes de la vie, des tribulations de son existence et des turpitudes de la banalité des vies trop rangées, ou du propos courant qu’il supportait si peu.
Entre le roi et le fou… sur l’échiquier de sa vie, considérant dès lors plutôt l’échec que le jeu ; l’échec du « je »… roi déchu de son trône et de ses illusions, fou de ses troubles et de la déraison de ses passions. Et il se retrouvait également le pion manipulé par son inconscience, et privé de sa reine. Il avait même la sensation que le sort lui avait damé le pion, même s’il savait en même temps qu’il était l’auteur de cette triste destinée, dans laquelle un semblant de hasard lui apportait autant la saveur des victoires, que l’amertume de ses défaites.
Mais finalement, le retour de cette promenade s’avérait moins pénible qu’à l’aller : on eût dit une marée intempestive et furieuse commençant à s’éloigner en se calmant pour de bon, une marée basse sans trop de bassesse, après une marée haute rugissant ses hautaines chimères.
Au loin, il apercevait sa voiture, voyant enfin le moyen matériel de revenir à sa vie quotidienne. Il lui fallait « du concret » pour mieux quitter ce lieu repu de questions et d’images qu’il était finalement venu chercher, sans toutefois leur trouver une solution fiable et appropriée à sa condition.
Il monta dans sa voiture, prêt à repartir en cette fin de matinée, sans pouvoir décider de ce qu’il allait faire, sinon confier aux « hasards inventés » la suite de sa destinée. Les silences lui indiquaient que le mutisme de sa conscience devait cesser. Ils l’invitaient à être plus vigilent et à cesser de croire par commodité, par paresse de la pensée ou par oisiveté de l’Être, qu’il n’était ni l’ingénieur, ni l’architecte des constructions de sa vie ou de ses effondrements. Certes, son existence n’était pas en ruine, mais il lui semblait qu’il aimait finalement plus reconstruire que bâtir, et que son existence n’était en fait qu’une suite de rénovations rajeunies par chaque nouvelle aventure.
Il estimait que l’amour était souvent une suite de gestes, de mots, de caresses, de confidences, de regards, d’intimités et d’habitudes dont il se lassait vite. Et si les mêmes gestes, les mêmes mots, les caresses habituelles, les confidences similaires, les regards réitérés ou les intimités semblables se répétaient sensiblement au fil des histoires renouvelées, cet ensemble l’exemptait et le protégeait des méfaits de l’habitude : les gestes avaient l’avantage de se mouvoir autrement, les mêmes mots s’entendaient différemment, les caresses offraient d’autres nuances de douceur, les confidences susurraient d’autres aveux, les regards s’offraient d’autres horizons à contempler, les intimités se dévoilaient en des sensualités nouvelles.
Il avait toujours apprécié cette différenciation certes incongrue à la morale de ses semblables, mais il était toujours parvenu à trouver de semblables compagnes d’un jour ou de quelques mois venant partager ce goût du spontané, de l’inconnu pour elles… et de « l’inconnue » pour lui. Son attirance envers elles ne se définissait pas forcément dans la propension à prendre ces multiples facettes que la femme sait si généreusement offrir lorsqu’elle se donne, ou se confie à l’être aimé. Il appréciait lui-même s’offrir différent, et différemment au gré de ce que chacune d’elles lui suscitait en son fond intérieur.
L’art d’aimer se résumait pour lui à cette tendance à renouveler l’amour, ou plus précisément les amours, dans ce que le sentiment a de multiple quand on le partage avec des sensibilités aux nuances variées.
Mais ce que Léo découvrait désormais, c’est que l’évitement de l’habitude pour s’échapper de la banalité et se protéger de l’ordinaire, s’avérait être une autre forme de répétition plus nuisible et nocive de l’habitude !
Il réalisait que ce mode de vie l’avait également perdu, et avait surtout entraîné dans sa perte, autant celles qu’il avait perdues au fil des séparations, que celles qui s’étaient égarées dans le risque, parfois naïf mais surtout dangereux, de s’y risquer elles-mêmes.
C’est ainsi que son ego se déclara à lui, dans la confusion de l’égoïsme, de l’égotisme et de l’égocentrisme, et la nuance des trois révélait une concordance peu flatteuse à son égard.
Il avait plutôt valorisé idéalement cette forme de vie en se faisant croire, dans la candeur de ses illusions, qu’on ne se constituait que dans la perte. Mais la réitération d’autant de pertes révélait parallèlement la prééminence d’un goût de trouver, de se trouver, du moins de se chercher… sans chercher à en protéger l’autre.
Il comprenait qu’il était peut-être sujet d’un oubli, d’une sorte d’amnésie d’un élément de son enfance qui pouvait expliquer une telle nature d’esprit, tout en étant déjà conscient que l’oubli est lui aussi une perte… de la mémoire.
Pourquoi son existence se dévoilait-elle ainsi si soudainement, puisqu’au-delà de sa capacité de réflexion, « les choses » s’imposaient à lui autant qu’elles se révélaient d’elles-mêmes : elles le révélaient à lui en s’imposant par une évidence qu’il ne parviendrait plus dès ce jour à occulter, laissant ainsi un infime rayon de lumière éclairer sa vie aveugle et ténébreuse, et réchauffer la noirceur froide de ses souvenirs déformés par l’apparence.
Était-ce la véritable leçon de vie à tirer de cette épreuve qui lui montrait que Sarha venait involontairement de lui apporter quelque chose de constructif, malgré leur union démolie, elle qui, durant des années de relations amicales, lui avait toujours apporté sa généreuse clairvoyance par des conseils avisés ?
Mais ce qui faisait alors mal à Léo, c’était de se dire qu’elle était sûrement, à cet instant précis, en train d’en payer le prix par des espoirs vraiment déchus. Assis dans sa voiture, il était figé par cette vision d’elle, fatalement chagrinée. Il se sentait incapable de démarrer, sidéré par la stupeur de ces vérités trop spontanées dans leur immédiateté, et trop bouleversé d’en accepter l’évidence après tant d’années de déni.
Fallait-il prendre le relais de ces idées afin de les métaboliser, comme pour mieux s’en accommoder ?
Valait-il mieux s’imprégner de leur contenu et de leurs enjeux pour assouvir un besoin de les contrôler, comme pour mieux se maîtriser… mais de quoi ?
Tant de questions sans réponses…
Tant de réponses venant d’elles-mêmes par évidence, sans pouvoir les relier à des questions qu’il ne parvenait plus à se poser !
Mais la voie d’une forme de conscience continuait de lui dicter ses règles à elle ; la voie de sa raison maintenait un cap qu’une voix intérieure, mais étrangère à lui, lui avait toujours conseillé de ne pas suivre.
Il était lui-même l’étrange et l’étranger… et simplement l’être dans son étrangeté, différent de ses habitudes de voir, de se voir, d’apprendre et de s’apprendre.
Habituellement en quête d’inconnues, il devenait lui-même l’inconnu, ignorant sa véritable nature presque anonyme et quasiment impersonnelle.
L’ignare individu subissait alors « l’inconnue » d’une équation dont il méconnaissait la formule, mais dont il en acceptait la contrainte salvatrice. Il se sentait pour une première fois, non pas libre tel qu’il avait toujours tenté de vivre, mais libéré en se livrant à cette nouvelle confrontation.
Cette soudaine liberté lui offrait enfin une lumière affable semblant promise si, et seulement si… dans cette mathématique obscène, il en alimenterait le rai lui-même.
Pour le moment, il se voyait sur le palier de cette porte, filtrant ce rayon de lumière comme pour la purifier alors qu’en fait, il ne tentait que d’épurer son innocence. Le « coupable » devenait enfin… le « capable », dans cette métamorphose imagée. Tout semblait devenir possible et c’est par ce nouveau regard qu’il put reconnaître son symptôme à collectionner tant d’histoires, visant à accumuler finalement trop de souvenirs, afin de pouvoir oublier d’autres souvenances…
C’est ainsi qu’il perçut, par association, l’importance de l’absence de son père depuis qu’il était enfant : directeur de sociétés, les pseudos raisons de ses absences étaient souvent justifiées par des obligations professionnelles l’amenant au plus clair de son temps à manger plus souvent au restaurant qu’à la maison, et à dormir dans des hôtels, probablement rarement seul… plutôt que dans le lit conjugal avec une épouse dont il s’était distancé progressivement au fil du temps.
Il découvrit qu’il n’avait jamais ressenti l’étayage de cette présence du rival dont l’adversité permet la construction non pas seulement de l’entité, mais de l’identique… par l’avantage d’un modèle identificatoire.
Ne pas connaître l’impact du rival l’avait fait devenir ce qu’il était, en lui donnant l’impression de pouvoir accaparer tous les possibles. Mais les indices ne s’arrêtaient pas là…
Léo se souvenait avoir appris, lors de son adolescence, qu’il n’avait pas été attendu en tant que troisième enfant surnuméraire… tel un « élément ternaire » lui aussi au sein d’une fratrie.
Il se souvint qu’à l’annonce de cette déconcertante nouvelle, ce qui l’avait touché était non pas dans le fait de ne pas avoir été attendu, mais dans la réalité de ne pas avoir été désiré.
Il se demandait si cette absence de désir pouvait être l’improbable source de ses « en-vies », à créer tant d’histoires comme pour façonner la sienne, et à provoquer tant d’aventures afin que sa vie en devienne vraiment une, malgré le fait qu’on ne souhaitait pas lui en offrir l’existence.
Sa mère l’avait néanmoins rassuré dans la confidence de cette nouvelle, en lui indiquant que non attendu à l’annonce de sa grossesse, il se révélait finalement bienvenu à sa naissance, dans sa stature de bébé innocent et fragile, donnant lui aussi ainsi naissance à une fibre maternelle en elle pour « cet enfant de trop ».
Mais « ce trop » était-il l’origine de ses excès… ?
Voilà les renseignements dont il disposait sur son passé, sur son vécu, sur la méconnaissance qu’il avait de lui-même et des méfaits des traumas inconscients des situations antérieures.
Tel était dès lors son nouveau questionnement : la recherche compulsive de l’accaparement de tous les possibles était-elle due à l’absence de rivalité dans sa prime jeunesse ?
L’impossible pour lui n’avait jamais été ni intégré ni induit par « le rival » en tant que père présent induisant la relation triangulaire ; et qui aurait été alors le sujet ternaire de cette triangulation nécessaire atténuant l’égocentrisme de l’enfant, à chercher à assouvir tous ses désirs dans des propensions capricieuses et des tendances exigeantes ?
Et le fait de ne pas avoir été attendu avait-il imprégné en lui l’angoisse de ne pas être entendu… ? Entendu dans son désir de vivre, dans le désir de son désir d’exister, dans son désir d’être tout simplement, jusqu’à laisser abusivement place à la primauté de ses envies plus tard ?
Tant de questions pour tant de silences, trop de questionnements pour si peu de réponses, Léo était las et abasourdi par son propre bruit.
Tant en quête de lui-même qu’en désaccord vis-à-vis des choix de sa vie, il ne « s’entendait » plus avec celui qu’il fut. Il oscillait entre la nécessité de se vouer à l’acceptation sans trop de consentement ; à l’importance de la résignation tout en restant confronté à son habitude de ne jamais se soumettre.
Il se sentait habité par une dualité, intruse et colocataire de son intériorité. Il devenait le témoin d’un duel en lui aux modalités d’antan, tel un combat à l’épée entre deux personnes distinctes dont l’une réclame de l’autre, la réparation d’une offense, à l’aube… et à l’aurore d’une existence nouvelle.
Mais il vivait avant tout cette réparation nécessaire dans la sensation de s’être abîmé et de devoir se remettre en état. Abîmé dans le désordre de son ego, dans les abysses insondables de ses pulsions animales, dans le gouffre de ses pulsions de naissance, de vie, de renaissances et de survies.
Se remettre en état, se remettre dans un état durable et plus fiable, voilà ce que lui dictait le souffle de sa conscience, afin de pouvoir enfin s’élancer vers d’autres expansions plus subtiles, et vers d’autres horizons moins brumeux.
Il était enfin temps de repartir, il démarra sa voiture et quitta cet endroit béni qui lui avait fait entrevoir la vivacité endiablée de ses impétueuses tendances. Il savait que désormais il se méfierait de sa fougue et de sa verve.
Nul besoin d’aller voir quelqu’un, il était repu de mots et ne souhaitait plus parler. Mieux valait s’en retourner chez lui, pensant que le fait de retrouver ses occupations quotidiennes allait calmer ses préoccupations du moment. Il se proposait d’aller puiser un peu de réconfort en rentrant pour se préparer une tasse de café, écouter une musique apaisante, ou en jouer afin de passer à d’autres expressions, lire un livre le transportant vers d’autres rives, d’autres décors, écrire un texte de plus pour un recueil de poésie qu’il préparait depuis quelques années.
Il regagna sa demeure d’une conduite lente, volontairement accaparé par les publicités inutiles de la radio qu’il écoutait pour une première fois complaisamment, comme pour s’offrir un plaisir factice mais nécessaire, une distraction certes inutile mais offrant un peu de répit et de repos à son esprit tourmenté. Suspendus au rétroviseur intérieur, se balançaient les trois épis de blé que Sarha lui avait récemment offerts et qu’il ne pouvait décrocher aussi précocement. Du blé prometteur d’un bon pain lorsqu’elle lui offrit ce présent, trois épis lui rappelant « l’élément ternaire » entre eux deux.
Il arriva devant chez lui, gara sa voiture et entra, rassuré de ne croiser personne, pas même un voisin avec qui il aurait été bien pénible de parler de la pluie et du mauvais temps, ou même plus banalement quelqu’un à qui devoir répondre après la rituelle question du « comment ça va… » ?
Comment dire comment il allait, lui qui ne savait plus trop où et vers quoi il allait… ? Il entra chez lui et senti des silences : celui de la pièce invitant au repos, celui de sa solitude dont il aimait l’écho, celui du dehors par le froid de cette journée de novembre où les oiseaux n’avaient plus goût à chanter, et celui de ses pensées lui indiquant dès lors la prudence de se taire aussi.
Il se mit alors au piano sur lequel il avait récemment commencé à composer une mélodie pour Sarha, mais il savait qu’il ne fallait pas en jouer les notes : il savait d’ailleurs qu’il ne la terminerait plus jamais, car après la séparation des corps, devait s’installer l’éloignement des âmes dans une distance progressive que seul le temps peut octroyer par paliers et par étapes, tel le principe d’un nageur en apnée qui souhaite « refaire surface ».
Oublier cet air…
Réfuter cet air qu’il avait délicatement puisé dans les recoins de son imagination, ne plus chercher la suite des notes même si l’ampleur créatrice du chagrin lui en dictait déjà quelques inspirations.
Alors Léo jouait un peu de tout et beaucoup de rien, ayant plus l’impression de pianoter que de jouer vraiment, tentant de s’occuper l’esprit au gré de mélodies qui ne lui convenaient pas.
Il jouait entre l’élan des notes et l’arrêt des pauses, entre le son et le soupir. C’était enfin ce silence-là qu’il cherchait. Jamais il n’avait autant ressenti jusqu’où la musique pouvait trouver sa source dans le silence : non pas celui de l’ambiance créatrice de l’artiste qui compose au gré de ses inspirations, mais dans ces silences de rythmes où la note se tait pour laisser place d’autres candeurs ; là où le son se meurt pour donner vie à d’autres nuances dont seule l’oreille subtile peut entendre la sonorité pour percevoir la myriade des tonalités de la vie.
La musique était là et il était dans la Musique jusqu’à sentir non seulement l’alternance des sons et du silence, mais l’effluve de la note et de ses altérations, l’exhalaison des dièses… ou d’un bémol imageant la diminution de ses espoirs, mais également l’atténuation d’un demi-ton de sa souffrance.
Il puisait enfin un semblant de soulagement par l’art qu’est la musique, mais également une véritable expiation réparatrice due à la profondeur de ses gammes. Le bout de ses doigts semblait caresser les touches du piano : il lui suffisait de les effleurer pour en extraire le son et le frisson. Il semblait goûter pour une première fois à l’acceptation inconditionnelle et à la réelle plénitude. Il continuait de jouer en se laissant transporter par des mélodies improvisées, tout en leur permettant de le transposer vers un ailleurs différent, au gré d’interversions ineffables.
Si cette séparation le rendait indubitablement seul, il n’en ressentait plus la douleur provisoirement anesthésiée par l’ingénuité candide de sa musique dont il devenait seulement… un soliste non plus esseulé, mais un soliste insolite. Un soliste, et non plus un chef d’orchestre tentant de maîtriser les orchestrations de sa vie. Il devenait subitement le véritable compositeur de sa vie, il percevait les circonstances de son existence comme des orchestrations ayant tantôt bercé son âme, et parfois fait chavirer son esprit.