Ces cris que vous n'avez pas voulu entendre - Roland Anstotz - E-Book

Ces cris que vous n'avez pas voulu entendre E-Book

Roland Anstotz

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Beschreibung

Très souvent méconnus, de tumultueux événements historiques ont marqué profondément les provinces de l’Alsace et la Lorraine, ayant changé de nationalité à cinq reprises tout en résidant à la même adresse. Ces tragédies ont confronté les habitants à des choix difficiles, à des contraintes, et parfois à des conflits internes, devant résister aux envahisseurs et définir ainsi le destin de ces terres. Face à ces tourments, les Alsaciens et les Lorrains ont su préserver leur identité, leur résilience et leur culture authentique qu’ils transmettent avec fierté.


À PROPOS DE L'AUTEUR 

Ingénieur passé à l’écriture, Roland Anstotz porte un regard passionné, nostalgique et amoureux sur le vécu de sa terre natale, l’Alsace-Lorraine. Cette fascination l’inspire et l’emporte dans ses textes où il explore le cancer des conflits franco-allemands, le quotidien des populations de la région ainsi que leurs cultures, et revisite les traces laissées par Hitler tout en observant avec espoir la renaissance du bassin rhénan, trop longtemps marqué par la douleur.

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Roland Anstotz

Ces cris que vous n’avez

pas voulu entendre

Autobiographie familiale de 1860 à 1960

© Lys Bleu Éditions – Roland Anstotz

ISBN : 979-10-422-2524-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma sœur Simone

À mon frère Daniel

Remerciements

À mon arrière-arrière-grand-père Georges,

À mon arrière-grand-père Georg,

À mon grand-père Michel,

À mes parents Lucie et Ernest, à qui j’ai promis de ne jamais oublier leurs souffrances,

À Fritz, Günter et Wilhelm, des Allemands philanthropes qui ont presque ignoré la guerre,

À mon beau-père Albert, courageux,

À Émile, le compagnon d’armes d’Ernest, qui m’a montré et donné,

À Betty, à mon cher Jean, et Marc, merci ! vous m’avez aidé.

Le terme d’Alsace-Lorraine désigne dans les présents propos, les deux territoires ayant changé cinq fois de nationalité durant la période de 1870 à 1945. En 1871, le traité de Francfort, lors de la cession des deux territoires de l’Alsace et de la Lorraine par la France à l’Allemagne, stipulait que la France cédait et renonçait à ses droits et sa propriété faisant suite aux votes de l’Assemblée nationale française. Ces deux territoires dans leur configuration de l’époque :

– L’Alsace était composée lors des actes, du Bas-Rhin d’une petite partie des Vosges à l’est, du Haut-Rhin du Territoire de Belfort. Celui-ci sera détaché et deviendra un département français.
– La Lorraine était composée de la Moselle, d’une petite partie au nord-ouest de la Meurthe. Les petites parties de la Moselle et de la Meurthe, non cédées, ont formé le département français de la Meurthe-et-Moselle.

En second, lors de l’annexion par Hitler de l’Alsace et de la Lorraine à l’Allemagne nazie à l’issue de l’armistice en 1939 - 1940, la même frontière suivait le tracé de 1871. Cette ancienne frontière de 1871 fut rétablie le 25 juillet 1940 en écrivant un nouveau récit de l’Alsace et la Lorraine, celui d’un territoire annexé sous administration allemande.

Cet ouvrage n’est pas destiné à réécrire l’histoire, ne doit pas réveiller les vieilles querelles franco-allemandes issues de ces derniers conflits, mais révéler des pages oubliées, en exorcisant et en apportant quelques précisions historiques concernant ces deux territoires d’Alsace et de Lorraine dans cette configuration. Cette histoire et ces récits sont des expressions, d’un vécu d’une famille comme celles d’un grand nombre de familles de ces régions. Ces modifications n’ont pas été commentées sur le plan historique, occultant certains épisodes pour ne pas créer de nouvelles polémiques au centre de trois conflits, qui ont profondément secoué et troublé ces régions.

Alsaciens et Lorrains ! Une de leurs histoires

Il y a assez d’intelligence, dans le monde, mais pas assez de cœur.

Albert Schweitzer

Sans vouloir réécrire les pages de l’histoire de la France, il faut rétablir certains faits et certaines vérités, que l’histoire de la France a volontairement oubliés. Ces faits doivent être élevés au rang de vérités historiques, en reconnaissant la pérennité, la réalité de ces évènements.

Conscient que ces propos vont susciter des contestations ou des discussions d’historiens, j’ai simplement privilégié des écrits, des faits, des témoignages, des vécus dévoilant leurs rôles et leur potentiel d’émotion, d’authenticité ne devant pas altérer les réalités de l’histoire. Lors de ces années commémoratives en 2024, il est important pour l’Alsace et la Lorraine, de compléter pour que les récits apportent des réponses à certaines lacunes historiques devant éclairer un grand nombre de lecteurs.

L’objectif de mon cœur, et mon espoir est de répondre à des questions d’une famille d’un grand-père, d’une mère, d’un père et d’autres, afin que la France ne gribouille plus certains faits et reconnaisse enfin des statuts et des pages d’histoires occultées. La France doit compléter sa version de l’histoire, qu’elle fasse quelques corrections, des adjonctions dans les manuels d’histoire pour écrire une histoire juste, surtout en cette grande année de commémoration 2024 et ses grandes dates du débarquement en Provence, du débarquement en Normandie et de la libération de Paris.

Ce travail et ces propos doivent aboutir à une reconnaissance universelle de l’histoire sans altérer les attentes des peuples alsaciens et lorrains, pour qu’ils portent sans ambiguïtés ces pages d’histoires profondément ancrées dans leur cœur.

« Je vais fermer l’œil terrestre ; mais l’œil spirituel restera ouvert. »

Ne nous décevez pas !

Préface

La conscience est la lumière de l’intelligence pour distinguer le bien du mal.

Confucius,

VIe siècle av. n.è.

Le monde est jalonné et animé depuis la nuit des temps par de nombreuses rivalités d’hommes, de cultures et d’idéologies. Les berceaux des différentes civilisations ont vu passer des personnes, en les guidant, en les entraînant dans des mouvements pour défendre leurs valeurs fondamentales. Parmi eux figurent Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela, le Dalaï-Lama et tant d’autres ayant brillé par leurs valeurs et l’ampleur de leurs actions couronnées par des prix de reconnaissance et d’excellence. Parmi les neuf prix Nobel de la paix ayant honoré la France, figure celui d’un Alsacien incarnant parfaitement le sujet de ce livre, Albert Schweitzer. Le « Grand Blanc » de Lambaréné, pasteur, philosophe, médecin, musicien, écrivain, facteur d’orgues, chirurgien, théologien, ingénieur, qui a œuvré une grande partie de sa vie au service des Africains en soignant et combattant leurs maladies. Il a reçu de nombreuses distinctions en France, en Europe, aux États-Unis et en Afrique.

En 1952, il fut récompensé par le prix Nobel de la paix couronnant son œuvre. Les fonds récoltés lors de ses distinctions ont été affectés aux équipements, aux extensions et aux améliorations de son hôpital de Lambaréné au Gabon.

Albert Schweitzer, homme du terroir alsacien, a symbolisé par son travail une philosophie, un esprit et une transmission hantant encore les terres africaines de Lambaréné. Il a connu l’humiliation avec son épouse allemande, l’incarcération en Afrique et la prison dans les camps français lors du conflit 1914-1918, pour son engagement à Lambaréné au Gabon, terre coloniale française, en qualité d’Alsacien et de son épouse citoyenne allemande. Néanmoins, il a continué son œuvre envers et contre tout jusqu’à sa mort. À Lambaréné rôde encore l’esprit de ce grand blanc à la grande moustache, homme exceptionnel parmi les blancs, avec son éthique, son profond respect de la vie. Un de ses vieux malades disait : « Chez lui, tu savais que tu serais traité comme un homme. »

Alors qu’il est connu et honoré dans les pays nordiques et aux États-Unis, l’oubli efface discrètement sa grandeur, son action en France et en Alsace, sa terre natale, n’ayant pas assez joué des clairons de la gloire. Barack Obama, dans son discours de réception de son prix Nobel de la paix, dira : « En comparaison de certains des géants ayant reçu ce prix Schweitzer et King Marshall et Mandela, mes réalisations sont faibles… »

Cet Alsacien né citoyen allemand, en Alsace, de 1875 à 1918 et de 1939 à 1945 puis citoyen français jusqu’en 1965 se trouve à la croisée de deux cultures, qu’il qualifie « d’héritage fatal, et de beau privilège ». Il avait une vision universaliste de ces deux cultures s’affrontant dans une troisième qui les respectaient, en portant chacune dans son cœur en tant qu’Alsacien.

Les récits d’histoire écrits, par les membres de ma famille, comme par de nombreuses familles alsaciennes et lorraines, incarnent ces mêmes joies, ces mêmes drames vécus, durant cette période de 1870 à 1945. C’est le drame de nombreuses familles, auxquelles les récits historiques ont reproché leur histoire, ou infligé des actes, des travaux et des tâches contraires à leur conviction. C’est l’affligeante histoire de familles auxquelles l’histoire a enlevé leurs enfants, leurs pères pour les contraindre à se battre pour un pays qui n’était pas leur patrie. C’est la douloureuse histoire de familles ayant été meurtries par la déportation, ou décimées par les exécutions sommaires de leurs occupants ou leurs envahisseurs. C’est le douloureux destin de familles qui ont perdu l’un des leurs, en poussant des cris venant de lointaines terres inconnues, en étant enterrés dans d’indignes et irrespectueuses sépultures. Ces cris venaient de tous les champs de bataille d’Alsace et Lorraine. Ces cris venaient de tous les champs de bataille du nord et du sud. Ces cris provenaient de nombreux champs de bataille de terres de Russie.

Ces cris venaient de toutes les batailles sur les mers. Ces cris venaient de tous les champs de bataille des terres d’Europe. Ces cris venaient de tous les champs de bataille d’Afrique et du Moyen-Orient.

C’est l’histoire de ces Alsaciens et ces Lorrains ayant le statut « d’incorporé de force » durant les deux guerres 1914-1918 et 1939-1945 avec cet ignoble et malheureux statut de « malgré nous ». Mot créé par des circonstances, sans définition académique n’existant pas dans notre littérature, ou dans nos dictionnaires en se trouvant honoré par de tristes plaques sur des monuments. Ces hommes et femmes sont des incorporés de force durant les deux conflits. Ce sont des mots et des maux douloureux méconnus par des aberrations historiques générées par des traits de plume, des signatures de deux traités honteux et ambigus. Ces femmes et ces hommes étaient des incorporés de force à qui l’histoire a attribué une grande variété de qualificatifs, d’actes et d’agissements, à tort ou à raison !

Les connaissez-vous ces Alsaciens et ces Lorrains ? Non. Pensait-on que toutes ces blessures causées et infligées aux Alsaciens et Lorrains allaient être pansées ? Il n’y a pas eu de véritable commémoration, aucune compensation. Pensait-on que l’amitié franco-allemande et la construction européenne allaient balayer ces épisodes douloureux ? Non ! L’Allemagne et la France ayant cautionné cette situation ont une grande dette de cœur envers ces Alsaciens et ces Lorrains pour reconnaître les affronts, les souffrances, les morts sur les champs de bataille, dans les camps et le STO. Cet épisode est également un problème franco-français, alimenté par la honte et l’ignorance n’ayant jamais reconnu cet épisode douloureux dans son histoire.

Cette question nous interpelle et exige que nous répondions pour faire cesser des qualificatifs inappropriés. Ces propos, ces attributs et pensées sont le fruit de négligences historiques de craintes afin d’affronter en expliquant toutes les circonstances de cette histoire.

Ces Alsaciens et ces Lorrains étaient régulièrement traités de « boches ». Quels sont leurs motifs ? Qu’en pensez-vous ? Ces propos étaient souvent tournés en dérision afin qu’ils ne choquent pas ou qu’ils ne soient pas vexatoires, laissant planer un flou malsain.

Je ne peux que repenser à ce concept de Paul Harris, fondateur du Rotary ayant eu comme valeur fondamentale pour ses membres le critère des quatre questions paraissant particulièrement adaptées à ce sujet :

1. Est-ce conforme à la vérité ?

2. Est-ce loyal de part et d’autre ?

3. Est-ce susceptible de stimuler la bonne volonté réciproque et de créer de meilleures relations amicales ?

4. Est-ce bénéfique à tous les intéressés ?

Cet adage doit nous conduire sur le chemin de la compréhension, de la tolérance et de la recherche des vérités ne devant pas permettre d’agir en fonction d’apparences ou de rumeurs.

Est-ce cet accent « alsacien » qui les ridiculise ou qui incite à la moquerie ?

Notre intonation est tout aussi belle, mélodieuse et marquante que celle des Marseillais, mais là-bas, on dit qu’elle chante comme les cigales ! On ne se moque pas d’eux et on ne les passe pas en dérision !

La France est un beau pays bercé entre des cultures nordiques et des cultures méditerranéennes se nourrissant, exultant parfaitement de cet antagonisme de différentes sensibilités cohabitant avec leurs cultures frontalières rhénanes des Alsaciens et des Lorrains.

En Alsace et en Lorraine, une douce colère agrémente ce sentiment d’un manque de reconnaissance et de respect répondant à une incessante dérision. De nombreuses décennies qu’ils soient des médias, des présidents de la République, des comédiens, des ouvriers, des fonctionnaires, des garçons de café, etc., ils se sont illustrés par leur moquerie. Cette connotation de boches est devenue un état d’esprit bien ancré lassant et fatiguant les oreilles des Alsaciens et les Lorrains.

En Alsace, l’histoire a laissé de hauts lieux, où les visiteurs ressentent le temps d’un recueillement les liens unissant les femmes et les hommes enterrés sous leurs pieds. Ces sites sont animés par de fortes vibrations telluriques, de fortes et intenses mémoires de lieux devant été élevés au rang de lieux sacrés, parrainés par le sang et les larmes versées. Les historiens retranscrivent leurs témoignages par des études, mais les fantômes de l’histoire animent et torturent encore le cœur de ces femmes et de ces hommes. Il est difficile de les décrire par l’histoire avec leurs conséquences, par des termes adéquats, mais je vais m’y risquer et essayer…

Ma première déception significative de petit Alsacien eut lieu durant ma 10e année pendant un séjour en colonie de vacances dans les Vosges ayant été ma première rencontre avec des garçons et des filles venus des quatre coins de France. Les randonnées pédestres quotidiennes, les joyeuses nuits dans les granges des fermes auberges furent perturbées lors d’une soirée par l’interpellation d’un Lyonnais et d’un Parisien « Mais toi, tu n’es qu’un sale boche… ». Vous direz que ces propos étaient des âneries d’enfants, mais d’où venaient-ils, dans quel domicile, dans quelle école avaient-ils été proférés ? La bagarre rangée entre Alsaciens et Français de l’intérieur ayant suivi cet incident fut sévère et demanda l’intervention et les soins d’un médecin. Le directeur de la colonie infligea une punition aux Alsaciens considérant notre réaction anormale, la remarque n’étant qu’une blague n’autorisant en aucun cas notre réaction constituant une brimade pour les uns et une insulte pour les autres. Le directeur après interpellations et les explications des parents d’Alsaciens, s’excusa en confirmant qu’il ignorait ces circonstances de l’histoire.

Des épisodes analogues se sont répétés, en me faisant traiter de « boches », dans certaines régions françaises, dont quelques-unes excellaient par leur raillerie. N’était-ce pas une forme de racisme ou de bêtise humaine ? Non, mais un mélange des deux et surtout un manque de connaissances de l’histoire, dont la France et ses dirigeants successifs sont les grands responsables ayant occulté des faits particuliers de l’histoire de la France, depuis la fin des conflits franco-allemands ! Dernièrement, un soi-disant document a été montré, et qui devait être la seule photo existante des bus de la rafle du Veld-Ives, c’est faux ! De nombreux agents de l’époque se pavanaient suffisamment pour confirmer ces faits. La préfecture de Paris regorge d’un grand nombre de témoignages de photos de cet incident, et non d’une seule, racontant ou voulant faire croire à de fausses circonstances de ce drame et de ce terrible épisode. Pourquoi ce mensonge ? Les drames des Alsaciens et des Lorraines sont tout aussi malheureux, aussi honteux, montrant un manque de respect de leurs compatriotes, oui ! La France a honte de montrer certaines pages de son histoire. Où allait-on considérer que l’amitié franco-allemande et la construction européenne allaient balayer ces épisodes douloureux ? Non, cela continue, c’est un problème franco-français alimenté par la honte l’ignorance et le mensonge. L’Allemagne et la France ont une grosse dette de cœur envers les Alsaciens et les Lorrains pour reconnaître leurs souffrances. Écrivons une histoire juste !

Voilà quelques-unes de ces célèbres coquilles publiques montrant encore l’ignorance, la bêtise provenant de médias, de plateaux de télévision, ou de la vie politique française.

Lors du match de la finale Nantes-Strasbourg, la Coupe de France en 1966 remportée par le Racing-Club de Strasbourg, le journaliste Thierry Roland lança sur les ondes radio, sans aucune hésitation « la Coupe quitte la France et va en Allemagne ». Pour Thierry Roland, la ville de Strasbourg n’était-elle pas en France ?

En 1992, « En Alsace, on est chez les Boches », lance la comédienne Anémone sur le plateau de France 2.

En 2011, L’Express inspiré par un humour satirique a félicité une miss France alsacienne lors de son élection par un grossier « Danke schön ». Ignorait-il qu’en Alsace-Lorraine, on disait tout simplement « merci » ?

Le président Sarkozy, brillant, eut un lapsus très révélateur lors d’un entretien devant des entrepreneurs alsaciens : « Je peux accepter les distorsions de concurrence avec la Chine ou l’Inde, mais pas avec l’Allemagne… et je ne le dis pas simplement parce que je suis en Allemagne, euh, euh, euh ! euh ! … En Alsace. »

Que de délicieuses remarques !!!... Christophe Barbier voulant montrer sa bêtise, sa culture défaillante dans L’Express expliqua la grande chance qu’avaient eue les Alsaciens et les Lorrains de devenir citoyen français en 1648… et que seuls 49 % des Alsaciens et 31 % des Lorrains « parlent bien ou couramment le français » ! Affirmation insolente montrant son manque de culture et une méconnaissance du sujet ne prenant pas en compte les réalités de l’histoire. En 1648, l’Alsace était une terre de grand rayonnement culturel et économique, un petit peuple très convoité, une démocratie prospère et autonome, riche avec sa banque et sa presse, étant inconnues en France. Louis XIV y était venu principalement pour alimenter ses caisses et admirer selon ses dires « un beau jardin ». Sur le plan linguistique, l’enseignement du français dans les deux provinces ne s’est fait qu’après la Révolution, soit en 1800, 150 ans après l’annexion. En réponse, j’affirme que les Alsaciens-Lorrains ont eu le grand privilège d’apporter bien plus à la France, que la France leur a donné. Pour illustrer ce point d’histoire, la France n’a pas su les protéger en 1870 en cédant l’Alsace et la Lorraine aux Prussiens, et par la suite en les abandonnant à Hitler en 1940. L’Alsace et la Lorraine furent pendant la période de 1870 à 1945, une monnaie d’échange ou un pion sur un échiquier que la France ne respectait pas et qu’elle ne protégeait pas. Quelle province française a subi le même sort ?

Ah ! Ils ont été nombreux, ces Alsaciens et ces Lorrains qui, en voyageant en France, ont été salués par les plus vulgaires salutations : « Ah, c’est les Boches qui arrivent », lors de leur accueil sur des terrasses d’été, par des saluts hitlériens.

Et plus récemment, lors des déclarations de nos personnages de la République qui étaient toujours aussi caustiques, et toujours aussi malveillantes. Même si certaines phrases sont sorties de leur contexte, ces mots n’auraient jamais dû être prononcés.

François Hollande, oubliant un peu l’histoire, déclara lors d’une rencontre avec la Chancelière allemande Angela Merkel à Metz, le 7 avril 2016, que « L’Alsace n’existe plus ! ». Le Président de la République répondait à une question relative au Parlement alsacien des jeunes au sein de la grande région. Ignorance politique et bêtises parisiennes, les Corses l’auraient jeté à la mer, comme nous aurions dû le balancer dans le Rhin.

Ceci, après une affirmation arrogante et blessante du Premier ministre, Manuel Valls, en 2014, selon laquelle « … il n’y a pas de peuple alsacien ». Encore des bêtises et des arrogances provenant de nos tours parisiennes.

Le 12 novembre 2016, le secrétaire d’État à la Réforme territoriale André Vallini répondant à des journalistes au sujet du référendum sur la fusion territoriale, en application des engagements internationaux de la France, que « le peuple alsacien manquait de maturité pour utiliser de façon pertinente, cet outil de démocratie directe ».

M. le secrétaire d’État, vous avez gagné le grand pompon de la connerie et du bêtisier politique, aviez-vous abusé de notre schnaps ou étiez-vous tombé sur la tête, en prenant les Alsaciens pour des demeurés, et en nous précisant la définition du terme de maturité ? Mais quel est donc ce sentiment qui vous anime, pour tenir de pareils propos au sujet d’un peuple de plus 1 800 000 compatriotes ?

L’éditeur alsacien Jérôme Do Bentzinger a publié un croustillant et savoureux ouvrage : Lettre ouverte aux alsacia-nophobes et aux quelques crétins de l’intérieur qui pensent que les Alsaciens sont à l’extérieur rétablissant des vérités entamant ce grand plaidoyer pour la vérité devant être impérativement lu pour répondre aux politiciens incultes et ignorants ! …

Les péripéties de notre histoire précisent qu’une famille sur sept déplore encore à ce jour, quatre-vingts ans après les faits, plusieurs membres de leurs familles disparus, morts en Europe, en Russie et ailleurs. Ils ne bénéficient d’aucune pensée attachée à une sépulture digne. N’oubliez pas les nombreux déserteurs alsaciens et lorrains ayant rejoint les forces alliées où souvent, ils étaient humiliés à leur arrivée par les Américains.

Ces états d’esprit proviennent en majorité de cette histoire qui n’a été que sommairement racontée et expliquée aux Français. Les Alsaciens et Lorrains sont nés là, ils ont vécu travaillés et dansés, pleurés et chantés, ri et souffert. Ont-ils choisi ? Non, tout comme les autres peuples de nos différentes provinces ayant écrit leur histoire. L’incompréhension et l’ignorance de certains faits alimentent encore des propos médisants issus de cette histoire, que je vais essayer de raconter et de retracer. En préliminaires, nous avons en France une détestable et arrogante habitude d’écrire l’histoire. Chacun l’écrit à sa manière ou à sa sauce, avant qu’elle soit publique, en l’arrangeant en oubliant des épisodes afin qu’elle soit parfaite, quitte à mentir à nos générations futures. Les historiens ne rougissent pas, car elle est belle, elle est parfaitement rédigée pour nos livres d’histoire et nos apparences. Nous assumons cette réalité, ces faits laissant des personnes dans la souffrance au nom de notre sacro-sainte idéologie en étant de grands hypocrites, en baignant dans notre corruption endémique.

Le drame des Alsaciens et des Lorrains commence en 1870 !!!

Les heures sombres de l’Alsace et de la Lorraine commencent à l’issue de la guerre franco-prussienne de 1870. L’Alsace venait de vivre depuis son annexion ou rattachement à la France en 1648 qu’une petite centaine d’années de culture française. Triste réalité et incroyable vérité animant et s’écrivant dans notre histoire française montrant une France ne s’occupant pas de ces deux provinces. La chute du Second Empire se solde par des séances rocambolesques à la cession et la renonciation par la France, de l’Alsace et de la Lorraine, votée par notre Assemblée nationale française. On attribue à Napoléon III, l’ensemble des malheurs, et les conséquences de cette guerre, qui est une injustice historique ainsi bien que morale. Les évènements feront la destinée des deux provinces étant des actes politiques et diplomatiques, orchestrés par des hommes politiques incompétents, surtout animés par nos habituels débats idéologiques, sans défendre et s’occuper des intérêts des terres de la France. Ces tristes pages sont délaissées par la France ou peu racontées dans l’histoire française n’aimant pas les citer ! Il est coutume de ne pas admettre les erreurs ou les injustices commises au nom de la nation. Avant de reconnaître une vérité, on assiste souvent à des circonvolutions, des volte-face ou des réponses à des questions étant l’image de cette réplique présidentielle, sur les responsabilités de l’État français, « des persécutions et crimes commis contre les juifs de France ». En réponse le 14 juillet suivant, le président Mitterrand grand irresponsable et opportuniste ayant baigné dans le pétainisme dira : « ne demandez pas des comptes à la République, elle a fait ce qu’elle devait. L’État français, ce n’était pas la République », réponse d’un ancien pétainiste. Ce point fut, à juste titre, rectifié par le président Chirac, à la satisfaction des personnes concernées, prenant enfin en compte les douleurs et les meurtrissures de tous.

La question posée à la France : « Quand regardera-t-elle ce malheur sous toutes les entités ? Quand reconnaîtra-t-elle le malheur et le drame des incorporés de force alsaciens et lorrains, lors des conflits 1914-1918 et 1939-1945 ? La France, pensera-t-elle un jour à ses soldats qui sont morts sous la contrainte ? Il n’en reste plus, l’histoire pourrait avoir une pensée pour eux. Ne soyez pas que des historiens, soyez des femmes et des hommes avec du cœur, reconnaissant l’ensemble des vérités de l’histoire ! »

Lors de longues conversations avec mes concitoyens, sur les bancs-reposoirs ou les bancs napoléoniens d’Alsace, j’ai eu le privilège de réunir de nombreux témoignages, des histoires, des documents et des notes personnelles ayant été les acteurs et les forgerons de notre histoire qui ont permis de conforter les propos que je souhaiterais vous transmettre.

En particulier, un arrière-grand-père blessé lors de la période 1870-1914, un grand-père Michel mutilé calomnié par les Allemands lors du conflit de 1914-1918, ma mère Lucie et mon père Ernest meurtris, enrôlés de force et blessés lors des conflits de 1939-1945 qui m’ont interpellé en 1969 : « N’oubliez jamais nos souffrances pour qu’elles soient le lien d’amour et de paix. Qu’elles scellent éternellement ces valeurs des terres d’Alsace et de Lorraine, pour que ces horribles évènements ne surviennent plus ! »

À mes deux villages natals

En 1950, Westhoffen est un de ces villages d’Alsace ayant survécu aux violents drames où les habitants avaient changé cinq fois de passeport en 75 ans, habitant à une même adresse. C’est un village, un beau petit bourg, un havre de paix de 1 500 habitants qui est situé à 30 km à l’ouest de Strasbourg. Avec ses traditions, les familles s’endormaient, se réveillaient chaque matin dans cette bourgade blottie sur des versants prévosgiens, entre les premières futaies et les coteaux de vignes. À leurs pieds, la plaine d’Alsace et ses prairies, le bétail, les champs de céréales de tabac, les betteraves, le colza et les pommes de terre poussaient abondamment et assuraient depuis des siècles, les revenus et les salaires des habitants. Le temps avait rassemblé ces familles, ces tribus qui cohabitaient, regroupées par l’histoire, constituant la richesse de cette petite cité. Les fermes à la traditionnelle architecture à colombages, dont une ancienne propriété impériale, quelques maisons de maître, quelques vestiges de fortifications et des demeures médiévales constituaient la majorité des bâtisses, imprégnées par la grande tradition rhénane. Les vestiges d’une ancienne cité mérovingienne, devenue terre et domaine impérial, la Rosenburg, le Château des Roses, connexe au village, furent naguère la propriété de grandes familles. On avait exploité des mines de minerais de fer et d’argent pour les Hanau-Lichtenberg, formant de prestigieux témoins de son histoire. Les vestiges d’anciennes fortifications, des portes datant du 14e siècle et la tour du beffroi nous ont laissé de belles traces de l’histoire de cette cité. Le « Staedel-Gloeckel » – la cloche du village, devenue la « Silvergloeckel », ou la cloche en argent du beffroi continue à carillonner tous les soirs à 22 heures, pour inviter les habitants à rentrer au bercail, ou au repos rappelant la légende de la provenance de cette cloche d’argent : « Dans des temps médiévaux lointains, la fille d’un seigneur-locataire d’un des châteaux de la région s’était aventurée dans les forêts environnantes. Lors de la nuit tombée, elle errait dans les bois obscurs, sans retrouver son chemin. L’absence se prolongeant, et l’inquiétude grandissante, le seigneur inquiet ordonna de faire carillonner les cloches des villages environnants. Il promit de récompenser le village qui permettrait de la guider pour trouver son chemin. Elle gagna à l’aube d’une journée, notre village et les cloches des villages des alentours s’arrêtèrent. Le Seigneur rejoignit le village dont les seules cloches sonnaient encore et retrouva sa fille. En guise de remerciements, le Seigneur offrit des cadeaux et une nouvelle cloche en argent pour le beffroi, qui devait sonner tous les soirs à la tombée de la nuit pour inviter les villageois au repos. »

— Au fil du temps, chaque ferme s’est dotée de son histoire, d’un nom de la tribu, d’un surnom, de petits incidents, des tabous, des secrets ne devant en aucun cas être divulgués sous peine de déclencher d’interminables discussions, qui se transformaient en conflits devenant à leur tour des tabous et des non-dits. Au centre de ce village se dressent deux églises avec leurs presbytères, l’une protestante, l’autre catholique à l’ombre de deux clochers où se camouflent les deux écoles communales fraîchement repeintes et restaurées en 1950. L’Église protestante, néogothique de l’époque médiévale, est une des dernières églises-halles d’Alsace avec un chœur et un ensemble de vitraux exceptionnels du 14e siècle. L’église catholique de construction plus récente témoigne de la qualité des bâtisseurs du 19e siècle. Une synagogue implantée aux pieds des murs des anciennes fortifications médiévales indique la présence d’une importante communauté juive, avec son cimetière. Elle est sans doute l’une des rares synagogues ayant échappé aux opérations de démolitions nazies. La communauté juive du village fut une des plus importantes d’Alsace, étant le siège d’un rabbinat jusqu’en 1924. Ce village est célèbre par des personnages renommés faisant sa grande fierté, comme Simon Debré venu de Bavière pour se fixer dans la cité, le grand rabbin-père de la dynastie des Debré, n’oubliant jamais de saluer le village lors de ses passages en Alsace. D’autres personnages comme le grand-père du mathématicien Laurent Schwartz et le père de Léon Blum figurent sur les livres de la cité.

On y parle l’alsacien, ce dialecte blâmant tant les Alsaciens en écoutant les Français de l’intérieur, en assimilant l’alsacien à un dialecte allemand. Grande erreur ! Bien que proche sur le plan phonétique, il est faux d’assimiler notre dialecte alsacien à l’allemand. L’alsacien avec ses différentes variantes phonétiques est issu de langues anciennes qui sont l’Alaman et le Francique. L’Alaman, une vieille langue morte, était parlée en Europe centrale ayant distribué son vocabulaire dans ces régions. Les Alamans occupaient un royaume barbare de l’Alémanie dans le sud de l’Allemagne, la Suisse, le sud des Vosges et l’Autriche et les peuplades rhénanes parlaient plusieurs dialectes issus de ses terres. Le Francique était une langue parlée dans la vallée rhénane de Bâle jusqu’à la mer du Nord. Le francique rhénan cédera beaucoup des termes aux différentes langues de la Rhénanie et du nord, et même à l’anglais. L’alsacien est une langue vivante faisant partie de notre patrimoine au même titre que le corse ou le basque… Il a un cœur, sans orthographe et sans grammaire avec une littérature, une musique, un folklore, des chants, des comédies musicales avec ses pièces de théâtre. Les études faites, par le professeur Matzen, poète parolier et grand spécialiste en langue alsacienne ont dénombré environ 67 variantes phonétiques d’alsacien, se côtoyant dans les vallées et les plaines alsaciennes. L’alsacien est un mélange venu du temps intégrant les langues parlées par les populations de la vallée rhénane. En Alsace s’est forgée une séparation linguistique de ce dialecte aux alentours de Sélestat. Au sud, l’alsacien est un mélange opéré au fil des temps avec une dominante alémanique, au nord la dominante est francique.

Dans ce village en 1960, 100 % de la population parlaient l’alsacien, 80 % parlaient l’allemand, et 35 % parlaient le français dont 30 % le comprenaient. Cette situation est difficilement concevable pour des villageois français ou des fonctionnaires en 1955 lors de leur passage en Alsace. Les fonctionnaires franciliens affichaient une certaine jouissance et une supériorité insolente en arborant leur parfait parler français. À cette époque juste après le dernier conflit, la spécificité linguistique de l’Alsace était une grande question animant les débats politiques, culturels et scolaires. On assista même à la naissance d’un complexe d’infériorité alsacien provoqué par de vieilles moqueries où l’alsacien était devenu l’objet d’une connotation négative. Le loyalisme envers la France devait s’accompagner d’un renoncement de la langue maternelle. La langue maternelle des Alsaciens était l’alsacien, tandis que les Français considéraient l’allemand comme notre langue maternelle, ne faisant aucune différence entre les deux. L’allemand était exclu des écoles primaires et sa place était limitée dans la presse. Il fut enseigné au titre d’une langue étrangère dans les lycées. L’alsacien fut interdit à l’école, les enfants étaient punis quand ils le parlaient dans l’enceinte de l’école. Qu’auraient fait les Basques ou les Corses ? L’alsacien fut considéré comme un handicap scolaire étant présenté, comme un signe d’arriération ou d’inculture. Pour les Alsaciens, il était vécu comme une richesse léguée par l’histoire, et non comme une honte due au faux lien avec la langue allemande. Les Alsaciens doivent se secouer, pour que cette situation cesse, et que notre alsacien soit reconnu comme étant une caractéristique de notre patrimoine.

Les uns se fâchaient, d’autres éprouvaient de nostalgiques pensées causées par de petites colères excessives mal comprises des Français de l’intérieur. Ah ces Français de l’intérieur ! Cette expression provoquait les plus vives réactions de la part des Franciliens, mais n’était-elle pas la réponse au gouvernement français, qui pendant la période 1871-1918, utilisait cette expression « les Français de l’extérieur » ? Ils désignaient les Alsaciens et des Lorrains s’étant retrouvés lâchés, abandonnés par la France, étant sous l’emprise de Bismarck et de l’empereur Guillaume 1er.

Dans ce village, différents personnages étaient poliment salués avec déférence comme le maire, le médecin, le curé, le pasteur, les instituteurs, dont l’un d’eux était le secrétaire de mairie. D’autres personnages animaient le village : le premier était le facteur, jovial et farceur, agent de renseignements du maire, colportant les ragots. Il était attendu fébrilement dans toutes les maisons en apportant outre le courrier, les retraites, les pensions et les allocations. Le second était le garde champêtre et l’appariteur, il passait dans le village en faisant tinter sa cloche. Les volets et fenêtres s’entrouvraient et l’appariteur communiquait en alsacien toutes les informations, les animations, les évènements utiles à la vie du village. Il me semble parfois encore entendre le son de sa cloche aiguë et le son de sa voix frondeuse.

Outre les effluves rôdant autour des étables, des odeurs spécifiques escortaient les différentes périodes de l’année. En octobre, les odeurs du Neier-Siasser, le jus issu de la première presse du vendangeoir planant dans les caves, étaient remplacées par les odeurs de fermentation du vin bourru, le Riesser étant dégusté au fût avec des noix fraîches. Ce jus pétillant, trouble, riche en levures, donnait les premières indications sur la qualité des crus. Au printemps, les floraisons des arbres fruitiers exhalaient de subtils parfums, suivis lors des récoltes et leurs délicats arômes de fruits. La fenaison, les moissons, la récolte du houblon et des céréales amenaient de délicates fragrances embaumant l’ensemble du village.

Le village comportait quelques stigmates du dernier conflit, quelques maisons endommagées que les propriétaires restauraient avec les fonds des dommages de guerre tardant à arriver. Les deux conflits mondiaux avaient épargné le village. Le conflit de 1914-1918 avait fait vivre des frayeurs lors des heures douloureuses, lors d’évasions d’enfants du village évitant l’incorporation de force se trouvant en tant qu’allemand et alsacien contre des soldats du camp français. Imaginez leurs pensées, leurs hantises et leurs peurs lors des affrontements. Le conflit 1939-1945 avait marqué la mémoire des familles, par la brutalité nazie, les incorporations de force des garçons du village. De nombreux soldats allemands nazis ont occupé le village, réquisitionnant les fermes, les logements, les maisons libres qui étaient sauvagement occupés. Le célèbre et triste camp de déportation et d’extermination du Struthof à 10 km situé à 30 km du camp militaire de Mutzig les avait placés en témoin des quelques faits militaires, dont le plus marquant fut la chute d’une bombe V1 vers la fin du conflit provoquant de grands dégâts et de nombreux morts.

En 1950, cinq ans après la fin du dernier conflit mondial, de nombreuses traces marquaient encore les maisons et les esprits. La vie avait repris son cours au rythme des travaux champêtres et des festivités. Les pleurs et les gémissements s’élevaient lors de la réception d’une lettre du ministère des Armées confirmant la mort d’un soldat enterré dans un site inconnu, ou d’un autre retrouvé enterré dans une sépulture digne ou d’un disparu n’étant toujours pas identifié. Ces informations réduisaient le nombre de soldats disparus, dont on était sans nouvelles avec une désinvolture affligeante d’un désarroi accablant et des souffrances des familles. Au rythme des fêtes civiles et religieuses, des commémorations du 8 mai, du 11 novembre et du 14 juillet animaient la contrée, le village retenant encore son souffle pour rire, danser et s’amuser. La fête du village mettait en novembre toute la communauté en effervescence, pour fêter et danser aux sons de quelques orchestres.

Deux églises, deux chapelles, deux clans, l’une protestante, l’autre catholique qui ne communiquaient que trop peu en 1950. La coexistence de deux écoles primaires protestante et catholique, où étaient enseignés les mêmes programmes, dont la seule différence fut l’enseignement de deux heures de religion étant celle de l’instituteur. Cette situation provenait du fait des deux régions d’Alsace et de Lorraine n’ayant pas été soumises aux lois de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 étant sous tutelle allemande au moment de son instauration. La coexistence des deux écoles, et les implications des traditions religieuses dans les affaires scolaires, politiques et culturelles généraient de petits conflits et de petites animosités. On pouvait s’étonner qu’en 1958, cette situation existât encore en Alsace-Lorraine où le clergé s’immisçait trop dans la vie publique alimentant les différences des dogmes entre catholiques et protestants.

Les degrés de réaction allaient de la simple discussion amicale relatant les nombreux dialogues œcuméniques, aux rappels fréquents de la persécution des protestants par le Vatican. Les catholiques pensaient que les protestants prêchaient un enseignement facile, ne demandant qu’une explosion d’émotions suscitées par une prédication dominicale manipulatrice. Les catholiques prétendaient éviter les problèmes liés à leur interprétation en se basant sur une tradition riche en dogmes. Les générations d’après-guerre commencèrent à faire abstraction de ces considérations apportant une cohésion en effaçant ces divergences.

Le temps et la tradition avaient créé des habitudes, devenues des règles, respectées et gardées par les vieux du village, où les caricatures et les jugements étaient souvent basés sur ces ignorances. Les deux parties deviendront plus respectueuses de leurs convictions, quelques années plus tard dans leurs argumentations en adoptant des comportements plus œcuméniques. Il en découlait qu’on ne se mariait que difficilement entre les deux communautés et qu’un mariage œcuménique pouvait provoquer des tensions dans les familles.

Ces différences étaient même inscrites dans les noms de famille. Beaucoup de noms tiraient leurs noms de famille des anciennes corporations de métiers, par exemple les Schmitt ou les Schmidt étant issus du métier de forgeron. Les Schmitt étaient catholiques, les Schmidt étant protestants. Ces appréciations et ces considérations se sont éteintes, balayées par le temps, la tolérance et la désuétude.

Dans cette ambiance, sur ces terres alsaciennes, que fut préparé le premier berceau dans le village natal de mon père à Cosswiller en février 1952, où mes souvenirs restent voilés. Mes parents préparaient le déménagement à Westhoffen dans la grande ferme familiale. J’étais le premier petit mâle dans cette grande famille faisant la fierté de mon arrière-grand-père Georg ou Georges, de mon grand-père Michel et surtout de mon père Ernest. Pourquoi Georg et Georges ces deux prénoms Georg était le prénom d’identité pendant les périodes d’occupation allemande et Georges étant celui repris lors des rattachements à la France.

J’ai fait mes premiers pas dans le grand jardin entourant notre domaine explorant au fur et à mesure de mes culottes grandissantes, défiant les animaux et les bestioles s’y trouvant. Ce jardin, d’une très grande richesse florale, fut le siège de mes premiers rêves de mes imaginations et des découvertes de gamins. Touchant à tout ce qui bougeait, cette curiosité me valut mes premières morsures, des piqûres et quelques coups de sabot des chevaux et des poulains m’initiant au respect de cette population m’ayant adopté. J’étais émerveillé par le cycle des saisons, des floraisons, les récoltes des fruits. La neige, cette magie blanche s’entassant durant toute une nuit provoquait la désolation de mon père perturbé dans ses activités professionnelles. Au réveil, j’admirais les toits des maisons recouverts de ce coton, une étrange sensation du village enveloppé par un grand silence blanc.

La veille d’une rentrée scolaire, mon père me confia : « …. Maintenant, il va falloir aller à l’école, tu devras devoir travailler, tu vas devoir rejoindre la nouvelle communauté, celle des grands que tu devras écouter et qui te montrera, celle qui sait, celle qui te guidera, qui t’apprendra, à laquelle tu devras obéir. Il faudra apprendre, c’est une nouvelle vie, alors au travail… ». La rentrée se fit à l’école protestante. Je me souviens du regard de ma mère crispée m’accompagnant dans la cour de l’école, avec mon nouveau tablier, mon sac d’école étant celui de ma mère, que le cordonnier du village avait réparé et recousu. Je fus surpris par l’absence de mon copain Jean-Paul, l’ayant côtoyé à l’école maternelle, mais il était absent pour l’unique raison qu’il faisait la rentrée à l’école catholique. Ce n’est qu’en 1960 que cette loi de la séparation de l’Église et de l’État de 1905 entra en vigueur. Cette loi intégrait de bonnes dispositions renvoyant le clergé sous leurs clochers respectifs en limitant leurs interventions dans la vie publique et définissant leur nouvel espace professionnel.

Ma famille protestante entretenait encore les différents courants : mon père protestant calviniste, athée avec un penchant panthéiste et ma mère protestante luthérienne croyante cadrant mon éducation stricte, nourrissant leurs nombreuses discussions. Ma jeunesse fut très tôt un terrain d’antagonismes provoqués par ces dogmes religieux et les dispositions et convictions opposées de mes parents.

Les adultes, ces grands méchants avaient une fâcheuse habitude de fermer les portes ou de m’interpeller, me demandant de sortir lors de leurs discussions. Les arguments étaient trop nombreux : « Tu es trop petit… tu ne comprends pas encore… » Je n’avais qu’une seule hâte, celle de grandir, de participer, de comprendre toutes ces histoires commençant à découvrir et à percevoir en côtoyant fréquemment ces armoires centenaires soigneusement fermées par de belles ferrures et leurs clefs cachées.

À l’école, l’instruction comportait une attention particulière pour le « parfait parlé français », en atteignant le grand projet éducatif alsacien en étant l’interdiction de parler ce patois dans l’enceinte de l’école. La punition du bouchon noire était permanente, consistant à attribuer ce bouchon à celui qui parlait l’alsacien. À la requête de l’instituteur, le dernier possédant ce bouchon écopait une punition. Pourquoi cette punition, alors que l’ensemble du village parlait l’alsacien ? Les explications de mon père m’éclairèrent le cadre historique et la volonté d’une administration française voulant réduire l’emprise de ce dialecte en disant et admettant que l’alsacien était issu de l’allemand. L’administration se trompait et malmenait encore ces deux provinces.

La vie était agrémentée de sorties dominicales en famille pour la découverte de la région de lieux ayant été imprégnés par des femmes et des hommes torturés lors de leurs périodes passées sous le joug nazi. Ces visites de la région étaient un rituel, des découvertes de nos richesses historiques et culturelles. Comme tout petit Alsacien, je me suis retrouvé un dimanche matin lors d’une de nos sorties dominicales dans un de ces endroits où l’histoire hurlait encore en étant honorée ou intrigué ne laissant aucune personne indifférente. Après une explication du cadre des circonstances historiques et du caractère sacré par mon père, mes premiers pas se firent avec la plus grande attention dans un de ces endroits respectés silencieux en pleine montagne où tant de femmes et d’hommes avaient été sacrifiés sur le billot de l’idéologie barbare nazie. Le recueillement et les larmes du cœur avaient effacé les souillures de cette histoire ainsi que les atrocités du camp d’internement et d’extermination nazi du Struthof. Ce camp comptait lors de son fonctionnement près de 52 000 internés, avec ses 20 000 morts. Ce camp avait la triste réputation des camps NN, Nacht und Nebel, nuit et brouillard, étant doté de ses fours crématoires, des salles d’expérimentations et d’autres horreurs dans la forêt voisine où planaient encore la souffrance et l’horreur vécues par les prisonniers. Parmi les exactions figuraient les essais exercés par de tristes et célèbres médecins nazis pour leurs travaux barbares qui hantaient mes nuits après ces visites. Ces camps étaient des horreurs des souvenirs trop proches pour mes parents en faisant des pèlerinages dominicaux réguliers afin d’exorciser ces grandes et pires souffrances qu’ils avaient côtoyées. Des moments d’horreurs que je devais désormais partager, vénérer et respecter. La philanthropie et la barbarie humaine avaient rivalisé, démontrant une espèce humaine n’ayant plus aucune limite, plus de respect, plus aucune considération. Les visites étaient de véritables calvaires où le sol semblait se dérober sous mes pas, où j’avais peur de fouler des restes humains ayant encore pu se trouver là. Ces visites étaient une histoire trop lourde à porter, mes parents n’ayant plus de conscience, de manque de discernement inhibé par ces restes de leurs souffrances. Le guide du camp connaissait parfaitement son sujet, illustré par d’horrifiants récits et d’anecdotes de ces sinistres expositions animant par la suite mes nuits. Parmi ces récits formant la bibliothèque du camp, quelques-uns sont particulièrement choquants : la lettre du Dr Hirt concernant une commande de cobayes humains pour ses recherches et sa collection de squelettes, des récits de visites médicales macabres, des comptes rendus d’interventions ou le récit du paquet de tabac de M. Wintenberger, les récits des sévices des morts expliqués par M Schanger avec les tentatives d’évasion et les franchissements de la clôture du camp par des sauts à la perche constituaient ces macabres archives. Ces endroits visités en famille avec de silencieuses promenades, le dimanche sans se soucier des impacts psychologiques qui en découlaient. Avec l’esprit d’un gamin de douze ou quatorze ans, mes premières interrogations fusèrent, irritant mon père, me répondant sommairement. Il me montra mon manque de connaissances historiques, rétorquant : « On en parlera plus tard… »

J’allais donc agacer mon grand-père Michel, agriculteur-viticulteur, lors de mes visites dans son domaine. Cet homme, pour lequel j’avais une grande admiration, presque autant que pour mon père, avait acquis par son frère une grande culture et une philanthropie qu’il avait décidé de me transmettre.

Je me souviens des récits relatant être ces tristes histoires régionales, en particulier lors de longues soirées hivernales me tenant en haleine, où Michel me racontait avec une certaine réserve ses premiers récits de la Grande Guerre. Je prenais des notes au fur et à mesure, pour constituer ma documentation, mes cahiers, sans savoir ce que j’allais en faire.

Dans la grande ferme trônaient au milieu du grand salon deux superbes armoires multicentenaires contenant les secrets et les archives de la famille. Elles étaient soigneusement fermées avec de grandes serrures et des clefs forgées devant me révéler leurs secrets. Malgré les consignes de ma mère m’interdisant de les ouvrir, elles n’étaient pas protégées contre ma curiosité, et leurs serrures des portes ne résistèrent pas trop longtemps. Mon grand-père mis dans la confidence me confia leur contenu pour m’initier et étudier ces secrets et archives. Je me souviens de ce jour, seul dans cette maison, où je fis ces grandes découvertes. Une quinzaine de tenues d’officiers de toutes couleurs où le rouge et le noir prédominaient garnissant toutes les armoires avec leurs casquettes, des casques, des tenues de grenadiers, de hautes mitres, des bottes, des épées, des tenues d’apparat de grenadier, des tenues de cavalerie ornant les penderies et les rayonnages de ces armoires. Lors de plusieurs visites, j’ai observé ces tenues pendant des heures, avec leurs accessoires, les fusils, des épées soigneusement travaillées. Je touchais ces témoins avec leurs grains des tissus, les odeurs m’étant inconnues… j’en frissonnais. La bibliothèque garnie de livres anciens, de revues rédigées en allemand gothique dont j’ignorais la calligraphie aiguisant ma curiosité. Je découvris des cartes des documents avec l’emblème nazi, des livres anciens des époques napoléoniennes, des pistolets, une véritable armurerie.

Mon grand-père Michel m’expliqua que ces tenues et ces divers objets provenaient de son arrière-beau-père Georges et de son beau-père Georg, les deux ayant été les anciens propriétaires des lieux et des officiers militaires par tradition familiale. Georges avait servi les drapeaux de Napoléon III. Son fils Georg avait suivi cette noble tradition ayant dû servir sous les drapeaux allemands de Guillaume II, et Michel qui fut enrôlé de force en 1914 sous les drapeaux allemands. Ces réponses stimulèrent ma détermination afin d’explorer d’étudier ces archives et ces écrits familiaux mystérieux.

Mes parents déménagèrent dans une nouvelle demeure. La pensée que j’allais devoir quitter ces armoires m’attristait et m’effrayait. J’avais dérobé le plus grand nombre de ces livres, des cahiers de notes personnels de Georg et de son père Georges, toutes ces pièces, ces documents, ces livres et brochures qui furent gardés secrètement par Michel scellant notre grande complicité.

Une nouvelle vie commença avec de nouvelles habitudes, allant fréquemment me réfugier chez lui pendant mes loisirs, pour comprendre, apprendre cette histoire intrigante. Il commença à m’initier à la calligraphie gothique allemande pour que je puisse déchiffrer ces nombreux documents devant me livrer l’histoire des habitants de cette ferme ayant commencé en 1840. Il me raconta l’histoire, les évènements qui s’étaient déroulés dans cette ferme, devenue la maison de mon enfance avec ses fameuses énigmatiques armoires et ses mystérieuses penderies.

Quelques années plus tard, ces armoires avec leur contenu avaient fait le bonheur de quelques antiquaires sans scrupule, en s’étant approprié ces belles vieilleries. L’arrivée dans notre foyer du petit écran bouleversa nos habitudes. Les soirées étaient rythmées par les horaires des journaux d’information, de films, d’émissions et les grands évènements du monde, dont le premier fut la crise des missiles de Cuba et les funérailles de JF Kennedy.

Noël 1963, mon grand-père Michel me fit la surprise de préparer ma première bûche de Noël, préparée trois jours auparavant. La préparation consistait en un mélange de vins, de miel, de sucre, de diverses épices, en particulier la cannelle, l’anis étoilé et des graines de coriandre. Cette mixture légèrement chauffée se mélangeait dans une bassine en cuivre dans laquelle on trempait des bûches de hêtre devant mariner pendant trois jours. Lors du réveillon de Noël, la bûche égouttée était mise dans l’âtre pour se consumer, embaumant la maison et dégageant de douces senteurs de Noël. Le liquide accommodé du vin récolté de l’année était réchauffé pour déguster un bon vin chaud.

Michel, attaché aux traditions, m’avait également préparé un magnifique sapin de Noël. Rappelons que le sapin de Noël serait apparu à Sélestat en Alsace en 1520. Mon sapin était décoré avec les plus belles pommes de la récolte, ainsi que des quartiers de fruits secs aromatisés, suivant la tradition alsacienne.

À quatorze ans chez l’oncle Émile j’ai découvert d’autres secrets aussi énigmatiques dans ses grands bureaux ornés de trophées de chasse et ses grandes armoires. Intrigué dès leurs ouvertures, je découvris des capes noires et rouges, des habits, des tabliers, une autre bibliothèque avec des livres des revues pleines de symboles, des compas, des équerres, des épées des chapeaux et d’autres objets intrigants. L’oncle Émile, illustre personnage, était le propriétaire d’une scierie employant la moitié des habitants du village ayant toute la sympathie et le respect de la petite contrée avec sa DS et son fusil de chasse sur la plage arrière. Un après-midi assis par terre, je consultais ses ouvrages, ses revues, sans toutefois y comprendre la moindre phrase. À mes questions, Émile répondit par un sourire narquois et moqueur : « Dans une vingtaine d’années, tu comprendras, pour l’instant, tu ne peux pas comprendre, on verra… » Ces découvertes ne faisaient que développer mes interrogations et par la suite en me léguant certaines de ses affaires. Après sa mort, j’ai voulu revisiter cette armoire, mais son fils ne s’intéressant pas à leurs contenus me confia que lors de sa mise en bière, ses amis étaient passés en emportant l’ensemble de leurs contenus.

Mes études supérieures m’apportèrent quelques compléments et certaines réponses à ces interrogations, me facilitant mes recherches et des travaux pour créer ma petite bibliothèque.

En 1975, j’ai vécu mon premier drame de ma vie, un drame lors de mon mariage. Ma mère se référant à de vieilles coutumes familiales se basait sur des interprétations de dogmes religieux avec de vieux faits historiques et d’un vieux serment du 17e siècle datant des guerres de religion. Mes ascendants chassés de Suisse pour leurs convictions religieuses s’étaient établis en Alsace, dont il ne restait qu’un vague serment de fidélité oublié et d’allégeance à la tradition protestante ressurgissant brutalement. Ma mère nourrissait une certaine intolérance à l’égard d’autres traditions, justifiant ses convictions et son refus de m’accompagner lors de mon mariage en entraînant mon père dans cette folle attitude. Cet incident avait provoqué un drame familial. Le réconfort vint de Michel et d’autres membres de la famille m’ayant entouré, désapprouvant les vieilleries de mes parents. Ma marraine Renée, la sœur de mon père, remplaça ma mère pour me conduire à l’autel conformément à la tradition cérémoniale. Cet évènement fut un grand traumatisme dans la sacro-sainte famille ornée de leurs dogmes m’amenant au rejet brutal des croyances portées par ces traditions religieuses et fut suivi d’un questionnement sur la spiritualité. La relation avec ma mère, malgré ses pardons, fut jusqu’à sa mort un souvenir terni et altéré par cet évènement finissant par la culpabiliser.

Je continuais les recherches concernant les habitants de cette ferme sur trois générations exploitant des documents rassemblés. Ils devaient me raconter l’histoire et me livrer des vérités restées des sujets tabous, ou enfouies dans un étrange mélange de souffrance, de honte et de pudeur. Avec une grande réserve, j’ai commencé à explorer l’histoire de l’Alsace et de la Lorraine, des Alsaciens et des Lorrains de 1870 à 1945. Cette histoire est grande, noble, parfois horrible, dans laquelle mes ancêtres, mes parents avaient pris une grande place. Elle est celle d’une famille ayant apporté sa lourde contribution payée par leur sang, pour écrire et graver ces sombres heures dans nos terres.

À mon arrière-grand-père,

Georges, pour les Français

Georg, pour les Allemands

La tartine tombe toujours du côté beurré.

Proverbe alsacien

Georges, mon arrière-arrière-grand-père, était le descendant d’une grande famille de tradition militaire, d’aubergistes et de fermiers-viticulteurs. Ses ascendants avaient hérité de ce grand domaine vers 1840 et deux générations avaient engagé de grands travaux de rénovation, suivant des dates taillées sur les frontons et les impostes des ouvrants. C’est le début de la scène de cette grande histoire…

Le père de Georg se nommait Georges militaire et officier, affecté à la garnison de Strasbourg, sous l’empire de Napoléon III, dont il fut le serviteur et un grand admirateur. Quelques notes, des courriers retrouvés mentionnés dans ses états de service commencent toutes par : « Mon Empereur… ». Auparavant, il avait servi dans le Corps des sapeurs-pompiers de Strasbourg, en étant enrôlé dans les effectifs de l’artillerie de la place forte de la Citadelle de Strasbourg.

Ses récits ne décrivaient pas de faits militaires, les temps ayant été calmes et sereins, ne laissant que de nobles ressentis et de nombreuses descriptions de Napoléon III et des hommes de la garnison l’ayant côtoyé.

Georges fut un personnage déterminé, humaniste, ayant développé les activités de cette ferme, comportant les trois grands corps et une auberge restaurée « Zuem Ochse - Au Bœuf ». L’auberge avait eu une bonne réputation, ayant moi-même eu le surnom, un siècle plus tard « l’Ochsewiertel – le petit aubergiste du bœuf ». Cette exploitation comportait, outre de nombreuses terres de polycultures, des vignobles employant de nombreux ouvriers agricoles, l’élevage de bovins, de chevaux et les céréales ayant fait en grande partie la fortune de cette famille.

Georges était un officier de liaison se rendant régulièrement à Metz et ayant connu de grands personnages tel que Félix Marchal, lors des heures paisibles sous Napoléon III…

Lors de la catastrophe en 1870, les sombres heures commencèrent à écrire une autre histoire de l’Alsace et de la Lorraine.

L’artisan, le principal acteur de cette période conduisant la destinée de l’Alsace et de la Lorraine vers ses heures horribles et noires fut Otto Bismarck. Issu de l’aristocratie prussienne, Bismarck avait étudié les langues, la littérature et le droit. Après son premier poste dans l’administration, il s’était fait remarquer tantôt comme un conservateur, tantôt par ses qualités d’agitateur brutal et arrogant. Il entra au Parlement de Prusse et se fit vite remarquer pour ses propos antisémites et antisociaux. En 1849, il entra à la chambre des représentants. En 1862, le Roi de Prusse le nomma Ministre-Président, et ès ministre des Affaires étrangères. Dès lors, Bismarck dessina secrètement un projet de la grande réunification allemande et la renaissance du Grand Saint Empire germanique. En poste diplomatique à Saint-Pétersbourg et à Paris, Bismarck afficha une cinglante hostilité à l’égard de la France et de Napoléon III. Il était jaloux de ses réalisations, critiquait ses institutions, son essor industriel et culturel qui l’impressionnaient, en étant relatés dans ses différents écrits. De retour en Prusse, il entreprit la restauration de l’armée prussienne, en développant de nouvelles unités.

En 1864, Bismarck commença à jouer sur sa scène en manipulant sur le plan diplomatique international les dirigeants, les hommes politiques européens, entraînant l’Autriche dans un conflit contre le Danemark. En 1866, Bismarck avait tendu un piège à l’empereur d’Autriche François-Joseph le poussant à déclarer la guerre à la Prusse. Dans le même esprit manipulateur, Bismarck a élaboré sa célèbre dépêche d’Ems, du 13 juillet 1870. Un document, plusieurs fois modifié, recopié et falsifié constituant une grande provocation au conflit, qui s’était transformé en un énorme camouflet diplomatique pour la France montrant très vite à Napoléon III toute la fourberie et cette animosité envers la France. Le 19 juillet 1870, la France déclara officiellement la guerre à la Prusse.

Le 4 août 1870, l’offensive avait été soigneusement préparée et lancée dans le nord de l’Alsace sur Wissembourg. Le 6 août eut lieu la bataille de Frœschwiller avec leurs cuirassiers de Reichshoffen, dont il ne reste que des monuments et la chanson patriotique rappelant les lieux où Mac-Mahon fut défait.

La France non préparée à cette folie bismarckienne comptait sur ses forteresses de Strasbourg et de Metz étant considérées comme des places les mieux défendues du pays, qui se révélèrent vite être en très mauvais état. Ce premier point montra le consternant état de nos militaires embourgeoisés aux bottes trop lustrées. La France dut se préparer aux graves moments de sa destinée, étant depuis longtemps des volontés et des aspirations hypocrites bismarckiennes, devenues de malheureuses vérités. Les Allemands mettent leurs dispositifs en place entre le 15 et le 22 août et se lancent à l’assaut. Le 24 août, le bombardement s’étend à l’ensemble de la ville de Strasbourg, après un contre-bombardement de l’artillerie française.

Le 27 septembre, vers 17 heures, le général Uhrich fait hisser le drapeau blanc, après des négociations avec les Suisses, les drames, les destructions de monuments de la bibliothèque, de nos joyaux historiques et de lourds dommages sur la cathédrale. Strasbourg, une ville meurtrie, une partie des fortifications détruites, tomba aux mains des Allemands, mettant fin au siège de Strasbourg. Les attaques de Strasbourg n’avaient pas été des bombardements répondants à une stratégie militaire réfléchie, mais constituaient une ignoble opération meurtrière de destruction cynique et barbare, de la culture et de la beauté de la ville. Lors de ce siège, la culture, l’architecture étaient peut-être des grandes inconnues de Bismarck et des casques à pointes prussiens.

Georges avait passé des heures douloureuses dans la forteresse, d’où il s’était échappé pour rejoindre le corps des sapeurs-pompiers, terminant la guerre, pour aider les Strasbourgeois dans leur désolation. Georges côtoya durant cette période, Adèle Riton se sacrifiant dans cette noble tâche en volant au secours des autres. Cet évènement contribua à le faire basculer dans une profonde haine contre ces barbares et ces ignobles envahisseurs venant de détruire Strasbourg.