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"Carnet de voyage en Cévennes" est le témoignage d’un parcours au rythme des sabots de Griotte, la compagne aux longues oreilles, accompagnée par Kitty, l’amie fidèle au pelage noir. Cet ouvrage retrace leur périple à travers les paysages cévenols pendant quarante jours : cols ouverts offrant des panoramas infinis, landes éclatantes de genêts, ruisseaux chantants… À l’instar du docteur Bach, il met en lumière une immersion dans la nature, à la découverte des fleurs sauvages qui sont à la base de précieux élixirs.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Isabelle Kerdoncuff a décidé de partager l’une de ses aventures en l’écrivant, désireuse de transmettre son expérience. Elle souhaite avant tout offrir son savoir sur les fleurs de Bach : trente-huit élixirs tirés de fleurs sauvages, destinés à retrouver un équilibre émotionnel qui lui est cher. Peignant des tableaux depuis vingt-cinq ans, elle ouvre son âme artistique et fusionne ses talents picturaux avec la magie des mots.
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Isabelle Kerdoncuff
Carnet de voyage en Cévennes
Sur le chemin des fleurs de Bach
et des papillons bleus
© Lys Bleu Éditions – Isabelle Kerdoncuff
ISBN : 979-10-422-4340-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122 – 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122 – 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335 – 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes enfants, Xavier et Rémi,
et petits-enfants, Nathanaël et Alba
Demain, c’est le grand jour. Depuis trois mois, je me prépare à ce qui, pour moi, s’apparente à une véritable expédition dans le parc national des Cévennes. Un désir de parcourir à pied de vastes horizons, seule, pendant un mois et demi. Enfin, seule, pas tout à fait… Kitty, ma chienne, m’accompagne ainsi que Griotte, une ânesse. Depuis le temps que je les regarde, ces ânes chargés, avec leur air docile et impassible, convoyés par des randonneurs dans mon village de Saint Martial, de tendres rêves ont germé.
Il n’est pas né d’hier, ce souhait d’un pèlerinage au cœur de la nature. Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour franchir le cap ; les vastes étendues inhabitées des territoires cévenols sont propices à une retraite spirituelle.
Tout me semble bien organisé et planifié. J’ai aussi créé un blog pour communiquer nos aventures et partager les photos des paysages traversés. Je suis prête et confiante, même si ce saut dans l’inconnu me procure quelquefois des craintes. D’ailleurs, il est minuit, j’aimerais arrêter de cogiter et enfin dormir, pour être fraîche et dispo dans quelques heures.
Neuf heures, la journée s’annonce chaude. Noé, le propriétaire de l’entreprise « Anambule », nous attend au mas Corbière ; Griotte, attachée à la rambarde, broute du foin ; Luc, mon mari, m’accompagne. Quarante jours de séparation, ce n’est pas rien.
J’ai le cœur qui commence à palpiter face à la bestiole, je rentre dans le vif du sujet. Surtout que « charger la mule » me paraît sacrément compliqué. Le bât de l’âne est composé d’un arçon en bois constitué de deux patins placés de part et d’autre de la colonne vertébrale, relié par un croisillon à l’avant et un autre à l’arrière auxquels on attache les bagages. Le poids des deux sacs doit être égal pour trouver l’équilibre. L’arçon est maintenu sur l’âne par une sangle sous-ventrière que l’on ajuste sur la cage thoracique derrière les coudes antérieurs. Sur les épaules est ajustée « la bricole » et sur le passage des fesses « l’avaloir ». Ils empêchent tous deux le bât de glisser d’avant en arrière dans les montées et les descentes. Ces trois sangles sont réglables pour s’adapter à la morphologie de l’âne et éviter que « le bât blesse ». Le bât se place par-dessus un épais tapis sur le dos de l’animal au niveau du garrot. Il est conseillé de ne pas dépasser en charge le dixième du poids de l’animal, donc avec Griotte trente-cinq kilos.
Là, Noé m’aide… merci ! J’ai un petit sac de trop que l’on ne sait où placer. Le chargement sur Griotte m’a vraiment l’air branlant. Mille interrogations assaillent mon esprit, je n’arrive plus à écouter les dernières recommandations de Noé et l’expression consternée de Luc ne me rassure pas. Noé lui propose de m’accompagner les premiers cent mètres, le temps de dépasser l’endroit où sont parqués les autres ânes.
C’est parti : un mètre, trois mètres, cinq mètres et là, sans crier gare, Griotte part au galop rejoindre les siens sous nos yeux sidérés. J’ai le sentiment d’être aux portes de l’enfer, mes espérances s’envolent… elle est plutôt mal partie mon escapade ! Je retourne au mas chercher de l’aide auprès de Noé qui garde son bébé de six mois. Luc prend le petit dans les bras, le temps pour Noé de reprendre la bête en main. Les sacs sont à terre, deux anses sont déchirées suite au passage de Griotte sous les arbres. Chouette ! Le bât est sous la bête qui, elle, est entourée par ses potes. Les doutes sur la viabilité de ce projet m’accablent. Noé tient à me rassurer, il remotive l’animal, le remet sur le chemin, lui tapote les fesses et lui ordonne avec autorité de se mettre en route. Voilà ! Ce que je dois retenir : l’autorité ainsi que les onomatopées : Auch ! Auch !
Parfait, Griotte avance. En revanche, Luc, derrière elle, exprime à voix haute ses questionnements. Il pense que c’est une mission impossible… que le chemin est trop escarpé… que le chargement est inadapté…. Je ne veux pas qu’il ressente mon état de panique et tente de le rassurer. D’ailleurs, je ne peux pas lui imposer de grimper jusqu’en haut. Il faudra bien que je me débrouille toute seule et lui demande de nous laisser.
De peur de casser le rythme, nous ne nous embrassons pas. Je ne tourne même pas la tête, concentrée à trouver mes points d’appui, à tenir fermement et avec conviction Griotte. J’entends les pas de Luc s’éloigner et, avec lui, ses derniers encouragements. Je parcours encore cent mètres quand, brusquement, Griotte décide d’un demi-tour.
Le rêve s’envole, la réalité s’impose. On m’avait pourtant prévenue que, partir seule avec un âne pouvait s’avérer compliqué les premiers jours. L’animal n’aime pas trop les changements ; partir sans ses collègues lui arrache le cœur. À deux personnes c’est plus facile, l’une devant, l’autre derrière, pour stimuler la bête. Pourtant, j’ai pris des cours « d’âne », j’ai suivi des blogs… Un jour de balade avec Griotte, je lui ai conté mon désir d’union dans la nature, avec Kitty et elle… Il me semblait que l’entente était cordiale et réciproque… Alors, pourquoi s’obstine-t-elle à retourner en arrière ? Ah ! Je me souviens : lui pincer les naseaux si elle fait sa tête de mule. Chouette, ça marche, les 350 kg se figent. Tu as raison, faisons une pause… même si nous ne sommes pas à un kilomètre du départ ! Mon cœur tambourine sur mes tempes, s’apprête à sortir de mon corps et des cloques se dessinent sur ma main droite. La retenir est une vraie torture. Je me félicite tout de même d’avoir eu la rapidité d’esprit d’enrouler la longe autour d’un tronc d’arbre pour la brider plus facilement.
Que les aubépines sont belles ! Les grappes de fleurs blanches, au parfum d’amande, adoucissent l’ambiance surchauffée. Cet arbrisseau épineux, pouvant vivre 500 ans, a toujours captivé et attiré mon attention. En infusion, les propriétés de la plante contribuent à réguler les problèmes cardiaques. Les histoires de cœur, aujourd’hui, ça me parle. Enfant, j’aimais manger leurs petits fruits fadasses, les cenelles. Maman les appelait « les poires à Bon Dieu ». Il est où, lui aussi, le Bon Dieu, aujourd’hui que je l’implore ? Une légende raconte que les chèvres qui grignotent les feuilles et fleurs d’aubépine voient leurs forces décupler. Je vais goûter… elles ont le goût de leur odeur. C’est agréable, mais question force, pas d’effet ; peut-être qu’il me faudrait manger l’arbre en entier, telle une chèvre ! Il paraît même que des fées se cachent dans leurs rameaux et que c’est la plante des femmes. Depuis une heure que je me désagrège à leurs pieds, rien ne se passe ; peut-être à cause d’une surdose de désillusions.
Ne serait-ce pas le moment de bouger ? Nous n’allons pas rester sur cette montée caillouteuse, en plein soleil. D’ailleurs, Kitty a la langue qui pend jusqu’à terre. La réserve d’eau est sur le dos de Griotte, pas du tout envie de toucher au chargement qui est déjà branlant. Pas bête, la fille ! Je vois bien qu’il y a quelque chose qui cloche avec ce bât, et la première source n’est pas très loin. Un autre conseil me revient. Tout en tenant d’une main la longe de Griotte, je m’étire pour couper une branche de genêt et me contorsionne pour lui tapoter les fesses. Très efficace cette technique, elle demande une certaine souplesse et une bonne maîtrise de l’équilibre, mais ça fonctionne. Super ! Elle avance, pas vraiment décidée, avec des regards en arrière. Mais, pas à pas, nous arrivons en haut de cette foutue grimpette pleine de cailloux.
À peine trois kilomètres en trois heures… ce n’est pas gagné le tour du parc national des Cévennes ! Kitty se roule et s’éclabousse dans ce petit trou d’eau. Griotte, elle, n’en veut pas de cette eau boueuse, parce que madame est délicate ! Elle me donnera l’occasion plusieurs fois de le constater. C’est reparti, direction la crête. Nous croisons quelques randonneurs. Il me semble leur faire pitié et je crois que ce n’est pas qu’une impression. Je suis fermée sur mon triste sort, ne cherche pas à communiquer. Un signe de tête, pas plus. Je transpire à grosses gouttes, soleil de plomb en ce neuf mai. Ça devient orageux. En effet, l’orage gronde sur le mont Lozère. Une, puis deux, puis trois gouttes… Le vent se lève, je me refroidis d’un seul coup. Évidemment mon coupe-vent est perché sur le dos de Griotte. D’un autre côté, prendre le temps d’un casse-croûte et s’hydrater après ces efforts serait raisonnable.
Allez, courage, c’est bien de lui dont j’aurai besoin pendant quarante jours ! Trouver un arbre, attacher Griotte, la débâter, jusque-là tout va bien. L’estomac noué, c’est dur d’avaler. Le cerveau vide, je me demande s’il y a encore quelqu’un là-dedans. Mais il me faut remettre le paquetage. Griotte bouge en tous sens. Kitty, me voyant en difficulté, nous tourne autour en aboyant. Quelle drôle de chorégraphie nous faisons, plutôt comique comme danse. Je gueule, je trépigne, j’ai de nouveau chaud. Encore ce chargement branlant, ça cloche sérieux cette histoire. Je me demande bien ce que je suis venue chercher dans ces montagnes ? En une demi-journée, me voilà épuisée, démoralisée… Je maudis cette bête qui ne m’épargne pas. Nous arrivons tout de même à avancer. Quelques arrêts brutaux, quelques retours en arrière douloureux, quelques envies de brouter… Mais bon, on avance !
Que c’est magnifique ! Des montagnes à droite, à gauche. La nature est gorgée de sève de printemps. Les genêts illuminent le paysage d’un jaune soleil qui redonne la joie de l’espoir. Le ciel nuageux peint la toile de l’univers de mille façons.
J’aperçois une nouvelle galère. Un troupeau de moutons gardé par un patou. Je me pétrifie, ma sueur devient froide ; j’ai vu, sur Internet, des témoignages terrifiants sur ces chiens quand ils montent la garde. Il est hors de question d’aller à l’affrontement. La seule solution est l’attente dans la discrétion. Nous gardons la distance et avançons à son rythme. Au point où nous en sommes, ce n’est pas une heure, voire deux, qui changeront la donne. La situation convient très bien à Griotte qui fait la razzia de tout ce qu’elle trouve à proximité.
Enfin, ils bifurquent… un début d’allégresse me parcourt… de très courte durée… le chargement tombe ! J’aurais dû parier, mais avec qui ? Je suis seule, terriblement seule, au milieu de nulle part. Quand le chargement vrille, le tout se retrouve sous le ventre de l’ânesse. Vite, se dépêcher pour éviter qu’elle ne se blesse. Le problème c’est que pour recharger, il me faut un arbre pour l’attacher. Un arbre, sans branche basse, que le sol ne soit pas en pente, des conditions irréelles en cet endroit. J’en ai marre de calculer, de résoudre cette série de difficultés. De plus, je parle constamment à Griotte et à Kitty pour les motiver, les rassurer, garder le contact. J’en ai marre des : « Allez viens ma belle ! », des « Allez hop ! Allez hop ! » (Je ne me souviens plus des cris de guerre de Noé), des « T’inquiète Kitty, tu es brave »… et patati et patata. Bon, je vois l’arbre, ou plutôt un poteau de bifurcation, à environ vingt mètres. Après avoir tout déchargé rapidement, j’amène Griotte et l’attache. Je repars et reviens avec deux des sacs, vingt-cinq kilos en tout. J’y retourne pour chercher le sac de dix kilos. Il manque encore le tapis et le bât… nouvelle navette, tout cela avec Kitty accrochée à mes basques, au cas où je me fasse la belle. Me revoilà ; je m’assois, ou plutôt m’écroule et me dissous dans ce carré d’ombre. J’en profite pour sortir la réserve d’eau et le seau pliable. Je rassemble de nouveau mes forces, toute ma concentration, toute ma capacité pour rester calme. Et c’est reparti pour un petit ballet à trois, nous sommes loin du lac des cygnes. « Allez hop ! Allez hop ! » Nous approchons de notre première destination.
Il est agréable ce petit sentier plat ombragé au milieu des aubépines, des genêts et des châtaigniers. Nous débouchons sur de petits vallons, des pâturages. Toujours changeants ces paysages cévenols. Un début d’union s’installe, nous trois, au milieu de ces merveilles.
Une croisée de chemins. J’hésite, ma compréhension de la carte IGN (Itinéraire pour Grande Randonnée) est très relative. Mon instinct me dit tout droit, mon mental à droite. Il me faudra du temps et plusieurs erreurs pour comprendre que c’est son instinct qu’il faut suivre. Nous prenons à droite, à chaque pas, je doute, mais continue bêtement, juste pour apprécier la descente. Trois kilomètres plus bas, je croise un 4x4 et demande conseil. Pas très agréable cette personne, limite antipathique. Un chien est enchaîné et déchaîné à l’arrière du véhicule ; il ne demande qu’à nous bouffer. Le verdict tombe. Il nous faut remonter les trois kilomètres… reste deux de plus avant d’arriver au Fenouillet et il est déjà 19 heures. Ceci me semble impossible ; j’ai consommé toutes mes capacités et rêve de demander l’hospitalité. Mais à cet homme… avec ce chien… non ! Telle une automate, je lève une jambe puis l’autre, l’esprit totalement déconnecté. Ma seule satisfaction, et non des moindres, est que Griotte avance vraiment, ne cherchant ni à manger ni à s’arrêter.
Le Fenouillet, enfin, se profile devant nous ! Encore quelques mètres et j’aperçois le sourire de Nathy. Libération ! Partie à 10 h, arrivée à 20 h, pour faire à peine sept kilomètres. Je m’affale sur une chaise, bois des litres de sirop afin de remonter le taux de sucre et de noyer ma désillusion cuisante. Encore quelques efforts pour installer tout le monde ; j’enferme Kitty, pour lui éviter les assauts d’un jeune chien et constate sa reconnaissance. Je ne bouge plus, regarde tout ce petit monde s’affairer joyeusement… un petit fils est né hier.
Gratitude.
Un jour sans entrain, le moral dans les chaussettes. Je décide de me reposer. Je suis fourbue de la journée d’hier et ma main droite est abîmée. Force est de constater que mes pires prévisions sont en deçà de la réalité. Mes capacités physiques, la gestion permanente des animaux et mon incompréhension de l’âne sont sans équivoque. Je prends en compte mon appréhension de l’animal, ce qui joue un rôle dans notre relation. Il me faut réviser l’organisation des sacs, me débarrasser de ce qui me semble inutile, recoudre les deux anses.
Je balade Griotte, la dorlote pour rester en contact. Je m’occupe de Kitty ; elle aussi, a été éprouvée hier et doit se questionner sur cette aventure : elle a déjà reçu deux coups de sabot.
Mon pessimisme me désarçonne. Il enclenche des peurs et des doutes. Eh bien ! Le voilà le sujet de mon périple : les émotions, suivre le chemin philosophique du Dr Edward Bach (investigateur d’un système de soins émotionnels, au début du vingtième siècle, dans la quête d’un bien-être mental en vue d’un bien-être physique grâce à des élixirs floraux). Depuis trois ans, je me forme pour devenir conseillère en fleurs de Bach et c’est pour finaliser cet apprentissage que j’ai décidé d’aller à la rencontre des fleurs. Dès le premier jour, question émotions, me voilà servie.
Et cette histoire de blog ! Un blog, pour dire quoi ? Mon désarroi ? Mon envie de démissionner ? Stagner le deuxième jour me désespère. Il me faut vite oublier mes prévisions et vivre au présent. C’est bien ce que je suis venue chercher dans ces montagnes, non ? Si je décide de continuer, il faut que je m’adapte rapidement à ce concept très nouveau pour moi.
Je profite du réseau pour donner des nouvelles à ma famille qui est en attente. Martine, une de mes sœurs, m’envoie une image de l’archange Gabriel, protecteur des voyageurs. Elle m’informe que les anges sont là pour nous aider ; il suffit de demander. On les oublie trop souvent ; du coup, ils se retrouvent au chômage technique. Je retiens cette information. Si je peux me rendre utile dans leur recherche d’emploi, je me ferai un grand plaisir de le, ou les convoquer !
Debout à 5 h 30, départ 7 h 30, pour profiter de la fraîcheur. Premier virage, tout tombe. Chouette, super, génial ! Recharger, coup sur coup, après avoir tant bien que mal curé les sabots de Griotte, je me sens déjà épuisée, au bord des larmes. Toujours vérifier avant de partir que la sangle ventrale soit bien serrée. En effet, le ventre de l’animal se dégonfle quand tu finis le chargement. C’est assez étrange, mais bien réel. Une grande envie d’abandonner ce périple m’assaille. Capituler me semble aussi impossible. Ce sentiment d’échec serait bien trop lourd à porter. Mon ego me pousse à reprendre notre petite danse à trois.
C’est reparti, Griotte marche, quel bonheur ! Comme nous reprenons le sentier qui nous mène sur la crête, elle doit croire que nous rentrons. En effet, arrivée en haut du chemin, elle désire de tout son poids prendre la route du retour. C’est un vrai calvaire de la retenir. Pincement de nez, branche de genêt en main, la voix ferme, enfin elle abdique.
Je profite pleinement de l’environnement, me gorge de nature en ce petit matin printanier. Je la félicite, lui gratouille le tour des oreilles, enlace son cou. Je commence à l’aimer cette bestiole, malgré tout. Un bien-être s’ébauche dans cette découverte des Cévennes. La marche est plus facile, je suis gonflée à bloc, chante mes espérances.
Mais rien ne dure une fois de plus ; le barda se retrouve sous Griotte ! Je prends le temps de la réflexion. La veille, au téléphone avec Luc, nous avons longuement discuté de ce problème. Depuis le départ, mes sacs sont placés de chaque côté du bât, dans leur hauteur. Il me conseille de les mettre dans leur longueur. J’essaie, un léger mieux, l’équilibre me semble moins précaire, mais je reste insatisfaite. Évidemment, nous perdons du temps et il nous reste à gravir le sommet du Col du Pas.
Nous y voilà, devant cette montagne de roche. Du caillou, rien que du caillou. La végétation est spartiate, peu d’ombre. Les pierres roulent sous nos pas. Par endroit, la roche est à nue ; il nous faut trouver notre passage, lever haut les jambes et les pattes, ce qui déséquilibre le chargement. Je ne veux surtout pas qu’il tombe ici, où il n’y a pas d’accroche pour tenir Griotte, pas d’ombre. Je passe mon temps à essayer de stabiliser et de retenir le tout. Il est 13 h, le soleil est de plomb, la montée est raide et interminable. Je m’inquiète pour Kitty, avec ses poils épais et noirs ; je vois qu’elle souffre de la chaleur. Nous partageons ma gourde, à petites gorgées, petites lapées régulières. Nous profitons des petits coins d’ombre pour reprendre notre souffle. Cette partie des Cévennes est aride, pas de cours d’eau, pas de source, un vrai désert minéral. À notre dernier arrêt, Griotte a bu cinq litres d’eau ; il nous reste peu de réserve. Pas le choix, nous devons rejoindre Aire de Côte. L’eau va devenir mon obsession. De toute façon, impossible de se poser sur ce rocher. Virage après virage, enfin, nous arrivons en haut du col sur une route plane. Le dernier kilomètre n’en finit plus, le bitume est chaud ; Griotte tient à tout prix à renifler et frotter ses naseaux sur les bulles du goudron brûlant. Très curieuse cette attitude ! Je la soupçonne de se faire un shoot de pétrole et l’en dissuade vivement.
Explosion de joie, je crie, je chante et danse mon soulagement de voir enfin le gîte équestre d’Aire de Côte. L’endroit est magnifique, un plateau herbeux et arboré avec différentes essences d’arbre qui apportent une protection contre le vent. Nous sommes à 1085 mètres d’altitude, l’air est frais et respirable.
Il est 16 h, nous avons parcouru environ dix kilomètres, que de progrès ! Récompense pour tout le monde : deux poignées d’orge aplatie pour Griotte, deux poignées de croquettes pour Kitty qu’elle touche à peine, un thé et un biscuit pour moi. Je n’ai mangé depuis le lever du soleil que des fruits secs et des fruits à coques. Mon pantalon tombe… en trois jours, je pense avoir perdu deux, trois kilos, entre la transpiration, les efforts et le stress.
Le gîte équestre est fermé pour cause de rénovation, de mise aux normes, ce qui ne me déplaît pas. Griotte profite du parc à chevaux et de toutes les grandes herbes qui n’ont pas eu l’occasion d’être broutées, une aubaine. Que c’est bon de s’asseoir, de savourer un repos mérité ; nous avons le temps de profiter de ces instants avant de préparer le bivouac.
L’endroit est assez fréquenté par des randonneurs et des coureurs forcenés. La plupart viennent de Valleraugue en passant par le Col du Pas. Griotte les attire, ce qui permet d’engager de sympathiques échanges. On m’indique une source d’eau : autre explosion de joie, un filet d’eau très fraîche tombe en petite cascade dans des troncs d’arbre creusés sur trois niveaux. Une vision idyllique. Petite piscine pour Kitty qui ne contient plus sa joie de s’ébrouer, pour ensuite, se rouler à terre avec frénésie et ainsi de suite. Je suis réconfortée de la voir s’ébattre de satisfaction… un moment d’union, d’amour et de gratitude.
Il est 18 h ; le passage se raréfie ; il est temps d’installer le bivouac et d’organiser la soirée. Munie de ma trousse de toilette, de chaussettes propres, de sandales et d’une espèce de pyjama, doudou, tout doux, je retourne à la source suivie de près par Kitty. Ouh ! C’est froid ! Ouh ! C’est bon ! Ouh ! C’est froid ! Ouh ! C’est bon ! Je commence par les pieds, remonte petit à petit en séchant et recouvrant les zones nettoyées. C’est vivifiant et intense, je sens tout le stress accumulé se dissoudre, s’évacuer.
Deux randonneuses arrivent dans le même état que celui où j’étais, fourbues. Elles portent lourd sur leurs dos. Elles sont parties tôt ce matin et se sont trompées de chemin. Même satisfaction d’être enfin arrivées, même joie devant la source.
Je fais cuire du riz, ajoute une soupe lyophilisée ; bof, c’est pâteux, mais chaud. Il commence à faire frais ; je suis contente d’avoir prévu des vêtements que j’enfile par couche. Pas de réseau près du campement. Il faut s’éloigner vers une plateforme en hauteur qui surplombe la montagne. Je crains le vide et avance à quatre pattes, mon vertige est difficilement contrôlable. Surtout, ne pas regarder entre les lames du plancher. Je me ressaisis pour profiter de cette vue vertigineuse, une maquette permet de se repérer : au loin les Alpes enneigées. Je souffle dans une corne installée au bord du vide ; le son se répercute sur les montagnes, le vertige me reprend. Tiens, un coureur ! Malgré l’heure tardive, il prend tout de même le temps de dialoguer. Il est venu lors du confinement ; les Alpes étaient scintillantes. Aujourd’hui, le brouillard que l’on voit à l’horizon, c’est la pollution atmosphérique de la vallée du Rhône.
Je rassure mes proches, retourne au campement, il est 21 heures. Je plonge dans un sommeil profond, sans rêves.
Des gouttes d’eau me tombent sur la tête, le dessus du couchage est humide. La tente est trempée de condensation, il fait froid. Il est 5 h 30, je sais que je ne dormirai plus. Sortir du sac de couchage, se contorsionner pour enfiler les couches nécessaires de vêtements, c’est déjà du sport. Je regrette de ne pas avoir sorti des sacs, la veille, le petit déjeuner. Commence la valse des bagages ; j’ouvre et ferme toutes les poches pour trouver le maté et une barre de céréales. Kitty tient à me léchouiller pour me souhaiter le bonjour. Bof, encore de l’humidité, odorante, sur le visage. Je réponds tout de même à son accueil par de bonnes caresses, elle est aux anges. Je salue Griotte et commence le rangement du campement. Je suis effarée du temps perdu, surtout pour replacer le sac de couchage dans sa housse, moi qui n’y suis pas habituée. Je m’énerve déjà, recommence plusieurs fois, la housse se déchire d’un quart. Inspiration, expiration, le calme revient. Tout est trempé, tant pis, on verra le séchage en fin de journée.
Avant de préparer Griotte, je me rends sur la plateforme voir si j’ai des messages et poster un message sur le blog. Je ne suis pas sûre de bénéficier du réseau plus loin. Lever de soleil sur les Cévennes, nous sommes au-dessus des nuages ; je ne peux détacher mon regard de cette vision et suis la progression du soleil orangé. La journée sera belle.
Bon, fini de rêvasser. Il faut encore remplir la poche de dix litres d’eau et harnacher Griotte ; j’appréhende et je m’angoisse d’avance. Je commence par la brosser, elle adore, ne bouge pas d’une oreille, le contact est amical ; j’observe son corps. Le curage des sabots est une autre histoire, elle résiste, me pousse, se détourne. Je m’essouffle, mon dos souffre de ces postures acrobatiques. J’abrège, le plus dur reste à venir. Porter les sacs jusqu’à elle, les placer de chaque côté. J’enlève une couche de mes vêtements. Je place sur son dos la couverture et le bât, je retire une autre couche. C’est reparti, elle commence à danser la gigue ; tout doux, la belle ! J’inspire, expire, me concentre. Premier sac à bout de bras, les anses sont trop courtes ; il me faut le lever au plus haut pour arriver à le placer sur les croisillons du bât. Vite, vite, contourner Griotte pour rééquilibrer la charge avec le deuxième sac avant que le tout ne glisse sur le côté. C’est inhumain, ce truc ! Il me semble impossible de vivre cette situation tous les jours de la durée du voyage. Je continue à enlever mes couches d’habit. Kitty nous tourne autour. Je suis sur les nerfs. Une pause s’impose avant de placer le dernier sac entre les croisillons. Allez, courage pour ce dernier effort. J’ordonne à Kitty de se coucher et de ne plus bouger. Ma voix l’a convaincue, elle obéit ; c’est déjà un bon point. La torture de ce début de matinée prend fin.
Nous allons à la source afin de nous désaltérer ; le prochain point d’eau est à sept kilomètres. Griotte n’en veut pas, elle commence sérieusement à me saouler, celle-là. Je me rassure en voyant le chemin large et plat, prêt à nous accueillir. Griotte s’en fout du chemin, elle regarde les herbes hautes et bien vertes, prêtes à être broutées. Grrr ! Il est déjà 10 heures, nous n’avons même pas avancé de cent mètres. De toute façon, nous n’irons pas plus loin… Tout est par terre… Une colère de feu m’envahit. Je retrouve mes forces pour « escamper » les sacs et tout le tralala dans le paysage. Gourde que je suis, j’ai oublié de resserrer la sangle ventrale avant de partir. Je m’injurie, j’injurie la terre et les cieux, j’injurie ce voyage ridicule. Je ne décolère pas en ramenant Griotte dans le parc. Je ne décolère pas en portant les trois sacs, un à un. Et je bouillonne toujours avec le bât et la couverture.
Ma décision est prise, j’arrête cette m… ! Non, j’arrête avec cette ânesse de m… ! De toute façon, elle n’a aucune envie de me suivre, elle rêve de revoir les siens, qu’il en soit ainsi ! Je continuerai seule… Le chargement étant déjà à terre, je me mets à trier les affaires que je pense pouvoir porter : tente, sac de couchage, matelas et croquettes pour chien me sont indispensables ; un rechange de chaque vêtement et sous-vêtement avec en plus les gants, le bonnet et, bien sûr, le réchaud, la gamelle, une timbale et les couverts. Je calcule les provisions et prends la trousse de secours. Je retire deux livres. L’époque du rêve a pris fin ; adieu peintures, pinceaux et toiles. J’oublie mes ardeurs de réalisation d’élixirs floraux et ne garde que sept flacons compte-gouttes que je remplis de moitié de cognac (conservateur des élixirs) ; je peux ainsi me séparer de la bouteille. Tant pis pour le thermos, tant pis pour les sandales prévues pour le bien-être de fin de journée. J’avais emporté les trente-huit fleurs de Bach réparties dans deux boîtes ; j’en sélectionne dix-neuf dans une seule boîte. Entre six à huit kilos sont retirés ; il en reste une vingtaine. Je rassemble le tout dans un des sacs à dos que portait Griotte. J’essaie… évidemment, le poids tire sur mes épaules, me bascule en arrière. Mais je reste convaincue que rien ne peut être pire physiquement que les épreuves vécues jusqu’à présent. Reste le problème de mon sac personnel. Luc m’a offert ce sac à dos, avec panneau solaire et batterie de recharge, afin de rester en contact. Dedans, il y a mes papiers, ma gourde, des fruits secs, la lampe frontale rechargeable, le carnet de voyage, les cartes IGN, un opinel et la boîte de fleurs de Bach. Je tente de le placer sur mon torse, pas top… je l’accroche sur l’autre sac, pas top non plus, mais je fais comme si… Zut, reste la poche d’eau ! En la remplissant de moitié, je peux la porter en bandoulière. La colère a décuplé mes forces, en pensée du moins !
Je retourne sur la plateforme et téléphone à Noé pour qu’il vienne chercher la bête comme c’était convenu si je galérais trop. Il écoute ma longue liste de doléances, débitée d’un seul jet ; silence au bout du fil. Après réflexion, il me demande si je n’ai pas une amie qui pourrait m’accompagner une journée, le temps de mettre en route Griotte. Il pourrait lui laisser un autre bât et des sangles, afin de rabaisser les sacs : il pense qu’ils sont placés trop haut sur le dos de l’ânesse. De fait, il est prévu que mon amie, Nathalie, me rejoigne demain pour me ravitailler, passer la journée et la nuit avec moi. Mais l’envie n’est plus là. Je ne souhaite vraiment pas continuer avec Griotte qui n’en fait qu’à sa tête. Il me demande de prendre le temps de la réflexion et de le rappeler en fin de journée. Sur ce, je téléphone à Luc pour lui conter mon découragement, même discours. J’ai vraiment le sentiment qu’ils ne comprennent pas la situation. Il me suggère de profiter de cette journée et d’attendre demain pour prendre une décision. La dernière phrase est : « considère-toi en vacances ». Elle est bien bonne celle-là !
Bon, que faire d’autre ? Il est 13 heures. J’ai faim et une sieste s’impose. Le repos me calme. Je décide de suivre le conseil de Luc et profite de cette merveilleuse journée de nature. J’observe les délicates tulipes sauvages, les pins sylvestres et autres essences. La végétation est luxuriante, il fait bon, ni chaud, ni froid. Je discute avec les randonneuses et randonneurs, j’écris, me repose. Je me sens bien, détendue. Demain sera un autre jour, je me réjouis à la pensée de voir Nathalie, Nath de son petit nom.