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"Le poète de sept ans" retrace le parcours d’un homme découvrant l’impact de son statut d’enfant non désiré sur toute son existence. Cet accident de la vie l’amène, dès l’âge de sept ans, à chercher un refuge dans la littérature, trouvant une consolation particulière dans la poésie. À travers une prose riche et sensible, cet ouvrage explore les répercussions de cette prise de conscience, mettant en lumière comment la poésie devient un sanctuaire face aux turbulences de la réalité.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Patrick Diné a déjà publié un recueil de poèmes intitulé "Pour vous… émois" aux éditions Saint-Honoré en 2018. Bien plus, il est l’auteur de deux romans : "Yasmyna… une vie derrière le rideau" et "Au-delà du silence" publiés chez Le Lys Bleu Éditions. Dans le présent ouvrage, il livre plus profondément une partie de son histoire en la dédiant à son fils par le biais de la poésie.
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Patrick Diné
Le poète de sept ans
Roman
© Lys Bleu Éditions – Patrick Diné
ISBN :979-10-422-3850-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mon fils Hugo
J’avais oublié de te dire que…
Je suis né sans être attendu… et j’ai appris « la nouvelle » déjà bien ancienne maintenant, par ma mère lorsque j’étais adolescent.
Plutôt que « je suis né », je devrais d’ailleurs dire « on m’a fait naître sans qu’on m’attende vraiment »… afin d’opter pour un mode plus passif, du fait que j’ai toujours pensé oisivement que je n’avais pas eu à choisir, mais je sais aujourd’hui que cette pensée est inexacte.
Depuis, je suis un insoumis ne supportant pas qu’on m’impose un fait, parce que celui de me faire naître il y a longtemps s’est imprégné en moi comme une contrainte… m’assujettissant à ne pas pouvoir décider dans le peu qu’on pouvait souhaiter de moi !
Pour ne pas dire : qu’on « attendait » de moi !
Mais dans assujettir, il y a « sujet » : la sujétion façonne dès le départ l’individu qu’elle anime pour le construire en le troublant par allégeance.
Et depuis, j’ai toujours revendiqué activement une liberté de penser et d’opter pour mes préférences, jusqu’à faire l’erreur fréquente de ne pas écouter les conseils qu’on pouvait pourtant me donner à bon escient. Mais un symptôme me poussait à ne privilégier compulsivement que mes choix, tellement j’ai dû être marqué par cette empreinte originelle. On a dit de moi que je n’en faisais qu’à ma tête, mais je ne faisais que selon ce que mon cœur, blessé de ne pas avoir été désiré, me dictait.
Les gens qui ont été désirés ne peuvent probablement pas comprendre ça ; ceux qui l’ont vécu le savent !
Une modalité plus active consiste à croire qu’il faut de la persévérance « chez » un embryon, pour parvenir à naître alors qu’on ne le désire pas : les enfants non désirés sont des résistants dans l’âme, mais prioritairement au nom d’une énergie biologique leur permettant de venir malgré tout. D’aller coûte que coûte… jusqu’au bout, même si cela coûte cher bien souvent.
D’aller et de venir malgré tout !
Certaines fausses couches proviennent-elles de fœtus refusant cette obligation à laquelle ils n’admettent pas de se soumettre, jusqu’à préférer partir, pour ne pas dire s’anéantir comme par autonomie décisionnelle ?
Car l’instant où l’on vient au monde est peut-être celui de la seconde où l’on choisit de venir… afin de rejoindre. Rejoindre, comme pour retrouver celle et celui vers qui on va, parce qu’ils nous ont tous deux conçus dans l’intention de nous inviter entre eux deux. Mais quand l’intention n’est pas là du fait que nous n’étions pas un véritable projet, ni un authentique espoir, la naissance initie et nous intronise dans une solitude originelle, car il n’y a personne pour accueillir fiablement ; personne à rejoindre, sinon le fait de tenter de se connecter à soi-même. Personne à re « trouver » hormis une solitude à découvrir, ou dans laquelle on se chercher pour mieux se découvrir.
Le lien affectif n’est pas un élément de départ dans l’intériorité de celui qui n’est pas attendu : il est le fruit d’une naissance sans véritable reconnaissance. Il ne vient pas… au monde ni vers ses parents : il va !
Je fus donc conçu… « bio » logiquement, et non pas « logiquement » si l’on considère de manière idéaliste, qu’il ne devrait y avoir qu’une seule véritable sagesse dans le fait que l’esprit puisse concevoir un enfant : celle du cœur…
Celle qui pousse deux êtres à donner une extension à leur amour en « créant » et pro « créant » une vie nouvelle afin de partager la leur avec lui, ou avec elle si c’est une fille : une existence qui perdurera après leur mort.
Lorsqu’on né sans avoir été désiré, on parle parfois d’accident !
Il faut du temps pour s’accepter soi-même en tant « qu’accident » ! Ça n’est seulement que lorsqu’on est parvenu à intégrer le fait d’avoir pu être un accident, qu’on peut reconnaître les incidences ultérieures de notre vie intime qui en découlent, afin de pouvoir enfin les assumer, puis éventuellement les restaurer tel on répare un véhicule accidenté après une collision ; et non une collusion !
« L’accident » n’impacte pas seulement l’intimité de ce qui nous est personnel, mais celle des incidences projetées envers les proches dans notre intimité affective : bien sûr que les origines n’excusent pas tout, mais elles permettent d’expliquer les contrecoups influençant notre vie amoureuse, envers celles et ceux qui en on subit la triste et fatale voie des conséquences ; et de mieux comprendre de soi à soi, en quoi nous étions nous-mêmes un « terrain » accidenté, un « terreau » infertile, un territoire cabossé !
Je n’ai pas l’impression d’avoir gâché ma vie, mais je sais que j’ai malheureusement terni l’existence de certaines femmes qui souhaitaient partager la leur en s’approchant de la mienne : j’ai toujours entretenu le tort de dire oui sans être conscient que je n’avais pas de quoi honorer leurs espoirs au bout de quelques mois de vie commune ! Mais puisque là… on me désirait, alors je venais !
Je me suis toujours ennuyé au bout de quelques mois de vie partagée, dans les relations amoureuses dans lesquelles j’avais pourtant envie de m’engager, sans me rendre compte que c’est de moi et de mes lacunes que je me lassais, jusqu’à prendre donc souvent la décision d’arrêter ces liaisons sans lien, et sans véritable connexion affective par manque de sentimentalité initiale et maîtrisée.
On dit d’un terrain accidenté qu’il présente des inégalités de relief. À la naissance s’impose une inégalité entre les enfants désirés et attendus, et ceux qui ne le sont pas : plus qu’une question de relief, il est question d’ondes. D’ondes invisibles, d’ondes indicibles… mais que l’on peut percevoir, puis décrypter longtemps plus tard afin de déterminer le caractère et surtout « l’origine » d’un être, et celle du mal compulsif qui le caractérise aussi.
Pour ma part, il m’aura fallu soixante-deux ans pour le comprendre, je devrais plutôt dire… pour l’admettre. Puissent mes dernières années si « Dieu me prête vie » encore quelque temps, me permettre de me réconcilier avec cette destinée conditionnée dès le départ, que j’aurais souhaitée idéalement différente, mais que je préfère accepter « telle qu’elle… », et telle qu’elle fut, car ceci est mon humble histoire : celle de quelqu’un d’un peu accidenté ! C’est un peu comme si je me retrouvais à l’hôpital, en réanimation après une incidence qui dura soixante-deux ans : je me réveille et souhaite m’animer différemment.
Je sais qu’il me reste peu de temps pour l’accepter vraiment dans un seul but : pouvoir améliorer ce que je n’ai pas su faire dans ma vie lorsque j’aurais dû le réaliser, et tenter de me pardonner dans ce que j’ai fait, et que je n’aurais très certainement pas dû entreprendre dans mon passé, malgré la force « des choses » !
Le regret s’apparente aux remords : mes dernières années se voueront à une certaine rédemption morale.
Mais c’est dans « la force des choses »… que réside peut-être la fragilité de l’être ! Comme le disait mon ami Jean : « On n’échappe pas facilement à ses démons ».
Moi, je voudrais me « déposséder » : alléger le fardeau, extraire les éléments nocifs de ma chair afin de purifier mon cœur. M’amputer non pas d’un membre, mais de la membrane qui enveloppe et tapisse cette substance constitutive à celle du placenta, et qui impose au fœtus, une sorte de noyade due au fait qu’il baigne dans un espace « liquide » dans lequel on ne l’attend pas. Dès que je suis né dans l’univers « solide », j’ai dû ressentir l’inverse : l’espace de la fragilité !
C’est pour cette « raison », mais je préfère dire cette intention… que je dédie ce roman à mon fils : si le temps perdu ne se rattrape plus, les erreurs peuvent peut-être se « rattraper ».
J’espère que le temps qu’il reste le permettra afin que je puisse demeurer un souvenir fiable et chaleureux dans sa mémoire lorsque je ne serai plus là !
J’aimerais devenir plus présent envers lui pour ces dernières années, afin d’avoir le privilège et le mérite surtout de demeurer davantage en lui après, pour peut-être ainsi continuer de l’aider à se construire avec « un petit quelque chose de crédible et de chaleureux de moi » : digne de foi, digne de moi… même quand je ne serai plus là.
Pour rester présent malgré mon absence.
L’absence… : j’ai été éducateur pendant toute ma vie professionnelle, travaillant sur des temps d’internat depuis qu’il est né : j’étais donc rarement présent dans sa quotidienneté, réassuré qu’il allait bien parce qu’il était élevé à la maison, par une maman fiable et aimante.
Moi… la destinée m’a amené à devoir m’occuper avant tout des enfants des autres, et moins du mien de par le fait que je travaillais de 7 h à 14 h ; ou de 14 h à 23 h. Je n’étais pas là pour réveiller mon gamin le matin dans cette première tranche horaire, ma fonction professionnelle m’amenait à venir réveiller ceux des autres sur un internat d’Institut Médico Educatif. En ce qui concerne la seconde tranche du planning, je n’étais pas là non plus le soir pour l’endormir, puisque je travaillais jusqu’à 22 ou 23 h. Je lui téléphonais parfois vers 20 h 30 sur mon temps de travail, je lui envoyais un bisou lointain en me sentant proche de lui malgré la petite histoire que je ne pouvais pas lui conter, et que j’aurais aimé lui lire, plutôt que de devoir régler celles des autres. Mais souvent notre conversation était brutalement coupée par la nécessité qu’il fallait que j’aille gérer un conflit ou une crise vis-à-vis d’adolescents enclins à des troubles du comportement, tel qu’on désignait ce type de déficit à ce moment-là.
Est-ce le destin qui m’a amené à m’occuper d’enfants « cabossés » et peu attendus comme moi, plutôt que d’éduquer le mien qui, lui, fut authentiquement désiré ? Probablement… puisque j’ai commencé cette fonction professionnelle avec des enfants séparés de leurs parents par décision de justice, afin de les protéger en les distançant de leur milieu familial pathogène.
Je suis né inattendu, par réalité fortuite et inopinée : inespéré, non pas dans l’idée de ce qu’on n’espérait plus, mais plutôt dans qu’on n’espérait pas !
Ça explique peut-être aussi pourquoi je pus être parfois autant absent, là où d’autres m’attendaient… dans des ondes qui m’étaient inconnues, parce qu’on ne m’y avait jamais sensibilisé !
J’ai le symptôme ancestral d’être et de me sentir pleinement moi, là où on ne m’attend pas… en honorant la spontanéité de l’instant, probablement parce que je suis né « imprévu » !
Mais cela m’a empêché d’être et de répondre présent là où légitimement… on m’attendait : on m’espérait présent dans ce que je ne faisais que fuir sans m’en rendre compte, simplement parce que je n’ai pas su ce qu’était la fibre émotionnelle réelle, ni la sensation d’être attendu dès ma conception, puis à ma naissance !
Écrire ce livre… je ne « m’y attendais » pas moi-même, c’est vous dire !
Puisse-t-il aider ceux qui sont nés sans amour afin de mieux se comprendre. Pas forcément dans un manque d’amour que leurs parents n’auraient pas, ou pas suffisamment apporté à leur venue, ou dans leur enfance après, car des choses inattendues peuvent se nuancer ensuite : mais un manque d’amour dû au triste fait de l’avoir subi dans la chair et le sang, dans la substance du lien véritable, et l’authentique nature du sentiment ! Simplement parce qu’ils ont été conçus sans ces deux options qui fondent dès la rencontre entre un ovule et un spermatozoïde, une fusion sans véritable liaison ! Pas plus qu’au fil du temps, ou du moins dans l’écheveau du temps où peuvent s’entremêler des liens… mais aucune liaison vraiment fusionnelle !
Avec une quête incessante d’harmonies amoureuses vouées à l’échec en peu de temps. On parle facilement de liens qui se nouent harmonieusement, on n’évoque moins les liens qui entravent !
Comment atténuer et se réconcilier avec cet élément confus, mais porteur d’espoir ?
D’espoirs… parce que dans confusion, il y a fusion !
L’entremêlement tel un fatras, l’enchevêtrement par imbroglio incohérent. Existe-t-il une issue de secours à toutes ces portes fermées ?
Je pense, pour l’avoir éprouvé qu’il y a une solution qui honore l’adage consistant à croire que mieux vaut tard que jamais : il faut vivre pour le meilleur en termes d’améliorations de soi, d’accomplissement progressif si l’on considère que l’existence est une succession d’étapes.
Une succession : c’est aussi une transmission qui amène à succéder aux prédécesseurs, aux géniteurs… à ceux qui ne nous attendaient pas ! Parfois, à ceux à qui on n’a pas envie de ressembler, mais qui ont transmis une sorte de « patrimoine génétique » : la voie des conséquences, la voix de la circonstance, par besoin de s’identifier quand on est très jeune, afin de construire tant bien que mal son identité, et la nature de sa personne.
Je n’ai pas eu d’identité : seulement une entité par manque de vouloir ressembler à quelqu’un dès le début ! La solitude originelle m’a sensibilisé à un besoin d’indépendance innée vis-à-vis des autres. À un tel point que j’ai apprécié apprendre le piano parce qu’il apprend au cerveau, l’indépendance de la main gauche vis-à-vis de la main droite : l’indépendance des « deux mains » ! L’indépendance « dès demain »… l’indépendance dès aujourd’hui de soi à soi, pour la culture du cœur, et non plus l’émancipation cérébrale. Telle était ma liberté !
Mais la véritable liberté consiste à pouvoir se nuancer soi-même, à changer, à apprendre à devenir quelqu’un de plus bon, voué à vivre pour le meilleur ! Exister par le meilleur de soi, et se vouloir dans l’intention de se donner, sans forcément désirer des autres : est cela l’amour soi-disant digne, parce qu’il s’offre inconditionnellement ?
Si je dédie ce roman à mon fils, c’est dans l’espoir que plus tard, il puisse ressentir une seconde, ne serait-ce qu’une seule… qu’il se relie à moi, tout simplement parce qu’il ressent à travers cet instant, une seconde d’amour absolu que je ressens vis-à-vis de lui, au moment où je lui écris cette dédicace.
Une seconde… !
Et je lui en souhaite plein… ensuite, indépendantes de moi !
Parce que la seconde a cette double valeur : celle d’être brève tout en pouvant demeurer éternelle…
— Tenez… c’est un beau petit garçon ; regardez, il a les mêmes yeux que vous !
Et elle le prit dans ses bras.
Elle ressentait que l’essentiel n’était pas dans le fait qu’elle puisse avoir la même couleur des yeux que lui : l’important était dans le regard qu’elle posait sur ce nouvel enfant, le troisième d’une fratrie qu’elle aurait préféré limiter à un garçon et une fille. Celui-ci était surnuméraire…
Décembre 1961, le vingt et un… était-ce un signe ? Le premier jour de l’hiver ! Premier jour d’hivers à venir pour une enfance sans véritables chaleurs affectives.
Que fallait-il privilégier : un enfant de trop, ou un enfant de plus… simplement ?
Pas facile en ces temps où elle n’avait pas de travail rémunéré, hormis le fait d’aider son mari responsable de la gérance d’une petite laiterie, dans un village dans les Vosges tout près de Vittel. Chaque fin du mois attendait avec impatience un salaire afin de faire tout d’abord manger toute la famille pour les trente prochains jours.
Alors un enfant de plus, c’était avant tout une bouche supplémentaire à nourrir dans la logique des terriens ! Ça se respecte.
Un enfant de trop ou une bouche en surplus pour l’obligation alimentaire d’assurer son confort et sa suffisance intestinale ?
Une bouche de plus, c’était de l’ordre d’un enjeu pécuniaire.
Un enfant de plus… c’était dans le désordre de sentiments amoureux entre un homme et une femme qui se quitteront plus tard, lorsqu’ils auront la soixantaine, après avoir perduré pendant des années sans véritables sentiments partagés.
Pourtant, elle… elle l’aimait !
Elle l’aimera d’ailleurs aveuglément pendant toute sa vie malgré les disputes, les incompréhensions, le manque d’harmonie et le fait d’être souvent trompée.
Mais ne s’était-elle pas trompée elle-même en persistant à croire en cet amour impossible, et trop idéalisé ?
En ces temps-là, on ne se quittait pas. Les femmes étaient encore souvent dépendantes de leur mari, du fait que c’était lui qui ramenait la paye : elles restaient « femmes à la maison » selon une formule courante et peu honorable. Les années soixante-dix et les décennies suivantes ont bouleversé et transformé les codes, les habitudes, les repères des us et coutumes. La révolution de 1968 coïncidait avec la législation de la pilule contraceptive, et promouvait ainsi que la femme pouvait avoir une sexualité enfin indépendante de sa fonction de procréation traditionnelle.
Les femmes habituellement à domicile revendiquaient également leur demande d’indépendance par l’accès au travail, afin de s’épanouir sur l’extérieur en ayant droit à un salaire encore de nos jours inférieur à celui des hommes pour un même travail, et de pouvoir s’accomplir en dehors de leur fonction de « maîtresse de maison » : pour devenir « maîtresse », il fallait précisément sortir de la maison, et devenir l’amante de… !
L’homme n’était plus le maître, mais éventuellement un amant potentiel toujours prêt à se proposer, mais enfin… c’était elles qui en disposaient par l’intermédiaire d’une libération dite sexuelle !
Même dans le statut juridique du couple devenu parents, la notion exclusive « de puissance paternelle » cédait place à l’autorité parentale partagée entre les hommes et les femmes. Une idéologie d’égalité voyait le jour, les années qui s’ensuivirent laissèrent plutôt place à une sorte d’idéalité témoignant de progrès certes, et c’est tant mieux. L’idéalisme étant que l’inégalité persiste encore soixante ans après, malgré des évolutions ralenties par une caste masculine peu encline à vouloir partager sa puissance et son pouvoir.
Le contexte était donc en pleins remaniements culturels, sociaux et économiques dans la période dite « des trente glorieuses ».
Mais son contexte à lui… c’était celui de sa naissance ! L’enfant qui né ne sait pas bien sûr qu’il est un élément systémique d’une lignée familiale, de toute une série d’antécédents, d’événements et de circonstances, avec ses vérités et ses secrets, son énergie et ses fragilités. Mais s’étant imprégné des constituants du liquide amniotique, le fœtus est déjà structuré d’une substance « mentale » relative à la teneur d’une histoire qui fait déjà un peu partie de la sienne. D’une histoire qui fait partie de la sienne, ou pourrait-on dire aussi, d’une histoire qui fait également désormais partie de celle de sa famille.
À la naissance, on lui passe une sorte de relais : il succède et prend la suite en devenant le membre d’une série, car il est constitué d’une nature commune : il a les yeux du père ou le nez de sa mère…
Mais sa ressemblance a surtout l’empreinte de leur histoire empruntée : il la possède dans ses gènes présents et ses gênes à venir qui en découlent, mais il n’aura pas à la « rendre ».
Seulement à la vomir parfois !
Un relais semblable à un émetteur qui retransmet les ondes… mais lui, plutôt que de les transmettre, il les recevait. Il accueillait de fait tout un patrimoine familial dans lequel on ne l’avait pas conçu mentalement ni désiré « chairement » !
Il était certes la chair de la chair de ses parents, mais n’était pas attendu chèrement comme il se devrait, du moins comme il l’aurait voulu.
« Bon… !
Bon ou mauvais d’ailleurs… qu’est-ce que je fais ? Je lui souris peut-être. Ça devrait faire plaisir à maman, une petite risette histoire de me présenter gentiment. On peut ne pas être attendu, mais devenir une agréable surprise avec un peu de chance… »
Et après ses quelques pleurs de naissance qu’ont tous les nouveau-nés, il se tut et lui sourit.
« Le sourire, c’est de la peur comptée d’avance, une sorte de prescience d’outre-tombe : c’est un peu la tendresse des insoumis… » disait Léo Ferré.
Il était certes assujetti au fait de ne pas avoir été attendu, mais déjà insoumis grâce à l’énergie du désespoir : même s’il savait qu’il s’en tirerait un jour, coûte que coûte ; qu’il sentirait un jour qu’il pourrait être et devenir indépendamment de « ça », même si ça devait être très tard dans son existence, après en avoir payé par quelques déconvenues. Payer… coûte que coûte ! On dit de ceux qui subissent conséquemment les déboires d’un passé dont ils ne sont pas responsables, qu’ils payent souvent cher.
Lui… il devait déjà rendre des comptes qu’il n’avait pas pris !
Alors il sourit : pour se rendre agréable envers « cette autre » qu’était sa mère, et pour contrer dès lors la détresse de lui à lui. Mieux valait en sourire qu’en pleurer !
Premier jour et premier jour de l’hiver : il y a des signes qui ne mentent pas !
Et des saisons qui ne se trompent pas : le début de l’hiver annonçait l’approche de Noël. Il a failli naître le même jour que celui qui data sur le calendrier, le repère de la divine conception.
Mais chez lui, point de conception ni divine, ni humaine… juste une incidence dans la méthode dite « Ogino » qui consistait à s’abstenir de tout rapport pendant la période de fécondité de la femme : les couples s’accouplaient en espérant ne pas procréer pendant des ébats distincts de tout projet d’enfant « à faire ». Ce qui se faisait… c’était l’amour, bien que la formule soit imprécise et inappropriée, si on considère que les étreintes sexuelles n’étaient pas forcément ni en harmonie avec celle du sentiment, ni révélatrices d’une émotion partagée.
Un « bébé Ogino » comme on disait en ces temps-là : de quoi avoir un peu froid dans le cœur, même pour ceux qui sont nés en plein cœur d’un été ! Certains frissons n’ont rien à voir avec la température ambiante, et sont plutôt relatifs à celle qui régule l’intimité interne : une vibration due à une caresse, une peur, un mot doux, une violence verbale…
Le 21 décembre 1961 :
« Mon premier jour… assez bref puisque je suis né à 22 heures : demain arrive ; demain sera bien ! Mais avant, je vais goûter à la nuit. Sa pénombre est peut-être plus douce que la clarté du jour… »
Mais il n’avait pas encore vraiment « vu le jour » : il n’avait vu que le soir. C’est pour ça qu’il était venu aussi tardivement à cette heure : c’était pour écourter cette première journée. Naître avait suffi : il attendait le lendemain pour commencer à vivre. Pour l’instant, autant dormir !
« Découvrir les prémices de l’aurore, moi qui suis à l’aube de ma vie. Demain sera bien… ! »
Et le lendemain arriva.
Le début, non plus d’une naissance, mais celui d’une existence.
L’introduction… non plus d’une naissance non désirée, mais celle d’une vie que lui, attendait volontiers comme s’il savait déjà que même non souhaitée, il pouvait la rendre belle. Le non-désir d’un enfant amplifie-t-il son désir d’exister plus que tout autre, ou du moins, plus intensément que ceux qui ont été conçus plus délibérément ?
C’est un peu magique la vie : deux cellules, l’une mâle, l’autre femelle qui fusionnent pour s’étendre en des milliers de cellules qui vont constituer un petit être désigné embryon. Les cellules continueront à proliférer afin de devenir fœtus ; le fœtus se développera pour que neuf mois après cette alchimie, le sentiment d’amour émotionnel initial puisse se transformer progressivement en processus physiologiques amenant un nouveau-né à prendre son premier souffle, à lancer son premier cri, à faire entendre ses premiers pleurs dénués de larmes, et à signifier ainsi le plus formellement possible :
« Coucou… je suis là ! »
Je suis…
« Je suis… le mouvement ! » : celui d’une lignée en action depuis plein d’années, bien avant qu’il ait fallu me concevoir présent, malgré l’absence de projet et de conception réelle. Mais un bébé non conçu par projection volontaire, il faut bien le concevoir lorsque le docteur annonce à sa maman qu’elle est enceinte. Sa venue doit s’anticiper, matériellement, organisationnellement et surtout psychiquement !
Je suis…
« Je suis Patrick… »
Car pour être et pouvoir devenir ultérieurement un sujet non anonyme, afin d’assumer des verbes qui définiront ses actions, il faut prénommer l’individu.
Le nom est donné suite à la lignée, mais le prénom doit s’anticiper avant la venue du bébé.
Si c’est une fille, ce sera…
Si c’est un garçon, il s’appellera…
Lui, on lui avait attribué le prénom de « Patrick » lorsqu’il fallut apprendre à le concevoir mentalement afin de le « désigner ».
« Patrick » désignait dans la Rome antique, un homme noble jouissant de prérogatives, par opposition à un plébéien (un citoyen appartenant au peuple et ne jouissant pas des mêmes droits). Le prénom vient du latin « patricius » qui désignait les patriciens reconnus en tant qu’hommes appartenant à la noblesse.
Des prérogatives… ? Pour le moment, point de privilège, du moins pas celui d’avoir été conçu ni par amour, ni dans l’amour !
Ni dans l’amour… parce qu’il n’y en avait pas ou plus vraiment entre ses deux parents au moment où l’un de leurs rapports s’est transformé en acte procréatif involontaire.
Ni par amour… puisqu’il ne venait pas d’une attente liée au sentiment, à cette émotion qui permet de faire l’amour en espérant que l’acte sexuel se convertisse dans une alchimie harmonieuse amenant un petit être neuf mois plus tard.
Finalement, mais en termes d’introduction, il se sentait plutôt du peuple (les plébéiens appartenaient au « populus »). Il ne naissait pas avec des avantages particuliers en termes de droits ou de privilèges liés à sa lignée familiale, comme dans certains milieux bourgeois où l’on né avec une petite cuillère en or dans la bouche, et l’assurance de succéder à un pouvoir social et professionnel bien établi qui ne demande qu’à perdurer dans le clan.
Il voyait le jour avec plutôt un désavantage dès le départ, mais ce qui était inné en lui demeurait en une énergie, et non plus dans un préjudice : l’énergie de ceux qui sont quand même venus alors qu’on ne les y invitait pas au moment où ils ont été conçus. Il se sentait doté de cette substance vitale, comme pour s’inviter lui-même à être en vie plus que les autres : puisqu’il avait été moins « envié »… moins dans l’envie, il se sentait doté d’une teneur qui le tenait dans « l’en-vie ».
En vie… plus que les autres, et non pas « plus que les autres » en vie. Là était cette étiquette le définissant avant tout, comme faisant partie du « populus », et non de la mondaine se croyant toujours plus que quiconque, avec leurs airs hautins se pensant mieux que tout autre : des airs hautins… mais aux teints blêmes !
Ceux « de la haute » à qui Léo Ferré disait : « Vous vous croyez toujours vous autres, dans un haras parce que la race, ça vous tient debout dans ce monde que vous avez assis. Vous vous parlez à vous-mêmes comme si vous parliez à vos subordonnés. Vous vous regardez et vous ne pouvez même plus vous reconnaître tellement vous êtres beaux, empêtrés dans vos charmes ! ».
Fils d’une classe moyenne, il pressentait que la vraie classe est celle de la dignité du cœur : celle du respect que l’on doit à autrui et à soi-même. Le respect de soi, c’est la condition de l’amour de son prochain : il faut déjà savoir cultiver les fleurs avant de donner des conseils en botanique ; il faut savoir cultiver la terre de sa chair de valeurs fécondes, avant d’avoir la prétention d’offrir des graines fertiles.
L’amour du prochain… voilà ce qui était sa fragilité originelle : il n’avait pas eu droit à « l’amour d’office » du prochain… enfant, après la construction d’une fratrie d’un garçon et d’une fille aînée !
Ce troisième-là était de trop !
Le 22 décembre… Premier jour après un premier soir et une première nuit.
« Donc, il y a des jours, et il y a des nuits… Que faire de cette première journée ? »
Généralement, il y a ceux qui viennent pour voir le nouveau-né. Son père qui n’était pas présent à l’accouchement, parce que cela était inenvisageable en ces temps-là, vint pour rencontrer son « petit dernier ». Il avait espéré que le deuxième enfant soit déjà son dernier… Son père avait les yeux bleus, lui avait les yeux marron.
On cataloguait rapidement les enfants en ces temps-là comme étant du côté du père, ou de celui de sa mère en fonction d’une ressemblance physique. Ça n’est qu’au bout de quelques mois ou quelques années qu’on définira la tendance, mais dans le registre différent du comportement et des attitudes : il est peureux et lunatique comme sa mère, elle est adorable et serviable comme son père !
Lui… il ne cherchait à ressembler qu’à lui-même, mais comment ressembler à soi lorsqu’on n’a pas encore vécu ?